CARNET DE BOUVE ANATOLE

Lieutenant de réserve au 110e RI de Dunkerque

 

 

 

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« Ce carnet est en réalité une copie réalisée par des amis d'Anatole BOUVE pour le transmettre à ses descendants, le hasard à voulu que je m'appelle Hervé BOUVE et que je suis généalogiste amateur. Je ne suis pas parent direct d'Anatole BOUVE, mais cette dame m'a confié ce carnet car j'avais toute sa généalogie.

 

Ce carnet a été exposé en octobre 2006 lors de notre biennale avec la généalogie d'Anatole, cependant pour perpétuer la mémoire d'Anatole, je voudrais vous en transmettre une copie »

Hervé BOUVE

 

Merci aussi à Gilles.

 

 

Notes

 

Anatole BOUVE était du 110ème régiment d'infanterie. Il était instituteur et il donc lieutenant de réserve. Il est inscrit sur le monument aux morts de Coudekerque-Branche (59), ainsi que son fils Emile BOUVE, mort en 1940.

Ils sont morts tous les deux au même âge (27 ans).

 

Il a été affecté au 33e RI (Arras) dès le début de la mobilisation, puis transféré au 110e RI, le 24/09/1914 comme il le dit dans son carnet. Ces 2 régiments composaient la 2ème division d’infanterie, avec le 8e et 73e RI

 

 

 

Carnet à remettre à la famille de M BOUVE Anatole lieutenant de réserve au 110e régiment d’infanterie de Dunkerque

A adresser à Mme BOUVE SWYNGHEDAUW institutrice à Coudekerque-Branche (Nord) épouse du lieutenant instituteur – Officier de réserve.

En cas de mort, prière de me placer à part afin de pouvoir me rendre à ma famille

 

Mémoire à ma petite femme chérie et à mon fils Roger

Départ de Dunkerque le 29.

 

Vu beaucoup de gens.

Foule immense à la sortie du port, dont ma mère et sa compagnie.

Impossible de voir ma petite femme.

Arrivée à Honfleur le 31 à 4heures du soir.

Après avoir sablé le champagne avec le commandant du bateau, réception indescriptible :

Bouquets (un morceau de cocarde dans ma cartouchière).

Vins - cidre – cigares – cigarettes – gâteaux et même argent – 100 francs pour une section.

 

Le 1er septembre départ pour Pont-Audemer –

Même réception sur le trajet – étape un peu pénible à cause du soleil et des bois.

 

Le 2 septembre

Départ de Mr BRYGOO pour le feu avec 400 hommes.

 

Le 3 septembre

Nous devons nous rendre à La Rochelle en bateau par Le Havre.

Arrivée au Havre, je suis désigné pour conduire un détachement de 500 hommes pour renforcer le 110e et le 310e.

2 jours de chemins de fer (38 heures) arrivée à Rommilly le 7 au bon moment, l’ennemi est en pleine retraite.

 

Le 11

 Marche de poursuite

On n’entend plus rien sauf très loin à l’approche de la nuit, quelques coups de canons. Qu’ils en ont peur de nos 75. On raconte que partout où ils passent, ils disent « nous foutu » -

Ils se sauvent – belle matinée – à partir d’1 heure, pluie torrentielle – vent – triste temps – arrivée au cantonnement à 6 heures – 1ere fois que cela nous arrive, bon dîner – bonne nuit – les gens nous reçoivent très bien comme des sauveurs.

 

Le 12

Quel temps – pluie – vent – marche à travers champs de vigne, de betteraves, etc. …et pendant la nuit. Quelle belle manœuvre – quels canons – nous n’avons plus rien à faire –

Les 75 déblaient le terrain, nous n’avons qu’à avancer. A 9 H ½, entrée triomphale dans Reims –  Que de prisonniers ! Que nous sommes contents !

Les soldats les regardent défiler avec calme. S’ils pouvaient nous traiter comme nous le faisons au moins ! 5000 prisonniers sans un coup de fusil et sans un blessé de notre côté ! C’est admirable ! 

 

Le 13

Vent sans pluie – nos habits sèchent – il est 9 heures du matin.

On ne voit que des prisonniers ! Encadrés de patrouilles.

Quel bonheur ! Depuis 4 jours, ils ont reculé de plus de 100 km. Ils sont coupés – 2 corps ont été démolis par les Anglais, nous démolissons les autres.

 

Le 14

A Bétheny. 5 km de Reims. L’ennemi oppose une belle résistance avec les forts qui défendent Reims et Neufchâtel. C’est terrible ! Pluie d’obus toute la journée. Quelle horreur ! Indescriptible – heureusement, nous sommes un peu épargnés ; quelques blessés seulement et légèrement. Nous attendons du renfort – Impossible d’avancer.

Tout le village est détruit, pas une maison n’est intacte, hier soir, 5 maisons en feu. Eglise complètement détruite. Nous avons confiance, la victoire est à nous – c’est leur dernier coup.

 

Le 15 matin

Réveil en fanfare par le sifflement des obus qui passent par dessus notre tête – voilà 2 jours que nous couchons à la belle étoile.

Ca ne fait rien, il fait beau et c’est la guerre, il faut tout endurer.

 

Le 17

Terrible depuis 4 jours – Bétheny que nous devons tenir. Adieu – je pars à l’assaut –Soigne bien mon petit Roger – Adieu à vous aussi mes Parents, aux beaux parents et tous les parents et amis.

 

 

                                                                                                          Anatole

 

Vendredi 18 – fausse alerte – mais ça ne tardera pas – ils avancent, mais nous tenons toujours. Il faut ou mourir – Bétheny sera mon tombeau – Il faudra avec toute la famille, Parents, et beaux Parents, venir visiter le champ de bataille qui sera mon tombeau.

        

Encore une fois, adieu à tous, et à toi ma Jeanne et mon Roger, mes dernières pensées.

 

                                                                                                          Anatole

 

Délivrés le 19 au soir à 8 h ½   nous avons accompli notre mission, sommes remplacés par un bataillon de chasseurs. Que le 33eme a été courageux.

Nous avons eu des félicitations de tous et en particulier notre compagnie – la nuit : marche de 20 km sous une pluie torrentielle – coucher le 19 à 4h. Lever à 6h tout trempés, nous partons d’un autre côté où ?

Encore dans la fournaise sans doute – nous avions pourtant bien mérité de quelques heures de repos – me voilà toujours échappé une fois – plus de 50 obus sont tombés à 20 m au plus et combien très près.

Que c’est terrible ! – Un baiser à tous.

 

Le 20 à Champigny – Le canon tonne nous sommes en réserve – repos quelques heures – ça va bien !

 

Le 21

À Ventlay, réserve d’armée ; si tout va bien, ce sera une journée de repos.

Que le régiment a été éprouvé, il nous reste encore la moitié de nos hommes, mais très peu de morts. 6 pour la compagnie, les autres sont blessés.

Bonjour à tous, et à toi ma Jeanne et mon Roger mes meilleurs baisers.

 

Les 22 – 23 – repos – en réserve – garde des ponts – J’ai bu du café dans une tasse avec inscription : Jeanne.

Quel bonheur.

 

Le 24 – Nous quittons le 33eme pour rejoindre le 110eme qui est au feu. Nous attendrons encore qu’on veuille bien nous verser dans une compagnie.

Le commandant du 33eme nous a fait ses adieux et m’a embrassé pour tous nos soldats.

 

Le 25

Versé à la 12e cie, comme commandant de compagnie.

J’ai dans ma compagnie les 2 frères COMMYN que je suis très heureux de retrouver.

Nous sommes en 1ere ligne et nous recevons assez souvent la mitraille du canon, c’est un peu mieux qu’à Bétheny mais à peu près aussi terrible voilà 8 jours que le 110e est sur place dans les tranchées ; on parle de nous relever ce soir.

 

Le 26

Entre Pontavert et Berry au Bac, face à la ferme du Choléra.

Repos mais pluie d’obus.

 

Le 27

En 1e ligne, mais peu intéressant journée calme, pas un coup de fusil, quelques boulets, une cinquantaine seulement.

Tout va bien on vient d’apprendre que Péronne est repris, que les ailes marchent et que leur centre à eux sera bientôt obligé de reculer. Encore quelques jours et le grand coup sera donné.

Que de morts ! C’est affreux !

 

Le 28

Toujours en 1e ligne. Journée relativement calme gros obus – pas de fusils.

Les ailes travaillent nous sommes pivot et nous tenons sur la défensive. Nous avons bien mangé : viande fraîche, de conserve, pain, biscuits, vin, bon potage, enfin tout va bien , je crois que si cela continue je ne maigrirai pas, un peu de colique.

Nous serons relevés ce soir par une autre compagnie.

 

                            Un gros baiser à tous. 

 

29 et 30

Repos, réserve du bataillon. Journées très calmes jusqu’à présent mais nous avons ordre d’attaquer le Choléra et de nous porter en avant, qu’est ce qui nous attend ?

L’ennemi se retire, mais je crois que ce sera dur. Ca ne le sera jamais comme à Bétheny. Oh ! Ce Bétheny plus jamais je ne verrai chose pareille, indescriptible et dire que j’en suis sorti.

Nous vivons toujours très bien, nous mangeons bien, buvons bien et dormons sur la dure, c’est le plus pénible.

Je suis parfois obligé de desserrer ma ceinture. Menu de ce matin 30.

 

                   {Potage, maquereau au vin blanc

                   {Bœuf, petits pois

                   {Café ou thé, vin, liqueur

 

 

 

1er octobre.

Ca sent l’entrée des classes. Où sont mes élèves ?

Aujourd’hui, repos, je suis passé à la 11e compagnie, le capitaine de la 12e étant de retour. Je viens de passer chez le perruquier de la compagnie qui m’a taillé les cheveux d’un bon bout, c’est plus hygiénique, je laisse le bouc.

Tout va bien, un gros baiser.

 

2 – 3

Journées calmes.

 

4 octobre

Rien de changé, toujours aux mêmes emplacements, gros obus.

Sur notre gauche, attaque de nuit.

Dans la nuit du 3 au 4. J’étais occupé à faire creuser des tranchées à ma section, les balles nous sifflaient par-dessus la tête. On annonce des ordres pour la nuit.

Quoi ? …. Causette avec les frères COMYN.

 

5 octobre matin

Quelle nuit, réveillé 2 fois. 1ere fois attaque des A. à 9h, ça sifflait mais nous étions dans nos tranchées.

A 4 heures du matin, riposte par tout le 110e, toute la matinée, ça chauffe, mais pas de mal, aucune perte pour nous.

 

6 – 7 – 8

Rien de nouveau, bataille d’aéros, très intéressant, il nous est arrivé 2 blindés qui donne la chasse aux Allemands. Ils en ont descendu un hier.

 

9 – 10 – 11

Depuis le 25, même emplacement, rien de neuf, quelques incidents, petites fusillades, enfin peu de chose, canons assez souvent, mais petits obus, pas grand mal.

Je vois assez souvent COMMYN et BRIGOO. Tout va bien.

 

Le 12 à 10 h

Mauvais tabac : nous devons nous porter à l’attaque du Choléra, ligne de tranchées occupée par l’ennemi, sommes en 1ere ligne. Qu’importe ! Nous avons bon espoir.

Au revoir. Je prends mes dispositions.

2 h moins ¼ - Plein combat, ça chauffe. Que d’obus, surtout les nôtres. Comment cela va t’il se dérouler ?

5 h 15 – Nous attaquons. En avant. Encore un baiser à tous. A ma Jeanne et à mon Roger, les meilleurs.

Au revoir.

11 h ¼ de la nuit. Je t’écris au clair de lune, je suis occupé à creuser un trou pour m’abriter. Tout va bien, je passe la nuit à 1m50 de profondeur, un baiser.

 

5 h 20 du matin le 13 – Quelle nuit à la belle étoile, le jour pointe, après une bonne goutte de rhum, nous voilà frais et dispos.

 

Zi, zi, clac, zi, clac, clac, les balles sifflent bien. Nous nous en moquons à 1m50 de profondeur nous ne craignons que les obus qui arriveront certainement à profusion sans tarder.

 

A 12 h – Depuis 5 h épouvantable, indescriptible, Que d’obus sont tombés sur les positions allemandes.

Pauvres êtres.

Il y en aura des morts.

Au moins 500 obus sur un carré de 200m de long sur 100m de large, sans compter ceux qui partent au loin, ils ne répondent pas beaucoup. Que va t’il se dérouler ce soir ?

Au revoir.

 

Le 14

Toujours en vie, tout va bien, nuit au clair de lune dans un trou, un peu d’eau pendant la nuit, la journée est meilleure. BRIGOO est à 120 km de moi.

Nous n’avançons plus, le Bois de la Miette placé à l’ouest du Choléra doit être dégagé pour nous permettre d’avancer. Au revoir, bonjour à tous.

 

A partir de 10 h du matin, pluie d’obus de plus en plus fort. Ce qu’il en tombe ! C’est épouvantable !

 

Le 15 – Le canon n’a cessé de tonner toute la nuit, malgré la pluie, charges à la baïonnette à notre droite du côté de Berry au Bac. Jour un peu plus calme. A 12 h on reçoit l’ordre d’avancer.

 

A 2 h ½ - on n’a pas encore fait un pas.

Toujours dans la tranchée sans pouvoir pousser la tête ou bien clic, clac, zi, clac, zi. Les balles sifflent. CAULIER, un camionneur de chez SAVERGNE que Mr CHAVATTE connaît, a reçu une balle à la tête.

Ils tirent bien

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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