Publication :
décembre 2022
Mise
à jour : janvier 2023
Liliane TRAPP
nous dit en décembre 2015 :
« Vous trouverez ci-joint, la lettre
écrite par le sergent Eugène LALLON de l'hôpital auxiliaire n° 17 salle Jeanne
d'Arc à Avranches (50). Il décrit les trois derniers jours de vie du soldat
Georges Edmond SCHOUBERT du 114e régiment d'infanterie, mort pour la France le
16 septembre 1916. Cette lettre a été adressée à ses parents.
Georges Edmond SCHOUBERT est né en janvier 1894 à Midrevaux (Vosges). À son incorporation, à 20 ans, il déclare être aide de culture et fait son service militaire au sein du 18ème bataillon de Chasseurs à partir de septembre 1914.
Il est versé ensuite au 125ème régiment d’infanterie, et enfin au 114ème régiment d’infanterie. Fin 1916, il sera gravement blessé à la jambe gauche (brûlure par eau bouillante). Il décédera à l’hôpital d’Avranches. Il sera déclaré « mort pour la France ».
Le journal du régiment ne donne pas la liste des blessés à cette période, dommage !
Merci à Georges
pour la recopie de la lettre.
En souvenir de Georges Schoubert,
mort le 16 à Avranches, novembre 1916
Avranches
le 17 novembre 1916,
Madame et Monsieur,
Il m’incombe aujourd’hui un
bien pénible devoir, celui de vous parler des derniers moments de votre fils
bien aimé qui vient de mourir au milieu de nous. Mais cependant je suis
persuadé que malgré que vous la lecture de cette lettre sera très douloureuse,
elle mettra un baume sur votre grande douleur, il vous sera doux de savoir de
quelle manière est mort celui que vous pleurez, cela vous rapprocheras
davantage de lui.
Je vais donc essayer de vous
retracer d’une façon quasi complète ces trois derniers jours de votre enfant. »
« C’est lundi soir 13 que votre fils arrivait à Avranches et qu’on
nous l’amenait à la salle Jeanne d’Arc. A première vue il nous semble à tous le
plus courageux de ceux qui arrivaient et celui le moins gravement atteint.
Il était heureux le pauvre enfant d’être enfin arrivé au port ; il souriait en
voyant le beau lit bien propre qui l’attendaient, il se voyait déjà guéri : il
ne voulut pas que personne l’aide à faire sa toilette, je le verrai toujours au
bout de la table, debout, à moitié déshabillé en train de faire sa toilette, et
causant gaiement avec ses voisins : Il mangea d’assez bon appétit, et se
coucha, il était 9 heures du soir. »
« La nuit fut bonne
autant qu’elle pouvait l’être, le lendemain matin il déclare au secteur qu’il
ne souffrait pas beaucoup, mais il avait un peu de fièvre ce qui n’était
nullement étonnant après ce long voyage. Je lui parlai pendant la journée et
tous les camarades aussi et à tout le monde il se déclara enchanté
de se trouver au milieu de nous ; il nous disait en souriant…
« J’ai un véritable filon, mes brûlures vont se guérir très vite, je
vais passer quelques bonnes semaines ici bien au chaud et ensuite j’irai revoir
mes parents ».
Cette idée d’aller vous
revoir l’enchantait visiblement.
Dans l’après-midi, il écrivit deux lettres dont une pour vous, et il disait à
l’infirmier qui le soignait :
« J’ai écrit à mes parents
et je les attends, ils viendront me voir surement en tous cas, au moins un,
soit mon papa, soit ma maman »
Et on le voyait heureux en
pensant que l’un de vous viendrait. On sentait que le plus clair de sa pensée
était à la maison vers ses parents qu’il avait l’air d’aimer.
Le mardi soir cependant, cela n’allait plus si bien, il était un peu agité, la
fièvre était un peu plus forte cependant pas encore inquiétante.
Le mercredi matin, nous le trouvons tous plus mal, lui-même déclarait que cela n’allait
pas si bien ; le docteur paraissait lui-même inquiet, nous le vîmes bien car il
revint très souvent vers lui pour surveiller l’application de ses ordonnances ;
les infirmières redoublèrent de soins et d’attentions autour de lui.
La nuit fut mauvaise, un
homme le veilla toute la nuit, attentif à ses moindres désirs et observant
d’une façon parfaite l’exécution des ordres du docteur.
Vers 4 heures du matin il
dit à Lebreton (c’est le nom de
l’homme qui le soigné cette nuit-là) :
« Oh ! Cela ne va pas et je crois
bien que je veux mourir »
Et
peu de moments après
« J’attends ma maman elle va
bientôt venir ».
Le docteur vint très matin
pour lui et il vit tout de suite que la fin approchait, mais il voulut encore
tenter un remède énergique pour sauver votre fils, il a lutté jusqu’à la
dernière minute pour l’arracher à la mort et il avait les larmes aux yeux ce
bon docteur en voyant les progrès du mal. Ce qui l’inquiétait surtout c’était
l’état du cœur qui était si faible conséquence de la brûlure, alors il lui fit
une injection de caféine pour le soutenir ; en même temps, il continuait l’autre
traitement contre la brûlure.
Votre fils supportait avec
courage son mal, quel brave garçon dès 8 heures cependant ; jeudi matin, on fit
chercher l’aumônier ; il vient et confesse votre enfant. Il nous déclara après :
« C’est un bon enfant que ce
garçon là et un bon petit chrétien ».
Pendant toute la matinée il
souffrit beaucoup une infirmière était constamment près de lui, c’était une
demoiselle de la ville, d’un certain âge et qui a un cœur d’or ; votre fils ne
pouvait mieux tomber qu’entre ses mains qui sont de vraies mains de mères. A
elle encore il dit :
« Ma maman va venir, elle va
venir je l’attends ».
Et
à plusieurs reprises il vous appela, madame.
Plusieurs fois aussi il crût
que l’infirmière était sa maman et il lui donnait ce doux nom, elle en pleurait
cette chère demoiselle Gibierge
(elle vient de perdre un neveu chéri et comprends la douleur).
A une heure de l’après-midi
l’aumônier revint et administra votre enfant, les infirmières étaient à genoux
et priaient pour lui et pour vous aussi. Moi-même dès le matin j’adressais à
Dieu une ardente supplication, le priant de sauver votre enfant si c’était la
sainte volonté ; et je priais aussi pour vous dont la douleur serait si grande.
Pendant que l’aumônier l’administrait : on voyait que votre fils suivait l’acte
avec une grande ferveur, on sentait qu’il se préparait à mourir en bon chrétien
et en bon soldat.
Il y eut après un moment de
calme comme si Dieu lui-même avait voulu lui donner un peu de répit et même les
douleurs ne furent plus si vives que précédemment.
Mademoiselle Gibierge lui avait apporté des oranges
et cela lui faisait tellement de bien de sentir ces fruits rafraîchissants sur
ses pauvres lèvres desséchées par la fièvre. Pendant que Melle Gibierge dinait, une autre dame vint la
remplacer, Melle de Bolaincourt,
qui fut toute aussi dévouée dès lors elles ne le
quittèrent plus car on voyait que la fin approchait.
Vers deux heures ½, il demanda l’aumônier de nouveau pour qu’il fasse des prières près de
lui, naturellement l’aumônier vint de suite car je courus le chercher.
A peu près au même moment il
me demanda de vous écrire en disant :
« Il faudra écrire à mes
parents ; à ma maman »
Je
compris ce qu’il voulait que j’écrive et je lui dis oui mon petit oui j’écrirai
à ta maman.
Vers quatre heures ¼, Melle Gibierge
lui donna en votre nom le baiser d’adieu de la maman qu’il désirait tant et à 5
heures moins 20, il s’éteignait doucement dans les bras de Melle de Bolaincourt, sans souffrance, sans
agonie cruelle.
Sa jeune âme courageuse
s’envola vers Dieu là où il n’y a plus ni deuil, ni cris, ni larmes et où la
mort n’est plus. Pour lui il n’est plus de travaux ni de souffrances, il est
près de son Dieu et là il vous attend de là il vous voit et il veillera sur
vous.
Melle de Bolaincourt lui ferme pieusement
les yeux et aidée de Melle Gibierge
et de Sœur Solange elles lui firent sa dernière toilette.
Et maintenant il repose dans
une chambre, ici pas loin de moi, il a ses habits de soldat il repose les mains
jointes sur un chapelet. Autour de lui, nous avons arrangé son lit sur les
draps bien blancs, nous ses camarades, nous avons mis de la verdure, et de
jolies fleurs. Au-dessus de sa tête pend deux drapeaux tricolores, ce drapeau
de notre cher France pour laquelle il a donné sa vie. A ses pieds une petite
table ou deux chandeliers portent des cierges qui brûlent, sur la table encore
un beau Christ d’ivoire au pied d‘un beau palmier, l’eau bénite.
A côté du lit un prie Dieu
qui a vu toutes nos dames pieuses s’agenouiller.
Autour de la chambre une
profusion de plantes vertes. Une jolie couronne que nous ses camarades de
l’hôpital avons tenu à lui offrir. Voilà ou votre fils dort son dernier sommeil
: les dames infirmières et moi et quelques-uns des jeunes gens de l’hôpital
nous avons voulu que rien ne manque, que tout soit fait aussi bien et même
mieux que s’il était à la maison. Vous pouvez être sûrs que c’est avec des
mains pieuses que tout a été fait.
Demain samedi à 2h, nous le conduirons au champ du repos. Je vous écrirai encore ce qui
aura été fait
Je tiens encore à vous dire
qu’une religieuse l’a veillé toute la nuit dernière et qu’il sera de même
veillé cette nuit.
Soyez aussi assurés que tout
a été fait pour le sauver, le docteur et les infirmiers ont été admirables de
dévouement pour lui ; ils ont lutté contre la mort jusqu’à la dernière minute.
Certes je n’ai pas la prétention
de vouloir vous consoler, mais j’espère que ces lignes bien imparfaites
adouciront un peu votre peine. Pauvres parents affligés je comprends et partage
votre douleur qui sera immense, ma mère elle-même a été frappée il y a quelques
mois par la mort d’un de ces fils bien-aimé et elle n’a pas eu comme vous la
douleur de le senti ensevelir par des mains amies, il est tombé sur le champ de
bataille. (*)
Que Dieu vous console et
vous fortifie qu’il vous aide à porter la croix si lourde qui est sur vos
épaules, Il console ceux qui ont le cœur affligé, et il guérit ceux qui ont
l’esprit froissé et meurtri. Pleurez pauvres parents, mais que vos larmes ne
soient pas des larmes amères, ne murmurez pas. Votre fils est mort en chrétien
et sa part est maintenant avec les élus de Dieu.
Pensez à ce beau cantique :
Viens
âme qui pleurs
Viens
à ton sauveur
Dans
tes tristes heures
Dis-lui
ta douleur
Dis
tout bas ta plainte
Au
seigneur Jésus
Parle-lui
sans crainte
Et
ne pleurs plus
Dis
tout à ce fière
Et
ce tendre ami
Ta
douleur amère
Ton
deuil, ton souci
Il
aime, il console
Les
cœurs abattus
Parle-lui
sans crainte
Et
ne pleurs plus
Voilà cher Mr et Mme tout ce
que je peux vous dire.
Toutes ces dames et en
particulier celle que je vous ai nommé me prient de vous dire combien elles
pensent à vous et prennent part à votre douleur.
Je vous prie de croire aussi
à ma grande sympathie.
Sergent Eugène Lallon, hôpital auxiliaire N°17 (**), salle Jeanne d’Arc, Avranches
(Manche).
(*) : Aucun
LALLON a été tué pendant 14/18…
(**) : L'hôpital
auxiliaire N° 17 était constitué de la salle de concert de la rue de Bouillant 22
lits SSBM (Société de Secours aux Blessés Militaires), de l'annexe clinique rue
de Bré-Mesnil : 30 lits et d'une habitation
particulière située au 28 de la rue de la Constitution : 10 lits.
Son nom figure sur le monument
aux morts de Midrevaux. Sa tombe ne semble
pas être dans un carré militaire à Abbeville.
Voir sa fiche matriculaire (2 pages)
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