Carnet de Paul Joseph DELEUZE

Ordonnance d’un officier de la 65e division d’infanterie

11e Hussards ?

 

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Merci à Christiane CORANTI de nous livrer ce carnet.

Dommage, vu la facilité de rédaction de PAUL, qu’un seul ne soit en sa possession, surtout lors que l’on sait que Paul DELEUZE a survécu à la guerre. L’intégralité de ses informations nous aurait ravie.

 

A la lecture du carnet, on sait que Paul était ordonnance d’un officier de la 65ème division commandée depuis la mi-septembre 1914 par le Général LE GROS. Il appartenait probablement au 11ème Hussard.

Né le 31 juillet 1886, Il était marié à MARCELINE qui lui avait donné un fils, MAX. Il habitait au moment de la mobilisation, sur la route du Pont de GRABIEUSE, aux environs d’ALAIS (Alès) dans le Gard et était employé des Minières du Gard (Société des Houillères de Rochebelle) Forges d’Alais TAMARIS ; y ayant commencé à 14 ans en tant que gamin à la masserie, manœuvre puis cisailleur en 1907.

Ses deux frères, Jean (240ème Régiment d’infanterie) et Raoul (6ème bataillon de Chasseurs) et lui, étaient sur le même front. Sa sœur, MARGOT a quitté la maison familiale, laissant la mère veuve avec THERESE, son autre fille.

Il aimait se faire son café (marque FORSANE) dont il donnait les quantités pour le faire.

 

26/08/1914, 7 h du matin.

Quelle triste nuit, mes amis, nous avons passé. Hier soir, nous avons mangé la soupe à 9h ½ : c’était des pommes de terres bouillies à l’eau et sans sel ; çà fait longtemps que nous n’avons pas mangé du singe. Il est 10 heures du matin et on nous annonce le départ pour 1h ½ du matin et pour ne pas m’oublier, je sors dormir sur un sac d’avoine.

A minuit et demi, je n’ai pas de peine pour me réveiller. Je selle les chevaux prêts à partir mais le départ est différé et à 4h ½, ils sont encore sellés : je ne suis pas un bon défenseur de la patrie et je pense que ma présence n’est pas bien utile, mais on me fait marcher comme les autres. Et puis, nous voilà partis et à 4h 30, nous sommes revenus en arrière c’est à dire à CHAILLON.

Je m’ennuis énormément de mes chéries ; je vous aime énormément et vous êtes tous et toutes mes chéris…Je vous aime tant et plus, ma femme, mon fils autant qu’un fils ou un frère peut aimer sa sœur ou ses frères. Je sais bien que toutes mes protestations sont inutiles mais elles m’apaisent un peu.

Bonjour tout le monde, que faîtes vous ? je voudrais le savoir !

Je vais essayer de me reposer un petit peu car je ne dors que deux heures par vingt quatre heures.

27/08/1914.

C’est bien le cas de le dire : moins on en fout, moins on veut en foutre.

Décidément, j’ai de la veine : les camarades sont partis à 5 h du matin et il est 3 h du soir et personne ne s’occupe de moi : je n’ai que mes deux chevaux à soigner et moi-même ; pour les chevaux, ce n’est pas difficile et pour moi, je m’arrangerai. Ce matin, j’ai déjeuné avec du lait et à midi, le 7ème génie m’a donné de la soupe et de la bidoche avec deux œufs, j’ai très bien dîné. Il pleut depuis deux jours : les collègues rentrent tout trempés le soir et moi même tout sec ; j’ai en plus du linge de rechange.

 

Comme je n’ai rien à fiche, je fais la chasse aux nouvelles et je bois quelques verres de gnole et en plus de çà, je fume énormément de pipes (un paquet de tabac par jour). Heureusement que l’officier me donne le sien. Si ma femme était là, qu’est que je me ferais engueuler : d’être auprès d’elle en ce moment, même à me faire engueuler, çà me ferait plaisir.

 

Il paraît que les allemands sont à 10 km de nous et qu’ils mettent le feu partout. On dit qu’un régiment allemand avait levé la crosse en l’air et  qu’à peine arrivés auprès des français,  tout le monde s’est couché et leurs  mitrailleuses ont fauché complètement un régiment français. On dit que c’est les réservistes qui se font tuer plutôt que les jeunes.

……..dit qu’il a vu passer 700 prisonniers allemands ……..dit qu’un Général français s’est fait sauter la cervelle parce qu’il avait fait une gaffe. On dit, des tas de choses comme çà, mais rien n’est confirmé. Pour ma part, il ne me semble pas possible qu’on laisse un Etat…

 

Un jour, une bonne femme qui loge les chevaux m’a fait cadeau de quatre morceaux de sucre que j’apprécie le soir au souper. Ce soir je couche au grenier dans le foin : je suis très bien pour une fois mais malheureusement, on ne parle que d’alertes durant la nuit.

Les allemands sont près de nous, les salauds. Ce soir, des femmes sont arrivées de CHAMPS…elles ont raconté que les allemands leur ont volé du bétail et mis le feu à leur ferme. Ils ont emmené quelques vaches seulement que l’armée leur a acheté pour nourrir les hommes sur place. Sitôt arrivées et tuées sur place, elles cuisent un quart d’heure après dans les marmites.

 

Bonsoir ma grande et mon petit, bonsoir ma mère et ma sœurette : je ne sais pas ce qui me prends mais il faut que je passe mon envie et je vais écrire votre nom et y déposerai un gros bisou sur chacun. C’est un peu enfantin mais je ne puis y résister. Mon fils, voilà un beau bisou sur ton front d’ange. Ma mère et ma sœur, en voilà beaucoup ; si je reviens, je vous raconterai beaucoup de choses qui seraient trop longues à écrire…Encore une fois, bonsoir ;

CHAILLON 27 AOUT 1914 Vôtre Paul qui vous aime.

28 août 1914.

Je ne sais guère de ce que je dois raconter aujourd’hui, si ce n’est que je suis le plus heureux des hommes qui sont à la guerre : ce matin, réveil à 4 h du matin, départ des camarades et me voilà encore seul pour toute la journée et comme travail, absolument rien à part de faire ma soupe.

 

Ce matin, à 7 h, je suis sorti à cheval mais en amateur, en selle anglaise et la pipe aux dents, moi qui aime tant monter à cheval. Si j’avais pu embrasser ma famille, mon bonheur aurait été parfait mais on ne peut pas tout avoir, çà ferait trop ! Mon brave Pompier galope comme un poulain en liberté, en sautant quelques gerbes de blé il a trébuché et cogné le nez dans la terre et naturellement, j’en ai fait de même. Je n’ai pas eu mal et sitôt relevé, suis remonté en selle.

Une pelle de plus ou de moins, çà ne doit pas se regarder : si les allemands étaient après moi, je n’aurais certainement pas regardé si je m’étais égratigné !

 

Ce matin, je n’ai aucune nouvelle de la guerre : vraiment, mon journal ne sera guère intéressant à mon retour si toutes fois, en parlant de mon retour, on parle d’une chose possible. J’aurais voulu raconter des batailles de coups de fusils, de canons, des charges de cavalerie, mais je ne vois rien : je ne suis qu’un petit monsieur bien payé et qui ne fiche rien. Peut-être que çà viendra. Si je pouvais assister à beaucoup de chose, et pouvoir vous les raconter, alors l’affaire irait bien, mais non seulement je ne verrai rien, mais il n’est pas sur que je retrouve ma pauvre …..(maisonnée ?) mais rien que d’y penser, me rends la chair de poule, surtout en entendant le canon qui ne s’arrête pas de gronder au loin.

Je babille tout ce que je pense et ne raconte rien d’intéressant, alors tais-toi, PAULON.

Tiens, voilà que je pense à Melle RIEUX, y pense et naturellement au château, mais je la ferme maintenant ; au revoir la compagnie, mais je suis seul : c’est mon journal avec des lignes toutes tracées qui me font tant écrire.

29 août, 8 h du soir.

On appelle DELEUZE et je vais voir qui c’est : je suis de retour et c’était pour boire du jus, çà fait toujours plaisir.

J’ai déjeuné d’une boite de singe et fait une bonne sieste mais suis réveillé par une alerte ; je prends mes paquetages qui ne sont pas bouclés et mes cantines qu’il faut porter ainsi que les vivres de réserve que je dois ramasser. Enfin, je m’y mets résolument et pendant ce temps, le peloton arrive ; à 4 h je suis parti ; nous allons devant le quartier général ou l’on nous dit de manger et de faire manger les chevaux.

Nous partons à 5 h sans savoir pour quelle destination, nous traversons des villages de nuit : je connais la CROIX/MARNE.

Enfin, à 11h on s’arrête à HERVICOURT : nous avons fait 35 km en six heures et tout le temps au pas. En une heure, nous trouvons un cantonnement, ½ heure pour placer les chevaux. Nous pouvons dormir un peu, mais j’ai tellement pris l’habitude de ne pas dormir que je me lève à 4 h. Toute la matinée s’est passée au nettoyage et aux préparatifs du départ. Nous partons à midi pour arriver à HAUDAINVILLE à 3 h. Là, je rencontre GALTIER, le cuirassier : il me dit qu’il a avec lui BOULZE Maurice.

 

Je vais me coucher sur la paille, mais il n’y a pas à se fâcher : l’officier se couche à côté de moi, mais la différence est que je dois le réveiller à trois heures parce qu’il y a encore un départ à trois heures ½, mais je ne sais toujours pas pour où. Nous sommes vingt mille hommes de l’infanterie, coloniale, artillerie, cavalerie, état major…

 

Bonne nuit ; est-ce que Max est sage ? Maman me le dira à mon retour et même s’il n’a pas été sage, mon chéri, que j’aimerais tant l’embrasser ! Je suis à 1000 km mais la pensée va vite et loin, elle traverse tout, elle fait comme les hirondelles ! Nous sommes à six kilomètres de VERDUN et ce soir, nous avons vus deux ballons captifs et deux aéroplanes au dessus de la ville. Cela au moment de la soupe exactement.

Un homme, un carnet, un crayon, une bougie, devinez ce qu’ils font exactement ?

30 août, 3 h du matin.

Le départ est différé à 4 h ¼, mais comme mes chevaux sont prêts, j’ai encore une heure devant moi et en profite pour allumer une pipe et envoyer le bonjour à Dormans (?) et au PONT DE GRABIEUSE.

J’ai depuis hier un nouveau collègue comme ordonnance et celui-là est débrouillard et démerdeur. Déjà, ce matin, nous avons bu le café : tous les fantassins se préparent ; on entend partout : 1ère section, rassemblement ! 3ème escouade, idem et que des choses comme çà.

Ce matin, je suis parti à 6 h avec l’EM (état major), et nous pensions aller très loin, mais à peine sortis du village, le convoi s’est arrêté pour laisser passer la division : il y avait le 311ème, le 312ème, le 204ème de ligne, le 8ème colonial, le 34ème, le 4ème, de la cavalerie, le 55ème d’artillerie…Bref, nous sommes repartis à 10 h donc trois heures ½ de piquet et le canon qui gronde toujours très fort.

Nous voilà repartis jusqu’à VERDUN où on nous arrête à 11 h pour ne repartir qu’à 4 h. Pendant la pause, j’ai fait mon jus toujours délicieux.

Tout le long du chemin, nous avons rencontré des traînards, de pauvres malheureux qui venaient de faire 25 km et à qui il restait quinze kilomètres à faire…

31 août, 6 h du matin.

Je disais donc qu’il y avait des traînards et j’ai rencontré un sergent corse qui avait une ampoule du talon et qui m’a tellement fait pitié que je lui ai prêté mon cheval et je suis moi-même monté sur le cheval que j’avais à la main.

A VERDUN, il m’a offert du vin, du saucisson et du pain. Il est resté sur mon brave Pompier au moins quinze kilomètres et il n’y avait pas d’homme plus heureux. A midi, nous nous sommes arrêtés près de VERDUN et nous y sommes restés jusqu’à 4 h ½ : la vraie barbe, quoi ! Puis nous partons à nouveau et passons à FLEURY -DEVANT –DOUAUMONT. Tout au long de la route, on voit des charrettes chargées de femmes et d’enfants : tous pleurent.

Enfin, nous arrivons à LOUVEMONT : ordre est donné aux habitants de quitter le village car ils sont juste en face des forts de VERDUN et se retrouveraient entre deux feux.

 

Comme nous sommes assez nombreux, le ravitaillement en viande est assez pénible ; alors comme il n’y a plus personne dans le village et que tout le monde a tout abandonné (maisons, linge, mobilier, cochons chèvres, poulets), le Général fait verser l’argent qui sert à acheter la viande au Maire de la commune.

Alors c’est un véritable pillage : des quantités de cochons de lait sont chargées dans des sacs.

Des chevaux, un grand nombre de poulets ont cou tordu, et ensuite, à la marmite ! Si ce n’était les coups de canon encore très près, on se croiserait à la foire ! Tous ces pauvres animaux crient et grognent tout ce qu’ils peuvent.

 

Pour ma part, j’ai été logé cette nuit dans une ferme abandonnée : j’ai visité les appartements et les armoires étaient pleines de linge comme toutes les armoires de chez nous. On voit qu’ils ont pris au hasards le plus nécessaire : les couvertures de lit sont pliées et la table est encore mise pour le dernier repas pris pour la dernière fois peut-être dans la maison familiale. Tout çà me fait tellement pitié que je ne touche pas aux poulets qui sont dans la cour : je n’aurais qu’à allonger le bras mais je ne le fais pas. Je suis le convoi, comme toujours, ce qui fait que je ne vois rien qui……..la vraie guerre. Je suis des quantités de soldats et tout le jour, j’entends le canon : c’est tout.

Les camarades sont partis à cinq heures du matin.

Hier soir, j’ai vu CARRIERE, le maçon, à FLEURY DEVANT DOUAUMONT.

Au moment où j’écris, la pétarade est terrible.

On m’a dit que le 240ème de réserve, là où est Jean, est à la frontière et que le groupe de Raoul est resté à NICE : puissent-ils revenir saints et saufs !

1 h de l’après-midi

Mes chevaux sont sellés depuis ce matin et on ne parle toujours pas de partir ! Jusqu’à présent, je n’avais pas entendu le canon comme aujourd’hui. Depuis ce matin 6 h, çà n’arrête pas et il doit se passer quelque chose, là-bas. En attendant, je me suis fait mon jus extra et le singe à fini par me dégoûter quoique je l’aime beaucoup……du pain, du café surtout Forsane c’est moi qui le fait ce n’est pas du jus de chaussettes : 36 grammes pour deux tasses un peu grandes il est vrai !

11h ½ : Je n’ai rien à faire et je regarde passer les soldats comme je n’ai pas vu depuis longtemps. Il est passé le 26ème  et le 57ème d’artillerie, les dragons, le 220ème, le 362ème, et je ne sais tant il y en a plus et encore !

J’ai sommeil, je vais essayer de roupiller : je pense à ma CAROMI (épouse).

Lorsqu’elle me dit : si tu dors, sors dehors. Je voudrais être devant ma porte et fumer une de mes nombreuses pipes : à propos, je n’ai plus de tabac et on n’en trouve pas : quel malheur ! Je ne pourrais vivre sans çà et j’ai fini un gros paquet en deux jours.

1er septembre, 4 h du matin.

Bonjour MARCELINE et mon fiston, Bonjour ma mère : j’ai dormi sans souci dans la paille, au chaud, cette nuit. Hier, j’ai passé tout le jour au même cantonnement, toujours à LOUVEMONT : tout à l’heure, les canons se sont réveillés et il parait que c’est un jour de grande bataille. Toutes les troupes qui passaient hier, allaient à l’emplacement même du champ de bataille.

Les collègues sont déjà partis ce matin et moi, je reste au repos. Comme c’est le 1er du mois, j’ai reçu 5 Frs d’acompte. Hier, un hussard réserviste du 11ème étant estafette à reçu un éclat d’obus en pleine poitrine.

Je vais voir si je trouve du jus, sinon j’en ferai.

Plus de tabac : quel grand malheur ! Je ne me suis pas levé que je mets ma pipe au bec mais aujourd’hui, elle est vide, pauvre de moi !

On vient de donner l’ordre de seller mais çà ne veut pas dire que nous allons partir. Ce matin j’ai vu passer le 26ème d’artillerie, le 240ème , le 258ème d’Infanterie : si j’étais arrivé 5 minutes plus tôt, j’aurais pu voir Jean. Les 19ème et 38ème (artillerie) de NIMES sont passés : j’ai pu voir BRUNETON, BROT, BADOS, ROZIERS et d’autres d’ALAIS (ALES).

 

Le 9ème de montagne est passé aussi : on m’a dit que Raoul est à la 45ème batterie. J’ai vu la 44ème et la 46ème mais pas la 45ème. J’aurais été si heureux de le voir et de lui offrir un bidon de café que j’avais préparé en voyant tant de soldats à qui çà aurait fait plaisir. Le canon tonne de plus en plus fort et pas loin de nous, à 2 km à peine. Tout à l’heure est passé un aéroplane : il y a un infanterie qui lui a tiré dessus et on a vu des obus passer pas bien loin mais assez pour le manquer.

2 septembre, 8 h du matin.

Quelle journée pour les soldats que celle d’hier ; je n’ai même pas songé de toute la journée à écrire…Oh, il y a eu une forte bataille et de très nombreux blessés, pas trop de morts. Oh, les blessés, pour eux, quelle chose horrible que la guerre. Je me demande comment çà existe à l’époque que nous sommes…

 

Tant qu’on ne fait qu’entendre les canons, ce n’est rien à côté de la vue de ces nombreux mutilés : qui a la figure fendue en deux, qui a un œil crevé ou une oreille enlevée, le corps criblé de balles, une jambe ou un bras emporté…Partout du sang, des cris.

Tout le monde envoie un souvenir à ses parents, à sa mère, à sa femme, à ses enfants. Seulement, ce que je raconte, ce sont mes camarades qui l’ont vu et entendu, ce sont eux qui ont vécu ces minutes horribles, ce sont eux qui ont crié leurs pensées si fort à leurs parents. De tous mes collègues de l’escorte, sont intacts ; je les avais quitté hier et je les retrouve ce matin à BRAS, intacts mais bien fatigués. Ils ont vu de nombreux blessés. Pour ma part, je me suis informé auprès des ambulances : j’ai vu beaucoup de connaissances, mais pas de ma parenté. Le 240ème s’est battu mais je n’ai pas vu mon frère JEAN, parmi les blessés ; peut-être il a été évacué d’un autre côté.

 

Je ne sais pas si le 45ème B de RAOUL est allé au feu, mais le plus éprouvé est le 8ème colonial. C’est des compagnies qui n’ont pas tiré un seul coup de fusil : ils étaient empêchés par la mitraille qui tombait comme de la gèle. Pas moyen de ramper 50 mètres pour démasquer l’ennemi, qu’ils étaient réduits à recevoir des coups sans pouvoir en donner.

J’ai vu hier, à LOUVEMONT, le curé de St REMY : nous avons parlé un moment ensemble.

Hier ? On nous a fait seller à 9 h du matin…..24 h plus tard que nous n’avons pas dessellé. Nous sommes restés tout le jour en plein soleil et le soir venu, nous avons eu froid. Je suis resté dans ma grange pour passer la nuit et ce matin en me réveillant, je me suis aperçu que le convoi était parti : je l’ai rattrapé à BRAS, à trois km de LOUVEMONT. Je surveille autour pendant que les autres reposent ; je ne suis pas à plaindre à côté d’eux car si j’ai eu un peu de peine, du moins, j’ai évité les obus.

6 heures du soir, il y a eu repos pour les cavaliers. Aujourd’hui aussi, tous en ont profité…moi-même, je n’ai pas fait de sieste et j’ai lavé la tunique de mon commandant.

Hier, le 312ème a eu cinq morts et 160 blessés.

Sept heures : le canon sonne très loin.

3 septembre, 8 heures du soir.

Aujourd’hui, je me suis appuyé 42 km dont 15 km à pied : nous sommes partis ce matin à 5 h et rentrés ce soir à 2 h (de BRAS à LAMORVILLE par LA CROIX/MEUSE). Il a fait très chaud, ce qui a rendu la journée pénible. Nous avons rencontré quantité de chevaux abandonnés morts au bord de la route.

Ce soir au bivouac, tout le monde se raconte ses impressions du combat, mais je suis si harassé…je ne puis le raconter ce soir, je vais me coucher, le cœur gros de penser à ma famille.

4 septembre, le soir.

Aujourd’hui, repos pour tout le monde. Je suis à la rivière pour faire baigner la jument de l’officier. Pompier à reçu un coup de pied et n’a plus que trois jambes. Ici, on a des nouvelles et elles ne sont pas très rassurantes : les allemands sont tout près de Paris, dit-on.

Ce n’est guère encourageant, mais il est encore permis d’espérer : la guerre n’est pas encore finie.

ON PARLE ENCORE DE SIX MOIS

Grand DIEU, que çà va être long et moi qui languit tant, je crois que je vais devenir fou.

Si au moins j’avais des nouvelles de ma MARCELINE, si je pouvais savoir quelque chose de…ne serait rien mais je me fais beaucoup d’idées. Pendant que j’écris, je me demande pourquoi ma MARCELINE ne m’écrit pas ne serais-ce qu’un mot pour savoir que la santé est bonne. Je voudrais bien ne pas y penser toujours, mais je ne le peux dans les tracas de la vie en campagne, n’arrivant pas à me distraire de ces pensées.

Tous les jours, je pense à mon retour à la maison et je vois ce jour si beau, si beau (répétition) que je ne puis le décrire. Mon fils qui sera grand, ma MARCELINE qui dansera comme une jeune fille.

Ma Mère et …….que deviennent-elles ? je n’en sais rien , hélas et j’en souffre beaucoup. J’espère tous les jours recevoir quelque lettre et tous les jours, mon espoir est déçu…

 

Aujourd’hui, j’ai touché deux paquets de tabac, quel bonheur : je vais enfin fumer quelques pipes pour déguster le singe.

Samedi 5 septembre, 5 h du soir.

Je n’écris pas beaucoup ces dernier temps : aujourd’hui, nous avons reculé de 20 km, de LAMONVILLE à CHŒUR-LA –GRANDE, en passant par St MIHIEL.

Pendant le trajet, un aéroplane et passé sur nous et a tiré et c’est un renfort de St MIHIEL qui a réussi à le descendre. Comme nouvelles, on dit que le 1er septembre, il y a eu des artilleurs du 38ème de NIMES, qui ont eu peur et qui se sont enfuis avec leurs chevaux, laissant sur place les canons et leurs servants.

Le lendemain, on en aurait fusillé 75 aux environs d’ETAIN. On dit aussi que le 312ème de ligne aurait refusé de marcher au moment de combattre : le Général a été obligé de mettre revolver au poing pour les obliger à marcher. Cà n’a pas réussi, alors il a dirigé sur eux deux batteries d’artillerie et ils se sont décidés à la fin de la journée.

Ils ont eu je crois cinq morts et 160 blessés : ce n’est pas énorme pour un régiment complet. Aujourd’hui, il est rentré à notre escorte deux sous-officiers et un cavalier du 1er Chasseurs de CHATEAUDUN : c’est tout ce qu’il reste de la 67ème division…

Dimanche 6 septembre (1914), 8 h du soir.

Aujourd’hui, jour de grande bataille : mes collègues sont partis ce matin et je ne les ai pas vu rentrer : pour cette nuit, nous couchons dehors sur l’herbe et il ne faut pas desseller.

Nous sommes à LONGCHAMPS en passant par PIERREFITTE. Le canon a tonné tout le jour et les nouvelles sont bonnes : les allemands sont repoussés !

Lundi 7 septembre, 6 h du matin.

J’ai mal dormi cette nuit, l’herbe était humide et le temps très frais. Plutôt que d’attraper des douleurs, j’ai préféré ne pas ….

Mes collègues ne sont pas rentrés ce matin : à 4 h, le canon a commencé à tonner : c’est le réveil en fanfare. J’entends aussi les mitrailleuses et les fusils : çà ne doit pas être loin. En ce moment, il y a deux aéros sur notre tête, mais je crois qu’ils sont français car personne ne tire dessus. Depuis hier, 5 h, les chevaux sont sellés, prêts à partir.

Je viens de déjeuner avec un litre de lait : à trois sous, ce n’est pas la peine de s’en passer. Hier, j’ai dîné avec de la viande froide et j’ai acheté 1 litre de vin à 16 sous, et 6 sous de gruyère : c’était un dîner de roi. Il faut être riche comme je suis ou plutôt comme le Lieutenant car c’est lui qui régale ! Le canon ne s’arrête pas et je crois même qu’il tonne plus fort que le 1er septembre à BEAUMONT.

Il est passé tout à l’heure des automobiles de blessés et ils disent qu’ils ne sont pas nombreux.

 

11h ½, il est passé 22 prisonniers allemands qui avaient l’ai fatigués. Un aéroplane vient d’être démoli par notre artillerie : il est tombé pas loin de nous au troisième coup de canon.

Je viens d’écrire une carte à ma CAROMI (il semble que ce soit le diminutif de MARCELINE, sa femme) et à ma mère : puissent-elles les recevoir et m’envoyer de leurs nouvelles. Nous sommes toujours dans le même près, et il fait très chaud.

 

8 h du soir.

Je me suis fabriqué une tente et je serai très bien pour la nuit : j’ai de la paille et du foin. Mes camarades de l’escorte ne sont pas rentrés depuis hier ; la bataille a duré toute la journée et à présent, le canon s’est tu : il paraît que ces deux journées ont été terribles.

Hier, les allemands ont été repoussés, mais ils sont revenus prendre les mêmes positions dans la nuit ; la surprise a été grande pour nos troupes.

Depuis ce matin, les voitures ne s’arrêtent pas de transporter des blessés : une main traversée, deux doigts emportés, un bras emporté, deux jambes broyées, le corps en mille morceaux : telles sont les blessures que l’on entend raconter.

Les 34, 38, 42 coloniaux, le 203, le 311, le 312 sont presque détruits. Par exemple, du 38 colonial, il ne reste que 600 hommes sur 2100 ; je tiens ce que je raconte de leur commandant qui a lui même reçu une balle dans l’omoplate. Son régiment est passé par 7 à 8 mains mais a été sauvé par un Sergent. Un commandant de ses collègues, a été tué devant lui, pendant qu’ils causaient. Tous les capitaines et tous les officiers ont été blessés ou tués : c’est un adjudant qui a ramené les débris du régiment. Le 38ème est le régiment où sont BOULZE Maurice, GALTIER, et pas mal d’Aléziens que j’ai vus il y a huit jours.

 

Peut-être, à présent, ils n’existent plus mais il est vrai que mon tour viendra peut-être.

Je ne puis m’endormir sans une pensée pour ma femme et mon fils, ma mère qui ne me reverra peut-être plus. Je n’ose ce soir leur faire mes adieux, mais j’ai le cœur gros ! Toutes ces voitures de mutilés m’ont fait de la peine.

Le combat à eu lieu du côté de CHAMONT-ISSONCOURT. Je languis de revoir mes collègues d’escorte ; ils me donneront de grands détails sur ces deux journées. Je suis maintenant heureux d’avoir accepté d’être ordonnance car je n’ai pas encore vu le feu. Ce soir, je vais prier le bon DIEU pour qu’il conserve la santé de mon Lieutenant parce que s’il venait à mourir, je serais obligé de faire comme les autres et d’aller me faire trouer la peau ; mais si çà ne se faisait trouer que dans la main ou dans le pied, çà ne serait rien, mais les balles, çà ne prévient pas.

Mardi 8 septembre, 8 h du matin.

Je suis toujours dans le prés à LONGCHAMPS : la canonnade a duré toute la nuit et continue toujours très violente. On dit que les régiments d’active du XVème corps sont arrivés cette nuit : je n’ai pas encore vu l’escorte, mais j’ai des nouvelles : il paraît qu’elle l’a échappé belle, mais qu’ils sont encore intacts.

Depuis ce matin, les aéroplanes sont sur notre tête : les canons tirent dessus mais les manquent. A midi est arrivé l’ordre de départ : nous sommes à VASSINCOURT en passant par NEUVILLE. J’ai retrouvé l’escorte : ils sont tous en bonne santé ; tout le long du chemin, nous avons rencontré des blessés en quantité.

On a installé un hôpital à l’église de PIERREFITTE, à une quinzaine de kilomètres du champ de bataille.

9 septembre, midi.

La nuit dernière, j’ai couché sur la paille dans une grange, pour dormir un peu. Hier soir, avant d’aller dormir, je fumais ma pipe devant la porte et je pensais à mon pays.

J’ai vu passer deux soldats du 203ème : ils ne pouvaient plus se traîner. Il y en a un a qui il manquait un bout de chair au côté, à peu près gros comme une sous-tasse. Il avait été pensé il y a trois jours et l’autre avait une balle dans le bras droit et une autre dans l’épaule depuis trois jours. Ils étaient dans la montagne, sans secours et sans rien à manger.

Je les ai arrêté et les ai fait causer.

Je les plaignais beaucoup et leur ai donné une boite de singe et quelques biscuits de  guerre. J’ai fait du café et leur en ai donné. A voir manger ces deux pauvres diables de réservistes comme moi, le cœur le plus dur se serait révolté. Ils m’ont remercié au moins vingt fois avant de me quitter et je les ai accompagné jusqu’à une charrette ou il avait de la paille pour les conduire au matin à l’hôpital le plus près.

Je les ai croisé sur la route et ils m’ont reconnu !

En ce moment, les obus allemands passent sur notre tête ; on les entend siffler et c’est effrayant. Les chevaux sont sellés depuis ce matin cinq heures, prêts à partir.

Il y a près de nous les survivants du 34ème colonial, ils racontent les terribles blessures qu’ils ont vu.

Par exemple, un médecin-major qui avait le corps criblé de balles et qui continuait à soigner les blessés. A un moment, il s’est décidé à se faire panser ; on l’a entendu derrière une meule de paille et lorsque tout a été fini, il a reçu une autre balle qui lui a perforé le poumon. Il a alors dit : « je suis touché à mort, laissez-moi ».

Il s’est étendu comme pour dormir et cinq minutes après, il était mort.

10 septembre, après-midi.

Je n’ai pas écris depuis hier car nous avons eu tellement de tracas, que j’étais fatigué. Donc hier soir à six heures, nous venions de manger la soupe, quand tout à coup un obus suivi de nombreux autres éclataient dans le village où nous étions cantonnés.

Pas de doute, nous étions repérés alors ordre est donné de rejoindre VASSINCOURT. Nous sommes allé jusqu’à NEUVILLE où nous nous installons à notre aise mais nous comptions sans les allemands. Encore de nouveaux obus et ordre de départ pour nous arrêter à 2 km, dans un champ de blé où les obus nous poursuivent. Nouveau départ jusqu’à LONGCHAMPS où il est deux heures quand nous arrivons. Nous ne dessellons pas et la pluie se met de la partie.

 

Nous sommes parti à 5 h, toujours sous une pluie battante ; le route est encombrée de charrettes de paysans qui fuient. Rien n’est plus triste que ces défilés de familles entières ou tout le monde pleure. Les routes sont défoncées par tant de voitures : de la boue en quantité. Et nous, les soldats,….

Nous traversons PIERREFITTE, où nous croisons le 1er Dragons (avec la lance), le 13ème le 7ème Cuirassé, le 20ème Chasseurs, le 155ème de ligne : il faut laisser passer tout ce monde ; ils ont de la boue jusqu’aux couilles. Entre temps, la bataille avait commencé à minuit et d’après les blessés, c’était une boucherie : on ne voit pas si l’on tire sur des ALLEMANDS ou des FRANÇAIS.

Et puis, les allemands en ont encore fait des leurs. Par exemple, ils ont fait sonner le cessez-le-feu par leur clairon ou bien, ils ont crié « ne tirez plus ! Vous tirez sur des français !  ». La bataille n’a pas cessé et il est 3h du matin : le canon sonne très fort et nous sommes à VILLOTE-St MIHIEL, mais l’on parle de repartir.

J’ai un peu dormi cet après-midi et le temps est toujours à la pluie.

Les manteaux et les couvertures sont mouillés. Mon DIEU, où est donc notre maison, où est donc notre famille ? La reverrons nous ?

Vendredi 11 septembre, 9h.

Le mauvais temps m’empêche décrire.

Samedi 12 septembre, 3 h de l’après-midi.

Jeudi soir, j’ai quitté mon journal vers 8 h du soir ; je suis entré dans une grange pour dormir un peu dans la paille, mais tout d’un coup, patatras, à 11h départ.

Nous mettons 4 h tellement il y a des soldats sur les routes : nous allons de VILLOTE à St MIHIEL, mais deux ou trois heures après le départ pour PIERREFITTE, la pluie ne cesse de tomber et nous sommes mouillés jusqu’aux os et il faut rester tout le jour, sous l’eau, dans un champ.

Le soir, n’y tenant plus, nous allons au village où nous couchons dans une grange. Le matin, nous nous réveillons à cinq heures et le convoi est parti pour je ne sais où.

Enfin des nouvelles de JEAN et de RAOUL : j’ai vu MAZEILLER Henri qui m’a dit que JEAN avait été blessé le 25 août à ETAIN. Une balle lui aurait traversée le bras et un éclat d’obus lui a éraflé la cuisse.

M’a -t-il dit la vérité ? Mon Dieu, je le voudrais ! Quant à RAOUL, je l’ai vu moi-même ; il est bien portant. J’ai été tout heureux de la voir et de causer un moment avec lui.

Depuis ce matin, nous sommes revenus à LONGCHAMPS : il pleut toujours et il y a de la boue à ne plus pouvoir en sortir.

La bataille se poursuit toujours, mais tout doucement ; il parait que les allemands ont reculé, que l’armée française est victorieuse dans le Nord, que les Russes sont à 40 km de BERLIN, que les Russes et les Anglais ont envoyé des troupes en France. On dit beaucoup de choses aujourd’hui et elles seront contredites demain.

J’ai vu HUGON au 240ème, BRUNETON du 38ème d’Artillerie.

Dimanche 13 août, midi.

Hier, j’ai eu de la chance et j’ai reçu des nouvelles de la famille, de JEAN, de RAOUL, de ma mère, de ma sœur, de ma femme et de mon fils.

Quel bonheur pour moi, depuis un mois et demi que j’attendais. Les cartes que j’ai reçues sont datées du 22 août et nous sommes le 12 septembre mais mieux vaut tard que jamais.

Je ne vais plus reconnaître le petiot, il aura grandi. Mais comme les nouvelles de la guerre sont bonnes, j’espère que çà ne traînera pas et ce ne serait pas malheureux !

On dit que le plus beau jour de la vie, est la 1ère communion, mais c’est pour les enfants…On dit aussi que le jour du mariage est un bien beau jour, mais aucun moment ne vaut le jour de notre retour à la maison ! Oh, non, non.

J’ai encore reçu dix francs, ajouté aux nouvelles que j’ai reçu, c’est le comble. J’avais justement donné quelque chose à RA…(RAOUL ?).

Je ne me suis pas aperçu que nous étions Dimanche car nous sommes partis à 3 h de LONGCHAMP pour arriver à 10 h à VILLERS/MEUSE.

Il pleut de nouveau.

Lundi 14, 10 h du matin.

Les chevaux sont sellés depuis 4 h du matin et je viens d’apprendre que le S/Lieutenant RULLE du 7ème génie est mort de ses blessures.

2 heures de l’après-midi : nous sommes toujours à attendre et il pleut toujours.

Notre Général est parti ce matin, il paraît qu’on lui a retiré le commandement de la Division.

J’ai écrit à ma CAROMI, à ma tante, à BLANCHE, et à Madame la BARONNE.

8 h du soir.

Nous sommes toujours à HAUDIOMONT. J’ai écrit à ma mère, à LAUPIES, à Mr RIEUTORD.

Jeudi 17, 3 h du soir.

Toujours à HAUDIOMONT : je fais des frites, de la compote de pommes ou de prunes et c’est délicieux.

J’ai écrit à ma CAROMI, à M. BAYON, à RODOLPHE. C’est une manie qui m’a pris il y a quelques jours et il est vrai que je languis énormément quand je n’ai pas de nouvelles mais je languis aussi à présent que j’en reçois. Il pleut toujours et il y a de la boue à n’en plus finir. Voilà trois jours que nous ne faisons plus rien.

Le canon tonne à VERDUN, à 14 km d’ici. Les allemands ne sont pas loin mais il leur est impossible d’avancer davantage.

Vendredi 18 septembre, 7 h du matin.

Toujours à HAUDIOMONT et il n’y a pas autre chose à faire que de penser à CAROMI, et à mon fils que je languis tant de revoir.

Il paraît que les allemands reculent tous les jours.

Samedi 19, 8 h du soir.

Aujourd’hui, départ pour aller à EIX. Il a plu tout le jour et les vêtements sont lourds et mouillés.

Dimanche 20.

Aujourd’hui, étape d’EIX à FLEURY DEVANT DOUAUMONT : l’humidité a eu raison de moi et je suis tout courbaturé ; j’ai les épaules meurtries par mon fusil, je n’ai pas mangé : où est donc ma maison, ma CAROMI, mon lit bien chaud ? Où est-ce tout çà ? Bien loin , hélas.

Une bonne infusion me guérirait.

Lundi 21 septembre, midi.

Nous sommes toujours au repos et le canon ne tonne plus depuis cinq à six jours; ce n’était pas malheureux car notre 65ème Division était bien éprouvée: il lui manque plus de la moitié de ses hommes. Aujourd’hui, on dit que les allemands reculent de plus en plus.

Mardi 22 septembre, 8 h du matin.

Nous sommes toujours à FLEURY, à ne rien faire du tout ; j’ai touché du tabac et j’emploie mon temps à fumer des pipes.

1h après-midi. Pendant que les autres sont à cheval, je suis moi-même à la promenade avec le cheval de l’officier. Le canon tonne sérieusement à nouveau. Il paraît que la bataille va recommencer.

Notre nouveau Général est arrivé depuis hier : c’est le Général LEGROS.

J’ai écris à maCAROMI, à ma mère, à MARIE. Ici il y a beaucoup de familles d’émigrés qui….comme les soldats.

Mercredi 23 septembre.

Décidément, la guerre n’est pas trop pénible pour moi. Les collègues sont partis ce matin et moi-même, je suis resté au cantonnement à FLEURY. Hier, j’ai trouvé un litre de vin à 1,50 et aujourd’hui de la bière à 0,45 centimes : il n’y a moyen de boire avec ces prix là.

Jeudi 24, 9 h du soir.

Hier soir, je croyais rester tranquille à FLEURY, mais on a donné l’ordre de partir à 5 h.

Les allemands ont fait un retour offensif du côté de St MIHIEL et nous voilà donc partis à 6 h, nous traversons VERDUN par la gare. Nous avons vu beaucoup de soldats qui embarquaient et à un moment, j’ai cru que nous allions embarquer nous aussi mais il a fallu continuer jusqu’à DUGNY, à 8 km de VERDUN où nous arrivons à 11 h ½ mais le temps de chercher un cantonnement, il est minuit passé quand je me couche, mais l’officier me dit de le réveiller à 3 h ½.

Le soucis de ne pas me réveiller, je passe la nuit blanche et ce matin donc, départ à 4 h ¼. Nous passons par des tas de villages : ANCEMONT, MONTHAINON LE PETIT, MONTHAINON LE GRAND, VILLERS/MEUSE, RECOURT, BENDILE, VAUX et enfin THILLOMBOIS où nous arrivons à 10 h du matin.

Ici, nous  sommes très bien installés dans une grande ferme tout près d’un magnifique château appartenant à M. Le COMTE DE VETTANCOURT, actuellement sous-officier au 12ème Dragons. Je vais coucher sur ma selle car il paraît que nous partons cette nuit. Le canon a tonné sérieusement aujourd’hui et à 5 h du soir, les premiers blessés commencent à arriver.

Il y a plus de huit jours que je ne n’en avais pas vu mais ce toujours les mêmes blessures, les mêmes faces abîmées par la douleur.

Vendredi 25, 7 h du matin.

A 10 h ½, alerte des hommes de l’escorte, on selle et à 11 h tout est prêt : nous attendons sur place jusqu’à minuit, puis on vient nous dire de rentrer les chevaux, de ne pas desseller et de dormir derrière les chevaux.

On s’installe tant bien que mal et on attend.

Il est 7 h du matin, aucun nouvel ordre n’est venu nous déranger, mais voilà le jour et le soleil que nous n’avions  pas vu depuis quinze jours. Un peu d’eau pour se laver la figure et voilà tout le monde qui cherche à tuer le temps. Je fais du café et me voilà prêt à partir.

 

Page volante :

Tout à l’heure, je vais à la messe et je demanderai au bon dieu de m’accorder la grâce de vous revoir. Oh, oui, je veux vous revoir, quand bien même blessé ou mourant, je veux vous revoir, mes deux chéris.

Je suis allé à la messe de dix heures : le curé a fait un très beau sermon sur l’amour de la Patrie. Au retour, je mange la salade, les haricots, et le singe. J’ai là une bouteille de bière ; elle est beaucoup moins chère que le vin et d’ailleurs, je l’aime tout autant.

8 h du soir.

Etant de garde, je couche à l’écurie, mais ce soir, çà m’est égal car depuis que je suis parti, j’ai couché sur de la paille. Ce soir, j’ai rencontré des jeunes gens d’ALAIS (ALES), des réservistes comme moi : ils m’ont raconté qu’ils avaient vu plusieurs alaisiens blessés et même sérieusement. Je crois que notre tour arrive.

 

J’avais acheté du sucre et du café à FLEURY, mais il y avait beaucoup d’enfants émigrés qui pleuraient, les pauvres

Ils sont mal vêtus, mal logés, mal nourris : toute la nuit sur de la paille comme les soldats. Tout le jour, ils rodent autour des feux, ils font pitié ; je leur partage mon chocolat, pensant à mon petit MAX.Aujourd’hui, je vois FORTUNE, d’ALAIS, qui me dit qu’il n’a pas mangé depuis trois jours parce qu’il est malade : il a une dysenterie terrible et sa figure fait peur.

Il me reste cinq ou six tablettes de chocolat que je lui donne ainsi que quelques morceaux de sucre ; il est tout heureux du service que je lui rends et si quelque jour j’étais comme lui, je voudrais bien qu’on m’en fasse autant. Pour le moment, je suis en très bonne santé et je peux bien me passer de certaines gâteries.

Samedi 26 septembre, midi.

Hier, à 3 h, nous sommes partis à THILLOMBOIS : l’escorte est allé au poste de Commandement car la bataille a recommencée. Je suis moi-même en convoi. Avant de partir, j’ai causé un moment avec le cocher du Château : il m’a dit qu’il avait vu M. le Baron vers la fin août.

Donc, à 3 h, départ.

Nous allons à NEUVILLE en VERDUNOIS où nous étions, il y a quinze jours environ. Nous passons par COUROUVRES (proche de Commercy dans la Meuse) cherché une grange pour m’abriter un peu la nuit, et après avoir dîné d’un beefsteak, je me suis couché. Ce matin je me suis levé à 6 h, tout heureux d’avoir passé une bonne nuit au chaud et surtout bien tranquille.

En allant chercher un jus, un….que je connais, m’offre un thé au lait que j’accepte volontiers et je déjeune bien. A 8 h ½, départ pour PIERREFITTE où nous sommes arrivés à 10 h. Il fait une journée magnifique, mais les chevaux sont toujours selles car nous pouvons partir d’un moment à l’autre. Sur le fronton de l’église de PIERREFITTE, il y a SOLI DEO HONOR ET GLORIA.

Dimanche 27, 2 h.

Hier soir, par charité, les gendarmes m’ont fait place dans leur grange où j’ai passé une bonne nuit.

Le matin, je me suis offert un litre de lait pour déjeuner. Cà fait trois jours que je n’ai pas revu l’escorte : la bataille dure encore aujourd’hui et ce doit être terrible à en juger par le nombre de blessés qui passe ici.

Mais les nouvelles sont bonnes : encore une fois, on a repoussé les allemands. Quel triste dimanche on passe ici et comme il n’y a rien pour le rappeler, j’ai manqué la messe qui avait lieu tout près.

En attendant la soupe, j’ai trouvé une lettre pour moi : c’est ma THERESETTE qui est venue passer un moment avec moi ; je suis très heureux d’avoir reçu sa gentille lettre. Ma mère ne va pas bien, et ma CAROMI n’est pas malheureuse.

Mon fils est très sage et se porte bien et c’est tout ce qu’il me faut. Une chose m’attriste, c’est que MARGOT a quitté la maison mais si je pouvais lui écrire à mon aise, je lui ferais bien une longue lettre. Il est vrai que nous sommes si pauvres et qu’elle a été bien malheureuse chez nous. Certes, il vaut mieux être demoiselle et n’avoir pas à aller à l’atelier tous les matins : c’est un dur travail et si beau, la perspective de ne rien faire pour gagner son pain.

Ma pauvre MARGOT, il faudra bien que tu vides un peu ton cœur devant moi. J’aimerais tant connaître les raisons qui t ’on fait décider de quitter la maison, notre pauvre mère que tu avais l’air de tant aimer, notre THERESETTE qui te faisait tant languir quand tu ne la voyais pas de deux jours, ma petite maison à moi où tu étais reçue de si grand cœur et où tu venais avec tant de plaisir, même en t’échappant.

Je me tais.

C’est sûr, une lettre t’arrivera sûrement le jour que je voudrai te parler. Donc, ma THERESETTE me dit que ma CAROMI est allée au château : j’en suis tout heureux. Je suis heureux que Me la Baronne vous fasse avoir du pain. Quelle illusion vous faites-vous à la maison de savoir que JEAN est à AVIGNON, RAOUL à NICE et moi à ANTIBES.

Si vous saviez que nous sommes si loin, vous vous alarmeriez sûrement et il vaut mieux que vous ne le sachiez pas.

Mardi 29, 2 h après-midi.

Voilà cinq jours que la bataille dure. Je ne sais rien et ne vois que des convois de blessés. J’ai encore couché dans ma grange et lundi matin, un cycliste me dit que l’officier me demande à RUPT à 7 km de PIERREFITTE. Je selle donc et me voilà parti. En route, j’apprends que nous avons des lettres à VILOTTE qui est à 5 km de RUPT. Je trouve le vaguemestre qui trouve tout un sac de plus de 40 lettres pour nous. Heureusement, j’avais……çà m’ennuyait tellement de n’avoir plus de nouvelles.

De retour à RUPT, l’escorte est sur le départ pour THILLOMBOIS, je pars avec eux et depuis hier, je suis installé dans une grange, près du Château. Le canon continue et je voudrais être avec vous, mes chéries. Je voudrais être à TAMARIS et passer devant la maison avec le bissut, mais pour le moment je suis bien loin ,mais ne désespère pas de revenir.

J’ai deux cartes de BLANCHE datées du 16 et du 21 septembre, une lettre de ma CAROMI datée du 17 août, et une lettre de Me BAYON du 21 septembre.

Elles m’ont toutes fait plaisir.

Mercredi 30 septembre, midi.

Après la soupe, je me suis assis au soleil qui me rappelle un peu le Midi. Les journées sont assez belles, mais les nuits sont très froides. J’ai du tabac à volonté et ce n’est pas malheureux mais j’ai perdu ma pipe depuis trois jours, et çà, c’est un véritable malheur. J’ai reçu une carte de THERESETTE du 15 septembre ; c’est assez nouveau.

Je réponds à ma CAROMI, à Me BAYON et à la carte de THERESE.

Les journaux d’aujourd’hui racontent que le gouvernement fait préparer des tricots, des…., et des gants de laine pour les soldats. Ils n’auraient pas sans doute l’intention de nous faire passer l’hiver ici, ces messieurs ! Cà serait bigrement terrible et qu’est-ce que ce sera s’il faut rester encore trois ou quatre mois.

Jeudi 1er octobre, 10 h du matin.

Je suis toujours à THILLOMBOIS dans la chambre de l’officier, devant un bon feu et je pense à mon pays, à ma famille, à mes amis.

En voyant ces pays tout dévastés où les dernières récoltes sont en train de germer sur place, où les prochaines semailles ne peuvent se faire, je me dis que nous sommes heureux dans le midi de ne pas voir tout cela. Si nous y retournons, nous aurons le plaisir de retrouver notre maison comme nous l’avons laissée. Ici, il y en a la moitié de brûlées ou vides de tout.

Nous aurons le plaisir de revoir nos champs ensemencés, nos vignes taillées, en somme,  la perspective d’une prochaine récolte. Ici, rien de tout cela.

J’ai reçu une carte de ……J’écris à ma CAROMI, à Me la Baronne, Mr RIEUX, à LAUPIES, à BLANCHE mais de très loin et je voudrais être à la place des lettres.

Octobre est le commencement du 3ème mois de la guerre. Combien çà va-t-il durer ? Dieu seul le sait.

Vendredi 2 octobre, 4 h du soir.

Je suis toujours à THILLOMBOIS, à ne rien faire.

Mon collègue, m’a prêté sa chambre pour écrire et j’en profite. J’écris à la Sœur Supérieure à ALGER, à M. TEISSIER, à ma CAROMI. J’ai tellement écris ces derniers jours que je ne sais plus à qui écrire.

Samedi 3 octobre.

J’écris à CAROMI pour lui demander des chaussettes, et surtout, une pipe. Je suis au coin du feu en attendant l’officier qui n’est pas encore rentré.

Vaudrait mieux être autour de mon fourneau à moi, à TAMARIS.

Dimanche 4 octobre.

Journée à ne rien faire : j’ai écrit à MARCELINE pour notre 2ème anniversaire de mariage.

On dit que du côté de REIMS, il y a 20 000 allemands prisonniers, que de notre côté, ils sont complètement en déroute

 

Page manquante

 

…blessé car Me la Baronne me dit qu’il va très bien et qu’il ( ?) est en Champagne.

Mardi 4 octobre.

Le temps est à la pluie : il ne manquait que çà pour nous ennuyer un peu moins.

Mercredi 7 octobre, 1h après-midi.

Je suis en ce moment-ci à la promenade de mes chevaux : il fait une journée magnifique et hier, il pleuvait. J’ai fait le tour de la propriété de M. le Comte : de belles allées sous les arbres, de vastes prairies où il y a des chevaux abandonnés parce qu’ils sont blessés ou malades mais qui ont l’air de se trouver heureux parce qu’ils sont en liberté.

Pour ma part, je fais une belle guerre. La chose qui m’aura donné le plus de peine aura été de tuer le temps.

Au retour, j’ai trouvé une lettre de …..

Jeudi 8 octobre, 1 h après-midi.

THILLOMBOIS toujours : le canon tonne toujours sérieusement depuis hier au soir.

J’ai reçu aujourd’hui une lettre de BLANCHE du 28 sep. et une de MARGOT, du 30. je vais leur répondre de suite parce que j’ai le temps. Je suis au coin du feu : dehors,  il fait un vent terrible et c’est ici que c’est le plus agréable….

Vendredi 9 octobre, 9 h du soir.

Mes collègues sont rentrés hier à 6 heures du soir et à 10 heures, il leur a fallu repartir pour ne rentrer que ce soir à 5 h.

Ce matin, un aéro allemand est passé sur nos têtes et on lui a tiré dessus au moins 30 coups sans l’atteindre. Le canon a grondé toute la nuit et toute la journée d’aujourd’hui.

Mon corps est ici mais ma pensée me fait être sur la route de Pont de GRABIEUSE, de TAMARIS, et c’est pourquoi je vois beaucoup de gens sur mon chemin : LISETTE, le père TRIBES, M. BOULZE, LAUGRIES, M. RIEUTORD, les TEISSIER fils, l’administration, le concierge, le boulanger, PAULETTE, l’autre concierge, le père TEISSIER, Me DAUMIER, et beaucoup d’autres auxquels j’ai l’habitude de dire quelque chose lorsque je les rencontre. Si je fais cette énumération, c’est uniquement histoire de blaguer.

Il est vrai que de toute la journée, je vois pas mal de petites choses que je ne puis raconter mais qui se gravent dans la pensée et qui deviendront des souvenirs : untel raconte comment il fut un jour surpris par des allemands, comment il fut blessé, comment il vit ses camarades tomber à côté de lui. Un autre raconte comment depuis quinze jours il couche dans les bois avec son régiment.

Un autre raconte qu’il a fait une reconnaissance et surpris une patrouille allemande. Et ici, ce sont des histoires de garde d’écurie, ou de corvée de cuisine comme on dit en termes militaires. Tout cela est intéressant, mais je ne l’écris pas car il faudrait un wagon de carnets.

Samedi 10 octobre.

Tout le monde est parti après le déjeuner, enfin, l’escorte car me revoilà seul. Le soir, dans la grange, tout le monde raconte des sornettes : j’en ai retenu quelques unes :

Un moine, des messieurs, une vieille Duchesse et d’autres messieurs. 12 contestations sur ce chiffre, jeux de camarades au sortir de l’école : je ne les raconte pas mais je m’en souviendrai.

Cette nuit, comme il fait lune, un aéroplane est passé sur la ferme où nous couchons.

Il paraît que la bataille qui s’est engagée, se fait dans des conditions difficiles : les allemands se sont fortement retranchés et il n’y a pas moyen de les déloger. Les français se sont retranchés aussi et comme l’on ne veut plus qu’il y ait des quantités de morts ou de blessés comme il y en a eu jusqu’à présent, on s’observe. Jusqu’à quand çà va durer ? Que je soit à THILLOMBOIS depuis si longtemps est une preuve que çà n’avance pas vite. On dit que tous les villages autour de St MIHIEL sont brûlés .

A DOMP…., il ne reste que le clocher debout, l’église étant elle même démolie ; toutes les habitations sont en ruine.

 

Relisant mon journal, j’ai constaté que beaucoup de choses que j’ai dites sont contredites quelques jours après : c’est bien là, les fameuses décisions des cuisines ! J’ai lu aussi que les allemands reculent, mais ils sont au même endroit. Cependant, je ne puis raconter que ce que l’on me raconte ou ce que je vois de mes propres yeux : je ne veux rien inventer. Je veux que mon journal soit la reproduction fidèle de ce que je vois et ce que j’entends.

 

Je viens de préparer la chambre du vieux (oh ! Pardon, c’est la première fois que j’utilise ce terme). J’ai reçu aujourd’hui une carte de ma MARCELINE datée du 4 octobre, c’est assez récent.

J’ai répondu tout de suite. Je suis content des bonnes nouvelles qu’elle m’a apportée car pour moi, qui dit bonne santé, dit bonnes nouvelles. Qu’ai je à désirer de plus pour les miens ? Je sais bien qu’ils ne peuvent avoir la fortune : l’essentiel, c’est qu’ils aient la santé car avec cela, on se tire de tout.

Je m’aperçois que mon deuxième carnet (nous n’avons eu que celui-ci) tire sur sa fin.

 

Ce soir, mon officier m’a dit que çà serait long car les allemands sont si fortement retranchés, qu’il n’y a rien à tenter pour le moment. Tous les soirs, on essaie bien des attaques et des contre-attaques mais çà ne sert à rien. Il faudra cependant bien que quelque chose se décide d’un côté ou de l’autre.

Aujourd’hui, pas un seul coup de canon n’a été tiré ni d’un côté, ni de l’autre.

Dimanche 11 octobre 1914.

Aujourd’hui encore, repos à THILLOMBOIS. Ce matin, je suis allé à la messe. La nuit dernière, nos troupes ont attaqué et la fusillade a été vive. Je pensais à ces pauvres malheureux qui non contents de passer la nuit dehors, étaient exposés aux coups de canons et au froid.

Je viens d’écrire à THERESE pour sa fête, à ma CAROMINO et à CLAUDE.

6 h du soir

Les camarades sont déjà couchés, mais il est beaucoup trop tôt pour moi.

…..ils sont pour ainsi dire à la rue, ou bien obligés de roder autour de feux de cuisine où l’on se brûle d’un côté et l’on se gèle de l’autre avec encore les pieds dans la boue : il vaut encore mieux qu’ils aillent se coucher.

Jusqu’à présent, l’escorte touchait le café à l’EM (état-major) et c’est à peine si nous avions ¼ chacun et comme en temps de guerre, on touche la ration forte, il me semblait que nous devrions en avoir davantage à boire.

J’ai demandé à faire le café moi-même pour l’escorte et j’ai réussi : je dis que c’est une veine, car j’adore le café et comme  nous approchons des grands froids, je serais heureux  lorsque je pourrai m’offrir un quart de café bon et chaud.

Cet après-midi, un aéro allemand est venu jusque sur nous et nos canons ont tiré dessus sans l’atteindre. Le canon a beaucoup tonné du côté de St MIHIEL, mais j’ignore ce qui s’y est    passé. Si j’étais moins loin de mon pays et de ceux qui me sont chers, je crois que je finirais par me trouver bien au château de Mr le Comte de VETTANCOURT.

Lundi 12 octobre.

Je n’ai pas eu de nouvelles aujourd’hui, mais j’ai écrit à MARCELINE, le père TEISSIER, et à ma belle-sœur MARIE. Ce soir l’escorte est partie à 6 h pour je ne sais où et je suis complètement seul. Le canon tonne.

Mardi 13 octobre, 7 h du matin.

Je viens de me faire un excellent café pris dans le rabiot et je suis dans la chambre de l’officier, au coin du feu : peut-être, je ne le reverrai pas de la journée.

Il y a une gelée blanche terrible ; la nuit a due être dure pour les soldats qui ont couché dehors et mes collègues de l’escorte sont de ceux-là. Le canon ne s’est plus fait entendre depuis hier soir et je ne comprends pas bien le brusque départ des troupes. Il fait jour depuis plus d’une heure et on n’entend encore rien.

D’un autre côté, depuis plus de deux heures du matin, des paysans qui quittent leur village ne cessent de passer : c’est pénible à voir. Sur la même charrette, il y a des bottes de paille, des matelas, des sacs de linge, des familles entières blotties les uns contrer les autres pour lutter contre le froid et derrière les charrettes, tout ce qu’on peut emmener de vaches.

Personne ne dit rien, mais tous sont bien tristes.

Hier au soir, les troupes ont reçues du  linge offert par les Dames de France : il y a des flanelles, des tricots, des chemises, des chaussettes, des pipes, du papier à cigarettes, etc…

6 h du soir.

Soleil ce matin, mais à présent, il pleut et avec tous ces soldats et ces voitures, il y a de la boue partout. L’escorte est rentrée à 10 h : ils ont passé la nuit dans les bois, l’officier en tête, aussi  ont-ils songé tout de suite à prendre quelque chose de chaud et à aller dormir.

Des familles qui sont passées ce matin venaient de VOIMBAY, à 6 km d’ici. Ils sont partis parce qu’hier soir, quelques obus sont tombés sur le village et comme ils avaient entendu parler d’attaques de nuit, ils fichaient le camp.

Ils ont mis presque toute la nuit pour faire 6 km ; il y avait tellement de troupes en mouvement, qu’ils ont dû stationner des heures entières sur le bord de la route ou dans les champs.

J’ai vainement attendu le courrier aujourd’hui mais encore rien. Beaucoup de mes collègues reçoivent du linge, mais je n’en ai pas besoin moi-même puisque j’ai la facilité de me munir sur place. Voilà exactement quinze jours aujourd’hui que je suis installé à THILLOMBOIS : si çà continue, çà ne sera pas trop dur.

En ce moment, j’attends que mon officier revienne de dîner pour lui retirer ses bottes, mais pas besoin d’être pressé. Aujourd’hui, j’ai cassé le ressort de ma montre : ça, c’est un malheur car je ne sais pas vivre sans la montre.

Jeudi 15.

Toujours à THILLOMBOIS, et toujours dans la boue jusqu’au genoux. Je ne comprends plus rien à la guerre : pas de bruit de canon depuis deux jours.

Vendredi 16 octobre, 10 h du matin.

Toujours absolument rien comme travail alors que les régiments d’infanterie se font broyer tous les jours.

Voilà trois fois que l’on complète ces régiments : il y a des territoriaux de 40 ans à côté de jeunes soldats de 19 ans.

Vraiment, la cavalerie est autrement avantageuse que ces régiments de mille-pattes.

Samedi 17 octobre.

Toujours à THILLOMBOIS, et je suis lassé de soigner les chevaux et de faire le valet de chambre. Je connais çà et je voudrais marcher un peu plus souvent. Mes collègues passent quelques journées et même quelques nuits auprès du champ de bataille et voient ou font quelques chose d’intéressant, mais peut-être ça viendra-t-il.

Dimanche 18 octobre.

Toujours la même chose : pendant que tout le monde se bat à quelques kilomètres d’ici, je pourris sur place.

Mardi 20 octobre, 7 h du soir.

Aujourd’hui, tout le village de VOIMBEY a été évacué : c’est vraiment terrible de voir évacuer toutes ces charrettes de paysans chargées de malles de linge, de volailles, avec derrière, des troupeaux de vaches, de chevaux. Toutes sortes de gens sont obligés de fuir : les très vieux et les jeunes enfants font pitié. En voyant passer ces jeunes femmes dont le mari est à la guerre et qui ont trois ou quatre enfants et même plus ainsi jetés à la rue, je pense à ma CAROMI qui est très heureuse d’avoir un foyer pour s’abriter. Je pense à mon fils qui n’est pas exposé ainsi à la pluie et au mauvais temps pendant de longues journées.

Tout ce qui peut se transporter est chargé à la hâte car on ne donne pas souvent une demi-journée pour déménager.

Alors, on voit d’ici le désordre que ça cause : les vieux qui malgré tout voudraient rester, les adultes qui obéissent de bon cœur et qui se résignent à tout abandonner et même tout perdre pour toujours, les jeunes qui ne comprennent qu’à moitié le pourquoi des choses ; tout le monde vous cause en pleurant : qui raconte qu’il n’a pas le temps de déménager que sa maison était en flamme.

 

Tout cela est fait parmi le bruit de canon et les éclatements d’obus : c’est vraiment trop triste et ça fait monter la rage au cœur en même temps que les larmes aux yeux.

Que serais-ce si tous les jours j’étais sur la ligne de feu comme ces pauvres fantassins ou coloniaux ou même seulement comme mes collègues de l’escorte qui vont à toutes les heures de jour et de nuit pour porter des ordres…

Ce soir, j’ai écrit à M. et Me RIGNEAU.

Jeudi 22 octobre, 7 h du soir.

Toujours à THILLOMBOIS mais nous sommes près d’en partir.

Les allemands tiennent toujours St MIHIEL et bombardent les environs. Le canon tonne par intervalle et comme tout le monde est bien retranché, il n’y a ni avancée, ni recul.

Vendredi 23 octobre.

Pas de lettre, pas de colis, toujours la même réponse du vaguemestre.

Vendredi 30.

On sait que les allemands ont eu 1600 morts et le double de blessés dans le Nord : si c’est vrai, ça doit faire du vide quelque part. Aujourd’hui, le canon a tonné sérieusement du côté de St MIHIEL. Je n’ai toujours pas reçu mon colis et je considère qu’il est perdu.

Dimanche 1er novembre.

Les Morts

 

 

 

Aujourd’hui, il y a eu une très belle messe dans l’église de THILLOMBOIS et M. l’Aumônier a fait un très beau sermon.

Lundi 2 novembre.

Aujourd’hui, il y a eu un service chanté en l’honneur des soldats Morts pour la Patrie et comme l’église est trop petite, ce service a eu lieu en plein air. On avait construit un magnifique autel. L’aumônier a fait un discours et le Général LEGROS a fait un AVE

Il y avait beaucoup de monde.

 

Ici un dessin représente l’autel

 

 

Cet après-midi, on parle de départ et ça ne serait pas malheureux car depuis un mois, nous moisissons ici et je m’y ennuie : mon journal s’en est ressenti.

Mardi 3 novembre, midi.

Aujourd’hui, départ pour PIERREFITTE en passant par COUROUVRES. J’y rencontre RAOUL que je n’avais pas vu depuis un mois et demi, exactement depuis le 12 septembre.

Mercredi 4.

J’ai passé la journée d’aujourd’hui avec RAOUL et JEAN est passé dans le village où nous sommes : je n’ai pas pu le voir car je causais du cantonnement avec RAOUL. C’est MAZEILLER Henri qui l’a vu.

Jeudi 5.

RAOUL est parti hier soir à six heures, il pleuvait.

Aujourd’hui, tout est calme à PIERREFITTE d’où les fantassins sont partis, mais il en viendra certainement d’autres.

Vendredi 6 novembre.

Aujourd’hui, est passé le 6ème bataillon de Chasseurs de NICE : j’ai vu FAUCHER André (DCD 28/05/1915, 6ème BCP), MONTEIL, MOUTTET. Leur bataillon a été très éprouvé à MONFAUCON.

 

Samedi 7et dimanche 8, toujours à PIERREFITTE. J’ai reçu des lettres et des cartes.

Lundi 16 novembre, 5h du soir.

Toujours ici. Mes collègues sont partis ce matin à 11h ; je vais voir mon feu et attendre les résultats.

8 h du soir : il paraît que ce soir, on doit attaquer St MIHIEL qui est occupé par les boches depuis le 24 septembre.

Mardi 17 novembre.

La canonnade a été dure toute la nuit dernière et au matin, elle est plus forte que jamais.

Mercredi 18 novembre.

Je ne sais pas si l’attaque réussit ou pas mais le canon n’arrête pas ; depuis deux jours, je n’ai toujours pas revu mes collègues.

Je suis tout heureux d’avoir trouvé une bonne vieille ici. Hier, j’ai reçu un colis de RIQUEAU et ça m’a mis le cœur en fête. J’ai écrit aussi longuement à ma CAROMI.

Jeudi 19 novembre.

J’ai reçu hier, la photo de ma CAROMI, de mon fils, de THERESE, de MARGOT. Je suis tout heureux.

Vendredi 20.

L’attaque de St MIHIEL n’a pas abouti : 2000 hommes hors de combat.

Dimanche 22.

Messe à 10 h et coucher dans un bon lit chez Me Veuve MECIM.

Lundi 23

incendie de la maison MECIM.

Mardi 24.

Reçu colis où il y avait des bonbons offerts M. RIEUTORD plus deux…

Reçu colis où il y avait des pastilles Valda offert par tante MARIE plus 6 médailles d’argent.

Commencé travail de coiffeur au cantonnement.

Le soir, à 8 h, j’ai vu JEAN et lui ai donné tabac et allumettes.

J’écris peu dans mon journal, mais j’ai fait une lettre de seize pages à ma CAROMI : je pense qu’elle sera contente.

Dimanche 29 novembre 1914.

Aujourd’hui, j’ai travaillé comme un nègre : j’ai rasé toute la journée, mais je suis content tout de mêmes.

Lundi 30 novembre.

Toujours à PIERREFITTE/AIRE.

Du lundi 30 au 4 décembre, et aujourd’hui, toujours le même travail de palefrenier-valet de chambre.

 

 

 

 

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