Mise à
jour : mars 2020
« Il s’agit de lettres envoyées par Ernest BENOIT du début de la
guerre. Elles furent ensuite retranscrites sur un cahier d'écolier en 1915 par
Mathilde LE MOUROUX, puis numérisées par Jean-Louis LECOQ, en 2006.
Sans eux, ces lettres seraient perdues. »
Ernest Marie BENOIST est né en janvier 1876 à Vannes (Morbihan). Étudiant, il s’engage à 18 ans au 65e régiment d’infanterie pour 3 ans. En 1907, il habite Paris, 124 rue Legendre. En août 1914, il intègre le 81e régiment d’infanterie territoriale.
Le 81e régiment d'infanterie territoriale fait partie de la 175e brigade d'infanterie territoriale, qui elle-même fait partie de la 88e division d'infanterie territoriale.
Le 81e RIT est composé de 3 bataillons. (3206 hommes et 144 chevaux). Mais à la mobilisation il existait 3 autres bataillons (4e, 6e et 8e bataillons) qui étaient des bataillons dits "d'étapes".
Le 81e régiment d'infanterie territoriale se trouve fin août 1914 dans le Nord, au sud-est de Lille. Le combat de Bourghelles lui a coûté une cinquantaine de soldats déclarés disparus. Puis le 81e RIT retraite vers Lens, puis début septembre vers la Somme.
Les noms de villages ont été corrigés dans le texte. J’ai ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit. J’ai aussi ajouté des dates pour pouvoir mieux se repérer dans le récit
Merci à Philippe S. pour les corrections.
« Nous sommes néanmoins tous presque joyeux, parce que nous
espérons et nous croyons fermement que maintenant l’ennemi ne peut plus rentrer
plus loin en France ; nous faisons des travaux de défense vraiment complets et
je crois qu’il leur est impossible désormais de pousser plus avant. Mais quand
nous reverrons-nous ?
La vie est toujours la même ici : des marmites, des nuits dans les
tranchées, des balles etc. tout ce qu’on peut rêver comme bruit et pétarades.
Ah qu’on sera bien à Paris (*),
si nous avons le bonheur de revenir à peu près entier ! »
(*) : Ernest habite Paris
depuis 1907.
« Ici la vie ne manque pas d’imprévu ; pour l’instant, nous
sommes à moitié tranquilles ; nous habitons les tranchées presque sans
interruption ; les Boches en font autant de leur côté.
Nous nous fusillons les uns les autres sans résultat du reste la
plupart du temps ; car nous ne nous montrons le museau les uns les autres
que le moins possible ; il est vrai que le temps est absolument affreux :
pluie, vent en tempête, une brume à couper au couteau ! Je n’ai point encore
été blessé, heureusement. Je désire vivement ne point l’être du reste.
Pour moi, j’avoue que j’ai assez de campagne comme ça et si on me
donnait le choix, j’aimerais autant rentrer en ville !
Seulement voilà …….. Je n'ai pas le choix ! »
« J’espère qu’on nous fera marcher un peu moins, nous l’avons
vraiment bien mérité, il me semble, car on n’a pas épargné la division et
particulièrement le régiment. (*)
Il est vrai que nous avons été plusieurs fois cité à l’ordre du jour –
mais ça coûte un peu trop cher à mon gré.
Ce qu’il y a de navrant à voir, ce sont les villages bombardés, nous
avons séjourné ces jours-ci dans une petite ville qui venait d’être bombardés
et qui continuait à l’être du reste. Les murs sont éventrés, il n’y a plus de
toit, on voit les lits en pendant avec leur literie, les lampes suspensions en
balades, une vraie scène de cinéma ; Mais il manque de gaieté.
Leur canon de 155 est vraiment un canon de premier ordre et qui nous a
fait beaucoup de mal ; l’obus est vraiment terrible. Voici quelques jours l’un
d’eux est tombé sur une ferme près de nous et a mis en bouillie 18 soldats, pas
un seul n’a échappé, .. et
ils étaient dans la maison !
Tu vois un peu l’effet qu’un pareil moineau vous fait, quand il nous
approche. »
(*) : Le régiment et toute la division territoriale retraite vers
Amiens.
.
« J’ai assisté et contribué à plusieurs batailles dont une grande.
(*)
Je t’assure que c’est vraiment terrible, mais on finit par s’y faire,
on entend le canon toujours partout où l’on se trouve, jours et nuits les obus
tombent partout, mais on ne risque en somme que peu de chose en dehors des
véritables batailles, par conséquent tranquillise-toi. Je fais et ferai mon
devoir toujours mais néanmoins j’espère bien vous revoir……Enfin c’est un
mauvais moment à passer.
J’ai retrouvé quelques bons camarades avec lesquels je me retrouve
aussi souvent que possible, de cette façon les rares instants de liberté que
nous avons nous les passons aussi agréablement qu’il est possible dans ces
terribles moments.
A l’instant une superbe marmite allemande (projectile de 40 kilog.) vient de tomber tout près d’ici, si tu voyais les
superbes morceaux de fonte qu’elle nous laisse tomber !
(**)
Heureusement que notre
artillerie est de beaucoup supérieure. »
(*) : Le 23 septembre le régiment combat à Péronne et ses pertes se
montent à 4 tués 28 blessés et 55 disparus. Puis fin septembre, 22 tués, 139
blessés, 174 disparus dans les combats de Maricourt, Montauban et Fricourt
(Somme)
(**) : Le régiment se trouve dans les tranchées à Hébuterne.
« Je suis guéri maintenant (*), cette guerre se prolonge beaucoup.
C’est bien terrible la guerre, il faut y passer pour s’en rendre compte, je
t’assure.
J’ai vu de terribles journées depuis mon départ de Nantes et en ce
moment encore les obus sifflent avec un entrain et un bruit qui n’a rien de
réjouissant pour qui aime le calme et la sérénité.
Enfin, ayons confiance que tout se passera bien.
Nous passons les nuits (une sur 3 maintenant) dans des tranchées
profondes et actuellement assez bien recouvertes ; tranchées que nous faisons
nous même avec les outils des paysans auxquels nous les réquisitionnons. »
(*) : Je n'ai pas trouvé son
nom sur la liste des blessés. Malade ?
« Je suis toujours en bonne santé ; mais j’ai passé de terribles
moments et je crains fort qu’il y en ait encore d’aussi pénible, car cette
guerre paraît devoir être extrêmement longue ; nous avançons peu dans notre
région paraît-il ; mais de quelques centaines de mètres seulement et il ne peut
en être autrement, c’est une véritable guerre de siège !
Pense donc, nous faisons des tranchées profondes de près de 2 mètres,
large de d’un mètre 20 (naturellement sous les obus et les balles la plupart du
temps) les Allemands en font autant. Pense donc quelle difficulté et quel
danger pour s’emparer de pareils trous.
Les Allemands ont d’énormes obusiers que nous appelons des
marmites ; ces obusiers portent à 14 ou 16 kilomètres ; tu vois d’ici
quelle sécurité même quand on est à 4 kilomètres des lignes de feu, ce qui est
notre limite extrême.
Ça éclate avec un bruit de tonnerre et quand ils passent dans les airs
on dirait un passage de Decauville (*) ; ça fait frissonner la
volaille, comme dirait quelqu’un de notre connaissance autrefois.
Je n’ai toujours pas vu Joseph (**) ; il n’est pas du tout dans
notre région ; mais il paraît que le bataillon d’étapes n’est pas combattant. (***)
Il risquait par conséquent beaucoup moins que nous, car nous, il est
évident que nous sommes exposés à la mort autant de fois qu’il y a de secondes,
de nuits et de jours, et cela probablement jusqu'à la fin de la guerre.
Beaucoup de camarades sont déjà partis ; moi j’espère, comme nous tous, m’en
tirer ; Mais c’est seulement un espoir malheureusement.
Il fait mauvais et froid depuis longtemps déjà et c’est dur de passer
les nuits dehors.
Enfin espérons que tout cela passera comme un mauvais rêve et que
bientôt nous reprendrons nos occupations habituelles. Oh ! Coucher dans un lit
que ce doit être bon !!
Depuis deux mois que nous couchons soit dehors, soit dans des granges
ouvertes à tous les vents ! ….Joseph doit bien souffrir lui aussi, qui est si
habitué à sa bonne vie tranquille.
Espérons, enfin que tout ira bien et que nous serons bientôt chacun
chez nous. »
(*) : Le Decauville est un
petit train (écartement de voie de 60 cm). Il servait à l'approvisionnement au
front, en arrière des lignes.
(**) : Joseph Marie BRIDON est au 10e régiment d’infanterie
territoriale. Il est mort pour la France en juin 1915 et sergent à cette date.
Il était aussi étudiant à 20 ans. Voir sa fiche.
(***) : Le 81e RIT est composé de 3 bataillons. Mais à la
mobilisation il existait 3 autres bataillons (4e, 6e et 8e bataillons) qui
étaient des "bataillons d'étape". Ils étaient composés généralement
d'hommes plus vieux (45-50 ans) et n'avaient pas une constitution pour
combattre (entretien des voies de communication, transport de munitions, gardes
de prisonniers…). Malgré cela, ils pouvaient être présent très près des
premières lignes.
« J’ai été interrompu hier par le bombardement qui fait mine hélas
de recommencer maintenant. Le temps aujourd’hui s’est mis au beau. S’il n’y
avait pas ces obus qui tous les jours blessent et tuent des camarades on
pourrait vivre un peu plus tranquille en ce moment, mais ce sont ces sales
marmites !
Je sors de la messe où nous avons assisté à une messe avec cantiques,
l’un de mes camarades de Pornic dont tu m’as entendu parler, je crois, Ladmirault, musicien très distingué,
tenait l’orgue. (*)
Ca jette une petite note ; mais quelle misère, mes pauvres enfants.
Quelle effroyable chose que la guerre !!
Enfin espérons que l’on se reverra bientôt. »
(*) : LADMIRAULT Paul Émile, 37 ans, est musicien au 81e
régiment d’infanterie territoriale. À ses 20 ans, il est déclaré
« étudiant », puis « élève du conservatoire de musique de
Paris ». Il passera au 167e régiment d’infanterie en août1917, puis au 52e
RIT. Il survivra à la guerre. Voir sa fiche.
« Nous sommes toujours dans la même région (*)
beaucoup plus tranquille en ce moment que les jours précédents ; mais
il y a peu de chance que ça continue. La classe de jeunes gens de 1914 vient
d’arriver, ils ont l'air plein de courage et de gaîté. Tant mieux, car il en
faut, la vie n'est pas toujours gaie, je t'assure.
Avez-vous des nouvelles de Joseph, que fait –il ?
On dit ici que les bataillons d'étapes ne vont pas au feu ? Est-ce
vrai ?
Mon régiment n'est pas dans le même cas, il faut croire que nous sommes
indispensables car partout où il y a des coups à donner ou à recevoir, on nous
envoie immédiatement ! C'est très glorieux mais aussi un peu dangereux !
Nous avons assisté, voici quelques jours au bombardement d'une petite
ville ; c'est vraiment navrant de voir ça, les toitures effondrées en
certains endroits, les murs enfoncés sur toute leur longueur, dans d'autres
endroits les toitures ont été tellement criblées par les éclats d'obus qu'on
dirait une vaste toile d'araignée. Il reste seulement quelques bribes
d'ardoises ou de tuiles.
C’est très curieux : les lits sont en pendant entre le premier et le
rez-de-chaussée, il y a un magasin de pharmacie où restent seuls deux bocaux et
de superbes serpents ; il n'y a plus ni toiture, ni plafond, ni mur, ni
glaces, seuls restent ces deux serpents gardiens du lieu.
Une ménagère aurait pu aussi facilement monter son ménage, car il y a
un magasin de ferblanterie et articles de ménage où fourmillaient une
innombrable quantité de toutes sortes d'objets qui du reste ne doivent plus s'y
trouver maintenant; car les soldats qui sont passé depuis ont certainement pris
ce qui pouvait leur être utile; et les habitants qui commencent à rentrer
maintenant vont finir le pillage très certainement.
Mais c'est rudement dur cette
époque de l’année ; et puis enfin chacun voudrait bien être chez
soi ; bref, on a le spleen fort souvent. »
(*) : Région sud d'Arras (Pas-de-Calais).
« Nous avons fait des prisonniers ces jours-ci ou plutôt il y a eu
quelques prisonniers de faits ici. Ils paraissent on ne peut plus heureux
d’être en nos mains.
Ils sont d’une exquise urbanité ; tout militaire qu’ils rencontrent sur
leur chemin a droit à un superbe salut et à un « France bon pon
gamarade ! » Et à superbe et joyeux sourire. Tous,
autant qu’ils sont, d’après ce que disent tous ceux qui en ont fait prisonniers,
semble en avoir plein le dos de cette guerre.
Il semble bien du reste que tous ces Boches là vont se décider à
partir. Ils tirent beaucoup moins depuis une quinzaine, tout au moins dans
notre région ; à part un ou deux jours de temps en temps où l’on se bombarde
dur depuis les magaires d’Arras surtout.
Il suffit, dit-on, que l’on donne quelques renseignements sur les
opérations auxquelles nous assistons ou le lieu où l’on se trouve pour que les
lettres soient déchirées.
Nous sommes toujours dans la même région et perpétuellement sur la
ligne de feu, tantôt en première ligne, tantôt en seconde ou troisième, mais
toujours sur la brèche ; et nous qui croyions que les territoriaux n’allaient
pas ou peu au feu !! »
Quelques pépères du 81e régiment d’infanterie territoriale –
Merci à Anne pour cette photo.
Ernest BENOIST ne se trouve pas sur la photo
« Un petit mot maintenant que j'ai une table à ma disposition et
une chaise pour m'asseoir. Ce sont en effet des objets de luxe qu'un troupier
de campagne n'a pas souvent l'occasion d'utiliser. Je suis toujours en bonne
santé, pour l'instant du moins car nous avons en ce moment 10° au-dessous de
zéro et je crains terriblement le froid.
Depuis deux ou trois jours les
Boches nous canardent un peu moins, l'effet du froid sans doute; leurs canons
sont peut être gelés! Quant à nous, nous les aspergeons religieusement (c'est
bien le cas, un dimanche) sans leur laisser beaucoup de répit.
Je viens d’être
versé aux brancardiers depuis quelques jours, et j'ai comme chef le
docteur MICHEL DE Basse-INDRE (*)
qui est un homme charmant.
La vie est un peu moins dure que dans une compagnie.
Heureusement, je ne crois pas que j'eusse pu tenir car j'étais
complètement fourbu et absolument gelé. »
(*) : Le médecin-major
MICHEL était le médecin du 3e bataillon du 81e RIT. On peut donc logiquement
penser qu’Ernest fait parti de ce bataillon.
« Je suis toujours en excellente santé et pour l'instant dans une
tranquillité relative.
Les Boches, en effet, sont sans doute fatigués à moins qu'ils ne soient
gelés par les températures que nous traversons ; ça n'a rien d'impossible
car il fait terriblement froid.
Par ailleurs je viens d'être
nommé brancardier ; c'est un peu moins fatigant que de rester dans les
rangs ; aussi je suis aussi satisfait que possible. Notre emploi consiste
à aller chercher les blessés sur le champ de bataille et à les soigner de la
blessure reçue. C'est donc moins dur en ce moment, où les Boches nous fichent
un peu la paix.
Nous sommes toujours dans la
même région, nous n'y serions pas trop mal si le pays n'était pas privé de
communication (aucun chemin de fer ne fonctionnant naturellement), aussi
payons-nous effroyablement cher tous les objets de première nécessité dont nous
avons besoin.
Paul Vandier n'est plus
avec moi, il est passé au convoi, il est je crois enchanté.
(*)
Il vient, dès qu'il a une minute nous dire bonjour et quand les uns et
les autres ont un peu de répit, nous jouons une partie de bridge, car nous
sommes dans la bande plusieurs enragés joueurs de bridge ; ça nous change
un peu les idées que nous n'avons pas toujours couleur de rose!! »
(*) : Paul VANDIER, 39
ans, passe effectivement à la compagnie hors rang comme sergent du
ravitaillement. Il survivra à la guerre. Voir sa fiche.
« J'ai été obligé d'interrompre ma lettre, appelé par mes
occupations pas toujours agréables.
Aujourd'hui on nous annonce deux excellentes nouvelles (je commence par
te dire que nous avons difficilement des journaux récents). Nous apprenons donc
une grande victoire Russe. Aussi avons-nous patriotiquement chanté en chœur
l'hymne national ; car à vrai dire, voudrions-nous bien être libérés tous
autant que nous sommes.
Songe donc, qu'à part la nuit
que j'ai passé à Pornic, je ne connais pas le bonheur de coucher dans un lit
depuis trois mois, et c'est rudement fatigant à nos âges.
La seconde nouvelle, c'est que l'Autriche paraît-il, demande la paix.
Je pense que si cette seconde nouvelle est exacte, ça pourrait bien raccourcir
la guerre et il n'est que temps. J'ai échappé jusqu'ici aux nombreuses marmites
que nous prodiguent si consciencieusement ces excellents Boches et je serais
très désireux qu'il en soit ainsi désormais.
Depuis quelques jours déjà nous
jouissons d'une tranquillité relative ; mais nous manquons complètement de
confortable ; j'oserais presque dire du nécessaire. La viande ne nous
manque certes pas ; mais nous avons tous soupé de bœuf mélangé de riz et
d'autres ingrédients du même genre.
En dehors de ça ma santé est
parfaite, moins les reins qui me font horriblement souffrir la nuit, car
toujours coucher sur la paille ou sur la terre plus ou moins trempée ou gelée,
ce n'est nullement doux ni reposant. »
« Je reçois à l'instant une lettre d'Anne Bridon (*) qui
me dit que Joseph n'a pas encore vu le feu. Je lui souhaite sincèrement de ne
jamais le voir, car ça n'a rien de particulièrement gai ni réjouissant, en
dehors des risques nombreux et variés qu'on y court. Mais peut-être n'ira-t-il
pas.
Il y a partout maintenant de
grandes quantités de troupes et à part ceux qui ont déjà fait leurs preuves, je
pense qu'on n'est guère disposé en haut lieu à essayer de nouvelles troupes,
sans un besoin absolu qui espérons-le, ne se produira plus désormais.
Nous sommes toujours dans la
même région, les Boches et nous tiraillons de temps en temps les uns sur les
autres, sans résultat appréciable de part ni d'autre.
Espérons que ça durera encore
quelques temps comme ça ; on ne se fait guère de mal. Il est vrai qu'il y
en a eu assez comme ça, à mon humble avis. »
(*) : Épouse de Joseph Marie BRIDON
« Je suis toujours en bonne santé et j'attends avec impatience le
moment où je pourrai vous revoir tous.
Les opérations sont ralenties en ce moment dans notre région, mais je ne
crois pas que ça dure bien longtemps désormais
En effet, il paraît que les Boches qui viennent de recevoir une
formidable pile des Russes ont l'intention de tenter à nouveau de percer notre
ligne ; l'action se passera-t-elle sur notre front comme précédemment ou
bien un peu plus haut….
Nous l’ignorons ; toutefois l'ennemi fait preuve ce matin d'un
regain d'activité. Les canons que nous entendions peu ces jours passés
recommencent à tonner ; peut-être est-ce le signal d'une nouvelle attaque
que nous repousserons, je l'espère bien.
Notre général vient d'être créé commandeur de la Légion d'Honneur, en
raison, nous dit le rapport, de notre brillante conduite aux combats de F et H (*)
que nous avons livrés à la fameuse "Garde Impériale".
C'est très flatteur pour nous ; mais j'aimerais bien aussi qu'on
nous témoigne satisfaction en nous envoyant en repos pendant quelques temps. Il
y a tant de régiments qui en sont encore à ignorer le bonheur des
"marmites".
Malheureusement il n'en est pas question, la 88e division territoriale
étant une troupe d'élite, doit rester jusqu'à la fin sans doute. Tout ceci est
pour rire, il est certain que je voudrais bien rentrer chez moi.
Enfin, les Russes avancent et peut être la guerre sera-t-elle moins longue
qu'on ne l'avait cru jusqu’ici ; Mais je crains bien qu'il n'y en ait
encore pour plusieurs mois. »
« Je ne cours pas plus de risques que les camarades, évidemment je
ne suis pas à l'abri d'une aimable marmite que les Boches nous prodiguent avec
une constance admirable ; mais sur cent, les trois quarts du temps, elles
atteignent rarement leur but ; surtout en ce moment où tout est
relativement calme.
Si par hasard, toutefois tu restais quelques temps sans recevoir
quelques nouvelles de moi, ne t'étonne pas car il est fort possible, presque
certain que nos ennemis tentent une grande attaque d'ici peu ; Dans ce
cas, je crois bien que nous leur tuerions beaucoup de monde et qu'ils seraient
obligés de battre en retraite. Dans ces conditions, nous les suivrions, et les
lettres auraient certainement de grands retards.
J'espère bien maintenant rentrer à peu près intact à Paris et peut être
plus tôt que je n'ose l’espérer ; Les Russes marchent en effet à grands
pas et selon toute probabilité, nous ne resterons pas inactifs. »
(*) : Avec la censure militaire, indiquer les noms d'un lieu dans
une lettre était interdit. Ernest a donc simplement indiqué les initiales
"F" et "H". Nous savons maintenant qu'il s'agit des combats
de Fricourt et d'Hébuterne (62) d'août et de septembre 1914.
Beaucoup de soldats du 81e territorial sont tombés. Les positions
ont été tenues et ……le général a reçu une décoration…
« Nous sommes plusieurs régiments dans le même village. (*)
Nous sommes toujours relativement tranquilles ; les Boches ne nous
bombardent que fort peu.
Hier en sortant d'une superbe
messe en musique à l'église du village (violon – harmonium – chant par un ex-acteur de l'opéra-comique), ils ont cependant envoyé
quelques marmites sur les fidèles dont j'étais, mais sans résultat intéressant,
comme le plus souvent du reste heureusement !
Ils nous tuent bien quelques hommes tous les jours, mais ce n'est rien,
nous n'avons eu ici aucun combat vraiment sérieux depuis un certain temps.
Je me porte aussi bien que possible, a part d'innombrables boutons qui
me démangent terriblement ; à part ça je suis d’excellente humeur et
voudrait bien toutefois rentrer chez moi. »
(*) : Secteurs de Wailly-Brétencourt.
« Voici le superbe village où nous logeons de temps en temps.
Malheureusement, il est à peu près complètement détruit.
Ces messieurs les Boches, ayant l'habitude après déjeuner (sans doute
quand ils ont mal mangé) de nous envoyer quelques
centaines de marmites. Ce midi encore, ils se sont livrés à cet exercice.
Sans grand dommage du reste, il n'y a plus que des hommes à tuer et
dame… on se gare le mieux possible ».
« Comme je crois te l'avoir dit, je suis actuellement brancardier
au régiment (3eme bataillon 9eme Cie).
Est-ce que tu ne connaîtrais pas le laryngologiste LEMOINE (de Nantes)
?
Il est un des médecins de la division. Or il arrive de temps en temps
que l'on prend dans nos régiments des brancardiers pour la division.
Pourrais-tu, à l'occasion, si toutefois tu le connais, me recommander à
lui pour cet emploi ; l'un de mes collègues vient de partir ces jours-ci
dans ces conditions, et il en est enchanté.
Nous sommes toujours dans la même région, il n'y a guère de
changement ; les Boches et nous restons en présence à quelques centaines
de mètres les uns des autres simplement.
Des aéros Boches naturellement passent de
temps en temps au-dessus de nos lignes et nous lancent des proclamations assez
idiotes et complètement dépourvues d’orthographe ; Dans lesquelles ils
nous annoncent leurs énormes succès sur les Russes et comment nos alliés
Anglais nous tirent dessus partout où nous nous trouvons ensemble.
Leur dernier manifeste est
arrivé hier par la voie des airs, comme toujours il nous annonce qu'ils ont
fait prisonniers 250 000 Russes.
Ils nous envoient aussi par la voie des betteraves des bouts de
journaux de chez eux relatant leurs succès. Ils attachent ça à des betteraves
et les lancent près des premières tranchées ; alors on va les chercher et
on les fait traduire quand on peut ! »
Proclamation lancée par un aéroplane Boche hier dimanche 6 décembre
1914.
« Aux soldats français
Vos supérieurs nous envoient des feuilles volantes avec l'invitation de
passer de votre côté et disant que les prisonniers de guerre sont bien traités
en France. En même temps vos officiers vous disent que tous les prisonniers
faits par les Allemands sont fusillés. Votre gouvernement et vos supérieurs
vous mentent. Vos prisonniers de guerre sont beaucoup mieux traités que les
nôtres. Ils sont très bien nourris et ils ne sont pas forcés de travailler et
peuvent rentrer sain et sauf après la guerre.
Les Russes ont été de nouveau mis en déroute. Excepté les 250 000
prisonniers de guerre Russes que nous avons faits, il n'y a pas un seul Russe
sur le territoire allemand.
Aussi les Turcs l'ont emporté sur les Russes et sont pénétrés avec une
armée en Égypte.
Les soldats anglais sont placés derrière votre aile gauche à Ypres et tirent
sur leurs camarades français qui battent en retraite.
Quels alliés étranges pour les intérêts desquels vous ruinez vous et
votre pays! .. »
Nous avons assisté hier à un spectacle curieux.
L'aéro Boche qui nous a lancé le prospectus dont copie ci-jointe, ayant
été aperçu par deux de nos biplans a été poursuivi pendant plus d'une
demi-heure.
C'était vraiment intéressant de voir les évolutions que faisaient ces
trois avions. Malheureusement nos appareils allaient moins vite et ils ont dû
abandonner le Boche qui, je pense, ne devait pas être fâché d'avoir échappé,
car il fichait le camp avec une vitesse invraisemblable.
« Au moment où j'allais
mettre ma lettre à la poste (poste est un aimable euphémisme ; la poste
n'existe point en ce moment dans cet aimable pays ; c'est entre les mains
des cyclistes que se déposent les correspondances !)
Je t'avais écrit hier au soir,
je reçois ta lettre du 2.
Ma santé est toujours bonne. Nous, depuis le temps que nous sommes
en campagne, finissons par nous habituer ; Mais pour celui qui n'a pas
l'habitude vraiment c'est bien dur, bien que beaucoup moins que dans les
débuts, car ces temps-ci nous n'avons eu aucune grande bataille à soutenir et
j'avoue que ces moments-là sont terribles.
J'ai laissé pousser toute ma barbe, je suis poilu comme un vieil
ours ; j'ai l'air d'un vieux guerrier de l'empire, il me manque seulement
le bonnet à poil.
Nous nous faisons le moins de
bile possible, nous rions et chantons quelques fois…. Bref, nous prenons le
métier aussi joyeusement que possible. Ayons confiance, espérons que ce
sera moins long que nous le croyons.
Bon, voilà que je mets le feu à
ma lettre en voulant faire sécher l'encre. Crois-tu cette adresse ! …Je ne
suis cependant nullement pompette.
J'ai bon espoir de revenir…
Maintenant dam !..Dans combien de temps ?
C'est à mon avis, absolument impossible de le dire, même très
approximativement, car je ne vois pas que les opérations avancent
malheureusement beaucoup, nous sommes toujours sur les mêmes positions. Sans
reculer ; mais en avançant si peu !
Je compte bien revenir un jour plus ou moins lointain, c'est certain. Mais enfin la fin arrivera, je l'espère. »
« Depuis quelques jours nous étions à peu près tranquilles ; nous
étions en seconde ligne ; malheureusement, nous avons changé de pays et
nous sommes pour l'instant versés dans l'active et en première ligne à deux
cents mètres des Boches. Nous logeons dans des tranchées dont quelques-unes
unes sont possibles à peu près ; mais pour y aller (de nuit naturellement)
nous marchons dans des boyaux où nous avons de l'eau jusqu'aux genoux.
C'est effroyable, 3 kilomètres à faire là-dedans, et une fois rendus –
quatre jours et quatre nuits à y demeurer !! Or, comme nous n'avons ni souliers
de rechange, ni pantalon…
Tu vois d'ici quel plaisir et dans quel état !!
Pour mon compte, j'y vais sans chaussettes, je relève pantalon, caleçon
etc. le plus haut possible. Une fois arrivé, je retire mes souliers, je les
vide, je mets alors tout en place.
Malheureusement les souliers ne sèchent pas, aussi, si j'osais je vous
demanderais de m'envoyer des galoches en cuir. Je suis dans les tranchées, on a
dit qu'en ma qualité de brancardier je n'y allais pas, et quand je pense que
tout le monde se figurait que les territoriaux n'allaient pas au feu. Depuis
notre départ de Nantes, nous n'avons pas été un seul jour hors de la ligne de
feu, et avons combattu en rase campagne six fois et pendant plusieurs jours et
plusieurs nuits à chaque fois !!
Nous avons fait cette nuit un prisonnier, or, bien qu'on prétende
qu'ils crèvent de faim, je t'assure que celui-là avait une mine superbe.
Grand gros et gras et infiniment plus propre que nous, car nous sommes
ignobles, tous couverts de boue de la tête aux pieds (sans aucune exagération),
pas lavés, pas rasés, j'ai une barbe bientôt aussi longue que celle de Paul
! »
Extrait du journal du régiment (JMO). Le nom du prisonnier,
FRISCH Otto du 36e fusilier, est indiqué.
À part ça ma santé est parfaite, on s'embête copieusement, mais le
moral est quand même excellent, et quand on peut rire et s'amuser, on ne rate
pas l'occasion.
Les marmites se promènent autour de nous et sur nos têtes ; mais
nous commençons à nous y habituer, comme quoi il est prouvé que l'habitude est
une seconde nature.
Voici ma nouvelle adresse :
Benoist soldat. 81éme
territorial 9ème compagnie secteur postal 119.
Je me nourris en effet surtout de chocolat, on nous apporte la soupe la
nuit dans les tranchées. Or il y a 3 kilomètres à faire depuis les
cuisines ; vous pensez comme elle peut être chaude, la soupe !
Nous avons quitté voici quelque
temps un petit pays (*) où nous étions en seconde ligne
pour passer avec l'active en première ligne (200 mètres des Boches) ;
aussi de temps en temps levons-nous le museau pour les voir, seulement pas
longtemps, car dès qu'un nez se met à la portière, les balles sifflent avec un
entrain endiablé ; il est vrai que nous leur rendons la pareille et même
avec usure.
(*) : Basseux (62)
Dans ce petit pays que nous
venons de quitter, il y a dans l’église une statue de la Vierge ; statue
très ancienne et qui est habillée, comme les statues que l'on voit fréquemment
en Espagne, paraît-il. J'en conclue qu'elle doit dater de l'époque de
l’occupation des Flandres.
On l'appelle " la Marchette
".
Cette statue a une histoire très curieuse, il paraît qu'au moment de la
révolution, elle avait été enfouie dans un champ à mi-chemin d'un autre petit
village qui a nom " Monchiet ".
Une dizaine d'années plus tard, un berger qui paissait ses troupeaux
remarqua que dans le pré, une place n'était jamais tondue par ses moutons. Il
s'en étonna naturellement, les curés des deux villages furent prévenus et tous
les habitants s'y rendirent. On fouilla le sol et l'on trouva la statue en
parfaite état.
Mais alors se présenta une difficulté, l'attribution de la Vierge à
l'un ou l'autre village tous deux la réclamant avec la même énergie et semble-t-il
à mon humble point de vue, avec autant de droits puisqu'elle se trouvait sur
les confins des deux communes.
Bref, la Vierge fut transportée
à Monchiet, mais le lendemain on la retrouvait
à l'autre village ; on la reporte à Monchiet,
nouveau retour de la statue qui est enfin restée dans ce village qu'elle ne
voulait pas quitter.
Depuis cette époque, on vient à certaines fêtes faire des pèlerinages,
elle rend paraît-il, l'usage des jambes aux impotents. C'est une statue
assurément très ancienne et très curieuse ; l'église elle-même du reste
est très vieille ; elle date dit-on généralement du XIIIème siècle.
Le clocher est joli, mais le reste est peu intéressant car c'est un
pays extrêmement pauvre de tout temps. »
« J'aurai voulu vous envoyer des cartes postales, mais c'est tout
à fait inconnu ici. Du reste, il est peu probable qu'elles vous soient
parvenues.
Ceux qui ont dit que nos femmes
pouvaient venir nous voir ne se doutent pas de ce qu'est la guerre que nous
soutenons. Il est matériellement impossible de venir voir des hommes qui sont
sur le front. Voici pourquoi, d'abord, il n'y a aucun moyen de communication.
Tous les chemins de fer sont coupés à 30 kilomètres à la ronde, aucune voiture,
même de ravitaillement militaire, ne peut voyager de jour.
Aucune voiture civile ne peut passer de jour ni de nuit.
Il y a dans les villages où nous logeons parfois aucune auberge, si
modeste soit-elle ; les maisons où nous logeons sont perpétuellement
bombardées ; la plupart du temps nous habitons des maisons abandonnées
dans lesquelles il n'y a pas de carreaux, quelques fois des morceaux de toits
plus ou moins troués par les obus.
Donc il y a danger et on ne pourrait laisser passer absolument aucune
personne autre que militaires. Enfin nous habitons, moi comme les autres dans
des tranchées 4 jours sur 6 à 200 ou 300 mètres de l'ennemi. Pour y aller nous
traversons des boyaux remplis d'eau jusqu'au-dessus du genou.
2 kilomètres comme ça – tu vois donc l'impossibilité absolue pour qui
que ce soit d'y venir.
Il n'y a pas
d'exemple, je pense, dans l'histoire d'une misère comparable à la nôtre. »
« Enfin nous sommes versés pour le moment dans l'armée active. Il
ne faut pas croire du reste qu'il y ait grand danger.
Les Boches sont terrés comme nous, et il n'y a presque jamais de morts.
Sincèrement, je t'assure qu'il y a peu de danger.
Il ne faut pas avoir peur, c'est très pénible, mais mille fois moins
dangereux que les batailles rangées auxquelles nous avons participé depuis le
commencement de la campagne. Là nous risquions la mort plusieurs fois par
minute ; j'ai reçu bien des éclats d'obus sur ma capote et autour de moi
(je te montrerai de jolis échantillons à mon retour). Et j'ai vu bien des
camarades réduits en véritable bouillie autour de moi.
Mais maintenant ce n'est plus ça du tout.
Il est probable que les femmes dont tu parles ont été voir leurs maris
dans des villes ou camps retranchés à quelques kilomètres du front.
Mais pas sur le front même ; ça c'est absolument impossible.
Il ne faut pas croire que nous manquions toujours de gaieté, quand il y
a moyen de rire et de chanter, nous ne nous privons pas.
Donc le moral est excellent et la santé aussi. Ce qu'il y a de curieux,
c'est que dans la vie civile aucun, de nous ne pourrait supporter une pareille
vie sans passer l'arme à gauche, et ici, on se porte tous à peu près bien.
C'est la vie primitive de nos premiers parents pour laquelle sans doute
nous étions faits ; seulement ça n'est pas drôle tous les jours. »
« Voici en effet six jours que je suis dans les tranchées. Nous
habitons, nous autres, dans une cave ; d'où difficulté d'écrire car ça
manque de clarté, comme tu peux t'en douter.
Il n'y a plus de maison au-dessus, la maison ayant été démolie à peu
près entièrement ; Il reste six tuiles et demie, je les ai comptées.
Quand notre artillerie tire, nous allons tantôt l'un tantôt l'autre,
voir l'effet de nos canons sur les tranchées et les pièces ennemies, c'est
vraiment intéressant, je n'y reste pas longtemps d'ailleurs, comme bien tu
penses ! »
« Je suis par conséquent, comme tu le vois, obligé de faire
réveillon ici. Ce n'est pas gai, aussi attendrai-je quelques jours pour faire
quelque petit déjeuner, s'il y a moyen.
Je suis toujours en bonne santé, heureusement, bien que l'état
sanitaire du régiment ne soit guère brillante, mais
aussi on nous inflige des fatigues pour des territoriaux !!
Enfin c'est la guerre n'est-ce pas ! ….
Joseph serait probablement à Nantes actuellement, mais pour combien de
temps ! Bien peu sans doute, car les Bretons sont destinés à marcher tous sans
exception jusqu'au bout. Il faut croire qu'ils sont indispensables, puisque ce
sont toujours eux qui marchent, ce qui prouve que la justice n'est pas de ce
monde !
J'avoue que je commence, comme nous tous du reste, à être excédé et
éreinté ; ça dure tellement longtemps et la fin semble encore si éloignée,
que vraiment, je commence presque à désespérer
Nous sommes actuellement depuis dimanche dans les tranchées qui au
début étaient pleines d'eau jusqu'au ventre.
On a fini par s'apercevoir que ça contribuait à la mauvaise santé des
troupes (beaucoup en effet ont les pieds gelés) et maintenant on s'est décidé à
faire vider l'eau, aussi est-ce à peu près nettoyé. Il reste bien encore
quelques centimètres de vase, mais on peut considérer ça comme merveilleux
maintenant. »
« Pour mon compte, je loge en ce moment dans une cave, la maison
qui se trouvait au-dessus n'existe plus, ayant été complètement supprimée par
les obus. Il y reste quelques bouts de murs et quelques morceaux de tuiles, ce
qui nous permet d'aller sous le toit (quand notre artillerie tire) voir l'effet
qu'elle produit sur nos aimables ennemis et sur leurs pièces.
Toutefois je commence à en avoir assez de cette stupide guerre, nous
vivons jour et nuit dans la terre ou dans des caves, c'est éreintant et
démoralisant au suprême degré.
Car c'est vraiment intolérable la vie que nous menons ici ; c'est
vraiment trop long, toujours, toujours sur la ligne sans jamais de repos ;
tandis qu'il y a tant de régiments qui n'ont jamais marché et qui ne marcheront
peut-être jamais !
Enfin n'y pensons pas trop !
Je n'ai guère la facilité d'écrire et surtout je suis fatigué. Je suis,
je crois atteint de la maladie du sommeil !! »
« Aussitôt que je commence quelque chose, je m'endors
immédiatement, c'est idiot, mais impossible de me tenir, il faut absolument que
je dorme.
À part ça ma santé est toujours excellente ; si tu voyais notre
installation de cave, c'est vraiment distingué ; notre lampe est d'abord
une culasse d'obus dans laquelle nous avons fait un trou et où nous
introduisons une bougie.
Nous avons comme fenêtre un trou fait par un obus et où nous avons mis
des morceaux de carreaux rattachés avec de la vase. Nos sièges sont des cages à
poules (vides) et notre table une vieille caisse. C'est comme tu le vois une
bien belle habitation; malheureusement ça manque de porte et la nuit il n'y
fait pas trop chaud; il est vrai que nous sommes obligés de nous promener
fréquemment à la belle étoile et à la lueur des coups de canons.
Somme toute, notre vie n'est pas gaie et je voudrais bien être chez moi
à passer ces jours de fête.
Enfin espérons que l'année prochaine nous serons heureux. »
« Ici nous avons un temps pluvieux et froid, en résumé fort
désagréable.
D'autant plus que nous logeons cinq jours et nuits de suite dans les
tranchées à quelques cents mètres de Boches et qu'avec la pluie, on y reste la
plupart du temps avec l'eau plus haut que le genou et
par endroit jusqu'au ventre.
Inutile de te dire qu'il y a une quantité de pieds gelés et d'autres
maladies de toutes espèces !
Je ne te cache pas que j'en ai plein le dos de cette guerre ! Aussi
quand nous voyons arriver les 5 jours de soi-disant repos, sommes-nous vraiment
heureux.
J'ai fêté, tu penses de quelle manière !!
La Noël, là-haut près des Boches.
Comme réveillon, j'ai failli être tué par une balle qui m'a rasé la
figure, et j'ai eu à ramasser un mort et quatre blessés. En ce moment, je suis
au repos ; mais absolument éreinté et fourbu. »
« Ce qu'il y
a eu de curieux, c'est la nuit du réveillon ; les Boches et nous même
avons chanté ; les Boches ont même joué de l'accordéon et je crois bien de
l’harmonium ; et chanté des chœurs le tout fort bien et très intéressant.
Ensuite un lieutenant de chez nous est monté sur la tranchée et a
entonné un " Minuit Chrétien " admirablement réussi et écouté
religieusement aussi bien par les Boches que par nous.
Puis les Boches ont chanté " la Marseillaise " ça paraît
étrange ; (C'est vrai cependant) et nous ont adressé quelques compliments
et aussi quelques sottises ; Quant à nous, nous leur avons adressé
seulement des sottises. »
« Inutile de dire que les balles ont continué à s'échanger avec
une parfaite régularité.
Mais ceux à qui en veulent les Boches, ce sont surtout les Anglais. Ils
nous criaient fréquemment " Français, bons camarades, pas capout, Anglais tous capout,
tous, tous capout !"
Somme toute, cette nuit de Noël a été très curieuse et comptera dans
mon existence, à condition que je revienne ce qui est loin d'être
prouvé. »
« Tu me demandes si j'ai reçu le sac de couchage d'Anne ROUSSE ; mais oui il y a déjà
longtemps.
Je lui ai du reste accusé réception le lendemain même et avec la plus vive
reconnaissance car c'est tout simplement merveilleux ; c'est extrêmement
chaud et parfaitement imperméable ; aussi suis-je envié par tous les
camarades.
Je ne suis aucunement malade, mais complètement fourbu, j'en suis
arrivé à ne plus pouvoir dormir la nuit ; d'autant qu'il faut pour tenir
boire énormément de thé, de café et d'alcool (ce qu'on appelle dans le pays de
la bistouille), ça donne le coup de fouet indispensable.
Mais ça énerve au-delà de toute expression.
Enfin espérons que cette guerre cessera un jour ou l'autre, mais c'est
bougrement long. Les Boches ont aujourd'hui un accès de mauvaise humeur.
Ils viennent de lancer une centaine d'obus sur notre village, sans
grands dégâts du reste. Il est vrai qu'il n'y a plus grand chose à démolir ici,
ce travail étant refait toutes les semaines au moins une fois ! »
« Nous sommes, nous autres
de vieux guerriers qui ne demandent qu'à 'en aller chez eux, mais hélas ! Nous
n'en voyons guère l'espoir, car vraiment cette guerre dure trop longtemps.
Nous sommes tous fourbus et
éreintés.
Le temps est détestable et nous
vivons pour ainsi dire jour et nuit dans l'eau et dans la boue. »
« Je passe de bien mauvais jours de fête cette année, Noël aux tranchées,
le 1er de l'an également ; aussi suis-je de fort mauvaise humeur ;
d'autant que si je suis aux tranchées.
C'est pour remplacer mon collègue Paul Charpentier, actuellement atteint d'une angine, qu'entre
parenthèse il doit bénir, car il n'a aucun plaisir à venir ici, moi non plus
d'ailleurs.
Bref, nous en avons plein le dos de cette guerre, ça devient vraiment
interminable et esquintant et dire que nous n'avançons pour ainsi dire pas !
Du train dont ça marche, nous en avons bien pour cent ans, si nous
voulons les chasser par la force ! Enfin attendons paisiblement puisqu'on ne
peut faire autrement, mais c’est bien pénible, je t'assure.
Jusqu'ici mon moral était vraiment bon, mais maintenant c'est fini, je
n'en puis plus et suis complètement excédé. Nous sommes du reste tous comme ça,
sans aucune exception, c'est trop dur et surtout ça dure trop longtemps.
Et puis ce sont toujours les mêmes, il n'y a jamais eu que les
territoriaux de l'Ouest qui turbinent depuis le début. Les 4/5 des régiments
n'ont jamais marché et ne marcheront sans doute jamais. Aussi sommes-nous tous
furieux.
Mon réveillon de Noël a été bien triste : un tué et trois blessés dans
la journée !! (*)
Enfin que veux-tu, c'est la guerre. Pour mon compte je suis toujours en
bonne santé pour le moment ; le temps est toujours épouvantable.
ce n'est pas amusant la guerre que nous soutenons et ça menace d'être
bien long, car tout ce que raconte les journaux est arrangé pour la
circonstance, le fait véridique c'est que nous n'avançons que fort peu et
combien lentement !!
Hélas !
Et de plus à quel prix !!
Enfin ! Tachons de prendre patience. »
(*) : Il n’y a pas eu de tué au 81e RIT du 23 au 26 décembre
1914. Le seul tué à Basseux et villages environnants
est Joseph Auguste Marie DUMAST du 41e RI tué à l’ennemi le 25.
Or le JMO du 81e RIT nous apprend au 31 décembre que le sergent BRIN du 81e RIT
(9e Cie) est nommé adjudant pour avoir ramené le 25/12 un soldat du 41e RI
mortellement blessé et le JMO du 41e RI mentionne ce jour 1 tué et 3 blessés,
ce qui est cohérent avec le carnet au 30/12 (au 27/12, il annonçait 4
blessés) : le soldat tué ramené le 25 par Ernest est probablement ce soldat.
« J'ai passé de bien tristes fêtes de Noël et de 1er jour de l'an
: dans les tranchées les deux fois, ce n’est pas de veine !
J'ai quelques fois des moments de profond découragement, c'est
vrai ; mais c'est tellement éreintant et déprimant cette vie qu'il est
impossible à quelqu’un qui ne l'a pas vue de croire qu'on puisse supporter de
telles misères. Pense donc que l'on passe des journées dans l'eau, par moment
jusqu'au ventre !
Et cependant nous le supportons en majorité, et sans maladie grave tout
au moins. Pour mon compte je souffre peu de l'estomac et pas du tout par
ailleurs ; maintenant ça durera-il ! »
« Nous quittons d'ici deux jours Bailleulval où nous étions
depuis un mois environ et remontons vers Arras, il paraît que les
tranchées que nous prendrons là-bas sont beaucoup meilleures que celles que
nous quittons.
Si c'est vrai, tant mieux, car ici c'est intenable.
Depuis que nous sommes au repos, nous avons pris la résolution de
chanter et de nous distraire le plus possible car nous devenions tous
complètement neurasthéniques.
Depuis un mois, nous étions absolument lugubres. Aussi maintenant
sommes-nous décidés à faire les pantins, à chanter etc.
Le temps nous semble moins long et surtout l'on pense moins. »
« Nous sommes tous fourbus.
Tu ne peux pas te figurer la vie que l'on mène.
En ce moment surtout ; comme toute la terre est une sorte de terre
glaise et qu'il pleut sans discontinuer depuis deux mois. Nous vivons depuis cette
époque dans l'eau jusqu'au ventre (sans aucune exagération, malheureusement),
l'eau ne s'écoule pas, les tranchées (de repos) couvertes (les autres ne le
sont pas) étant remplies de paille, au fond sont moins mouillées
évidemment ; cependant, l'eau passe à travers la toiture faite en
branchage.
Les blocs de terre vous dégringolent sur le sable (un homme a été
écrasé l'autre jour).
Mais pour s'y rendre, on est obligé de traverser des boyaux non
couverts naturellement ; ces boyaux fatalement sont pleins d’eau ; il
y en a comme ça pendant deux kilomètres environ.
C'est invraisemblable.
Il n'est pas possible de se figurer ce que c'est, si on n'y est pas
passé…. »
« Wailly est notre secteur depuis septembre (au sud
d'Arras). Nous y passons d'agréables moments.
Mais en ce moment, malgré les obus et la fusillade, il n'y a pas trop
de bobos. Ce n'est pas comme au début à ce point de vue tout au moins.
Ce que je voudrais maintenant, c'est voir une ville, prendre un bain,
coucher dans un lit ; car depuis notre départ, nous n'avons vu que des
morceaux de maison, des caves et des tranchées. (*)
Ça devient monotone à la longue et puis on a les côtes en long et
l'architecture chancelante !
Nous sommes mélangés à l’active : un peloton de celle-ci et un
peloton de territoriaux forment une compagnie commandée l'une par un capitaine
d'active, l'autre compagnie par un capitaine territorial.
(**)
Bien entendu en première ligne toujours.
Dieu que c'est long cette guerre !
Il y a par exemple de drôles de moments; j'ai bien ri parfois, j'espère
bien avoir le plaisir plus tard de te raconter certains petits incidents qui
sont bien drôles et qui marquent l'intelligence et la qualité de quelques-uns
uns de nos……….. »
« À part ça, ma santé est aussi bonne que possible et contrairement
je ne maigris point. Il est vrai que nous bougeons pour ainsi dire pas ;
nous sommes tous bouffis et d'une saleté plus que repoussante.
Peut-être est-ce l'alcool que nous buvons, car on nous en donne pas
mal, plusieurs litres par escouade (***) chaque jour.
Comme Noël des cigares, des oranges, des pommes, une bouteille de
Champagne pour quatre.
Comme nourriture c'est aussi assez copieux, mais horriblement mauvais,
à mon goût ; aussi je n'y touche jamais. Tu penses, on fait la cuisine au
cantonnement et on l'apporte dans les tranchées ; tu vois d'ici.
Forcément tout se mange à la glace, et la soupe, 60 centimètres de
graisse sur le dessus et glacée – Quelle fête !
Et quelle horreur !
La nuit de Noël et celle du premier de l'an, les Boches et nous avons
rivalisé d'ardeur pour les chansons patriotiques, l'un de nos lieutenants est monté debout sur la tranchée
et a entonné (à Noël) un " Minuit Chrétien " très bien chanté
du reste, et écouté religieusement par nos aimables ennemis.
De leur côté, ils jouaient de l’accordéon ; ils ont même chanté
" la Marseillaise " et nous ont offert leurs vœux, c'était très
curieux ; quelques instants avant on s'était du reste bombardé et fusillé
avec acharnement.
Pour notre compte, nous avons eu un tué et 4 blessés ; ils ont
même failli faire de moi un mort, une balle m'a éraflé la joue, manque d'un
point !
Ils me trouaient la bobine de part en part. »
(*) : Basseux (62)
(**) : C'est tout à fait exact, c'est indiqué dans le JMO de la 37e
brigade d’infanterie. Avec le 48e et 71e régiments
d’active
(***) : Une escouade comprends généralement 7 hommes et est
commandée par un caporal.
« Ma santé est toujours excellente, je ne désire qu'une chose, mais
je la désire vivement, c'est la fin de cette interminable guerre, car tous
autant que nous sommes : officiers et soldats, en avons plein le dos, nous
sommes tous exténués.
Nous avons enfin quitté les tranchées où nous étions enlisés à peu près
complètement ; les derniers jours l'eau et la vase nous arrivaient aux
aisselles par endroits, dans les meilleurs endroits, c'était seulement au
ventre !
Pour le moment, je ne me plains pas, pour mon compte, je suis fort bien
et relativement tranquille.
Nous sommes actuellement tout près d'Arras, à Wailly.
Pour le moment je suis d'assez bonne humeur, malgré le temps effroyable
dont nous souffrons depuis le commencement de l'hiver, c'est encore je crois,
le plus pénible de tout. »
« Nous sommes actuellement à Wailly (quelques kilomètres d'Arras)
et habitons pour le moment les caves de ce village lequel depuis les débuts de
la campagne a été et est encore bombardé pour ainsi dire jour et nuit. C'est
absolument navrant de voir l'état dans lequel il se trouve, on peut dire qu'il
n'y a à peu près aucune maison debout.
Depuis que je suis en campagne, j'ai vu et assisté à un certain nombre
de bombardement ; jamais je n'avais vu un bourg aussi complètement
détruit, c'est navrant !
Mais cependant ça présente un avantage inappréciable pour nous, car
nous y trouvons tout ce qui nous fait défaut. C'est à dire que nous y trouvons
des verres, assiettes, plats de toutes sortes dont nous avions perdu l'habitude
de nous servir et qu'il est bien agréable de trouver.
Nous faisons des ouvertures dans nos caves, afin de pouvoir en sortir
au cas où une marmite tombant sur notre maison, nous boucherait la sortie sur
la dite maison et aussi afin de nous donner du jour et de l’air ; de cette
façon, nous nous trouvons aussi heureux qu'il est possible de l'être en
campagne.
Nous avons aussi trois vaches qui nous donnent une moyenne de quinze
litres de lait par jour ; ce qui nous permet de faire la nuit notre petit
chocolat. Nous les nourrissons de pommes de terre, de betteraves, de foin et
d'avoine que l'on trouve dans les caves de ce qui reste des maisons. Bref, nous
nous trouvons relativement heureux.
Les seuls ennuis qui nous turlupinent (si j'ose m’exprimer ainsi) c'est
qu'il est impossible de sortir et de faire du feu sinon la nuit ; car l'on
est immédiatement bombardé et puis comment !
C'est à devenir fou et idiot.
Sans compter évidemment les petits risques !! »
« Quand on fait la relève du régiment, nous nous passons les différentes
consignes au sujet des objets et des vaches et chacun s'en va de son bord.
Nous devons normalement quitter ce lieu de délices dans la nuit de
lundi à mardi pour aller quatre jours à quelques kilomètres en arrière nous
reposer et surtout nous vacciner contre la fièvre typhoïde, car malheureusement
ça pourrait se présenter.
Nous n'en sommes en général pas fâchés bien que ce soit assez
douloureux, parait-il ; car peut-être pourrons nous boire à notre soif
après.
En effet, depuis le début de la guerre, nous ne pouvons-nous désaltérer
de façon normale, dans tout le Nord. Les fruits sont contaminés; aussi est-il
défendu de boire; et là où l'on trouve des habitants, lorsqu'ils ont quelques
chose à boire, ils nous le vendent à des prix tellement élevés que l'on est
obligé les trois quarts du temps de s'en
passer.
Or les deux quarts de vin que l'on nous alloue par jour sont absolument
insuffisants à la plupart d'entre nous et encore ne les a-t-on pas tous les
jours.
Il y a bien aussi le café et l’alcool ; mais ça ne rafraîchit
guère. »
« En ce qui concerne les colis, il est très difficile de dire
exactement combien de temps ils peuvent mettre. Ça dépend uniquement de
l'endroit où nous nous trouvons.
Ainsi en ce moment par exemple
où nous sommes très en pointe dans les lignes allemandes, aucun colis ne nous
parvient. Ils restent à 7 kilomètres d'ici et les voitures de ravitaillement
qui ne peuvent venir que la nuit close ne peuvent s’en charger ; et nous
non plus.
Nous allons du reste au repos pour 4 jours et nous partons dans la nuit
de demain ; à ce moment-là seulement je pourrais avoir les colis.
Depuis huit jours on nous a mis en popote (les brancardiers) ;
nous touchons donc à tout ce qu'il faut et nous nourrissons admirablement.
Nous sommes à Wailly, tout près d’Arras ; nous logeons dans
une superbe maison qui à peu souffert. C'est à peu près la seule, du reste, car
le village est dans un état effroyable.
J'ai déjà vu beaucoup de villages dévastés ; mais jamais comme
celui-ci ; à part toutefois celui d'Hébuterne qui a été
complètement brûlé, pendant les 5 jours que nous nous sommes battus au début
d'octobre. »
« Je suis toujours en excellente santé.
Nous avons parmi nous un aumônier de Lorient, charmant garçon
qui nous dit la messe le dimanche quand c'est possible ; maintenant, nous
en revenons ensemble ; il a dit la messe dans une chambre, les volets clos
bien entendu, car l'église est à peu près complètement détruite. »
« Il est vraiment malheureux qu'on ne puisse avoir d'appareils photographiques,
car je t'assure qu’il serait fort curieux de conserver le souvenir par photo
des dégâts effroyables qui sont commis dans tous les villages du Nord.
Nous logeons dans une maison (et dans sa cave) à peu près entière. Nous
y avons trouvé tout ce qu'il faut, légumes et vaisselles, rien n'y
manque ; c'est fort agréable de manger dans des assiettes et de boire dans
des verres, assis sur des chaises, et c'est bien rare, je t'assure, pour nous
autres.
Il nous manque seulement un lit, des draps, et de pouvoir se
déshabiller, je ne l'ai pas fait depuis le dimanche que j'ai passé à Pornic
au début de septembre.
Nous avons trois vaches que les brancardiers et les infirmiers de
chaque régiment qui se remplacent dans notre maison, se chargent de nourrir et
qui en revanche nous donnent leur lait ; aussi faisons-nous des soupes de
lait énormes et de chocolats fabuleux.
À part les quelques centaines d’obus dont ils nous gratifient chaque
jour, nous sommes fort heureux ici et ne demanderions qu'à y rester.
Le seul ennui c'est qu'on ne peut faire de feu ni sortir le jour. Aussi
le matin de bonne heure et le soir une fois le soleil couché prenons-nous un
peu l'air. »
« Nous sommes actuellement à Wailly et fort bien, je
t’assure ; mais ça durera-t-il ? On peut toujours l'espérer.
Figures-toi que j'apprends aujourd'hui une bonne histoire de Carmèle, il y a comme brancardier avec moi, un jeune homme
de Nantes, cousin de Raoul Dorion,
l'époux de Carmèle. Il paraît que celle-ci a voulu
aller voir son mari, médecin de la division ; mais une première fois on
l'aurait arrêtée comme espionne, puis naturellement relâchée, mais avec prière
de ne plus revenir. »
« Carmèle n'a pas été découragée par ce
premier échec, il paraît qu’elle s’est fait passer pour la sœur d'une paysanne
d’Avesnes-le-Comte et qu'elle habite chez celle-ci; je suppose dans ces
conditions que son mari, qui n'est pas complètement sur le front comme nous, va
la voir fréquemment, car c'est peu éloigné relativement de l'endroit de leur
cantonnement.
Nous avons depuis peu comme brancardier avec nous un aumônier très
aimable. Il nous dit la messe le dimanche quand il y a possibilité
naturellement. »
« Ce matin, nous sommes allés entendre sa messe dans
une chambre fort bien aménagée pour cet usage ; car l'église est
complètement détruite par les obus.
Je suis content que Joseph soit
toujours à Quimper et j'espère bien qu'il n’est pas encore près de venir
ici ; car après tout, on est toujours mieux partout ailleurs qu'ici.
Nous n'avançons pas du tout de
notre côté, pas plus qu'ailleurs du reste. Tout ce que nous racontent les
journaux ce sont de vastes blagues et je crains fort que nous n'en ayons encore
pour de longs mois de cette existence.
Aussi sommes-nous plus ou moins déprimés tous autant que nous
sommes ; enfin le principal c'est que l'on se porte à peu près
bien. »
Le 17 janvier, à 22h30, une sentinelle française a tué
malencontreusement un soldat français revenant de patrouille, THUAL de la 12e
compagnie du même bataillon qu'Ernest. Pourtant il n'en parle pas dans ses
lettres. THUAL Alexis Mathurin, soldat de 2e classe est mort pour la France à
Wailly le 17 janvier 1915. Il est déclaré " tué à l'ennemi " sur sa
fiche. Il était né à St Gravé (Morbihan) le 12 mars 1874.
« Je n'ai pu t'écrire ces temps-ci, nous sommes toujours en route,
tantôt à droite, tantôt à gauche.
Il fait un froid terrible et nous logeons présentement dans ce qui fut une
gare. Il n'y a plus naturellement ni porte ni fenêtre et de plus des trous
d'obus dans tous les murs ; aussi avons-nous extrêmement froid ;
néanmoins je suis toujours en excellente santé. »
« Je suis un peu en retard à t'écrire longuement mais je n'en n'ai
pas eu le temps, ni la facilité. Nous sommes perpétuellement en promenade, en
alerte constamment. Enfin aujourd'hui j'ai une minute et j'en profite pour
t'envoyer ce petit mot.
Nous sommes fixés pour quelques jours, du moins je le pense. Nous avons
retrouvé nos vaches et faisons des chocolat et café au lait monstres. »
« Mon fâcheux accident, comme tu dis, n'a eu aucune suite grave,
simplement ennuyeuse.
Nous avons un chargement énorme qu'un mulet aurait peine à
porter ; pense donc : les couvertures réglementaires, mon sac de couchage,
mon sac en toile de sac, ma toile de tente, sans compter le linge, les
musettes, bidons etc.… Nos sacs à tous présentent des poids invraisemblables.
Et je t'assure qu'au bout d'un seul kilomètre tout le monde sue sang et eau,
malgré la température !
Car il faut compter en plus sur le sac : la gamelle individuelle, le plat de campement, les outils portatifs, les vivres de réserves, les biscuits, le pain et d'autres choses que j'oublie sans doute. »
« Il fait un froid terrible depuis quelques jours, mais c'est
cependant plus agréable que la pluie ; les nuits sont superbes, je dirai
même presque trop ; car on risque davantage pendant les relèves. En effet,
la lune brille, on y voit presque comme dans la journée.
Ce qu'il y a de très curieux, c'est la relève.
Il faut voir dans toutes les compagnies, les caporaux d'ordinaire (ceux
qui s'occupent des vivres), tous ont des petites charrettes à bras, voitures
d'enfant, voiture à chien (avec caniche). Le tout est chargé de matériel de
cuisine, et poussé, traîné par quelques hommes.
C'est très pittoresque et ça donne lieu quelquefois à des scènes
tordantes. Si Robert voyait ça, il serait aux anges, seulement les à-côtés sont
moins drôles.
Ma santé est excellente à part un rhume que je traîne depuis pas mal de
temps déjà. Je commence à croire que l'homme est fait pour vivre sous terre, à
la belle étoile ou dans des caves. Seulement tout le monde est forcément
épuisé.
Depuis six mois
que le régiment est au front sans jamais un jour de repos, les hommes
sont éreintés. »
« Excuse-moi si ma lettre est aussi décousue, mais j'écris dans le
bruit, tout le monde bavarde, crie où chante et je ne sais vraiment pas ce que
je mets.
Je n'ai eu le temps d'écrire à personne tous
ces temps-ci et j'ai un monceau de lettre à faire !
D'ici deux jours je m'y mettrai, tout le monde y passera d'un coup.
Bref, quelle honte pour l'humanité que cette guerre. On ne peut se
faire idée si on ne l'a vu des horreurs que ça entraîne. Enfin espérons qu'on
finira par s’en sortir.
Mais j'en ai assez, plus qu'assez pour mon compte, et sommes-nous du
reste tous logés à la même enseigne. »
Le
journal du régiment stipule que durant les 31, 1 et 2 février les bombardements
sur les lignes françaises ont été très intenses.
« Nous rentrons cette
nuit des tranchées où nous avons passé dix jours sans aucun mal du reste pour
le bataillon. Le temps a été assez agréable pendant toute cette période : il a
fait froid, mais les journées étaient ensoleillées et le soleil déjà
fort ; si l'on pouvait sortir ce serait supportable, malheureusement, pas
moyen sans recevoir des obus.
Aujourd'hui la pluie recommence à tomber, quelle scie !
Je n'ai pas encore été vacciné ; pendant le dernier repos en
effet, le jour où l'on devait le faire, nous avons eu alerte et nous sommes
immédiatement partis prendre nos positions de combat ; aussi la
vaccination a-t-elle été immédiatement suspendue.
Au moment où je recevais ta lettre nous venions d'avoir un ordre
d'alerte et nous sommes immédiatement partis. »
« Depuis nous avons fait dix jours (et nuits naturellement) de
tranchées dans lesquelles il est à peu près impossible d'écrire.
Pendant ces vingt derniers jours, nous n'avons eu aucun mort ni blessé
à déplorer (*) malgré une belle avalanche d'obus surtout depuis
deux jours ; mais on a constaté qu'une grande quantité des obus de 77
Boches n'éclatent pas.
Je crois que ceux-ci sont de moins bonne qualité qu'au début.
Beaucoup de têtes d'obus que j'ai ramassé ne sont plus entièrement en
cuivre, mais un mélange où il rentre, je crois de l'étain et du plomb, du moins
ce n'est certainement pas du cuivre. J'en ai conservé une que je rapporterai si
possible.
Quant aux obus entiers, j'en ai vu plusieurs absolument intacts. »
« Ce qu'il y a d'assommant, c'est que les tranchées que nous
occupons en ce moment, bien que mille fois meilleures que les précédentes (car
celles-ci sont à peu près sèches) sont très basses (tranchées repos
naturellement) et l'on est nécessairement obligé de rester couché pendant dix
jours, tu sais c'est rudement long. Dès que l'on met le nez dehors, on est
immédiatement salué d’une grêle d'obus et de balles.
Pour te donner une idée de la chose, figure-toi que dans le village
(complètement dévasté bien entendu), la nuit dernière, un homme qui y logeait
avait allumé une bougie sans avoir eu la précaution de boucher la fenêtre.
Cinq minutes après, six obus tombaient dessus ; et il était une
heure et demie du matin !
Tu vois si ces bougres-là veillent soigneusement ! Tu peux penser que
la bougie et les camarades ne sont pas restés à la même place ; encore
a-t-il eu la veine de ne recevoir qu'un moellon sur la tête.
Quant à la maison, il n'en reste à peu près rien maintenant ; ça
n'a du reste aucune importance, car les huit cents maisons du village sont dans
le même état.
Celle où nous couchons, nous autres quand nous cantonnons est à peu
près intact. Les carreaux naturellement n'existent plus, le papier de journal
et les calendriers les remplacent. Seul le corridor est troué, un obus est
passé à travers ; bien entendu il n'y a plus de portes, nous les
remplaçons par des peignoirs de femme et des draps, et nous y sommes, ma foi
aussi bien que possible.
Et quand le bombardement est trop intense et que les obus tombent dans
notre jardin, nous descendons à la cave et attendons philosophiquement la fin
de la musique. »
(*) : C'est une erreur, il y a eu plusieurs morts, y compris celui tué par mégarde. C'est peut-être " volontaire ", pour ne pas affoler la famille.
« Tu trouveras ci-joint une photo que l'un de nos camarades de la
division a prise pendant que nous étions au repos. (*)
Tu vois que je suis en bon état, mais par exemple malpropre et
terriblement barbu ; enfin aujourd'hui j'ai pu me débarbouiller et me
faire arranger la barbe ; aussi suis-je propre à peu près.
Nous sommes revenus des tranchées cette nuit, hier et avant-hier nous
avions été très copieusement arrosés d'obus, mais par bonheur sans aucun mal
pour nos précieuses personnes. Les Boches qui depuis un certain temps étaient
plutôt au calme, semblent se réveiller depuis quelques jours. Mais ils font
beaucoup plus de bruit que de besogne.
Dieu merci, du reste.
Chose curieuse, beaucoup des obus qu'ils nous envoient maintenant,
s'enfoncent en terre sans éclater ; je t'assure cependant qu'au début, il
n'en était pas ainsi !
Tous ces jours-ci il a fait très beau temps, soleil radieux et chaud
l'après-midi ; mais nuits extrêmement froides.
Aujourd'hui la pluie recommence à tomber, c'est insupportable, mais
qu'y faire… »
(*) : Dommage que les photos ont disparues…
« En ce moment, les Boches nous aspergent d’obus avec une
prodigalité vraiment remarquable et embêtante ; il n’y a plus moyen de
dormir tranquille maintenant.
Ils font un raffut de tous les diables et naturellement les nôtres
répondent avec usure, ce qui fait un tintamarre à empêcher un mort de roupiller,
à plus forte raison nous autres à qui ce pénible incident n’est pas encore
survenu !
Qu’ils fassent ça de jour c’est parfait, mais la nuit c’est
profondément abusif. D’autant qu’ils accrochent trop souvent des camarades.
À part ça tout va bien ; j’habite pour l’instant un immeuble sans porte
ni fenêtre ; mais où jusqu’ici, il ne se trouve qu’un simple trou d’obus.
C’est un véritable palais comparativement à d’autres immeubles que j’occupe de
temps en temps.
Et où les trous sont incomparablement plus nombreux.
Comme nous ne pouvons faire de feu le jour, attendu qu’aussitôt que
paraît la fumée, les Boches nous adressent quelques vingt obus (sans doute pour
augmenter la fumée), nous nous servons comme cheminée du trou d’obus dans
lequel nous avons passé un tuyau ; la fumée passe donc dans le grenier et comme
le toit est parfaitement à jour la fumée s’évapore sans être aucunement visible
; de cette façon, nous sommes presque tranquilles et ne recevons pas trop
d’obus.
Ce à quoi nous désirons arriver. »
Quelques pépères du 81e
régiment territorial – Merci à Anne pour cette photo.
Ernest BENOIST ne se trouve pas sur la photo
« Je suis toujours brancardier heureusement et souffre
certainement moins que les autres camarades pour le moment tout au moins.
Nous avons été relevés des tranchées la nuit dernière, mais ça été très
pénible. Il faisait un temps affreux, un vent à décorner les bœufs (et les
maris)
Nous avons été embêtés par les Boches cette tournée de tranchées.
Ils nous ont arrosé d’obus d’une façon
irrévérencieuse et profondément désagréable.
Nous leur avons, du reste, donné la réplique avec usure, car nos gros
chiens (nos canons) ont aboyé pendant huit jours presque constamment ;
seulement, comme là où nous nous trouvons, nous sommes très en pointe dans les
lignes Boches.
Nous sommes perpétuellement entre deux feux.
Ce qui fait que, même la nuit, ils font tous (nous et eux) un tel
vacarme qu’il n’y a pas moyen de roupiller ou du moins à peine.
Comme conclusion les Boches sont des vieilles barbes qu’il serait temps
de mettre dehors !
L’aumônier du bataillon nous a demandé (à moi et quelques camarades) de
chanter des cantiques et autres chants d’église (quand nous sommes au repos
bien entendu) ; aussi tous les dimanches nous chantons, également les jours de
semaine.
Je n’ai pas eu le loisir d’écrire au petit Bob ; mais je vais le faire
sans faute demain.
À moins que nous ne partions en alerte, ce qui est toujours possible.
Ah ! Ce que j’en ai plein le dos de cette guerre et de ce pays
!! »
Nous sommes toujours à peu près au même endroit, tout en remontant sans
cesse vers le Nord. Depuis une quinzaine il y a une recrudescence de combats
d’artillerie dans notre région.
Les Boches tirent beaucoup en ce moment ; ces rosses-là ont
commencé à détruire notre maison de campagne dernièrement. Heureusement qu’ils
ne nous ont pas atteint, mais il était moins cinq. J’ai eu un petit instant
d’émotion intense.
Heureusement que nous commençons à avoir une certaine habitude depuis
six mois que ça dure !
Je regrette bien qu’il soit interdit de faire de la photo, car le village
où nous villégiaturons en ce moment serait bien curieux à avoir.
Par exemple, les pauvres gens quand ils retourneront chez eux !
Merci beaucoup de ton envoi qui vient enfin de me parvenir, juste au
moment où nous partions villégiaturer à la campagne. Nous avons en effet maison
de ville et maison de campagne.
De notre maison de ville, pas grand-chose à dire. J’habite une superbe
grange séparée en deux parties inégales ; l’une habitée par une vache d’humeur
folâtre (elle mugit toute la nuit) ; l’autre habité par moi. Les obus ne nous
atteignent à peu près pas en ville ; mais à la campagne il en va autrement.
En effet, notre villa est située à six ou sept cents mètres des
tranchées Boches ; aussi sommes-nous arrosés copieusement. Jusqu’ici notre
poste de secours où je loge quelquefois avait été épargné.
Mais ces jours-ci les Boches ont éprouvé le besoin de nous adresser une
centaine d’obus dont l’un a aux trois quarts défoncés notre toiture. Ils sont
bien mal appris ces gens-là.
D’autant qu’ils ont choisi un jour où la pluie faisait rage. Aussi
sommes-nous dans une situation déplorable au point de vue humidité.
À part ça, notre immeuble est confortable ; nous avons réquisitionné
(sans bon, car le village est complètement détruit et inhabité naturellement) tout
ce qui peut faire la joie et le bonheur d’un homme à mœurs simples et
patriarcales ; nous avons deux superbes candélabres, pris à l’école des jeunes
filles, une cuisinière –même provenance- des assiettes, des verres, des mesures
en fer blanc (d’auberge), des chaises etc...
Toutes choses complètement inconnues des troupiers en campagne. Les
légumes abondent, le lait aussi, car comme je te l’ai dit déjà, je pense, nous
avons trois vaches que nous nourrissons nous même et qui nous donnent un lait
qui n’a jamais reçu le baptême.
C’est la vie de château quoi !!
Notre immeuble est situé entre cour et jardin avec une superbe grille
sur la rue. Nous avons jusqu'à des arbres fruitiers - pas de fruit encore par
exemple - mais au printemps si nous sommes encore ici (ce dont je doute) il est
probable que nous mangerons des fruits, des fraises tout au moins, tout
bourgeonne déjà !
Je m’ennuie le moins possible, mais je trouve cependant avec bien
d’autre que la guerre a bien assez duré et je voudrais bien regagner mes
foyers.
Extrait du JMO du 81e territorial du 18 février
« Interrompu je continue ma lettre aujourd’hui ; nous sommes en
tranchées pour huit jours (3e aujourd’hui) mais on prétend que nous sommes
relevés demain, pour aller nous reposer quelques jours dans une ville où nous
verrons des civils.
il paraît aussi qu’il y a un tramway et un train qui passe ; toutes
choses que nous n’avons plus vues depuis notre départ de Nantes ;
des civils nous en avons encore vu quelques-uns uns, mais seulement des paysans
; pas de femmes en chapeaux ni de types en melon.
Je causais hier avec un
officier de chasseurs qui me disait :
" Figurez-vous que la semaine dernière, j’ai pris
le train à Hazebrouck, simplement pour le plaisir de prendre le train ! "
" Et je t’assure que c’est vrai ; nous tous
ici voudrions nous promener en chemin de fer. Je pense que nous ne sommes pas
prêts de rentrer chez nous hélas ! "
" Ca commence à être rudement long. On prétend
aussi que nous allons rejoindre le 11e corps. "
Or, comme nous sommes depuis octobre mélangés à l’active il est à peu
près certain que je verrai Charles. Il est à la 12e compagnie du 65e je crois.
Nous avons eu ces jours-ci un temps affreux- tempête, pluie
etc.…Aujourd’hui il fait un temps superbe, on se croirait au printemps.
Pour le moment, je suis enfant de chœur et chantre ordinaire de
l’aumônier du bataillon, je lui réponds sa messe le matin et je chante au
lutrin.
Tu penses si je n'aurais jamais pensé que j’attendrais 39 ans pour
chanter et apprendre à répondre la messe !!
À part ça, tout va bien, nous progressons sur tout le front comme dit
le communiqué d’environ 30 centimètres par mois.
J’espère bien que dans 175 ans la guerre commencera à tirer à la fin
! »
« Je suis toujours dans la même région.
Nous avons failli aller quelques jours au repos, mais ça a raté et nous
restons encore ici pour quelques temps, je pense.
Ce sera pour un peu plus tard sans doute. »
« Le toubib m’a trouvé en parfait état de conservation.
J’avais eu, par exemple, une sale émotion la nuit précédente ; nous
relevions un bataillon du régiment qui partait prendre son soi-disant repos
quand tout à coup en plein sur la route, trois slaves d’obus boches de 6 obus
chacune qui m’arrive sur le râble.
Si tu avais entendu cette pétarade, les murs des maisons s’écroulant,
les tuiles, les balles des shrapnels sifflant tout autour de moi ; j’ai eu une
sacristie de peur, je t’assure, je me suis cru flambé, mais il n'en était rien.
Heureusement que j’étais seul sur la route ; la compagnie était passée
cinq minutes auparavant. Si elle avait tardé un peu, elle eut été entièrement
fauchée.
Seuls deux cuisiniers ont été blessés près de moi.
En ce moment, ces sales Boches nous embêtent tant qu’ils peuvent ; nous
avions une superbe villa entre cour et jardin, ils ont enlevé notre toiture la
nuit dernière sans crier gare et au risque de nous tuer, les rosses.
Si encore ils avaient la précaution de prévenir !
Nous avons élu domicile dans une cave où nous sommes à peu près en
sécurité, mais pas moyen de sortir.
Dès que l’on met le nez dehors, immédiatement les obus pleuvent. Avant
hier soir à neuf heures, l’aumônier et moi sortons pour chercher à côté de chez
nous des bottes de pailles (l’endroit était découvert, il faisait un clair de
lune merveilleux), avant d’entrer dans la grange, nous blaguions tous les deux,
en regardant dans la direction de l’ennemi.
Tout à coup je dis à l’aumônier :
" Tenez,
voyez-vous même les Boches vous saluent "
Au même moment deux
obus éclatent à trois mètres de notre gauche.
Comme tu le vois, nous n’avons plus aucune espèce de tranquillité, les
Boches sont assommants, ils finiront par me faire attraper une maladie du cœur,
je le crains.
Nous avons malheureusement de l’ouvrage ici, des camarades tués et
blessés trop souvent malheureusement.
Avec ça ils se fichent pas mal de notre Croix Rouge.
Hier matin, en allant conduire deux blessés à l’ambulance automobile,
ils nous ont gratifiés de deux obus qui du reste nous ont manqués, or ils nous
voient fort bien car nous sommes très en pointe dans leurs lignes et leurs
canons ne sont guère qu’à 12 ou 1500 mètres de nous.
Plus tard en revanche, nous sommes allés en plein milieu de la plaine à
2 heures de l’après-midi chercher un camarade qui venait d’être tué et ils ont
cessé immédiatement leurs tirs.
Néanmoins ce n’est pas extrêmement rassurant ; ça doit dépendre, je
pense, de leur digestion. S’ils ont bien mangé, ils nous fichent la paix, si la
digestion est difficile, ils nous bombardent !
Le jour où ils vont claquer du bec, il n’y aura plus pied à vivre avec
ces animaux-là !!
En dehors de ça, je me porte comme le pont neuf et désire une seule
chose, rentrer le plus tôt possible chez moi, car j’en ai plein le dos de la
guerre. »
« Je suis engraissé, en effet, et l’alcool n’y est sans doute pas
étranger, car nous en buvons tous les jours et même pas mal ; c’est
indispensable ici et ça ne fait pas de mal, ça s’évapore à l’air.
En ce qui concerne le retour en arrière de la classe 93 (*)
je crois qu’il ne faut guère y compter. Je suis de la classe 96 ; mais
je marche en raison de mon engagement avec 93, donc j’y aurai droit.
Si ça se faisait, mais jusqu'à preuve du contraire, les hommes de la
classe 93 qui sont sur le front n’en bénéficieront pas.
Seuls, ceux qui sont dans les dépôts peuvent revendiquer cette faveur.
Les autres, trop habitués au feu et faisant la guerre depuis six ou sept mois,
sont considérés comme des troupes d’active (nous avons du reste marché toujours
avec eux) et nous passons (surtout notre division) comme trop bons soldats pour
être renvoyés ainsi.
Nous resterons à peu près sûrement jusqu’à la fin de la campagne, au
front ou tout près du front.
Il fait très mauvais et très froid ces jours-ci : neige, pluie, vents
etc.….
Je suis passé enfant de chœur ! Je réponds souvent la messe à notre
aumônier et je chante également au salut et à la messe.
Nous ne sommes pas très tranquilles en ce moment, les Boches nous
donnent malheureusement trop d’ouvrage…
Enfin, " c’est la guerre, mon bon Monsieur «, ainsi que nous
disaient dernièrement deux vieilles filles, charmantes pour nous, chez qui nous
logions dernièrement.
Nous avons été obligés d’abandonner notre maison dont la toiture a été
enlevée par un obus. Ce qu’ils sont assommants ces sales Boches !
On ne plus sortir de nos trous, sans recevoir une pluie d ‘obus.
Ah ! Les rosses, quand se décideront-il donc à nous fiche la paix et à
rentrer chez eux !!
Enfin, attendons paisiblement qu’ils veuillent bien partir. »
(*) : « La classe » : 20 ans en 1893, donc 42 ans en
1915.
« Retour en arrière » : retour dans les lignes arrière.
« Je suis toujours en excellente santé, après quelques jours de
fièvre, provoquée sans doute par la fatigue.
Tout est fini maintenant du reste.
Il fait toujours très froid par ici. Il pleut et fait de la grêle
fréquemment. Nous avons même eu hier un orage superbe.
Je vois assez souvent Paul Vandier
(toujours à l’approvisionnement) qui est actuellement aussi heureux qu’il soit
possible en temps de guerre.
Car eux, comme les camarades risquent leur peau tous les jours, bien
qu’un peu moins que nous cependant. »
« Je suis toujours avec Émilien Rabaud
(de Pornic) ; nous faisons, dès que nous avons un instant, de superbe parties
de bridge qui nous distraient un peu, car tout autant que nous sommes, aurions
grande envie de retourner chez nous. Ou tout du moins de quitter un peu la
première ligne de feu que nous tenons depuis bientôt six mois.
Mais il ne me semble guère que cette intention soit dans les vues du
haut commandement. »
« J’ai fais la connaissance à V. d’un
sous-officier du génie de l’armée active.
Ce jeune homme est le fils de l’instituteur de St Marie ; il
loge dans la tranchée auprès de la nôtre.
Nous avons longuement causé de Pornic, comme tu penses.
J’ai visité sa cagna où l’on était enfumé comme dans une
cheminée ; mais c’est la moindre des choses dans cet aimable métier, il
fait chaud, c’est le principal. »
« Les Boches sont de jour en jour plus embêtant, ils nous inondent
copieusement d’obus, les sales rosses, sans aucun ménagement pour nos
précieuses personnes. Nous sommes toujours dans la même région ; c’est toujours
aussi monotone.
Le pays est peu agréable : de grandes plaines à peine vallonnées où
l’on gèle en attendant qu’on y étouffe sans doute. Nous avions en effet dix
jours de tranchées et quand nous sommes là-bas nous ne touchons pas nos mandats.
Ma santé est toujours bonne bien que j’ai eu quelques jours de grosse
fièvre occasionnée par la fatigue sans doute et le froid, car il fait très
mauvais par ici ; maintenant c’est tout à fait passé et je suis très bien
portant comme par le passé. »
« En ce moment il se livre un grand combat dans le Nord vers Lens,
je pense, car c’est un tintamarre infernal ; chez nous, c’est ordinaire pas
trop de marmites pour le moment, la semaine dernière par exemple nous avons eu
de dures moments.
Nous avons abattu un Taube en arrière de nos lignes hier.
Ça fait toujours un de moins.
Figure-toi que ces sales Boches nous lancent maintenant du vitriol sur
nos premières lignes de tranchées, tu parle les
rosses, heureusement qu’ils ne peuvent les envoyer bien plus loin et que somme
toute, ça ne présente pas, il me semble ; de bien grands dangers, mais ce sont
de parfaites canailles. »
« Joseph Bridon est
maintenant à Brest, au dépôt du régiment territorial d’infanterie de
marine, je pense et j’espère qu’il ne reviendra pas maintenant sur le front,
parce que ce n’est vraiment pas gai, je t’assure. (*)
Quant à nous, on a oublié de nous envoyer au repos. Je crains qu’on ne
l’oublie encore longtemps. Que veux-tu qu’on fasse sans nous ?
Rien évidemment, nous sommes incontestablement le premier régiment du
monde !!!
C’est flatteur, mais la classe (**) serait encore infiniment mieux
sans aucun doute ; nous sommes tous complètements fourbus ! »
(*) : Rappel : Joseph Marie BRIDON est au 10e régiment
d’infanterie territoriale. Il est mort pour la France en juin 1915 et sergent à
cette date. Il était aussi étudiant à 20 ans et aussi de Pornic. Voir sa fiche.
(**) : La classe : Ce sont
les jeunes de la classe 1915 (20 ans en 1915)
« Bien que j’ai cru un moment que nous irions au repos pendant
quelques jours, je crois maintenant que nous n’irons pas du tout,
malheureusement, car nous serions bien heureux de nous reposer un peu.
Tout le monde est esquinté. Je n’ai pas grand-chose d’intéressant à
raconter, nous sommes toujours dans la même région et nous voudrions bien
revoir notre pays et nos familles. Il fait toujours aussi mauvais ici, ça vous
fiche le spleen, je t’assure.
Tu trouveras ci-joint une nouvelle photo faite il y a déjà quelques
temps par un camarade. Il vient de m’adresser une épreuve que je t’envoie.
Tu remarqueras que j’ai une pipe au bec, ça me fait une
drôle de poire. Tu vois derrière moi Paul Vandier
qui a beaucoup blanchi depuis quelques années.
Je t’écrirai plus longuement, aujourd’hui j’ai le spleen et le mal du
pays. »
« Nous partons ce soir aux tranchées pour quelques jours ; il
y a pas mal d’activité par chez nous en ce moment, surtout sur notre gauche,
les obus grondent avec un entrain dont j’aimerais à être débarrassé car on
devient terriblement nerveux et impressionnable à la longue et dire que nous
n’allons jamais, jamais au repos, nous n’y avons encore jamais été depuis le
début !!
Je ne puis t’écrire longuement, obligé que je suis de préparer mon sac
pour partir tout à l’heure revoir mes vaches, chèvres et autres boucs – car
nous avons tout cela- des obus et des balles par-dessus le marché
naturellement.
Les lettres recommandées sont beaucoup plus longues à venir que les
autres ; d’autant (et peut être uniquement) par ce qu’elles ne suivent pas
aux tranchées.
Tes lettres avec timbre à 0 f 30 n’arrivent guère plus vite que les
autres. Parfois deux jours, parfois 4, ça n’est pas régulier. »
« Tu me dis que je semble amaigri dans ma dernière photo, mais il
n’en est rien, j’avais seulement sans doute moins d’objets dans mes poches. Quant
à la mine, c’est que sans doute je n’étais pas débarbouillé depuis quelques
semaines, car dans cet aimable pays l’eau est aussi rare que le vin, c’est du
reste ce qui est le plus pénible ; surtout pour boire, car la question de
lavage est très secondaire en hiver particulièrement !!
Il ne faut pas croire que je sois si découragé que ça, mais tu sais,
c’est rudement long sept mois avec la mitraille sans arrêt sur le dos.
Il est certain que comme tout le monde sans exception, quoiqu’en dise
ces aimables journalistes qui n’y sont pas, la guerre est la chose du monde la
plus stupide et la plus horrible qu’il soit possible d’imaginer, …… et que tous
nous en avons assez. »
« Je n’ai pas reçu ni le colis ni le mandat du 2.
Ces choses-là ne viennent pas aux tranchées.
Or, comme nous en avons chaque fois pour une dizaine de jours, nous ne
pouvons donc les avoir que tous les dix jours. Joseph est en effet parti de Brest
pour le front, ça m’ennuie beaucoup, car il n’est pas en bonne santé et puis il
ne sait pas encore ce que c’est ; et ça n’est pas une chose agréable à
apprendre, enfin espérons qu’il s’en sortira et moi aussi à peu près intact.
J’avais interrompu un instant ma lettre pour m’amuser avec d’autres
poilus à tâcher d’abattre une boite en fer blanc posée à une vingtaine de
mètres sur le haut de la tranchée. Il nous a fallu quatre cent deux projectiles
pour arriver à la fiche en bas.
Tu parles d’une adresse ! …… Tu vois que nous sommes encore gais par
moment ; mais il faut bien attendre patiemment et faire son possible pour
s’embêter le moins possible, mais ce qu’il nous faut c’est la classe.
(*)
Je suis obligé d’arrêter ma lettre, voilà la pluie qui commence, tu
dois t’en apercevoir à ma lettre, tu vois les gouttes d’encre. »
(*) : La classe : Ce sont les jeunes de la classe 1915 (20 ans en 1915)
« Ce pauvre André Maisonneuve
n’a vraiment pas eu de chance. Enfin il a évidemment peu souffert, il y a des
blessures tellement effroyables qu’il est bien préférable de mourir tout de
suite. (*)
L’aumônier de notre bataillon s’appelle l’abbé Joubier, il est professeur de philosophie au collège à
Lorient. Nous nous entendons tous fort bien. Il est bien ennuyeux, en effet que
Joseph ne soit pas avec nous. Il doit trouver ça bien dur lui qui, je pense,
n’en avait encore jamais goûté.
Heureusement que voici le beau temps et que c’est beaucoup moins
désagréable maintenant. Je serai bien content d’avoir Joseph avec nous. Il n’y
a pas d’arrêt dans les correspondances adressées aux militaires sur le front.
Il s’agit simplement de l’interdiction de lettres entre militaires au front et
militaires prisonniers, en Allemagne et réciproquement.
Je prends les tranchées demain soir, sauf changement. »
« Les camarades (groupe de la photo) : (**)
Prévost, Garnier dit « Fallières », Charpentier, Grignon Dumonlin, Ernest Benoist, Paul Vandier, Maurice (Jean Baptiste) Foulon, J. Métais, caporal Barré,
Gendron. »
(*) : André Similien MAISSONNEUVE,
sergent- major au 65e régiment d'infanterie, mort pour la France à Beaumont
(Somme), le 6 mars 1915, suite de blessures de guerre. Il était né à Nantes le
16 août 1888
(**) : Dommage que cette photo ai aussi disparue…
« André Maisonneuve
vient d’être tué tout près de chez nous par un obus ; dans un endroit où
nous avons passé au début de la campagne.
Il allait se rendre compte des dégâts occasionnés par une bombe, et se trouvait
dans les boyaux de communication quand un 77 l’a atteint et tué presque
instantanément.
Pauvre garçon !
Il a fait beau tous ces jours-ci – soleil et chaleur-, ça fait plaisir
tout de même.
Aujourd’hui il fait froid humide, un temps supérieurement désagréable.
Enfin voici la belle saison qui arrive, tant mieux, et puis enfin j’espère tout
de même que ça durera moins longtemps que ça n’a duré jusqu’ici.
Joseph est parti au 2e infanterie coloniale.
Pauvre garçon ! Il va en voir de rudes désormais. Ça m’ennuie beaucoup
pour lui. »
« J'ai souvent maintenant le cafard ; voilà sept mois bientôt
que je suis au front et le régiment n’a (peut-être le seul de l’armée
française) jamais eu un vrai moment de repos. Même les autres régiments de notre
division se reposent pendant des quinze jours et un mois.
Ça ne nous est encore jamais arrivé. Il s’ensuit que les hommes sans
exception sont profondément irrités de cette différence en leur faveur.
Enfin, puisque c’est ainsi il faut en prendre son parti, n’est-ce pas ?
Je vois assez souvent Paul Vandier
et je joue de temps en temps une partie de bridge avec lui.
Quand on couche dix ou douze jours de suite dans une tranchée où notre
litière est la même depuis l’été dernier, dans une pareille pourriture (c’est
le mot), il est impossible que toutes les petites bêtes de la création ne s’y
soient pas donné rendez-vous !!
Mais ça n’a pas d’importance, il paraît que ça entretient la santé.
Hier, il faisait ici très mauvais et très froid : neige, grêle etc. Aujourd’hui
un soleil resplendissant ; mais cette nuit il y avait 7° au-dessous de zéro !
Heureusement que voici le printemps, il n’est que temps car j’ai
toujours et plus que jamais l’horreur du froid et de l’humidité.
Ces sales Boches nous embêtent toujours tant qu’ils peuvent.
Enfin ils sont à moitié tranquilles depuis deux jours. »
« Il ne faut pas sortir voir les Zeppelins car, en dehors des
bombes que lancent ces sales Boches, il faut craindre les éclats des obus que les
nôtres tirent dessus et les balles des Shrapnells qu’on leur adresse et qui ne
vont pas forcément choisir l’endroit où ils tombent.
Il ne faut pas jouer avec ces engins-là.
Tu peux me croire, j’en vois assez depuis sept mois !
J’étais encore fatigué ces jours- ci, maintenant c’est à peu près passé
; c’est le printemps qui travaille forcement.
Ce soir nous relevons et allons avoir, je l’espère, quatre jours à peu
près tranquilles.
Ce pauvre Joseph qui est en Argonne dans l’infanterie coloniale, le
seul de territorial avec les gosses de la classe 14. Il est navré, et moi aussi
du reste ; pauvre garçon ! Doit-il s’ennuyer ! »
Fin de la correspondance – S’il existe des autres
lettres, elles ont disparu.
Ernest passe en janvier 1916, au 13e régiment d’artillerie de campagne, au service automobile. Puis au 8e et 20 escadrons du train des équipages militaires.
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BENOIST
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territoriale
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de guerre 14/18
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