Carnet de début de guerre de Léon Fonder (1891 - 1976)

Musicien brancardier

 du 150e Régiment d'Infanterie

 de Chauvoncourt (St Mihiel, Meuse)

 

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Mise à jour : décembre 2009

 

 

 

 

« La lecture du carnet est très difficile du fait qu'il a été écrit au crayon à papier, et que ce carnet a dû séjourner pendant une très longue période de la guerre 14-18 dans une poche. Les points d’interrogations correspondent à des mots impossibles à transcrire. »

« Si des lecteurs veulent d’autres renseignements ou en apporter sur ce régiment, les personnes mentionnées, prendre contact avec Didier. C’est avec plaisir que je pourrai alors correspondre avec eux ».

Francis Blaise-Fonder, petit fils de Léon Fonder (jan. 2006)

 

« Un détail assez étonnant, durant la journée du 24 août 1914, réuni ce carnet de campagne avec un autre carnet d’un sous-lieutenant du 19e bataillon de chasseurs. Cet autre carnet est aussi publié sur mon site  >>>  ICI  <<<<

 

 

 

 

Le 150e régiment d’infanterie était en 1914, constitué de 3 bataillons. Il tenait garnison à Saint Mihiel (le dépôt du régiment se tenait à Charleville-Mézières).

Le 150e R.I. était rattaché à la 80e brigade d’infanterie et à la 40e division d’infanterie.

Il a obtenu 5 citations à l’ordre de l’armée, ce qui lui a permis d’obtenir la fourragère jaune

 

 

 

Début de la guerre :

 

Grand bruit de guerre. Nous sommes tous mobilisés et on attend demain avec impatience. Nous comptons partir cette nuit : mercredi 28 juillet 1914.

 

 

Vendredi 31 juillet 1914 :

 

 Les enfants et leurs parents pleurent. Je vois une femme et sa fille qui pleurent à notre passage.

A Creuë, réquisitions des chevaux.

A Vigueulles, nouvel adieux car nous autres, anciens, revoyons nos hôtes des grandes manœuvres de l'année dernière : M et Mme Croix. Nous apercevons Hattonchâtel en haut d'une côte. Marche dans des souliers neufs qui font souffrir.

Echauffement des pieds.

Chaleur.

Retardataires tout au long de la route.

Arrivée à St Benoît vers huit heures. On s'arrête plusieurs heures devant le portail de l'église. Le poste de garde en face. Bouchard est de garde. Nous cantonnons dans une grange du château. Repos tout le reste de la journée.

Repas du soir à 18 h.

Coucher avec Boutrez sur le haut d'un tas de foin. Bonne nuit. Réveil à 3 h.

Samedi 1er août 1914 :

Réveil à 3h. Départ à 4h ½. Bonne journée à St Benoît.

La nuit, passage des réservistes rappelés. On creuse des tranchées depuis la veille. On barricade les routes le matin. Distributions de vives avec Bouchard. On monte la garde partout. On arrête les civils.

Dans l'après-midi, la cloche sonne. On n'y prête pas attention. Un tambour arrive, il entre dans la cour du château et bat la générale. A 5h 30 la cloche avait sonné le tocsin.

Le soir, Jaignot nous sort une partie d'un article d'un journal allemand. Les réservistes arrivent enthousiastes. Nous apprenons avec peine la mort de Jaurès.

Dimanche 2 août 1914 :

Lever à 3h¾. Préparatifs du départ, musique devant l'église. On lit les affiches de réquisitions et de mobilisation générale.

Les troupeaux de vaches réquisitionnés se rendent à Lacroix sur Meuse. Départ pour Beaumont (M et Moselle). Passage à Beney, Pannes Essey, Maizerais, St Baussant, Beaumont.

Nous sommes fatigués, plusieurs sont restés en chemin. Henry et Perronet arrivent en chemin de fer.

Le soir orage, pluie, grêle et tonnerre. On parle d'un ultimatum envoyé à l'Allemagne pour lui offrir la guerre si elle ne veut pas nous donner un milliard. On dit que les Lorrains nous envoient leur bétail.

J'apprends que deux espions ont été tués à St Mihiel ; ils voulaient faire sauter le pont et couper les fils télégraphiques. Il y aurait un officier prussien. On l'enferme en cellule.

 Les "trouffions" demandent la guerre, pendant qu'on y est... Rien d’intéressant jusqu’au soir.

Lundi 3 août 1914 :

Lever 6 h, on apprend à 6h½ que les allemands ont violé la frontière en trois endroits, que les troupes arrivent.

Je touche les vivres à 9 h du soir avec Boudoux, Barré, à 11h du soir, on est encore entrain de les distribuer.

Les couvertures ont droit d'affrontement. Il est confirmé que les allemands ont labouré leurs routes pour préparer la défense, que les troupes ont vu un dirigeable allemand évoluant au dessus du territoire. Des canonniers l'attendent pour le bombarder. 426 navires anglais coupent les vives à l'Allemagne.

L'Italie reste neutre. On lit le rapport à 7 h: l'Espagne offre 100000 F à la France pour nous faire utiliser nos troupes du Maroc.

200 Uhlans qui ont passé la frontière sont entourés et pris sans coup férir.

14 Uhlans sont tués par les chasseurs. On a tenu à soutenir les chasseurs qui mettent en joue les allemands qui apparaissent à la frontière.

Le Portugal offre 10000 hommes. Le Canada 25000 hommes à l'Angleterre. Le Japon s'offre pour défendre nos colonies, et les colonies anglaises en Asie.. On nous ordonne de ne pas stationner sur les routes pour permettre aux avions de trouver leur route et de nous cacher au cas où ce serait un avion allemand.

Le 6ème corps (dont le 150 RI fait partie, appartenant à la 40ème Division) a pour mission de défendre les Côtes de Meuse jusqu'au jour où tout sera prêt pour prendre l'offensive générale. Des camions automobiles passent pour ravitailler. Enthousiasme, réservistes en joie. Les billets de banque, on peut rien en faire. Avec de l'argent pas moyen d'avoir ni pain ni vin. Ordre de faire autant que possible la cuisine chez l'habitant. Toutes les boutiques sont vides.

Les avions allemands se reconnaissent à la queue qui est fourchue.

Une Compagnie du génie arrive à Beaumont. Il paraît qu'à Paris comme partout ailleurs on désir la guerre. On apprend que les ministres sont doublés et que Deloux est aux Affaires Etrangères.

Repas du midi excellent : fricot au singe - salades, marmelades aux prunes, café au rhum. Chacun verse 4 sous.

Après-midi sans incident. Le soir, pluie torrentielle et vent. Coucher à 20 heures.

Mardi 4 août 1914 :

Jour de mes 23 ans. Lever à 3 h. Nous apprenons que le colonel a reçu la dépêche suivante : relations diplomatiques rompues entre la France et l'Allemagne "se tenir prêt pour la marche en avant".

Nous nous mettons en tenue de campagne pour l'arrivée du général de brigade. Le colonel nous dit de rentrer alors que les Compagnies restent alignées sur le bord de la route.

A 10 h, nous remettons à la voiture de la Compagnie Hors rang les vestes que nous portons et nous touchons des brodequins II ou III. Le tambour annonce la neutralité de l'Italie.

Nous apprenons que tout est démoli dans les chambres du 150 RI, y compris ceux de la musique (bureau bouleversé, parquets saccagés). Ca m'embête surtout pour ma musique copiée pour un instrument que je n'ai pas emporté avec ma clarinette.

Le chef nous réunit les quatre d'escouade et le sergent major et nous donne notre argent pour le mois, soit chacun 6 F. Je n'arrive pas à faire changer mon mandat de 25 francs. Si nous sommes remboursés, c'est grâce à Monsieur Beauzelaire qui nous change notre billet de 100 F donné par le chef de musique.

10h 55, on annonce à son de caisse que la moisson doit être commencée de suite pour que la farine ne vienne pas à manquer. (Ordre du préfet de la Meuse à ses maires)

L'après-midi, nous apprenons que la Russie est entrée en Allemagne et que celle-ci a déclaré la guerre à la Belgique.

Nouvelle Adresse: Musique du 150 quartier général de la 40ème  division - Troupes de l'Est.

Mercredi 5 août 1914 :

Nuit sans incident. Réveil à 3h ½. A 7h ½, on annonce à son de caisse l'appel aux troupes rédigé  par Poincarré.

Nous mangeons un gâteau au riz, au lait et au rhum : confectionné par Gruat. Coupe des cheveux à la musique par Cailleau (et quelle coupe de cheveux..!)

Nous apprenons que l'Allemagne a violé le Luxembourg.

Arrivée de la grande armée de Rouen que confirme ce que nous avons appris et le refus du roi des Belges à l'empereur d'Allemagne de livrer son territoire.

Au loin, on entend fusillade et nombreux coups de canons. 2ème Compagnie du 1er Bataillon quitte Beaumont pour se rendre à Seicheprey. On croit voir arriver un officier uhlan. Erreur, c'est un officier cuirassier qui a enlevé sa cuirasse.

Voilà le vaguemestre. Toujours pas de nouvelles de mes parents. J'apprends que cinq espions ont été fusillés à Mézières dont un de Rimogne et deux de Sormone pour attentat sur la ligne de chemin de fer et coupage des fils télégraphiques.

A 17 h un instructeur de Verdun, agent réquisitionneur arrive de Nancy en auto et dit que 350 uhlans ont été pris à Château Salin et dirigés sur le plateau de Maxéville où les prisonniers sont parqués.

Violant orage à 20h ¼.

Jeudi 6 août 1914 :

Lever à 5 h. Alerte par le chef à 6h ¼. On a 10 minutes pour s'apprêter. D'après un aviateur, les villages prussiens sont vides de troupes et les bois sont très fumants. Des corps de l'armée allemande se dirigent sur Liège. Rien d'important le restant de la matinée.

L'après-midi, la musique touche des outils. On installe une fortification provisoire au château de Beaumont. On nous apprend que l'artillerie du 40ème a tiré sur des chasseurs à pied et a causé plusieurs victimes. (Le 12ème Chasseurs était aussi de St Mihiel)

Nous faisons une tranchée pour établir un poste de secours.

Le soir, le bruit court que le 153ème de Toul est presque entièrement détruit. A 19 h, grondement du canon dans le lointain.

Vendredi 7 août 1914 :

Lever à 4 h. Vers 6 h, nous nous mettons en manoeuvre.

Nous nous arrêtons dans le bois, et je rencontre Manteau. Du bourg, nous traversons les moissons jusqu'à Flirey où cantonne le 169ème  et le 9ème génie. Nous passons sous le pont, et voyons les bougies qui sont prêtes à allumer pour faire sauter le pont. Nous rentrons à Beaumont à 11 h ½.. Difficultés à trouver des vivres de réserves. On annonce à son de caisse le recul des allemands devant Nancy.

Combat au cours duquel le 153ème aurait tué 10 000 allemands et perdu 2000 chevaux ?.

A 5 h on confirme que la flotte anglaise a coulé 2 cuirassiers allemands et capturé un autre. A 7 h½, le 8ème chasseur à cheval passe et nous dit que les belges auraient pris aux allemands 27 canons et ??

Samedi 8 août1914 :

Lever à 3 h½. 6h 50, nous écoutons la lecture des dépêches officielles, lecture faite par le capitaine de la 1ere Compagnie. "Captures sur mer et sur terre. Les allemands ont pris deux forts peu importants devant Liège."

Liège cédera, mais Namur résistera. Les allemands voient déjà leur manoeuvre retardée de 36 heures.

Hollande violée.

L'Autriche est ternie par un échec devant Belgrade.

Deux vaisseaux allemands capturés par les français. Vaisseaux de guerre français dans les ports des Antilles, pour capturer des vaisseaux de marine allemande. Italiens enrôlés en France, ainsi que des officiers péruviens qui faisaient un stage en France. Les anglais débarquent au Havre.

On apporte à notre grange, aux sous-officiers chasseur à cheval du 150 RI, l'équipement d'un de leur camarade tué. (Cartouches maculées de sang).

De 10 heures à 16 heures, on entend distinctement le canon. L'après-midi, nous allons faire de la signalisation par alphabet morse, puis nous faisons un exercice de brancardier. (Camus sur un brancard, sur au moins un km. Quelle chaleur !) On nous dit que le canon que nous entendions toute à l'heure, était l'artillerie française, canonnant les allemands qui n'osent s'avancer.

On dit que les belges ont fait reculer les allemands qui battent en retraite vers la Hollande, et que cette dernière attaque, les allemands sont en fuite, que 5000 navires allemands sont en détresse dans la mer du Nord et que les anglais vont les capturer. L'Italie a déclaré la guerre à l'Allemagne. On a amené à Flirey un officier de la garde prussienne.

Dimanche 9 août 1914 :

Aussitôt le réveil, la musique part pour faire de la signalisation. Moi, étant de jour, je reste pour faire changer les mandats et bons portés (14). (Un tableau comme celui ci-dessous est tracé sur une page)

 

L. Fonder

6433

1

L. Boutrez

6410

1

Brutteaux

6070

1

Cachera

6183

1

Taillard

5766

1

Perronnet

7037

2

Gruat

6522

2

Wattelier

6600

1

Fugazza

7772

1

Brouillard

6182

1

Laporte

6597

1

 

Total: 14

10 mandats

3 bons

1 mandat télégramme.

 

 

 A 9h 45, le chef de musique arrive en auto, brandissant le casque d'un officier saxon.

Applaudissements. L'auto repart. (La femme du commandant du 12ème qui s'y trouve emporte avec sa demoiselle le casque qu'elle élève bien au-dessus d'elle.)

A 10 h, enterrement d'un chasseur du 12ème décédé à l'hôpital. Le cortège funéraire passe, les jeunes filles du pays le suivent avec des fleurs.

Le chef a aperçu dans les gerbes de blé, des canons braqués contre les aéroplanes.

A 2 h, l'officiel nous apprend que d'Armade est entré dans Mulhouse. Ensemble, des soldats et des habitants qui ont déplanté les poteaux frontaliers pour les placer sur l'ancienne limite. Nous apprenons qu'une patrouille du 25ème chasseur a surpris 18 uhlans, en a tué 14 et a fait 2 prisonniers. Le vaguemestre apporte à midi du tabac pour 185.

Bien qu'à Beaumont, il n'y ait que deux compagnies du 150 RI, la CHR (Compagnie hors rang) et le personnel de l'hôpital, la provision est souvent insuffisant pour satisfaire les besoins de la troupe. Toujours pas de lettre. La vérité est que les allemands sont entrés dans Liège, mais que les Belges les ont chassés et leur ont infligé des pertes sérieuses sur la frontière. On a pris des uhlans qui vivaient sur la réserve depuis 48 heures et les chevaux n'avaient pas mangé depuis un moment. Ils n'ont pas pu s'enfuir, et les uhlans ont été pris.

Lundi 10 août 1914 :

Réveil à 4h 10.

En service à 5 h, on apprend que les allemands ont 3000 morts autour de Mulhouse, 18 drapeaux, 20 canons, 80 mitrailleuses. Du côté des Français, pertes insignifiants, 1/5 des pertes allemandes (le 133ème est entré dans Mulhouse avec 430 hommes).

Le 44ème, 600 morts, 7000 prisonniers, 150000 blessés. Le corps d'armée allemand couvre la déroute (les nouvelles arrivent par le fils du Colonel.) Les Français ont attaqué à la baïonnette, le combat a duré de 2h à 8 h.

A la sortie Ouest de Beaumont, nous allons faire de la signalisation. Pendant l'après-midi, le 10ème d'artillerie vient manoeuvrer prés de nous et repart.

Rentrée vers 9 h. au retour, nous voyons devant l'hôpital, arriver en auto un chasseur du 25ème et un dragon du 12ème tous deux blessés.  Alors qu’on se forme à la signalisation avec sur la route de Rambucourt. A 6h ½, un aéroplane allemand passe et repasse au dessus de Beaumont.

Coups de clairon, tout le monde rentre dans les cantonnements rapidement.

Le soir, on apprend par Cesnard, un de nos musiciens, que les troupes qui ont occupé??????? Après sa défense de St Mihiel ??? tous passages. Routes défoncées, signalisation et ...? enlevés. Bureaux entièrement saccagés  Atelier ????à clarinettes???????????????????????????.(tout un passage illisible, le texte au crayon est usé par le frottement des feuilles entre-elles) et le poste de garde ??????.. Si seulement on avait pensé que l'on partait pour longtemps et pour combien de temps..!

Mardi 11 août 1914 :

Un dirigeable, et 3 aéros français passent.

Nous partons à 6h 30 pour la signalisation. Coups de canon à faible distance. Fusillade nourrie. Les forts environnants (Lunéville, Gérouville, forts de Toul) laissent entr'apercevoir des colonnes de fumée. Le poste où se trouve le chef, nous télégraphie par alphabet Morse :

" Bataille de Munster terminée Allemagne endeuillée »

Arrivée des camions de ravitaillement. Douze se suivent à 25 m de distance. Le soleil est brûlant, repas sur les gerbes de blé. Hier en apprenant la nouvelle de la victoire de Seicheprey, les habitants ont pavoisé les rues et les édifices publics. Le dernier aéroplane que nous avons aperçu était allemand : la fusillade que nous avions entendue était dirigée contre lui.

On mêle les batailles de Munster et de Mulhouse et on ne sait sur quel champ de bataille laisser les 10000 allemands. A 9h½, le colonel envoie chercher toutes les troupes du cantonnement, pour qu'elles soient prêtes à partir à la première alerte. Après-midi, chaleur terrible, avons nettoyé dans notre cantonnement, ne sachant où nous fourrer pour trouver un peu de fraîcheur.

Mercredi 12 août 1914 :

Réveil à 4 h et à 5h½, départ.

Passage à Seicheprey, St Baussant, Essey et Maizerais. On entre à Pannes où on nous annonce qu'un soldat bavarois traverse le pays en auto. Je ne le vois pas.

Le 3ème Bataillon cantonne à Pannes, avec le 9ème génie de Verdun creusent les innombrables tombes des chasseurs à cheval tués à Maizerais en éclaireurs du 150. (Journée terrible).

Dans la grange où nous sommes, deux garçons de la maison boivent le café avec nous, en compagnie de leur mère et d’une jeune fille qui s’appelle Blanche.

A 13 h, je vais visiter l'église avec Brouillard; je monte dans le clocher; j'arrive à l'horloge prise comme (mot barré) 1h moins ¼ seulement. Je monte aux cloches dont le poids est pour 1ère  de 587 kg, 2ème 817 kg, et 3ème 1167 kg.

Comme je reviens, le tambour annonce que les habitants n'ont droit qu'à  ?? de pain par jour et par tête. Je vais me baigner dans la rivière avec le tambour Truay, Frédéric et Gruat. L'eau était très bonne et 1 mètre de profondeur.

Le lendemain, nous devons partir de très bonne heure.

Jeudi 13 août 1914 :

Quoique réveillés de très bonne heure, marche sans halte par une chaleur torride. Après-midi, nous achetons un canard avec Denis, Frédéric et Vaucher. Je fais une fricassée (félicitations pour ma cuisine).

Vendredi 14 août 1914 :

Réveil à 2h¼. Départ à 3h 30 pour St Benoît. Avant d'arriver, nous faisons la pause. Un sergent arrive et me donne le bonjour de Signy le Petit.

Je ne vois pas qui c'est, quoiqu'il ne me soit pas inconnu. Nous venons habiter notre ancienne place du château. Pendant que je me reposais avec Bouchard, à proximité du porche et on prend notre place et nous allons de l'autre côté. Je suis dans une chambre  en haut avec Cousin, Bouchard et Boutrez. Le canon tonne fortement, mais on n'y fait pas attention, on ne se rend même pas compte que c'est la guerre.

Je ne vois pas les deux officiers aviateurs allemands à leur passage à St Benoît fortement hués par la foule. Le soir en attendant le passage des prisonniers allemands, je rencontre Paulford qui est à la 11ème compagnie. Je rentre en possession de mes 20 sous. J'apprends que Frédéric est à l’infirmerie : il a la colique à cause des fruits verts…

Samedi 15 août 1914 :

Nous sommes debout à 2 h en vue d'un départ que nous attendons jusqu’à 4 h, prés de l'église.

A 5h ¼, fusillade tout prés. Grand émoi, tout le monde voudrait avancer. Plusieurs sections partent en tirailleurs pour prêter renfort aux avant-postes, si besoin. Le 150 prend des positions de combats. Les voitures partent en arrière sur la route de Vigneulles. La musique en arrière, nous couchons dans la rosée.

Nous dormons pour la plupart. Autour de nous, les cloches sonnent l'alerte.

C'est aujourd'hui du 36 °C.... On change de place, puis on fait du café à la lisière d'un bois, prés d'une mare. L'eau de cette mare nous fournit l'eau du café. Nous reculons dans le bois avec les sapeurs. Les canons passent au galop, puis retour en avant. La musique pose des sentinelles.

Tout est couvert depuis le matin à 11h.

Je vais aux girolles avec Voiret, nous les épluchons. Il y en a en masse (chanterelles).

Vers 15 h, nous voyons arriver une voiture de paysan. Elle arrive escortée de deux chasseurs à cheval du 12ème (la voiture est conduite par le paysan) contenant 3 soldats allemands et un officier en tenue de campagne réséda avec casque à pointe, tandis que les soldats sont en calot. Attitude piteuse comme celle des enfants que l'on vient de gronder, regardant de gauche à droite avec l'air triste qui fait presque pitié. La musique reste calme.

Ces soldats ont été pris en voulant se sauver, et se sont lancés dans les fils tendus par l'infanterie. . Un aéroplane allemand passe le matin, un soldat a troué le réservoir à essence d'une balle et les aviateurs ayant descendu en vol plané, et ont été capturés.

Dimanche 16 août 1914 :

Réveil à 4h ½. Un chasseur à pied de St Mihiel, nous raconte le fait curieux qui s'est passé hier : à la suite d'une escarmouche entre patrouille Française et Allemande, 6 chasseurs à pied se sont trouvés égarés, leur lieutenant fut tué et un d'entre eux fut blessé d'une balle dans le mollet, ils parviennent à se sauver et pénètrent dans une grange et se fourrent dans le foin.

Les Allemands, sachant qu'ils sont dans les environs, fouillent les granges.

Ne trouvant rien, ils arrivent dans la leur et piquent leur baïonnette dans le tas où étaient les chasseurs à pied, mais ne les découvrent pas et se cantonnent dans la grange. C'est alors qu'à la nuit, les chasseurs à pied se lèvent, et empruntent les effets des allemands pour s'en revêtir et c'est ainsi qu’ils se sauvèrent.

Les allemands, à leur réveil fouillèrent dans toute la ferme, ne trouvant pas leurs fringues. Mais est-ce vrai ? Ils incendièrent plusieurs maisons avant de se retirer…

Un officier allemand qui était blessé a tué l'infirmier qui voulait le soigner. Nous nous promettons de sortir le coupe-choux au moindre mouvement des blessés allemands. Charles Norurie, chef d'escouade prend 8 jours pour avoir fait l'appel avant notre départ, croyant voir des musiciens de l'autre côté de la maison, court pour les rappeler.

C'était l'image des musiciens alignés qui se dessinait dans la glace de l'appartement que nous quittions. Un sergent de chasseur à pied qui revenait à bicyclette, a surpris un soldat allemand entrain de manger des pois, et le met en joue, mais l'autre lui a jeté ses armes. Il n'avait pas du manger depuis plusieurs jours.

Un fourgon arrive empli d'objets et d’équipements allemands. Le chef pend un sac d'officier.

A 10 h, un uhlan passe en auto, gardé par des gendarmes. Nous partons, nous passons à Vigneulles, Hattonchâtel, Hattonville. Arrivons à Vieville sous les Côtes à 15 h.

Tranchées dans les gares, cimetières, vignes etc.. A Viéville, le 67ème, et le 132ème viennent de cantonner. Nous ne trouvons rien à acheter, ni œufs, ni lait, ni épicerie.

Nous achetons une poule à cinq avec Bouchard, Gruat, Henry et Blangonnet.

Lundi 17 août 1914 :

Réveil à 4 h, départ à 5 heures.

Mauvaise marche. Pluie fine. A gauche, collines couvertes de vignes, à droite, plaine de la Woëvre couverte de Vigne. Beau raisin et en abondance.

A Billy, les femmes nous regardent passer et pleurent à chaudes larmes. Toujours la même topographie.

Collines couvertes de tranchées. Retranchements de toutes sortes. Passons à St Maurice sous les Côtes.

Le 154 y est cantonné. Derrière la mairie, sur une voiture gardée par des gendarmes, se trouvent 3 prisonniers allemands saxons qui causent entre eux. Nous traversons Hannonville sous les Côtes où est le 294 cantonne. Pays très long où nous nous demandons aux gens où demeurent les boutiques et nous avons l'adresse par les enseignes placées au dessus des portes.

Une jeune femme court vers Charles, les bras grands ouverts, croyant reconnaître un parent. Nous quittons la route d'Etain pour nous enfoncer dans la plaine de la Woëvre couverte de moissons.

Dans tous ces petits pays, toutes les maisons où se trouvent une jeune fille à marier, se garnissent d'une belle branche d'arbre plantée dans la gouttière. Nous traversons Wadonville en Woëvre, village composé de fermes qui se touchent. En sortant du village, nous entendons deux coups de canons.

Avant d'entrer à St Hilaire en Woëvre, nous faisons une courte halte, je cause avec Tilquin qui ne reçoit pas de nouvelles non plus de ses parents. Il m'apprend le nom du réserviste de Signy le Petit. Nous entrons, et nous cantonnons dans un ancien pensionnat, tout prés de l'église. Vers 17 h, nous entendons trois coups de canons. Ce sont des pièces de marine, bien que nous soyons à très grande distance des canonniers.

On nous apprend que la guerre a été décrétée entre l'Autriche d'une part et l'Angleterre et la France d'autre part. On nous dit que les allemands sont à Carignan. A 18h 15, comme je me promenais avec Cousin, et causais avec Renaud, j'entends une fusillade à environ 3 km. On pouvait se tromper avec le roulement d'une voiture. Je cours monter mon sac au cas où il y aurait une alerte la nuit.

Mardi 18 août 1914 :

Lever à 4 h. Revue par M Beauzelaire. On nous apprend que le village de Jeandelize est en feu, que les habitants se disposent à évacuer leur bétail aussitôt après notre départ.

Vers 13 h 30, forte détonation suivie d'un gros nuage de fumée. Nous apprenons le soir, la mobilisation de l'Italie. Ultimatum au Japon. Un régiment de cuirassiers uhlans jeté à la Meuse (ou la Meurthe). 1500 prisonniers dans la nouvelle Alsace.

Mercredi 19 août 1914 :

Réveil à 5 h. Nettoyage du cantonnement. Revue par le chef des effets. L'après-midi, je vais à la pêche. Je casse quatre fois dans cette rivière, le Longeau.

Jeudi 20 août 1914 :

Nous faisons la grasse matinée. Ça ne nous arrive pas souvent.

Réveil brusqué par M. Beauzelaire à 5 h. J'apprends la manifestation Italienne à Montauban en faveur de la France.

Exercices de brancardiers.

Vendredi 21 août 1914 :

Réveil à 4. Nous attendons une revue jusqu'à 7h ½.

Départ annoncé : on ne sait pas où l'on va.

Le colonel reçoit l'ordre de conduire la troupe dans un village voisin où de nouveaux ordres lui sont donnés.

Nous passons à Butgnéville, village assez important, puis Harville. On arrête avant d'entrer dans Pareid. Nous traversons Pareid où nous attendons quelques instants. A Buzy, commune assez importante et agréable, nous laissons St Jean les Buzy à droite. Nous passons à Béchamps : eau fraîche sur le bord de la route. Nous remarquons la lueur blafarde du soleil. C’est probablement une éclipse du soleil. On fait du café prés de Béchamps.

Je regarde ma clarinette où niche quelques toiles d'araignées ... Nous croisons le 303ème de réserve du 103ème de Paris.

Un voiturier passe avec des tonneaux d'eau. On l'assiège comme s’il portait du vin. Nous entendons le canon à faible distance. Départ à 16 h. Enthousiasme, on est content d'aller vers le canon. On chante, on blague plus que jamais.

Nous marchons dans l'ordre de bataille, les flancs-gardes de droite marchent sur la ligne de chemin de fer. Des éclaireurs passent au galop : la musique acclame. Ils nous apparaissent peu après sur les crêtes.

Arrêt, on distribue des cartouches et on approvisionne les armes. Le canon partout tonne plus que jamais. Nous avons sur notre droite la ligne de Longwy à Nancy. A notre droite, la gare de Gondrecourt-Aix.

Nous passons à Gondrecourt, puis à Aix. Faisons la pause avant d'entrer dans Affléville, où nous voyons les ruines des maisons incendiées par les allemands au nombre de 24, dont un château.

Tous les fils sont coupés. En attendant que le cantonnement soit fait, nous faisons la pause à l'entrée d'Affléville. On entend les coups à faible distance. Une petite troupe allemande est mise en fuite par les Français, en avant garde du 150 RI. Nous cantonnons à Norroy le Sec où nous trouvons de la bière à discrétion (sardines).

Samedi 22 août 1914 :

Réveil à 3h ½. Départ à 5 h.

Nous apercevons les montes charge de Piennes. Nous traversons Piennes, on me donne du lait.

Nous croisons le 12ème cuirassier.

Nous faisons halte au parc de Bertrameix. Le canon tonne et tonne. Nous traversons Xivry Circourt que les allemands ont quitté hier après l'avoir habité pendant plusieurs jours. A la sortie de Xivry, on se met en ordre de bataille. Nous montons sur une crête, et nous apercevons la fumée d'un duel d'artillerie et les éclairs des détonations.

Il est 11 h, le canon tonne à notre droite à deux endroits au moins. Nous arrivons à Joppécourt que les allemands occupaient le matin avant que le 40ème arrive.

Ils ont fusillé le maire en présence des habitants alignés parce qu'il avait protesté contre les réquisitions allemandes. Nous faisons la pause à côté de Joppécourt, prés des caissons du 40ème qui renferment les réserves de munitions. Les pièces de 75 tirent à 200 m de nous, pendant que l'on fait la pause.

On fait mettre sac au dos avant que le café ne soit terminé.

Nous partons parallèlement à nos lignes d'artillerie. Un des artilleurs nous dit qu'un zeppelin, vient d'être descendue. Fusillade nourrie. Nous montons sur la côte, derrière notre artillerie. Nous sommes couchés, et nous voyons parfois le tir de nos artilleurs. A notre droite, autre duel d'artillerie; on voit les explosions des obus allemands qui forment des petits nuages blancs. Nous montons sur la côte pour mieux voir les allemands qui dirigent leurs projectiles vers nous.

Nous reculons quelque peu, à peine couchés, un obus éclate à 15 m au dessus de nous.

C'est le baptême du feu.

Nous changeons de place. Les obus passent au-dessus de nous, quelques-uns n'éclatent pas et vont tomber plus loin.. Dans le lointain, villages incendiés. Nous changeons plusieurs fois de place. Nous remontons une crête en face toujours à cause des obus dirigés sur nous fuyards. Incendies terribles partout. Tout le monde recule. La musique recule avec le drapeau. Feu terrible de l'artillerie. Des blessés passent prés de nous. Pendant que le service de santé s'organise, l'artillerie nous encercle.

Piennes et Landres brûlent. On part avec une lenteur extrême. Franchissons ruisseaux et collines. Mécontentement à cause de la lenteur : ce qu'il faudrait, c'est une paire d'obus. En voilà justement deux. Maintenant on active la marche. Sacs, campements etc.. laissés par les fuyards.

Atteignons la route. Marche continuelle. Le régiment a commencé à 6h ½. On nous parle de faire la pause, mais nous refusons. Arrivée à Réchicourt. Arrivée à Spincourt où nous campons jusqu'à l'arrivée du colonel. On repart et l'on marche le long d'une route sans fin, bordée d'arbres.

On traverse un seul pays : Vaudoncourt. Notre marche a été gênée par les convois et voitures de paysans émigrants En levant la tête, on aperçoit l'horizon illuminé. Verdun nous envoie des projecteurs. Des hommes restent le long des talus. Ereintement général. A minuit ½, arrivée à Billy : on se couche après avoir bu un peu d'eau. Nous avons fait au moins 45 km. Le 40ème et le 61ème d'artillerie, qui ont protégé notre retraite sont indemnes et le matériel sauvé.

Dimanche 23 août 1914 :

Réveil à 5 h.

On retrouve Sauglet, Diclitin? et Mourèse.

Au 161ème, on ne retrouve que 7 musiciens.

Le colonel de Feraudy a perdu son képi et porte un calot de soldat (80ème Brigade). On fait l'appel dans les compagnies : c'est la 4ème la plus éprouvée. On se remet en marche et à 11h ½. on arrive à l'entrée de Maucourt.

On fait halte, on mange du singe, boit du café et on cantonne à Maucourt où on arrive à midi, tous bien fatigués. Nous logeons à côté de l'école. Le bruit du canon après s'être approché, s'éloigne considérablement. On nous dit que la cavalerie que nous avions vu à Bertrameix (NO de Landres) a tourné l'ennemi et l'a mis en déroute sur sa gauche.

A 17h, on nous annonce un succès léger mais certain. En Belgique, succès également. Mais est-ce seulement vrai ? On se couche à 21 h.

Lundi 24 août 1914 :

Réveil à 5 h. Départ vers Billy que nous laissons à notre droite pour prendre la route de Mangiennes. Faisons une grande halte avant d'arriver au château à 2 km de Billy. Le canon tonne. Le canon tonne avec force à notre droite et derrière nous. Fatigue générale. A 14h ½, on prend la position de combat, car l'artillerie ennemie approche après avoir longtemps hésité. Nous prenons position à la lisière d'un bois, prés de Mangiennes.

Au bout d'un quart d'heure, nous quittons notre place suivant l'ordre du chef, pour nous placer derrière la 7ème compagnie et derrière les mitrailleuses. Que de poussière...

Nous traversons Billy où les habitants et le génie apportent de l'eau fraîche. Nous voyons un sous-officier allemand blessé, sur un brancard. Respect au blessé.

Le service de santé nous rejoint à 200 m, Nord du village sur la route de Longwy. Un gendarme passe et nous montre un éclat d'obus allemand. Nous avançons et on nous dit que nos troupes gagnent du terrain. Moins acharnés qu'avant hier, nous traversons tout le champ de bataille sous défense de l'artillerie. Prenons place à la lisière d'un bois, puis avançons vers la ligne de feu. Un village brûle en face de nous.

C'est Muzeray.

Nous reculons enfin tellement notre position est dangereuse. Pendant ce temps, nos troupes tiennent bon. 19 h: alors que l'artillerie tire encore, nous partons dans la relève des blessés. Rôle extrêmement dangereux. Je pars avec Taillard, Leloup et Cachera, Charles : je porte le brancard avec Taillard. Nous avançons tous deux sous le feu des obus à la mélinite qui creusent des trous d'un mètre cube de terre. Nos obus et ceux des allemands font un bruit affreux en éclatant sur Muzeray.

Nous transportons le sapeur Henry blessé à la cuisse et à la poitrine sur au moins quatre kilomètres ... Le poste de secours est changé : il nous faut aller jusqu'à Billy où nous arrivons à 21 h du soir. Nous portons notre blessé dans une maison où repose déjà deux morts, dont un commandant du 19ème chasseurs qui a la cuisse complètement détachée. (1)

Il nous faut le descendre en bas.

Nous entrons boire un peu d'eau dans un seau, et tombons sur un demi seau de lait que nous buvons.

A 10 h, nous nous couchons sans manger, et très peu rassurés.

(1) « Un détail assez étonnant, durant la journée du 24 août 1914, réuni ce carnet de campagne avec un autre carnet d’un sous-lieutenant du 19e bataillon de chasseurs. Cet autre carnet est aussi publié sur mon site  >>>  ICI  <<<<

 

Mardi 25 août 1914 :

Réveil à 3 h. Nous sortons et allons nous placer dans une rue où nous faisons du feu pour préparer le café; un lieutenant d'artillerie nous fait éteindre le feu qui pourrait indiquer nos emplacements à l'ennemi.

A 5 h, le 150ème RI prend immédiatement les positions de combat, mais les positions sont moins avancées qu'hier. Aussitôt l'action engagée, on recule de toute part.

La musique recule avec le drapeau.

Le recul est organisé, nous dit-on.  Faut-il le croire ?

Nous entrons dans une pâture, et nous attendons prés d'un étang. La position que nous tenons est minée par le génie. On nous apprend que l'artillerie tire encore, que le 150ème RI la défend encore, et que les allemands tenus en échec par l'artillerie, n'avancent pas. Plus tard, pendant que nos troupes montent, Billy est bombardée. Nous reprenons la route de d'Azannes. Nous voyons un groupe de blessés se dirigeant sur Verdun.

Nous partons sur Romagne sous les Côtes. Marche difficile à cause des tirs d'artillerie. On prépare le cantonnement dans la plaine; nous allons chercher des bottes de blé et en arrivant, on nous dit qu'il faut nous cantonner à Chaumont. Nous mettons au moins trois heures pour faire 4 km, à cause de l'artillerie, nous dormons debout. On ne voit que des feux autour de nous, que des troupes dans les parages. Nous couchons dans une grange avec la 8ème  compagnie.

Mercredi 26 août 1914 :

Lever à 4 h.

Le colonel félicite la musique pour sa belle conduite de Lundi. Nous prenons la route de Verdun, passons à Ville devant Chaumont. Le chef discute avec le commandant major.

Passons à Vacherauville, Bras et Charny par la territoriale 48ème et 44ème. Abattoir militaire entre Charny et Marre. Nous croisons la garde civile qui porte des effets militaires pris au 120ème de Stenay : c'est comique.

Les habitants des environs émigrent vers Verdun. Arrivons à Cumières. Je reçois une lettre que Papa m'a écrite lui-même. On se couche à 8 h, et nous passons une bonne nuit.

Jeudi 27 août 1914 :

Réveil à 5 h, départ à 9 h pour Forges.

Des troupes de réserve du 150ème RI arrivent de Soissons. Je revois Taton.

On nous apprend la distinction de plusieurs généraux. Félicitations au 6ème Corps et en particulier à la 40ème Division. Le chef nous apprend que le 4ème ou 5ème corps d'armée allemande sont anéantis entre Lunéville et Rambervillers, par le Général Pau.

Vendredi 28 août1914 :

Réveil à 5h½. Revue de tenue et de campement. Passage d'aéroplanes. Muel à 17 Km??.14h, nous partons pour la signalisation, pendant que les compagnie font des tranchées. Retour à 16h ¼.

On nous communique des bonnes nouvelles qui pourtant n'ont rien d’officiel : 1er corps d'armée allemande aurait passé la Meuse dans les Ardennes, vers Sedan et le Général Gérard aurait fait sauter les ponts sur le fleuve.

Du reste, le corps d'armée aurait été dispersé. 1200 prisonniers dans les casernes d'Etain, voitures et 1100 chevaux. Les habitants de Forges vont émigrer.

Nous apprenons par Mr et Mlle Fribourg que 600 prisonniers allemands sont passés à St Mihiel.

Samedi 29 août 1914 :

La nuit, indisposition de plusieurs musiciens, sans doute à cause du "singe".

A 23 h, alerte brusquée faite par Cousin du Havre qui est planton au poste. Ce n'est rien, on se recouche. Lever à 4h ¼. Départ à 4 h ¾. Passage à Béthincourt où cantonnent le 161ème et le 40ème. Nous nous installons sur une crête.

Le colonel nous donne des images. Nous descendons à Béthincourt pour préparer le repas et retournons au petit bois. Vers 17 h, on parle de bivouaquer.

Nous descendons dans la cour d'un moulin ou d'une ferme situé à 2 km de l'endroit où nous trouvions. Nous faisons notre repas du soir et la nuit arrivée, nous quittons notre emplacement pour nous rendre dans un champ d'avoine où nous passons la nuit. Le canon tonne une partie de la nuit.

Dimanche 30 août 1914 :

Lever à 2h ¾. On se rend à l'entrée de Béthincourt où nous faisons le café lorsque les ténèbres sont dissipées.

Le canon commence à tonner, et le feu devient de plus en plus vif à mesure que le brouillard se lève.

A 8 h, on distribue des cartouches aux compagnies. Nous restons avec le 3ème bataillon qui est de réserve. On nous dit que le 4ème corps avec le Général Evard a passé la Meuse à Stenay, et culbuté les allemands.

Un capitaine allemand aurait dit que l'on ne devrait pas tolérer l'emploi de projectiles comme en envoi nos canons. Les Russes sont paraît-il tout prés de Berlin.

A 17 h, nous partons préparer le bivouac dans un champ d'avoine.

Lundi 31 août 1914 :

Réveil à 5 h. Ceux qui n'ont pas couvert leur capote de paille, la retrouve toute mouillée.

Nous partons, traversons Malancourt, Montfaucon. Nous prenons la route de Cierges, prenons de l'eau et partons dans la direction de Romagnes. Le 46ème d'artillerie avec des canons de 155 nous dépasse. Nous allons nous installer dans un bois. Fromage avec Bouchard.

On nous apprend que nos canons de 120, que nous avions croisés la veille, ont démoli neuf batteries ennemies. Nous bivouaquons dans un champ d'avoine.

Mardi 1er septembre 1914 :

Je continue une lettre que j'ai commencée hier et j'écris aussi à Rimogne.

Toute la nuit, le canon a tonné.

Lever à 4h. Distribution d'eau de vie. Nous partons à 6 h, nous remontons un convoi de blessés, puis nous revenons presque sur nos pas. Nous remarquons que les pièces de 155 sont en batterie.

Nous traversons Bantheville. Prés de Romagne, nous nous mettons à la disposition du médecin major, et nous attendons prés d'un ruisseau avec Renaud.

On nous apprend que les allemands s'apprêtent à passer la Meuse, et que l'on prépare la retraite. Nous retournons au village et nous attendons dans une grange. Tout le monde est abattu. Nous faisons 500 m sur la route et préparons notre repas et le café. Nous n'avons même pas le temps de boire le café. Nous partons aux brancards.

Nous attendons à 200 m de là où nous voyons tomber les obus non loin de là. Enfin, comme l'action se calme, nous rentrons dans le pays.

Le 150 RI quitte Romagne. Nous arrêtons avec le premier bataillon en plein champ et nous nous apprêtons à préparer le bivouac. Mais tout à coup, la musique part avec le 2ème bataillon qui va à la Grange aux Bois. Nous couchons à Gesnes, dans une petite chambre.

Mercredi 2 septembre 1914 :

Réveil à 4 h. Départ à 5 h. Nous marchons toujours à travers champs, jusque derrière Montfaucon. Le canon tonne à faible distance. Sûrement, l'ennemi aura traversé la Meuse et repris sa marche vers l'Ouest. La canonnade reste forte dans la direction de Véry. A midi, nous sommes installé avec le service de santé dans un verger de Montfaucon. Une maison brûle dans Montfaucon, pourtant ce ne sont pas les obus qui ont mis le feu.

Les obus tombent tout prés. Nous reculons sur la côte avec nos brancards. Les obus tombent plus que jamais : il nous faut néanmoins aller chercher les blessés. Je rapporte un sergent fourrier.

Le soir nous repartons vers 23 h et nous portons un alsacien à la mairie de Montfaucon et le médecin nous renvoie. Où aller à minuit, nous sommes sans chef. Nous allons trouver le lieutenant porte drapeau, et nous couchons dans un pré sans souper.

Jeudi 3 septembre 1914 :

Réveil à 3 h, nous avons dormi à peu prés 2 h.

On a le tort d'allumer du feu qui sera peut-être la cause de la canonnade de toute à l'heure, on quitte le bivouac pour prendre les positions de combats que l'on quitte peu après. Aussitôt, les obus éclatent de tous côtés, et nous nous replions vers le Sud à travers bois. Nous traversons Avocourt. Nous marchons toujours : le Commandant Roibon nous fait marcher et revenir plusieurs fois sur nos pas.

Arrivons à Récicourt. Harassés de fatigue, nous nous couchons sur l'herbe jusqu'au moment d'aller dans notre cantonnement. Le lieutenant porte drapeau nous donne du pain. Le canon ne cesse de tonner jusqu'à 17h. Nous allons coucher de bonne heure.

Vendredi 4 septembre :

Lever à 4h ½. Le 29ème chasseur qui cantonnait à Récicourt passe au pas cadencé. Nous partons à 6h ½, passons à travers champs et bois, traversons plusieurs villages. Chaleur étouffante. Jamais nous n'avons tant sué. Nous faisons la grande halte à la sortie de ?. A 5 h du soir, nous arrivons à St André.

Nous devons prendre beaucoup de précautions avec l'eau, la fièvre typhoïde étant dans le pays. A 17 h 30, un aéroplane allemand passe au dessus du village. On lui envoie une pluie de balles inutiles.

A 21 h, on va se coucher et nous sommes très gênés par la fumée des feux qui nous empoisonne.

 

Samedi 5 SEPTEMBRE :

Réveil à 2 h. Départ à 3 h. Les hommes sont très fatigués : beaucoup de traînards.

On passe à Heippes où comme partout sont installés des bivouacs d'émigrants. Nous passons à Issoncourt. Derrière nous, attaché à un fourgon du convoi, est l'incendiaire de Montfaucon. Trois allemands nous suivent également.

Nous traversons Chaumont où les femmes frappent l'incendiaire qui est en loques. On traverse ensuite Erize la Petite, on fait des pauses fréquentes.

Enfin, nous arrivons à Erize la Grande où nous nous arrêtons.

Nous allons nous coucher et dormons jusqu'à 3 h.

A 5 h, le chef de musique nous passe une revue. Alors arrive le Colonel pour donner une solution aux différentes difficultés qui se sont élevées à propos du service des brancardiers. Il nous dit "La musique est le plus beau mouroir du régiment et elle restera la musique, et qu’une voiture de réquisition nous suivra continuellement pour porter nos sacs et nos instruments, lorsque nous remplirons nos fonctions de brancardiers".

Nous ne pouvons pas nous coucher, puisque le bruit court que nous allons partir à 21h 30 pour une gare des environs de Bar le Duc où nous devons, dit-on, embarquer.

A 20h 30, le colonel passe et nous dit de rentrer, que l'on ne partira pas ce soir. Avant de nous endormir, nous entendons les récriminations de notre hôtesse qui ne veut pas que nous touchions à son tas de blé...

 

Dimanche 6 septembre :

Lever à 2h ½. Départ 3h ½.

Nous retournons sur nos chemins : Erize la Petite, Chaumont sur Aire, Nous nous arrêtons sur la gauche de Verdun.

Le régiment et ceux qui suivent vont prendre leur position de combat sur les crêtes à gauche, et nous autres les musiciens, après avoir déposé sacs et instruments à la voiture,, nous nous asseyons sous les saules et nous attendons. Le canon tonne très loin, mais vers 8 heures, on entend de nouvelles batteries et canonnades de plus en plus vives. Le train de combat du 150 part ravitailler les nôtres. 

A 11h 30, après avoir fait du café, nous partons sous la conduite du chef de musique. Nous sommes  rassemblés sur un lieu de combat que les allemands abandonnèrent. Nous traversons Courcelles sur Aire abandonnée.

Nous installons notre poste de secours dans le verger de la ferme des Anglecourt.

Les obus pleuvent sur la côte qui nous fait face et derrière nous, les pièces de 120 lancent leurs obus qui nous passent par dessus la tête. Nous apprenons par le commandant major que jusqu'alors nous avions 3 corps d'armée devant nous après Montfaucon, ils ont détaché deux de leurs corps de sorte que le 6ème corps attaque à force égale. Nous avons 16 bataillons arrivant de Verdun qui viennent nous aider paraît-il.

Le 6 septembre, nous cantonnons à Seraucourt.

 

Lundi 7 septembre :

Chaumont sur Aire.

 

Mardi 8 septembre au Dimanche 13 SEPTEMBRE1914 :

Terribles journées de Rembercourt.

 

Dimanche 13 septembre 1914 :

 

 Chaumont sur Aire.

 

Lundi 14 SEPTEMBRE 1914 :

 

Landrecourt. Bouchard se trompe de chemin en revenant d’un endroit où il a trouvé du miel et il suit le 154èmeRI dans la direction de Verdun et faisant ainsi une dizaine de km de rabiot.

 

Mardi 15 septembre 1914 :

 

Damploup

 

Mercredi 16 septembre 1914 :

 

Bezonvaux

 

Jeudi 17 au Dimanche 20 septembre 1914 :

 

Ornes. Je porte un blessé avec Mondet, Cousin Perronnet et Florentin: souvenir éternel...

 

Dimanche 20 septembre 1914 :

 

Verdun

 

Lundi 21 septembre 1914 :

 

Lacroix sur Meuse.

 

Fin du Carnet

Le carnet s’arrête là, brutalement. La guerre de mouvement aussi. A partir de cette date c’est la guerre de position. Les soldats n’ont pas été préparés à cette forme de guerre.

On s’aperçoit que « le bourrage de crâne » va bon train, dès le début du conflit. Après un certain temps, mon grand-père a des doutes. Il est inquiet, ne recevant plus de nouvelles de sa famille et pour cause, les allemands occupent déjà les Ardennes, mais personne ne lui dit. Est-ce pour cela que mon grand-père arrête la rédaction de son journal ?

 

 

 

 

Blénod le Toul, Mai 1918 Composition Musique du 150 R.I. En encadré, les morts au Champ d’Honneur. (photo annotée au verso par Victor CHRISTOPHE)

 

 

 

 

Un croquis qui se trouvait dans le carnet de guerre.

Lacroix-sur-Meuse

Quelques coins de « La Carrière »

25/11/1914

 

 

 

 

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