A partir d’un carnet de campagne rédigé au jour le jour, j’ai pu reconstituer le parcours d’un officier d’active tout juste sorti de St-Cyr, à travers les terribles combats de 1914 qui ont coûtés si cher à notre armée.
Il est exceptionnel de trouver des carnets écrits sur
le vif notamment pendant une guerre de mouvement telle qu’elle l’était en
août et septembre
J’ai entrepris de recouper les informations qu’il donnait afin de les replacer dans la vérité historique et pour coller le plus près possible à ce que pouvait ressentir un chef de section de 1914.
Laurent Mirouze, 2009
« Un détail assez étonnant, durant la journée du 24 août, réuni ce carnet de campagne avec un autre carnet d’un infirmier du 150e RI. Cet autre carnet est aussi publié sur mon site >>> ICI <<<<
Le
capitaine Gabriel Grosdenis à la fin de 1916
Les
trois chevrons en haut de sa manche à droite indiquent deux ans de présence aux
armées, les quatre à gauche qu’il a reçu autant de blessures.
Né
le 19 juin 1893 à Dieue-sur-Meuse, fils de Jean-Marie Grosdenis, sous-officier
de l’Etat-major du Génie affecté au fort de Génicourt à Dieue-sur-Meuse, et de
Marie Raspado fille d’une famille d’émigrés italiens installés depuis la fin du
18e siècle dans
Son
dossier militaire fait de lui ce portrait succins : « Taille 1m 72,
cheveux blonds moyen, visage ovale, yeux marron clair, front vertical, nez
rectiligne moyen, bouche petite, marque particulière : cicatrice à côté de
l’œil droit… ».
Jeune
St-Cyrien tout juste entré à l’école spéciale le 6 novembre 1913 (242e
au concours d’entrée), il fait partie des 533 élèves de la promotion «
« Jeune St-Cyrien, blessé le 7 septembre 1914,
revenu au front du 19 novembre au 18 décembre 1914, puis, le 3 juin 1915. De
tempérament calme et froid, s’est montré un officier consciencieux, zélé et
instruit de ses devoirs, soucieux du bien du service et sachant prendre de
l’autorité sur ses hommes. Très belle attitude pendant la bataille de Champagne
au cours de laquelle il a été gravement blessé. »
Ou
encore :
« Excellent chef de section sur lequel on peut
toujours compter. Instruit de ses devoirs, passionné pour le bien du service,
revenu trois fois au front. »
Le
résumé des notes antérieures à 1916 :
« Montrent que cet officier a du commandement
et une belle attitude au feu. Sa conduite en août et mai a été remarquée,
blessé cinq fois, il a tout fait pour revenir au front prendre sa place en 1ère ligne. »
Le matin du vendredi 31 juillet, le 19e bataillon de chasseurs à pied quitte ses quartiers de Verdun sous les ordres du commandant Mielet. Il fait partie de la 3e Armée (général Ruffey), 6e Corps (général Sarrail), 42e Division (général Verreaux), 83e brigade (général Krien) avec le 94e RI et le 8e BCP. Cavalerie de la division : 10e Chasseurs à cheval, le 4e escadron du capitaine d’Arras est détaché auprès du 19e BCP.
Tout au long de cette phase des combats, la 83e brigade combat à côté de la 84e composée du 16e BCP, des 151e et 162e RI.
L’effectif est d’un officier supérieur, 22 subalternes, 1133 sous-officiers et hommes de troupe.
Le bataillon
fait alors partie du 3e groupe de couverture et s’installe dans la
région de Sponville/Mars-la-Tour en face de
Organigramme du
19e BCP
A la mobilisation
Commandant : chef de bataillon
Mielet, (+ le 24 août 1914)
1ère compagnie : capitaine
Piot (+ le 21 août 1914)
2e compagnie : capitaine Bourlon
(+ le 21 août 1914)
3e compagnie : capitaine
Hennequin (+ le 9 septembre 1914)
4e compagnie : capitaine
Mellier (blessé le 21 août 1914)
5e compagnie :
capitaine…………………………….
6e compagnie : capitaine
Sallis (+ le 7 septembre 1914)
Arrivée à Sponville (nota : Meurthe-et-Moselle).
Lieutenant Lhuillier* nous recoit.
Disposition du bataillon. Gentille institutrice.
Dîner chez le curé, vieille bouteille.
Alerte après-midi, ruptures téléphoniques. Joeuf, Conflans (nota : en-Jarnisy), retour au bataillon, affectations et présentations.
Départ pour Suzémont (Hannonville-Suzémont), 6e compagnie, capitaine Sallis, lieutenant Dubroquet, Lhuillier, souper, couché sur paille avec ma section ; Alerte de nuit.
Avait cru voir colonne ennemie se dirigeant sur le village.
*Marius Lhuillier deviendra un ami intime de Gabriel Grosdenis.
Le sous-lieutenant Grosdenis est affecté
à La 6e companie du capitaine Sallis. Le capitaine Sallis commandera
le bataillon à la mort du commandant Miellet, le 24 août, et sera tué à son
tour le 7 septembre 1914 au soir au château de Montgivroux lors des terribles journées de la bataille de
C’est également à ce moment que le
sous-lieutenant Grosdenis sera blessé au pied par un schrapnel.
Des chasseurs à cheval du 16e tuent en combat à pied 5 dragons allemands, et prennent 2 prisonniers.
Marche dans l’après-midi sur une colonne venant de Chambley. Canon tire sur cavaliers allemands dans Rupt (en-Woevre) de M…. N’avons rien vu.
Chasseurs du 10e blessent à Mars-la-Tour un fantassin allemand*.
Nuit.
Départ pour Mars-la-Tour.
Doit surveiller avec 8 chasseurs et 2 cyclistes, les mouvements ennemis avec un peloton de chasseurs et un officier, les débouchés dangereux, ravin de la cuve etc.
Douaniers quittent le village, ont vu fortes patrouilles allemandes, moi rien.
Reviens au jour.
* En fait, une patrouille du 2e escadron attaque et tue deux allemands (Journal de marche officiel, JMO, conservé aux archives du Service historique de l’Armée, fort de Vincennes).
Rejoint compagnie sur croupe face à Chantilly, protégeant convois de réquisition.
Bruit de fusillade à Mars-la-Tour. Chasseurs français du 16e (BCP) tirent sur 10e (chasseurs à cheval), cheval tué.
Fâcheuse méprise.
Canon allemand de veille a tué un adjudant et un chasseur à pied. Un adjudant et un chasseur à cheval prisonniers.
Nouvelles extérieures (Belgique, Angleterre derrière nous).
Après-midi
canon tonne. Tire sur un aéroplane français qui passe au-dessus de nous.
Nuit.
Motocyclette annoncée. 1ére cie, 16e chasseurs* à Conflans sans sûreté va se heurter à un flanc-garde d’allemands de Belgique.
Officier tué
ou blessé, 40 tués. Bataillon se replie à
Déjeuner à Sponville (Champagne, poulet, prunes, vin de pays).
*Le 16e BCP, avec le 151e RI et le 162e RI, fait partie de la 84e brigade de la 42e DI qui combat dans la même zone, 3 sections de sa 1ère compagnie combattent les allemands pendant 4 heures.
Emplacement aux peupliers ; Vais encore tirer sur même aéroplane que veille.
Projectiles éclatent bien au-dessous.
Dans l’après-midi, Uhlans signalé à Puxieux*, 5 très probables. Canon tonne, projectiles éclatent très haut.
Bruit court général d’Amade à Mulhouse**.
16e
chasseurs retourné à
* Fusillade contre une quinzaine de cavaliers allemands (JMO).
** C’est une fausse nouvelle qui sera corrigée quelques jours plus tard : il s’agit en effet du général Bonneau du 7e Corps.
Samedi.
Bruit d’Amade se confirme. Canon entendu hier soir à plusieurs reprises. Tirait sur une ferme où se trouvait une section du 29e.
Ferme en partie détruite, pertes sérieuses. Ce canon est la cause probable des 2 déplacements de notre bataillon les jours précédents vers Chambley. Sommes toujours aux peupliers.
Faisons partie 3e Armée, général Ruffey.
10h matin, voyons un ballon allemand fixe forme cigare dominer Vionville puis est ramené à terre. Entend bruit éloigné à l’est de canon.
Puis maintenant au sud, très rapproché. Ballon reparaît, tir jumelé de tourelle d’un fort de Metz, sans doute Gravelotte.
Marche subite et grotesque à ce canon.
Même point de direction que jours précédents.Voyons pas davantage. Coups tirés sur cavaliers français ou chasseurs de la compagnie Hennequin* à Chambley. 3 maisons détruites**.
Echec allemand à Liège, groupes bavarois en couverture. Victorieux partout dans cette couverture.
Encore canon Nord dans l’après-midi. Aéroplane Taube survole le cantonnement de la 4e Cie. Expédition nocturne Philippot pour enlever batterie allemande de Tronville.
Bluff.
Lieutenant Désarménien vient chercher un mort à leur barbe au milieu des coups de feu***. 8000 prisonniers, 1 général, 40 canons pris, 1 zeppelin détruit à Liège.
* Le capitaine Hennequin de la 3e compagnie succédera au capitaine Sallis, tué le 7 septembre alors à la tête du bataillon, et sera tué lui-même le 9 septembre à Chapton (Marne).
** Le JMO indique six obus tombés à droite de la compagnie Hennequin sans pertes.
*** En patrouille avancée avec un seul homme, cet officier du 4e escadron du 10e Chasseurs à cheval ramène son camarade le chasseur Béguet, grièvement blessé, dans nos lignes. Leurs deux chevaux sont tués.
Dimanche.
Même Taube que la veille survole Mars-la-Tours sans oser s’écarter. Vive fusillade à notre droite. Cavalier annonce Baraques occupées par une trentaine d’ennemis.
Lieutenant Burthey* les attaque en revenant de mission nocturne. Contre batterie, et les repousse facilement. 7e Corps en Alsace Colonel Dupaty de Clame, très sympa.
Aéroplanes canonnés. Nous nous appelons l’armée de Verdun.
Aéro français atteint par balles françaises puis retourné à Mars-la-Tour.
N’ont rien vu.
*Le lieutenant Paul Burthey deviendra comme Marius Lhuillier un ami très proche de Gabriel Grosdenis.
Officier au 19e BCP entre 1911 et 1914, il sera blessé lors d’une contre-attaque à Nouilloupont le 24 août 1914. Il sera par la suite affecté au 106e BCP en formation.
Le lieutenant Burthey poursuivra sa carrière dans l’armée et deviendra général.
Lundi.
Arrive de Mars-la-Tour aux peupliers.
Bruit de fusillade à gauche. 2 divisions de cavalerie signalées à Spincourt, avec 2 régiments d’infanterie, artillerie occupant Bouligny, Domrémy-la-Canne, Spincourt, Mangiennes.
16e Bataillon a encore été attaqué et s’est replié assez loin en arrière. 2 reconnaissances envoyées pendant la nuit rendent compte (d’) allemands retirés en de-ça de la frontière.
Avons encore vu tirer sur un aéroplane.
Mardi.
Restons au cantonnement en prévision d’attaques sur la gauche.
Entendons fusillade aux Baraques. Section du bataillon embusquée est la cause de cette fusillade. 7 brigades de 7 Corps ont attaqué Liège sans succès.
2 Corps français en Belgique et 150 anglais entrent en ligne.
A Altenkirche, 1 brigade d’infanterie de la 41e Division prennent les retranchements au pas de course. Canons et drapeaux pris, 30000 allemands hors de combat. Général d’Amade porté en triomphe.
Bruit court Italie a déclaré la guerre à l’Autriche.
Quittons cantonnement pour nous rendre en arrière à l’emplacement habituel. Entendons canon. Dirigeable Fleurus* est passé rentrant à Verdun.
Embuscade des Baraques manquée**, avons été surpris.
Section Burté, 1 blessé, 2 disparus. 2e cie engagée pour la sauver, 2 blessés. Expédition grotesque, sans but, démoralisante. Pourvu que nous quittions la couverture. On annonce que la 42e Division se déplace vers le Nord.
Restons seuls en couverture avec le 16e.
Que va t’il se passer, hélas ?
1 uhlan de tué à Mars-la-Tour***.
Troupes du Maroc débarquées à Bordeaux.
* Il s’agit de l’un des
six dirigeables français en service en 1914. Le Fleurus, de fabrication
Chalais-Meudon, rentrait sans doute de sa reconnaissance entreprise dans la
nuit du 9 août en dessus de
Commandé par l’adjudant Réau, il incendie la gare de Hargarten près de Trèves.
** Cette embuscade manquée fut menée contre une section d’infanterie allemande et un peloton de cavaliers. Les deux disparus ont probablement été fait prisonniers. Le chasseur Julien Dubuis agé de 22 ans, succombera à ses blessures. C’est le premier tué du bataillon.
***Une patrouille du 10e Chasseurs à cheval blesse grièvement sans pouvoir le ramener un chasseur à cheval du 3e escadron du 12e Chasseurs allemand (JMO).
Mercredi.
Douaniers
attaqués hier à Mars-la-Tour par 50 uhlans et 50 fantassins*. 2 douaniers blessés, dont un avec une balle ayant
traversé la tête sans créer de coma. Sommes à
Violente canonnade à droite puis fusillade et mitrailleuse. 2 heures et demi, partons attaquer les baraques occupées par 400 fantassins allemands.
Artillerie probable en arrière, sûrement la tourelle.
Allons au massacre.
A
Il était temps, 2 minutes de plus, on ne pouvait se décrocher.
Rentrons à 7 heures éreintés. 1ère compagnie reste en permanence à Mars-la-Tour.
*Le JMO indique du régiment allemand n° 3.
** « Le général commandant la 42e brigade défend de la manière la plus formelle au commandant du 19e de ne se livrer à aucune offensive contre le détachement ennemi dont il signale la présence aux Baraques . » (Note citée dans le JMO).
Jeudi.
Restons au cantonnement. Délicieuse journée.
Bain dans l’Yron.
Turcos en Alsace.
Couardise des uhlans qui surnomment nos chasseurs à cheval les diables rouges. (Escadron du capitaine d’Arras autorisé à se remonter à titre gratuit dans l’armée allemande).
Vendredi.
Chambley. Alerte cette nuit, sentinelles affolées et hallucinées ont tiré.
Violente canonnade vers Mars-la-Tour. Canon de siège.
Le grand jour est arrivé. On m’annonce qu’il y a alerte. Des bavarois* descendent vers Chambley.
Nous partons.
A un moment nous recevons des balles d’un petit bois** à l’ouest de Chambley. Je reçois l’ordre de déborder ce bois en traversant la voie ferrée.
En arrivant à
la crête au nord de Chambley brusquement un feu épouvantable nous
accueille. Six mitrailleuses à
En rampant j’amène ma section à la crête. Quelques salves ajustées font taire les mitrailleuses qui se retirent dans le petit bois. Je le fais cribler de balles et j’aperçois rapidement des attelages affolés sans conducteurs qui s’enfuient dans la direction de la frontière.
Chaque fois que je lève la tête des balles me sifflent aux oreilles ou tombent à mes pieds. On vise les chefs de section. Nos mitrailleuses entrent en action.
Mes chasseurs en blaguant froidement tirent sur tout ce qui se profile à la crête. Des bavarois passent en courant affolés jusqu’à un kilomètre, pendant que des balles les environnent de poussière.
Beaucoup tombent comme dans un jeu de massacre ou font les morts. S’ils se lèvent, ils ne vont pas loin. La crête semble couverte de cadavres.
Notre mouvement a réussi. Pris dans l’angle de feu par les autres sections, tous s’enfuient ou tombent jetant ses armes. 30 bavarois se rendent. J’ai un homme tué à ma section.
Au bataillon une dizaine de tués et environ 30 blessés. 3 officiers sont blessés dont un, Compagnon assez grièvement***.
Nous rentrons triomphalement avec des trophées. Nous mangeons à quatre heures. Nouvelle alerte. Ils reviennent.
Ce n’est rien.
6 prisonniers en plus. Ils venaient chercher leurs morts. Ils ont environ 400 hommes hors de combat****. Au retour, on tire sur deux aéroplanes français. Le canon nous avait poursuivi à Chambley sans nous gêner d’ailleurs.
On s’attend à une dure attaque pour demain.
Avons senti le manque d’artillerie.
15 nouveaux prisonniers le soir.
* Il s’agit de 3 compagnies de landwehriens, soit des réservistes, du régiment d’infanterie de landwehr n°65. Le sous-lieutenant Grosdenis indique par erreur des bavarois, car il s’agit en fait de rhénans originaires de Strasbourg et Cologne. Ce qui est confirmé par les prisonniers faits ce jour-là (JMO).
Le compte-rendu de la journée adressé au QG de la 42e
Division précise :
« Le 19e BCP a refoulé ce matin un bataillon du 65e
régiment de Landwehr qui était descendu des Baraques, appuyé par 6
mitrailleuses. L’ennemi a subit des pertes importantes et laissé 30 prisonniers
(…) ».
D’autres sources précisent qu’il s’agissait du 3e bataillon
de ce régiment. Il semble que les soldats allemands qui participèrent à ces
différentes escarmouches de frontière provenaient d’unités de réserve et de
Landwehr, les unités d’active se préparant à l’offensive générale toute proche.
** Bois du chapelet.
*** C’est une erreur, Compagnon n’est que légèrement blessé, Varlet très grièvement.
**** Le combat aurait coûté aux allemands au moins 100 tués et 30 prisonniers dont 18 valides et parmi eux 7 sous-officiers ; le 19e a perdu 4 officiers blessés dont le lieutenant de réserve Varlet qui va succomber à ses blessures le lendemain à l’hôpital temporaire de Fresnes-en-Woevre, 8 tués et 17 blessés dont une dizaine mourront de leurs blessures (hémorragies) par manque de moyen d’évacuation rapide.
Pour sa conduite ce jour-là, le sous-lieutenant Grosdenis sera cité à
l’ordre du bataillon (n° 71 du 14 août 1914,) son action a été déterminante
pour le succès de l’opération :
« A montré de grandes qualités d’allant, de sang-froid et de
présence d’esprit, qui ont permis d’infliger à l’ennemi des pertes sérieuses et
contribué à faire déposer les armes à plusieurs allemands ».
Sommes attaqués vers Xonville*, envoyés en repli à Sponville.
Ennemi fortement repoussé.
Avons ordre de
ne pas nous laisser accrocher, allemands ont mis le feu dans un village, à Champs.
Devrons nous replier sur Jonville (nota : en-Woëvre).
Rien ne vient.
Le sous-lieutenant de réserve Warlé** meurt à Fresnes.
Retournons le soir à Hanonville-Suzémont.
* « …par deux
compagnies d’infanterie et une compagnie de mitrailleuses qui semblent s’être
retirées dans le bois de
** Il s’agit bien sûr du lieutenant de réserve Varlet blessé la veille.
Nuit calme.
Restons momentanément à Suzémont.
J’ai fait un repas très copieux dans la matinée. La vie de campagne a du bon. Je vais me décider à aller me promener à Mars-la-Tour, mais brusquement, le canon tonne.
Les allemands bombardent sauvagement la petite ville pour commémorer leurs morts qu’ils ne respectent même pas.
Des gens affolés arrivent. La douane a sauté pour commencer.
Monument intact.
Deux personnes tuées par le bombardement.
A 18h, un parti allemand entre à Mars-la-Tour, en tirant sur tout ce qui se présente comme population*.
*Composé d’une quarantaine de cavaliers et autant de fantassins qui ont réquisitionnés notamment 250 bouteilles de vin (JMO).
Mars-la-Tour évacué par les allemands.
Deux escadrons du 12e * y vont. Des gens à Mars-la-Tour passent à chaque instant, on a bombardé Jarny ce matin.
Ce soir nous tirons sur un aéroplane allemand qui s’est porté assez audacieusement en arrière**.
*Chasseurs à cheval.
** Une note du commandant du 16e BCP au général commandant la 84e Brigade précise : « J’apprends par le maire de Rixieux qu’un des aéroplanes qui a survolé les cantonnements de la 42e Division a été atteint et est tombé un peu au-delà de Mars-la-Tour ».
Ce renseignement ne sera pas confirmé par la suite.
Nous restons dans l’inaction la plus complète.
Des gens de Mars-la-Tour continuent à passer fuyant les menaces allemandes. J’ai des nouvelles de Verdun par le docteur de l’endroit.
On expédie le bétail et les chevaux du village sur Fresnes.
Rien cette nuit.
En arrière de nous on est très affolé. Les officiers couchent en travers de la route. Nous apprécions notre indépendance.
Grosse déception, je suis transféré à la 4e compagnie. Tout est à recommencer, je suis navré. Nous partons pour nous rendre à Labeuville puis sur Hennemont.
Est-ce le
départ pour
* Le 6e corps d’armée auquel appartient le 19e BCP est envoyé pour participer à l’offensive de dégagement du Luxembourg.
Nous sommes arrivés à Lanhères près de Rouvres (nota : en-Woëvre). J’ai pris contact avec ma nouvelle compagnie.
Le long de la route, nous avons croisé des régiments de Verdun. J’ai reconnu des connaissances. Me Barbier me donne une lettre en arrivant.
Nous allons poursuivre, paraît-il, après la bataille. Le général de brigade m’a demandé mon nom au passage.
Je me déshabille ce soir pour la 1ére fois depuis huit jours.
A partir de ce jour, le JMO tenu au jour le
jour est interrompu pour ne reprendre qu’en 1916. Il est probable que le
sous-officier responsable de sa rédaction quotidienne ait été blessé ou tué
lors du combat du lendemain qui devait coûter si cher au 19e surtout
en sous-officiers.
Une terrible journée.
On nous avait promis à Lanhères trois jours de repos, mais à 6h du matin il a fallu partir.
Je rencontre Lavignon avec le 94e.
Nous sommes flanc garde du 6e corps*, et de suite nous prenons le contact avec des patrouilles de dragons allemands, des mitrailleuses, et des fantassins tirent sur nous, nous les délogeons facilement.
Nous passons à Norroy-le-Sec après un casse-croûte, les gens donnent œufs, vin, bière, fruits pour rien aux chasseurs.
Une crête porte des épaulements en grand nombre. La terre a été foulée par une nombreuse cavalerie.
Nous atteignons Mainville occupé le matin.
Les gens pleurent, nous apportent du vin, du café, on n’a pas le temps. Je prends cependant une bouteille débouchée.
On nous annonce que pour cantonner nous devons déloger de la cavalerie de notre cantonnement. Nous nous sommes approchés d’un petit bois à environ 300m en arrière d’une crête.
Brusquement les balles sifflent.
On se couche, j’essaie de me relever, cela siffle de plus belle, mes chasseurs me font coucher. Dix minutes se passent, notre mitrailleuse entre en action, je fais un bon, huit chasseurs me suivent.
On reçoit des balles de partout, devant, derrière, en flanc. Des blessés en masse. Le commandant m’expédie sur la droite baïonnette au canon.
Au bruit, alors je me redresse vers le nord. On se fusille à 30m. Enfin c’est l’assaut, la charge, tout se sauve devant nous.
Des prisonniers, des morts, des blessés. Des allemands lèvent la crosse, puis tirent, on les fusille impitoyablement.
On prend des trophées.
Quelle hécatombe. 50% de l’effectif hors de combat, 2 capitaines indemnes.
Je vois le Capitaine Collat à Mercy-le-bas. On cantonne avec le 94e, 151e, du génie. Le bataillon est complètement désorganisé.
Nous nous sommes battus à Mercy-le-Haut, et nous cantonnons à Xivry-Circourt.
Les allemands nous appellent « schwarzen teufels » (vautours noirs**). Ma compagnie réduite à 126 hommes.
Nous restons à deux sous-lieutenants. Mon camarade est commandant de compagnie.
* Précisément à sa droite, appuyé par la 2e compagnie du 94e RI, le 19e BCP attaque la ferme Chanois.
** Diables noirs.
Le 19e BCP a perdu dans cette affaire appelé le combat d’Higny, près de 4 capitaines dont deux tués (Bourlon, Piot), un lieutenant (Masson, tué), 300 chasseurs dont 130 tués.
Excellente nuit réparatrice. Je vois passer le 94e, et Vivien avec, Au 162e, je reconnais pas mal de verdunnois, dont le petit de Bresis, Jean Gauvin, au 151e, Vouters. 61e, Laurent, Félicien Cuviny Nous allons vers le Nord.
Atrocités allemandes racontées par les habitants. Nous sommes soutien d’artillerie ; Un vif combat est engagé en avant et à l’Est*.
Nous assistons à un superbe duel d’artillerie. On tire sur nous. Les obus tombent à 500m. C’est impressionnant.
Le 151e à un km à notre droite est laborieusement employé à déloger un ennemi retranché comme toujours dans un bois.
Le 151e repousse, sous une grêle d’obus, se défend pied à pied. Une fumée épouvantable s’élève du bois en face de nous.
On ne voit ce qui brûle. Les 162e et 151e sont décimés** ; Ils partent, disent-ils, vers l’ouest.
On voit des soldats fous qui tournent en cercle***.
* Le 19e bataillon est engagé à Pierrepont où il perd le chasseur Galopin.
** Les historiques indiquent pour le 151e RI 800 pertes, pour le 162e RI plus de 700 pertes dont 33 officiers, soit près du tiers des effectifs de départ. Le journal de marche officiel de la 83e brigade indique 7 officiers tués, 5 blessés, 690 soldats, tués, blessés ou disparus.
*** Il existe des images d’actualités montrant des soldats français ou allemands rendus fous par l’effet des bombardements intenses et tournant en rond en secouant la tête.
Nous avons passés la nuit à St-Pierrevillers.
Toute la division se replie vers Nouillonpont.
A Nouillonpont nous sommes en avant-postes. La canonnade recommence de plus belle, on tire par-dessus nos têtes. Notre artillerie tire sur tout ce qui se présente pour permettre au 6e corps de se reformer.
Sur le soir de longues chaînes de tirailleurs se présentent sur les crêtes et ouvrent le feu sur nous à deux kilomètres. Notre 75 en position derrière les foudroie brusquement et les oblige à se replier en désordre.
Des patrouilles ont tiré cette après-midi.
Des aéroplanes français et allemands ont sillonné les airs et ont reçu force balles et obus.
Nous avons passé la nuit aux avant-postes.
Je suis littéralement gelé. La 2e compagnie à gauche, laisse approcher à 200m sept cavaliers allemands, et les descend tous les sept.
Nous sommes relevés des avant-postes, et remplacés par d’autres compagnies de chasseurs. Je rencontre Gibrin.
Nous sommes dans les tranchées de part et d’autre de Muzeray. Les obus pleuvent.
Vais-je y rester ?
Nous allons attaquer encadrés par le 94e et le 16e. On part, passés la voie ferrée les balles et les obus sifflent, on se précipite dans une ferme et on canarde vigoureusement, soutenus par notre mitrailleuse.
Des obus mettent le feu. Je tiens quand même, bien qu’on m’assure le repli. Le fermier est de connivence avec eux. Albert Lepointe témoigne une frousse indigne d’un caporal. Nous allons être tournés, ils sont à 200m.
On se replie. Je reçois force balles. Arrivés à Nouillonpont, notre artillerie s’est tue, on veut se rassembler. Brusquement on tombe dans la fourchette des obus à balles et à deux heures le commandant est tué*. Je me tire de la zone au prix d’efforts inouïs.
Dans une ferme
abandonnée quelques chasseurs ralliés prennent du vin. On trouve le 26e,
le 25e. Je passe encore la nuit à la belle étoile à Billy (s/s-Mangiennes).
*350 chasseurs sont mis hors de combat ce jour-là dont 43 tués, parmi eux le lieutenant Pétel et le commandant Victorien Mielet qui a eu la cuisse fracassée par un obus.
Son corps placé dans une maison de Billy-sous-Mangiennes sera remarqué par un infirmier du 150e RI, Léon Fonder: « Nous transportons le sapeur Henry blessé à la cuisse et à la poitrine sur au moins quatre kilomètres...Le poste de secours est changé, il nous faut aller jusqu'à Billy où nous arrivons à 21 heures du soir. Nous portons notre blessé dans une maison où reposent déjà deux morts, dont un commandant du 19e chasseurs qui a la cuisse complètement détachée. »
« Ce détail assez étonnant, durant la journée du 24 août, réuni ce carnet de campagne avec un autre carnet d’un infirmier du 150e RI. Cet autre carnet est aussi publié sur mon site >>> ICI <<<<
On rejoint le bataillon à Billy.
Le général nous pousse encore vers les schrapnels, nous sommes exténués. On reçoit enfin l’ordre de se replier sur Azannes (nota : et-Soumazannes). Je rencontre mon oncle Alfred*, je perds le bataillon. Je rencontre Me Gauthier.
On me réprimande vertement pour avoir quitté le bataillon que je rejoins à Azannes.
* Alfred L’Huillier officier d’active d’infanterie a épousé la tante de Gabriel Grosdenis, Marie-Adelle.
Nous avons bivouaqués sur une croupe près d’Azannes où on se reconstitue.
Albert Lepointe a été blessé par un éclat d’obus en revenant avant-hier. Il doit être mort. Je n’ai pas de nouvelles de Gabriel.
Il paraîtrait que l’ennemi se retire, nous aurions reçu le feu de l’artillerie de 7 corps d’armée, qui devait protéger la retraite. Trois corps de réserve les prennent en flanc. Je ne sais si ces tuyaux sont fondés. Je rencontre souvent Jean Gauvin. Vivien doit être mort. Il avait reçu à Bazailles, 4 balles dans le corps.
Il serait succombé, j’ai son carnet de campagne.
Nous partons.
A la sortie d’Azannes nous croisons le général de division qui acclame notre bataillon.
En passant près de moi, il me félicite chaleureusement. Ensuite c’est le défilé ininterromptu vers Verdun.
Des gens s’en vont de partout.
Dans ma compagnie il reste 70 chasseurs sur 250.
700 chasseurs arrivent en renfort du dépôt d’Epernay.
J’ai couché à Charny, chez l’institutrice, j’ai vu Me Adam qui se charge d’un mot à Maman.
Me Barbier m’apporte des nouvelles, A. Lepointe n’est pas mort.
Nous allons à Vauquois.
A Marre je vois Mathilde, je cause quelques instants avec elle.
Nous cantonnons à Vauquois, sale patelin. Nous nous réorganisons avec les réservistes d’Epernay.
Je ne puis trouver un lit.
Bonnes nouvelles. Général de Castelnau met 5 corps allemands en désordre en Belgique.
A Vauquois c’est la vie tracassière qui reprend.
Mise au point problématique des réservistes. Nous allons probablement partir vers Sedan cette nuit.
La 42e DI passe sous les ordres du général Grossetti et quitte le 6e corps pour être attaché à la 9e Armée en formation sous le commandement du général Foch. Cette armée créée par le général Joffre avec des troupes prélevées sur la 3e et la 4e Armée a pour but de reprendre l’offensive.
Nous avons quitté Vauquois pour Verdun où nous sommes arrivés vers 8h.
J’ai vu Maman et Odette*.
Nous ne nous sommes embarqués que vers 2h du matin….
* Odette est la jeune sœur
de Gabriel âgée de 15 ans, devenue plus tard professeur à
Nota : …..et débarqués à Guignicourt.
Nous sommes dans un patelin de l’Aisne avec un nouveau chef de bataillon*.
On se soigne bien.
Peut-être que cette vie sera plus intéressante maintenant. Je me suis baigné dans le canal. C’était délicieusement bon.
Le village s’appelle Condé-sur-Suippe.
* Le commandant Payard chef de corps du 106e RI depuis le 25 août.
Nous partons ce matin pour nous rendre à Avre dans la direction de Rethel, jusque sous le canon de l’ennemi.
La population
fuit comme dans
Plus de 200 sont restés en route, 2 sont morts.
La chaleur était atroce. Il y a eu quelques coups de canon d’échangés.
Nous cantonnons à Blanzy.
A l’aube nous
recevons l’ordre de nous porter en arrière, à environ
Une colonne ennemie a en effet débouché de Château-Porcien, avec de l’artillerie lourde, toute la 42e division y fait face.
Un violent duel d’artillerie s’engage jusqu’à la nuit. La division se replie ensuite, le 19e sur Pomacle, après une marche fatigante jusqu’à minuit.
Je passe quelques instants agréables avec une demi mondaine jolie, et une charmante gosse qui habite la maison où je couche.
Je dors peu et je suis bien fatigué.
Des bruits fantastiques circulent.
Nous allons à Fismes.
La 42e division se met sous les forts.
Nos hommes sont à bout, surmenés.
Nous sommes en avant-postes, en avant de Fismes. On m’annonce que des cavaliers et un régiment ennemi s’avancent sur nous.
Nous ne voyons finalement rien.
Je passe une partie de la nuit aux avant-postes.
A une heure du matin, nous reprenons notre marche rétrograde.
Je me dispute avec Philippot*, je ne lui pardonnerai jamais.
Nous traversons Reims, pour aller à Germaine.
Des bruits courent d’indemnité de guerre à Reims pour lui éviter le bombardement. Nous nous replions jusque Ville-en-Selve.
J’ai les pieds en compote.
La moitié du bataillon est resté en route. Il est probable que nous allons continuer notre belle marche rétrograde.
Elle aurait parait-il des résultats, et un but inconnu.
* Il s’agit sans doute du lieutenant Amédée Philippeau de la 4e compagnie à laquelle appartient Grosdenis ; Il assurera un moment le commandement de celle-ci puis sera blessé le 27 septembre à la ferme d’Alger (près de Reims) et succombera à ses blessures le 6 octobre à l’hôpital civil de Vichy.
Nous repassons
Destination inconnue.
Nous cantonnons le soir à Gionges.
L’exode de la population continue, toujours navrant. Le bruit court d’un sanglant combat à Château-Thierry, à notre avantage.
Je ne peux y croire.
Les russes ont infligé un désastre à l’Autriche.
Le recul
continue, par Villers-au-bois, Soulières, vers Vert
Ordre ensuite d’aller cantonner à Reuves*, mais à Broussy-le-Petit, arrêt. Reuves est probablement occupé par l’ennemi.
Les uhlans derrière nous brûlent tout. Cette ignorance des nouvelles de l’armée est énervante au possible.
Beaucoup de gens ne pourront s’échapper, nos traînards sont surpris**. Une action est imminente pour nous***.
Brusquement une violente canonnade s’engage entre Reuves et Broussy, vers le soir, nous franchissons les crêtes pour nous soustraire au tir de l’artillerie.
A la nuit, nous retournons coucher à Reuves.
La canonnade se prolonge toute la nuit.
* Situé à la lisière sud-est des marais de St-Gond.
** A Vert-la-Gravelle.
*** Ce jour, la retraite
vers l’Aube est interrompue, toute la 9e Armée fait face au Nord et gagne les
positions indiquées par le général Joffre. La 42e DI est la soudure entre la 5e
et la 9e Armée sur le plateau au Nord de Sézanne.
L’ensemble de l’action
de la 42e DI au cours du 6,7 et 8 septembre se place de part et
d’autre de la route n° 51 Sézanne-Epernay, près des villages de Soizy-au-Bois,
Une grande bataille va se livrer*.
A 4 h du matin, nous rejoignons nos emplacements. Nous sommes liaison entre le 10e (général Defforges, 5e Armée) et le 9e Corps (général Dubois, 9e Armée) qui vont se porter à l’attaque.
Le 5e Corps se trouve en arrière articulé en profondeur**. Je ne sais pas si nous nous engagerons à fond, mais nous serons presque sûrement sous le feu de l’artillerie.
La division marocaine (général Humbert) attaque***, et de suite le recul des allemands se prononce.
Un duel d’artillerie fantastique s’engage.
Nous progressons. 3 h. La gauche allemande est culbutée.
Au centre un village est pris, repris et pris encore****. Ordre est donné de tenir jusqu’à la dernière extrémité.
En conséquence, on tirerait sur tout ce qui sortirait du village, allemands et français. C’est pour permettre au 10e Corps à notre gauche d’arriver.
Il arrive à marches forcées. C’est très dur et très meurtrier. Les pauvres turcos ont été très éprouvés. Nous sommes à Soizy (au-Bois) où on s’est battu toute la journée.
Les turcos ont eu quelques charges heureuses, et ont fait à la baïonnette des monceaux de cadavres.
Mais que de pertes.
* La 42e DI prend l’offensive vers le nord-ouest mais le Xe corps allemand débouchant de Corfélix et des hauteurs de Saint-Prix contre-attaque en force et l’oblige à reculer. Le 19e BCP n’est pas très engagé pendant cette journée.
** Curieuse erreur car
le 5e Corps du général Micheler se trouve à cet instant bien à l’est
au sud de la forêt d’Argonne où il combat
*** La division
marocaine se trouve à droite de la 42e
division auquel appartient le 19e BCP. En face d’eux
**** Il s’agit de
Après avoir bivouaqué près d’un bois*, à l’aube, une violente attaque se déclenche.
Nous devons tenir encore 2 jours pour permettre au 10e Corps d’arriver, et au 5e de serrer. La mission de la division et une mission de sacrifice, je vais probablement y rester cette fois.
Je dois tenir une lisière de bois jusqu’à la dernière extrémité.
Je change ensuite 5 ou 6 fois d’emplacement.
L’attaque est repoussée, ou du moins le combat prend assez bonne tournure. On annonce par avions l’arrivée rapide du 10e Corps, et que l’armée allemande a son ravitaillement en munitions coupé.
Je n’ose apporter créance, c’est au moins la 3e fois que ce canard circule.
Les allemands ont réoccupé le village pris par nous hier** bien qu’ailleurs on les dise en retraite***.
Les fantassins faisaient encore demi-tour mais nos cavaliers les ont sabrés. Le 19e va en avant à son tour.
Des mitrailleuses ne peuvent être délogées et nous causent un mal terrible****. L’artillerie rentre en action et déloge les mitrailleuses.
L’infanterie ne l’est pas car elle pousse une contre-attaque formidable. Deux fois nous nous lançons à l’attaque, mais pris en tête, au flanc, par derrière, nous sommes repoussés.
Le combat se poursuit dans le bois, meurtrier.
Le soir la canonnade reprend.
Je suis blessé au pied*****. Gaston Burlin****** me ramène. Je reviens en camion automobile jusqu’à Anglure au-delà de Sézanne. Là, je suis pansé, restauré par des dames charmantes, et ma blessure n’est pas tellement grave (pour) qu’elle m’empêche de boire et manger.
Je suis hissé dans un fourgon d’un train.
* Le bois de
**
*** Le général Humbert
commandant la division marocaine précise dans son ordre du jour :
« Les succès remportés par les 5e
et 6e Armées se confirment. Les allemands sont en pleine retraite, sauf
devant la 42e Division et
**** Le 19e
BCP est placé à la gauche de la 42e DI, il combat durement à
Ils subissent pendant
cette journée les assauts de la 19e Division d’infanterie allemande et
particulièrement ceux du Fusilier Regiment 73 (auquel appartiendra plus tard le
célèbre écrivain allemand Ernst Jünger), et du JR 91 auquel s’ajoutent deux
bataillons d l’IR77 et des éléments de l’IR74 et79.
***** A la ferme
Chapton par un schrapnel qui lui
fracture deux métatarsiens au pied droit.
****** Le sergent Gaston Burlin du 151e RI qui combat avec le 19e BCP au sein de la 42e DI décédera de maladie le 26 mars 1915 à l’hôpital auxiliaire n°16 de Châteaudun.
Ce jour-là, le commandant Payard est blessé, le capitaine Sallis lui succède et tombe le soir même lors d’un assaut à la baïonnette au château de Montgivroux.
A 6 h je suis toujours dans le fourgon sans être parti.
Nous partons enfin vers 7 h, passons à Romilly, Nogent-sur-Seine.
A Montereau, les dames nous restaurent, et nous y passons l’après-midi. Nous repartons vers 16 h vers Orléans.
Je suis toujours dans le train à 5 h du matin à Malesherbes.
Nous passons à Pithiviers, Ville-au-bois, Les Aubrais, Amboise, St-Pierre-des-Corps, Tours, où je m’arrête.
Partout nous avons été soignés, restaurés.
Je suis hospitalisé au couvent de l’Adoration, 3, rue Descartes. Nous avons fait un petit souper au buffet, au Vouvray, très agréable.
Nous sommes cinq officiers.
Le 9 septembre, il ne reste que quelques sous-lieutenants pour encadrer le 19e particulièrement éprouvés comme toutes les troupes de la 42e DI et de la division du Maroc. Tous les officiers et 400 chasseurs sont hors de combat dont 124 tués ces dernières 48 heures. Le bataillon est rattaché au 8e BCP.
On a examiné mon pied, il faudra me radiographier pour savoir si le projectile n’est pas resté dans la plaie.
Nous sommes plusieurs officiers, lieutenants et capitaines soignés et choyés, très gais.
Le sous-lieutenant d’artillerie, un polytechnicien a vu dernièrement Lepointe en Belgique.
Il est au génie.
Pas de résultat à la radiographie.
On a rien trouvé.
Le projectile a dû faire ricochet.
Donc je serai guéri dans huit jours, et je vais m’efforcer d’aller rejoindre mon corps. Mes camarades Ravenel et Mondron quittent le couvent pour aller loger chez Madame de Slade.
Ils viendront se faire soigner ici.
Je les rejoindrai demain. Nous serons moins enfermés.
Je suis chez Mme de Slade, de vieille noblesse bretonne*, maison somptueuse où nous sommes trop bien.
A table, c’est un peu trop cérémonieux. Les filles sont charmantes, surtout la jeune Jacqueline qui est très jolie.
Bonnes nouvelles de la guerre, les allemands sont en retraite. Je suis allé me promener au parc d’aviation, le monde tourangeau est très chic.
(…)
*La famille Hay de Slade d’origine bretonne (et auparavant irlandaise) avait une branche implantée en touraine. Le capitaine Henri Hay de Slade, fils de madame de Slade, sera l’un des as de l’aviation française de 14-18.
Pendant un mois, le sous-lieutenant Grosdenis est en convalescence et partage son temps entre mondanités avec la haute société tourangelle et les promenades en automobile.
Mais le 10 octobre……
Vu mon commandant. Nouvelles du bataillon (…)
Fait mes adieux à l’Adoration. Voit Maud.
Après-midi chez commandant, dernières recommandations.
Ensuite, nouvelles par jeune fille de Verdun (…)
Débarqué cette nuit à Ecouché. Beaucoup de mal à trouver un hôtel.
Ce matin voit le commandant du dépôt (….)
Trouve A. Lepointe, me donne nouvelles Verdun.
Nombreux blessés reviennent (…)
Départ de chasseurs pour le 19e.
Vais déjeuner chez une dame (….)
Le 19 octobre, le 19e
BCP quitte
Le 8 novembre, le bataillon marche sur Ypres. Le 10 et le 11 novembre, c’est le sanglant combat de Wytschaete avec le 16e BCP.
Le 15, le groupe 19/16e BCP est relevé par le 11e BCP et part au repos pour deux jours, c’est à ce moment que rejoint le sous-lieutenant Grosdenis.
Passons à Creil 6h, puis Amiens, Abbeville, Calais 18h.
Partons ce matin pour B…. Ce soir cantonnons près de là.
Demain à Oostcapelle.
Oostcapelle, j’aurai encore un lit ce soir, j’en ai besoin car je suis fatigué.
Nous avons très bien dîné en partie au frais des biffins, c’est une petite vengeance.
Le 19 novembre, le sous-lieutenant Grosdenis retrouve son bataillon dans les tranchées de 2e ligne au moulin de Zuydschoote.
Calme relatif. Suis envoyé en reconnaissance par général de brigade, pour reconnaître un itinéraire rejoignant le canal de l’Yser.
On m’a tiré dessus mais on m’a manqué, j’ai reçu également quelques schrapnels.
Vu Chamarin près d’une batterie, il a feint de ne pas me reconnaître.
Dans la nuit du 20 au 21, le bataillon se porte en ligne le long du canal au nord de Steenstraate, la droite au pont de Steenstraate, la gauche à la maison du passeur.
Détachement arrive d’Ecouché*. Paquet et nouvelles de là-bas.
* Le dépôt du 19e BCP a été transféré d’Epernay, menacé par l’avancée allemande, à Ecouché en Normandie.
Une lettre de Mathilde, Commande la 4e compagnie.
Part à 6h1/2 du soir relever la 2e compagnie du 162e à Lizerne (….)
Bonne nuit dans une cave, n’ai presque pas entendu canon.
Soir violente fusillade, suivie de canonnade.
114e
jour, 25 novembre, Mercredi.
Ce matin à 50m de ma cave deux obus percutants tuent dans une autre cave cinq chasseurs et en blessent deux.
C’était épouvantable.
Ordre
division : faire prisonnier, reconnaître troupes adverses*.
Ce jour le bataillon perd 9 tués.
* Le caporal François Zéphyr fait prisonnier un sous-officier et reçoit le lendemain 5 Louis promis par le général commandant la division.
Cette nuit ont été….. *tranchée de l’autre côté de l’Yser, les balles sifflent constamment. J’ai entendu à courte distance à ma gauche, la prise d’un allemand.
Rentré à 4h. On me fait cuire du cochon de lait.
Bon petit dîner. Serons probablement relevés.
Bruit court 42e Division part pour région de Nancy.
Carte de Mme de Slade.
Soir part faire encore tranchées. Lettre de Tours.
Passe nuit.
*De nombreuses tâches d’humidité rendent illisibles certains passages.
Reconnaissance de Lhuillier des tranchées allemandes.
Fusillade jusqu’au soir.
Relève mouvementée.
Repos, bonne nuit.
Arrivée de Lambert et de deux officiers de réserve*.
(….)
*JMO de la brigade : « Plusieurs officiers et quelques éléments de renfort viennent remonter un peu les effectifs vraiment précaires de la brigade. ».
Attaque dans l’air par le 19e. Relève au canal.
Pluie de marmites à huit heures
2e jour de tranchées.
3e jour attaque à 4h par Terreau, manquée*. Ai changé de gourbi.
*JMO de la 83e brigade : « A 5h30, une compagnie du 19e BCP est désignée pour attaquer la ferme Skampot si possible. Le sous-lieutenant Terraux va reconnaître lui-même la ferme mais se blesse à un point de résistance inexpugnable. ».
Il pleut. Mon gourbi est plein d’eau deux jours*.
*JMO de la 83e brigade : « Les pluies de la nuit ont suscité une crue sensible qui a occasionné un peu d’inondation. Les boyaux de communication notamment sont envahis et quelques isolés rebutés à clapoter dans l’eau sortent des tranchées pour se faire ajuster par des coups de feu et se faire tuer. ».
On me laisse 3 jours de plus. Je vais dans une cave.
On se prépare à être relevé.
Relevé, partons pour le sud ouest d’Ypres.
Tranchées pleines d’eau.
Reverrons-nous
Il semble que nous devions tous y périr.
L’historique du bataillon précise : « Vie de secteur active, pénible, sans repos, avec des tranchées encore rudimentaires, profondes en première ligne, mais sans boyaux, sans abris, et de l’eau partout. »
Suis dans un gourbi de 1ère ligne en réserve.
Vais y dormir 3 jours.
Mauvaise nuit.
On m’apporte
une livre de beurre. Attaque allemande nous enlève des tranchées sur la droite.
Contre-attaque manquée.*
*JMO de la 83e brigade : « Attaque de la part de l’ennemi dans le secteur de la brigade Deville (nota : 84e) à droite, le 94e en réserve de corps d’armée à Poperinghe est rappelé (…). La brigade Deville cherche en vain avec le bataillon Moisson à reprendre la tranchée perdue. ».
Pluie toute la nuit.
Calme relatif jusqu’à midi.
Y ai….. fort détestable.
Attaques allemandes sur la 84e brigade repoussées avec de grosses pertes.
75 tire sur nos lignes malgré avertissements.
Chasseurs démoralisés.
Tranchées
bombardées par les 105, suis trempé.*
*JMO de la 83e brigade : « Le secteur est inondé rendant les mouvements extrêmement laborieux ; les hommes aux tranchées sont littéralement dans l’eau (…) ».
Attaque générale à….. Bombardement infernal. 9e corps, 42e division, 38e division a am…. attaquent quand deux compagnies du 19e vont tenter d’enlever les tranchées.
Echec, deux compagnies anéanties sous mes yeux.
Suis dans un
état épouvantable.*
*JMO de la 83e brigade : « Attaque sur tout le front après un violent feu d’artillerie malgré le terrain extrêmement défavorable (…) L’attaque est prononcée à l’heure indiquée à droite par une compagnie du 19e BCP, à gauche par trois compagnies du 8e BCP. Cette attaque progresse en subissant de grosses pertes ; elle est reprise l’après-midi par l’autre compagnie de soutien (nota : du 19e BCP) qui après avoir atteint le même point que la première est obligée de regagner les tranchées sous un feu violent de canons et de mitrailleuses… »
Les pertes du bataillon sont de 51 tués ce jour-là.
Attaque
reprise par 1ère compagnie du
94e. 2e échec, bombardement des tranchées comme hier.*
*JMO de la 83e brigade : « L’attaque est reprise à droite par une compagnie du 94e qui est décimée par un feu des plus violents (…) ».
Bombardement des tranchées, ma compagnie fond de plus en plus.
Toujours dans les tranchées, j’ai les pieds gelés.
On ne parle pas de nous relever.
Sommes relevés à 1h1/2.
Souffre atrocement.
Mes chasseurs me portent jusqu'à l’entrée d’Ypres.
Une voiture ambulance m’emmène à l’ambulance de la division puis au château de Poperinghe où je passe la nuit.
Suis embarqué dans le train à Coperinghe pour Dunkerque direction X.
Passe Dunkerque, Calais, Boulogne, Amiens etc. Creil.
Passe St-Cyr, Chartres, Le Mans, Laval, Rennes.
Suis au meilleur hôpital de Rennes, clinique Ste Anne.
Bon chirurgien Mr d’Ai….. (…..)
Ce serait de la gelure du 1er degré*(….)
* Son dossier indique gelures au 2e degré.
La
rédaction de son carnet s’interrompt définitivement ; Il est très probable
que Gabriel Grosdenis ait continué à écrire sans doute sous forme de lettres à
l’attention de sa mère ou de sa sœur. Cette correspondance n’a pas encore été
retrouvée à ce jour.
Le sous-lieutenant Grosdenis reste hospitalisé pour soigner les gelures de ses pieds attrapées dans les tranchées d’Ypres. Son journal s’interrompt le 14 janvier 1915.
Il est de retour au front le 3 juin 1915 où il participe à la bataille qui se déroule maintenant aux Eparges, il sera de nouveau blessé d’un éclat d’obus à la tête le 29 juin à l’attaque du ravin de Sonvaux mais ne sera pas évacué.
Le 27 septembre 1915 il est de nouveau blessé plus sérieusement par un schrapnel à la ferme de Navarin pendant la bataille de Champagne ; après sa convalescence il reste au dépôt du 19e BCP à Ecouché où il fait office d’instructeur des recrues de la classe 1917 ; il est nommé lieutenant le 26 décembre 1915.
Après plusieurs demandes, le lieutenant Grosdenis est affecté le 8 octobre 1916 au 25e BCP ; le 26 octobre il est blessé par éclat d’obus à Bouchavesnes et évacué. De retour au front le 30 novembre il participe à toutes les opérations.
Il est cité à l’ordre du 6e Corps d’armée le 2 juin 1917 :
« Chargé de défendre un secteur particulièrement difficile, a su par son exemple, entretenir malgré la violence des bombardements, l’ardeur de ses chasseurs ; a infligé le 14 mai 1917, un échec sanglant à un ennemi supérieur en nombre en brisant trois assauts successifs. »
Le lieutenant Grosdenis est nommé capitaine à titre définitif le 30 septembre 1917. Le 21 novembre il est affecté au 2e bureau de l’Etat-major de l’Armée, et, de retour au 25e BCP, à la tête de la 5e compagnie le 10 décembre 1917.
Il est tué aux Eparges le 19 mai 1918 vers 18 heures, un jour tranquille, d’une balle en pleine tête en présentant son secteur au chef de l’unité de relève, le 19e BCP, son bataillon de 1914, il allait avoir 25 ans.
TOMBE DU CAPITAINE GABRIEL GROSDENIS A DIEUE-SUR-MEUSE
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