Eugène MARTIN

Brancardier au 16ème Régiment d’Artillerie, 21ème batterie

Epoque 2/2 (1915-1916)

Vers le début du carnet (1914)

 

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1er Janvier 1915.

Voici le 1er de l’an. C’est le jour des souhaits. Et en cette année douloureuse, quel est le meilleur vœu que l’on puisse former ? C’est assurément celui que font aujourd’hui et tous les soldats et tous les parents : une paix prochaine.

C’est ce souhait qu’au grand matin, nous nous faisons tous après une cordiale poignée de main.

Qui donc aurait pensé que nous passerions le 1er Janvier à Ressons. Nous allons au poste de secours. Canonnade assez vive de part et d’autre. Un obus tiré par une pièce de 120 éclate en sortant de la bouche du canon en faisant une explosion formidable. Nous croyons tous tout d’abord à l’arrivée d’une énorme marmite boche.

Mais c’est bien un des nôtres. Heureusement il n’y a eu aucun accident.

 2 Janvier

Nous recevons aujourd’hui nos étrennes ou cadeaux de Noël que l’on nous avait promis. Jambon, dinde, pommes, oranges et noix en quantité suffisante cette fois et champagne. C’est la bombe.

3 Janvier

A 10 heures, une salve générale est tirée par toutes les pièces de 75 du 16 et du 36, sur une ligne de tranchées boches en construction. Un tir par quatre fauché est exécuté par chaque batterie en même temps.

Quel concert !

On dirait plutôt une mitrailleuse tant les coups sont rapprochés. Nous entendons très bien le bruit des éclatements du côté de la ferme de Confrécourt. On a bien raison de dénommer notre canon de campagne « Le joyeux 75 ». Le son est en effet plus gai que celui des grosses pièces de notre artillerie lourde.

4 Janvier

Je pars pour l’échelon. VILLENAUVE est cuisinier en chef et j’en suis content, car déjà tout est en ordre et d’une propreté manifeste. Quant au cuisinier BURLAN, il sera cantonnier chargé de racler la boue tous les jours devant notre cantonnement, toutes les pièces en fourniront un.

5 Janvier 1915

Les brancardiers seront chargés chaque matin de couvrir les feuillées avec de la chaux vive.

C’est notre tour aujourd’hui puisque nous sommes de repos et d’ailleurs, cette innovation est d’hier. Nous allons à l’infirmerie pour prendre la chaux, il n’y en a point.

Je vais demander au lieutenant où il y en a. Il me dit que chaque batterie a du en toucher 1 hl (?) Je demande au logis de la 6ème pièce : point de chaux, à celui de la 7ème pièce : ça ne le regarde point, à celui de la 8ème : il n’en a jamais vu.

Après cela, je vais poser mon seau, plutôt en colère et de mauvaise humeur et si le colonel de chasseurs veut que l’on mette de la chaux sur les feuillées, il n’a qu’à nous en procurer.

 

N° matricule du recrutement 762

Séjour à Ressons (suite)

6 janvier 1915

Les conducteurs venant de ravitailler aux batteries de tir apportent une triste nouvelle. Quatre servants de la 22ème batterie avaient trouvé la fusée d’un obus allemand de 155 à Vingré.

Voulant essayer de la démonter pour examiner l’intérieur, ils tournaient la vis supérieure à l’aide de quelque instrument en fer, quand la fusée qui n’avait sans doute pas éclaté en tir percutant, explose entre leurs mains, coupant le bras à l’un, déchirant une main à l’autre et brûlant le pied à un troisième.

La nouvelle se confirme bientôt, car le blessé au pied est amené à l’infirmerie de Ressons, tandis que ses camarades sont conduits directement sur Vic.

L’après-midi, nous lavons de nouveau nos caissons ! Vont-ils nous faire prendre ce travail en habitude ?

7 Janvier 1915

Dans la journée, rien à signaler.

Les Boches envoient de temps en temps quelques marmites sur le château de Mainville, dont la plupart n’éclatent pas. Nous mangeons la soupe de bonne heure car nous devons aller ce soir au théâtre.

Oui, au théâtre ! Ce mot sonne mal dans un récit de guerre. C’est pourtant vrai. Dans une salle disposée pour concert avec scène et décors appartenant à quelque patronage, quelques canonniers et chasseurs chantent et jouent. Et, pour paraître de vrais acteurs, ils n’ont pas craint de se faire raser la moustache.

Le concert est des plus variés. D’abord, la « grande pièce ». Il s’agit d’une attaque de nuit et nous sommes devant la salle d’audience où l’on juge les prévenus. Mais comme nos acteurs n’ont appris aucun rôle, ni fait aucune répétition, on ne sait plus au cours des débats quel est celui qui a commis le crime, du président ou du prévenu.

Pauvres acteurs.

Leur déconfiture fait pitié et l’on applaudit tout de même au baisser du rideau. Des chansons plus intéressantes terminent la soirée.

8 Janvier 1915

Deux pièces de la 21ème batterie vont aller prendre position à côté de la ferme de Confrécourt et une de la 22ème ira à Vingré. Une corvée va à Confrécourt pour amener des troncs d’arbres pour faire des abris pour ces pièces et faire des tranchées pour aller jusqu’à la grande carrière.

Il ne fait pas beau, il pleut toute la soirée.

Nous déménageons de notre forge pour aller coucher au-dessus de l’infirmerie et de notre cuisine, nous serons plus à l’aise et moins gênés par la fumée que dans la forge.

9 Janvier

Mutation dans le personnel des brancardiers. D’après des ordres supérieurs, il faut maintenant un prêtre dans chaque formation sanitaire et on nous en envoie un des brancardiers divisionnaires.

Mais lequel de nous va permuter ?

Déjà le médecin major a désigné notre camarade ROUGEYRON pour aller à la place du curé.

Cette proposition n’a pas l’air de lui convenir beaucoup et il insiste pour que l’on tire au sort.

Mais le changement est bien fait et mon Jean doit nous quitter pour aller à la 13ème section des brancardiers.

Nous apprenons qu’un de nos camarades, JABY (André), de la (?) a été tué à Confrécourt par une balle au front.

Pauvre diable !

Lorsque nous étions en route, comme il s’intéressait à tout ce qu’il voyait sur son chemin et descendait aussitôt de voiture pour aller voir ce qui attirait son attention.

10 Janvier.

Au poste de secours. A la nuit un projecteur est amené par le génie en haut de la côte. Ils viennent se mettre à l’abri dans la grande grotte.

Ils vont passer la nuit ici et partiront à 4 Hres du matin avec leur machine.

11 Janvier.

Des batteries de 95 viennent remplacer les batteries du 36 qui sont allées du côté de Confrécourt. Nous faisons une partie de bouchon à l’entrée de la grotte pour passer le temps.

12 Janvier

Rien à signaler. Nos pièces tirent de temps en temps. Quelques obus de 77 viennent sur le poste d’observation sans causer aucun dégât.

13 Janvier.

Nous partons à Ressons. L’Aisne est en pleine crue, l’eau est à niveau du plancher du pont de pilotis. Le génie est en train d’enlever ce plancher car le courant pourrait l’entraîner et causer des accidents.

Dans la soirée les chasseurs du 11ème et le 170ème de ligne cantonnés à Ressons partent précipitamment. Du côté de Soissons, prétend-on.

14 Janvier

Rien à signaler.

On murmure qu’une forte attaque a eu lieu sur Soissons, que les allemands nous ont repoussés sur la rive gauche de l’Aisne, mais ont subi de grosses pertes.

15 Janvier.

L’attaque de Soissons est confirmée. Les chasseurs qui y étaient allés reviennent à Ressons.

Après de violents combats nos troupes ont dû évacuer la rive droite de la rivière et ce revers est dû surtout à la crue de l’Aisne qui a emporté 4 ponts sur 6 ce qui a rendu impossible la conduite de renforts suffisants et le ravitaillement en munitions.

Néanmoins, nous gardons le faubourg St-Paul à 2 kms de la ville.

Les allemands ont eu des pertes élevées.

 

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16 Janvier.

Rien à signaler.

17 Janvier

Attaque par les allemands du côté d’Autrêches et de la ferme St-Victor.

L’attaque a commencé à 1 Hre de l’après midi et s’est continuée toute la soirée.

Sur le soir, le 11ème chasseurs repart de ce côté et de même les fantassins du 170 de la classe (?) vont rejoindre leur régiment pour renforcer. L’attaque a été repoussée.

Nos batteries ont tiré continuellement. Et toute la nuit, on a entendu le son du canon, probablement pour prévenir le retour d’une nouvelle offensive.

18 janvier

Rien à signaler.

Calme inaccoutumé : le soir, sur les 8 heures nous sommes réunis en grande partie dans notre cuisine et sur l’initiative d’un de nos camarades nous allons faire bal (Pour imiter les Boches qui dansent tous les soirs à Nouvron paraît il)

D’abord quelques bourrées par le Gros et d’autres auvergnats et peu à peu le goût de la danse prend tout le monde même les moins entraînés.

Polkas, valses même le pas des patineurs sont dansés, et comme musique on siffle où on chante.

A 9h nous montons pour nous coucher, mais ce vent de folie a gagné l’étage supérieur et en haut on danse aussi. Nous nous mettons encore aussi de la partie. Et ici un incident comique. Nous en sommes à une mazurka. Le Gros placé à l’embrasure de la porte chante un tra-la-la-la sur l’air de la Mousmé en battant la mesure avec sa grosse pipe.

Et les danseurs tournent au milieu des rangées de paille. Tout à coup le lieutenant POISSARD (?) commandant l’échelon apparaît ; les danseurs s’esquivent en un clin d’œil et vont sous leurs couvertures se transformer en vrais dormeurs tandis que le Gros qui lui tournait le dos continue toujours sa Mousmé : « Attendez, crie le lieutenant, je vais vous en passer des tra-la-la-la » et il nous fait un joli sermon.

Et en se retirant on l’entendait qui disait au brigadier qui l’éclairait « Quel est dont celui qui entraîne si bien à la danse … Martin. Eh bien vous lui direz qu’il aura 8 jours de prison. Il n’en sera rien car nous avons un bon lieutenant.

Ce petit incident suffit à nous amuser un bon moment, nous rions. Et cela fait passer pour un instant l’ennui et le chagrin qui parfois nous gagnent.

19 – 20 – 21 janvier.

Au poste de secours. Il fait mauvais pendant ces 3 jours. On ne sort pas, nous jouons aux cartes ou au bouchon une partie de la journée. Nos pièces tirent rarement quelques coups de canon sur les tranchées.

A Confrécourt le lieutenant MONANGE a été blessé à la hanche. Je passe mes soirées en compagnie de CONTANCON qui vient veiller avec nous

22 janvier.

Nous partons pour Ressons . Le génie rétablit le pont de pilotis qu’il avait démonté pour la crue de l’Aisne.

Il l’élève maintenant à une hauteur suffisante pour ne pas être entraîné.

23 janvier

Dans la journée rien à signaler.

A 10 heures du soir nous sommes réveillés par une explosion formidable.

Qu’est ce ? Vite, quelques un sortent dehors et sitôt la fenêtre ouverte on entend distinctement le moteur d’un aéroplane et tout aussitôt une seconde détonation. C’est un taube qui a laissé tomber 2 bombes sur le patelin sans causer aucun accident.

Les hommes de garde l’ont très bien vu planant sur le village à une très faible hauteur.

24 janvier

Rien à signaler. Canonades intermittentes de part et d’autres. Un convoi de chevaux arrive encore pour compléter les batteries.

25 janvier

Rien à signaler.

Le soir une petite distraction. Le médecin ayant recommandé à notre brigadier DUBOUCHET de prendre un bain de pied dans de l’eau avec la farine de moutarde, notre infirmier BERTRAND va à Vic chercher la moutarde à la pharmacie. Il arrive tous essoufflé et remet sa commission à l’infirmerie.

Quelle surprise ! Et quelle gaieté parmi nous quand notre Camille, comme nous l’appelons, sort de sa poche un pot de moutarde pour manger. Le pauvre bougre est tout ahuri. ! oui, mais le cabot ne pourra prendre son bain. Et pourquoi pas. Voulant suivre la prescription du médecin, le brigadier délaye sa moutarde dans un seau et encouragé par les uns, blagué par les autres, prend son bain de pied qui lui coûte 25 sous.

26 janvier

Nous allons pour nous faire photographier à Maubrun chez un civil que nos camarades de la 23e nous ont indiqué. Nous montons droit à la grande ferme et de là nous allons à travers champs trouver le photographe. Vraiment, nous n’avons pas de chance ; il n’a plus une seule plaque et il nous faut retourner à Ressons sans être pris.

C’est une partie remise.

27 janvier

L’après-midi nous allons les brancardiers laver la voiture médicale. Le général qui a passé hier soir y a trouvé quelques tâches de boue. D’ailleurs c’est maintenant le service de l’échelon : laver le matériel

Pour les caissons il y a un homme par batterie qui ne fait que cela. A chaque arrivée d’un caisson des pièces de tir, ce caisson doit être lavé, le voyage se renouvellerait il plusieurs fois par jour. Les 2 pièces de la 21e Batterie qui étaient à la ferme de Confrécourt reviennent à la côte 138 où sont les 2 autres batteries. Et nos braves conducteurs sont contents de cette décision car d’aller ravitailler à cette ferme ne leur convenait pas beaucoup.

28 janvier.

Nous allons aujourd’hui aux batteries de tir prendre notre garde.

Il fait beau. Aussi de bon matin les taubes viennent nous rendre visite. Et aussitôt qu’on les aperçoit nos 2 pièces braquées à cet usage tirent dessus.

Il court encore des bruits de départ, pour aller en repos en arrière.

Une visite aux batteries ; au téléphone. Ce service est très bien installé. De sa grotte le commandant reçoit les renseignements de tous les postes d’observations qui règlent le tir et lui transmet ses ordres par téléphone également aux capitaines ou aux chefs de section. Un fil téléphonique relie également toutes les batteries à leur capitaine.

29 janvier

Cette fois c’est bien vrai nous allons partir, la décision est exacte. Nous faisons nos préparatifs. Ranger les médicaments dans le sac d’infirmier, le brancard.

Ce n’est pas sans quelque regret que nous quittons nos positions, nous étions bien habitués à Ressons et bien installés ici. Nous allons au repos, c’est vrai. Mais après ? Sommes nous sûrs de retrouver nos bons abris.

Nous allons, paraît il, à Vivières tout près de Villers-Cotterêts. Journée à peu près calme.

30 janvier

Au matin on ne part plus. Les officiers font ramener leurs cantines qui étaient déjà rangées, le médecin vient nous avertir qu’il n’est plus nécessaire de ranger nos affaires. Des uns sont contents de rester ici ; d’autres au contraire auraient voulu aller faire un tour un peu en arrière.

Notre infanterie, elle, est relevée parait il et va au repos. Il fait un beau temps printanier. Tir intermittent et part et d’autre. On a installé en face de la grotte du commandant un poste de télégraphie sans fil. On reçoit ainsi tous les soirs les communiqués officiels et on intercepte même le communiqué allemand qu’un officier traduit.

31 janvier

Retour à Ressons, je retourne avec mes camarades à Maubrun chez le photographe. A peine sommes nous arrivés que la neige se met à tomber. Faudra t’il encore retourner au cantonnement sans être pris.

Enfin le mauvais temps cesse pour un moment et nous pouvons poser devant l’appareil. Sur notre front rien à signaler.

1er février

Nos régiments d’infanterie 216, 321 quittent leurs cantonnements pour aller en arrière. Et s’ils allaient bon train nos braves pioupious ils sont contents de prendre un peu de repos. La 14e Division vient à leur place ; le 42 à Ressons. Et sitôt installés ici les voilà dans les rues à racler la boue.

2 février

Nous avons touché aujourd’hui en supplément à notre ration de la morue.

Mais comment préparer cet aliment ? Il est curieux d’entendre discuter tous les meilleurs cuisiniers de la pièce sur la manière de préparer cette morue pour en tirer le meilleur parti possible.

3 – 4 -5 février.

Il fait un beau temps superbe. Les aéroplanes en profitent pour faire leurs reconnaissances. Toute la journée ont entend le ronflement des moteurs. Nous suivons avec intérêt la chasse que leur font les canons.

A la batterie de tirs on a installé maintenant une pièce de 75 sur une plate-forme tournante ce qui facilite beaucoup la poursuite des aéros.

6 février

Il pleut aujourd’hui, plus d’excursions d’aéros. L’après-midi, je vais en compagnie des camarades écouter la musique du 42 qui fait répétition dans une salle voisine. Ils apprennent les plus beaux défilés. Pauvre musique ! Cela fait songer au beau temps d’autrefois. Les grosses caisses ont particulièrement souffert de la campagne ; ils en sont à leur troisième. Je ne vais pas aujourd’hui au poste de secours, étant fortement grippé.

7 février

Rien à signaler

8 février

Revue de préparatifs de départ. Les voitures sont chargées et attelées comme pour partir …

9 février

Cette fois pourtant notre départ est officiel, nous allons quitter Ressons pour ?

Personne n’en sait rien.

Il est probable que nous allons d’abord rejoindre l’infanterie de notre 63e Division qui est en arrière depuis une dizaine de jours. Nous partirons probablement ce soir à la nuit ou demain matin avant le jour. Et presque tous nous quitterons à regret ce bon cantonnement de Ressons où pendant près de 4 mois nous avons vécu tranquilles et à peu près en sécurité, trouvant ici les provisions dont nous avions besoin.

On apprend dans la matinée que la grande ferme d’Ors où nous avions couché 2 ou 3 nuits a été cette nuit détruite en partie par un incendie qui a causé d’énormes dégâts et coûté la vie à 5 artilleurs du 47 qui y étaient cantonnés 60 chevaux qui étaient dans les écuries ont été compléments brûlés. On ignore les causes de l’incendie.

10 février.

Notre départ de Ressons est fixé pour 2 heures du matin. Aussi dès minuit le cantonnement présente une animation extraordinaire. Tout le monde plie les couvertures à la hâte, jette le dernier coup de main au sac, un bon quart de jus avant de partir et nous allons faire nos galeries éclairées par une bougie. Les conducteurs attellent et à 2 heures l’ordre de départ est donné. Trois voitures de civils ont été réquisitionnées pour transporter le supplément.

La 21e Batterie part la première. Au moment de démarrer notre voiture, les chevaux dansent sur place, les uns avancent, les autres reculent, impossible de partir. Et pour avancer notre timon se brise en 3 morceaux.

Les autres voitures partent pendant que nous allons chercher un timon de rechange.

Puis on réattelle de nouveau.

Peine perdue.

Comme la 1er fois ça ne va pas. Que faire !

Allons nous allons essayer de partir avec l’avant-train seulement. Et après bien des explications, des jurons des conducteurs, le convoi s’ébranle. Sur la route on arrête et on va chercher l’arrière train toujours en piaillant et criant. Enfin nous voilà prêts et en route.

Adieu Ressons et le beau séjour que nous avons fait ici. Nous repassons à la Vache Noire, prenons la route de Coeuvres. Nous sommes éclairés seulement par la lueur que font les projecteurs et les bombes éclairantes.

Nous passons à Coeuvres comme cinq heures sonnent.

Et nous arrivons au jour à Dommiers à 3 km de Coeuvres où nous allons cantonner dans une grande ferme. Et tout de suite en arrivant quel est notre premier travail ? Laver les caissons !

Pour repartir demain ou ce soir peut être ! C’est égal comme il fait bon de ne plus entendre ces canons tonner toute une journée. Ici ce n’est plus la guerre ; tout est possible et calme. Nous couchons dans une grange de la ferme où il ne fait pas trop chaud.

11 février

Départ de Dommiers à 8h30 du matin. Nous prenons la route qui passe à Chaudun puis de là sur celle de Soissons. Il fait un brouillard très épais et pas chaud.

De temps en temps, nous faisons la route à pied. Sur notre chemin de grands champs de betteraves sont encore à ramasser. Très peu de terres sont labourées et le blé n’est pas encore battu.

Nous arrivons à Berzy-le-Sec à 11 heures. C’est ici que nous allons cantonner.

La 21ème batterie est logée toute entière dans une grande ferme. L’infirmerie est installée dans une salle de classe à la mairie où nous allons coucher, brancardiers et infirmiers.

12 Février

En sortant dehors, quelle surprise. La neige tombe à gros flocons poussés dans un tourbillon. Mais peu à peu le temps s’éclaircit et cette neige fond.

Nous profitons à midi du temps clair pour monter sur la crête en haut du village. De là, on découvre très bien la ville de Soissons ; on voit parfaitement les flèches de l’Eglise Saint Jean dont une a été raccourcie par un obus. Une bonne femme nous montre les collines où s’est passée la bataille de fin janvier.

Et nous entendons très bien la canonnade.

13 Février

Il fait mauvais ; il pleut et il fait un vent enragé.

Impossible de séjourner dans notre cuisine tellement il y fume. Heureusement que nous avons notre infirmerie pour nous réfugier. Le matin, il y a une promenade des chevaux, le soir nettoyage et revue.

15.16 Février

Rien à signaler. Nous devons quitter Berzy cette nuit pour aller mettre en batterie. Et les décisions courent toute la journée.

L’après-midi, préparatifs de départ. Nous rangeons nos voitures.

17 Février

Départ de Berzy-le-Sec à 3 heures du matin.

On attelle à la lueur des lanternes et on part sans incident. Nous prenons la route de Soissons puis demi tour sur une autre route et après une étape de 12 km, nous arrivons au jour au village de Serches où sont cantonnés les échelons des 21ème et 22ème Batteries.

La 23ème est en position plus haut et est logée tout entière dans des carrières. Cette batterie a pour mission d’empêcher les Allemands de jeter un pont sur l’Aisne à Venizel.

La 22ème Batterie est à Jury à côté du village.

La 21ème est sur la colline en haut de Jury. Une section doit tirer sur les aéros.

Aujourd’hui, nous restons à Serches, cantonnés dans une ferme. Nous avons pris les places d’un groupe du 32ème Régiment d’Artillerie territorial.

La route s’est effectuée sans incident. En descendant de voiture le Gros a fait une pirouette des plus amusantes, roulant sur le côté de la route comme une boule sans se faire aucun mal.

18 Février

Au matin, nous faisons nos préparatifs pour aller au poste de secours de la 21ème Batterie. Allez, sac au dos. Nous voilà harnachés comme de vrais fantassins et nous partons pour Jury.

Heureusement il n’y a que 2 km car le sac est lourd. Les fantassins que nous rencontrons sur notre route nous regardent d’un air moqueur.

 

Arrivés à Jury, il faut aller plus loin, la 21ème est à côté d’Acy-le-bas. Encore 1 km. A la façon des pitons (?) nous remontons le sac sur nos épaules et nous continuons le chemin.

Enfin nous y voilà. Vite, sac à terre, nous respirons un peu en épongeant notre front et nous cherchons ensuite le poste de secours. C’est dans une maison inhabitée, presque à l’extrémité du village du côté de Venizel.

Et ma foi, je crois que nous serons très bien ici : cuisine, chambre à coucher où il y a un placard et une horloge, cave au-dessous en cas de bombardement. Dans le patelin, deux épiceries, charcuterie, coiffeur.

Personne n’a quitté la commune et bien que la ligne de feu soit très proche, jamais aucun obus n’est venu troubler la tranquillité des habitants.

Deux pièces de la batterie sont en haut de la colline installées pour tirer sur les aéros, les deux autres sont en batterie à côté des maisons très bien dissimulées et abritées et à 200 m de notre poste.

19 février

Nous complétons aujourd’hui notre installation à notre poste.

Vers les 10 heures, nous allons visiter le pays d’Acy, promenade qui est interrompue brusquement par l’arrivée d’un obus de 77 bien en haut du village.

Tout de suite nous faisons demi tour pour aller nous réfugier dans la cave. La distance à parcourir n’est pas très longue, mais il faut nous abriter tout de même plusieurs fois derrière un mur pour faire le chemin. Un de ces obus nous tombe à 30 pas exactement sans nous faire de mal ; et cela fait justement l’objet d’un pari entre Camille et Armand. Le premier prétend qu’il y a 40 pas le second 30 au plus. Et Armand gagne le pari.

Dans la soirée nous allons avec le propriétaire de notre maison chercher du bois presque en haut de la colline. Ce brave homme nous montre les positions des Allemands de l’autre côté de l’Aisne. Nous faisons au plus vite et rentrons chargés à notre poste. Ce sera la provision.

20 Février

Nous allons chercher nos vivres à la batterie de tir.

Nos pièces tirent de temps en temps.

Décidément les Allemands sont peu convenables aujourd’hui : de temps en temps ils nous envoient quelques coups de canon et sans nous prévenir, s’il vous plaît. Ils voient très bien en haut du village et dame s’ils aperçoivent des troupes, ils tirent dessus. Notre voisin nous montre quantité d’éclats d’obus de tous calibres.

Pour nous persuader de la force des éclats, il nous fait voir un rail de chemin de fer qui était placé au devant d’un abri, brisé par un obus. Des petits éclats de la grosseur d’un haricot avaient pénétré dans le rail et il s’en fallait de peu qu’ils l’aient traversé.

21 Février

Journée très calme. On est très gentil de part et d’autre. Comme il est dimanche, nous avons aujourd’hui un invité, l’ami Villeneuve qui de Serches vient nous rendre visite à Acy.

De ce fait, le menu est plus assorti : d’abord, sardines, saucisson, frites et poulet que le Gros a reçu dans un colis hier soir. Puis café et comme aux grands jours, champagne.

La plus franche gaieté ne cesse de régner pendant le repas, nous expliquons chacun notre nouvelle vie, les avantages de notre résidence. Notre invité part sur les 4 heures avec Armand qui, lui, va coucher tous les soirs à l’échelon et revient le matin.

J’apprends le soir, dans une lettre, la mort de mon brave ami Léon FONTAIX. Cette nouvelle me cause une bien triste émotion et je ne puis retenir une larme qui glisse lentement. C’était un de mes meilleurs amis. Et à ce moment que de souvenirs de jeunesse me rappelle cette mort prématurée.

Hélas, il y a un an, nous étions réunis tous, camarades et nos femmes et comme nous étions loin de penser qu’au bout d’une année nous serions à jamais séparés et que de notre amitié commune il ne resterait plus que le souvenir.

22.23 Février

Il y a du brouillard comme en plein hiver. Nos pièces qui tirent sur les aéros n’ont aucun service à faire. Calme de part et d’autre. Nous sommes maintenant habitués dans notre poste de secours et en très bons termes avec nos voisins.

On a commencé la vaccination contre la fièvre typhoïde en débutant par les plus jeunes. Pour cela, le médecin injecte un sérum anti-typhique à l’épaule, ce qui nous rend malades quelques jours.

24.25 Février

Il fait beau maintenant aussi les aéros en profitent pour faire leurs reconnaissances. Tir de part et d’autre.

Rien à signaler. Pourtant dans la soirée, les Allemands tirent sérieusement du côté de Jury.

Nous sommes en très bons termes avec nos voisins, presque tous les jours, ils nous donnent quelque chose : patates, haricots ; hier une bonne galette à la vanille. Camille devient de plus en plus enfant ; dame, il est jeune encore lui. Aussi, nous l’appelons familièrement Toto, nom qui lui sied bien, car chaque jour à table, il renverse quelque chose, un quart de vin, etc… il chante à tue tête, il danse et si un obus tombe, vite il va voir où il a éclaté !

26 Février

Il y a du brouillard jusqu’à midi. Aussi est-ce très calme. Mais aussitôt que le soleil se montre, voilà les aéros qui se montrent et la chasse recommence.

Armand vient ici tous les matins et repart à l’échelon dans la soirée. Tous les jours dans la batterie, il y a une revue quelconque. Aux pièces, on a fait des abris comme à la côte 138 derrière les pièces en cas de bombardement.

C’est le Gros MARTIN qui est chargé de faire la cuisine.

Le matin, il nous fait un chocolat exquis, il y a ici du lait à volonté. Nous buvons le café à chaque repas de midi et du soir. Nous regrettions notre carrière de la côte et voilà que nous sommes encore mieux ici et plus tranquilles.

27 Février

Depuis le matin le bruit court que nous partons de nouveau, pour aller du côté de Soissons vers notre infanterie.

Toute la journée les fantassins qui sont ici font le nettoyage des rues que surveille étroitement le colonel que l’on appelle l’agent-voyer (?)

28 Février

Nous profitons de la présence d’un avant-train qui est venu amener des munitions, pour envoyer nos sacs à l’échelon en cas de départ, car nous ne tenons guère à les porter comme à notre arrivée.

On entend au loin une forte canonnade. Ici, rien à signaler

1er mars

Vraiment, nous n’avons pas de chance.

Maintenant que nous avons envoyé nos sacs, notre départ est ajourné. Et nous en sommes contents. Car nous sommes très bien ici, tranquilles et maintenant bien installés.

Nos pièces tirent très peu. Avant-hier, elles ont incendié une ferme où l’on prétendait qu’il y avait un dépôt de munitions et des mitrailleuses. Dans quatre coups de canon, la ferme brûlait. Le capitaine a appelé les deux pointeurs au poste d’observation pour leur montrer l’efficacité du tir.

Quant aux pièces qui tirent sur les aéros, elles n’ont pas grand travail. Dans 12 jours, il n’est passé qu’un seul aéroplane allemand.

Voilà le septième mois de la guerre terminé ; sept mois c’est déjà long et pourtant, cela n’a pas l’air de finir bientôt. Peut-être le printemps amènera des changements dans la situation et pourrons-nous entrevoir la fin.

2 Mars

Nos pièces qui étaient en haut de la côte pour tirer sur les aéros sont descendues au village et posées sur des plates-formes tournantes. Journée très calme.

A 9 heures du soir, notre batterie tire sur un ravitaillement qui vient tous les deux ou trois jours à une ferme occupée par les Allemands. Au moment opportun signalé par les observateurs des premières lignes, la batterie tire deux salves par quatre fauchez sur la route repérée dans la journée, puis plus rien. Nos artilleurs vont tranquillement se coucher sans s’inquiéter davantage si des soldats auront été privés de nourriture ce soir par suite de ce tir. On continue la vaccination interrompue par la décision du départ renvoyé maintenant

3 Mars

Voilà le départ nettement fixé cette fois. Nous devons quitter Acy à 2 heures du matin la nuit prochaine. Nous rangeons toutes nos affaires dans un sac et envoyons nos couvertures à l’échelon par un caisson qui vient ravitailler. Une dernière visite à nos aimables voisins et nous nous couchons un moment en attendant l’heure du départ.

4 Mars.

1 heure du matin. Nous nous levons précipitamment. Vite on va faire chacun un quart de jus ; cela nous réchauffera et nous aidera à faire la route.

Une fois prêts, nous allons vers les batteries de tir attendre le passage de l’échelon pour prendre place sur notre voiture. A 2 heures, nous partons.

Voilà les premières voitures de l’échelon.

 

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Puis ce brave ARMAND qui nous guette et auquel nous passons lestement nos affaires car on ne s’arrête pas pour nous faire plaisir. Tout au contraire ; le logis qui a remarqué une certaine hésitation des conducteurs qui ralentissent un peu, crie à tue-tête « serrez, serrez ».

Nous montons la rude côte d’Acy-le-Haut à pied et montons sur les coffres arrivés en haut. Il fait un clair de lune superbe ; le temps est très doux.

Nous suivons exactement le même chemin qu’à notre arrivée mais au lieu de prendre la route de Berzy, nous marchons sur Soissons. La 22ème batterie est en position dans un faubourg de la ville.

La 22ème et la 23ème sont en position au mont de Paris.

Les avants trains sont dans une grande ferme à Vaubuin. L’échelon reste à Septmonts. Aujourd’hui l’échelon vient avec la batterie de tir jusqu’à Vauxbuin.

L’infirmerie est installée dans un petit local attenant la maison d’habitation de la ferme. Une équipe de brancardiers ira tous les jours au poste de secours à côté des batteries. En arrivant ici, nous avons mauvaise impression.

D’abord, nos prédécesseurs nous ont représenté la position comme dangereuse. Et ce qui nous le fait d’abord supposer, c’est le toit d’une grange de la ferme crevé par une marmite.

D ‘ici, on voit très bien en sortant de la ferme, la cathédrale mutilée de Soissons. Il y a à côté de l’infirmerie un étang sur lequel vont se promener en barque quelques militaires.

Oh ! la jolie ferme. Tout est bien compris et installé !

Le soir à 6 heures, les échelons, les 5ème pièces, même les conducteurs de devant vont à Septmonts. Nos pièces règlent leur tir dans la soirée, tir auquel répondent immédiatement les batteries allemandes.

5 Mars

Nous sommes en subsistance à la 5ème pièce car nous ne pourrons préparer nos vivres nous-mêmes surtout lorsque nous serons aux batteries. Ce sont nos camarades de la 23ème qui y vont aujourd’hui.

Nous restons à la 21 à l’infirmerie de la ferme. Elle est encore habitée. Ils battent maintenant à la batteuse-lieuse à bottes pressées, tout marche à l’électricité ; huit hommes servent cette machine à battre ; le grain est monté mécaniquement au grenier. L’étang met un moulin en marche pour les besoins de la ferme.

Aux batteries, tir de part et d’autre. Le soir, vaccination des hommes vaccinés la première fois, il y a huit jours.

6 Mars

Il y a défense absolue de quitter la ferme excepté pour aller aux pièces.

Mais aurons-nous besoin d’une provision quelconque ?

Nous ne pourrons aller jusqu’au pays pour acheter la moindre chose. On ne sait comment accentuer la mauvaise humeur des hommes. Il y en a beaucoup qui ne sont guère contents de ne pouvoir aller chercher un bidon de vin. Nous sommes en subsistance à la 5ème pièce. Nous n’avons donc rien à faire.

Oh ! Comme ces journées sont longues à faire le tour de cette ferme ou à rester fermés dans l’infirmerie. Après la soupe du soir, je vais dans le jardin me promener en faisant la causette avec les camarades.

7 mars

L’échelon est allé maintenant à Berzy-le-Sec ; il sera moins éloigné des batteries.

Les allemands tirent aujourd’hui sur le village de Vauxbuin, il y a eu 3 fantassins et un civil de blessés. Nos camarades de la 23 restent en permanence aux batteries pendant 8 jours, ils y couchent maintenant.

Le bruit court que les correspondances militaires seront supprimées pendant un certain temps du 7 au 25 prétendent les uns, du 10 au 30 disent les autres et tous le tiennent de source sûre « c’est affiché dans la mairie chez nous » affirment-ils. Ce serait le comble si nous étions privés de ce rayon de soleil dans notre vie obscure. Le temps nous paraîtrait encore plus long et notre exil plus cruel.

Aujourd’hui, il pleut toute la journée.

8 mars

Toto, c'est-à-dire Bertrand a reçu de sa Jeannette (sa bonne amie), une collection de livres.

Aussi pendant que j’écris, mes camarades sont tous étendus un livre à la main. Cela nous distraira. Le soir, nous allumons le poêle installé ici par nos prédécesseurs. Et nous goûtons encore une de ces bonnes veillées d’hiver comme à la côte 138.

Et pour animer la conversation, Toto nous raconte ses amourettes. Celle surtout qu’il a faite dans le train pendant un voyage Brioude-Clermont nous amuse. Il a commencé nous dit-il (?) le pied ». Et ma foi, nous nous couchons fort tard.

9 mars

Il fait une bise glaciale, l’eau gèle en coulant.

Restons-nous aussi enfermés toute la journée dans l’infirmerie. Aujourd’hui, on dirait que ce n’est pas la guerre : à peine quelques coups de canon dans l’après-midi. C’est la vie de caserne : promenade des chevaux, abreuvoirs dans l’étang, pansage.

Tous les soirs, il y a grande chasse aux rats qui sont nombreux ici. La nuit venue, ils vont dans les loges où se fait la cuisine chercher leur nourriture. C’est là que les hommes armés de pelles et de balais viennent les surprendre et la poursuite continue au milieu des rires et des cris. C’est comique.

10 mars

Il fait encore froid avec quelques giboulées de temps en temps. Le ravitaillement de la 22è Bie en position dans Soissons se fait toutes les nuits. Un cycliste nous apporte tous les jours le journal qu’il va chercher à Soissons.

On continue la vaccination contre la fièvre typhoïde. Il faut que tout le monde y passe.

11 mars

Temps brumeux toute la journée ; aussi on n’entend pas un coup de canon, on dirait que la guerre est finie.

Si c’était vrai ! Quel bonheur ! Mais à quand cette illusion deviendra-t-elle réalité ! Occupations normales.

12 mars

Même temps brumeux. On apprend par les journaux que la suppression des correspondances militaires n’est qu’une fausse nouvelle. Dans la soirée, une légère canonnade vient nous rappeler à la guerre. Rien à signaler.

13 mars

Nous devons aller aujourd’hui remplacer nos camarades de la 23 au poste de secours aux batteries.

Nous faisons nos paquets de couvertures et en route ; nous passons dans le village de Vauxbuin puis prenons la grand’route Soissons-Paris qui monte sur le flanc de la montagne de Paris.

En quittant la route, une tranchée nous conduit jusque devant notre poste. C’est une caverne creusée dans un bon talus de 4 m. de hauteur, on dirait une petite cave, une petite porte ferme l’entrée.

A l’intérieur, pas une fissure, les parois et la voûte sont très unies. Une table toute petite et 2 bancs en formaient le mobilier et on peut coucher 6 dans le même talus, d’autres abris sont creusés, l’un à côté de nous est pour la garde de nuit ; un autre pour les munitions.

Plus loin, fait d’après le même modèle est le poste téléphonique, les pièces de la 21 sont tout à côté à 10 mètres ; celles de la 23 un peu plus loin et l’on y va par un boyau également. Et les pièces sont elles aussi bien abritées ; il le faut car les allemands n’ont pas ménagé les obus sur ce plateau ; le terrain est creusé de trous de marmite, le sol est couvert de débris d’obus, de ferrailles, de balles des scranpelles

Devant notre grotte, il y a un demi tombereau.

Pour notre première journée, il fait un beau temps superbe, un soleil brillant ; ici il ne faut pas s’écarter ; c’est la consigne.

14 mars

Un brouillard épais nous enveloppe ; j’en profite pour aller voir les débris d’une batterie de 75 qui a été anéantie sur notre gauche peut être à 200 mètres des pièces. Des 4 pièces qui étaient là, il reste encore sur place 3 caissons crevés, brisés, brûlés, on ne peut se figurer sans les avoir vu le pauvre état de ce matériel.

Des roues, il ne reste plus que le moyeu et le cercle ; les obus sont mutilés dans les coffres, les tiges des patins de roues tordus. Et tout autour, épars des boîtes de fusées démontées, des morceaux de tôle, des sièges de pointeur, coupés d’après les canons.

Tout ce qui resté des canons a été emmené et ce soir même, une voiture doit venir prendre tous les débris qui restent encore.

Oh il ne devait pas faire beau ici ce jour-là et si les servants étaient à leur poste, ils ont dû avoir de grosses pertes.

Et c’est probable car il y a encore des débris de vêtements, une capote coupée, un képi tout mutilé, des jambières ; etc. C’est effroyable et cela nous donne une triste idée de ce carnage. Nos pièces tirent très peu, je m’étais figuré que la poudre à canon était comme de la poudre ordinaire ou à fusil ; j’ai vu le contraire dans les obus massacrés qui gisent ici.

C’est au contraire de la poudre en lamettes et de couleur jaunâtre ; il y a dans chaque douille de 75 deux petits paquets de ces lamettes correspondant au poids de 750 grammes pour le tout.

15 mars

Les 2 pièces de la 21è Bat sont emmenées de leur position pour aller sur la montagne voisine les installer sur des plate-formes pour le tir sur les aéros.

Le temps est clair aujourd’hui, aussi le canon gronde depuis le matin, on veut regagner le temps perdu les jours derniers.

Les allemands tirent par-dessus la montagne de Paris, nous écoutons les obus passer au dessus de nous et ils vont éclater dans les villages de Courmelles ou Vauxboin. Le 305 Infie a remplacé dans le village le 298e, je suis surpris de rencontrer DECOCQ (?) que je ne reconnaissais pas tellement il est changé par une longue barbe en Colby.

Et aux batteries pour passer notre temps, nous inventons des jeux avec les moyens que nous offre la guerre.

Dans un obus de 77 qui n’a pas éclaté, nous envoyons à une certaine distance des balles d’obus que nous trouvons par ici. Et celui qui en met le plus a naturellement gagné.

16 mars

Rien à signaler. Nos pièces tirent toujours très peu ; tout juste quelque repérage pour un tir de suite sur un village ou un ravitaillement. Le tir fait, on inscrit les dérives pour telle et telle pièce. Le soir venu, on pose une lanterne sourde sur le point de pointage pour pouvoir tirer dans la nuit s’il est nécessaire.

Nous, sur le soir, au moment où les brouillards viennent, nous allons ramasser une provision de doucettes ; c’est la salade du lendemain : ici c’est notre seul extra.

17 mars

Dès 6 heures du matin, les allemands bombardent Vauxbuin. Et pourtant, il y a du brouillard. Une bonne femme est tuée dans le village. La journée est très calme. Nos pièces tirent seulement quelques obus sur le village de Pashy.

18 mars

Tir de part et d’autre. Rien à signaler.

19 mars

Depuis le matin, les allemands bombardent Soissons.

Nous écoutons les éclatements de bonnes marmites. Pauvre ville, elle est dans un piteux état parait-il.

Notre batterie tire sérieusement dans la matinée. Et tout de suite, voilà la réponse qui arrive. Et Dieu ! Les obus n’éclatent pas loin de nous ; notre caverne en tremble. Et ils font de jolis entonnoirs.

Trois surtout éclatent avec une force terrible et dans le trou qu’ils font, Camille pourtant qui est assez grand, peut se tenir debout sans que sa tête sorte en dehors. Et quels éclats. Et tranchants. Le capitaine Tisnes passant dans la soirée prétend que ce sont des obus de 155 qu’ils nous envoient avec nos propres pièces qu’ils ont prises à Crouy. Il nous a dit également qu’ils tiraient sur la batterie de Soissons avec du 75 et des explosifs sans avoir mis la fusée qu’on avait oublié de leur laisser sans doute ou plutôt enlevé intentionnellement.

Puis voyant que nos pièces ne se taisent pas, Vauxbuin paye de nouveau. L’après-midi a été très calme.

Il fait froid maintenant et il neige par moments.

20 mars

Printemps qui commence.

Printemps qui promet tant de victoire et donne tant d’espoir comme il est attendu. Peut être décidera-t-il quelque chose dans la marche des évènements et nous laissera-t-il dans la perspective d’une paix prochaine et victorieuse.

Et pour le 1er jour, il fait une journée superbe. Les aéros en profitent et si on leur fait la chasse de part et d’autres. Ici la journée est calme. Notre batterie tire dans la journée sur le village de Cuffies. Il est entendu maintenant qu’à tout bombardement de Soissons par les allemands, nous répondrons immédiatement en arrosant à notre tour leurs cantonnements.

21 mars

Notre garde de 8 jours au poste de secours est terminée. Et nous allons revenir à l’infirmerie de la ferme de Vauxbuin. Un de nos camarades de la 23 nous raconte la divergence de vues qui existe entre 2 de nos officiers supérieurs au sujet de la santé des hommes.

Dernièrement, le colonel passant à l’échelon avait été très content de la bonne mine des artilleurs et en partant leur avait recommandé de se soigner, de bien manger pour qu’ils ne maigrissent pas.

Hier, c’était le général de division qui passait. Et lui savez-vous ce qu’il dit ? A notre ami Chandelon qui était de garde à l’infirmerie : il lui a trouvé une santé trop florissante et lui a promis s’il était aussi gras lorsqu’il repasserait de l’envoyer dans les tranchées. Et sérieusement puisque aujourd’hui, notre capitaine, qui nous cause souvent en allant au poste d’observation, nous a dit que le capitaine de la 23ème Batterie allait envoyer le plus maigre brancardier de cette batterie remplacer le plus gras.

Et il en riait également.

Il fait un beau temps superbe.

Rien à signaler autre que la chasse aux avions.

22-23 Mars

Descente à l’infirmerie de la ferme de Vauxbuin.

Il fait toujours beau. Au passage de chaque aéro le brigadier de garde fait sonner la grosse cloche de la ferme. A ce signal tous les chevaux doivent être rentrés dans les écuries ; les hommes aussi doivent se mettre à l’abri. C’est une bonne précaution.

La guerre a donné de bonnes leçons et on se protège bien mieux qu’au début.

Les journées passent monotones à lire, à blaguer. Je me plais surtout à me promener dans les allées du jardin au bord de l’étang surtout le matin et avant la nuit.

Et là je m’absorbe à une récapitulation des beaux jours passés depuis mon jeune âge et dans la perspective d’un avenir possible avec tous les miens. Et puis rentrés dans notre logis, nous discutons sérieusement les diverses chances de la campagne mais où domine généralement l’espoir de la fin, puis le besoin d’action. Et la nuit vient ; et le lendemain succède n’apportant aucun changement dans notre vie.

24 Mars

En arrivant à Vauxbuin Arnaud m’annonce que le 292ème est cantonné à Berzy.

Voilà une bonne occasion de revoir ce bon ami Roche et autres Aubièrois que je n’ai pas revu depuis le 13 septembre à Ambleny.

Et justement il y a des remèdes à porter à l’infirmerie de l’échelon, ce sera un motif car la consigne de ne pas quitter le cantonnement est de plus en plus serrée.

Je pars en compagnie d’ARNAUD à 3h de l’après-midi.

Nous suivons la route de Courmelles, route d’où l’on découvre très bien Soissons et les côtes qu’occupent les Allemands. Décidemment ils ménagent leurs munitions ces messieurs car ils tirent très peu sur cette route. Et pourtant ils voient très bien les territoriaux qui empierrent la route.

Et de Courmelles une côte assez rapide nous mène à Berzy-le-Sec.

Je n’ai pas de peine à trouver le cantonnement des brancardiers. Ah, comme nous sommes contents de nous raconter réciproquement les étapes de notre campagne. Et les fantassins expliquent de leur mieux la vie des tranchées.

Ils en ont bien vu les pauvres diables.

 

Je suis étonné par une décision lue au rapport le matin et affichée à tous les cantonnements : « Il est expressément défendu de causer dans la rue entre fantassins et artilleurs de même que d’aller dans un cantonnement étranger à son arme ». Et si l’on est pris à méconnaître ce règlement c’est 8 jours de prison ; il est vrai que c’est une faute grave que d’aller voir un parent ou ami.

Il ne faut pas chercher chercher à comprendre.

Ce règlement ne nous a pas empêché de passer la soirée ensemble avec Roche et Bayle. Ce dernier a été cassé de brancardier dernièrement pour avoir à Fontenoy emporté une botte de paille pour se coucher. Et pendant que des gradés sont bien installés dans un bon lit, les pauvres malheureux ne peuvent se procurer un peu de paille. C’est encore une grande faute.

 

Enfin à 9 heures je vais me coucher à l’infirmerie où je trouve mes camarades infirmiers qui sont ici.

25 Mars

Dès 6 heures du matin j’apprends que le 292ème a alerte. Voilà, moi qui pensais passer la journée avec les camarades. Il faut voir ces fantassins se grouiller dans les rues, transporter leurs bagages dans les voitures, ranger les cuisines car ils ne savent où ils vont. Roche vient me voir et me dire au revoir. Je vais alors rendre visite aux camarades de la 7ème pièce. Je visite leur cantonnement, ils sont, ma foi, très bien installés.

A midi voilà les pioupious qui reviennent.

Ils sont allés simplement à 2km de Berzy et après une attente de quelques heures le colonel et le général les passent en revue. Et ils reviennent dans leurs cantonnements. Je passe la soirée comme hier, je soupe avec ces braves fantassins. Roche est cuisinier.

Pourtant à 10h du soir, il faut nous séparer. Je suis content de ma journée.

A la guerre tous les pays sont des amis et l’on est content de parler de ce qui se passe là-bas, et s’apprendre les nouvelles que l’on sait du patelin.

26 Mars

 

Je pars de Berzy à 7h du matin, pour retourner à mon poste de Vauxbuin.

Il fait un temps superbe. Et ce qu’il y a de drôle c’est que de la journée on n’entend pas un coup de canon excepté sur les aéros. Nous nettoyons sérieusement notre infirmerie et mettons tout en ordre.

27 Mars

Journée très calme.

Une seule marmite tombe sur la route de Paris sans causer d’accident.

Nous avons la visite du colonel ; il n’est pas venu à l’infirmerie. D’ailleurs nous avions tout mis en ordre.

Mais partout où il est passé il y avait quelque chose à dire. Un papier qui se promenait dans la cour, un os autour des cuisines attirent ses réprimandes. A la cuisine de mon ami COUTANCON il dit qu’il y a le désordre là-dedans.

Et pourquoi ? Parce que dans les quarts qui sont pendus au mur il y en a un qui est tourné au contraire des autres.

A 3km des tranchées ennemies ! Il était curieux de juger de l’affairement des adjudants, logis pour faire nettoyer les écuries. Et ces pauvres gradés guettaient son arrivée d’un oeil inquiet.

Et en partant il dit à un logis à qui il demandait des explications sur la ration des chevaux « Vous êtes réserviste, vous n’est-ce pas. Eh bien, quand la guerre sera finie, moi je toucherai toujours ma solde et vous vous payerez les impôts ». Voilà les encouragements de ces messieurs.

28 Mars

Rien à signaler : nous apprenons que notre camarade brancardier CHANDELON est relevé par le général ; il était trop gras. Gare au gros et nous lui recommandons de temps en temps de maigrir un peu pour s’éviter pareil danger.

Le médecin termine aujourd’hui la vaccination contre la typhoïde.

29 Mars

C’est aujourd’hui que nous allons remplacer nos camarades de la 23ème au poste de secours.

Sitôt levés nous faisons nos paquets de couvertures et en route. Ici rien de changé, même solitude, même calme. Les pièces tirent dans la soirée quelques coups de canons auxquels répondent immédiatement des batteries de 77. Il fait un froid terrible. Nous sommes obligés de tenir notre porte fermée et prendre nos capotes.

30 Mars.

Pour passer le temps Camille a trouvé dans quelque armoire les œuvres complètes de JJ. Rousseau. J’ai commencé à lire aujourd’hui ses Confessions.

Il fait toujours froid.

Heureusement que nous avons une porte vitrée pour voir clair dans notre terrier. Notre BERTRAND est de plus en plus gosse. Parce qu’on ne peut sortir se promener ici, il veut toujours être dehors. Nous ne l’appelons plus que Toto et souvent Gardien le réprimande d’un air paternel.

Son plaisir favori est d’aller pose culotte dans un trou de marmite, de regarder tourner une hélice. Mais avec ça bon camarade et pas méchant du tout.

31 mars

Rien à signaler. Nous avons trouvé à acheter 2 litres de lait tous les matins à la maison voisine et la bonne femme nous fait chauffer le café au lait et nous en profitons.

Pauvres gens ! Depuis 7 mois ils sont contraints de vivre dans une cave qu’ils ont creusée à côté de leur maison pour être à l’abri des obus. Ils vivent des produits de cette vache.

Il faut qu’ils aient un certain courage pour rester là.

1er avril

A 8 h on annonce au téléphone qu’un Taube a été abattu et est tombé dans les lignes françaises dans notre secteur et on recommande à tous de surveiller la zone que l’on occupe.

Nous apprenons dans la soirée qu’en effet que l’aéro en question a été recueilli du côté d’Acy.

Les lieutenants FRANCO et BARTHOLI de notre groupe vont avec une auto le chercher et le ramènent au champ d’aviation au dessus de Berzy. Les officiers qui le montaient sont prisonniers. C’est après un combat entre cet avion et un français que celui-là a été obligé d’atterrir. Le 298 est revenu de Soissons relevé par le 309.

D’après les fantassins la ville est très bien approvisionnée malgré le bombardement intermittent qu’elle subit.

Rien n’y manque.

2 avril.

Très calme sur notre front. Aujourd’hui nous n’avons pas de viande à notre ordinaire les observations religieuses sont suivies ce jour-là même à la guerre.

Morue, sardines, confitures et patates voilà notre menu.

3 avril

Rien d’important à signaler.

Je raconterai pourtant une histoire qui m’est autant remarquable par la frayeur que le héros m’a causée tout d’abord et les rires qu’il a provoqués par la suite.

J’étais allé chercher la soupe du matin et en attendant qu’elle soit prête je causais tranquillement à l’infirmerie avec nos camarades. Tous à coup notre jeune brancardier de la 23e que nous surnommons l’artillerie lourde rentre précipitamment et sans dire un mot va s’affaler sur la litière en gémissant et là pris de mouvements convulsifs il pleurait ou râlait.

En le voyant dans cet état nous sommes apeurés, nous le croyons malade et pendant que l’infirmier le presse de questions auxquelles il ne répond pas, l’un cherche l’éther, l’autre de l’eau froide et il s’en est fallu de peu que l’on court appeler le médecin. Et pendant tout ce temps on le questionne :

« Mais, enfin ! Qu’as-tu ? Parle ? Parle ? … »

Rien… Nous sommes tous là ne sachant que faire.

Pourtant il se décide à parler et d’un ton larmoyant et saccadé nous dit « je suis pas… malade… j’ai été pris … un lapin à la main … par les gendarmes. »

Et le malheureux retombe dans son mutisme « Et le lapin » lui demande t-on, « il s’est sauvé », répond il. Alors sans pitié pour sa douleur c’est une explosion de rires et nous en rions longtemps après pendant que le pauvre diable reste accroupi sur la paille.

Il faut espérer que les gendarmes ne diront rien et laisseront notre homme en paix.

4 avril

Pâques ! Le voilà donc de jour de fête que d’ordinaire on accueille comme une fête de renouveau, de printemps, de tout ce que la nature semble nous promettre.

Cette année c’est l’espoir de la victoire prochaine, c’est la fin de tous ces massacres que tout le monde souhaite, c’est l’espérance de notre vie ordinaire si brusquement interrompue. Pour nous rien de changer aux autres jours ; la voix du canon se mêle aux soins lointains des cloches qui chantent l’Alléluia.

Pas de répit.

5 avril

Pour notre dernière journée à passer au poste de secours le temps est à l’orage, depuis 5 heures du matin nos pièces tirent de temps en temps si bien que les Boches se mettent également de la partie.

Le soir nous allons faire une promenade sur la route de Paris. On remarque tout le long de la route des cavernes creusées dans le talus ; c’est au début ?? la victoire de la Marne qui tous ces abris avaient été faits.

6 avril

Nous sommes encore au lit quand nos camarades viennent nous remplacer.

Nous faisons nos paquets et descendons à l’infirmerie ARNAUD apporte de l’échelon que de musiques d’infanterie sont constituées dans les régiments de réserve. Celle du 238e cantonné à Berzy a déjà donné un concert.

Nous allons fêté ce soir Pâques qui nous avons négligé là haut. La nuit venue, nous fermons la porte et nous dégustons tous les desserts que nous pouvons nous procurer.

7 avril

Il a fait une nuit épouvantable, la pluie, le vent ont fait rage si bien que lorsque nous nous éveillons la flotte est rentrée dans l’infirmerie sous la porte.

Canonnade assez vive.

Toute la journée notre artillerie tonne.

8 avril

Rien à signaler.

9 avril

Depuis le matin la canonnade commence bruyante et suivie.

A 10 h les Boches se décident à répondre et envoient 5 ou 6 grosses marmites sur le bourg de la Montagne de Paris.

Une tombe sur une maison encore habitée par deux bons vieux. Hélas, la vieille est tuée et le bonhomme qui s’était réfugié dans un tonneau en est quitte pour la peur.

Et à 1 h voilà que le tonnerre se met de la partie mais la nature ne peut plus lutter avec les armes humaines. Et le canon couvre encore le grondement du tonnerre et celui-ci s’est tu pendant que celui-là tonne encore.

10 avril

Deux pièces de 220 mm sont venues cette nuit prendre position au dessus de la Montagne de Paris. Les hommes sont logés dans la ferme que nous occupons. Le soir, après la soupe je vais rendre visite à ces fameux mortiers.

Ce qui me surprend tout d’abord c’est leur position de tir. Ils sont placés au pied de la Montagne de Paris où la pente est la plus rapide. On ne peut se figurer que le obus puissent monter si verticalement par-dessus la crête.

Ces mortiers sont disposés sur une plate forme spéciale. L’affût du canon n’est pas long mais quelle gueule.

Les obus sont transportés sur des petits wagonnets.

Ils pèsent 118 kgs et ont une charge de mélanite de 28 kgs. Ces canons sont amenés ici pour tirer sur les carrière qu’occupent les Boches à Pasly ou sur la rive droite de l’Aisne. Mais leur portée ne dépasse pas 5 kms et on envoie l’obus à telle ou telle distance en augmentant ou diminuant la charge de poudre pour le faire partir.

11 avril

Nos collègues brancardiers du 11e artillerie du 220 viennent loger avec nous. Et parmi eux il y a un correspondant de l’Avenir du Puy de Dôme engagé pour la durée de la guerre.

C’est l’infirmier. Et tout de suite nous sommes pays ; nous parlons de l’Auvergne, de Clermont ... et des campagnes voisines.

12 avril

On commence aujourd’hui de passer nos voitures à la peinture. Des équipes font ce travail. Une autre équipe est employée à fabriquer des mannequins vêtus d’anciens habits usés.

Les vestes, pantalons sont bourrés de paille et simulent admirablement des artilleurs. C’est pour établir une fausse batterie en avant des nôtres. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que cela se fait. Pour les pièces on fait avec des pieds de bouleau placés pour tromper les aéros, mais cette fois on a imaginé pour mieux tromper de placer ces artilleurs en paille autour des ces fausses pièces. Il y aura même le commandant de la batterie placé encore plus en avant.

Sans doute la méprise ne durera pas longtemps et la supercherie sera vite découverte.

13 avril

La batterie lourde de 220 est à peu près installée prête à tirer. Les artilleurs se font maintenant des abris.

Calme à peu près complet.

Le soir on annonce le général.

C’est curieux de voir alors tous les hommes mettre la cour et le cantonnement en état de propreté. Les balais marchent. Et dans un quart d’heure tout est près.

Peine perdue, il ne vient pas.

14 avril

Les émotions des artilleurs du 11e.

C’est ainsi qu’on peut intituler l’histoire de leur journée dont ils rappelleront longtemps sûrement. Depuis qu’ils étaient là aucun coup de canon n’était venu troubler leur tranquillité. Et franchement ils se croyaient aussi en sûreté qu’à Briançon ou Lyon où ils étaient restés jusqu’à présent.

Et voilà qu’en plein travail ils entendent tout à coup ce sifflement sinistre que l’on connaît trop bien et qui est de mauvais présage.

La marmite éclate un peu en avant de leurs pièces. Mais après celle-ci une autre, puis une autre se rapprochant toujours davantage de leur travail. Pensez alors ce qui se passe chez ces bonhommes qui n’ont plus vu la guerre de si près. Et lorsqu’ils reviennent manger la soupe à la ferme, ils poussent les hauts cris, ils discutent.

Un était à 50 mètres et a reçu 3 éclats, l’autre était à 10 m et a été recouvert de terre. Et le brave infirmier engagé est complètement désenchanté et reste toute la soirée couché sur la paille et absolument abruti. Il doit déjà regretter les bons bureaux de l’Avenir où il aurait pu rédiger en sûreté les beaux articles relatant l’héroïsme de nos troupes.

Mais il est trop tard et il faut se résigner.

15 avril

Ce n’est plus aujourd’hui non seulement les émotions du 11e mais aussi celles du 16e et malheureusement nous avons eu 2 morts à déplorer. A la même heure qu’hier et sans grande provocation de la part de nos batteries voilà les Boches qui se remettent à envoyer de leurs beaux obus sur la route de Paris au bourg de la Montagne de Paris. De la ferme nous voyons les éclatements et chaque fois nous nous demandons où ça tombe.

L’orage a passé depuis un quart d’heure à peu près quand un brigadier vient nous appeler pour aller au trot à la Montagne de Paris. Une maison a été coupée en deux ensevelissant dans ses décombres 2 artilleurs et une dizaine de fantassins.

Vite nous accourons.

En arrivant au bourg quel triste spectacle. Le déblaiement a été fait par les fantassins. Sur le bord de la route nos pauvres camarades sont étendus mutilés, la tête ouverte, connaissables à peine.

Oh, nos soins sont bien inutiles.

A côté d’eux 2 fantassins sont également étendus morts aussi : les 8 blessés sont déjà transportés à l’ambulance de Vauxbuin dirigée par Mlle Canton Baccarat chevalier de la Légion d’Honneur. Oh ! Que c’est triste de voir des massacres pareils et aux yeux de tous ceux qui auront vu de près cette mort brutale la valeur de la victoire sera bien amoindrie.

Et il faut prendre sont courage à deux mains pour rester impassibles devant de tels malheurs. Mais pourquoi s’apitoyer ? Puisque c’est le seul et dernier devoir que l’on doive à ces braves.

Nous mettons ces pauvres cadavres sur des brancards et nous les portons à la ferme. Et là il faut encore les fouiller, prendre sur eux tous leurs papiers, argent, tout à quoi ils ont tenu et ce qu’ils ont conservé précieusement pour le remettre au bureau pour le faire parvenir à leurs familles. Notre dîner est vite fait, je bois un quart de jus que me porte l’ami ??? 

L’après-midi nous allons chercher des voitures spéciales à l’ambulance et y amenons ces pauvres malheureux où ils seront mis en bière et où se fera la levée des corps.

Les obsèques se feront ce soir à 6h1/2.

Notre camarade brancardier l’abbé doit venir de Soissons pour donner l’absoute.

 

A 6 h un détachement de notre batterie en armes vient pour rendre les honneurs. Tous les canonniers sont présents de même que nos officiers.

Comme c’est impressionnant ce défilé funèbre à travers les allées du parc ; sans un mot, sans autre parole que les prières récitées par l’officiant. Et tous ont les larmes aux yeux.

Les cercueils sont déposés sur les voiturettes et recouverts de drapeaux tricolores. Ce sont nous les brancardiers qui assurons ce service de transports.

C’est au cimetière militaire de Vauxbuin qu’à lieu l’inhumation. Des rangées de tombes nouvellement creusées à côté du monument des institutions de l’Aisne fusillés en 1870 par les Allemands.

Sur chaque croix est le nom de celui qui est enterré là.

La cérémonie prend fin par le défilé des troupes devant les cercueils et le discours du commandant … pas long le discours : « Mes enfants … Vive la France… Gloire et honneur à ceux qui sont morts pour elle. »

Et chacun se retire ému et silencieux laissant nos pauvres camarades pleins de santé le matin et tombés si brutalement.

16 avril

C’est aujourd’hui que les mortiers de 220 doivent démonter les carrières de Pasly.

Dès le jour tout le monde est aux pièces attendant l’heure du déclenchement car les batteries de 75 et 155 sont aussi de la partie en un tir combiné.

 

A 10 h la 23e batterie ouvre le feu sur les tranchées pour faire réfugier les Boches dans leurs carrières. Les grosses pièces repèrent avec des obus d’instruction.

 

A 11 h environ l’ordre est donné de tirer. Alors quel vacarme. Un son sourd mais terrible et par rafales de 4 ces joujous de 118 kgs vont s’abattre sur les fortifications naturelles des Boches. Un avion muni d’un appareil de télégraphie sans fil surveille le tir et signale les différentes phases du bombardement.

Et voilà qu’au bout d’un moment les 75 et autres batteries crachent à volonté. Nous avons su après par les téléphonistes que le but a été très bien atteint.

Et c’est au moment où les carrières se sont écroulées et que les Boches fuyaient de tous côtés que les 75 les ramassaient. Les 220 ont tiré 130 obus et la 23e batterie 282.

L’artillerie allemande a très peu répondu.

Le bombardement a très bien réussi ; dans la soirée une fumée intense et noire sortait des entonnoirs creusés par les obus ; on présume que la paille de couchage ou ce qui a été enseveli brûle. Et toute la nuit pensant sans doute que nos ennemis allaient déblayer les décombres les batteries arrosaient le terrain de temps en temps.

17 avril

Après l’orage, le calme. Les artilleurs du 11e se préparent à partir sur un autre point, sans doute le travail qui leur était assigné est terminé : le restant de leurs munitions est déjà expédié ailleurs.

Et aujourd’hui ils vont démonter leurs plates formes et charger leurs canons. Les infirmiers et brancardiers nous quittent à regret, nous étions déjà habitués avec le vieux père Durand, rédacteur de l’Avenir.

Ils partent à la nuit et d’un côté nous ne les regrettons pas car avec tous les rassemblements qu’ils faisaient dans la cour au heures de la soupe il aurait suffi du passage d’un aéro pour nous faire repérer et envoyer quelques pruneaux.

18 avril

Il fait un temps splendide. Aussi la chasse aux avions commence de bonne heure. 3 fantassins sont blessés dans Vauxbuin par les éclats qui retombent de là haut. On a beau défendre de rester dehors quand passe un aéro, rien n’y fait ; tout le monde veut voir la bataille.

Faible canonnade de part et d’autre.

Il n’en est pas de même entre les artilleurs tiré 130 obus et la 23ème batterie 282. L’artillerie allemande a très peu répondu. Le bombardement a très bien réussi ; dans la soirée, une fumée intense et noire sortait des entonnoirs creusés par les obus : on présume que la paille de couchage ou ce qui a été enseveli, brûle.

Et toute la nuit, pensant sans doute que nos ennemis allaient déblayer les décombres, les batteries arrosaient le terrain de temps en temps.

Beaucoup, pour fêter consciencieusement le dimanche ont bu un peu plus que de coutume et il s’en suit différentes disputes qui se terminent par un échange de coups de poing.

Une bataille à même lieu dans l’infirmerie où l’ordonnance du médecin tape de son mieux un maréchal qui était venu se faire soigner….. sa cuite aussi.

Heureusement le Gros met fin à la bagarre en les séparant un peu brusquement. Si brusquement qu’il casse le tuyau de sa pipe entre les dents …. Sa pipe, victime du devoir. Enfin, je vais lui prêter la mienne en attendant qu’il ait fait l’acquisition d’une nouvelle.

Pour d’autres, leur griserie se termine par une punition de 15 jours de prison à faire à Soissons où ils sont conduits immédiatement entre quatre hommes en armes. Il est vrai que les jours de prison se distribuent assez largement depuis quelque temps ; il n’y en a pas moins d’une huitaine pour le groupe à Soissons et pour des fautes légères.

19 Avril

La fausse batterie que l’on montait est terminée.

Deux canons en bois et peints de la couleur bleu ciel sont mis en position à quelques cents mètres du poste d’observation.

Les mannequins sont dissimulés autour des pièces et par un système, le capitaine, de son poste, fait sortir ces faux artilleurs de leurs tranchées et les fait rentrer immédiatement aussitôt que les Boches tirent dessus.

Le stratagème a l’air de réussir jusqu’à présent. Si on pouvait imiter aussi bien un aéro et le faire voler en l’air, que de munitions n’useraient-ils pas dessus.

Rien à signaler.

20 Avril.

Très calme de part et d’autre. Tous les soirs après la soupe, il est curieux de voir dans le jardin tous les canonniers, se promener tranquillement dans les allées, s’asseoir par groupes sur le gazon déjà reverdissant, causer bruyamment, s’amuser, faire des farces aux camarades. Peut-on se faire une idée d’une guerre pareille ! Dans la journée on ne voit personne, tout le monde est caché ! Les routes sont désertes. Les fantassins vont faire l’exercice au dessus du village sous un bois, de même la promenade des chevaux. Puis le soir venu, on entend un roulement de voitures continu, ce sont les ravitaillements qui arrivent et vont à Soissons. C’est une guerre mécanique. Avant 9 hres du matin, rien ne bouge. Puis quelques coups de canon jusqu’à  11 Hres. Puis, soupe. Et la musique recommence de 3 Hres à 5 Hres. En somme c’est la guerre 4 heures par jour.

21 Avril 1915

Rien à signaler.

Le service de nettoyage devient de plus en plus serré. Il ne faut plus voir aucun papier traîner dans la cour. Non seulement les papiers doivent être jetés au fumier, mais recouverts.

Par contre, on peut passer à côté des douilles de 75 dans un champ, sans être obligés de les ramasser, malgré leur valeur de 3 francs pièce. Mais, je fais là de la critique et je ne veux pas encore en faire à la fin de ce cahier.

Jusqu’à présent, je me suis borné à relater nos occupations et signaler divers faits qui m’ont paru intéressants pour que je puisse plus tard, suivre ma campagne.

L’heure des critiques viendra et je ne serai pas le seul à en formuler. Au contraire, je serai probablement un de ceux qui crieront le moins, car je suis des privilégiés de la guerre, et nos officiers de la batterie sont gentils pour nous.

Je souhaite terminer cette campagne dans les mêmes conditions et qu’une paix heureuse et durable nous ramène bientôt dans nos familles.

 

Eugène MARTIN – 16ème Artillerie – 21ème Batterie

Classe 1906 – N° 762

Recrutement de CLERMONT- FERRAND

 

22 Avril 1915

Toujours le même calme et la même tranquillité.

23 – 24 Avril

Rien à signaler.

25 Avril

C’est aujourd’hui la fête patronale de Septmonts.

Cette année, pas de chevaux de bois, pas de baraques foraines. Mais ne pourrait-t-on remplacer les autres distractions par d’autres jeux sportifs entre les militaires. C’est sans doute ce qu’à pensé l’autorité, car il y a une course au sac, football, courses à pied, etc … et les fantassins sont heureux de se divertir.

La musique de la 126ème brigade, formée en partie par des musiciens du 292ème prête son concours. Cette musique est dirigée par un sergent.

25 – 26 Avril

La 23ème batterie quitte sa position de la Montagne de Paris pour aller un peu plus haut dans le coin d’un bois au-dessus du village.

Ce coin là n’a jamais été repéré par les allemands, malgré la présence du 95 et puis les servants  y ont creusé de bons abris derrière leurs pièces et au-dessous, il y a une carrière.

Le tir se règle du même poste d’observation.

27 Avril

C’est aujourd’hui la fête du 305ème d’infanterie cantonné à Vauxbuin et pour remplacer les distractions des années précédentes en caserne, il y a aussi comme dimanche à Septmonts une fête sportive et musicale d’organisée.

A peu près même programme que là-bas

Les dames de la Croix Rouge de l’ambulance de Vauxbuin, honorent cette fête de leur présence.

 

Mais sur la fin un taube se met de la partie ; survole tous les rassemblements et malgré nos canons qui lui tirent dessus, tient à voir un peu. Les officiers ordonnent alors de se dissimuler sous les arbres et les jeux sont interrompus.

Ah ! si l’aviateur allemand avait entendu cette musique entraînante, il aurait bien vu que le moral de nos troupes était bon.

 

Enfin, lorsque ce visiteur par trop curieux a disparu de l’horizon, la fête continue, malgré quelques salves de 77 qui viennent sur le village et que l’on prétend avoir été commandées par l’aviateur.

A 8hres du soir, je profite d’un caisson qui vient ravitailler, pour aller à Berzy passer la journée de demain en compagnie du camarade Roche qui y est cantonné.

28 Avril

Séjour à Berzy.

Je passe la plus grande partie de la journée avec mon fantassin, nous racontant réciproquement toutes nos impressions. Et justement, deux compagnies vont faire une manœuvre l’après-midi et nous restons presque seuls. Je repars pour Vauxbuin le soir à 7 Hres profitant d’un caisson qui va ravitailler.

29 Avril

A 1hre du matin, nous sommes réveillés subitement par une canonnade terrible partant du secteur voisin. Comment dormir avec un potin pareil. Nous sortons dehors pour voir le feu d’artifice. De tous les coins, nous voyons jaillir des lueurs suivies par le coup. La 36 est de la partie.

A 1hreI/2, tout rentre dans le calme et nous pouvons reprendre le sommeil interrompu.

Nous apprenons dans la journée que les allemands avaient réussi à jeter un pont sur l’Aisne à Venizel tout près de Soissons et à passer sur la rive gauche. C’est ce qui a déterminé ce bombardement.

Le pont aurait été détruit et ceux qui n’ont pu regagner l’autre rive seraient fait prisonniers. On apprend aussi que deux pièces du 36 ont éclaté en une explosion formidable ; il y a deux morts et quelques blessés.

Depuis quelque temps, ces accidents se renouvellent fréquemment ; il y a quelque temps, une pièce de la 22 avait eu le même sort à Soissons, ne faisant que des dégâts matériels ; on en attribue la cause à certains obus explosifs que l’on emploie depuis peu.

30 Avril

On change tous les obus explosifs de la catégorie de ceux qui ont occasionné les accidents que j’ai relatés. On les amendera probablement. Et en attendant la guerre continue toujours !

1er et 2 Mai

Rien à signaler.

Très calme de part et d’autre. GARDIEN copie le journal de marche et des opérations pour le service de santé.

Il se sert pour cela d’un cahier de notes d’un capitaine du groupe. On peut voir dans ces notes que les officiers eux-mêmes manifestent bien souvent leur mauvaise humeur et font des réflexions malveillantes sur leurs supérieurs.

C’est l’armée qui le demande.

3 au 6 Mai

Rien à signaler. Temps orageux et lourd.

Le tonnerre se met tous les jours de la partie. L’ennemi envoie tous les jours quelques obus sur Vauxbuin sans causer de dégâts.

7 Mai.

Dès le matin, le bruit court que nous allons quitter Vauxbuin.

Les capitaines sont déjà partis reconnaître les nouvelles positions de batteries.

Aussi, lorsque le trompette qui a accompagné le capitaine arrive, tous l’interrogent « Où va-t-on ? Est-ce que nous serons bien ? Est-ce que ça y barde ? » Nous allons, parait-il du côté d’Acy, à la ferme du Pavillon et à Ciry, remplacer le 30ème.

Le 53 vient à notre place Pourquoi tous ces changements ? Ne vaudrait-il pas autant que le groupe du 53 aille directement remplacer le 30ème et tout serait fini par là. Enfin ! Aucun ordre de départ n’est encore arrivé, mais il faut se tenir prêts

En effet, à 9 Hres du soir, on nous prévient que nous partons à 11 hres.

8 Mai

Nous rangeons nos sacs sur la voiture médicale comme nous pouvons, pas de voitures pour nous emmener.

Nos caissons sont à l’échelon.

Puis, une fois prêts, nous partons pour retrouver nos voitures à l’embranchement des routes de Berzy et de Noyans. Lorsque nous arrivons là, la fin de la colonne défile. « Quelle batterie ? » demandons-nous. « 22ème et la 21ème devant », nous répondent les canonniers. Nous marchons alors d’un bon pas pour essayer de rattraper nos voitures.

Peine perdue, juste à ce moment, la colonne s’ébranle et part au trot.

Heureusement, un caisson et un fourgon sont restés en arrière GARDIEN et TOTO et deux de la 23ème grimpent sur le caisson. Moi, je monte sur le fourgon. Mais c’est la guigne !

Quand nous prenons la route de Rozières, le fourgon s’enlise sur le bord du chemin pour se détourner d’une auto. Impossible de démarrer. Hue … Hue … Rien … Les chevaux reculent au lieu d’avancer.

Tous, nous poussons aux roues …. Rien ! Il faut prendre un attelage d’un caisson et le mettre devant pour nous tirer d’embarras. Enfin, ça y est ! Nous repartons au trot et on rattrape la colonne à Rozières où on doit attendre les batteries de tir.

On repart au bout d’un quart d’heure.

Itinéraire : Rozières, Ecuiry, et nous arrivons au jour à la ferme d’Epritel où on forme le parc et où doit rester l’échelon. Quant à nous, nous devons rejoindre nos batteries, la 21ème à Ciry–Salsogne ; la 23ème à la ferme du Pavillon (au-dessus de Jury) Nous partons en compagnie de nos camarades de la 23ème.

Nous passons à Serches, puis Jury et nous montons à travers champs à la ferme du Pavillon. En arrivant là-haut, quelle surprise ! La batterie n’est pas arrivée, personne ! Nous demandons des renseignements à des artilleurs du 2ème ils n’ont vu personne.

Enfin, nous trouvons le brigadier qui est venu faire le logement. Il est aussi étonné que nous.

Et nous n’avons rien mangé depuis hier à 5 Hres.

Heureusement, il y a ici du lait en quantité et des œufs. Je bois du lait à mon aise, la fermière nous fait une bonne omelette et après avoir mangé, nous nous couchons sur la paille et attendant les évènements.

Enfin, arrive le trompette du capitaine. Les batteries n’ont pu partir à temps pour arriver aux positions avant le jour, et elles ont dû séjourner à  Chacrise.

La ferme du Pavillon n’a pas encore été endommagée.

Les fermiers vont travailler et semer leurs champs pendant la nuit pour n’être pas vus. Il y a encore une douzaine de chevaux et au moins 20 bêtes à cornes. Après avoir mangé des œufs sur le plat, nous couchons dans l’infirmerie de nos prédécesseurs.

9 Mai

A 3 hres du matin, le Gros nous réveille pour rejoindre la 21ème batterie. Il n’y en a pas pour longtemps à se préparer. Et en route. Des deux côtés des trous de marmites en quantité.

Nous arrivons à Ciry juste au matin.

Une bonne femme qui est au lavoir nous renseigne sur notre cantonnement : c’est justement chez elle que nous sommes logés.

 

Une petite maison isolée nous sert de poste de secours et de dortoir. C’est sale au possible et il nous faut jusqu’à midi pour le mettre à peu près en état.

Quant à notre cuisine, nous la faisons dans une maison habitée en face de notre poste.

C’est le Gros qui est cuisinier pour nous et les ordonnances des officiers. Les habitants sont très gentils, ils mettent tous leurs ustensiles de cuisine à notre disposition et sur la grande table placée dans la cour, chacun a son assiette, sa fourchette, etc… Nous avons déjà perdu l’habitude de manger dans des assiettes ; il ne nous manque plus que serviette et… dessert. Car le menu n’a pas changé, mais mieux préparé et il y a à la maison des œufs et du lait pour l’améliorer.

L’après-midi on nous embauche pour aller nettoyer une pièce pour faire un bureau.

Heureux bureaucrate !

Il est là qui nous regarde à faire son boulot. Les Allemands sont raisonnables ici, ils n’ont pas tiré un seul coup de canon. Peut-être pour nous habituer plus facilement. Pourtant le village a été bombardé souvent, du côté de l’église surtout les habitations ont beaucoup souffert.

Notre batterie est un peu éloignée de notre poste de secours, c’est embêtant.

10.11 Mai

Nous complétons notre installation ; il nous faut faire des feuillus de partout, couvrir les détritus que nos prédécesseurs laissaient traîner dans tous les coins. Il est défendu de se promener dans la rue, pendant le jour, l’ennemi peut nous voir.

D’ailleurs il y a un barrage et il faut passer tout à fait le long des habitations.

Dans l’après-midi les Allemands se fâchent, ils envoient une soixantaine de coups sur la 21ème batterie sans causer d’accident. Temps propice aux reconnaissances aériennes par les avions. Et quelle chasse que leurs font les canons.

L’habitude d’écouter le moteur nous fait distinguer un aéroplane français d’un allemand. Le bruit du moteur de celui-ci est tout saccadé, on dirait une machine à coudre tandis que le premier a le ronflement plus uniforme.

12 au 16 Mai

Rien à signaler.

Tir intermittent de part et d’autre.

Il fait un beau temps superbe.

17 Mai

On nous embauche aujourd’hui pour peindre un fourgon. Ce travail fait-il partie du service sanitaire !

Nous allons, moi et Camille en bourgeron blanc prendre chacun un pinceau et à l’ouvrage.

Quels peintres ! Tous nos coups de pinceau tracent un sillon distinct. A la guerre comme à la guerre. Ce n’est pas si juste. Nous recevons l’ami Villeneuve qui vient nous voir de l’échelon.

Le commandant CONADE (?) est désigné pour faire les fonctions de lieutenant colonel à la division. Il est remplacé au commandement du groupe par le chef d’escadron DUMOLIN qui vient d’une batterie de 90.

Du 17 au 22 Mai

C’est bien, je crois, la semaine la plus calme que nous ayons vue depuis cette guerre de siège.

Pas un coup de canon, quelquefois la nuit venue sur quelque ravitaillement. Est-ce pour économiser des munitions ? Est-ce parce que le temps a été brumeux ou orageux ? On ne se croit plus à la guerre.

Les civils travaillent dans les champs comme en temps ordinaire même à la vue de l’ennemi. Nous sommes tout à fait bien.

23 Mai

Dans la journée, rien à signaler.

Le soir nous allons en corvée chercher des madriers à Ambrief. Nous partons à la nuit avec une voiture de réquisition (il n’y a pas assez de chevaux qui ne font rien et qu’il faut promener chaque soir).

Un logis conduit la corvée de 6 hommes. Nous rencontrons sur la route un bataillon d’infanterie territoriale qui vient aux tranchées ; c’est la relève. Derrière la colonne, les voitures régimentaires et parmi celles-ci, une voiture à chien, une vraie voiture attelée à un chien. Certainement le règlement n’avait pas prévu ce genre de véhicule.

Nous arrivons à Ambrief à 11 heures du soir et après les informations nécessaires, nous allons charger nos rondins comme le bon l’indiquait. Et combien mettons-nous de ces rondins ou plutôt des troncs d’arbres ? 25 et nous devions d’après les ordres du capitaine en amener 100, dans une seule voiture !

Et en route pour revenir à Cizy.

C’est égal ! 6 hommes pour charger 25 pièces et pour cela passer toute la nuit ! Nous passons par Acy, Jury, le Pavillon. En chemin nous rencontrons les fantassins qui reviennent des tranchées. Comme ils ont l’air las ces pauvres vieux !

Nous arrivons à Ciry à 2 heures du matin sans accident.

24 Mai

Nous apprenons, par un message téléphonique adressé aux troupes, que l’Italie a déclaré la guerre à l’Autriche.

Pourtant, elle s’est enfin décidée et ce n’est pas sans marchander. Et pour fêter cet événement, une petite manifestation est organisée.

A 4 heures du soir, toutes les batteries d’artillerie tireront 2 salves, c’est-à-dire 8 coups de canon et à deux reprises.

A ce moment, dans les tranchées, les fantassins élèveront des petits drapeaux italiens au-dessus des créneaux et les musiques régimentaires, s’il y en a,  ou des clairons, joueront l’hymne national. Petite plaisanterie qui pourrait bien tourner au tragique.

4 heures ! un bruit formidable, parti de tous côtés et qui se répète. Tous les canons tonnent à la fois. La canonnade décroît bientôt car les 75 ont vite fait, eux, de brûler leurs huit cartouches et il ne reste plus au bout d’un moment, que les batteries lourdes.

A 4 heures 10, la fête recommence de même. Cette fois, je ne sais si la musique leur a déplu, mais les batteries ennemies répondent quelque peu ; le calme revient bientôt, la fête est finie !

23 Mai

Les Allemands prennent aujourd’hui leur revanche.

Ils bombardent tous les points principaux : batteries, fermes Saint Jean, Sermoise, Salsogne et beaucoup d’autres cantonnements. Heureusement, ici, il n’y a aucun accident. Nos batteries tirent très peu.

26 Mai

Journée calme. Le soir,  visite au poste d’observation. On y arrive par un boyau qui part de la grotte du téléphone. Je regarde avec la lunette d’approche. A nos pieds, la vallée de l’Aisne et en face Missy ou plutôt les ruines de Missy.

Les maisons sont démolies. De l’église il ne reste plus que quelques pans de mur. Les contreforts sont debout, tout isolés. On aperçoit très bien les tranchées allemandes. Ce poste est très bien abrité, recouvert de rails, traverses de chemin de fer et d’une couche très épaisse de terre.

27 Mai

Promenade aux pièces de tir. En position au-dessus de Ciry près la ferme Saint Jean. De très bons abris couvrent les pièces et à côté de chaque pièce un abri souterrain encore mieux. Les abris où les hommes couchent sont épatants et d’une propreté absolue.

Devant la porte un petit massif de verdure, de chaque côté des escaliers une rangée de bouquets.

En dedans, tout le confort désirable, table, bancs, rayons râteliers d’armes, hamac pour coucher.

Chaque logement porte un nom : village du chêne, villa des pruniers, villa des muguets. Tous les abris sont recouverts de deux rangées de traverses de fagots de bois et d’au moins deux mètres de terre.

Du 28 Mai au 3 Juin

Rien à signaler.

Nous vivons le plus tranquillement du monde ; on entend à peine le canon. Les matins à 4 heures, un tir de courte durée (deux coups par pièce) et plus rien dans la journée. Il fait chaud. Aussi quelle flemme.

Nous sortons tout juste après la soupe du soir pour aller faire notre promenade habituelle.

4 Juin

Vraiment, on ne sait plus à quoi nous employer. Il y a dans la rue devant notre cantonnement un barrage en fil de fer fixé à ces piquets pour empêcher le passage dans la rue.

Il faut maintenant remplacer ces fils de fer par des lattes en branche.

Pourquoi ?

Et le plus drôle, c’est qu’il faut faire cet échange à midi au plus fort de la chaleur. Ce n’est rien pour nous, mais puisqu’on nous défend de stationner dans cette rue, même à un seul, pourquoi ne pas attendre le soir ou le matin pour faire travailler une vingtaine de poilus à cet endroit vu de l’ennemi.

Les habitants civils voisins ne sont pas rassurés et craignent un bombardement. « Vous allez vous faire voir » disent-ils « et puis, ça tombera ! ». C’est l’ordre, il n’y a pas à discuter.

5 Juin

Rien à signaler

6 Juin

Les Allemands ont aujourd’hui une drôle d’idée. Ne s’avisent-ils donc pas de bombarder l’église de Ciry et les environs juste au moment où la messe bat son plein.

L’église est pleine de soldats, c’est la Fête Dieu. Ah dame ! les poilus ont de l’avance à venir se réfugier dans les caves voisines. Et les quelques artilleurs qu’il y avait viennent nous retrouver d’un bon pas.

 7 Juin

Manœuvre des brancardiers.

Non pas la manœuvre du brancard, mais exercice pour faire un poste de secours abrité  au mieux et en moins de temps possible. Nos camarades ROUX et MOURLON de la 22ème et MAGNET et CHALENDON de la 23ème viennent à Ciry pour prendre part à l’exercice.

Sous la direction du médecin, nous trouvons un emplacement propice : un fort talus sur le sentier qui monte de Ciry au poste central téléphonique.

Voici en quoi consiste notre poste de secours : nous creusons au pied de ce talus une caverne de 4 mètres de long sur 2 mètres de haut et 2,50 mètres en profondeur. Nous mettons toute la terre sur les côtés de l’entrée avec un mur en pierre et un gabion puis, avec des arbres et des branchages nous recouvrons l’entrée et le haut et de la terre par-dessus. C’est très bien comme abri.

Mais pourrons-nous en vraie campagne aller nous promener dans les bois pour couper des arbres ? Et aurons-nous cinq heures devant nous pour faire cet abri ? Enfin nos officiers ont été satisfaits de notre essai. Et pour nous, cela nous a procuré le plaisir de passer une bien agréable journée avec nos amis des autres batteries.

Du 8 au 12 Juin

Rien à signaler.

Toujours très calme ; nos batteries tirent très peu. Les servants des pièces font le même exercice que nous. Devant l’emplacement de la pièce un fort gabionnage, et de chaque côté une tranchée de 2 mètres de profondeur. C’est l’abri provisoire et de première nécessité. Et à nous, le capitaine a trouvé du travail. Il nous faut couvrir le fumier (peut-être 200 tombereaux que le 30ème avait laissés) qui est au bout de la route du Pavillon.

Couvrir ! avec quoi ? Avec des tiges de betteraves grainées qui n’ont pas été cueillies dans un champ voisin. Tous les soirs après la soupe nous allons travailler à ce chantier. Il faut voir si nous les alignons scrupuleusement les tiges pour qu’elles tiennent plus de place. Je doute fort que le résultat soit épatant car lorsque les feuilles seront sèches, ce sera pareil comme avant.

13 Juin

Le matin nos batteries font un tir d’efficacité sur une batterie allemande au fort de Condé. Deux avions règlent le tir. Le but a dû être atteint car il a provoqué chez nos ennemis une sérieuse crise de mauvaise humeur.

Dès 11 heures, ils arrosent d’obus un peu de partout et de belles marmites, ma foi. Le Pavillon, Saint Jean, Sermoise, la gare, la route de Serches, Ciry, les batteries reçoivent des coups tour à tour. Et pour la première fois depuis que nous sommes ici, nous allons dans la cave attendre que l’orage se soit calmé car les marmites arrivent bien près de notre cantonnement.

Du 14 au 30 Juin

Rien de particulier à signaler.

Les batteries allemandes sont plus actives.

Ciry est souvent bombardée, surtout du côté de l’église. Nous sommes toujours très bien. Je suis heureux de trouver les soirs un bon lit où je puis me dévêtir et m’étendre. Tous les chevaux blancs sont teintés en rouge noir avec du permanganate de potasse ; ces pauvres bêtes font une drôle de figure.

Nous n’avons aucun accident à déplorer parmi nous mais les fantassins écopent souvent.

En général il fait beau et chaud, la suite devient règlementaire.

Du 1 au 10 Juillet

Les Allemands sont toujours très actifs ; on apprend par des prisonniers qui se sont rendus de bon cœur que c’est maintenant un corps actif qui est devant nous.

Tous les jours ils bombardent les villages ; nous avons de la chance, le quartier de Ciry où nous logeons est épargné ! je vais un jour à Noyant faire des provisions pour la batterie.

Nous restons toute la journée à Septmonts pour attendre la nuit pour rentrer de nouveau à Ciry.

Dans ce patelin, ce n’est plus la guerre, il y a tous les civils, les officiers se promènent crânement sur la place, tous costumés dernier genre, la musique des territoriaux fait concert tous les soirs. Voilà maintenant qu’on parle de permissions, tout le monde est joyeux.

Quatre jours, six, huit jours, on n’en sait rien, mais les décisions vont bon train.

Le premier départ est fixé au 10 à raison de 6 par batterie (34% de l’effectif) et en commençant par les pères de plusieurs enfants, puis d’un seul, les mariés sans enfant ensuite et enfin les garçons et en accordant la priorité dans chaque catégorie aux cultivateurs.

Du 10 au 13 Juillet

Rien d’important à signaler.

Les premiers permissionnaires sont partis et dame les conversations sont toutes sur ce même sujet, on veut voir les listes pour savoir dans combien de temps on doit partir. Mes camarades ne manquent pas le 12 juillet de m’offrir un bouquet en l’honneur de ma fête, fête qu’il faut naturellement arroser.

14 Juillet

Fête Nationale.

On s’attend aujourd’hui à une petite manifestation des Allemands et à cet effet, on a fait reconnaître les meilleures caves de notre quartier pour se mettre à l’abri.

Et pourtant, jamais on n’avait vu matinée plus calme ; nos batteries elles aussi se taisent. Pour marquer ce jour d’habitude si gai, on a planté un drapeau tricolore au sommet du toit de la ferme Saint Jean qui est très bien vue du fort de Condé.

A midi exactement nous entendons tout à coup une série de ces sifflements sinistres que l’on reconnaît si bien et en même temps des éclatements plus près, et d’autres coups qui passent par-dessus nos têtes.

Le voilà le bombardement attendu.

Ciry est bombardée du côté du l’Eglise, St Jean, Vasseny, Acy; même Serches et Septmonts qui jusqu’à présent n’avaient jamais été atteintes. Et dans bien des pays il y a des victimes, à   Braine, à Septmonts, à Vauxbuin.

Nos batteries répondent sérieusement.

L’après-midi est calme.

Le soir à 6 heures la manifestation recommence comme à midi et sur tous les mêmes points. Le soir nos sous-officiers font un feu d’artifice devant St Jean, des feux de Bengale, des feux de poudre, etc., mais la pluie vient troubler le spectacle et les batteries ennemies que l’on croyait mettre en branle ni disent rien.

Du 15 au 25 juillet

Rien d’important à signaler.

Les batteries ennemies sont plus actives ; on ne peut plus passer sur la route d’ ?? sans être canonné et chaque jour le pays ou les batteries sont bombardées sans aucune provocation de notre part. Une femme est blessée devant la porte de la carrière qu’elle habite au dessus du poste téléphonique.

Et de temps à temps nous allons nous réfugier dans la cave. C’est le chien de la maison qui donne l’exemple, Sultan, un bouledogue ayant mauvaise figure mais fidèle, se précipite au premier obus qui arrive pour se ranger dans cette cave et lorsque ce sont nos canons qui tonnent il ne bouge pas et n’a pas peur. Je doit partir en permission le 29 et dame je suis heureux d’aller me retremper un peu dans ma famille.

Je pensais partir la dernière fois puis par des circonstances que l’on ne sait pas ou plutôt par la faute de quelque secrétaire qui a négligé nos permissions 4 n’ont pu partir et j’ai dû attendre.

Du 25 juillet au 30.

Rien à signaler.

30 juillet.

Départ en permission.

Je pars à la nuit de Ciry avec le train régimentaire. Je couche à ??? et le 31 juillet je vais toujours avec le ?.R et avec mes camarades permissionnaires à la gare de Vierzy où nous devons prendre le train.

Après plusieurs rassemblements successifs à divers endroits nous partons enfin de Vierzy à 10 h. du matin ??? dans des wagons à bestiaux dans lesquels la paille est écartée de la paille où les fleurs de chardons abondent et nous emplument.

Arrivée à Crépy en Valois à 11 h.

Là grand triage ; c’est de là que partent toutes les directions.

Nous restons dans la gare jusqu’à 3 h de l’après-midi.

Quelle affluence de soldats dans cette gare !

Départ à 3h1/2, arrivée à Juvisy à 10 h du soir. Là nouveau triage et encore nouvel arrêt jusqu’à 2 h du matin.

Enfin nous partons et nous arrivons à Moulins, gare de rassemblement le 1er août à midi. A cette gare on nous donne un billet individuel pour le retour avec l’heure où nous devons être rentrés.

Après cette gare nous voyageons individuellement il n’y a plus de détachement.

A 2 heures en route pour Clermont et j’arrive à 4h30 avec un orage épouvantable et où l’on m’attend avec impatience. Là je m’arrêterais de raconter ma permission.

Pour 8 jours je suis civil et j’ai retrouvé ma famille et je ne saurais décrire la joie et bonheur que j’ai éprouvés pendant mon séjour eu milieu des miens.

9 août

C’est avec tristesse et regret que je quitte ma famille ; il le faut pourtant, je pars courageusement, réconforter par ma visite au pays natal. Départ de Clermont à 3h40. Arrivée à Moulins à 6 h. Nous donnons nos permissions au commissaire militaire. Celui-ci nous apprend que le train de nuit qui emmenait ordinairement les permissionnaires est supprimé et que nous ne repartirons que le lendemain à 10 h.

Pilotés par des chasseurs ayant fait leur congé dans cette ville nous cherchons un hôtel où nous pouvons dîner et passer la nuit.

10 août

Départ de Moulins à 10h25.

Toute la journée nous restons dans le train et après bien des arrêts nous arrivons au Bourget le lendemain 11 août où se fait le grand triage pour chaque direction.

11 août

Nous restons au Bourget jusqu’à 2 h de l’après-midi, sous un soleil ardent, sans abri et sans pouvoir sortir.

Comme c’est long ! À ???? départ pour Noisy le Sec où se fait un nouveau triage et où l’on vise de nouveau les titres.

Nous arrivons bientôt (6 km) et nous restons là dans cette gare jusqu’à 1 h du matin. Que faire ? Pas moyen de sortir. Des plantons en armes à chaque sortie et la consigne est sévère.

Après avoir mangé le restant de nos provisions nous allons nous coucher dans un wagon en réparation pour attendre l’heure du départ. A 1 h pourtant rassemblement, on forme le train de Vierzy et on part à 2 h du matin.

Pas moins de 3 jours pour venir de Clermont !

12 août

Arrivée à Vierzy à 8 heures.

Un fourgon nous attend pour prendre nos paquets, quant à nous, nous montons sur une fourragère du 37 qui se rend aussi à ??? Nous y arrivons juste pour la soupe que nous mangeons avec nos camarades du T.R. Après la soupe, je vais un peu me reposer sur la paille. Nous devons rentrer le soir avec le ravitaillement de notre ???.

A la nuit nous prenons la voiture ; il pleut et il faut nous caser comme nous pouvons dans un fourgon déjà plein de fourrage ou de vivres. Arrivés à Nampteuil, à 4 km à peu près de notre point de départ, un cycliste apporte un ordre disant qu’il ne faut pas ravitailler ce soir, les batteries changent de position.

Quelle déveine ! Moi qui pensais pouvoir me reposer tranquillement la nuit dans le bon lit de Ciry.

Et maintenant que faire ? Nous prenons le parti de faire demi-tour aussi, nous nous rendrons aux batteries demain lorsqu’on ira les ravitailler. Nous couchons avec Pascal dans le logement de Forêt et nous attendons patiemment le jour.

13 août

Arriverons-nous aujourd’hui à rejoindre nos batteries. Nous partons avec une fourragère jusqu’à ?? où est venu l’échelon, et de-là, notre paquet sur le dos, nous prenons le chemin de Billy, que nous indiquent ceux qui ont amené les pièces la veille. Ce n’est pas si facile que ça, car nous prenons une traverse pour diminuer la route.

Nous demandons plusieurs fois à des civils qui travaillent dans les champs. Enfin nous voilà sur la route de Billy. Nous avons à peine fait 300 mètres que j’aperçois ?? et le Gros tous près, je les appelle et les rejoint.

C’est là que se trouve la batterie mais ils ne savent pas encore où sera le poste de secours, ici ou dans le pays en bas de la côte. Mes camarades sont venus là pour chercher un local à peu près potable. Je descends avec eux au village de Billy où nous déjeunons en arrivant avec les provisions que j’apporte.

Compliments, questions sur mon voyage, nous causons longuement. En descendant ??? a trouvé une maison et une carrière où nous pourrions faire notre poste. Le médecin averti, accepte.

Et le soir après avoir cassé la croûte de nouveau nous remontons à la carrière pour coucher. Le Gros reste lui en bas pour faire la cuisine des ordonnances et de quelques conducteurs.

Armand remplace maintenant un cycliste malade et reste également au pays. Nous voilà réduit à 3 ???   Toto et moi.

14 août

Sitôt levés, nous voyons arriver le capitaine.

Sa première parole est de nous dire qu’il ne veut pas nous voir là ; c’est la 3e fois qu’il change d’avis. Sommes nous donc bien embarrassants ? Il n’y a rien à expliquer.

Nous rangeons nos affaires et nous allons cette fois trouver une place dans les carrières où sont les pièces. Nous prenons un local assez loin de l’entrée, le seul qui reste d’ailleurs et puis il faut ??? cabanes pour les servants, les téléphonistes.

Cà a l’air d’être bien humide là-dedans. Les lits sont disposés comme des couchettes dans un bateau, des sacs tendus entre deux barres de bois forment toute la literie.

Moi, je couche en bas, Toto et ??? dans les 2 couchettes supérieures. Les pièces sont entièrement rentées dans la carrière il n’y a rien à craindre des marmites.

Et puis la batterie n’a jamais encore été repérée.

 15 août.

Les rats ont failli nous dévorer, des rats gros comme des lapins il nous faut prendre des dispositions pour arrêter cette invasion. Nous fermons complètement notre réduit avec des planches et bouchons toutes les issues possible.

Les pièces règlent leur tir sur Bucy-le-Long, le ??? Venizel, les tranchées, etc.

Le soir nous descendons au village où nous trouvons du lait, bravo, le chocolat du matin ne sera pas supprimé.

6 août

Nous nous habituons peu à peu à notre nouveau local. Nous nous occupons à aider nos camarades dans leur installation, travaux de propreté. Et il ne faut pas l’oublier car le capitaine a un faible pour nous demander à tout moment « Et les brancardiers par ci, les brancardiers là » nous sommes pour le moment les bons à tout faire.

17 août

De garde au poste d’observation pour la 1ere fois.

Encore une ??. Nous devons signaler là-bas les fusées blanches pour faire tirer, repérer les lueurs à l’aide d’une règle pivotante et dont le bout repose sur un cercle gravure. Nous prenons chacun 2h40 de faction, ce n’est pas trop pénible.

Du 17 au 24 août

Rien d’anormal à signaler. Tous les matins nous faisons la chasse aux rats pour boucher les galeries qu’ils ont creusées pendant la nuit. Nous sommes toujours occupés à bricoler avec les autres.

Nous faisons maintenant des barrières pour faire sauter les chevaux. Nous allons couper des arbres dans le bois et là nous  prenons le temps de respirer à l’ombre.

25 août.

Entres les batteries et les cuisines nos prédécesseurs avaient creusé une tranchée et la terre blanchâtre était tout le long. Un général qui passe nous dit qu’il faudra mettre de la terre noire sur celle-ci. De la terre noire ? Mais où la prendre ? Le capitaine nous fait planter alors des branchages pour imiter le champ de luzerne à côté ! Mais ce n’est pas fini là. Le commandant trouve que les feuillages ne sont pas assez épais. Une heure plus tard un colonel d’état major passant trouve lui que c’est trop régulier, trop symétrique. Qui croire ? et que faire ? Vraiment nous sommes trop au passage des grosses légumes, là, et chacun donne son mot.

26 août.

GARDIEN va à Epernay faire un stage de 3 jours pour étudier le moyen de combattre efficacement les gaz asphyxiants. Nous voilà tous les deux avec Toto aux batteries.

Quelle est notre surprise lorsque vers 3 h de l’après-midi nous voyons revenir mon GARDIEN avec tout ses bagages, suant à grosses gouttes et ne cachant pas sa mauvaise humeur contre le « Régiment ». Il avait été averti pour partir à 8 h du matin pour aller prendre l’auto à Noyant et à 8h ½ l’auto partait. Beaucoup de paperasserie et on avertit pour quoi que ce soit ½ heures à l’avance.

Son voyage et renvoyé dans 3 jours.

27 août

Rien à signaler.

28 août

Enfin on veut nous divertir.

Il y a aujourd’hui à Ploisy une séance récréative pour les poilus. 15 hommes par batterie peuvent y aller, une auto doit les prendre et les conduire là-bas. Un homme par pièce est désigné à la courte paille.

Pour nous, Toto doit y aller.

C’est à Ploisy qu’a lieu la représentation organisée par les brancardiers divisionnaires de la 63e. Notre ami revient enchanté de sa soirée.

29 août

Le soir à 9 h du soir un accident arrive à la 2e pièce. Pendant un tir «par quatre » le tireur se laisse prendre 2 doigts entre le frein et le manchon pendant le recul du canon.

On est obligé pour le dégager de ciseler la clavette du frein. Ses 2 doigts seront probablement perdus. Nous le soignons immédiatement et l’envoyons tout de suite à l’ambulance de Septmonts par un fourgon.

30 et 31 août

Rien à signaler. Nous améliorons chaque jour notre local : nous avons arrangé nos lits avec des planches comme un cercueil. Nous y sommes très bien là dedans et la preuve c’est que nous n’en pouvons sortir avant 7 ou 8 heures du matin.

On nous porte le jus au lit et bien souvent ces scènes du café sont comiques car elles se font à la brume ; notre lampe acétylène est éteinte le matin et il y a de quoi rire.

1e et 2 septembre

On s’attend ces 2 jours à une manifestation des Allemands à l’occasion de l’anniversaire de Sedan qu’ils ont toujours fêté depuis 1870. Aussi tous les servants doivent rester aux pièces constamment.

Il n’y a rien d’anormal et ces 2 jours se passent comme à l’ordinaire avec une simple canonnade de part et d’autre.

3 et 4 septembre

Rien à signaler.

5 septembre

Fête d’Aubière.

Depuis longtemps déjà nous avions convenu entre nous que nous fêterions cet anniversaire qui est aussi celui de notre première journée de danger et d’émotion en 1914.

Nos amis viennent du pays pour venir passer la soirée dans notre grotte en toute liberté : pour cela nous avions fait des provisions surtout en vin. (du vin à 30 sous le litre, excellent) et ??? justement nous avions reçu aujourd’hui, Toto et moi chacun un colis. Tout était pour le mieux. Nous commençons donc à casser la croûte avec de ce bon vin blanc, jambon, saucisson, puis dessert, gâteaux : en buvant maintenant du Champagne que nos camarades avaient porté du village.

Dame, ça suçait.

Si bien qu’à la fin j’en avais suffisamment ainsi que mes amis. ???? avait ralenti la consommation depuis le début et s’en trouvait bien, Arnaud commençait à faire des grands gestes accompagnés de rires grotesques, le plus malade était Toto, notre benjamin. Lui par exemple quand il a cru se lever, ses jambes se refusaient à tout effort pour sortir, il fermait la porte au lieu de l’ouvrir et était tout étonné de ne pouvoir passer.

Eh bé, Le Gros, lui, restait impassible comme au premier verre.

Enfin, à 11 heures du soir, nous nous sommes séparés en faisant des vœux pour qu’en 1916 la fête patronale d’Aubière soit encore plus gaie et que nous puissions la fêter dans le pays même.

6 et 7 Septembre

Rien à signaler

Pendant ces deux journées on ne tire pas un coup de canon. Ça fait tout drôle.

8 Septembre

La 1ère section de notre batterie va à la place de la 22ème qui, elle, va reprendre ses anciennes positions de Vasseny.

Du 7 au 14 Septembre

Des bruits d’attaquer de tous les côtés ; nous faisons des préparatifs sérieux pour le cas où il faudrait partir précipitamment. Sera-ce cette grande attaque générale que tout le monde attend ?

Malgré ces bruits, rien à signaler, nos pièces tirent très peu et les batteries ennemies font de même.

Il fait un beau temps splendide.

Les permissions sont réduites à 1 % et il faut attendre qu’une période soit rentrée pour faire partir la suivante. « Un indice de l’attaque » disent les poilus.

Nous passons notre temps à quelques travaux de charpente, barrières pour la piste, feuillées nouveau genre, etc… Les avions profitent du beau temps pour sortir de leurs hangars.

15 et 16 Septembre

Bombardement intense du côté de Nouvron et Quennevières.

De notre position on entend comme un roulement continu pendant ces deux jours et nuits. Est-ce une attaque ou une simple canonnade ? C’est ce que nous dira le communiqué de demain.

17 Septembre

Les fantassins creusent une tranchée au-dessus de nos carrières pour aller de Billy à Septmonts.

Vers 10 heures, les Allemands les ont vus sans doute car voilà leur 77 qui s’amène.

Et tout en tirant sur les fantassins, ils nous approchent de près pour la première fois. Un coup tombe à dix mètres de l’entrée de la carrière, un autre à proximité de la route. Le capitaine TISNE (?) qui venait à la batterie a failli être touché ! Il ne faut pas demander si les fantassins (musique et clairons du 93ème territorial) avaient de l’avance à rentrer dans les grottes. Pourquoi aussi fait-on travailler en plein jour et dans un endroit en vue autant de soldats à la fois ?

Du 18 au 22 Septembre

Le bombardement continue du côté de Nouvron et sur notre droite. Notre secteur et le voisin sont seuls silencieux. Nous recevons l’ordre de préparer nos sacs, de ne garder que ce qui est nécessaire.

Allons-nous marcher de l’avant ?

Tous, nous le souhaitons et l’espérons car nous en avons assez de cette immobilité et puis peut-être qu’une bonne avance avancerait quelque peu pour la fin de cette maudite guerre.

Les décisions vont bon train et tous les poilus en savent plus long les uns que les autres.

24 Septembre

Les évènements ont l’air de prendre une tournure définitive. Le Général Joffre fait paraître un ordre du jour où il invite tous les soldats à faire leur devoir après avoir exposé que, grâce à toutes nos organisations et au travail de nos camarades qui sont dans les ateliers et qui ont fabriqué un ouragan de mitraille, le moment était venu de culbuter les organisations de l’ennemi et de repousser l’ennemi hors de notre territoire.

A partir de midi, tous les travaux sont suspendus et chacun doit rester à son poste de combat, tout prêt à partir. Nous distribuons les lunettes et les tampons contre les gaz asphyxiants. Ces derniers sont imbibés d’huile de ricin et sont fermés dans une pochette que l’on doit porter à la ceinture pour s’en servir à l’occasion.

L’enthousiasme de tous les poilus est remarquable à la pensée de pouvoir aller de l’avant, tous sont contents de donner le grand coup.

25 Septembre

Rien à signaler, toujours ne calme. Il pleut toute la journée comme pour entraver les opérations que tout le monde attend. Nous faisons la photographie au bromure avec Gardien et Toto. C’est à crever de rire, surtout lorsqu’il faut rallumer la lampe. Pas moyen et le vieux de s’impatienter et de jurer. Surtout qu’en posant un châssis, il renverse l’assiette du révélateur. Les essais sont favorables pour 2 clichés, pour les autres, pas assez de pose.

Du 26 au 30 Septembre

L’attaque est réellement déclenchée.

En Champagne, nous repoussons l’ennemi sur la deuxième ligne de défense, sur un front de 25 km de long en lui prenant 121 canons et 22 prisonniers.

En Artois, les troupes anglaises avancent autour de Lens, prennent Loos, faisant 4000 prisonniers et capturant 23 canons. De notre côté, nous avançons vers Souchez et Vimy.

Ce sont de beaux débuts dans cette offensive.

Quelle gaieté lorsque nous apprenons ces bonnes nouvelles. Ah ! si ça pouvait être le bon coup de balai cette fois !

Malheureusement le temps n’est pas favorable aux opérations, il pleut tous les jours, le terrain est glissant, un vrai bourbier. Ici toujours calme, nos pièces ne tirent pas davantage que d’habitude ; nous nous tenons prêts à partir, c’est tout.

Du 1er au 10 Octobre

Notre secteur est tout à fait calme ; on ne doit pas consommer plus de deux explosifs par pièce. Nous travaillons ferme à notre installation pour l’hiver ; nous avons formé une grande salle où il y aura une cheminée, ce sera la salle de réunion pour les veillées.

Maître corbeau (le corbeau de la batterie) devient de plus en plus voleur.

Il dérobe tout ce qu’il voit et l’emporte aussitôt, quarts, couteaux, etc… Ces jours-ci, il a emporté le savon d’un maréchal des logis et pendant que celui-ci recherchait le savon, mon corbeau lui a emporté son blaireau.

En Champagne l’offensive continue sur la deuxième ligne allemande. Mais on ne pense plus à la poursuite. Les permissions sont rétablies ; il en partira deux tous les deux jours.

Du 10 au 20 Octobre

Puisque on ne parle plus de partir, il nous faut songer à notre installation pour la campagne d’hiver.

Et d’abord, nous allons essayer de tirer parti de la cheminée qui est à côté de notre logement et faire de telle sorte qu’elle soit dans la cagna. Au travail et un bon matin avec l’ami Toto nous nous mettons à démonter la cloison.

Hélas ! la cheminée nous apparaît dans un état pitoyable, sale dégoûtant, toute de pierres sèches qui,  à chaque poussée, semblent vouloir se séparer les unes des autres.

A ce moment, je l’avoue, j’étais  un peu découragé, d’autant plus que tous les poilus nous encourageaient d’une drôle de manière : « vous en avez pour six mois » disaient les uns ; « vous n’en finirez jamais » répondaient les autres. Et comble d’infortune, le mur qui nous séparait de la grotte était écrasé et nous avions la perspective de passer plusieurs mauvaises nuits dans notre hôtel tout délabré.

La première journée de travail, nous n’avions pas fait grand chose encore ; à peine avions nous nettoyé convenablement. La deuxième journée, nous commençons la maçonnerie. Nous avons de bons éléments à notre portée.

Dans la carrière nous trouvons dans un coin en exploitation de nombreux blocs de pierres. Il n’y a qu’à les scier de dimensions voulues et puis monter notre cheminée comme nous monterions un objet mécanique. Oui, mais cela se fait moins vite que je l’écris. Pourtant, les soirs, des camarades viennent nous aider à transporter les matériaux et nous veillons jusqu’à 11 heures au travail.

Un accident vient encore nous retarder et augmenter notre peine. Tout était presque fini ; il n’y avait plus qu’à poser quelques pierres, lorsque un morceau de pierre se détache du haut et tombe sur la corniche et nous la casse en deux. Malédiction, encore une journée de perdue ; ah ! Si c’était à recommencer.

De rage, nous retournons immédiatement dans la carrière scier une nouvelle corniche et pourtant il est 10 heures du soir.

Tant pis ! Et le lendemain nous recommençons à poser nos pierres les unes sur les autres. Enfin au bout de cinq jours la cheminée était terminée et nous attendions avec impatience le moment où nous pourrions y allumer du feu.

20 Octobre

Bravo ! ça marche à merveille, pas de fumée du tout. Nos efforts sont bien récompensés. Maintenant pour faire notre chocolat les matins, plus besoin d’aller courir aux cuisines.

Du 21 Octobre au 1er Novembre

Mais il y a autre chose à faire maintenant.

Il faut refermer la cagna de nouveau et remonter le mur.

C’est l’affaire de plusieurs jours et bientôt tout est transformé. Le plumard où couchait GARDIEN (qui est maintenant employé à la salle de service) prend beaucoup de place dans notre maison ; nous le démontons et maintenant nous sommes à l’aise.

La vie de quartier bat son plein dans les batteries ; il y a un programme détaillé de manœuvres d’artillerie, d’équitation ; le samedi il y aura revue. Et l’on commence le samedi 30 Octobre par une revue de détail.

Nous installons tout notre fourniment sur notre toile de tente à l’entrée de la carrière. Le lieutenant passe et sans trop s’arrêter demande à chaque homme ce qui lui manque.

1er Novembre

La Toussaint ! Comme si on voulait respecter le jour des Morts, on n’entend aucun coup de canon dans notre secteur ; le calme est complet.

Nous touchons le premier prêt à 80 Frs (?) avec le rappel à partir du 1er octobre. Et il était attendu ! Le soir aussi, dans la salle de réunion, il y avait beaucoup de bruit et de souland

Du 2 au 10 Novembre

Notre secteur est toujours calme. Comme travaux on travaille à la préparation de défense contre les gaz asphyxiants. Et voilà ce qu’il faut faire en cas de la venue de ces gaz. En premier lieu, il faut que chaque homme prévenu le plus vite possible et sans s’affoler prenne le tampon composé de trois compresses différentes que l’on place sur la bouche et le nez en le fixant au-dessus de la tête par les liens.

Le tampon placé, chaque homme prend une cagoule qui lui recouvre entièrement la tête. Puis un homme désigné à l’avance va mettre le feu aux fagots de bois qui sont échelonnés devant la batterie.

Dans chaque pièce, il doit y avoir deux rideaux en toile d’emballage distants de plusieurs mètres et qui masquent l’entrée de l’abri. On doit pulvériser entre ces deux rideaux avec une solution d’eau, d’hyposulfite de soude et de carbonate, ces deux drogues à raison de 6 kg de la première et de 2,5 kg de la deuxième par pulvérisateur.

Dans des tonques (?) également disposées en avant de la batterie, on fait brûler des tout petits fagots de bois imbibés d’essence. Cette semaine, nous avons préparé tous ces fagots grands et petits.

Dimanche 7

Il y a une grande représentation dans notre grotte.

Un chanteur comique vient nous amuser quelque peu.

La salle de spectacle est juste devant notre logement. La scène est devant notre porte. Nous avons au préalable décoré avec des guirlandes de lierre et de verdure. Il y a un piano tenu par le docteur.

Il y a beaucoup de poilus venus du village, de la première section de l’échelon, des autres batteries. A l’entracte on distribue au buffet de la brioche et du vin chaud.

Succès complet d’ailleurs. Les chansonnettes comiques surtout sont très applaudies.

La batterie tire toujours très peu et les jours nous paraissent bien courts. Il est nuit à 4 heures ; aussitôt après la soupe nous allumons notre feu et nous veillons tranquillement.

Du 10 au 15 Novembre

Rien à signaler.

16 Novembre

Encore une innovation ! Les hommes de garde la nuit au poste d’observation y seront aussi le jour ; Pour quoi faire ? Signaler quoi ? Il n’y a pourtant pas de lueurs ni de fusées .Et de quoi, des hommes peuvent-ils se rendre compte en observation ?

Je crois que la consigne de cette garde du jour est un peu obscure. Et si elle est vraiment utile pourquoi avoir attendu fin novembre (où la plupart du temps le temps est brumeux) pour la faire prendre. Encore du régiment ! Les poilus eux, préfèrent bien rester là-bas qu’à la batterie.

16 Novembre

On murmure que la 1ère section va venir reprendre sa place première dans les carrières.

17 Novembre

La 1ère section revient. Les hommes vont trouver leurs logements dans un mauvais état ; tout a été bouleversé pendant leur absence ; les planches de leurs cagnas arrachées, les lits emportés. Toute la journée un fourgon amène tout leur matériel, et il y en a ?

Du 18 Novembre au 1er Décembre

Rien à signaler, secteur toujours calme ; installation définitive de la 1ère section. On parle beaucoup de quitter nos positions pour aller faire des batteries attelées pendant une quinzaine de jours.

C’est plutôt embêtant surtout avec le mauvais temps, de la pluie tous les jours.2 Décembre.

Contre ordre pour le départ, et c’est avec grand plaisir que nous apprenons ce changement. Surtout qu’il fait un temps épouvantable. Nous avons installé l’ami VILLENEUVE venu avec la 1ère section avec nous et nous vivons réellement en famille.

Du 3 au 15 Décembre

Toujours la même vie calme et tranquille. Nous nous occupons par-ci, par là et en réalité nous ne faisons pas grand chose.

A la veillée nous faisons régulièrement notre manille.

Il fait toujours mauvais ; aussi nous ne sortons guère de nos carrières.

16 Décembre.

Notre tranquillité ne pouvait durer, hélas ! Mon ami Toto reçoit dans la matinée l’ordre de partir à Mesnin, remplacer (???) qui est relevé pour quelque bêtise. C’est avec peine que j’apprends cette nouvelle et lui aussi.

Nous voilà séparés après avoir passé 17 mois en étroite amitié.

DUBUISSON vient remplacer Toto et un autre va prendre la place de DUBUISSON. N’aurait-il pas été bien plus simple d’envoyer le nouveau directement à Mesmin et tout était dit.

Ah ! Non ! Mais on se plait à embêter le plus possible et pour une bagatelle on en fait une histoire. Mais enfin, il faut se résoudre, bon gré, mal gré. Et pour comble de malheur, mon autre compagnon Villeneuve part aussi à l’échelon. Mais avant de nous séparer, nous nous promettons de nous voir souvent et d’abord pour Noël.

Du 17 au 24 Décembre

Rien à signaler, si ce n’est un léger bombardement de Billy qui fait quelques dégâts matériels et qui provoque de notre part une bonne riposte sur Bucy-le-Long. Nous tirons également sur une colonne ennemie qui allait de Bucy à Vregny et le lendemain, le communiqué officiel annonçait « au nord de l’Aisne, sur la route de Bucy à Vregny, nos batteries ont dispersé une colonne ennemie ».

Nous avions tiré en tout 21 coups de canon.

C’était bien peu pour pareil résultat !… Les permissions sont portées de 5 à 10 %. Sans doute quelques réclamations, très motivées d’ailleurs, demandant pourquoi des officiers ou sous-officiers partaient pour la 2ème fois alors que des poilus n’avaient pas revu leur famille depuis 17 mois, ont amené cette mesure. Et dans notre batterie notamment, c’était le cas.

Des sous-officiers étaient déjà repartis et il y avait encore au moins 60 hommes partis au début de la guerre qui n’étaient pas encore retournés chez eux. Cette nouvelle a été accueillie avec joie, par exemple.

24 Décembre

C’est aujourd’hui la veille de Noël et le fameux réveillon et c’est de cela seulement que je veux rendre compte.

Dans la journée, les Boches envoient quelques obus sur Billy. Toto et Villeneuve viennent de Mesmin dans la soirée pour faire les préparatifs.

Dubuisson et moi, nous préparons la fameuse bûche de Noël réservée pour ce soir. Gardien, lui, vient plus tard,  à la nuit. Voici notre menu : huîtres, pâté, tripes à la mode de Caen, poulet, gâteau de Savoie, puis marrons et desserts avec Champagne. Nous avons passé une charmante veillée et tout en mangeant, blaguant, le temps ne nous dure pas.

Les amourettes de Toto font le sujet d’une grande conversation car, suivant l’expression de Gardien, il en fait des galipettes. La fête dure jusqu’à 2 heures du matin et chacun rentre chez soi, très content.

25 Décembre.

Noël ! Rien de particulier, si ce n’est une légère accalmie de coups de canon.

On semble de part et d’autre vouloir respecter ce jour. Nous avons repos complet ou plutôt repos commandé : l’ordinaire ne se ressent pas du tout de la fête : toujours le même rata.

Du 26 au 31 Décembre. Rien à signaler. Les hommes travaillent à renforcer les abris des pièces. Les permissions sont portées à 10 % et cela fait la joie des poilus. Chacun calcule quand doit venir son tour dans ces conditions et cela fait l’objet de toutes les conversations.

1er Janvier 1916

Encore une nouvelle année qui commence dans le sang et les souffrances.

Tous, dans nos souhaits de nouvel an, nous espérons que cette année 1916 nous procurera le bonheur de voir enfin la paix rétablie et tous nos braves soldats rendus à leurs familles. Ce sera le vœu de toute la nation.

2 et 3 Janvier.

Rien de particulier. Comme tous les jours, nous trimbalons les obus. C’est une misère. Combien de fois nous les changeons de place avant de les envoyer. On ne peut se le figurer.

Tous les caissons vont en réparation à tour de rôle.

4 Janvier

Je vais remplacer l’ami Toto qui part en permission. Cela me sortira un peu des carrières. Sacré Toto, il a déjà fait une connaissance à Mesmin, et je suis tout surpris de recevoir au milieu de la nuit la visite de cette jolie fille qui, pour dire au revoir à son ami, venait le trouver où il a l’habitude de coucher.

Je n’ai pas besoin de dire qu’elle aussi a été fort attrapée.

Du 5 au 17 Janvier

Séjour à Mesmin. Je jouis ici d’une tranquillité à peu près absolue. Presque rien à faire. Je vis avec les propriétaires de la maison où est l’infirmerie

Mon séjour est agrémenté par une petite diversion tout à fait drôle : j’ai dû assister le médecin pour un accouchement. Heureusement les circonstances m’ont servi, car le moutard est venu au monde pendant que je téléphonais au médecin.

Je n’ai pas besoin de dire que tous les poilus se plaisaient à me demander beaucoup d’explications à ce sujet où mon rôle s’était borné à « tenir la chandelle ».

18 Janvier

Arrivée de Toto et naturellement grand festin où toute la maison est invitée ainsi que « mademoiselle Thérèse » la bonne amie à Toto, sa mère et une compagne. Villeneuve est aussi de la partie.

On mange et boit bien, si bien qu’à la fin du repas les langues se délient. Les vieilles aussi ont de la gaîté au cœur et boivent à la santé de  « Laissac » en vidant leur verre à moitié de rhum et ricanant à leur aise. Je passe toute la journée avec mes amis et je couche encore à Mesmin remettant au lendemain mon retour à la batterie. Nous allons passer la soirée avec la « poule » et nous nous couchons fort tard. Faut-il encore que j’entraîne Toto pour le séparer de sa dulcinée.

19 Janvier

Je fais mes adieux à la famille et je pars pour la batterie où j’arrive pour la soupe. Toto vient m’accompagner à moitié chemin. Nous voyons en route un avion français qui a été obligé d’atterrir hier.

Du 20 au 24 Janvier

J’ai repris la vie normale des carrières mais déjà des bruits de départ circulent. C’est sûr, disent les uns on va faire des manœuvres. D’autres prétendent que nous allons prendre une autre position tout de suite.

Que croire de tout cela ? Mais il devient peu à peu évident que nous partons, nos remplaçants viennent déjà reconnaître les positions. C’est du 3ème; ils ont fait la bataille de Champagne et étaient au repos ou en manœuvres depuis un mois. Nous devons quitter les carrières dans la nuit du 25 au 26.

25 Janvier

Préparatifs du départ.

Nous ramassons toutes nos affaires, nous faisons les sacs et les mettons sur les galeries d’un caisson de l’échelon qui vient chercher les obus.

Enfin tout est prêt. Nous allons donc les quitter, ces carrières où nous avons passé presque 6 mois de la guerre dans les meilleures conditions possibles où nous avons trouvé bon gîte et sécurité absolue. Tous, nous partons à regret.

On s’attache vraiment trop à ces cagnas quand on y reste si longtemps.

A 4 heures, le colonel vient nous faire ses adieux et nous souhaiter bonne chance car nous retournons maintenant à la 63ème division. Après avoir mangé la soupe, nous partons à l’échelon retrouver notre 7ème pièce pour nous éviter une désillusion comme au départ de Vauxboin.

Nous voilà, le gros Martin, l’ordonnance du médecin et moi, en route pour Mesmin.

Il fait déjà nuit et une nuit noire. De temps à autre, il nous faut allumer notre lampe électrique pour distinguer notre chemin et ne pas nous jeter dans les ornières si profondes et pleines de boue du chemin d’Ecury.

Enfin, nous arrivons, mais le départ est fixé seulement à 1 heure du matin. Où passer notre temps jusque là ; je vais naturellement rendre visite à Toto et ses propriétaires. Nous allons aussi voir quelques amis avec le Gros. Pendant ce temps, Toto console de son mieux sa jolie Thérèse, toute attristée de son départ et qui a tenu à le voir jusqu’au bout.

Elle s’est couchée à l’infirmerie en attendant l’heure et mon Toto la garde et l’encourage assis sur le plumard. C’est très drôle.

26 Janvier

1 heure du matin.  Les voitures sont rangées sur la route attendant le signal du départ.

Il fait froid et les poilus sont obligés de taper des pieds pour se réchauffer. Nous partons, passons à Chacrise, Nampteuil. Arrivés à l’Epitaphe, nous attendons le passage de la batterie de tir qui vient directement de Billy par la route de Fère en Tardennois. Le froid est devenu plus vif sur le matin.

Nous grelottons sur les voitures mais il est défendu de descendre et de marcher à pied et à ceux qui sont surpris en bas du caisson, le commandant fait de sérieuses remontrances. Pourquoi les servants sont-ils contraints à se geler sur leurs voitures ? Enfin ! Nous passons à Fère à la pointe du jour.

La ville a l’air animée et bien approvisionnée. Déjà les boucheries sont ouvertes et ces beaux gigots étalés devant les devantures excitent l’appétit des poilus, qui, en ces jours de déménagement, doivent se contenter d’une boîte de singe ou de sardines. En route nous rencontrons tout un groupe des sections de munitions du 56ème Artillerie.

Que de voitures ! … Que de matériel ! Arrivés à l’embranchement de la route de Coulonges, le groupe se disloque. La 22ème batterie reste à Chamery, la 23ème dans une ferme voisine de Coulonges, la 21ème batterie doit cantonner à la ferme de Raddy où nous arrivons à 9 heures du matin.

Le parc est formé dans un grand camp devant l’entrée principale de la ferme. Les voitures sont très espacées pour échapper à la vue des avions ennemis. Les écuries sont dans les hangars de la ferme et nous couchons dans les greniers à grain, après les avoir nettoyés. Pas de paille. La batterie achète du vieux foin pour nous servir de litière ; la couche n’est pas très épaisse.

Messieurs les sous officiers qui étaient habitués à un bon lit trouvent le matelas un peu raide et il faut qu’ils aillent eux-mêmes chercher leur botte de foin, les hommes se sont servis sans penser aux logis.

27 Janvier

Depuis le matin il y a nettoyage du cantonnement. Les conducteurs enlèvent tout le fumier de la cour et l’amènent dans les champs ; les suivants nettoient avec soin les cantonnements.

Après avoir mangé la soupe, lavage du matériel ; il fallait s’y attendre et je suis même étonné qu’on ne l’ait fait hier en arrivant. Il n’y a pas d’eau tout près du parc ; il faut aller la chercher dans un bois voisin avec le tonneau de la batterie.

Quel travail et ça n’avance guère. Enfin, nous ménageons l’eau le plus possible et les parties cachées des caissons s’en ressentent surtout. Nous sommes revenus à cette 7ème pièce et nous vivons avec. Tout l’échelon fait la cuisine ensemble à la roulante et ce n’est pas mauvais. Armand et un autre cycliste ont 8 jours de prison pour être arrivés en retard au cantonnement. On les enferme dans une loge à porc : c’est là la prison.

Nous allons leur porter à manger à chaque repas et il y a des visiteurs pour voir cet appartement disciplinaire.

28 Janvier

Aujourd’hui, nous sommes à peu près tranquilles. Dans la soirée l’inévitable revue des hommes tenue en bleu et du casernement et c’est tout.

Cette tranquillité est de courte durée car à 6 heures du soir, on nous prévient que nous partons le lendemain. Alors, tout de suite, il faut faire les sacs, les porter sur les galeries, ranger toutes nos affaires, tous les divers objets de cuisine appartenant à la pièce. Une fois tout cela rangé, chacun se couche et particularité drôle, tout le monde a une soif terrible.

Et justement, rien à boire qu’un bidon de cidre qui était réservé pour le lendemain. Voilà notre père Gardien qui rentre vers les 10 heures chargé de gibecières, cartables, portefeuilles, toutes ses paperasseries. Il est tout essoufflé et avec un geste de lassitude : « Ah ! .. vaudrait autant être crevé qu’en vie !.. » dit-il.

Pour l’encourager tout le monde rit ; dame. Voilà que lui aussi a bien soif. Allons il faut se décider à vider le bidon, tant pis pour demain. Bientôt le silence est complet, tout dort.

29 Janvier

Départ à 6 heures ½ .

Depuis 6 heures, branle bas général. Les conducteurs attèlent, nous, les servants, nous ramassons ce qui traîne et faisons les derniers préparatifs. A l’heure convenue, nous partons, nous repassons à Chamery et trouvons les autres batteries sur la route de Fère.

Le 36 et le 52 sont aussi rassemblés sur la même route.

Tout le régiment forme la même colonne. Nous allons direction de Reims, puis avant d’arriver à Tramery, nous prenons la route de Châtillon–sur-Marne. C’est dans ces parages que nous allons, paraît-il.

Nous traversons Châtillon, petite ville superbe d’où l’on a une vue magnifique sur la vallée de la Marne. Là nous rentrons dans le vignoble champenois. Enfin, nous arrivons à ( ???) à 3 km de Châtillon à 10 heures.

C’est là que nous allons cantonner.

Le parc de la 21e est formé tout à fait à côté de la rivière ; les chevaux de l'échelon sont attachés à côté des voitures. Il fait un beau temps superbe. Le paysage est magnifique. Des deux côtés de la Marne, les coteaux couverts de vigne. Ici, on renaît à la vie ; on voit des trains; les péniches naviguent toute la journée, traînées par des remorqueurs, ou tout simplement par des chevaux, lorsqu'elles redescendent le courant. Nous mangeons quelques conserves, puis à la recherche du cantonnement. La 7e pièce est logée tout proche du parc.

Puis nous allons visiter un peu le patelin et goûter le vin du pays. Ah, le vin est bon, nous le payons 1 (??) mais il le vaut.

Et déjà, pour notre première journée de séjour, il y a beaucoup de poilus qui ont mal aux cheveux.

30 Janvier

Nettoyage du matériel.

C'est commode ici, l'eau est à côté. Aussi avons-nous vite fait de laver nos trois caissons de la pièce.

Nous mangeons à côté de nos voitures ; la cuisine roulante est sur les lieux. L'après-midi, nous faisons des feuillées pendant que les servants des pièces font la manœuvre des pièces comme dans la cour du quartier.

Du 31 Janvier au 3 Février

Séjour à Reuil.

Nous sommes à peu près tranquilles maintenant. Tous les matins, petite promenade sur les bords de la Marne avec nos caissons.

Nous allons jusqu'à 6 km. de Reuil. Nous passons dans des contrées entièrement vignobles. Et les vignes sont ma foi, parfaitement tenues malgré le manque de main d'œuvre. Les paysans y travaillent avec ardeur à déchalasser, quelques uns commencent déjà à tailler.

Nous rentrons au cantonnement vers les 10 heures, pour manger la soupe. Le soir, nous ne faisons pas grand-chose.

Nettoyage du cantonnement et distribution. Après la soupe du soir, les bistros sont bondés ; le vin est bon, et on en profite. Les permissionnaires partent en grand nombre : 10 %. Allons ! Je commence à compter à quand je pourrai y retourner pour la deuxième fois. Notre départ est fixé pour le 4 au matin.

Reuil restera un bon souvenir pour nous.

4 Février

A 6 heures du matin, tout est prêt pour le départ ; il pleut, et notre voyage ne s'annonce guère bien.

Nous partons, revenons sur la route de Châtillon puis tournons à droite. Le temps s'est mis au beau, tant mieux. Nous traversons plusieurs patelins. Un surtout attire notre attention : c'est Jonquery.

Plus un toit aux maisons ; les murs crevés, calcinés, tout est dans un état lamentable, et cela fait pitié de voir un pauvre pays, florissant avant la guerre, et maintenant dans un tel état. Les Allemands ont passé par là.

Nous arrivons ensuite à Ville-en-Tardenois, et déjà nous devinons le camp d'instruction. De tous les côtés d'immenses baraquements pour loger nos fantassins. C'est là que vient cantonner le 292e.

Nous allons plus loin. Passons à Sacy.

La nous croisons tout un groupe du 56e d’Art., qui est, entre parenthèses, bien en mauvais état : les chevaux maigres, la plupart tondus après maladie de la peau, les hommes traînés, le matériel très sale.

Ils viennent eux de faire ces manœuvres où nous, nous allons.

Traversons Poilly, et enfin nous arrivons à Bouleuse, où nous sommes cantonnés avec la 23e batterie. La 22 est isolée dans un château. Le parc est formé dans la cour d'une ferme. Nous mangeons des sardines que l'on nous distribue, puis nous allons à la recherche de notre cantonnement.

Nous logeons la 7e pièce dans une espèce de grenier, très bien comme abri, mais sale, il nous faut toute notre soirée pour le mettre en état d'y habiter. Le soir après la soupe, nous allons faire un tour dans le patelin. Le plus important, c'est la gare sur le chemin de fer économique de Reims à Dormans, c'est un centre de ravitaillement pour tous les régiments qui sont cantonnés autour. Il y a en face de la gare un « familistère », et café, c'est la réunion de tous les...artilleurs après la soupe du soir jusqu’à 7 h ½.

5 février

Le matin, préparatifs de départ pour un autre cantonnement. Mais il n’y a rien d’officiel.

Il faut ranger les sacs et tenir tout prêt. Enfin, à 11 h, on apprend que c’est seulement la 23e qui change. Et nous sommes contents, car ici nous sommes à peu près bien logés.

A 11 h ½, départ pour la manœuvre. Le champ d’évolution est à 4 km environ de Bouleuse sur le plateau qui s’élève au dessus de Poilly. Il fait beau, la promenade est agréable. Par contre, la manœuvre n’est pas intéressante. Arrivés là haut dans le champ, la batterie se disloque, et chaque pièce manœuvre à sa guise. Et nous voici, à faire des tours, des demi-tours, pièce doublée, que sais-je. Les servants restent tranquillement montés sur les coffres. Il y a des repos fréquents et prolongés.

A 3 h ½ on regagne Bouleuse. Nous passons devant le baraquement où est cantonné le 321 RI. Aussitôt arrivés, soupe et sortie.

6-7-8 février

Manœuvre tous les jours à 11 h ½. Le matin nous enlevons la boue des caissons et de nos effets. La manœuvre est toujours à peu près pareille, surtout pour l’échelon, qui fait lui, comme un manège de chevaux de bois : le tour du champ un grand nombre de fois. La batterie de tir fait les …??? les batteries attelées, mise en batterie etc.

9 février

Repos.

Le matin, lavage des caissons. Nous avons les trois caissons de la 7e pièce pour notre part, à trois.

Et par-dessus le marché, il fait un temps épouvantable, des giboulées ; il ne fait pas bon manier la brosse et l’éponge ! Nous avons fini juste à l’heure de la soupe.

Le soir par exemple, repos complet.

10 février

Aujourd’hui manœuvre du groupe. Les trois batteries font des mises en batterie combinées. L’échelon ne marche pas, et nous allons, nous, compléter les pièces de tir. Il fait froid, et le terrain est mauvais. Nous allons dans la boue jusqu’à la cheville.

Ah, nous serions mieux à proximité de la ligne de feu et en position. Nous rentrons comme d’habitude à Bouleuse, transis de froid.

11 février

Il pleut depuis le matin ; la manœuvre s’annonce mauvaise.

A 11 h ½ départ comme d’ordinaire, sous une pluie battante qui nous cingle la figure.

Les conducteurs de l’échelon attellent aujourd’hui les pièces de tir, pour changer.

Arrivés sur le plateau, la manœuvre est décommandée. Dame, tous les poilus sont contents, car il fait, ma foi, bien mauvais et froid. Un quart d’heure de repos et nous regagnons Bouleuse. Pour nous réchauffer on nous paye un quart de jus. Il pleut toute la soirée.

Quel vilain temps !

12 février

Manœuvre comme tous les jours.

Les officiers sont chez le colonel à faire la manœuvre de cadres sur la carte.

Le Lieutenant Boitier ?? nous commande.

Et aujourd’hui, les chevaux ne se fatiguent pas trop. Arrivés sur le champ, nous nous abritons dans un petit bois et nous restons là jusqu’à l’heure du retour. De temps en temps, les conducteurs font faire un petit tour aux chevaux pour les réchauffer.

Les servants, nous allumons du feu dans un trou et nous faisons la causette autour. D’ailleurs, on n’en sortirait pas, de ce terrain boueux.

13 février

8 heures du matin. ??? vient m’apprendre tout d’un coup que je pars en permission demain à sa place, lui ne voulant pas partir sans avoir trouvé un successeur auprès du commandant, ce dernier ne devant rentrer que le soir très tard. Inutile de dire avec quelle joie j’apprends cette bonne nouvelle.

Revoir toute ma famille !

Je fais mes paquets le matin, car à 11 h ½, il y a encore manœuvre comme d’habitude.

Cette manœuvre est aussi simple que celle d’hier et nous rentrons de bonne heure, car il fait mauvais. Le soir nous allons au bistrot et nous buvons pour fêter mon départ, chacun notre bouteille de champagne.

Ce qui nous délie sérieusement la langue. La nuit je ne dors pas beaucoup, tout à l’idée que je vais chez nous revoir tous ceux que j’aime.

14 février.

Je suis debout de bonne heure.

Nous devons prendre le train à 6 h1/2 en gare même de Bouleuse ; c’est un avantage ; pas besoin de faire une dizaine de kms à pied. Le train part à l’heure exacte. En route nous traversons tout le champ de manœuvre où se déroule la dernière grande manœuvre.

Nos poilus sont partis depuis 5 h du matin, toutes les pièces au complet pour y prendre part. Après avoir passé la gare de Ville en Tardenois, on aperçoit dans les champs nos pauvres fantassins déployés en éventail pataugeant dans la boue.

Il fait par-dessus le marché un temps épouvantable, et de la pluie.

Sur la route qui porte la voie ferrée toutes les batteries attendent leur tour de rentrer en action. Il y en a des canons de tous les calibres, du 75 au 155 traîné par des tracteurs. Nous regardons par derrière les vitres du wagon heureux de nous tirer de cette manœuvre. Nous arrivons à Dormans à 9h.

Là il faut changer de train et prendre la grande ligne de Chalons à Paris. Pour attendre, nous nous réfugions dans des baraquements spéciaux installés pour les permissionnaires. Enfin notre train arrive et en route. Dieu que de soldats ; nous sommes tassés à ne pas pouvoir bouger et debout.

Les watters-closets eux-mêmes ont trois ou quatre occupants.

Heureusement le train file à bonne allure et puis que ne supporterait on pas pour aller chez soi.

 

Arrivée à Paris, gare Est à 2 h. Notre perm. tamponnée nous sommes libres jusqu’à 4 heures du départ. Nous faisons la ??? à Corbeil, arrêt de 8 h à 10h1/2.

Pendant ce temps nous allons casser une croûte à l’hôtel voisin de la gare. Arrivée à Clermont à 7h1/2 du matin le 15 février. Le voyage s’est fait assez rapidement. Il fait mauvais, des fortes giboulées.

Mes parents m’attendent à la gare.

Du 11 au 23. Permission ! …

23.

Départ de Clermont à 10h35 du soir par l’express de nuit. Arrivée à Paris à 6 h du matin.

24.

Nous allons déposer nos paquets dans un restaurant puis la gare de l’Est. Un tour dans Paris jusqu’à 11 h.

Déjeuner dans le bistro. Et à 2 h départ de la gare de l’Est pour le front. Nous devinons beaucoup de mouvement de troupes.

En gare de Noisy de nombreux trains de soldats attendent leur tour de partir. Arrivée à ???  à 8 h du soir. Nous nous rendons jusqu’à Prouilly où doit être le train régimentaire.

Hélas ! impossible de le trouver ce T.R et notre course dans les rues de Prouilly n’est guère agréable avec tous nos paquets. Nous trouvons enfin le lieutenant.

Le personnel du T.R est cantonné en plein bois et à 2 kms.

Que faire ?

Nous prenons alors le parti de coucher dans une espèce de cabane souterraine que nous avions déjà repérée en venant sur la route et dans laquelle il y a de la paille. Nous nous entassons là dedans tant bien que mal.

Toujours est il que nous dormons profondément jusqu’au matin où nous sentons le froid nous saisir. Il neige au dehors. Nous cassons la croûte, puis nous allons retrouver le lieutenant du T.R pour qu’il nous donne les renseignements nécessaires pour retrouver les batteries.

25 février

Nous partons à 8 h. Il fait tout à fait mauvais, la neige tombe davantage. Nous nous rendons d’abord à ??? où est l’échelon.

Là je laisse mes camarades de voyage et je vais avec mes amis de l’échelon Villeneuve et Arnaud. Ce dernier m’apprend qu’il est relevé de brancardier par suite d’une punition de 8 jours de prison.

Je profite d’une voiture qui va à la batterie ce soir pour me rendre à mon poste où est déjà l’ami Toto. Il fait froid, noir, la route est mauvaise. On passe à Hermonville puis par des chemins ??? on arrive enfin.

Je trouve tout de suite mon Toto qui après les compliments d’usage m’amène par un tas de petits sentiers au travers d’un bois dans la cagna qu’il habite.

Mais est-ce un poste de secours. Non, le poste est occupé par une pièce et nous, nous serons logés dans une pièce de tir en attendant qu’un abri soit fait. Mais enfin, pour ce soir il me tarde de me coucher et nous remettons à demain toutes ces explications. Je reste à la 2e pièce, Toto à la 4e.

26 février

Dès le matin visite de la batterie.

En général il y a de mauvais abris et puis c’est bien triste dans ce bois. Une espèce de route passe devant les pièces et lorsqu’elles tirent, il ne faut pas oublier d’aller baisser la barrière pour empêcher de passer.

Tout ce qu’il y a de bien ce sont ces petits sentiers en clayonnage qui relient chaque pièce aux abris des hommes, aux cuisines qui sont un peu en arrière dans le bois. Le poste de secours présente quelque sécurité il est à peu près bien fait.

Pour l’eau, il y a puisant tout proche. La batterie ne semble pas trop bombardée il n’y a pas trop de trous d’obus. La 22e batterie est à 300 ou 400 mètres de là au dessus d’Hermonville en pleine vigne ; la 23e est tout à côté de la tuilerie en arrière de nous.

Du 27 au 29 février

Peu à peu je m’installe dans ce nouveau gîte Les poilus ont déjà commencé l’abri de la 3e pièce.

Nous les aidons à creuser leur trou 4m5 de long, 3 de large et 2.5 de profondeur pendant que les autres préparent les bois de charpente. Les pièces tirent très peu ; chaque jour pourtant la 3e pièce prend la hausse du jour pour s’assurer de la distance qu’il faut prendre en raison du vent ou de la température.

Je mange avec les téléphonistes.

Du 1er au 10 mars

Rien de particulier. La batterie fait quelques tirs de concentration ce qui nous vaut de recevoir quelques 77 et quelques 150 trop près de la batterie. Allons je crois qu’ils savent très bien où elle se trouve et que toutes les précautions que l’on prend pour se cacher de la vue des avions seront inutiles. D’ailleurs un coin du bois un peu à gauche de la batterie est tout abîmé ; ce n’est pas la 1ere fois qu’ils envoient de leurs 150.

Les travaux continuent. Déjà l’abri des hommes de la 3e pièce est recouvert et il sera solide. D’abord sur les madriers 60 c. de terre 1 rangée de rondins, 1 mètre de terre, une seconde rangée de rondins et encore 1 mètre de terre.

Deux ouvertures une qui donne vers la pièce, l’autre dans une tranchée qui conduira à l’abri des munitions. Toto et moi nous posons des fils de fer de chaque côté des sentiers pour pouvoir les suivre la nuit sans avoir besoin de lumière.

11 mars

Attaque des Allemands sur Ville aux Bois et le bois des Buttes sur notre gauche.

Depuis 5 h du matin nous écoutons le bombardement qu’ils font de ce côté. La batterie est alertée. Il y a de la neige, le temps n’est pas beau. La canonnade dure une partie de la journée. Les pièces tirent beaucoup dans l’après midi et nous recevons aussi quelques coups. Le soir à la nuit les batteries ennemies manifestent quelques activités sur les tranchées du ??? dont la batterie bat le secteur. Les fantassins allemands essayent même de sortir de leurs tranchées. Alors les batteries du groupe déclenchent un tir de barrage en vitesse.

En 3 ou 4 minutes les batteries exécutent 2 tirs de barrage ce qui fait une quarantaine de coups par pièce. Cà fait beau, on dirait que le bois tout entier est en flammes.

Mais cela suffit à calmer ces messieurs et la nuit est tout à fait calme.

12 mars

Nous apprenons le résultat de l’attaque de hier ; les Allemands ont réussi à prendre de bois des Buttes. Tout est fini, le secteur reprend toute sa tranquillité.

Du 12 au 20 mars

Il fait un temps magnifique ; un beau soleil de printemps. Tous les jours les avions de chaque côté font des reconnaissances et nous suivons avec intérêt toutes les péripéties des tirs que leur fait l’artillerie spéciale.

Nous suivons avec intérêt la bataille de Verdun d’après les journaux.

Cette bataille à déjà donné des leçons : il faut maintenant établir autour de chaque batterie un réseau de fils de fer  barbelés ; il faut avoir une provision suffisante de cartouches de mousquetons et de grenades à main. Il faut aussi faire à chaque batterie un abri souterrain dit de bombardement à une profondeur de 8 mètres au dessous du sol.

Ce travail est confié à la batterie à 2 mineurs de profession. Ils vont descendre en galerie à une pente de 45° jusqu’à 8 m, puis là ils creuseront une chambre et ressortiront de l’autre côté de sorte qu’il y ait une entrée de l’abri devant chaque pièces. Il y aura 2 abris pareils un par section.

Mais combien de temps demande ce travail.

Du 20 au 30 mars

Nous nous installons dans notre poste de secours. Il faut d’abord le creuser d’environ 40 centimètres car Toto est obligé d’y rester assis ou à genoux.

Nous arrangeons également les plumards et mettons des rayons, nous complétons le mobilier.

Tous les soirs nous allumons le poêle et il marche. Les poilus activent les abris, la 2e pièce est maintenant logée comme la 3e et on fait des abris à munitions entre les pièces.

Du 1er avril au 10

Rien de particulier.

Des fantassins viennent nous aider pour avancer les travaux.

Nous travaillons au poste téléphonique sans trop user nos forces.

Le 10 nous subissons un bombardement tout à fait sérieux. Jusqu’à présent on avait reçu seulement des 77 – 88 et quelques 150. Mais aujourd’hui la 3e pièce tirait depuis un bon moment sur les tranchées quand voilà un obus qui arrive vers les cuisines.

C’en est assez pour nous avertir et aussitôt tous les poilus gagnent leurs abris.

Nous nous apprêtons à rentrer nous aussi dans notre cagna. En voilà un autre ! Mais cette fois nous entendons l’éclatement aussitôt avec une secousse et en même temps deux ou trois sapins qui dégringolent sur notre habitation et en barrent l’entrée. Ce n’est plus le moment de rester là. L’obus est tombé à 3 mètres en arrière de notre cagna et ce sont les éclats qui ont coupé tout ce feuillage.

Sur l’ordre du lieutenant nous allons rejoindre nos camarades dans le meilleur abri. Le bombardement continue plus accéléré et ma foi bien juste. L’abri du caisson de la 1e pièce est crevé ; heureusement il n’y avait personne, les obus sont complètement abîmés et hors d’usage. Plusieurs coups tombent dans les fils de fer barbelés que nous avons posés devant la batterie. Ah ! nous pouvons recommencer maintenant, tout est coupé, ???? .

Et le bois il est joli, ils ont de l’avance eux autres à couper les arbres. Des 5 gros sapins qui couvraient la 1ere pièce il n’en reste plus un seul ; mais le feuillage ne manque par pour recouvrir les travaux.

La 2e pièce répond. Chaque obus qui arrive, la pièce en envoie 4 mais il y a de l’entêtement des 2 côtés et cela dure jusqu’à la nuit.

Du 11 au 15 avril

Nous ramassons tout les débris de bois faits par le bombardement et nous en faisons des fagots pour mettre sur notre abri, je crois que c’est utile car il est bien placé dans la zone de tir, il est bien entouré par les coups. Un 77 tombe quasi à l’entrée à 2 mètres à peine de Toto lui causant seulement une bonne peur … il s’en tire à bon compte. On fait maintenant un chemin derrière les pièces pour pouvoir passer avec les voitures, ce sera plus facile pour ravitailler. Et puis en même temps cela fait de la terre pour mettre sur les abris et il en faut.

16 avril

Encore un bombardement de 150 ; mais moins violent aujourd’hui. Un coup tombe sur un abri à munitions qui vient d’être terminé. Et il a résisté sans être ébranlé. Le plus ennuyeux est pour le pauvre poilu qui avait passé 2 jours à le recouvrir de mottes de gazon. Il pourra recommencer car les mottes ont disparu.

La batterie reçoit 400 obus asphyxiants pour prendre part à une attaque sur la Ville aux Bois.

Du 17 au 24 avril

Réparation de l’attaque ; réglage de tirs sur les batteries par saucisse. On camoufle le chemin derrière les pièces avec de la mousse.

Le jour de Pâques le capitaine veut absolument nous faire travailler. Il invente de tendre des fils de fer avec des grillages au dessus de ce chemin.

Les poilus sont pourtant décidés à chômer et après avoir tendu un seul fil en sa présence, le travail est arrêté. L’attaque est renvoyée tous les jours à cause du mauvais temps. Pourtant le 24 le temps se remet au beau et l’attaque est décidée. La batterie est alertée à partir du 10 h du soir.

25 avril

Debout à 4 h. On transporte les fameux obus à côté des 2e et 3e pièce qui seules doivent les tirer pour que les hommes soient abrités en cas de représailles auxquelles on s’attend.

A 8h le tir est déclenché ; chaque pièce tire 80 coups en 10 minutes et à 3 reprises.

Ca chauffe, la peinture des canons coule laissant une odeur gênante ?? au goût de la poudre. Sur notre gauche notre artillerie bombarde avec violence. Notre secteur reste calme et les Allemands ne répondent même pas à notre tir. Nous apprenons dans la soirée que l’attaque a bien réussi.

Du 26 avril au 8 mai

Rien de particulier, les travaux continuent les 1ere et 3e pièces travaillent à leurs abris en même temps , le poste téléphonique est terminé ; nous aidons un peu les uns et les autres pour passer le temps.

9 mai

il est décidé ce soir que l’on doit prendre un petit poste ennemi. Réglage dans la journée sur les différents points où il faudra tirer, réseaux de fils de fer, tranchées et un 2è poste pour attirer l’attention.

Nous recevons quelques 77 sur la batterie, un coup tombe sur l’abri à munition de droite, un autre sur celui de gauche sans causer de dégâts.

A 11 h du soir, la canonnade se (??) d’abord une salve de 10 coups par pièce puis 3 coups par p. à la minute jusqu’à la fin de l’opération. A 11 h ½ tout est fini et nous pouvons reprendre notre sommeil interrompu.

10 mai

Nous apprenons de bonne heure les résultats de l’opération d’hier au soir. Le petit poste a été pris, nos fantassins ont fait 3 (?) prisonniers dont 1 a été tué. Tout a bien marché et le capitaine reçoit les félicitations pour la batterie. Et pour nous marquer sa satisfaction, il nous paye aujourd’hui du champagne 1 bouteille par pièce. Tout à fait calme aujourd’hui. Travaux habituels. 

Du 11 au 14 mai

rien de particulier. Une note pourtant attire l’attention des poilus : « il est formellement interdit d’éplucher les pommes de terre ce qui cause une perte de 33 %  Il faut seulement la gratter ».

Gratter des vieilles patates ! Certainement le rédacteur de la note s’est basé sur un cuisinier qui lui gratte probablement les nouvelles. Mais pourquoi ne pas manger également les épluchures, l’économie serait encore plus grande ! Notre capitaine est cité à l’ordre de la division pour toute sa compagnie depuis la Marne et aussi pour avoir dirigé des tranchées le tir de la batterie pour prendre le petit poste d’il y a quelques jours.

15 mai

3 h du soir, tous les poilus sont au travail, nous nous travaillons à la réfection de notre poste, nous mettons par derrière une rangée de rondins.

Un « Cessez les travaux » retentit. Qu’y a-t-il ?

On part !

Zut maintenant que tous les abris étaient à peu près terminés, ce n’est pas intéressant et c’est toujours la même chose. Au moment où on pourrait jouir d’un peu de tranquillité, voilà ! Nous allons ailleurs refaire d’autres travaux !

Et oui allons-nous ?

Dame, les décisions vont bon train ! A Verdun disent les uns ; à Soissons, à Nouvron, que sais-je, chacun dit son secteur. La vérité est que personne n’en sait rien. Toujours est-il que les permissions sont suspendues et les poilus qui devaient partir demain en font un nez. Il y a de quoi car on ne sait guère à quand elles reprendront.

16 mai

Première nouvelle du jour : les permissions sont rétablies et les hommes partent aujourd’hui comme si rien n’était. Les bruits divers courent toujours : maintenant on va à Châtillon pour un repos et toucher des canons neufs. Que faut-il en croire de tous ces propos ? On se prépare toujours à partir.

17 mai

Préparatifs de départ, on ne sait encore rien au juste sur le jour. Nos successeurs viennent reconnaître les positions et se montrent satisfaits de trouver de bons abris. Nous allons sûrement à Châtillon. On nous a lu une note le mentionnant et en même temps qu’il faudra y balayer ferme.

18 mai

Chargement des voitures. Départ de la 1ère section.

Un accident à la batterie : un poilu tire par mégarde une cartouche dans un fusil gras et atteint un camarade à la jambe. Ce blessé est évacué et l’affaire en reste là ; silence sur la blessure qui est portée sur le compte d’une balle de sphranel (?).

Nous l’amenons à Hermonville avec une des petites voiturettes spéciales.

19 mai

Il ne reste plus que la 4ème section qui part ce soir. Je vais rejoindre l’échelon à Luthernay. Départ à 10 h ½

Pour notre dernière journée à la batterie, nous avons reçu quelques ? Peut-être est-ce jour de fêtes… l’arrivée de nos remplaçants 9è du 35. Le temps est superbe, nous partons à l’échelon rejoindre notre 7è pièce.

Après la soupe du soir, nos voitures sont chargées, toutes prêtes.

Départ de Luthernay à minuit.

Nous rejoignons la batterie à Hermonville. Et en route pour Châtillon ; nous passons à Trigny, Gueux. Dans ce dernier patelin, nous trouvons une rangée d’autos qui font le ravitaillement.

Quel mouvement : la poussière nous gêne sérieusement pour la route. Nous passons Tramery, puis au jour, nous rentrons dans le vignoble. Bientôt, nous apercevons Châtillon perché en haut de sa colline mais encore loin, bien loin. Nous y arrivons à 8 h du matin, il fait une chaleur d’été ; tous les poilus souffrent de la soif et nous envahissons un restaurant où on vend de la bière dans le pays. Pour ma part, je suis las ; étant seul sur mon caisson, il m’a fallu régler le frein en route et je suis fatigué de descendre et remonter à tout moment. Le coup d’œil est magnifique sur la vallée de la Marne.

Nous allons reconnaître le cantonnement après avoir formé le parc et là nous nous reposons jusqu’à 3 h du soir et j’ai dormi profondément.

Après 3 h, nous allons nettoyer le matériel et enlever la poussière. A peine avons-nous commencé que nous apprenons que les permissions sont supprimées et qu’il faut nous tenir prêts à partir embarquer à tout instant.

Les travaux de nettoyage sont donc terminés. Nous allons chercher nos sacs dans le cantonnement et les posons sur les galeries ne gardant que nos couvertures seulement pour passer la nuit.

Si encore on pouvait dormir tranquille pour nous reposer un peu. Un tour en ville et à 8 h sur la paille et on n’entend plus que les ron-ron de ronfleurs.

 

21 mai

 

Départ à 5h du matin. Nous passons à Reuil, que nous connaissons, Venteuil.

La région est magnifique. Arrivée à Domey, nous nous arrêtons sur la route entre le pays et la gare et là il faut attendre les ordres

 Les chevaux sont dételés et attachés entre les caissons. Nous mangeons la soupe sur les lieux. Le 32ème défile sur la route.

Les pauvres vieux sont bien fatigués. Nous restons toute la journée en attente. Le 292e est cantonné dans le pays et je vois mes amis de ce régiment. Après une petite sortie en ville où nous faisons grande consommation de vins de la région, nous rejoignons nos caissons pour passer la nuit.

Notre toile de tente écartée sur le bord de la route nous sert de matelas, un peu dur et nous couchons là avec Toto.

Il ne fait pas froid heureusement mais on ne dort guère sur la terre et dés 3h du matin, tout le monde est debout.

 

22 mai

 

Départ du bivouac à 10h pour Epernay où nous devons embarquer.

La route se fait dans de bonnes conditions et nous arrivons à Epernay à 11h 30. Région magnifique. Ville gentille. Nous rentrons dans la gare et tout de suite nous commençons à embarquer. Les servants s’occupent des caissons, les conducteurs des chevaux.

Ca marche très vite, dans 1 heure l’embarquement est terminé. Maintenant la batterie se ravitaille en vivres de réserve, car nous repartons qu’à 3h du soir. Les hommes sont dans les wagons de 3ème classe. Avant de partir nous apprenons que nous débarquerons à St Menehoult.

Plus de doute, nous allons à Verdun cette fois. Pour moi, je l’avais toujours pensé car il n’y a pas de raison pour que notre division n’y aille pas passer une petite période. Nous longeons tout le front de Champagne, gares : St Hilaire, Somme-Suippes.

De chaque côté de la ligne de nombreux baraquements qui logent sections et munitions. Beaucoup de cimetières militaires sur ce front de champagne et nous apercevons de longues rangées de croix blanches. Arrivée à St Menehoult à 10h du soir et tout de suite au débarquement qui se fait rapidement. On sent que l’on approche de la fournaise.

De tous côtés les lueurs apparaissent apparemment nombreuses. A minuit tout est prêt pour partir car il y a encore une étape de 13km pour arriver au cantonnement. Nous passons dans la ville et après plusieurs tours nous voilà sur la route.

Où allons nous ?

Nous cherchons à nous orienter et nous remarquons que nous marchons au sud. Arrivée à 2h du matin au cantonnement à Antes . Le parc est formé à la lisière d’un bois. A la hâte on dételle les chevaux et les attache sous bois. Et nous allons nous coucher dans une grande grange qui sert de cantonnement à toute la batterie. Toto, Arnaud et moi nous couchons sur le tablier de la batterie et là personne nous bouscule.

 

27 mai

 

Départ d’Antes à 6h. En route la pluie se met à tomber et nous arrivons à Bulainville trempés jusqu’aux os. Itinéraire : Triaucourt (-en-Argonne), Nubécourt.

Le parc est formé à côté d’une rivière, l’Aire : Quelle pagaille là dedans. Les voitures s’enlisent et nous sommes tous embourbés avec nos capotes. Nous sommes cantonnés en haut du village.

Le pauvre village, il est bien réduit. A peine quelques maisons restent encore debout, tout a été démoli, brûlé.

 

28 mai

 

Séjour à Bulainville. Dans la journée nous allons à Nubécourt.

Le village natal de Mr Poincaré. Nous visitons la maison toute en ruines où il est né, la tombe de ses parents. Tous ces villages sont bondés d’autos, camions qui arrivent ou attendent leur tour de partir transporter les obus, c’est un mouvement continu, ininterrompu.

Des files de 50 autos les unes derrière les autres et toute la journée ainsi et toujours. On entend le bombardement, un roulement sourd et lointain.

On compte 22 saucisses en l’air en face de nous.

 

29 mai

 

Départ de Bulainville à 7h Itinéraire : Beauzée et Mondrecourt où le groupe du 16 est cantonné avec tout l’état major du colonel.

Ces messieurs avaient choisi ce patelin parce qu’il y avait un château où ils pourraient s’installer très confortablement.

Déception ! Le château était brûlé et ils ont du se contenter d’une bien modeste habitation qui restait encore debout. Le parc est en plein champ, tout prés du village. Nous installons nos tentes auprès de chaque caisson en bivouac car on ne sait pas encore s’il y a de la place au patelin et il pleut. Les combats du 14-18 ont du être violents.

Beaucoup de tombes dans les parages.

Au sommet de la colline une grande croix avec les inscriptions aux morts pour la patrie. Bataille de la Marne 5-12 septembre 1914.

Les numéros des régiments qui ont combattu et les villages où les combats les plus violents se sont déroulés. Là sur ce petit plateau cinq cents des nôtres sont enterrés dans 3 grandes fosses. A cent mètres plus loin, beaucoup d’Allemands aussi.

On voit encore des tas d’affaires d’équipement, sacs, calottes etc… triste pèlerinage !

 

30 mai

 

Séjour à Mondrecourt

31 mai

 

Départ de Mondrecourt à midi. Une chaleur étouffante !

Itinéraire : Deuxnouds, St André-en-Barrois, Souilly, Senoncourt.

Là beaucoup de prisonniers travaillent sur la route ou dans les carrières pour extraire la pierre.

De Souilly à Senoncourt les gros camions circulent sans cesse. Quelle poussière nous mangeons ! Sur tout le parcours des tombes isolées.

On voit encore les tranchées du début. Des prisonniers les nivellent. Nous allons bivouaquer dans le grand bois au dessus de Senoncourt : le bois des Huit Chevaux à 3 km de ce patelin.

Nous sommes bien logés.

Pas d’approvisionnement, pas de pinard pas même une goutte d’eau et pour faire la soupe il faut revenir au pays en chercher avec la cuisine roulante. Tous les poilus puisent dans la tonque (?) remplie. Comme dortoir, les feuilles répandues forment une litière épatante et les gros arbres touffus nous abritent de la rosée.

D’ailleurs nous dormons très bien jusqu’à 9h du matin.

 

1er juin

 

Les hommes se nettoient un peu et pour cela il faut encore aller vers une source à 2 km sous bois.

Vers midi, alerte : tout le monde prêt à partir. Beaucoup de poilus sont vers la source, il faut aller les chercher. On attelle, bientôt tout est prêt.

Pour attendre, on se couche à l’ombre des grands arbres 2h, 3 , 4 rien. A 5h il faut dételer et reprendre le repos. Ce n’est pas fini pour bien longtemps, à 8h du soir tous les caissons doivent aller ravitailler un groupe du côté de Chaumont.

Pour notre pièce, le gros et Toto y vont. Nous nous couchons alors au loin, le canon produit un grondement sourd, ce doit être terrible là-bas. D’innombrables lueurs de tous côté.

 

2 juin

 

Nos camarades ne sont pas encore rentrés. Déjà nous craignons qu’il leur soit arrivé malheur.

A 8h pourtant un cavalier les annonce, les hommes sont complètement fourbus et ils ne rapportent pas une bonne impression de leur voyage.

Le soir nous devons retourner ravitailler. Aujourd’hui c’est mon tour. Mais au moment de partir les ordres changent : tout le monde doit partir dans la nuit. Nous nous couchons après avoir monté les toiles de tentes car il pleut.

 

3 juin

 

A 2h du matin, réveil brusque.

Il faut être prêt à partir dans ½ heure.

Quel mouvement !

Il faut démonter les tentes, rouler couvertures et par-dessus le marché, il fait noir et un temps épouvantable, de la pluie en abondance.

Ah, à ce moment on trouve la guerre encore plus horrible et on la maudit dans des accès de colère ! Mais il faut se résigner et faire bon cœur contre mauvaise fortune. Enfin tout est prêt et à l’heure fixée on démarre.

Il faut échelonner les lanternes pour pouvoir sortir du bois. Nous voilà sur le chemin ! Les chevaux glissent, les branches des arbres nous fouettent la figure laissant sur nos têtes leur charge de pluie. Il faut rester sur les caissons car on ne voit rien et nous suivons mieux ainsi.

Nous arrivons à Dugny-sur-Meuse au jour et alors nous descendons de voiture pour nous réchauffer un peu. Nous filons sur Haudainville. De nombreux parcs de ravitaillement tout au long de la route. Nous traversons la Meuse sur un pont en pilotis et nous voilà à Haudainville.

Nous formons le parc au bord du canal. Nous apercevons les casernes de Verdun et lorsque nous arrivons elles reçoivent une distribution de marmites.

Nous tendons nos toiles de tentes aussitôt pour nous mettre un peu à l’abri. Nos officiers vont voir les positions que nous devons occuper. Lorsqu’ils arrivent nous allons tous en quête de renseignements.

Il nous tarde de savoir.

Comment serons nous ?

La position est-elle mauvaise ? etc….. Nous devons occuper d’après les bruits une position de repli inoccupée et cela parce que les Allemands menacent de prés le fort de Vaux.

A 2h , nous partons tous, servants pour organiser les positions. Nous suivons des sentiers détournés où nous sommes cachés et nous arrivons à la lisière d’un bois à gauche de la route qui va à la caserne Chevert : c’est là que doit se placer le groupe. Il y a déjà des abris qui ne présentent guère de solidité, des tranchées. Très peu de trous de marmites.

A peine sommes nous arrivés qu’il se met à pleuvoir. Chacun se loge où il peut, 3 dans un abri, quelques autres ailleurs, un peu partout. Bientôt il pleut autant dans les cagnas que dehors. Le mauvais temps durant toute la soirée. Quelle misère !

 Où allons nous dormir ?

Toto et moi nous dénichons un petit coin dans une tranchée couverte où il y a de la paille pourrie ; tant pis nous mettons quelques branchages, un bout de planche, une toile de tente au-dessus de nous et voilà notre dortoir.

A la nuit on amène les pièces et nos sacs, un peu de paille. Tant mieux. Nous remplaçons nos branchages par cette paille fraîche, ce sera un peu plus doux. Nous avons toutes les peines du monde à rentrer dans notre niche, il faut qu’un tienne la bougie pendant que l’autre se couche. Impossible de maintenir notre toile de tente au plafond.

Après plusieurs essais nous la laissons aller à sa guise et après être bien couverts par nos couvertures, nous tâchons de dormir. Le bruit du canon est assourdissant.

Une pièce de 270 placée en arrière tire régulièrement de temps en temps. A chaque coup tout tremble, on dirait un train qui passe au dessus de nous.

 

4 juin

 

Nous sommes debout de bonne heure, il nous tarde d’aller voir le jour. Nous sommes un peu mouillés surtout vers les pieds. Installation du personnel. Tous se mettent au travail. Les servants creusent une bonne tranchée très étroite et de 2 m de profondeur de chaque côté de la pièce. Autour d’un fort gabionnage avec la terre que l’on creuse pour parer les éclats. Nous installons notre poste de secours dans un abri déjà fait à droite de la batterie et à l’écart. Cet abri paraît assez solide, il est étroit.

Nous faisons un lit pour nous, avec des planches que nous allons chercher aux casernes. Nous ne tirons pas du tout.

Nous apprenons que cette position a déjà été abandonnée 2 fois par une batterie de 105 et une de 100 de marine parce qu’elle était trop repérée.

Mauvais présage !

 

5 et 6 juin

 

Activité des travaux au bout des petites tranchées, les servants font un abri pour coucher, 3 de chaque côté, très étroit et avec une bonne couche de terre et plusieurs rangées de rondins. Nous ne tirons toujours pas. Les soirs à la nuit tombante nous allons en haut de la crête.

Quel feu d’artifice !

C’est vraiment effroyable.

Tout le ciel et les hauteurs devant nous sont en feu. Nous apercevons les fusées signal qui s’élèvent à tout moment pour régler le tir suivant qu’elles sont blanches rouges ou vertes.

Et un vacarme ! Tout cela dépasse tout ce qu’on peut imaginer ! Le ravitaillement vient tous les jours. Il faut que chaque pièce ait 1000 coups à tirer.

 

7 juin

 

Pourtant il fait beau, pour la 1ère fois nous voyons le soleil depuis que nous sommes ici. De bonne heure les saucisses montent, françaises ou boches.

Dans l’après midi, les batteries règlent leur tir sur les 1ères lignes du bois ….. et Vaux-Chapître à l’aide de ces captifs.

Les servants activent les abris. Déjà 2 pièces sont installées ; les hommes couchent dans leurs nouvelles cagnas, à côté des pièces.

 

8 juin

 

Le groupe commence de tirer. Jusqu’à présent on n’aurait pas dit que nous étions à Verdun.

Pas un coup de canon, pas une marmite sur la batterie. Aujourd’hui ça change. Depuis 1h de l’après midi, le groupe exécute des tirs de barrage à 2 coups par pièce et par minute et cela dure toute la soirée et une partie de la nuit. Une attaque ennemie qui se préparait a été signalée. La batterie pour elle seule envoie prés de 9000 obus.

Il fait un beau temps splendide. Toutes les saucisses sont à leur poste et bon nombre d’aéros volent. Il faut bien se garder de sortir du bois pour ne pas attirer l’attention de ces visiteurs. Nous renforçons notre poste de secours avec des rondins que nous prenons sur une cagna abandonnée.

 

9 juin

 

La matinée est calme. Il fait toujours beau. A 1 heure les tirs de barrages recommencent à raison de 6 coups par batterie à la minute. Dans l’après midi le  292ème  passe vers nous en allant aux tranchées. Les fantassins se bouchent les oreilles en passant derrière les pièces.

J’ai le plaisir de rencontrer tous les Aubiérois.

A 6 heures pendant que nous mangeons la soupe un sifflement aigu suivi d’une détonation formidable, oh qu’y a-t-il ?

C’est une marmite qui est allée du côté de la 20ème, puis une autre. Ah ces messieurs se décident à nos répondre.

Nous sommes donc repérés et il n’y a rien d’étonnant car toutes des saucisses nous voient très bien tirer et sur la lisière du bois, il n’y a pas d’erreur possible. Bientôt les coups se rapprochent de nous et après chaque explosion les cailloux voltigent dans les arbres et font un bruit sinistre, on dirait une charge de cavalerie qui vient sur nous.

La batterie tire toujours. Un éclatement produit un bruit singulier.

Qu’y a-t-il ?

Aussitôt nous entendons appeler les brancardiers. Nous accourons : un blessé. Un dépôt de munitions a sauté et c’est une douille de 75 qui des retombées sur la tête d’un maréchal des logis.

Nous l’apportons immédiatement au poste de secours et le médecin appelé aussitôt le soigne. La blessure est assez grave.

Le bombardement continue.

La position est complètement bouleversée. L’abri de la 3ème pièce est crevé et les 3 couches de rondins n’ont pas résisté. Heureusement il n’y avait personne. Voyant la justesse du tir ennemi les officiers ordonnent de quitter la batterie au moins le personnel disponible.

A ce moment 2 coups arrivent en même temps. Hélas 2 coups malheureux car ils écrasent l’abri de la 1ère pièce où s’étaient réfugiés les canonniers qui quittaient la position.

En entendant le sifflement précurseur, ils s’étaient rentrés là-dedans pour s’abriter. On entend nos pauvres camarades qui crient au secours. Tous accourent avec des pioches et des pelles pour déblayer sans souci du danger.

Nous allons avec le brancard prendre les 1er blessés. Et lorsque j’arrive sur les lieux je vois d’abord Arnaud qui est pris sous les décombres.

Lui est dégagé sans peine, il est blessé à la tête et à l’épaule mais il peut marcher. Il s’appuie sur moi et je le conduis aux casernes Chevert où le médecin est allé installer un poste convenable.

Heureusement les Boches se sont arrêté de tirer après avoir encore fait sauter un 2ème dépôt de munitions. Que serait-il arrivé si le bombardement avait continué ?

Après avoir conduit Arnaud, je retourne là-bas.

En route, je rencontre l’adjudant Brat que l’on conduit aussi au bras, puis un autre blessé plus grièvement apporté par nos camarades de la 22ème .

On retire successivement d’autres blessés et 3 tués que nous portons également aux casernes. Il en reste encore un d’enseveli mais on ne peut le retirer sans danger car il fait nuit et il fait noir. Quelle soirée ! Tous les blessés sont soignés et pansés et à minuit des autos viennent les prendre pour les conduire à l’ambulance de Dugny d’où ils seront dirigés sur les hôpitaux.

Nous nous couchons enfin mais avec très peu envie de dormir.

 

 

 

 

 

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