Correspondance d'Auguste LECOURT, soldat au 104e régiment d'infanterie durant 14/18

Extraits des correspondances d' Auguste Lecourt

 soldat au 104e RI

 

 

 

Auguste LECOURT, dit "Maurice" (mon arrière grand-oncle) a adressé ces lettres à Désirée Mary « Le Mesnil Imbert », Le Renouard par Vimoutiers, Orne.

 

Maurice LECOURT (1893-1916) a été incorporé en 1913 au 101e RI, puis versé au 104e RI, 3ème bat., 11ème comp., 4ème section.

 


 

 

Désirée Mary a remis ces lettres à ma famille quelques temps avant son décès en 1995 et c'est au hasard d'un déménagement, en cette année 2011, que j'ai pris connaissance de cette correspondance.

La transcription de ces lettres est conforme aux originaux, seules l'orthographe et quelques phrases ont été revues afin de faciliter la compréhension des lecteurs.

Pascal, octobre 2011

feather

 

 

Samedi 23 Octobre 1915

 

    


Je suis toujours en bonne santé, je désire que ma carte vous trouve de même. Nous sommes aux tranchées pour le moment, il n'y fait pas bien chaud tout de suite.

Recevez mes meilleures et sincères salutations,

Lecourt Maurice

 

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Jeudi 4 Novembre 1915  

 

Madame et  Mademoiselle Mary,

J'ai reçu votre lettre qui m'a fait grand plaisir d'avoir de vos nouvelles. Quant à moi, je me porte bien pour le moment, je désire que ma lettre  vous trouve de même qu'elle me quitte.

Nous sommes au repos pour le moment à Contault pour peut-être une quinzaine de jours s'il n'y a pas de changement, car dans ce sale métier là on ne connait rien longtemps à l'avance.

Nous faisons de l'exercice tous les jours comme des bleus ; faire des exercices en temps de guerre si ce n'est pas malheureux surtout pour les vieux qui sont avec nous et qui ont 35 ans ! (*)

Il y a des manoeuvres de fuite chez ces gens-là.

Voilà 15 mois que le conflit dure et pas plus de résultats aujourd'hui qu'au commencement ! Vous allez dire que je perds le moral mais notre quotidien est difficile à vivre : nous crevons de faim, nos camarades disparaissent et le bruit des balles et des obus à nos oreilles va nous rendre fous.

Mon frère Abel est à, 20 km de moi, je pense le voir d'ici quelques jours. Vous me dites qu'il y a beaucoup de pommes et qu'il y aura encore de la perte faute de main d'oeuvre ; il faut espérer que tout cela finisse bientôt que l'on puisse vous donner la main si on a le bonheur de revenir au pays.

A bientôt le plaisir de vous voir tous en bonne santé.

Lecourt Maurice

 

(*) C'est exact : Après son retrait des premières lignes, le 28 octobre, le régiment cantonne au camp de Mourmelon. il part (à pied, 65 km) pour le camp de Bussy-le-Repos et Contault, où il reste du 3 au 6 novembre.

 

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Lundi 16 Novembre 1915, Chaudefontaine

 

Chère Amie,

J'ai reçu votre lettre hier avec le colis, j'ai été heureux de manger les poires du pays qui m'ont semblé très bonnes.

Je vous remercie beaucoup de la bonté que vous avez pour moi car tout de suite nous ne sommes pas bien heureux, les tranchées sont pleines d'eau.

Il tombe de la neige tous les jours.

Nous sommes à 2 km de Ste Menehould, il n'y a plus de civils, le pays a été évacué. (*)

Nous sommes en repos pour 6 jours, s'il n'y a pas de changement, car l'autre jour on devait y être pour 15 jours et nous n'avons eu que 4 jours. Vous voyez ce que c'est que le régiment, enfin c'est la guerre, il faut s'y résigner.

Excusez mon griffonnage car j'ai froid aux mains.

Votre ami qui pense à vous

Lecourt Maurice

(*) C'est exact : Le 26 novembre, le régiment est à Chaudefontaine, à quelques kilomètres de Ste Menehould. Il est en réserve et remonte en ligne le 20, à Melzicourt, dans le bois de la Gruerie (appelé bois de la Tuerie, par les poilus). Le 104e et le 103e régiment d'infanterie se relève alternativement durant 6 mois, dans ce secteur.

 

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11 Décembre 1915

Chère Amie,

Nous ne sommes pas heureux tout de suite dans les tranchées, nous avons de l'eau jusqu'à la ceinture. (*)

Recevez mes meilleures salutations.

Votre ami qui pense à vous et qui vous embrasse bien fort.

Lecourt Maurice

(*) Le journal du 103e RI, signale, à la date du 15 décembre : "Envahissement par les eaux, état très précaire du secteur, mauvaise situation des hommes."

 

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24 décembre 1915

 

Chère Amie,

Je pense m'en aller en permission d'un jour à l'autre.

Nous allons casser la croûte avec les camarades du pays grâce au colis que vous m'avez envoyé.

Je vous remercie de la bonté que vous avez envers moi, je vous récompenserai plus tard si j'ai le bonheur de rentrer dans le civil.

Votre ami qui pense à vous, qui vous embrasse.

A bientôt le plaisir de vous voir !

Lecourt Maurice

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Mardi 15 février 1916

 

J'ai reçu vos cartes qui m'ont fait grand plaisir car je trouvais le temps long de ne pas avoir de vos nouvelles.

Je suis allé au salut ce soir avec Richard Serey et les fils Pottier.

Nous arrivons des tranchées ce soir.

Mon frère Charles est en permission à Montreuil-la-Cambe.

Il y a encore de la neige ici qui fournit bien de l'eau dans les tranchées. Vous me dites que votre jument ne peut travailler qu'elle a un écart dans le boulet, c'est bien ennuyeux, car c'est une bonne jument, il faut espérer que ça se remettra car elle n'avait pas l'air d'en souffrir quand je l'ai vue. Elle est jeune ça se remettra vite en ne la faisant pas travailler tout de suite.

Vous me dites que vous n'avez pas vu Gaston Pitrou, je crois qu'il a oublié de faire ma commission, car quand on est en permission on ne pense pas à tout, on n'a pas le temps d'aller partout non plus car 6 jours ce n'est pas long. Je vous enverrai ça avec les bagues d'ici quelques jours.

René Gemy doit aller en permission d'ici quelques jours, si les bagues sont finies je les lui confierai s'il le veut car il est encore assez à caprices.

Est-il tombé encore de la neige chez vous ces jours ?

Tout de suite il y en a encore chez nous dans les tranchées qui n'est pas bien chaude, Dieu merci il n'en tombe plus tout de suite car ça fournit bien de l'eau dans les tranchées.

Rien autre chose à vous dire.

Votre ami qui pense souvent à vous, qui vous embrasse bien fort.

Maurice

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Jeudi 17 février 1916

 

Ma Chère Amie,

Je vous disais que nous étions au repos mais dans la nuit nous avons eu une alerte, nous sommes partis à 4h du matin et nous sommes arrivés aux tranchées après 20 km de marche sous la pluie, mouillés jusqu'aux os.

Nous sommes tout de suite dans la ferme de Naviaux. (*)

 Il n'y a pas un civil, on ne trouve rien à acheter. Je mets dans la lettre une bague pour Solange, elle sera peut-être, comme la vôtre, trop grande je suis entrain de vous en faire faire une autre et je vous enverrai tout ensemble; A bientôt la libération et la fuite en vitesse !

Votre ami qui pense toujours à vous. 

Maurice   

Au même instant que je vous écris, je reçois votre colis qui m'a fait grand plaisir.

Je vous remercie beaucoup de la générosité que vous avez envers moi, je vous récompenserai quand je serai dans le civil si le bonheur le veut. Je vous dis mille fois merci car vous avez trop bon cœur pour moi.

Recevez mes meilleures amitiés tous.

Maurice

(*) C'est exact : Le 16 février, la 11e compagnie (dont fait parti Auguste) et la 1e compagnie de mitrailleuses, reçoivent l'ordre de s'installer en entier à la ferme Naviaux.

Elle se situe à 3 km au nord de La Neuville-au-Pont (nord de Sainte-Menehould, Marne)

 

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Vendredi 25 février 1916

 

Chère Amie,

Nous avons été vaccinés pour la deuxième fois il y a deux jours, ça ne m'a pas fait mal cette fois-ci.

Nous sommes dans les tranchées de première ligne, il y a eu un tué par une balle ce matin à la 10ème compagnie. Nous avons vu 4 avions tomber dans nos lignes et un zeppelin prendre feu, il y avait 30 hommes dedans avec un officier boche.

On ne voit pas nos aviateurs dans ces moments-là, c'est à croire qu'ils se cachent.

Tu me dis que tes pommes vont être perdues, que vous manquez de monde et de chevaux pour les emmener à la gare, c'est bien malheureux ! A quand la fin de cette maudite guerre que je puisse venir te soulager dans tes travaux ?

Malheureusement beaucoup d'entre nous ne reviendront pas, que de familles endeuillées !

Tu vas dire que je n'ai pas beaucoup le caractère militaire mais c'est honteux de voir ce que l'on voit ici tous les jours : les camarades tombés sur la plaine, le ventre au soleil et c'est une infection que nous respirons.

Pour nous remonter le courage, ils ont fusillé deux types du 315e la semaine dernière.

J'aurais bien d'autres choses à te dire mais je risque la prison.

Reçois chère amie mes sincères salutations, séparés par la distance mais unis à l'espoir de nous retrouver dans la vie civile pour te raconter nos faits d'arme.

Ton ami pour la vie,

Maurice

 

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Mercredi 8 mars 1916

 

Chère Amie,

 J'ai reçu ton colis qui m'a fait grand plaisir et la petite bouteille qui nous a rappelé du pays.

J'ai reçu des nouvelles de ma soeur, elle me dit que mon frère est en permission. Quand je suis venu en permission, je n'ai pas parlé de notre avenir à tous les deux car s'il venait à m'arriver malheur ce serait encore des peines pour toi. Il sera peut-être encore temps après la guerre, si le bonheur le veut, je serai à ta disposition si cela te plait.

Ton ami qui pense souvent à toi, qui t'embrasse bien fort.

Maurice

Toujours en bonne santé, bonjour à tous à bientôt des nouvelles.

 

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Jeudi 9 mars 1916

 

Chère Amie,

Tu me dis que tu n'as pas eu de mes nouvelles, il ne faut pas que ça te surprenne c'est à cause de l'attaque qu'il y a eu sur Verdun.

Les permissions sont suspendues.

Hier soir je suis allé en première ligne poser des fils de fer, les 77 nous tombaient dessus, nous ne sommes pas restés longtemps sur la plaine, il n'y a pas eu de blessés.

L'autre jour, nous avons été fusiller un type du 103e à Chaudefontaine. Il était père de trois enfants, c'est bien malheureux pour sa famille.

L'Allemagne a mobilisé sa flotte, je crois qu'elle joue son dernier atout ! Il y a eu un mouvement de troupes extraordinaire dans notre secteur, on n'avait pas encore vu cela.

Quand je suis allé en permission tu m'as proposé des chaussettes, si cela ne te dérange pas, tu peux me les envoyer car j'en ai plus pour en changer.

Ton ami pour la vie.

Maurice

A bientôt des nouvelles

 

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 18 mars 1916

    

Chère Amie,

Je suis dans les tranchées de 1ère ligne, pour le moment il fait beau temps.

A présent on n'aspire qu'à la paix et à la libération, voilà bientôt 2 ans que cela dure et pas encore de résultat !

Richard est toujours avec moi, il ne se fait pas de mauvais sang tout de suite, il est charbonnier pour la compagnie.

Quant à moi je pars poser du fil de fer sur la plaine, c'est mon ouvrage de tous les jours.

Ton ami pour toujours.

Maurice

 

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 22 mars 1916

 

Chère Amie,

J'ai bien reçu ta lettre et ton colis avec les chaussettes et je te remercie beaucoup.

Nous sommes toujours dans les tranchées, on doit être relevés ce soir, s'il n'y a pas de changement.

Il fait beau temps tout de suite mais le canon donne toujours. Les boches ne sont pas bien commodes tout de suite, ils tirent toujours.

Je crois qu'ils ont changé leur relève aussi car les autres ne tiraient pas comme ceux-là, il paraît que c'est des turcs qui sont en face de nous.

Il y a eu deux blessés chez nous hier par des grenades mais les blessures ne sont pas bien graves, pour l'un dans l'épaule et  pour l'autre dans la jambe. C'est la bonne blessure qui éloigne du front pendant 6 mois.

Il y a un type qui passe en conseil de guerre pour être arrivé avec un retard de 5h dans les tranchées. Ce n'est pas un motif valable pour le faire passer en conseil de guerre, c'est malheureux d'avoir affaire à des chefs de la sorte.

Richard te souhaite le bonjour.

Ton ami pour toujours qui t'embrasse bien fort

Maurice

(*) C'est exact : Il s'agit des soldats BOISHARDY Georges et VALETTE Claude, blessés le 19 mars.

Le 22 mars , un autre blessé par accident de grenade, caporal HINCELIN Achille, est signalé dans le Journal des Marches du régiment.

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24 mars 1916

 

Chère Amie,

J'ai reçu ta carte qui m'a fait grand plaisir, je suis toujours en bonne santé.

Richard est de service pour le moment et il te souhaite bien le bonjour.

Nous devons changer de secteur mais je ne sais pas où nous allons. Je suis allé voir mon frère Charles, il est à 5km d'ici. Il tombe de l'eau tout de suite quel mauvais temps !

A quand donc la fin de cette maudite guerre ?

On nous a dit que ce serait fini pour le mois de mai, pourvu que ce soit vrai ! Je suis allé au salut hier soir avec les fils Pottier de Tournai sur Dives mais cela ne plait au capitaine, ni au colonel : ceux qui vont au salut sont bons pour les corvées les jours suivants.

Notre  commandant qui était à l'hôpital a rejoint son bataillon cette nuit, celui qui le remplaçait n'était pas bien facile : il faisait passer des revues tous les jours, même pas le temps de se changer, les jours de prison tombaient comme la grêle et il a fait passer 2 camarades en conseil de guerre.

Souhaite le bonjour aux amis, mille baisers de l'Argonne.

Maurice

 

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Dimanche 30 avril 1916

 

Chère Amie,

J'ai reçu ta carte et ton colis avec la petite bouteille qui a fait grand bien à notre petit tempérament.

Nous sommes en 1ère ligne et il n'y fait pas bien bon, nous sommes à 20 m de ces sales bandits là et il y a des pertes tous les jours.

Nous avons eu la visite du colonel ce matin en 1ère ligne, il nous a tracé du travail pour la semaine. On travaille toute la nuit : pas de repos !

Le sergent de ma section a tué un boche qui se promenait sur la plaine hier matin. Richard fait le caporal d'ordinaire pendant que l'autre est en permission.

Ton ami qui pense à toi.

Maurice    

Bonjour à tous

 

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Mardi 2 mai 1916

Chère Amie,

Il fait très chaud pour le moment, nous sommes encore pour 4 jours dans les tranchées.

Nous allons sur la plaine chercher les morts du 25 (?), ça  ne me dit pas beaucoup de les transporter car ça ne sent pas bien bon, enfin ces pauvres malheureux sont encore les plus à plaindre !

Espérons que cette maudite guerre finira bientôt, nous avons des pertes tous les jours. Mon frère Abel est changé de régiment, il est au Chasseur 4ème groupe cycliste sur le même secteur, il va être plus heureux car il ne prendra pas les tranchées.

Ton ami qui pense souvent à toi.

Maurice

 

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Vendredi 19 mai 1916

Chère Amie,

Il y a encore eu un blessé hier dans notre compagnie, mais ce n'est pas bien grave, c'est la bonne blessure pour l'arrière et le repos ensuite. (*)

Notre vie n'est pas bien chère en ce moment, ils ne sont pas chiens pour nous envoyer des torpilles sur la figure.

A quand donc pourra-t-on se promener dans les prairies de chez nous en toute sécurité sans entendre les balles et les obus qui nous cassent les oreilles ?

Je suis bien fatigué de tout cela.

A bientôt la libération !

Maurice

 (*) C'est exact : Il s'agit de soldat GAUBERT Albert, blessés le 18 mai.

 

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1er juin 1916

 

Chère Amie,

Il fait très chaud pour le moment, nous allons travailler le soir car le jour le soleil nous écrase quand on sort des abris. Nous touchons du pain chani (*), on crève de faim encore quelques mois comme ça et ce sera la famine !

C'est la classe 1916 qui part en permission tout de suite, je pense m'en aller fin juillet, cela ne va pas vite tout de suite : un par jour.

Ton ami pour toujours.

Maurice

(*) : Moisi, impropre à la consommation.

A partir du 25 juin, le 104e RI change de secteur et s'établie vers Maison de Champagne (Marne)

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Lundi 3 juillet 1916  

Chère Désirée,

Nous allons au repos ce soir pour 8 jours, on ne doit pas aller bien loin : dans les bois de Valmy.

Tu me dis que mon frère Abel est en permission.

Mon frère Charles va partir pour la 3ème fois, j'attends mon tour avec impatience dans les autres régiments, le 2ème tour est fini ! Il n'y a qu'au 104 qu'ils ont toujours le temps de faire partir les hommes.

A bientôt le plaisir de se voir.

Maurice

 

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Jeudi 6 juillet 1916

 Chère Désirée,

Nous allons faire des tranchées tous les soirs de 8h00 à 1h00 du matin, comme nous sommes au repos !

Tu parles d'un repos même pas le temps de se nettoyer dans la journée ! Il y a des orages tous les jours. Nous allons en première ligne dans les tranchées ,d'ici 5 jours voir ces sales boches !

J'ai bien espoir qu'ils ne me tuent pas car mon tour de permission approche. Je me suis fait exempter de corvée car j'ai des ampoules aux mains,

Ton ami pour toujours

Maurice

 

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Samedi 8 juillet 1916 

Chère Désirée,

Nous sommes à la Butte du Mesnil pour le moment, d'ici 3 jours nous reprenons les tranchées en première ligne à droite de la Maison de Champagne, là où ce pauvre Robert Lasne a été tué.

J'ai posé ma permission pour Vimoutiers, on arrive à 6h00 du matin, il n'y a pas plus loin que d'Argentan et cela me fera gagner un jour, je ferai venir ma bicyclette ou je prendrai celle de mon camarade de Vimoutiers, il ne faut pas m'attendre avant une dizaine de jours.

Ton ami pour la vie.

Maurice

A bientôt !

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Lundi 10 juillet 1916

Ma chère Désirée,

J'ai reçu ta carte et ton colis hier qui m'ont fait grand plaisir.

Nous reprenons les tranchées demain soir en 1ère ligne pour 8 jours.

Je crois que tu vas pouvoir faner car il fait très chaud. Je pense m'en aller en permission d'ici une quinzaine de jours.

Il y a des bruits que nous irions dans la Somme d'ici quelques jours en réserve des Anglais. (*)

Là où nous sommes, en face du pont de Minaucourt, il y a une pièce de marine, du 164, qui bombarde à 36 decgrés soit 18km.

Quelle longueur ! C'est encore autre chose que le 75, cela fait un peu plus de bruit !

Nous allons travailler tous les soirs à faire des tranchées pour passer notre repos puisqu'ils ne peuvent pas nous faire faire d'exercice.

Ton ami qui pense toujours à toi.

A bientôt le plaisir de se voir.

Maurice

(*) En effet, la bataille de la Somme a débutée le 1e juillet.

 

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Mardi 11 juillet 1916

 

Notre jour de relève est changé pour tromper les boches car ils nous tirent dessus ces jours-là et il y a beaucoup de blessés ; nous profitons d'un jour de plus de repos. En ce moment Richard fait la partie de cartes avec Oscar Pottier et ses camarades pour passer le temps.

Il y a eu une attaque dans notre secteur par le 103e mais pas beaucoup de résultats et plusieurs blessés ; je crois que l'on va encore prendre quelque chose cette fois-ci dans nos 8 jours.

La 8ème division qui était partie à Verdun est rentrée il y a 2 jours, elle n'a pas attaqué, le bruit court que nous allons dans la Somme en réserve des Anglais.

Ton ami qui pense souvent à toi.

A bientôt le plaisir de vous voir tous en bonne santé.

Maurice

 

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Samedi 22 juillet 1916

Chère amie Désirée,

Nous sommes arrivés au repos ce matin à Hans (*)  pour 8 jours, je n'ai pas de regret car des camarades tombent tous les jours.

En ce moment il est midi, il y en a qui ont du vent dans les voiles et qui chantent. Je suis le 18ème à partir en permission, je pense m'en aller d'ici une quinzaine de jours s'il n'y a pas de changement.

Il y a eu une attaque cette nuit dans notre secteur par un bataillon de marche pour prendre la tranchée, il faut qu'on la garde coûte que coûte !

Ton ami pour toujours.

Maurice

(*) Hans, 10km à l'ouest de Ste Menehould

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Jeudi 27 juillet 1916

J'ai reçu ta carte aujourd'hui qui m'a fait grand plaisir.

Pour le moment je suis au repos à Hans, nous reprenons les tranchées dans 2 jours; Je pense m'en aller en permission dans 10 jours s'il n'y a pas encore de changement.

Ton ami qui pense souvent à toi.

Maurice

 

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Lundi 31 juillet 1916  

Chère Désirée,   

Nous sommes dans les tranchées de 1ère ligne, il y a eu un tué cette nuit par une grenade à fusil et 2 blessés. (*)

J'ai reçu ton colis, il est arrivé au bon moment car nous n'avions plus rien à manger ce jour-là.

Je suis monté sur la plaine hier à 2 reprises pour aller mettre du fil de fer mais il est tombé beaucoup de grenades à fusil et nous avons du redescendre dans nos abris.

Le jour, ces sales boches là ne disent rien mais la nuit ils ne cessent de tirer des grenades et des torpilles.

Ton ami pour toujours.

Maurice

(*) C'est exact : Il s'agit de sous-lieutenant TERRAZZONI Ours Dominique, de la 11e compagnie, et les soldats BREAU Auguste et FONTAINE François.

 

 

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2 août 1916 

Chère Amie,

J'ai reçu ta lettre hier qui m'a fait grand plaisir.

Je te remercie beaucoup de ton colis, il est arrivé au bon moment : le jour où nous prenions les tranchées.

Nous n'avons pas eu beaucoup de chance à notre arrivée : il y a eu 2 tués et notre lieutenant s'est tué accidentellement avec une grenade, elle lui a éclaté dans les jambes, il est mort 2 h après, à bout de sang. (*)

Il fait très chaud en ce moment. Richard et Oscar Pottier sont toujours en bonne santé.

A bientôt le plaisir de te voir.

Maurice

(*) C'est exact : Il s'agit du même sous-lieutenant TERRAZZONI Ours Dominique, tué le 31 juillet et le soldat ALLARD Auguste, tué le 27 juillet (tout deux de la 11e compagnie). Le 104e RI, ayant remplacé le 102e RI est arrivé le 24 juillet.

 

 

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Vendredi 4 août 1916

Chère Désirée,

J'espère que tu es toujours en bonne santé, pour moi cela va bien pour le moment. Je suis encore le 6ème à partir en permission.

Je pense partir jeudi s'il n'y a pas de changement.

Cela m'éviterait un tour de tranchée de 1ère ligne et je pourrai peut-être passer 2 dimanches au pays.

 

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8 août 1916 

Chère Désirée,

Je pense partir en permission d'ici 2 ou 3 jours, j'espère partir vendredi soir. Rien autre chose à te dire.

Ton ami qui pense à toi.

A bientôt !

Maurice

 

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Le 16 août la 7e division d'infanterie (dont fait parti le 104e RI) est relevé par la 8e division. Le 104e RI est remplacé par le 101e RI.

La 7e DI cantonne dans le secteur de Noirlieu (Marne) avant de partir pour Verdun, le 2 septembre.

 

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Samedi 26 août 1916 

Chère Désirée,

Je suis toujours en bonne santé.

Je suis allé hier à l'exercice, nous avons fait beaucoup de kilomètres dans les champs, c'est un exercice pour former des officiers et des sous-officiers.

Nous sommes rentrés à 8h00 pour manger la soupe.

Aujourd'hui, le colonel a passé tout le régiment en revue.

Mon tour de permission a été plus agréable pour moi que pour les camarades, il y a beaucoup de manquants dans ma compagnie.

Il paraît que nous allons à Verdun d'ici une huitaine de jours, cela ne me dérange pas beaucoup car cela ne peut pas être plus terrible que dans le secteur que nous quittons.

Je suis allé voir le garçon Bourdon et plusieurs camarades , ils m'ont raconté qu'il y a eu beaucoup de blessés et de tués pendant mon tour de permission.

Ton ami qui pense à toi, qui t'embrasse bien fort et toute la famille.

Maurice    

J'ai écrit à Madame Lecarpentier hier.

 

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Dimanche 27 août 1916 

Ma chère Désirée,

J'ai reçu ta lettre aujourd'hui datée du 24 qui m'a fait grand plaisir.

Aujourd'hui nous sommes au repos toute la journée. Je suis allé à la messe à Noirlieu, c'est Richard qui a chanté la messe.

Je ne sais pas quand nous reprendrons les tranchées, ils parlent toujours d'aller à Verdun.

Je préférerais être à la place des domestiques de ta tante, je serais plus heureux car ici on n'est jamais sûr de ramener sa vie.

Demain nous avons la revue du général de brigade, c'est un type qui vient des zouaves, il est bien décidé d'aller de l'avant à la baïonnette mais au 104e on ne s'en ressent pas.

Gaston Pitrou m'a écrit, il me dit qu'il doit s'en aller en permission d'ici quelques jours. Il est avec Augustin Moisson à 4km de moi.

Dans le pays où nous sommes il y a encore quelques civils mais c'est bien triste.

Ton ami qui pense à toi et qui t'embrasse bien fort.

Embrasse pour moi ta mère et ta soeur.

Maurice

 

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Noirlieu, le 29 août 1916

Ma chère Désirée,

Il paraît que nous partons demain en direction de Verdun.

Le 1er bataillon est parti ce matin pour embarquer.

Il n'y aura pas de ravitaillement et nous serons 24 jours sans descendre des tranchées, alors si tu pouvais m'envoyer quelques paquets de tabac cela me ferait plaisir.

Je suis allé voir mon frère Charles dimanche, il m'a dit que le beau-frère de R. L. était passible du conseil de guerre pour avoir envoyé 150 francs chez lui.

Ce n'est pas un motif honnête pour passer en conseil de guerre !

Cela ne vaut pas le temps que j'ai passé au Renouard pendant ma permission. Avoir passé un aussi bon moment et se retrouver dans ce sale métier !

A quand donc le bonheur de rentrer ?

Enfin, il ne faut pas se décourager, je crois que ça viendra bien un jour. Pour le moment je crois être plus heureux que toi car je suis couché dans l'herbe pendant que tu dois rentrer ton foin. Ce sera notre tour bientôt car je crois que nous allons passer un mauvais quart d'heure d'ici quelques jours.

Si tu veux m'envoyer ta photo cela me ferait plaisir.

Ton ami pour toujours.

Maurice

 

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1er septembre 1916

Ma chère Désirée,

Nous sommes toujours près de Verdun, à 10km, (*) mais cela ne va pas durer longtemps car le capitaine nous a fait une petite recommandation au sujet des 1ères lignes. Nous sommes toujours dans les bois et demain il y a prise d'armes pour la remise des décorations.

Tu me parles de la journée que nous avons passée à Fel, j'ai bien fait d'en profiter car pour le moment il n'y a plus de cidre à boire, on ne trouve rien ici, il n'y a plus de civils.

On est plus tranquille au pays car pendant que je t'écris j'entends le canon à 10km !

Ton ami qui pense toujours à toi, qui t'embrasse très fort pour la vie.

Maurice

: à Nubécourt

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5 septembre 1916

Ma chère Désirée,

Tu m'excuseras de ne pas t'avoir donné de mes nouvelles plus tôt car nous étions en tranchée de réserve et cela ne nous était pas facile d'écrire.

Les obus tombaient comme de la grêle.

Nous sommes rentrés ce matin à 6h00 et nous avons eu de la pluie pendant 36h.

Il y a eu 6 tués et 7 blessés. (*)

Il faut, paraît-il,  60% de pertes pour repartir à l'arrière.

Nous sommes au repos à Verdun, je ne sais pas pour combien de temps.

Ton ami qui t'embrasse bien fort et qui pense souvent à toi.

Maurice

(*) : Précision du Journal du régiment : "4 tués et 6 blessés, par obus de gros calibre.". En effet le régiment se trouvait à dans Verdun et fournit des travailleurs pour des travaux de défense de la ville.

(**): C'est exact.

 

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8 septembre 1916

  Ma chère Désirée,

J'ai reçu tes deux lettres et ton colis qui m'ont fait grand plaisir, il ne faut pas que tu mettes des fruits et du chocolat car pour le moment je n'en manque pas.

Nous ne sommes pas encore allés en 1ère ligne, le secteur, paraît-il, n'est pas bien bon.

Nous sommes au repos à 5km des boches et je passerais bien le reste de la guerre ici car on ne craint pas les balles et les obus. Si tu voyais ce pauvre Verdun, il n'y a plus que des ruines. Nous travaillons tous les jours à nettoyer les rues et à faire des fortifications au cas où les boches avanceraient.

Il y a 16 (?) divisions boches devant Verdun, je crois qu'ils perdent leur temps car il y a beaucoup de nos camarades qui les attendent.

D. De Bailleul a rejoint sa compagnie, il est passé en conseil de guerre pour abandon de poste, il a été acquitté.

Voilà déjà 3 ans que je suis dans ce métier là, j'espère bientôt voir la fin de cette guerre et retourner dans le civil.

Ton ami qui pense souvent à toi

Maurice

Bonjour et bonne santé à toute la famille.

 

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Dimanche 10 septembre 1916

Ma chère Désirée,

Nous ne sommes pas loin des tranchées qui sont à 2 km, cela n'a pas l'air bien terrible, nous sommes passés par plus mauvais que cela et on en est revenu !

J'ai toujours l'espoir de m'en tirer sain et sauf avec tous mes membres.

Nous sommes en face de Fleury à 2km du fort Souville et du fort St Michel, la terre est tournée par les obus, il n'y a plus de bois ni de tranchées, on croirait un champ labouré.

Il fait beau temps en ce moment, cela semble bon car nous avons eu une période de mauvais temps avec de l'eau dans les tranchées et les trous d'obus. Nous allons travailler en 1ère ligne cette nuit.

Aujourd'hui le ravitaillement n'est pas arrivé, il a fallu consommer les vivres de réserve , il doit venir ce soir mais si c'est comme hier nous mangerons avec les chevaux de bois.

Cela fait partie de la guerre, il ne faut pas s'en faire pour si peu, nous serrons la ceinture d'un cran !

Tous les camarades se portent bien ce moment.

Mille baisers de loin.

Maurice

 (*) : à partir du 9 septembre, le 3e bataillon ,celui d'Auguste, se trouve en seconde ligne.

 

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13 septembre 1916

Ma chère Désirée,

Nous avons attaqué hier à 3h30 de l'après-midi, nous avons fait 27 prisonniers mais nous avons perdu peut-être 500 hommes dans nos deux bataillons pour gagner 20m de terrain.

C'est un carnage.

On voit bien que ceux qui veulent la guerre ne sont pas avec nous, il n'y a plus d'officiers dans le 1er bataillon, ils sont tous tués.

Nous n'avons pas encore à nous plaindre au 3ème bataillon, nous ne chargeons pas à la baïonnette. (**)

Le colonel a toujours soin de son ancien bataillon, malgré cela il y a eu 5 blessés et un tué hier dans ma compagnie.

Les autres ont chargé 2 fois à la baïonnette hier et une fois aujourd'hui, je saurai le résultat ce soir en allant au ravitaillement.

Encore 3 jours comme cela et le 104 n'existera plus.

En ce moment commence encore un bombardement pour prendre quelques mètres de terrain. J'ai vu Richard hier soir, il a le filon, il est à 3km de la 1ère ligne, à la bonne place.

Ton ami qui pense souvent à toi, qui t'embrasse bien fort car nous sommes entre la vie et la mort pour le moment, ton ami pour toujours.

Maurice

(*) : Le 104e RI a déclaré 4 officiers tués (et 4 blessés) et 53 hommes de troupe tués (et 111 blessés). Les régiment voisins ont aussi énormément soufferts (100 morts au 103e RI)

Auguste ne le dit pas, mais le lendemain (14/09), le colonel ordonne une nouvelle attaque : 29 tués et 36 blessés. Encore 17 tués le 14/09 et une trentaine le lendemain complètent ces tristes journées. Le Journal indique : gain de terrain : 25 mètres, sur tout le front du régiment.  (!)

(**) : Ils étaient des combats à la grenade.

 

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Dimanche 17 septembre 1916

Ma chère Désirée bien aimée,

Je laisse la guerre de côté car vous ne vous faites pas une idée de ce que c'est à Verdun.

Dans le civil, si j'ai le bonheur de me retirer de ce maudit pays, je vous en parlerai car je ne peux pas m'empêcher de me mettre en colère. (*)

Je sais que tu as du mal mais que veux-tu, prends ton mal en patience, viendra un jour peut-être où je serai libéré de ce métier-là pour te donner la main et te soulager.

Le travail que tu fais est trop dur pour une femme, espérons qu'un jour, si le bon Dieu le veut, nous serons heureux ensemble après avoir supporté autant de misère.

Ton ami qui t'embrasse.

Maurice

 

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19 septembre 1916

 


Ma chère Désirée,

Je suis toujours dans les trous d'obus où il y a 20cm d'eau, voilà 9 jours que nous y sommes. Il pleut tous les jours et pas une chemise pour se changer ! C'est à se révolter de vivre tout cela en ce moment. Je pleure.

Ton ami qui pense souvent à toi, qui t'embrasse de tout coeur.

Maurice

 

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Jeudi 21 septembre 1916

Ma chère Désirée bien aimée,

En ce moment les bombardements commencent dans notre secteur, hier il y a eu 1 tué et 5 blessés dans notre compagnie. (*)

A la 10ème compagnie, ils ont eu 20 blessés, pas de mort.

Le 102e a attaqué hier, ils ont fait 150 prisonniers mais ils ont eu bien des morts et des blessés pour prendre si peu de terrain. Nous devons être relevés ce soir s'il n'y a pas de changement car voilà 10 jours que nous sommes dans la boue et dans la misère jusqu'au cou, c'est honteux !

Richard a toujours le filon, il ne vient pas dans les tranchées.

(*) : dans la 11e compagnie. 7 tués et 16 blessés, pour le régiment en entier.

 

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28 septembre 1916  

Ma chère Désirée bien aimée,

Nous sommes toujours au repos pour le moment mais il paraît que nous embarquons demain, je ne sais pas dans quelle direction.

Nous sommes dans une ferme école à Lisle-en-Barrois, c'est très joli à voir et il y a de belles propriétés dans la contrée.

Il y a un sergent de cassé dans notre compagnie, pour avoir abandonné son poste, il est passé simple soldat à la 2ème compagnie.

Il y a encore 3 sergents et 6 caporaux, je crois que nous allons avoir des renforts car nous ne sommes plus que 118 dans notre compagnie sur les 180 que nous étions en arrivant à Verdun.

Il y a 800 manquants dans notre régiment et cela n'empêche pas la musique de jouer quand nous traversons les villages.

Ton ami qui pense souvent à toi, qui t'embrasse bien fort pour la vie.

Maurice

Bonjour à tous, bonne santé.    

 

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30 septembre 1916

Ma chère Désirée,

Nous avons reçu un renfort de 17 hommes pour notre compagnie, 150 hommes pour le régiment, il en manquait 800, tu parles d'un renfort !

Il fait beau temps cela semble bon d'être au repos. Il est paru dans le journal que les soldats du front auraient droit à 7 jours de permission au lieu de 6.

Cela fait toujours plaisir d'être 24h de plus chez soi mais mon tour de permission est encore loin.

Dans le pays où nous sommes il y a encore des civils qui sont très gentils avec nous. Je ne sais pas où est mon frère Charles car il est comme moi, il change souvent de cantonnement.

Il doit bientôt aller en permission.

Ton ami qui pense souvent à toi, qui t'embrasse bien fort pour la vie.

Maurice

 

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1er octobre 1916

 

Chère Désirée,

Aujourd'hui dimanche il fait beau temps mais rien pour nous divertir.

Ce matin je suis allé à la messe.

Le pays est un peu démoli par la guerre, les allemands y sont restés 6 jours. Des civils sont partis avec ces sales boches qui souillent le sol de France depuis trop longtemps.

Hier le colonel a passé les troupes en revue pour recenser les hommes, nous étions 104 sur les rangs sur 180 que comptait notre compagnie avant de partir à Verdun ; le colonel a dit à un de mes camarades qu'il n'avait pas fait son devoir car s'il l'avait fait, aujourd'hui, il serait mort.

C'est un vieux brigand que l'on a à la tête du régiment on aimerait bien le perdre car il ne cherche que la destruction des hommes.

Il a sonné la charge depuis son abri pour nous envoyer à la boucherie alors que notre commandant pleurait de nous voir partir à la grenade dans les trous d'obus.

Aujourd'hui on ne sait pas où nous allons, peut-être dans la Somme, je voudrais bien changer de secteur plutôt que de retourner dans un enfer comme celui-là.

Ton ami qui pense à toi et qui t'embrasse de tout coeur.

Maurice

A bientôt !

 

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6 octobre 1916

J'ai reçu tes lettres aujourd'hui, l'une du 1er et l'autre du 2, qui m'ont fait grand plaisir.

Nous sommes vaccinés depuis hier, je n'ai pas pu dormir de la nuit et encore aujourd'hui cela me fait souffrir. Ce n'est pas des médecins que nous avons mais des bouchers !

Les permissions sont arrêtées pour le moment. Je ne t'en mets pas plus long car cela me fait encore souffrir, ils n'arrivent pas à nous faire tuer alors ils nous travaillent la peau.

Ton ami qui t'aime pour la vie et qui t'embrasse bien fort.

A bientôt des nouvelles.

Maurice

 

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9 octobre 1916

Ma chère Désirée,

J'ai eu la visite de Gaston Pitrou hier voilà pourquoi je n'ai pas eu le temps de t'écrire.

Cela fait toujours plaisir de se voir. Je suis toujours en bonne santé, je désire que ma lettre te trouve de même qu'elle me quitte.

Ton ami qui pense souvent à toi et qui t'embrasse bien fort.

Maurice 

 

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Dimanche 15 octobre 1916

Ma chère Désirée,

Nous sommes toujours en repos pour le moment.

Hier nous sommes allés à l'exercice à Laimont pour la revue du général de brigade, cela n'a pas été trop dur. La parade c'est plus facile que la réalité. Nous avons un officier qui est de Domfront, un avocat de la régie, un type qui n'est pas bien vu dans la compagnie.

A bientôt la libération car je suis réserviste depuis 15 jours. (*)

Ton ami pour la vie qui t'embrasse de tout coeur.

Maurice

(*) : Il a théoriquement dépassé l'âge (23 ans) de combattre dans un régiment d'active, et devrait être dans un régiment de réserve (Valable en temps de paix)

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19 octobre 1916

Ma chère petite Désirée,

Ce matin nous avons lancé des grenades à main mais il ne faisait pas bien bon dehors, il est tombé de l'eau toute la journée.

Nous ne pouvons plus sortir le soir après l'appel car le colonel fait faire des patrouilles tous les soirs et après 9h00 il ne doit plus y avoir de lumière dans nos cantonnements.

Il est très mal vu par les civils et par nous aussi depuis longtemps.

Nous sommes encore 2 de ma classe et encore nous avons été blessés. Le 104 est à présent reformé par des vieux des classes 1900 à 1904 (*) et des classes 1914 à 1916.

J'ai reçu des nouvelles de ma petite nièce Denise , elle me dit qu'elle est allée se promener chez son oncle à Montreuil La Cambe.

Ton ami qui t'embrasse bien fort pour la vie.

Maurice  

A bientôt des nouvelles

(*) 20 ans en 1900-1904, donc environ 35 ans en sept. 1916.

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27 octobre 1916 

 

Ma chère Désirée,

Je suis toujours en bonne santé. J'ai vu mon frère Charles hier, nous sommes cantonnés dans le même bois.

Il ne fait pas bien chaud tout de suite et il pleut tous les jours.

Les noirs (*)  ont fait 3500 prisonniers sur les positions que nous occupons.

A quand la fin de cette maudite guerre ?

Car je suis bien fatigué de tout cela. Nous ne sommes pas encore à Verdun mais pas bien loin.

Tu m'excuseras si je ne donne pas des nouvelles tous les jours mais je n'ai pas toujours le temps d'écrire.

Ton ami pour la vie qui t'embrasse.

Maurice

(*) Il semblerait que cela soit le 8e régiment de tirailleurs qui combattait dans le même secteurs

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Maurice Lecourt est mort « tué à l'ennemi » à Douaumont (Meuse) le 29 octobre 1916 à l'âge de 23 ans.

 

 

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Lettres de Richard Serey, incorporé au 304e RI, puis caporal au 104e RI, adressées à Désirée Mary et à sa famille relatant les circonstances de la mort de Maurice Lecourt lors de la bataille de Verdun

 

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Samedi 11 novembre 1916

Ma chère Désirée,

Je m'empresse de t'envoyer ces quelques lignes pour répondre à ta lettre du 6.

Quant à moi cela va bien mieux que quand nous étions en 1ère ligne, car je te prie de croire ma chère Désirée que nous avons souffert toutes les misères possibles : il a fait un temps pitoyable les 9 jours que nous sommes restés en 1ère ligne, de l'eau tous les jours et rien pour nous abriter.

Nous sommes sortis des tranchées couverts de boue des pieds à la tête. Je te prie de croire que nous étions propres et aussi combien de pertes à la compagnie : nous avons eu 17 tués et 20 blessés.

 

Tu me demandes que je te donne des nouvelles de ce pauvre gars Maurice, tu dois savoir ce qu'il en est maintenant, car voilà 3 jours que je t'ai appris la triste nouvelle.

J'espère que tu ne m'en voudras pas, je t'assure que ça me coûtait bien de vous l'écrire car nous étions bien camarades ensemble. Ce pauvre gars n'a pas eu de chance : il a été tué net par un obus avec un camarade. Je garantis qu'il n'y avait pas 4 ou 5h que nous étions arrivés en 1ère ligne.

Tu me dis que tu n'as pas eu de ses nouvelles depuis le 27 et cela ne me surprend pas, nous sommes montés en 1ère ligne le samedi 28 et il a été tué le dimanche matin 29, tout probable que ce pauvre gars t'avait écrit la veille de monter en 1ère ligne.

Combien pourtant qui ne sont pas encore comme lui, car il est enterré au cimetière des Glorieux à Verdun, mais sur la plaine combien y en a-t-il de restés qui ne seront jamais identifiés, c'est à ne pas le croire pour celui qui n'a jamais été dans ce coin là ! C'est par centaines qu'on les compte sur la plaine et combien sont enterrés sur place par les obus !

Ceux-là sont portés disparus et leurs familles ne seront pas averties avant 5 ou 6 mois.

Je termine, ma chère Désirée, en vous souhaitant à toutes les trois bon courage et bonne santé.

Un ami qui prend part à ta peine et qui t'embrasse de tout son coeur.

Richard Serey

Caporal 

J'espère que tu me donneras de vos nouvelles quand même.

 

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Mercredi 22 novembre 1916

Ma chère Désirée,

Je t'envoie ces quelques mots pour répondre à ta lettre du 17 que j'ai reçue hier soir.

Je n'en sais rien mais je me figure que ça te fera plaisir d'avoir tout de même de mes nouvelles, car tu le sais le malheur qui nous frappe, aussi bien toi comme moi, pour ce pauvre Maurice,  nous n'y pouvons rien ni l'un ni l'autre.

Oui, comme tu le marques sur ta lettre ce pauvre gars n'aurait pas été malheureux avec toi s'il avait eu la chance de s'en tirer, mais que veux-tu notre route est bien tracée.

Je m'en suis tiré déjà 2 fois de ce sale coin de Verdun, ils ont l'air de dire que nous allons remonter ce soir ou demain, alors tu n'as qu'à voir comme notre moral est bon, c'est tout de même pas gai de penser à retourner voir un pareil carnage !

Pour moi, je crois qu'ils ont entrepris de faire disparaître ce qui reste encore de Normands car il y a des régiments qui ont bien moins souffert que le nôtre et qui ne sont montés qu'une fois.

Hier, à la compagnie, nous avons reçu 50 poilus de renfort et les autres compagnies aussi, c'est à peu près tous des jeunes de la classe 17.

 

Au moment où je recevais ta lettre, hier soir, Charles, le frère de ce pauvre Maurice, arrivait me voir car lui aussi avait entendu dire que nous devions remonter, ce midi.

Je vais aller prendre un verre de vin avec lui, nous sommes au fond d'un bois et on ne trouve rien, alors que lui comme il est au ravitaillement avec son fourgon ça lui est plus facile de trouver ce qu'il a besoin.

Tu me parles de Henri Ouin, c'est malheureusement trop vrai, il avait été blessé d'un éclat d'obus à la cuisse comme il était en 1ère ligne, ils n'ont pu le secourir sur le coup alors il s'est produit une hémorragie et il est mort à bout de sang.

Combien, comme lui, sont morts faute de soins car le service ne peut se faire que la nuit : tout client qui se montre sur la plaine de jour, c'est autant de moins, même en se cachant on se trouve bien touché.

J'espère que votre santé est bonne, ici il fait froid et si cela continue il y aura bientôt des pieds gelés.

Embrasse bien ta mère et ta sœur pour moi.

Je te quitte, chère Amie, en te souhaitant bon courage et bonne santé.

Un ami qui t'embrasse de tout son coeur.

Richard Serey         

 

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Richard Serey est mort le 12 septembre 1918 à l'ambulance 12/20 stationnée à la Veuve , canton de Châlons sur Marne « par suite de maladie contractée en service commandé (bronchite) »

Il était âgé de 35 ans.

 

 


 

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