Carnet de guerre d’ OLANIÉ Maurice

Soldat au 114ème Bataillon de Chasseurs Alpins

 

 

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Ce carnet retrouvé chez ma soeur après le décès de mon père en 1983 a été recopié par ma nièce. A partir de la page 18, en effet, mon père a repris ses souvenirs en 1978 et les a complétés. 

Il me faut vous dire qu'il était d'ascendance alsacienne, son grand-père Frédéric a opté pour la France en 1872, ainsi que sa famille et d'autres cousins OLANIÉ assez nombreux.

Ce qui explique qu'il était bilingue dès sa naissance, et a toujours gardé la nostalgie de sa région d'origine. 

Une aventure qu'il n'a pas racontée dans ses souvenirs mais qu'il nous a racontée à nous, ma mère et moi : Lors de leur passage en Belgique, ses camarades et lui ont trouvé sous les décombres une petite fille, terrifiée, et l'ont confiée à une famille chez qui ils logeaient, et il s'est toujours demandé ce qu'elle était devenue depuis. 

Une autre fois, s'étant trouvé dans une tranchée face à face avec un soldat allemand, il a eu la "chance" de tirer le premier, mais cette image l'a poursuivi jusqu'à la fin de sa vie.

 " C'était lui ou moi..."

Bien cordialement;

Françoise

 

 

Sommaire :

Opérations du 13 août au 2 septembre 1917

Opérations du 27 mars au 16 avril 1918

Le 114ème B.C.A occupe le sous-secteur de La Cude (col) dans le secteur du Violu (Vosges)

Opérations dans l’Oise du 9 août 1918 au 12 septembre 1918

Opérations en Belgique du 30 septembre 1918 au 14 octobre 1918

60 ans après…

Les souvenirs continuent à affleurer.

Noms, prénoms, lieux et circonstances de la mort des Officiers, Sous-officiers, Caporaux et Chasseurs du 114ème Bataillon de Chasseurs Alpins :

 

 

 

 

 

 

Photo de Maurice (croix dessus la tête) en compagnie de ses camarades de la chambre N° 44, début 1917, certainement durant sa formation

 

Opérations du 13 août au 2 septembre 1917

Secteur du Plateau d’Ailles – Chemin des Dames

 

12 août 1917 :

Le dimanche 12 août dans l’après-midi, l’ordre arrive au 114ème Bataillon de se préparer à quitter Breny (Aisne) où il était cantonné depuis le 20 juillet. Dans la soirée distribution des munitions et préparatifs divers.

13 août 1917 :

Le matin, revue en tenue de départ passée par le Lieutenant Férole Commandant la 2ème Compagnie en l’absence du Capitaine Véron nommé Directeur des cours des 6è C.S ou des G.C.S de la Xème Armée.

A 19 heures, embarquement au T.M sur la route Soissons Château-Thierry à 500 m au sud de Breny.

A 19 h 30, départ.

Vers 23 heures, après avoir traversé Rocourt, St Martin, Coincy, Fère en Tardenois, Fismes, nous débarquons au sud de l’Aisne à Villers en Prayères où nous cantonnons la nuit et la journée du lendemain 14 dans une ferme importante.

14 août 1917 :

A 18 heures, rassemblement en tenue de campagne complète dans la cour de la ferme d’où l’on part vers les lignes de Plateau d’Ailles par Oeuilly où l’on traverse l’Aisne et le Canal Pargnan et vers Paissy où l’on commence à prendre les boyaux.

Les creutes « de la Somme », profondes cavernes particulières à la région du Soissonnais où se trouvent les ambulances divisionnaires et des unités en réserve.

Après une marche des plus pénibles dans les boyaux retournés de cet affreux secteur, la Compagnie arrive sur ses emplacements dans des abris peu sûrs, en réserve du Régiment de Ligne (le 274ème) qui lui, occupe les premières positions.

15-19 août 1917 :

Pendant ces journées la Compagnie est employée à différents travaux et corvées de ravitaillement. Situation très pénible vu l’agitation permanente du secteur.

20 août 1917 :

La Compagnie est montée en lignes dans la nuit du 19 au 20 relever une Compagnie du 74ème R.I qui avait remplacé le 274ème sur ses emplacements de surveillance.

Le matin au jour, vers 4 heures, bombardement par minenwerfer et obus de 77 et 150 qui font pressentir un coup de main ennemi.

Le Poste du Hibou où mon escouade (la 1ère de la Cie) sous le commandement du Caporal Delemotte Maurice est particulièrement atteint. Un obus de 77 ayant éclaté au beau milieu de ce poste blesse assez gravement le Chasseur Clairet Jean-Marie qui a les deux joues traversées et le Chasseur Durieux Félix à la jambe droite. Seul Clairet est évacué

La journée se passe calme. Tout de même l’infernal tapage de la matinée m’a quelque peu émotionné : c’est la première fois que je me trouve ainsi pris sous un bombardement. Ce ne sera pas malheureusement la dernière !

Le soir à 20 heures même séance que le matin, le Chasseur Prieur Jean de la 3ème escouade est blessé peu gravement à la main.

Puis la nuit de routine calme, seul le bruit des travailleurs et des corvées se fait entendre.

21 août 1917 :

Au jour, même séance que la veille, puis journée calme.

Malheureusement la soif et la vermine se font sentir cruellement.

Dans la soirée : combat d’avions qui se termine à notre avantage.

Vers 22 heures nous sommes relevés par une compagnie du 74ème R.I. La relève s’effectue tranquillement sans incidents, la pleine lune éclaire la marche. La soif nous torture, nous buvons l’alcool de menthe pur !

22 août 1917 :

Vers 1 heure, la Compagnie arrive sur ses emplacements en réserve de la D.I aux creutes de l’Yser, sombres mais sûres carrières où nous restons jusqu’au 23 au soir.

24 août 1917 :

Dans la nuit du 23 au 24, le Commandement a décidé, sur les instances du Capitaine Véron qui a repris le commandement de sa Compagnie et remarqué l’insalubrité du Quartier réservé à son Unité, que la 2ème rejoindrait la 3ème à Beaurieux. En conséquence, le mouvement s’opère la nuit sans incidents.

25-29 août 1917 :

Séjour à Beaurieux. Revues diverses et préparatifs en vue de l’attaque projetée sur la Caverne d’Hurtebise pour le 31 août suivant.

30 août 1917 :

Le matin revue en tenue d’assaut.

Le soir préparatifs de départ.

Vers 19 heures, départ de Beaurieux pour les tranchées où les unités reprennent les mêmes emplacements que les 20 et 21.

31 août 1917 :

La nuit se passe calme, seules des corvées allemandes troublent le silence lourd de menaces pour nos voisins d’en face.

Vers 6 heures l’ordre arrive de se terrer dans la grande sape parallèle à la tranchée et d’évacuer les postes. Seuls quelques guetteurs relevés toutes les heures, puis de demi-heure en demi-heure et enfin tous les quarts d’heures sont admis à surveiller la zone battue par notre artillerie qui commence vers 6 h 15 un tir d’une extrême violence.

Tous les calibres y sont représentés du 75 au 240.

Vers midi, les mines entrent en danse, c’est un vacarme épouvantable.

Nos positions étant très rapprochées de celles de l’ennemi sont soumises ainsi que ces dernières à un tir de destruction des plus violents.

Vers 16 heures, le tir atteint son extrême intensité. Sur une longueur de 2 kilomètres et une profondeur de 800 m ce ne sont qu’explosions, feu, fumée et éclats. La riposte ennemie est faible.

Vers 17 h 30, le sous-Lieutenant RIBIER Pierre de la Compagnie chef de la 2ème section a le crâne arraché par un culot de 75 qui a éclaté sur le parapet. Le même projectile blesse également grièvement au ventre le Chasseur Labrousse Armand de la 3ème Escouade, il meurt pendant son transport.

A 18 heures on précise que l’heure H est 19 heures.

A 18 h 50, le 403ème R.I vient nous doubler dans la parallèle de départ.

A 18 h 57 (H –3 minutes) le feu roulant commence.

A 18 h 59 (H –1 minute) un 75 éclate dans mon poste où nous sommes tous à genoux derrière le parapet, aucun blessé. Seul, je suis touché : un éclat vient par ricochet me briser les lunettes sur la figure. Un éclat de verre pénètre peu profondément dans l’arcade sourcilière gauche, un peu de sang, ce n’est rien !

A 19 heures (H) le Lieutenant Férole debout sur la tranchée donne le signal du départ de la première vague, dont je suis, qui débouche au milieu d’un tir de 75. Plusieurs camarades tombent.

Une minute plus tard, la deuxième vague arrive.

La tranchée allemande complètement retournée est abandonnée par ses défenseurs. Les projecteurs lance-flammes font de bonne besogne dans les abris. Aucune résistance ne se manifeste à ce moment.

Pendant l’organisation de la position et au milieu du tir de réaction allemand notre escouade recueille dans un abri 15 prisonniers : 1 Officier, 1 sous-Officier, 13 hommes. L’Officier se déséquipe dans la tranchée et me donne son équipement, de même le sous-Officier et les 13 hommes.

Dans la nuit plusieurs contre-attaques sont exécutées par l’ennemi qui réagit fortement par des tirs d’artillerie qui nous causent des pertes sensibles. L’Adjudant Bourg (Léon), commandant la 3ème section, tombe à son tour mortellement frappé.

De nombreux Chasseurs tombent également.

1er septembre 1917 :

Au jour, nous partons reconnaître l’abri allemand dont nous avons capturé les occupants la veille. Nous y découvrons une mitraillette et de nombreux accessoires de défense. La journée se passe sous un violent bombardement de part et d’autre.

Le Sergent Guilbaud (Charles-Joseph), de la 4ème section, est tué par le bombardement.

De nombreux Chasseurs paient encore de leur vie le manque d’attention des pointeurs d’artillerie car les 75 tombent en pleine tranchée Winterberg où nous attendons impatiemment la relève annoncée pour le soir vers 22 heures.  

En effet, vers 22 heures, la relève s’annonce par petits paquets. Il est temps, car à mi-chemin des cavernes de la Somme le barrage allemand se déclenche à nouveau sur nos arrières et peu de temps après se déclenchait à son tour une attaque ennemie sur le 410ème R.I (Unité relevante)

2 septembre 1917 :

Vers 2 heures du matin, le Bataillon va cantonner à Villers en Prayères et se prépare à embarquer à Fismes.

La compagnie est citée à l’Ordre du 1er Corps d’Armée Colonial

Le Capitaine Véron : Chevalier de la Légion d’Honneur

Le Caporal Delemotte et le Chasseur Bonnet Michel : Médaille Militaire

 

 

 

Opérations du 27 mars au 16 avril 1918

 

C.I.D. 70 (Centre d’Instruction Divisionnaire)

4ème/114ème

Secteur Est de Montdidier

 

26 mars 1918 :

Comme suite à sa formidable préparation de l’hiver 1917-18, l’ennemi attaque la position de la 5ème Armée anglaise le 21 mars au matin. On en connaît les péripéties jusqu’au moment où l’ordre de mouvement est donné à la 70ème D.I à laquelle nous appartenons depuis le 13 janvier 1918.

La 4ème compagnie est touchée par cet ordre qui comporte le transport en T.M (Transport de Matériel) au cantonnement de Matougues (Marne) à 8 km de Châlons.

On doit embarquer à 15 heures sur la route Châlons – Chenay.

Contrordre, c’est pour cette nuit. En effet, à 23 heures après une visite d’avions, les camions nous prennent et on attend patiemment le départ.

Au loin des incendies dans Châlons, constamment bombardée par les avions boches.

27 mars 1918 :

Vers 2 heures, on décolle direction Epernay.

On roule toute la matinée : Epernay, Dormans, Mézy puis vers 11 heures le convoi s’arrête sur les hauteurs de Château-Thierry où l’on se refait un peu.

Puis la course reprend par Neuilly St Front, la Ferté Million, Villers-Cotterêts, Pierrefonds la Forêt et Compiègne.

Après la lente traversée de cette ville abandonnée et très endommagée par les avions ennemis nous sommes dirigés à travers Margny et Monchy sur Montdidier.

La nuit tombe, le sommeil nous gagne, tout le monde s’endort.

Vers Méry, le convoi s’arrête, on débarque et l’ordre est donné de se rendre à Ménévillers. Sans indications d’aucune sorte, sans carte, le C.I.D 70, sous le commandement du Capitaine Philippe se forme en colonnes d’escouades et se couvre en avant.

Cela nous paraît anormal car le C.I.D n’étant pas Unité de combat ne doit certainement pas être dans le voisinage immédiat de l’ennemi. Il en est pourtant ainsi.

28 mars 1918 :

Vers 3 heures, les Unités prennent quartier dans le village de Ménévillers qui est complètement évacué par la population civile. Dans le courant de la journée nous sommes employés à des travaux de fortifications de campagne entre la ligne de chemin de fer Estrées, Saint Denis, Montdidier et la sucrerie de Tricot.

Vers 9 heures, on nous confirme la prise de Montdidier par l’armée allemande.

29 mars 1918 :

Les travaux continuent entre la voie ferrée et la sucrerie de Tricot.

30 mars 1918 :

Au matin, les allemands attaquent les positions occupées par la 70ème D.I entre Rollot et Assainvillers. Il pleut à torrents. 

Les obus lourds tombent en masse sur les positions de repli éventuel entre Méry et Tricot qui sont violemment bombardés par des pièces dont le tir est réglé par les avions malgré l’orage.

Le 114ème résiste énergiquement au bois de Vaux malgré le repli des 360ème et 226ème R.I.

Le C.I.D se retire sur Ménévillers.

Vers 11 heures, dès la soupe, nous sommes rassemblés, équipés et armés, complétés en munitions et nous partons sac au dos sous une pluie battante.

Pendant ce temps les batteries lourdes de 120 et 155 longs qui bordent la lisière Nord du village déclenchent un tir des plus violent sur les colonnes ennemies qui débouchent de Rollot vers le bois de Vaux.

Entre Courcelles-Epayelles et Méry nous commençons des travaux de défense dans la boue glissante et jaunâtre de la Somme : positions de mitrailleuses commandant l’accès d’un ravin.

Vers 15 heures, l’ennemi ayant forcé les positions du 226ème R.I et du 42ème B.C.P en menaçant Courcelles c’est à dire les derrières du 114ème qui tient toujours Vaux et son bois.

Un désordre indescriptible règne : voitures sans attelages, chevaux sans voitures, roulantes tirées à bras, fuyards et prisonniers tous mêlés, tout s’enchevêtre sur la route Méry – Ménévillers en même temps que les 130 et 150 tombent assez serrés sur le village et les batteries qui en garnissent les abords.

Vers 17 heures, nous rentrons au village et prenons le repas du soir qui, pour un jour de Semaine Sainte (c’est le Samedi Saint) se compose uniquement de volaille !!

On se couche un peu et vers minuit retentit le cri : tout le monde debout, tenue de campagne complète sans oublier les outils. Dans l’obscurité on se lève, s’équipe et en un clin d’œil toute la 4ème Compagnie est debout, rassemblée dans la cour et prête à partir.

Nous partons dans la direction de Méry, nous faisons une pause à l’entrée du village dans la boue et sous la pluie. Nous repartons et traversons le village en colonne par un, puis continuons dans la direction de Courcelles-Epayelles que le C.I.D doit occuper en soutien de la D.I ; derrière nous il n’y a rien, rien, rien !!!

Aux deux tiers de la route Méry – Courcelles vers deux meules de paille, excellents repères pour l’artillerie ennemie, commence un tir d’interdiction très violent et précis battant la zone comprise entre les meules et le village.

Le Lieutenant Doucet, commandant la 4ème/114ème, nous fait arrêter en tirailleurs dans la plaine.

31 mars 1918 :

Vers 2 heures, le bombardement s’arrête, nous partons occuper le village. Ma section est logée dans une cave, dans la maison d’un aubergiste-épicier, nous y trouvons des légumes, du lard, des œufs frais, des conserves, de la volaille et du cidre ; le reste ayant été utilisé par les troupes qui sont passées avant nous.

A peine arrivés, une corvée est désignée pour aller toucher des cartouches au château, le Caporal Boguet et moi y partons.

La journée se passe assez calme. Quelques marmites de temps en temps dans le village qui tuent et qui blessent quelques animaux qui circulent en liberté dans les rues.

C’est le jour de Pâques qui s’en douterait !

Nous faisons la fête à notre façon, nous mangeons tout l’après-midi : volailles, frites, lapins, etc…

Le soir, vers 6 heures, un barrage de 88 se déclenche sur nous.

Un obus tombe dans la cour, Le Chasseur Gras Fabien, Joanny de la classe 1898 qui traversait la cour, est blessé par tout le corps. Je cours chercher les brancardiers du C.I.D qui le pansent et l’emmènent.

Le pauvre diable est mort quelques jours plus tard.

A 7 h ½, à la tombée de la nuit, nous partons en corvée de munitions vers le Tronquoy (Sergent Gaso) Nous sommes copieusement marmités en route, mais sans accident de personne.

La pluie fait rage ! Le bombardement aussi ! Nous sommes rangés le long des maisons dans le village en attendant la fin du déluge et surtout… des ordres !

Enfin, les ordres arrivent avec la fin du tir, nous déposons nos grenades dans une maison abandonnée et nous repartons vers Courcelles qui flambe au loin sous un tir d’obus incendiaires des boches. Nous regagnons notre cave vers minuit au milieu du feu, de la fumée, des explosions, des toits qui s’effondrent, des pans de murs qui s’écroulent.

1er avril 1918 :

Nous apprenons que nous devons dans la nuit rejoindre notre Bataillon qui se trouve au Tronquoy d’où nous sortons. L’idée de retraverser l’enfer de Courcelles dont l’église flambe comme une torche ne nous est guère réjouissante. Puis le contre-ordre habituel arrive en même temps qu’une recrudescence du pilonnage.

Le 114ème descendant à Courcelles, le renfort du C.I.D le rejoindra dans la matinée ce qui nous a quelque peu réconforté et la nuit se passe à dormir, repos bien gagné !

Vers 8 heures nous sommes rassemblés chez le Commandant Guillaud qui a reparu dans la circulation puis disséminés dans les Compagnies : je suis affecté à la 3ème Compagnie – 1ère escouade.

Vers 7 heures du soir, le Bataillon descendant à Méry en réserve du Corps d’Armée, nous quittons Courcelles après un minutieux rassemblement sur deux avec faisceaux et mouvements réglementaires alors qu’au loin montaient vers le ciel des fusées rouges de sinistre aloi. Le résultat ne se fait pas attendre, à mi-chemin de Courcelles – Méry le tir d’interdiction recommence comme la veille avec la différence que les projectiles tombent en plein dans nos rangs.

Notre Adjudant Barbe, chef de Section, se sauve à toutes jambes abandonnant ses hommes à eux-mêmes. A l’entrée de Méry, la Compagnie se reforme ; on apprend que les Chasseurs Germain et Gonnet de la 3ème Compagnie et Veyeur de la 1ère étaient blessés. Germain devait mourir quelques jours après.

Enfin, nous couchons à Méry.

2 avril 1918 :

Vers 5 heures, nous changeons de cantonnement et nous habitons dans la maison du cantonnier dans le quartier de Pieds-Méry.

Rien à signaler dans la journée sinon la découverte de denrées diverses dans les caves.

3 avril 1918 :

Je prends la garde aux issues de Méry dans une maison abandonnée où je me rhabille à neuf avec du linge trouvé dans une armoire éventrée (Poste : Caporal Hudelot, Chasseurs Dufêtre, Olanié, Batisse, Cochet)

4 avril 1918 :

La nuit se passe sans accident.

Vers 1 heure, un bleu du 34ème R.I passe dans la direction de Courcelles pour aller travailler aux tranchées de soutien. Bombardement de la partie Sud du village où se trouvent des batteries de 155 Long.

On se prépare à repartir en lignes dans le courant de la nuit suivante.

La Compagnie est rassemblée à 17 h 45, à 18 heures le Bataillon quitte Méry et nous repartons dans la direction de Courcelles. La pluie tombe à torrents.

Vers 19 heures, le Bataillon fait halte entre Courcelles et le Tronquoy sur la 2ème position, sous la pluie.

Vers 20 heures,, nous repartons et après une marche des plus pénibles sur la voie ferrée Lassigny – Montdidier, et sous bois, nous prenons possession de nos trous en lisière du bois de Vaux.

5 avril 1918 :

Je suis dans un poste avec Dufêtre et Batisse.

Au lever du jour nous nous retirons dans une tranchée en arrière de la lisière sous bois.

Dans la journée R.A.S

Le Bataillon commence d’importants travaux de défense : réseaux, tranchées, réduits, abris, etc…

Du 6 au 16 avril 1918 :

Même vie. R.A.S

Au soir je repars prendre les avant-postes en avant du réseau entre les lignes, à la lisière d’un petit bosquet avec Dufêtre. Nous y restons jusqu’au 16 avril au soir.

Ici, la vie est la même, pire même.

Dans un trou en équerre, plein d’eau, nous prenons la garde la nuit et le jour nous nous retirons quand c’est possible sous le couvert du bosquet. Nos batteries tirent sans cesse sur les positions allemandes et souvent nos obus nous éclatent aux oreilles. Devant nous nous avons Rollot et ses vergers, nids de mitrailleuses et de postes avancés.

A gauche, la route Compiègne-Montdidier.

Au loin Montdidier flambe sans arrêt éclairant d’une lueur rouge les nuages épais et lourds d’averses à venir, car sans arrêt aussi la pluie tombe, accroissant notre misère déjà si grande dans notre trou où d’heure en heure pendant 10 jours nous attendons la relève et invariablement pendant 9 soirs notre espoir est déçu.

La soupe ne nous arrive pas régulièrement, nous mangeons du « singe » trouvé dans un ancien dépôt de vivres éventré entre les lignes vers lequel nous rampons la nuit dans la boue pour nous ravitailler en vue du manque de soupe le matin suivant.

De même pour l’eau à boire que nous cherchons dans les trous d’obus…

Et la vermine qui nous ronge !

Car depuis 12 jours nous sommes dans un état de saleté indescriptible et dans l’absolue impossibilité de nous nettoyer !

Enfin, le 15 au soir, nous sommes relevés par un Bataillon du 34ème R.I (67ème D.I)

La relève a lieu sous un violent tir d’obus à gaz. La Compagnie, sous le commandement du Lieutenant Mathieu, fait un grand détour pour éviter Courcelles complètement détruit et sur lequel s’acharnent encore les artilleurs ennemis avec les obus à ypérite.

Vers le point du jour nous sommes à Ménévillers où nous mangeons une soupe bien gagnée dans la ferme où était précédemment cantonnée la 4ème/114ème dont beaucoup d’hommes ont été blessés au cours de l’occupation du bois de Vaux.

A 10 heures nous sommes à  Neufvy-sur-Aronde au repos.

Le Lieutenant Peyelot a repris le commandement de la 3ème Compagnie, le Capitaine Berger ayant été nommé Capitaine Adjudant Major. La 3ème Compagnie a été à cette occasion citée à l’Ordre de la 70ème D.I par le Général Emile Tantot.

 

Du 23 mai au 15 juin 1918 :

Le 114ème B.C.A occupe le sous-secteur de La Cude (col) dans le secteur du Violu (Vosges)

 

La 3ème Compagnie, d’abord en réserve pendant 8 jours à La Cude, monte en ligne le 31 mai au matin. Au moment de la relève des postes, les allemands font un coup de main sur l’antenne Nord du G.C.6  où ils font prisonniers le Sergent Conty, 3 hommes de la Compagnie, 3 de la 2ème Compagnie relevée puis tuent le Chasseur Bernard (Emile) et blessent Borderie de la 3ème Compagnie. Une tentative de revanche de notre part échoue. Le S.F de la D.I a des blessés et son Lieutenant tué par les minens qui ne cessent de tomber sur le poste G.C.6.

Nous occupons ensuite (4ème Section) le G.C.5 où nous sommes relevés le 15 juin par les Américains et le 93ème R.I français. 

 

Du 14 juillet nous sommes en réserve jusqu’au 31 dans la forêt de Laigue (Nord de Compiègne)

Le 1er (août) je pars comme agent de liaison au 56ème R.I (8ème Corps d’Armée – 15ème D.I)

Le P.C est au château de Vesigneux (est d’Ollencourt) Ma vie y est calme malgré de fréquents bombardements des pistes de service (le château étant une ancienne propriété d’un ambassadeur allemand est peu endommagé)

Nous sommes relevés par le 4ème Zouaves dans la nuit du 4 au 5 août.

Le Bataillon, après une marche pénible sous la pluie, arrive à Chelles (Oise) vers 10 heures du matin où nous restons jusqu’au 6 au soir où nous embarquons en camions à minuit.

Après avoir traversé Pierrefonds, Verberie, Clermont, nous débarquons le 7 à Fournival (Oise) dans la région de Saint-Just-en-Chaussée.

 

 

 

Opérations dans l’Oise du 9 août 1918 au 12 septembre 1918

 

9 août 1918 :

Dans la journée, rien à signaler, au loin le canon tonne, les évènements se précipitent, les nouvelles sont bonnes. Les anglais ont attaqué au Nord de Montdidier et les français au Sud.

A 21 heures, alerte. Sacs faits, prêts à partir.

10 août 1918 :

A 10 h 30, rassemblement et à 11 h départ.

Par La Gloriette et Saint Rémy-en-l’Eau, le Bataillon chemine dans la plaine et parvient vers 16 heures dans un bois où la soupe est mangée. A la tombée de la nuit, départ sur la grand’route.

Vers 20 heures, le Bataillon s’arrête aux abords de Rouvillers.

A 21 heures, nous entrons dans le village et allons passer la nuit dans une raffinerie.

11 août 1918 :

A 3 heures, alerte, on boit le café et l’eau-de-vie est touchée pour la première fois, ce qui veut dire qu’on est unité de combat. Vers 4 heures, contrordre, mais on doit se tenir prêt à faire mouvement dans la matinée.

Vers 12 heures, l’ordre arrive de se mettre en marche. Nous partons à travers champs en suivant les couverts et les défilements.

Vers 17 heures, nous sommes à Moyenneville aux anciennes lignes de départ de l’offensive du 8 août.

Nous prenons position aux abords du village très endommagé par les divers bombardements à la chute du jour. Nous allons dormir dans les caves du village.

La nuit se passe calme.

12 août 1918 :

Au jour, nous reprenons nos positions de la veille dans les marais de l’Aronde et la journée continue calme, jusqu’au moment vers 15 h où l’ordre de se tenir prêts à partir arrive.

En effet, à 15 h 30, nous partons et, à 17 heures, à la sortie de Neufvy-sur-Aronde contre les murs du château la distribution de la soupe a lieu.

Puis à 18 h 30, la marche reprend par Gournay-sur-Aronde et les ravins à l’Est du village à la sortie desquels nous rencontrons dans les blés les premiers cadavres de la dernière attaque.

Nous franchissons la route de Ressons puis cheminons à travers champs, nous longeons des pistes, tranchées, boyaux ; les cadavres qui nous sont révélés par leur odeur caractéristique paraissent nombreux.

Nous franchissons la ligne de chemin de fer et vers 22 heures nous sommes dans une tranchée à l’Est de Marquéglise, village en ruines. Au loin nous entendons des batteries, puis les fusées montent.

13 août 1918 :

Vers 1 h ½ , les ordres arrivent, on repart après avoir bu le café et l’eau-de-vie.

J’entends le Lieutenant Mathieu qui commande la Compagnie chuchoter aux Lieutenants Pache (Louis) et Simard (Albert) : « Bois du Facq – tranchée en réserve – Bellinglise »

Après avoir traversé de nombreux villages qui sont en ruines et semblent être Margny-sur-Matz et Le Plessier, nous sommes arrêtés à la sortie de ce village par l’embouteillage de la route.

Nous tombons de fatigue et dormons dans les fossés.

Nous sommes réveillés par les premiers tirs du 208ème R.A.C qui vient de prendre position. (un coup qui éclate à la sortie nous blesse 2 hommes : Xavier et Benet)

Vers 3 h ½, nous repartons mais nous marchons toujours lentement toujours pour la même cause. Au jour, nous sommes à l’entrée de la forêt de Thiescourt.

La marche continue pénible dans les bois.

Vers 8 heures, les premiers obus tombent dont un blesse le Capitaine Montariol, commandant la 1ère Compagnie.

A 9 heures, nous sommes à nos positions dans la tranchée de Bellenglise.

Epuisés, nous dormons.

A 10 heures, le Lieutenant Fontesse, chef de ma section, passe et dit : « Les gars, on attaque à 11 heures, préparez-vous ! » Pendant ce temps un tir de gros calibre s’abat sur nous.

Les Sergents Ducroux et Pauquer sont blessés. Je suis désigné, avec Barry, pour faire la liaison entre ma section et la 1ère section.

A 11 heures, nous sortons et collons derrière le 6ème R.I en première vague.

Le tir des mitrailleuses allemandes se fait précis et à ras de terre ; les hommes du 6ème tombent en grand nombre. L’attaque du carrefour de l’Etoile a lieu pendant que je suis toujours avec Barry au pied d’un chêne.

Nous sommes perdus dans cet enfer qu’est à ce moment le Bois du Facq : Minens de tous calibres, gros obus, petits obus, torpillettes, grenades, enfin toute la gamme y compris les gaz qui font évacuer la moitié de ma section.

Enfin, accalmie, nous repartons vers notre section. Impossible de se retrouver.

Je laisse Barry puis, sur son avis, je pars rejoindre le P.C de la Compagnie où je trouve le Lieutenant Mathieu qui me renseigne sur la position de ma section.

Je rencontre la corvée de soupe et mon ami Gresion Robert qui est malade des suites des gaz. L’air est irrespirable.

Je me couche dans un trou avec mon masque M2, le reste étant perdu.

Je dors et vers 16 h on repart vers les lisières de la forêt conquises de ce matin. Sur la route on rencontre des prisonniers et aussi des cadavres d’allemands et malheureusement aussi des nôtres.

Près d’un blockhaus, fortement bétonné, un blessé allemand est étendu à terre, c’est un jeune soldat qui, déjà blessé de 2 balles dans le ventre et sur le point d’être fait prisonnier, continue de tirer. Un Officier français lui tire une balle dans la tête ; alors il est pris. Il a encore la force d’écrire à ses parents !

Nous prenons position vers 17 heures dans la tranchée de Bagdad pour attaquer en soutien du 6ème R.I

Mais l’attaque n’a pas lieu et nous allons en première ligne à la lisière de la forêt pour prendre la garde face aux boches. Nous y apprenons la blessure mortelle du Lieutenant Rosaz (Albert) blessé en entraînant ses pionniers à l’attaque d’un point menacé par l’ennemi.

Rien à signaler dans le cours de la nuit.

14 août 1918 :

A partir de 2 heures, quelques rafales de mitrailleuses sur nos positions en lisière de la forêt. Puis, arrivée du ravitaillement.

A la pointe du jour, nous nous formons en petits postes plus à gauche vers un observatoire boche situé dans un arbre. Puis, après les fatigues des jours précédents, nous prenons un peu de repos chacun à son tour.

Mais, vers 7 heures, l’ordre arrive de s’assurer si les allemands ont réellement abandonné les positions comme on le dit. Une patrouille composée du Caporal Toussaint, de Barry et de moi, part à la recherche de l’ennemi. Nous filons à travers le plateau de Saint Claude, sautons dans le boyau d’Italie, nettoyons des abris mais rien ne s’oppose à notre marche en avant. Nous rencontrons des allemands déséquipés qui se rendent.

C’est le 25ème R.I Prussien d’Aix-la-Chapelle (208ème D.I) qui est devant nous ! Nous trouvons un matériel de guerre important qui est abandonné vers une carrière.

Enfin, nous sommes en contact avec les mitrailleuses ennemies à la sortie Nord du hameau du Marais. Notre patrouille étant trop avancée est obligée de se replier, sans grand dommage d’ailleurs, sur un élément de tranchée occupée par l’aile gauche de la 3ème Compagnie en liaison avec la 14ème Compagnie du 560ème R.I (Bataillon Véron)

La journée se termine calme.

Quelques bandes de mitrailleuses échangées de part et d’autre.

Le soir, vers 11 heures, ma section est relevée et va prendre quartier dans un abri au bord de la route Ferme Saint Claude – Le Marais.

15 août 1918 :

La journée se passe dans l’attente de nouvelles opérations. Les allemands inondent la forêt d’obus toxiques. La route est particulièrement visée.

Pas de victimes.

Et pour la première fois depuis le début des opérations, nous pouvons manger la soupe (ayant dû abandonner nos marmites la veille pour la poursuite) Et quelle soupe ! Par la grande chaleur, le rata s’aigrit et bouillonne dans les marmites…mais qu’importe, il faut bien vivre !

16 août 1918 :

R.A.S

17 août 1918 :

Au jour, nous sommes relevés et allons prendre quartier, plus en arrière, à la tranchée de Bagdad, sous bois. La position n’est pas mauvaise si ce n’était cette odeur de cadavre que le vent nous amène.

Pendant toute la nuit nous sommes violemment bombardés par obus de tous calibres et par avions.

Pas de victimes.

18 août 1918 :

La journée continue de même.

Le soir, la 7ème demi-section part se mettre à la disposition de l’équipe de Pionniers du Bataillon qui est chargée de nettoyer les abris du Bois du Facq qui doivent être occupés par le P.C du Colonel commandant le 17ème Groupe de B.C.P

Nous travaillons toute la soirée et, à la nuit, les abris sont prêts et nous en sommes les premiers occupants. Nous y passons la nuit en sécurité car les batteries allemandes du Plémont pilonnent sans cesse le bois et ses environs immédiats.

19 août 1918 :

La matinée se passe à récupérer le matériel de guerre qui est sur les cadavres aussi bien français qu’allemands. La chaleur est insupportable, de nombreux cadavres non encore enterrés empoisonnent l’air.

Nous en enterrons beaucoup, mais pas tous car il en reste encore dans les fourrés et il est impossible de les découvrir. Qu ‘attend-t-on pour faire travailler les G.B.D (Groupe de Brancardiers Divisionnaires) et la S.D (Section Disciplinaire)?

Dans le cours de l’après-midi, nous rejoignons notre section qui a changé de position et se trouve dans la tranchée de Bagdad mais plus près de la route.

20 août 1918 :

Dans la nuit, violent bombardement du Bois du Facq par obus toxiques.

Au jour, alerte car le 42ème B.C.P et le 44ème attaquent et s’emparent de la tranchée des Alpins aux abords du Plémont. L’attaque réussit et dans la matinée nous regagnons nos abris.

21 août 1918 :

Bombardement par obus toxiques. Travaux et corvées divers.

22 août 1918 :

Vers midi, alerte, rassemblement de la Compagnie vers le P.C au bord de la route, où nous restons jusqu’à 5 heures du soir, heure à laquelle nous partons rejoindre le 42ème qui attaque le Plémont par les côtés.

Nous marchons toute la soirée et, à la nuit tombée, nous sommes en position à la tranchée des Alpins où nous sommes pris d’enfilade par les batteries de Lagny et de la montagne de Porquéricourt.

Vers 23 heures, nous partons par bonds sur la route La Rue-des-Boucaudes – Thiescourt, où nous traversons le ruisseau de la Plaine sur un pont que les soldats du Génie Divisionnaire ont construit en quelques heures en dépit du violent tir d’obus à gaz et explosifs.

23 août 1918 :

Vers 1 heure, nous sommes en position de réserve à la tranchée de Linsingen. Je pars avec le Sergent Guerchet reconnaître le Plémont, nous errons une partie de la nuit dans la forêt qui le couronne au milieu d’un épais nuage d’ypérite.

Nous nous perdons et au lever du jour nous rentrons sans incident à la tranchée Linsingen.

Le reste de la journée se passe sans incident.

24 août 1918 :

Vers 0 heure, les allemands déclenchent sur les batteries qui sont en position derrière nous un tir roulant d’obus à gaz. Mais leur tir est trop court.

Tous les projectiles éclatent au beau milieu de notre position sans qu’aucun ne soit blessé, le tir dure jusque vers 3 heures, puis il reprend de 4 à 5.

Alors commence la longue théorie des gazés. Beaucoup se rendent à la visite, mais notre inepte Major Chaisemartin refuse de les évacuer. Ce n’est que devant le trop grand nombre qu’il daigne prendre l’affaire au sérieux.

L’évacuation de la tranchée est décidée pour le soir et vers 17 heures nous allons nous installer de l’autre côté de la route dans la Bretelle de Thiescourt sur les flancs Est du Plémont.

Nous creusons nos trous et vers 21 heures la même séance que le matin recommence mais, cette fois, sans dommage pour notre section qui est réduite après cette journée à :

13ème escouade : 1 Caporal et 1 homme (moi)

14ème escouade : 1 Caporal et 6 hommes

15ème escouade : 2 hommes

16ème escouade : 1 homme

    Total : 2 Caporaux   10 hommes

Le Lieutenant Mathieu commandant de la Compagnie étant évacué il est remplacé par le Lieutenant Pache (Louis).

25 août 1918 :

La journée se passe calme. On nous annonce la relève pour le soir.

En effet, vers 15 h nous quittons la Bretelle et descendons le flanc Sud du Plémont, traversons La Rue-des-Boucaudes, la tranchée des Alpins, le Marais, le boyau d’Italie et réoccupons nos anciens abris des 20 et 21.

Le bruit court que toute la D.I va être relevée sur ses positions dans le courant de la semaine.

26 août 1918 :

R.A.S Travaux et corvées divers.

27 août 1918 :

Rien à signaler dans la journée.

On annonce toujours la relève mais, vers 19 heures, je suis désigné comme coureur ainsi que Chabert de ma section pour fonctionner pendant l’attaque du village de Cuy qui doit avoir lieu le 28 à l’heure H. 

Vers 22 heures, nous partons au P.C du Bataillon rejoindre la liaison et à 23 h 30 sous le commandement de l’Adjudant de Bataillon Pradel nous partons par la lisière du Bois du Facq et la route de La Rue-des-Boucaudes vers nos positions du 22 et du 23 où nous faisons halte.

28 août 1918 :

A 2 heures nous sommes en position au P.C du Bataillon en avant de la tranchée de la Savoie.

A 4 heures, l’Adjudant Pradel m’envoie avec Chabert accompagner le Caporal-Fourrier Got de la 2ème Compagnie qui rejoignait sa Compagnie.

Nous savons que l’heure H est 5 heures 30.

Nous serpentons dans Thiescourt en ruines et à travers champs. Enfin nous trouvons le P.C de la 2ème Compagnie au bord de la ligne de chemin de fer à voie étroite et en arrière de la Divette (rivière)

Nos batteries commencent le feu roulant à 5 h 20 et à ce moment l’Adjudant de Bataillon nous renvoie à notre Compagnie qui se trouve en réserve à la tranchée des Alpins.

A peine arrivés, il faut repartir avec la Compagnie.

Nous refaisons le même chemin, franchissons la Divette et entrons dans Cuy derrière la 2ème Compagnie. Nous sommes abrités dans les ruines à l’entrée du village. De grands trous de mines coupent la route. Un grand nombre d’allemands qui sont restés cachés dans le Bois de la Réserve se rendent à nous.

Au bout d’une heure, nous repartons et cette fois nous traversons le pays où un an auparavant le Bataillon avait cantonné, mais dans quel état on le retrouve ! La Mairie est à demi effondrée ! Le cantonnement de la 2ème Compagnie n’existe plus !

Tout va bien pour la traversée du pays mais, arrivés à la sortie Sud du village nous sommes accueillis par les premiers 150 et 210 qui nous interdisent la route de Noyon. Des avions ennemis règlent le tir.

Nous traversons le parc du Château des Essarts puis cheminons lentement sous bois, sous la pluie qui commence à tomber ainsi que les obus. Après de nombreuses haltes, nous arrivons dans l’après-midi sur le flanc Ouest de la montagne de Porquéricourt ; en arrière du sommet, nous sommes obligés de faire halte, celui-ci étant violemment battu par l’artillerie ennemie.

A la tombée de la nuit, nous franchissons le sommet et, passant près d’une vieille tour en ruines, nous débouchons sur un plateau dénudé et prenons quartier dans une carrière où les obus nous poursuivent sans nous causer de dommages.

 

Un spectacle impressionnant nous attend du haut de cette montagne : en bas sous les premières lignes qui passent aux lisières Est de Porquéricourt qui a été occupé par la 1ère Compagnie dans la soirée, et reconnaissables aux jets de flammes des fusils et des mitrailleuses, à droite c’est Noyon, notre garnison du début de l’année qui flambe sous nos obus incendiaires.

 

Au loin, derrière la route de Ham, sur le Mont Saint Siméon les batteries allemandes tirent. Je pars en patrouille aux abords de Noyon dans le faubourg d’Amiens.

La nuit se passe au milieu de tirs et d’explosions de tous genres.

29 août 1918 :

En rentrant de patrouille, et après un court repos, le 2ème Peloton suivant le 1er descend à son tour dans la plaine, on laisse nos sacs. C’est dire que l’on va danser.

Enfin, épuisés, fatigués et énervés par les incessants bombardements, nous nous comprenons sacrifiés, quand au milieu d’un tir violent et en terrain découvert, nous gagnons Porquéricourt où la section est cachée dans une cave en briques en attendant les ordres. Les blessés et les prisonniers descendent sans cesse.

Des morts aussi ! Sur les brancards. (Le Chasseur Cocher de la 4ème Section est évacué pour les gaz)

Des brancardiers viennent chercher de l’eau dans la cour où nous sommes. Branchard (Louis), un des deux, cause avec nous, part, une heure après il est mortellement blessé !

 

A 19 heures, l’ordre de partir arrive.

La situation est la suivante : à droite la 1ère Compagnie est en liaison avec le Régiment de Zouaves dont la D.I vient de réoccuper Noyon, elle (la 1ère Compagnie) est accrochée aux rives du Canal du Nord. A gauche, la 2ème Compagnie en liaison à droite avec la 1ère mais sans liaison avec le 226ème R.I. Le 1er Peloton est en soutien de la 2ème Compagnie et le 2ème monte pour occuper Beaurains où les ennemis se ré infiltrent devant la faiblesse d’effectifs de la Compagnie Férole qui a eu des pertes importantes à l’attaque des vergers dont chaque pommier abrite une mitrailleuse. Le Sergent Myard (Auguste) et le Caporal-Fourrier Got (Emile-Prosper) sont tués.

Nous partons donc en colonne par un à 100 et même 200 mètres d’intervalle. Mais dès que les premiers débouchent du village, les batteries allemandes de Tarlefesse et du bois d’Autrecourt nous écrasent d’obus.

Le Caporal Dubouloz est blessé et le Sergent Mordrelle est allé le secourir ce qui fait que la liaison avec la 3ème section est perdue.

Sous le commandement du Sergent Guerchet, en l’absence du Sergent Fonterre parti avec le Lieutenant Pache (Louis), nous franchissons un réseau, puis la section se place à l’abri dans le chemin creux.

 

Là, le Sergent Guerchet demande un homme pour aller reconnaître le village, je vais avec lui, nous arrivons vers la sortie Ouest de Beaurains à un calvaire vers le canal. A ce moment, à peu de distance devant nous, part une fusillade nourrie, puis du village des mitrailleuses nous prennent de flanc, nous faisons demi-tour car les balles nous sifflent aux oreilles sans toutefois nous atteindre.

Enfin nous trouvons Barry qui nous emmène vers le P.C de la Compagnie.

En colonne par un, de trou d’obus en trou d’obus, d’arbre en arbre, par bonds nous gagnons l’entrée du village d’où les allemands, devant notre approche, se retirent à nouveau.

Immédiatement le Sergent Fonterre, commandant notre Section, demande des hommes pour patrouiller dans le village où nous devons nous installer. Nous fouillons successivement la grande rue en ruines, le cimetière où nous entendons un cri d’oiseau qui nous intrigue fort longtemps ; nous en visitons les tombes éventrées une par une pour éviter les surprises, puis l’église, sa crypte, le clocher, et finalement, en compagnie de Morvan et de Mermont, nous nous trouvons dans le corridor de la Mairie nez à nez avec des mitrailleurs ennemis qui, cachés dans le jardin, tirent sans cesse et prennent le couloir d’enfilade. Nous nous installons du mieux possible dans la Mairie avec un F.M en batterie sur les marches.

A peine installés et les postes avancés placés, un violent bombardement, véritable ouragan de feu et de gaz, s’abat sur nous.

Je reste seul dans le corridor alors que les autres postes se replient dans la cave, c’est là que je suis brûlé par l’ypérite. Nous craignons une contre-attaque, les mitrailleuses du jardin et de Genvry-Serricourt tirent sans arrêt battant d’enfilade la rue, la cour de la Mairie et l’escalier.

De nombreux projectiles effondrent successivement les 2 salles d’école, l’habitation de l’instituteur et les bureaux de la Mairie, seul l’escalier central et celui de la cave ainsi qu’une chambre restent debout ; mais bientôt le feu prend dans un hangar voisin et gagne les décombres de la Mairie puis les maisons voisines.

Au milieu de tout ce feu, cette fumée, les explosions, le gaz, nous tenons la position quand même. Beaucoup d’hommes sont malades, aucun de ma section n’est cependant évacué.

30 août 1918 :

Vers 1 heure environ, car je ne me souviens pas exactement du temps, une explosion lointaine ébranle le sol, un feu d’artifice monstre éclaire pendant plus d’une heure toute la région : c’est le dépôt de munitions de Bas-Beaurains situé sur la rive Est du canal qui saute.

Une dernière explosion suivie d’une avalanche de pierres, poutres, tuiles, etc.… s’abat sur nous complétant ainsi le barrage ennemi déjà si intense.

C’est à ce moment qu’en compagnie du Caporal Hudelot et de Barry nous découvrons un prisonnier blessé, abandonné, nu jusqu’à la ceinture, dans une cave. Il a les reins traversés par un éclat de 75 et le bras droit cassé. Le Caporal le traîne sur son dos jusqu’à la Mairie, d’où on le porte au P.C de la Compagnie, dans une toile de tente au milieu du barrage qui ne cesse pas une minute.

Enfin, vers le jour, on envoie chercher la relève annoncée pour 4 heures et qui arrive à 5 h ½.

Le 42ème B.C.P nous relève sur place après que la liaison avec le 226ème fut établie.

Nous partons à toute allure dans la plaine sous le tir toujours intense de l’artillerie et des mitrailleuses ennemies. J’accompagne un blessé du 42ème qui descend, car aussitôt la relève ce Bataillon a attaqué Bas-Beaurains et pris pied de l’autre côté du canal dans ce hameau.

A Porquéricourt, nous rencontrons le Lieutenant Pache (Louis) qui remonte avec 2 brancardiers chercher le cadavre du Lieutenant Simard (Albert) tué la veille à l’attaque de Beaurains.

A 8 h nous sommes installés dans le ravin Ouest de Porquéricourt en bas de la montagne du même nom.

Les brûlures me font mal.

La journée se passe à aménager nos trous et à nous reposer. 

31 août 1918 :

Repos. Je vais à la visite pour mes brûlures auxquelles on ne peut rien me faire ! Un lavage au permanganate qui me jaunit la peau sans me faire du bien.

1er septembre 1918 :

Repos. Visite. Corvée

Au Poste de Secours je vois le cadavre de Mauclair (René) tué le 29.

Je l’arrange convenablement dans une toile de tente.

2 septembre 1918 :

Repos. Je ne vais plus à la visite puisque notre sympathique et dévoué Major ne veut rien me faire.

3 septembre 1918 :

A 0 heure, l’artillerie française, ayant fait une concentration dans les bois, déclenche un tir de destruction sur les postions de Genvry-Senicourt.

Ce village situé sur une petite élévation de terrain et entouré de marais et de trous d’obus, arrêtant notre avance depuis le 31. Donc le 3 à 0h, notre artillerie l’écrase sous un tir de tous calibres du 75 au 220 ! La terre tremble, nous ne pouvons dormir, je monte sur la crête à l’observatoire.

Quel spectacle ! Le village et ses abords ne sont qu’explosions et fumées dans la nuit.

A 5 h ½, le 44ème (B.C.P) attaque et, malgré ses pertes, il enlève le village et les marais et progresse au-delà dans la direction de la route de Guiscard à Noyon, pendant que la D.I de droite enlève le Mont Saint Siméon et les bois qui le couronnent.

Dans la soirée, de nombreux prisonniers et des blessés allemands arrivent (environ 400) Une demi Section les conduit à Cuy au P.C de la D.I

4 septembre 1918 : Nous touchons des cartouches, des fusées et des grenades, puis nous partons en éclaireurs devant le Bataillon qui a reçu l’ordre d’avancer, de dépasser le 44ème (B.C.P) et de prendre contact avec l’ennemi qui se replie sans cesse devant nous.

 

Nous retraversons Porquéricourt, puis franchissons le canal, passons dans Genvry en ruines et encombré de cadavres allemands.

Après plusieurs pauses, nous arrivons à la route de Guiscard que nous traversons sans entendre un coup de canon.

Au champ de tir de Poilbarbe, nous faisons halte sous les pommiers, ma section s’avance dans le ravin en éclaireurs. C’est là que nous découvrons un détachement allemand : 4 hommes, 4 voitures et un Sergent qui sont occupés à faire manger leurs chevaux et eux-mêmes. Ils semblent étonnés de nous savoir déjà là.

Ils se rendent avec bonne grâce, devant la fatalité ils s’inclinent. Je les interroge, en allemand, sur la position des leurs, ils déclarent ignorer l’ordre de repli et finalement on les accompagne dans nos lignes après que j’eus demandé au Sous-officier boche sa montre qui depuis m’a rendu service.

De nombreux prisonniers défilent encore, encadrés par les Coloniaux qui les emmènent à l’arrière. Parmi eux se trouvent de nombreux Officiers supérieurs.

Vers 15 heures, la marche reprend, ma section en pointe d’avant-garde.

Nous devons dépasser la D.I de droite, le mouvement s’opère sous bois, finalement nous perdons contact avec le reste du Bataillon que nous retrouvons à la Ferme Son Plaisir au milieu du Bois d’Autrecourt.

 

Nous repartons vers 18 heures avec la mission de maintenir la liaison avec le 360ème R.I et avec le reste de la Compagnie. Mais la marche est pénible à travers bois. La nuit tombe, pas de 360ème ni de 3ème/114ème . Perdus dans les bois, nous nous dirigeons vers le Sud et débouchons dans Béhéricourt où nous trouvons des Zouaves, mais pas de 114ème.

Enfin, vers 23 heures, nous retrouvons la 3ème Compagnie dans une carrière au-dessus de Grandrû. C’est alors que nous nous reposons quelque peu.

5 septembre 1918 :

D’instant en instant, l’ennemi tire sur nous au hasard, ce qui, en l’occasion, signifie qu’il se replie et protège son repli. Mes brûlures me font souffrir et m’empêchent de marcher.

Au jour, nous repartons en patrouille avec le Sergent Guerchet vers Grandrû que nous occupons, et visitons pour chercher le contact avec les Dragons à Pied de l’Escadron Divisionnaire. Le contact est trouvé, puis nous repartons chercher le contact avec l’ennemi qui se retire sans cesse. Nous nous arrêtons dans une vigne en avant d’Héronval, puis repartons ensuite occuper le hameau.

Au bord de la route, la patrouille fait halte disposée en tirailleurs dans les fossés. Quelques instants après, la Compagnie arrive et, à son tour, s’étend en tirailleurs dans les fossés ; la patrouille repart en avant, très loin en avant, reconnaître le village de Crépigny (Aisne) qui semble vide d’occupants.

Nous marchons de chaque côté de la route puis, à l’entrée du village, nous nous séparons en 2 groupes de trois pour pénétrer dans le village dont nous suivons la principale rue. En effet, il est désert, seulement à la lisière Est nous sommes accueillis par les mitrailleurs boches cachés de l’autre côté du ravin de Caillouel dans les vergers.

Notre mission étant remplie, nous nous replions dans une des premières maisons Ouest du village d’où un de nous part porter le compte-rendu au Lieutenant Fontesse. Mais un avion ennemi nous surveillait, un tir violent de 150 s’abat sur l’entrée Ouest du village et nous oblige à nous replier derrière un talus plus à l’Ouest. Vers 11 heures, la Compagnie s’avance et vient occuper le village, la 4ème Section en 2 demi sections aux lisières Est en postes de surveillance. A peine installés dans des caves peu sûres, le bombardement recommence plus violent et par intervalle il s’arrête puis reprend de plus belle.

Vers midi, le Lieutenant Fontesse est blessé en visitant ses postes, peu gravement, c’est suffisant pour être évacué. Le sergent Guerchet prend le commandement de la 4ème Section.

Dans l’après-midi, le tir accroît son intensité si bien que l’on doit retirer les sentinelles et rester dans la cave dont la voûte légère, en briques, constitue un abri peu sûr. D’ailleurs dans la cave où était la 3ème Section un obus de 150 ayant traversé la voûte a éclaté au milieu des hommes en blessant quelques uns et intoxiquant les autres.

Vers 18 heures, le tir ralentit puis, reprend mais moins fort.

Vers 20 heures, l’ordre arrive d’enlever complètement Caillouel (Aisne) « qu’on dit » évacué partiellement par l’ennemi ; mais en arrivant aux lisières la patrouille de couverture est accueillie par un tir très violent de mitrailleuses. Un court combat a lieu puis, nos adversaires s’enfuient à toutes jambes dans le village où nous entrons à leur suite. Là nous sommes dépassés par la 2ème Compagnie et restons en réserve dans une cave immense.

6 septembre 1918 :

Nous repartons bientôt occuper d’autres positions plus propres à être défendues, et la nuit se passe à prendre la garde chacun 1 heure dans un jardin derrière une ferme en deuxièmes lignes.

Au jour, les allemands s’étant retirés, nous reprenons la marche en avant, mais cette fois couverts par la 2ème Compagnie. Nous traversons successivement Béthancourt, Caumont et la Rue-de-Caumont d’où nous repartons le soir en premières lignes dans un bois au Sud de Villequier Aumont.

7 septembre 1918 :

Le reste de la nuit se passe en sentinelles aux lisières du bois et, au jour, les allemands s’étant repliés, nous voyons les 42ème et 44ème B.C.P ainsi que le 226ème R.I nous dépasser (114ème B.C.A et 360ème R.I) et à leur tour prendre contact avec l’ennemi.

Nous restons toute la journée en réserve dans ce bois.

8 septembre 1918 :

Nous sommes encore en réserve dans le bois.

9 septembre 1918 :

A 5 h, nous partons vers l’Est, nous traversons Villequier puis allons occuper le Camp, situé derrière la Ferme de Rouez (Aisne), incendié par les allemands la veille et dont nous sauvons 2 baraques que nous occupons jusqu’à la relève de la D.I.

Tous les soirs nous voyons au loin flamber des villages.

10-12 septembre 1918 :

Nous sommes en réserve de la D.I dans ce camp jusqu’au 12 à midi, jour où nous descendons à Béthancourt.

13 septembre 1918 :

Nous quittons Béthancourt au jour, gagnons la route Chauny – Noyon et par Marest-Dampcourt, et Baboeuf nous gagnons Salency où nous prenons un repos bien mérité.

La Compagnie va se reformer ayant ses effectifs réduits des 2/3.

 

 

Opérations en Belgique du 30 septembre 1918 au 14 octobre 1918

 

30 septembre 1918 :

Après avoir embarqué en chemin de fer à Estrées Saint Denis (Oise) le 114ème est dirigé le 29 septembre par Montdidier, Amiens, Abbeville, Etaples, Boulogne, Calais, Saint Omer, Hazebrouck  d’où nous partons sur Caestre où nous débarquons sous une petite pluie fine et pénétrante propre à la région des Flandres.

Quand le débarquement est terminé, nous traversons le village assez endommagé, puis gagnons la ferme de l’Hagedoorne près de Godewaersvelde où toute la 3ème Compagnie plus la 2ème sont logées dans les écuries.

La pluie tombe toujours transformant en marais les prairies environnantes et en rivières les routes de la région.

Triste pays.

Je passe la journée à faire les feuilles du prêt qui doit être payé le lendemain.

A 9 heures du soir, j’ai les ordres pour le lendemain.

1er octobre 1918 :

On part au jour, le temps s’est éclairci, nous traversons Godewaersvelde, Boeschèpe et de là, la frontière belge que nous passons vers 10 heures.

Nous mangeons la soupe puis, vers 15 h, nous partons et gagnons Westoutre en ruines au pied du Mont Rouge près du Mont des Cats que nous avons à droite, couronné par le monastère.

Nous nous arrêtons à flanc de côte et établissons les tentes.

Le Bureau de la Compagnie est installé dans une ruine aménagée avec des tentes.

Nous avons par temps clair un panorama superbe : A droite, le Kemmel, puis Wytschaete, Ypres et ses ruines et le front belge qui se termine au fond par la masse sombre de la forêt d’Houthulst et s’éclaire la nuit d’innombrables fusées.

En face de nous, Poperinghe avec son clocher gothique et ses façades aux pignons flamands.

Plus loin, Proven et par temps clair Furnes et la ligne bleue de la Mer du Nord complètent ce tableau.

A gauche, le Mont des Cats et quelques villages moins visibles que le reste.

La nuit, quand le brouillard n’est pas trop intense, les phares de Dunkerque et de la côte belge éclairent l’horizon.

2-8 octobre 1918 :

Nous sommes toujours dans l’attente et nous organisons le camp petit à petit.

Enfin, le 8 au soir, les ordres arrivent : nous devons partir le lendemain.

9 octobre 1918 :

A 7 h 30, la Compagnie part. Par Westoutre, Reminghelst, Poperinghe, Crombeke, nous gagnons le camp anglais de Roosbrugge-Haeringhen à la frontière française.

10 octobre 1918 :

La journée se passe dans l’attente de nouveaux ordres qui arrivent à 17 heures.

Nous partons à 23 heures du camp et par Crombeke, Westvleteren, Oostvleteren, le canal de l’Yser, nous arrivons au petit jour, le 11 octobre, dans les anciennes premières lignes belges près de Merkem au milieu des marais.

Nous passons la journée dans cet endroit.

On n’a aucun moyen de s’installer, aussi passe- t’on la journée à dormir dans les quelques abris de la région.

Vers 17 h, on repart pour prendre des positions plus avancées. Il pleut à torrents, la nuit est obscure, on est obligé de s’éclairer avec nos lampes de poche pour ne pas quitter le caillebotis hors duquel on tomberait dans le marécage et pour s’en retirer c’est une affaire très compliquée.

Nous marchons toute la nuit, de plus en plus obscure et sous la pluie de plus en plus violente.        

12 octobre 1918 :

Nous arrivons dans ce qui fut la forêt d’ Houthulst. Là, embouteillage de la route, à droite un convoi de camions monte, à gauche une rangée de tanks, gros et petits, sont au repos attendant le moment de monter.

Les premiers obus nous arrivent et éclatent dans la boue liquide qui couvre les routes et les chemins.

Après une marche lente et pénible et toujours sous la pluie battante, nous cheminons dans la forêt dévastée et, vers 3 heures, nous arrivons au lieu de rassemblement du Bataillon.

Dans un pré inondé près de Vijfwege, pas loin de la station de Westroosebeke, nous nous installons dans la boue et passons le reste de la nuit sous la pluie et les obus.

Dans la journée, nous installons le Bureau de la Compagnie sous 3 tentes individuelles et la journée se passe.

A 18 heures, on part prendre les positions de départ pour l’attaque du lendemain.

La 3ème Compagnie en réserve.

13 octobre 1918 : Au jour, à H –10, le barrage roulant se déclenche, l’attaque a lieu menée par le 360ème R.I en liaison avec les belges et la 77ème D.I  (H : 5h 30)

L’artillerie allemande répond faiblement, quelques obus au hasard, malheureusement un est venu blesser mortellement le Lieutenant Pache, commandant de la 3ème Compagnie, il est décédé le lendemain.

Le sous-Lieutenant Jean, de la 2ème, vient commander la 3ème Compagnie.

Vers 7 heures, nous avançons vers Staden que nous dépassons.

Puis nous passons la journée au pied d’une haie.

Enfin, le soir à 23 heures, non sans peine, je pars en permission, laissant là l’offensive libératrice et ses dangers.

 

14 octobre 1918 :

J’embarque en gare de Westroosebeke

Je ne devais plus entendre d’explosion d’obus.

2 novembre 1918 :

A mon retour de permission, je rejoignis le centre de ralliement de la 70ème D.I à Beveren, près de Roulers, en Flandre Occidentale. Nous étions logés dans les maisons plus ou moins ruinées de ce malheureux village que les allemands défendirent avec assez d’acharnement le mois précédent.

Nous y restâmes jusqu’au 7, date à laquelle nous sommes allés rejoindre le Bataillon à Lootenhulle.

La marche eut lieu dans l’après-midi par Ardoye, Pitthem, Thielt et Poeke.

Je repris, au Bureau de la 3ème Compagnie, mes fonctions de fourrier à côté d’un autre fourrier qui avait été nommé en mon absence, et pour me punir, semble-t-il de mon insistance à partir en permission.

10 novembre 1918 :

J’étais au bureau du Commandant, en train de taper un ordre de mouvement pour monter en lignes le lendemain.

Il était 9 heures du soir quand, en arrière de nous, vers Thielt, un bouquet de fusées s’éleva dans les airs, puis un autre, puis encore d’autres. Je rentrais dans le bureau pour signaler ce fait anormal lorsqu’un téléphoniste entra derrière moi, et vint nous annoncer que l’armistice a été signé le jour même, et que le lendemain 11, à 11 heures du matin, le feu cesserait sur tout le front.

Inutile de décrire la joie qui régna parmi nous ; sûrs, maintenant, de revenir de cette dure campagne.

Quel peut être, en effet, l’état d’esprit d’hommes qui, la veille encore, n’étaient pas sûrs de terminer sans accident la journée commencée et qui, maintenant, savent que ce cauchemar de quatre années est fini, qu’il peuvent espérer sans crainte, qu’ils n’entendront plus le bruit si énervant des canons, le sifflement des obus, le grognement des gros noirs ! C’est fini ! Plus d’abris à creuser, plus de tranchées, plus de garde, plus de gaz, plus d’alerte !

 

 

 

 

 

 

 

 

60 ans après…

 

 

Mars 1918 : Que s’est-il passé pour moi en ce mois de mars 1918 – c’est à dire, il y a 60 ans ? Beaucoup de choses en très peu de temps.

            J’ai vécu les premiers jours de ce mois chez mes parents à Meaux (Seine et Marne)- j’étais en permission combinée, de convalescence- 10 jours de détente, dix jours ! Car je venais de passer presque un mois à l’hôpital complémentaire de Mandres-sur-Vair (Vosges) petit village situé à environ 5km de Contrexéville. J’avais été soigné dans cet établissement pour une maladie bien connue, assez appréciée des militaires combattants : les oreillons, nous étions contagieux, par conséquent isolés, bien tranquilles et, au sortir d’un rude hiver qui ne finissait pas, être bien au chaud, bien couchés, et en plus, bien nourris, semblait une forme de paradis aux pauvres garçons qui s’étaient gelés tant dans le nord que dans l’Alsace. En plus j’avais retrouvé là, comme médecin-chef, le Docteur Cahuzac, qui avait été notre médecin de famille à Troyes.

            J’avais été heureux de retrouver ce Docteur qui m’avait soigné pendant toute mon enfance et qui connaissait bien mon tempérament..

            Mais tout a une fin et après m’être bien reposé et avoir été bien soigné par les religieuses, le 20 février, muni d’une bonne permission, je quittais cet excellent hôpital pour aller à Contrexéville prendre le train qui devait me conduire à Langres, lieu d’embarquement dans le train de permissionnaires qui, par Chaumont, Joinville, Vitry-le François, Châlons -sur- Marne, Epernay, Château-Thierry, m’amena à Meaux le lendemain matin 21 février. Enter temps, j’avais visité Langres, curieuse ville entourée des remparts construits par Vauban, située sur une hauteur. Bien entendu, j’ai visité la cathédrale et j’ai vu d’autres curiosités locales puisque je n’avais mon train que le soir.

           Je passai donc mes vingt jours de permission, et j’eus le plaisir de retrouver mon ancien camarade de Meaux, classe 1915, soldat au 356ème R.I. lui aussi en permission Jean H.

            Et le 14 mars mon séjour terminé, je pris le train en gare de Meaux, accompagné de mon Père et de mon ami. J’étais loin de penser que je ne reverrais plus Meaux ni mon ami H !

            Sur mon titre de permission, il était stipulé que je devais rejoindre Saint Dizier où se trouvait un camp de rassemblement des permissionnaires ayant terminé leur repos.

            J’arrivai là dans l’après midi, au camp de la Tambourine. Ce camp rébarbatif à souhait ne me plut pas et, après avoir mangé la soupe, je me mis en quête d’une chambre pour la nuit où je dormis assez tranquille, sans trop de punaises.

            Le lendemain, je retournai au fameux camp, d’où je fus dirigé sur Connantre (Marne) commune située près de Fère-Champenoise. Il y avait là un camp beaucoup mieux organisé, où je fus immédiatement équipé, habillé, armé à neuf. Et dans la nuit je fus dirigé sur Vitry la Ville et de là à Togny-aux-Bœufs,  à quelques kilomètres de là  où se trouvait la 4ème compagnie du 114ème  B.C.A. au C.I.D. sous le commandement du Capitaine Philippe du 42ème  B.C.P.

            La 4ème Compagnie du 114ème B.C.A. était sous le commandement du Lieutenant Doucet, ancien officier adjoint du Commandant Guillaud. Cet officier avait demandé à faire partie de la mission française près de l’armée roumaine. Mais comme la Russie gouvernée maintenant par les salopards de Lénine a abandonné la guerre et signé le Traité de Brest-Litovsk, le transport des militaires par ce pays n’est plus possible, notre officier adjoint est revenu en France et reprit sa place à la compagnie 4 D, en attendant que l’on ait besoin de ses services au Bataillon.

           

            Nous sommes restés quelques jours dans ce petit village de Champagne. La vie eût été agréable, nous étions au printemps, nous n’étions pas tracassés par les exercices, et en dehors de la corvée de soupe et de nettoyages, nous n’avions à peu près rien à faire. La nuit les avions allemands nous arrosaient bien un peu de quelques bombes, mais sans autre effet que de nous empêcher de dormir.

 

            Vers la fin de la semaine, comme j’avais trouvé à m’occuper dans une ferme du voisinage, le matin, la jeune Dame de la maison m’apprit que le journal qui venait d’arriver annonçait qu’une importante bataille avait commencé dans la région de Saint Quentin qui était depuis quelque temps tenu par l’armée britannique.

Que le front avait été enfoncé, que les allemands fonçaient dans la direction Ham, vers Amiens.

Ceci eut lieu le 21 mars 1918. le dimanche 24, le C.I.D fit mouvement vers Châlons-sur-Marne et le camp ; mais à peine étions nous arrivés au village de La Veuve, que l’ordre vint de faire demi-tour, de contourner Châlons par le sud, et de gagner Matougues  à environ 10 km

            Là nous avons pris le cantonnement en attendant l’ordre de départ, car nous pensions bien que nous allions jouer un petit rôle dans la grande partie qui devenait de plus en plus importante. Sur la voie ferrée, les trains militaires se suivaient filant dans la direction du Nord-Ouest. Nous passions la journée auprès des faisceaux, ne rentrant que le soir pour dormir. Cette attente ne dura pas longtemps. C’est là que nous avons appris le premier bombardement de Paris par la « Grosse Bertha », ce que nous n’arrivions pas à comprendre.

 

            Le lundi 25, l’ordre de départ est venu, puis l’inévitable contrordre. Enfin, à la tombée de la nuit, nous sommes allés sur la route nationale, au rendez-vous des camions qui venaient de l’Est, pour nous enlever.

Pendant notre attente sur le bord de la route les avions allemands nous survolaient sans cesse, mais cependant, ils ne nous bombardaient pas. Pourtant ils devaient nous apercevoir, car il faisait un beau clair de pleine lune. Il est vrai qu’avec le clair de lune, nos capotes bleu horizon, sont pratiquement invisibles. Tout d’un coup, un de ces oiseaux de malheur descendit vers la voie ferrée parallèle à la route, où les trains se succédaient sans trêve. Visiblement, il cherchait la voie, il la suivit un moment, puis après le passage du suivant, il se rapprocha encore et à quelques mètres au-dessus de la voie, il déposa une bombe à retardement et remonta en vitesse et fila vers le gros de l’escadrille. Nous ne pouvions pas tirer,  c’eût été dévoiler notre présence et faire tuer des hommes inutilement.

 

            A peine le ‘’ Fokker ‘’ parti, arriva un train. Nous tremblons de crainte de voir éclater la bombe. Le train passa à faible vitesse, comme il convenait quand il s’agissait de forts convois. J’avais les yeux fixés sur l’endroit où j’avais vu déposer la bombe. Il ne restait plus que quelques wagons à passer sur l’explosif, plus que quatre, plus que trois, plus que deux, puis le dernier s’engage, il va passer, quand tout d’un coup la bombe éclate, vraisemblablement sous le dernier essieu.

            Le convoi chargé d’hommes, l’a échappé belle. Le train s’arrêta, le wagon blessé fut renversé rapidement sur le côté de la voie et reprit ensuite sa course vers son but. Néanmoins, nous n’étions pas rassurés sur son sort, nous avions peur de voir revenir l’avion meurtrier.

 

Il ne revint pas, et pendant cet incident, nos camions arrivaient.

L’idée ne nous vint pas que le long serpent de voitures sur cette route blanche de Champagne, devait être encore plus visible que le train. On s’installa dans ces très inconfortables véhicules : juste assez vastes pour soutenir une vingtaine d’hommes assis sur de très étroites banquettes, gênés par notre équipement, et nos sacs, fusils entassés au milieu du camion, et ce qui était le comble de l’inconfort, le sus dit camion monté sur des roues sans pneus, et à bandages de caoutchouc pleins.

Et ce pénible voyage devait durer jusque dans la nuit suivante !!

 

            Vers le matin suivant, après avoir un peu sommeillé, je vis pointer le jour dans la traversée de Dormons sur la route pavée. Là, la course ralentissait, il y avait dans la traversée des localités, ‘’les bouchons’’ plus ou moins importants.

            Finalement, vers 10h30 / 11heures, nous sommes à Château-Thierry à 50 km de chez moi. Quelques kilomètres avant cette ville, nous sommes tombés en panne, nos conducteurs se mirent à en chercher la cause ; c’était de braves malgaches qui étaient très dégourdis. Au bout d’un moment nous sommes arrivés en haut de la célèbre côte dite ‘’de Bezu‘’ très raide, près de la seconde gare de Château-Thierry, nous avons rejoint notre convoi.

 

            Là, nous avons mangé nos provisions et pendant ce temps, nos chauffeurs malgaches se sont reposés. Les braves garçons en avaient bon besoin, car ils étaient venus nous prendre près de Châlons depuis la région de Verdun ! Je profitai de ce repos pour envoyer à mes parents, une carte postale de Château-Thierry que je postai à la gare voisine ce qui a beaucoup intrigué mon père, la carte avait le cachet postal de la petite gare et non celui réglementaire du secteur postal de notre Division !

            Vers 14 heures, le convoi se remit en route, en suivant la route de Soissons, à quelques 20 km de notre arrêt, la longue file de camions bifurqua sur la gauche et par Neuilly St Front et la Ferté –Million nous sommes arrivés à Villers-Cotterêts et sa forêt.

Nous connaissions ces lieux où nous avions déjà circulé et cantonné l’année précédente. Nous entrions ainsi dans le pays du Valois, ce très beau pays de forêt. De cette couronne de forêt, qui ceinture l’Ile-de-France, ancien domaine des 40 Rois qui en mille ans firent la France, cette France que mille propres à rien avaient maintes fois conduite au désastre et qu’une fois de plus, la jeunesse de ce pays était en route pour l’en retirer, et ce ne serait hélas pas la dernière !

A partir de la forêt de Villers, les embouteillages commençaient, surtout causés par la fatigue, autant du matériel roulant que des conducteurs, car dans les différents carrefours forestiers, s’entre croisaient les convois, provenant de diverses directions, et convergeant vers le même point : l’endroit où commençaient à affluer les troupes françaises en retraite, les troupes allemandes qui poursuivaient leur avance.

 

Le soir arrivait, comme nous sortions de la forêt de Compiègne, aux abords du Château où siégeait le grand quartier général de l’Armée française commandée à ce moment par le général Pétain.

            Le G.Q.G. lui-même se trouvait lui aussi pris dans la danse, il se préparait à quitter ces lieux pour reculer vers Paris : la grande cour était pleine de caisses réglementaires d’Etat major.

            Une fois de plus je me retrouvais dans Compiègne, où l’année précédente j’étais passé plusieurs fois. Nous avons eu là, plusieurs arrêts : le pont sur l’Oise, puis le passage à niveau, où les trains militaires se succédaient, où les soldats débarquaient avec leur matériel, car les allemands arrivaient à Noyon ! Le convoi allait, par Margny se diriger sur Montdidier, lorsque vers 23 heures il fut arrêté sur la route en pleine campagne. Ordre de descendre, prendre la formations de combat et en route en pleine campagne car on ne savait pas où était l’ennemi, on rencontrait beaucoup de gens évacuant qui leur habitation, qui abandonnant tous leurs biens, lâchaient les animaux en liberté dans les champs.

            On a ainsi marché durant toute la nuit, je dormais debout, éreinté par le voyage en camion- 24 heures dans ces cages roulantes, couverts de poussière, car les routes n’étaient pas goudronnées à cette époque.

 

            Vers le matin, notre groupe arriva finalement à un petit village nommé Ménévillers où l’on reçut l’ordre d’occuper une ferme et de nous y reposer. L’idée était bonne, mais je n’en bénéficiais pas ! Premièrement, il fallait monter la garde aux entrées du village.

Or tout le monde n’était pas correctement armé- nous n’étions pas une unité combattante régulière, notre place eut été à quelques lieues plus en arrière, mais il n’y avait pas d’arrière ! Le petit groupe de territoriaux des classes 1897/98 qui étaient depuis quelques jours venus nous renforcer n’avaient que des fusils, baïonnettes d’un autre âge, et pas de munitions valables.

Au total nous n’étions qu’une dizaine de combattants possibles et entraînés.

            Comme j ‘étais connu pour ma connaissance de l’allemand, je fus désigné pour la première garde, à une sortie nord du village où, en principe, on devait voir surgir les assaillants. Or, vers cinq heures du matin, je veillais seul, mon camarade, endormi sur le plancher d’une maison, était un jeune garçon de la classe 1918 et n’était pas très entraîné aux nuits de garde. Tout d’un coup, j’entendis un galop de chevaux, ce n’était pas des allemands, mais des anglais. Je causais avec eux : c’était des artilleurs qui, en déroute, avaient coupé les trait des chevaux, avaient abandonné pièces, caissons et, montés deux par cheval, voyant que nous étions seuls, ils demandèrent à continuer leur route, en nous disant que les allemands étaient derrière eux. Ce qui était faux.

Pendant ce temps notre lieutenant arrivait et prit la suite de la conversation avec les ‘alliés’. En même temps d’autres britanniques arrivèrent, et comme une cuisine avait commencé à fonctionner, ils prirent le ‘Breakfast’ avec nous.

            Comme ils formaient un petit groupe, le chef du C.I.D.  Les forma en une petite colonne qu’il dirigea sur l’arrière comme de vulgaires prisonniers.

            Je dois ajouter que les artilleurs de ‘sa Majesté’ s’étaient aussi débarrassés de leurs armes !! Il faut tout prévoir, n’est ce pas. Mais les chevaux furent conservés, et effectivement ils eurent leur emploi plus tard. Pendant quelques jours, la vie s’organisa. Il y eut d’abord, qu’à la suite d’attaques diverses par les unités combattantes, les allemands eux mêmes fatigués, (ils étaient à pied eux aussi !) furent stoppés hors de Montdidier qu’ils avaient occupée et laissèrent arriver leurs renforts, et souffler leurs chevaux.

 

Et ainsi, nous étions devenus l’arrière, un arrière tout relatif, environ 6 à 10 km au maximum. Et nous fournissions des corvées de travailleurs, où excellaient nos territoriaux. Nous les jeunes, qui étions convenablement armés fournissions des patrouilles de jour comme de nuit. Mais nous arrivions tout de même à manger et à  dormir un peu tranquillement. On fouillait les maisons et particulièrement : cuisines et caves. Et l’on y fit maintes découvertes intéressantes. Cette vie dura jusqu’au vendredi Saint le 29 mars.

            Mais le 30 au matin cela changea brusquement. D’ailleurs, on s’y attendait, l’aviation allemande nous survolait sans arrêt. Nous sommes alertés, car au petit matin, sous la pluie, les allemands attaquent et font reculer la Division, arrivent même jusqu’à un bois où se tient en réserve une compagnie du 114ème. Alors, me voici, tantôt de corvée de munitions, de travaux ( on creuse hâtivement une seconde ligne de tranchées, même des emplacements de mitrailleuses) je fais une liaison avec ce bois qui d’un moment à l’autre va être encerclé, qui effectivement le fut vers midi. Puis retour au village pour manger et retour au travail.

 

            J’ai raconté cette journée dans des souvenirs de guerre qui étaient encore frais dans ma mémoire, ceci les complète un peu par certains petits détails.

 

La résistance de la 3ème Compagnie / 114ème a stoppé les allemands et dans l’après-midi, ils se mirent à reculer et abandonnèrent le bois. Il y a eu des morts et des blessés graves. Vers le soir, toujours sous la pluie, des renforts arrivent, une division vient nous relever. Il était temps.

            Heureusement, un important repas de volailles, de légumes nous attendait, arrosé de divers liquides précieux trouvés dans nos patrouilles. Aussitôt le repas terminé, tout le monde dormait.

             Mais à minuit : tout le monde debout, avec chargement complet : sac, armes, munitions etc. et, en avant, dans l’obscurité et toujours sous la pluie ! Nous traversons un village vide d’occupants et, sortant de cette localité, nous prenons la formation de combat, couverte par quelques éclaireurs ; dont une fois de plus, je fais partie. Cette fois, plus de route, mais des champs, où nous enfonçons à mi-mollets. Et soudain, arrêt subit.

Quelqu’un a entendu marcher. Qu’est-ce que cela peut-être ? Peut-être une patrouille allemande ! Tout le monde se couche à terre. Si pourtant, c’était l’ennemi, il nous aurait entendus clapoter dans la boue, et puis il aurait envoyé au moins une ou deux fusées. C’est ce que nous aurions fait si nous en avions eu une au moins de ces projectiles, mais hélas, nous n’en avions pas !

Ni même de pistolet spécial !

Le Lieutenant est venu nous rejoindre.

Effectivement, il entend marcher, mais cela ne semble pas s’approcher de nous. Il prit alors la seule décision logique, envoyer une reconnaissance, je pars avec un de mes gars de la classe 18, l’arme chargée à la main. De temps en temps on s’arrête, on n’entend plus marcher, tout d’un coup : ‘ Meuh ! Meuh ! c’était un troupeau de bêtes : vaches, bœufs, chevaux qui couraient la campagne en liberté.

            Un formidable éclat de rire accueillit ces mugissements, ce qui détermina ce malheureux troupeau à faire demi-tour en vitesse.

            Et nous, nous avons repris notre marche en avant, et nous avons occupé le premier village qui était devant nous : Courcelles-Epayelles. Et la nuit se termina dans ce village, après encore été faire une corvée de munitions, et allant dormir dans une cave pleine de betteraves excellent matelas pour des jeunes garçons épuisés de fatigue.

 

 

            Le lendemain jour de Pâques le 31 mars, repos, nous sommes en réserve, en cas d’attaque allemande. J’en profite pour visiter les lieux et de découvre que nous sommes dans la cave d’une auberge-épicerie, assez bien garnie de provisions, il y a même des poules dans le poulailler avec les œufs de deux jours. Avec les camarades  nous faisons un sort à ces provisions. Vers le soir, un violent bombardement est venu gêner notre repas. Alors : blessés, tués, poste de secours. Pour compléter cette journée, corvée de grenades sous le bombardement.

           

Le lendemain 1er avril, je suis affecté à la 3ème Cie du 114, et le soir nous sommes relevés par des unités d’Infanterie. Nous partons pour l’arrière à Méry, où nous restons quelques jours en réserve avec les distractions habituelles : travaux, corvées et nous retrouvons nos cuisines roulantes qui sont venues par la route depuis Châlons. Quel plaisir de manger une bonne soupe ! Nous recevons du supplément entre autres du pain ce qui me manquait le plus.

 

 

            Du 11 au 16 avril nous sommes en position au fameux bois de Vaux. Nous pourrissions lentement mais sûrement, dans des trous de boue au coin du petit bois du département de la Somme, région humide s’il en est.

            L’offensive allemande semblait se calmer, et un soir nous les avions repoussés pendant une bonne partie de la journée, la nuit venue, notre Bataillon s’est arrêté à l’orée d’un petit bois d’environ 200m de largeur et, pour ‘couvrir’ le détachement, on a envoyé en avant de ce petit bois, deux hommes en pleine obscurité, et sous une petite pluie fine et pénétrante avec mission de s’installer à l’angle du bois face à l’ennemi. D’autres sentinelles furent installées tout le long du bois, avec promesse d’une rapide relève.

            Sous la pluie, dans le noir, le temps est long à passer.

Que faire, sinon s’allonger dans la boue et attendre le jour, et, peut-être la relève. Le jour arriva dans la grisaille mais personne ne vint. Nous avons décidé de creuser des trous individuels pour nous protéger contre une activité possible de l’ennemi.

Mais ceux-ci ne bougèrent pas, seuls quelques canons tant allemands que français donnaient de temps en temps de la voix, pour montrer que la guerre n’était pas finie. De toute la journée, personne ne vint, aucune patrouille, ni amie ni ennemie. Heureusement, j’avais rempli musettes et bidons avant de monter en lignes, et pendant quatre longues journées, personne ne nous a ravitaillés, ni relevés.

Mais les allemands, eux ne nous oubliaient pas, et de temps en temps, il fallait plonger dans nos trous. Finalement il a bien fallu trouver à manger, mais cela fera peut-être le sujet d’autres souvenirs.

            Je dois bien avouer qu’il fallait sinon manger, mais au moins dormir. De temps à autre, un de nous piquait un sommeil, l’autre prenait la garde. Petit à petit, les deux artilleries se réveillèrent, et les rafales de 88 et de 130 allemands se croisaient au-dessus de nous avec nos 75 et 155, sans toutefois nos atteindre.

Pendant la nuit, nous entendions des patrouilles allemandes qui erraient de-ci de-là dans le « No man’s land »mais ne nous ont jamais trouvés.

 

            Nous en étions environ au huitième jour de sentinelles toujours sans relève, mais au moins ravitaillés. Nous recevions même de l’alcool solidifié pour tant bien que mal réchauffer la nourriture. Le pire était que nous sentions une certaine tension autour de nous, oui, cela sentait que les opérations pourraient reprendre chaque jour et chaque nuit. Les bombardements et patrouilles prenaient du mordant. Bien des fois des 88 tombaient autour de nos trous, sans toutefois l’atteindre. Nous avions fini par quitter notre trou, nous réfugier dans le bois quand cela devenait trop dangereux. Refuge illusoire, mais de là nous pouvions nous échapper, et nous étions relativement au sec.

            Puis une nuit tout l’orchestre entra en furie.

Tous les nôtres  75-120-155-220, puis toute la gamme des allemands 77-105-130-150-210 se mirent subitement de la partie, et au bout d’un moment je sombrais dans le sommeil. Mon copain tenta en vain de m’éveiller. N’y parvenant pas, il me laissa et fila dans le bois. Combien de temps cela dura-t-il ? Je ne l’ai jamais su. Le tir fou a dû s’arrêter aussi bêtement qu’il avait commencé, et le silence m’éveilla au milieu de la fumée, je sentais venir le jour, je regardais autour de moi : j’étais couvert de mottes de terre, de brindilles de bois, mais sans blessure. Heureusement, il n’y a pas eu les gaz !

            Je cherchais mon camarade, personne !

Où diable était-il passé ?

Au bout d’un moment, dans le brouillard qui s’était levé, j’entendis des voix françaises ?

Allemandes ?

Puis au ras du sol, deux, trois, quatre casques ! Et une voix disant : le voilà ! Les braves gars me croyaient volatilisé et là, j’étais sûr qu’une partie de la nuit, j’ai dormi sous le bombardement. J’en suis resté abruti une partie de la matinée.  

 Là, ce fut la misère, et cela dura jusqu’au 16 où des fantassins sont venus nous relever : c’était, si je me rappelle bien le 34ème R.I. en moins de deux nous faisions nos adieux à ces garçons, que, tout bas nous plaignions de tout notre cœur pour la misère qui les attendait.

Et sous une nappe d’ypérite, avec le masque sur le nez, nous sommes allés par Courcelles complètement détruit, par Méry, Ménévillers, et contournés à Neufuy-sur Aronde, en attendant d’aller sous d’autres cieux.

 

 

      Réflexions sur ce séjour le 4ème dans ce département de l’Oise, un très beau pays, mais si mauvais pour y faire la guerre ?

 

            J’y ai perdu un excellent camarade originaire comme moi, de Troyes.

Il a été tué le 30 mars 1918 au combat du bois de Vaux, blessé à la gorge. Il a été enterré au cimetière du petit village du Frétoy, voisin du bois de Vaux. Il a été relevé en 1919 et transporté à Troyes. J’ai su ce détail par une de ses sœurs, lors de mon dernier voyage en mai 1919.

            Un officier que j’estimais beaucoup, le lieutenant Xavier Vallat, chef de section à la 3ème Cie/114ème, a perdu une jambe entière, toujours dans cette affaire du 30 mars 1918.

            Il a survécu à cette terrible blessure.

Je l’ai retrouvé fin 1919 et les années suivantes, député de l’Ardèche. Il devint ministre du gouvernement du maréchal Pétain en 1940 ; en 1944 il a été libéré et est mort et enterré à Lyon le 8 janvier 1972.

 

 

            Ceci en ce qui me concerne personnellement.

            Pour l’ensemble de la guerre, ce que j’avais prévu arrivait :

            Pendant notre séjour dans le bois, il nous arrivait de temps à autre des journaux, entre autres « Le Matin »

            Nous avons appris ainsi qu’au début d’avril, l’attaque allemande ayant été stoppée devant Amiens et Compiègne, le Haut Commandement de cette armée attaqua le front anglais entre Ypres, Arras et bien entendu, il l’enfonça.

En vitesse, on amena des troupes prises sur d’autres secteurs, même on rapatria toutes les divisions alpines parties en Italie en octobre 1917 ; et péniblement le trou fut bouché aux Monts de Flandre, le Kemmel, le Mont Rouge, le Mont de Cats. Mais les combats s’y poursuivirent encore pendant une partie de mai.

 

            Fin mai, début juin, la 3ème offensive commença et fut la plus grave.

Elle faillit bien réussir.

Ce fut au fameux Chemin des Dames que les allemands percèrent le front. Ce secteur, depuis la fin des combats en octobre 17, était devenu calme, si calme, que l’on en tire des troupes pour stopper des deux offensives précédentes, il n’y avait en somme qu’un rideau de troupes pour défendre ce massif.

Après une brutale et rapide préparation d’artillerie, le 27 mai, les allemands enfoncèrent ce rideau et en quelques heures arrivèrent à Fismes, puis poussèrent jusqu’à la Marne qu’ils franchirent en plusieurs endroits, et par Château-Thierry, se dirigèrent sur Paris.

            On était revenu au front de septembre 14. Pourtant cette percée fut encore stoppée.

            Vers le milieu de juin, une 4ème percée fut tentée sur le front de Champagne, de Reims jusqu’à la Marne.

Ce fut encore un échec.

 

            Ce qui suivit fut l’offensive du 18 juillet, l’armée française et ses alliés, anglais, italiens et pour la première fois, les américains entamèrent l’offensive qui devait nous mener au 11 novembre.

 

            Mais encore une fois, à quel prix ? On était loin des « cinq cents mille jeunes français étendus sanglants, morts sur leur terre mal défendue » ! Prédit par un journaliste français quelques années auparavant !

            Ce massacre aurait pu être considérablement réduit si les bolcheviks de Lénine ne nous avaient pas abandonnés et permis aux allemands ces coûteuses offensives. J’ai conservé une terrible haine contre tout ce qui est communiste, nous avons trop perdu du monde, pour oublier cela. Et j’espère qu’un jour viendra où cette vermine rouge sera détruite et mise hors d’état de nuire.

 

 

                        En regardant le calendrier ce matin, j’ai vu que la date de ce jour me rappelait le 28 avril 1918 où justement nous quittions une fois de plus le département de l’Oise, en embarquant en gare de Clermont précisément pour le secteur des Hautes-Vosges où j’allais pouvoir chercher un plus à ma jeune vie après par deux fois avoir failli la perdre.

            Nous étions au printemps et le printemps dans cette partie des Vosges mérite d’être vécu, surtout en voyageant comme nous le faisions en ces temps.

C’est à dire, à pied.

On ne nous embarquait que quand on allait loin.

            En effet, ce fut un assez long voyage. Parti de Clermont dans l’après-midi, le train nous conduisit par l’inévitable gare régulatrice du Bourget par : Meaux – Château-Thierry - Châlons – Vitry – Joinville – Mirecourt – Neuf-Château – Epinal, pour s’arrêter à Remiremont.

            Et pour terminer le voyage, par la route de Gérardmer, on fit à pied les 16 kilomètres qui nous séparaient du Tholy. Vraiment, c’était le printemps !

Un printemps de montagne. Je n’avais jamais vu cela. Comme beaucoup d’autres villages de cette belle région, le Tholy  a son centre administratif sur une hauteur : mairie, église, écoles, et un très bon hôtel. Le reste de la commune se trouve dispersé en plusieurs petits hameaux, tant sur les flancs de la montagne que dans la vallée.

            Assez bien logé dans les dépendances de l’hôtel ou siégeait notre Etat-Major, où j’étais employé au bureau du commandant, j’ai passé là quelques belles journées. Au début mai, nous avons repris la route et par Granges, Corcieux, Saint- Léonard, nous avons fait halte à la Croix-aux-Mines.

            Là aussi, je fis un bon séjour. Le bureau était installé dans l’école de filles et j’y logeai. Là, tout comme au Tholy, le centre officiel du village était perché sur la montagne, et tous les hameaux qui le composaient étaient disséminés un peu partout, et ainsi les compagnies étaient logées dans tous ces hameaux.

            Parmi mes travaux de bureau, j’avais outre la machine à écrire, à m’occuper des cartes et même à en enseigner le fonctionnement.

            Il était très curieux de voir l’ignorance de nombreux gradés à ce sujet. Au premier étage, il y avait le logement de l’institutrice, une dame d’environ 35/40 ans, dont le mari était douanier.

La Croix-aux-Mines, avant la guerre de 14/18, se trouvait à peine à quelques kilomètres de la frontière.

            Cette dame, voyant que je possédais une certaine dose d’instruction primaire, et que je lisais beaucoup m’employait à corriger le soir les cahiers de ses élèves, tandis qu’elle préparait ses cours du lendemain. Ainsi je ne perdais pas mon temps. Du haut de cette école, on jouissait d’un panorama superbe, on dominait la cuvette qui s’étendait vers Saint-Dié, et toutes les crêtes étaient autant d’observatoires des allemands, qui de temps en temps envoyaient des obus sur cette ville. De cette ville partait une route qui franchissait la frontière et gagnait Ste Marie-aux-Mines.

Toute cette région montagneuse à base granitique, est garnie, dans ses profondeurs de gisements métallifères assez variés, mais où le plomb argentifère domine. En 1918, dans certains endroits, on y travaillait encore. De là, tous ces noms de villages qui le rappellent : La Croix aux Mines, Ste-Marie-aux-Mines, Ste Croix-aux-Mines. Etc.

 

            Les meilleures choses ayant une fin, arriva le moment de partir pour occuper le secteur qui nous était désigné : secteur du Violu, sous secteur de la Cude – subdivisé en groupes de combats. Notre Etat Major et les services annexes étaient logés dans des abris à demi souterrains adossés à la montagne, établis sur une route qui avait été construite dés le début de la guerre, et toujours entretenue depuis par le Génie. Il faut dire que depuis le début des hostilités, les positions des armées adverses n’avaient pratiquement pas changé.

 

 

            Ainsi, depuis l’hiver 14/15, on peut lire dans les communiqués : activité de mines, coup de mains au Violu. Tous ces combats qui semblent peu importants, ont cependant servi à peupler richement les cimetières des environs, tant allemands que français, et n’ont pratiquement servi à rien.

Je ne m’appesantirai pas sur ces mini-massacres, sur les péripéties où j’ai été participant.

            Je suis monté en secteur avec l’Etat-major mais je n’y suis pas resté longtemps.

Au bout de quelques jours, j’ai dû rejoindre ma compagnie, la 3ème car, après notre séjour dans la Somme, le mois précédent, les effectifs avaient fondu.

Et, un autre fléau avait surgi, des deux côtés de la ligne du front : « la grippe espagnole » Comme tout le monde, j’ai eu ma petite part, mais je n’ai pas été arrêté trop longtemps.

Même, dans notre unité, si tous étaient touchés « tous n’en mouraient pas » et il faut dire que personne n’en est mort au 114ème B.C.A.

Mais les locaux d’infirmerie étaient pleins de fiévreux, et les postes avancés, eux presque vides.

Si bien que, tours de garde, coups de mains sur les postes ennemis et coups de mains ennemis sur nos postes, et en plus les corvées qui se succédaient, ne nous laissaient aucun repos. Aussi, le moral n’était pas haut, en plus pour moi la situation s’aggravait, du fait que depuis les 30/31 mai, la voie ferrée Paris –Nancy, était coupée à Château-Thierry par l’offensive allemande du Chemin des Dames.

Je ne recevais plus de courrier de ma famille, et l’armée allemande se rapprochait de Meaux. Ainsi, la situation militaire revenait au bout de 4 ans à ce qu’elle était en septembre 14.

 

            En moi-même, je frémissais de rage contenue : connaissant l’endroit où avait eu lieu la percée, le prix qu’avaient coûté les combats livrés pour s’y installer, je flairais une trahison des E.M.

            On allait se battre chez nous, et nous étions occupés à des petites opérations coûteuses et si parfaitement inutiles ! Bien sûr, cela se calma en moi, au reçu d’un paquet de lettres et aussi à l’annonce de l’arrêt de l’avance allemande.

            Quelques jours de repos un peu en arrière, et en compagnie de quelques bons camarades, le calme revint en moi, juste à point pour remonter prendre la garde dans une petit poste avancé qui se  révéla aussi calme, que l’autre, le n°6 avait été affreusement agité. Je découvris que ce poste avait été un observatoire abandonné pour quelque raison, et totalement oublié, car j’y trouvai une superbe jumelle binoculaire, comme en possédaient les observateurs d’artillerie, en très bon état, et à très fort grossissement.

Je résolus de m’en servir pour mon propre compte, car de cette pointe de roc, j’avais, même à l’œil nu, une très belle vue sur la plaine d’Alsace, depuis Sélestat, jusqu’à la flèche de la cathédrale de Strasbourg ; celle-ci je l’apercevais au lever du soleil avec la binoculaire et le soir, de même au soleil couchant.

 

            Ah ! Quelle révélation, quand le premier matin, lorsque je fus désigné de garde pour toute la journée, j’ai eu devant moi ce magnifique pays, pleins de villages habités, plein de verdure, plein de cours d’eau, avec la brume sur le Rhin ! Je voyais ce pays, berceau de ma famille, dont j’avais tant entendu parler dans mon enfance !

            Dans ce poste isolé, simplement défendu par quelques chevaux de frise, nous n’étions que deux le jour et ce chiffre n’était que théorique, car, vu les effectifs réduits, l’un pouvait dormir pendant le jour, pendant que son camarde guettait au créneau. Ayant déjà été observateur dans un autre endroit du front (St Quentin)- j’étais passionné pour cette fonction, et armé de la fameuse binoculaire, je passai plus d’heures à regarder et à éplucher le splendide panorama que j’avais devant moi.

 

            La nuit, pour éviter toute surprise, nous vous replions à une centaine de mètres en arrière, et là, je dois le dire, mon camarade souvent veillait seul et me laissait volontiers m’endormir. Comme, avant de monter en lignes, j’avais reçu une carte d’E.M, je l’avais conservée et cela m’a permis d’analyser le terrain que, nos adversaires, et nous nous occupions. J’en ai encore assez le souvenir en tête, pour après 60 années, pouvoir en donner quelques explications.

 

            Le sommet sur lequel nous étions perchés était un bloc de granit de 993 m d’altitude, complètement dénudé par les bombardements qui s’y sont répétés depuis 1914.

En français il s’appelle la « tête du Violu » Nos postes étaient légèrement en contrebas du sommet, et situés à peu près à l’ancienne frontière de 1871-1918 ; nous faisions face, à l’Est et au Nord, et en contrebas, nous dominions le Col Sainte Marie et sa maison douanière, qui elle était occupée par un détachement de dragons français. Juste en dessous de nous, il y avait un sommet : le Bernhardstein, occupé par les allemands- au Sud, nous étions épaulés par d ‘autres sommets dont j’ai toujours plus ou moins ignoré les noms, et derrière nous la France.

 

Au Nord du Col Sainte Marie, il y avait le Roc du Haut de Faîte, occupé par les mitrailleurs allemands qui par instant, nous arrosaient par quelques rafales. De temps en temps, un avion de l’une ou l’autre armée venait se rendre compte si nous étions toujours là. Mon observatoire étant recouvert de rondins et de terre, j’échappais aux vues de ces curieux. Ils s’occupaient davantage des autres potes, car pendant les 8 jours que je passais dans ce coin, jamais aucun projectile ne vint me gêner. Je ne voyais pas Sainte Marie-aux-Mines , le Bernhardstein et ses prolongements m’en empêchaient. Mais, je voyais très bien les habitants de Ste Croix-aux-Mines, travailler tranquillement dans leurs terres. Pour une fois, j’avais sous les yeux un secteur de guerre vivant.

Et ce qui dominait toute la région, c’était le fameux Hochkönigsburg, vieux château féodal rétabli dans son état d’origine par les soins du Kaiser Guillaume II. Il ne portait qu’une seule blessure où avec ma puissante lunette, j’apercevais un visage qui faisait la même chose que le mien. 

De place en place, j’apercevais des ruines médiévales sur des cimes, et, toujours grâce à ma lunette, je voyais entre deux collines, au débouché d’une vallée lointaine, une partie d’une gare qui devait-être Selestat. Mais ce qui me frappait le plus, c’était au petit matin la pointe du Münster de Strasbourg éclairée au-dessus des brumes du Rhin et de l’Ill par les premiers rayons du soleil levant.

 

Face à toute cette magnifique étendue, dans le calme de mon poste solitaire, j’avais de quoi réfléchir pour toute ma journée, tandis que mon camarade dormait dans son trou.

Je ne m’étais jamais trouvé dans une telle situation morale.

J’avais vécu 15 années entre les membres de ma famille à Troyes, et trois autres années à Meaux et Paris. Mais là seulement, je me suis senti vraiment à la porte de ce qu’il est convenu d’appeler : Die Heimat, la Patrie.

J’étais pourtant venu une fois en Alsace au début de cette année 1918, mais c’était dans la plaine du Sundgau ; mais ici, c’était autre chose : il y avait la montagne, la forêt, la plaine, les cultures, les villages serrés, sur qui, sans peine je promenais mon infatigable lunette. Alors, je compris pourquoi mon Père parlait avec tant d’émotion se son village de Bitschwiller : il y avait donc la montagne, la forêt, la vie en somme.

Oui, là-haut, au Chipianerkopf, j’ai découvert mon origine. J’ai tout d’un coup réalisé le bienfait de mon éducation alsacienne, de mes lectures.

Les vieilles ruines m’expliquaient les légendes contées chaque année par l’almanach de Strasbourg que je lisais en allemand « le messager boiteux »

Un fait m’est venu bien plus tard en mémoire ; l’année précédente, j’avais été déjà observateur et sans pitié, j’avais maintes fois signalé des troupes et des rassemblements sur lesquels l’artillerie faisait des ravages. Et là, où je voyais toute la vie d’un pays, je n’ai jamais eu l’idée de signaler quoi que ce soit. Il est vrai que je n’étais qu’un observateur ‘ clandestin’ et si j’avais signalé quelque chose, on m’aurait sans aucun doute, enlevé ma si précieuse lunette …

 

 

Cette période a donc été pour moi fructueuse, et de plus d’une façon : ayant l’esprit occupé par des choses intéressantes, je pensais moins aux opérations de guerre qui s’effectuaient dans la région où habitait ma famille, où d’ailleurs l’offensive allemande avait été bloquée.

Dés la tombée de la nuit, vers 10 heures de soir, je me retirais en arrière après avoir soigneusement caché ma lunette et je rejoignais mon camarade au post de nuit. Et là, je ne tardais pas à fermer les yeux. Lui, pendant ce temps veillait et de temps en temps, me rappelait à la réalité : il ne fallait pas être surpris à dormir !

Quelques mots sur mon compagnon de nuit : c’était un prêtre, plus tard, il devint aumônier du Bataillon pour l’heure, il était comme moi un vulgaire grenadier.

Je ne pouvais pas mieux rencontrer !

J’avais vingt ans assoiffé de connaissances, l’esprit très ouvert, j’avais besoin de m’instruire, tout m’intéressait, et le métier militaire me semblait d’un affreux vide !

Je lisais tout ce qui me paraissait intéressant et je recherchais parmi les camarades, ceux qui pouvaient m’enseigner quelque chose.

Or, parmi notre misère, nous avions une chance : nous étions 20 classes mobilisées, nous étions au milieu d’hommes mûrs, en général, de 25 à 35 ans, souvent pères de famille, chef d’entreprises, commerçants, avocats, comptables, etc. j’aimais les écouter parler il y avait toujours des sujets intéressants, au milieu des conversations, et j’en faisais profit.

 

J’ai dit que mon compagnon était prêtre. Il s’intéressait à moi, il était dix ans plus âgé que moi, et avait été un certain temps professeur au séminaire. Il savait que je travaillais volontiers le latin, aussi, pendant les veillées de la nuit, il m’instruisait oralement, bien sûr, car, nous n’avions pas de lumière autre que les fusées éclairantes tant allemandes que françaises. Et au matin, quand il partait, il me laissait un petit bréviaire, qui, comme tous les bréviaires, étaient écrit complètement en latin, pour m’exercer à la lecture du latin, dans les leçons de l’office de nuit et aussi pour les traduire de mon mieux, quand le jour sera levé.

Ce n’était pas tout : au cours de l’hiver précédent, j’avais fait un stage de cartographe, et cela m’avait remis la géométrie en tête, et même mieux que pendant mes années d’études.

 

Et pendant cet hiver 17/18, j’avais fait connaissance d’un sergent-Fourrier, ce qu’on appelle maintenant le sergent –chef, qui était instituteur, un homme de trente cinq ans environ qui s’effrayait de perdre ses connaissances depuis trois ans que la guerre durait.

Pour remplir mes loisirs au bureau de l’état-major, je recopiais mon cours et mieux, je faisais des exercices. Un soir, ce sous officier, me voyant travailler ainsi m’interrogea et comme je lui disais que j’étais très faible en algèbre, il sauta sur l’occasion et me proposa de me faire travailler, ce que j’acceptai aussitôt, et ainsi, du mois de mars il me fit travailler dès que nous pouvions nous rencontrer. Si bien, qu’entre le sous officier et le prêtre j’étais continuellement occupé, et, tant l’algèbre que le latin me sont bien restés en tête, même maintenant, dans mon vieil âge, j’ai eu encore à résoudre des équations et lire du latin.

 

Sous l’influence de ce printemps alsacien, du repos intellectuel de mes semaines d’hôpital, de convalescence, j’avais repris l’activité guerrière avec une tête bien pleine, dont pendant un séjour pénible dans un poste avancé de la Somme où j’eus le temps de réfléchir, dont je voulus faire une tête bien faite, aussi bien faite que possible.

Au cours de mes journées de garde, où je ne voyais guère venir que mon collègue, qui, entre deux siestes, m’apportait mon ravitaillement, et en même temps, s’assurait que je ne dormais pas. Lui, qui avait l’esprit reposé, faisait travailler le mieux, et ainsi arriva à faire disparaître ce maudit cafard qui m’avait accablé lors de notre arrivée en lignes quelques semaines plus tôt. Ce qui m’a le plus fortifié l’esprit à ce moment, c’est l’étude du latin.

Il faut dire que cette langue, tout comme le grec, l’allemand et je crois, peut-être le russe, comporte l’usage des déclinaisons ; or j’ai toujours été très fort en grammaire allemande, alors en somme je jonglais en réalité avec les déclinaisons latines, de même pour ce qui concerne les conjugaisons.

 

Sous le conseil de mon professeur bénévole, à temps perdu, je pratiquais l’analyse grammaticale phrase à phrase, de certains textes, et en même temps que j’assimilais mon texte, je méditai sur la signification de son contenu. Plus tard, mais bien plus tard, je me mis à étudier certains classiques, mais, je n’y trouvais pas le même charme que dans l’analyse tant grammaticale que logique des leçons de matines du Sanctoral.

Je crois m’être suffisamment étendu sur ce sujet. Il m’en est resté une souplesse de méditation et de compréhension des textes qui me sont tombés sous les yeux par la suite : telles les traductions de journaux allemands, des papiers personnels et des livres des prisonniers que j’interrogeais. Tout cela me servit pour les opérations de guerre ultérieures. Et même beaucoup plus tard, lorsque la guerre fut terminée et que je fus renvoyé chez moi.

 

 

Pour terminer, je raconterai une petite aventure qui m’arriva dans les derniers jours ou je séjournai sur le Chipianeskopf.

Malgré le calme relatif dont je jouissais dans ce secteur,  il y eut des jours, où l’inévitable et inusable cafard remontait à la surface. Et un de ces jours-la, un après-midi, un peu en arrière de mon poste d’observation, je sautais sur le parapet et je m’approchai des chevaux de frise.

Voir de toute ma hauteur, ce qui pouvait se passer en face, peut-être recevoir une balle qui m’enverrait à l’hôpital ou dans l’éternité. Je ne risquais que cela, mais j’étais las de la vie à ce moment-là. Il n’y eut rien, qu’un grand silence, et j’allais sauter dans mon trou quand je m’entendis appeler à mi-voix : ‘Franzose !’ Tout près des chevaux de frise allemands à ras du sol, un ‘Feldgrau’ rampait et doucement me faisait signe d’approcher au plus près. Par réflexe, je saisis mon revolver de grenadier. Lui n’était pas armé, il riait de ma crainte.

Il fut très étonné de m’entendre lui parler allemand, et il en fut très content. Ainsi j’appris qu’il était tout jeune : 19 ans, qu’il était saxon, que son Régiment, tout comme notre Bataillon était venu dans ce secteur relativement calme pour se refaire et que bientôt, il repartirait bien qu’il y eut beaucoup de malades parmi la troupe. Pour moi, je gardais ma langue, et m’en tins à des banalités.

Il m’invita à revenir le lendemain, pendant que ses camarades dormaient au soleil. Effectivement nous nous sommes encore retrouvés, et la troisième fois, il m’annonça que nos rencontres étaient finies, qu’ils étaient relevés la nuit suivante, par des Prussiens, et me recommanda la prudence, car ces gens du Nord de l’Allemagne ne plaisantaient pas.

Nous nous sommes dit adieu, et tout le soir j’ai gardé mon renseignement pour moi, alors qu’il suffisait d’un mot pour déclencher un massacre.

 

 

 

Pendant la nuit nous avons entendu le martèlement des talons ferrés des bottes prussiennes et le lendemain j’ai raconté mon venture à mon capitaine, à part une petite restriction mentale, je n’ai pas dit l’heure de la relève qui, d’ailleurs, était passée..

Quelle belle envolée j’ai reçue !

Avoir été discuter avec un soldat ennemi sans l’avoir signalé. Alors qu’en réalité j’étais là pour cela, pour en obtenir des résultats.

Bien sûr, la nuit suivante, tous les avant-postes étaient alertés, mais ne virent ni n’entendirent rien, malgré la  quantité de fusées éclairantes qui embrasèrent le sommet du Chipianskopf. Tout se passa très bien. Deux nuits plus tard, nous aussi, nous avons été relevés par des américains, et là aussi tout se passa bien.

Tandis que si j’avais signalé la relève prussienne, notre artillerie lourde et légère s’en serait donné à cœur joie, l’artillerie allemande aurait répliqué, et alors quel beau massacre des deux côtés !! Oui, mais on aurait pu lire une fois de plus dans le communiqué officiel du G.Q.G : ‘une relève allemande a été détruite par notre artillerie….’ Ce qui depuis le début de la guerre figurait si souvent dans les journaux français et allemands.

Le beau fait d’armes ! Même j’ai toujours gardé ce secret vis à vis des camarades, me méfiant de leurs réactions.

J’ai emporté de ce coin des Vosges, un souvenir que je n’ai jamais oublié, et plus tard, quand je suis passé en gare de Sélestat, je n’ai jamais manqué de regarder  au loin, un peu en arrière du Hochkönigsburg, la crête pelée du Chipianeskopf, ou Violu où je me suis senti pour la première fois devenir un homme.

 

Y aura-t-il encore d’autres récits ?

 Peut-être, car cette année, fut assez fertile en voyages !

Oui, il y a encore de souvenirs qui remontent à la surface de la mémoire, pourtant ils ne me concernent pas directement, mais, cette date du 18 juin, si elle fait tapage dans journaux et dans tous les ‘mass-médias ‘ modernes est une date, si l’on veut nationale.

Celle dont je parlerai ici est bien plus ancienne, comme toutes sortes de souvenirs. Je pourrais commencer par les paroles « il y a 60 ans ! Oui 60 ans aujourd’hui 18 juin 1978, c’était la guerre. Il y avait près de trois semaines que l’armée allemande avait percé le front de l’Aisne et dans certains endroits avait atteint et même dépassé la Marne, la ville de Reims, bombardée depuis le 19 septembre 1914, n’était plus reliée au gros de l’armée française que par un passage étroit, et pourtant la ville tenait toujours. Elle était complètement vide d’habitants, cette fois, elle était évacuée, saut par les troupes françaises qui en défendaient le secteur Nord.

Et en ce jour du 18 juin 1918, les allemands bombardaient, attaquaient pour en finir avec ce point qui depuis 1914 tenait toujours.

Parmi les défenseurs du quartier Nord de la ville, un jeune soldat de la classe 1916 se trouvait avec d’autres camarades, dans une cave servant d’abri à ces jeunes hommes. Le bombardement devenait plus violent et un projectile creva la voûte de la cave et des hommes furent tués.

Dans le groupe, le jeune soldat de la classe 16 fut tué.

Il s’appelait Albert Argand, originaire de Lamastre (Ardèche)

Il fut enterré Avenue de Laon, à Reims, rue des Trois-Fontaines n° 4 dans la tombe n° 41

Depuis, il a dû être transféré dans un cimetière de regroupement, car la famille ne l’a pas fait revenir au pays.

Pourquoi cette date est-elle importante pour moi qui ne l’ai pas connu ?

Quatre ans plus tard, j’ai épousé sa jeune sœur et il serait devenu mon beau-frère.

 

 

Les souvenirs continuent à affleurer.

Il n’y a pas que des souvenirs proprement guerriers. Nous ne combattions pas sans arrêt. Nous étions un « Bataillon de marche » C’est un vieux terme militaire qui remonte à la guerre de 1870/71.

Lorsque après Sedan et Metz, l’armée française était virtuellement détruite, le gouvernement, réfugié à Tours, appela des volontaires pour reformer une armée : ce furent les « mobiles » qui prirent les numéros les « Régiments et Bataillons de marche »

 

En 1914, l’armée française subit, dés le début de la guerre, de très graves pertes : Charleroi la retraite, la Marne, l’Aisne, la « Course à la mer » des Flandres. Là aussi, le gouvernement appela « par anticipation » les classes 1915-16-17-18-19. Et après avoir complété les unités affaiblies, on forma de nouveaux Régiments, et ce furent de nouveaux Régiments et Bataillons de marche. Pour donner un numéro à ces Régiments supplémentaires, on leva un Régiment d’Infanterie, un Bataillon de Chasseurs à pied par région militaire :

Comme il y avait en France, 21 régions militaires, on leva 21 Régiments d’Infanterie, et 21 Bataillons Chasseurs à pied, et l’on fit précéder les nouveaux Régiments des chiffres 4 pour les Régiments, et 1 pour les Bataillons de Chasseurs à pied. Il y eut donc les Régiments 401 à 421 et les Bataillons 101 à 121. C’est ainsi que je fis campagne au 114ème Bataillon de Chasseurs Alpins, unité formée par la 14ème région militaire. Cette digression un peu longue, aidera mes futurs lecteurs à comprendre l’organisation militaire pendant la guerre 14/18.

 

 

Donc, nous étions « Bataillon de marche » et ce qualificatif est amplement justifié. Pour nous, qui étions une petite unité, la plupart du temps, indépendante et souvent mise à la disposition des Corps d’Armées ou de Divisions diverses suivant leurs besoins du moment. Ainsi, nous étions très souvent en route, à pied, bien entendu.

On ne nous embarquait en trains ou en camions que quand le parcours à effectuer était trop long, et urgent.

C’est la raison pou laquelle, ces souvenirs de ce jour se rapporteront surtout à nos voyages d’un bout à l’autre du front, c’est-à-dire, depuis la frontière suisse jusqu’à la frontière de Hollande et même jusqu’au Rhin.

En dehors des villes plus ou moins importantes que j’ai eu l’occasion de visiter, ce sera vers les campagnes, en particulier vers les forêts que je me tournerai. Peut-être par atavisme, par une forte hérédité, j’ai toujours aimé la forêt. Mes aïeux paternels étaient tous forestiers, dans ces belles forêts des Vosges.

Et une bonne partie du Nord et du Nord Est est couverte de forêts : toute l’Ile-de-France, le berceau de la France est entourée de forêts. Je n’en connais que la partie orientale, n’ayant jamais dépassé vers l’Ouest, le méridien de Paris. 

Ces forêts que nos anciens Rois mérovingiens, carolingiens et capétiens et leurs descendants entretenaient correctement en bons chasseurs qu’ils étaient.

D’ailleurs, les forêts arrivaient jusque dans Paris. Dans le Paris moderne, il existe encore des restes de ces bois : le bois de Boulogne, et certains parcs (Montsouris- Monceaux par exemple)

Dans la banlieue Est, la célèbre forêt de Bondy arrivait jusqu’aux approches de Noisy-le Sec, Le Raincy, Villemomble. Lorsque j’étais jeune homme, au début de la guerre de 14/18, il m’est arrivé maintes fois d’aller promener avec mon oncle et mes cousines dans ces restes de la forêt de Bondy. Malheureusement, depuis le début du siècle, les petits hameaux et villages qui existaient dans cette forêt, se sont développés et ont nécessité un fort déboisement.

 

Et à notre époque, il ne reste presque rien de ce repaire de brigands qu’était la forêt de Bondy. En 1917, étant jeune militaire, j’étais cantonné au village du Pin (Le), entre Claye et Chelles, en Seine et Marne.

Je travaillais dans une ferme des environs et bien souvent, de dimanche, je me rendais au village de Montfermeil, qui était encore environné de bois. Là, je prenais le tramway pour aller à Paris ou le plus souvent à Bondy chez mon oncle. De nombreux villages portaient encore le qualificatif ‘ Sous Bois’ : Clichy-sous-Bois, Pavillon-sous-Bois etc.

 

Mais ce que je connais le mieux, c’est le département de l’Oise, celui que j’ai le plus parcouru à pieds, et non seulement parcouru, mais j’y ai habité ; forêts entourant Senlis, celles de Chantilly, de Halate, d’Ermenonville, Villers-Cotterêts, de Compiègne, de Laigue, de Noyon, de Lassigny.

Là, j’y suis passé en 1917/18 et non seulement, passé, mais combattu, j’y ai mené la vie de taupe, dans les abris souterrains.

Mais par chance c’était l’été, et cet été la fut beau. Non seulement, il y a les bois, mais aussi des cours d’eau : rivières : l’Oise et l’Aisne son affluent, mais aussi des canaux et des ruisseaux.

J’aimais prendre mon tour de garde vers la fin de la nuit, ou faire les liaisons à cette heure là.

Bien que les forêts de Laigue, de Compiègne, soient propriétés nationales, et qu’à certains moments elles aient regorgé de troupes, on y était relativement tranquille.

 

En 1917, nous étions cantonnés dans une ferme vide de ses habitants, située entre l’Oise et le canal latéral à l’Oise, sur la commune de Béthancourt. Le front était assez loin de nous nous y étions bien au calme. Pour ne pas perdre notre entraînement, nous faisions beaucoup de marches, et le matin de bonne heure, c’était pour moi un véritable plaisir (je n’avais pas encore 20 ans ) Les villages plus ou moins ruinés de Thourotte, Cambronne, Antoval , Thiescourt, Ribécourt, Cannectancourt, Lassigny, ont vu passer le 114ème ‘de marche’.

 

Ce qui est curieux, c’est que nous semblions voués à ce département forestier. Nous y sommes venus plusieurs fois et séjourné au moins cinq fois et pas toujours dans les bois, (une fois dans une villa, une autre dans un château) Deux fois, nous sommes revenus  combattre dans nos premiers cantonnements.

 

L’été 1918, nous revit à Marquéglise, Blincourt, Thiescourt, Lassigny, même dans les forêts au-delà de Noyon. Là c’était encore la vie de taupe. Dans cette partie de la région, il y a des collines pas très hautes, mais terriblement fortifiées, les combats y furent durs, les pertes en conséquence, car les allemands arrosaient les bois avec les obus à ypérite, où le matin, la rosée trempait les feuilles et à leur tour nous arrosaient copieusement.

 

En juin 18, nous étions revenus des Vosges, en chemin de fer, pour aider à colmater le front qui avait été enfoncé dans l’Aisne.

Nous étions en réserve, et nous étions prêts à intervenir là où le jugerait bon le G.Q.G. Une fois de plus, nous avons roulé en train depuis Bruyères, dans les Vosges, où nous avions fait quelques bons séjours dans les forêts de conifères.

Notre P.C. de Bataillon sur un morceau de route superbe, construite dés le début de la guerre.

J’en ai déjà parlé dans mes souvenirs de cette route, qui aujourd’hui est un secteur de la ‘Route des crêtes’ parce qu’elle longe pendant quelques kilomètres, l’ancienne frontière de 1871.

 Ce secteur boisé par des sapins et des bouleaux, était sur le flanc Ouest de Chipianeskopf, et se trouvait dans un angle mort de cette montagne, où les tirs de l’artillerie adverse ne pouvaient pas nous atteindre. Nos périodes de repos se passaient dans des sapes creusées en pleins bois, où nous étions à l’abri dans le terrain granitique, et où nous avions de l’eau fraîche à discrétion.

Nos vues se portaient vers l’Ouest, vers Epinal, St Dié, et toute cette région est admirablement boisée, et le sous-bois regorgeait de fraisiers, où nous ne manquions pas, lors des repos, d’aller faire d’agréables cueillettes.

 

 

Il aurait fait bon terminer la guerre dans un pareil décor, mais un ‘Bataillon de marche’ doit marcher, et, finalement, après une journée de repos dans la petite ville de Granges-sur-Vologne, nous avons embarqué près de Bruyères.

Le lendemain nous nous sommes réveillés dans la Haute-Marne, autre département boisé, qu’au dix huitième siècle les princes d’Orléans, possesseurs de vastes étendues de forêts, y avaient installés des aciéries. Le pays étant riche en mines de fer, des aciéries chauffées au bois. Nous n’avons fait que passer à travers cet intéressant département, tant qu’au point de vue agricole qu’au point de vue industriel.

 

 

Puis, entrant dans l’Aube, on rencontre la fameuse forêt de Clairvaux suivie de la forêt d’Orient où sont nés les Templiers.

Finalement, aux approches de Paris, nous rencontrons encore des forêts avant que le convoi nous arrête et nous débarque dans la forêt de l’Ile Adan. Le lendemain nous sommes dans la forêt de Senlis où nous séjournions près d’une semaine, et nous voici revenus dans vos anciens quartiers.

Là, la campagne est magnifique : forêts d’arbres feuillus : chênes, frênes, hêtres, peupliers et quelques conifères. Vraiment, je comprends le goût qu’avaient nos Rois pour y séjourner.

 

Même à l’heure actuelle, on y trouve de beaux châteaux. Plus tard, nous avons repris notre marche pour entrer dans le Valois, et par Crépy, nous sommes allés cantonner en plein pays betteravier. Dans une usine de sucrerie la ‘Sucrerie de Cornois’ sur la commune de Vauciennes, à l’orée de la forêt de Villers-Cotterêts, ancien domaine de la famille d’Orléans.

Elles s’étendent depuis Villers, pratiquement à l’infinie, se prolongeant par la forêt de Perrefons, franchit l’Aisne, rejoint la forêt de Laigue. Malgré la guerre, ces forêts étaient entretenues, les routes droites, les carrefours dégagés, nous avons marché des jours entiers pour nous trouver le 14 juillet à l’orée Nord vers les ruines des villages de Tracy-le-Mont et Tracy-le-Val.

 

Là, nous avons repris la vie de taupes. En attendant d’être envoyés en lignes vers Tracy-le-Mont, nous sommes devenus bûcherons et nous passions nos journées à abattre des arbres, des grands arbres, à les ébrancher, à les débiter en rondins de plusieurs mètres pour en couvrir des abris vastes pour y loger un état-major.

Au bout de quelques jours, je fus envoyé au P.C. d’un Régiment voisin, le 56ème R.I. comme agent de liaison.

Je n’avais strictement rien à faire.

Là, je n’étais plus taupe, mais logé à quelques certaines de mètres des premières lignes, dans les caves bien aménagées d’un superbe château, parfaitement épargné par l’artillerie adverse.

C’était le château de Viesigneux, sur la commune d’Ollencourt. Il était épargné, ai je dit ! Bien sûr ! Il appartenait à une haute personnalité allemande. Dans la chapelle, à l’abside, il y avait un vitrail, représentant l’aigle bicéphale, cher à de nombreux princes allemands.

Au rez-de-chaussée, se trouvaient les bureaux, protégés par des sacs à terre, seule, la façade est, qui ne pouvait être atteinte facilement, était dégagée et était en partie bordée par une belle pièce d’eau, habitée, chose impensable par  un couple de cygnes !

 

 

A cet âge, 21 ans, j’étais affreusement curieux.

Je posais des questions à l’infini : évidemment, je me faisais souvent rabrouer, mais, je trouvais toujours une bonne âme qui, ou bien voulait me rendre service, ou encore se débarrassait d’un tel curieux.

Je voulais absolument savoir ce qu’il y avait dans les étages. Un officier voulut bien me dire que le premier étage, contenait sur une grande partie de sa longueur, une bibliothèque !

Mon officier, pensait sans doute qu’en m’informant que la visite de ce lieu était interdite, sauf une autorisation du colonel, j’allais renoncer. Je remerciai ce brave officier et sans plus attendre, je fis visite immédiatement au colonel pour obtenir la fameuse autorisation.

Me présentant le plus correctement possible à cet officier supérieur, j’obtins très facilement ce que je demandais

 

1°)- l’autorisation écrite

2°)- la clé de la bibliothèque

3°)- je devais éviter de me faire voir aux ouvertures

4°)- prendre la clé au bureau de chef d’état-major, et la rendre quand je voulais sortir. Et le planton du bureau devait frapper à la porte quand il avait besoin de moi ! Je remercia vivement le colonel et sans plus tarder, je commençai mes recherches.

 

            Quelle semaine j’ai passé dans ce château ! Quelle collection de lectures, très bons auteurs, en français, en allemand, en anglais, même en latin, il y avait même des vocabulaires. Il y avait même des manuscrits en latin et en allemand. Mais là, j’ai dû capituler, à cette époque, je n’étais pas assez expérimenté pour lire l’allemand manuscrit, pour le latin j’étais plus fort.

Je ne suis sorti que deux fois pour le service, en dehors des repos, là c’était plus grave, à certains moments, les allemands tiraient des rafales de mitrailleuses juste à la hauteur des jambes, et cela particulièrement la nuit.

Je pensais bien que cette agréable pause ne pouvait pas durer longtemps : aux heures de repos, j’entendais parler les camarades de la ‘liaison’. Ces hommes qui sont toujours par voies et chemins, sont autant d’antennes qui recueillent tous les bruits qui courent : nous étions au début d’août, et l’on savait de bonne source qu’une grande offensive avait permis de libérer tout le pays situé entre Château-Thierry et Soissons, puis, une offensive avait percé le front franco-anglais vers Montdidier.

 

D’autre part la nuit qui venait de se terminer n’avait vu guider une relève de zouaves depuis Rethondes, au bord de l’Aisne jusqu’à une unité voisine. Et le canon tonnait fortement et sans arrêt. Je passai tout de même ma journée comme d’habitude au milieu des ces chers bouquins ( c’est même là que j’ai fait bonne connaissance avec Goethe !)

Vers minuit, je dormais dans la cave, quand un zouave est venu me réveiller pour me remplacer de suite et je dus repartir en vitesse à mon Bataillon sans avoir pu saluer le colonel qui avait été si obligeant envers moi.

Arrivé au P.C. du 114ème, je n’y trouvais plus que le commandant, l’officier, le lieutenant Rosaz et son ordonnance. Ces messieurs montèrent à cheval, et je partis dans la nuit avec l’ordonnance. D’après le commandant, en marchant d’un bon pas, nous devions rejoindre le gros du Bataillon au lieu dit : Puits d’Orléans. Mais mon compagnon qui avait trotté toute la journée, était fatigué et s’arrêtait à chaque instant. Au Puits d’Orléans, ancien rendez-vous de chasse, il n’y avait plus personne et ce brave Joly en était découragé.

 

Nous nous sommes donc reposés, et au bout d’un moment nous sommes repartis, nous guidant sur le ciel étoilé. Nous étions seuls nous deux et  le garçon avait peur que nous nous perdions. Petit à petit le jour pointa, les arbres s’écartèrent et nous arrivions au bord de l’Aisne, sur le sol, on voyait les traces du Bataillon, surtout marqué pas les escarbilles tombées des cuisines roulantes. Ce qui donna du courage à Joly.

Le pont de Choisy-au-Bac était tout proche et était fardé par deux gendarmes, qui, bien entendu, nous arrêtèrent. Il se trouva que l’un des deux était un de mes compatriotes, un troyen, il m’avait reconnu à mon accent.

Il nous fit entrer dans son corps de garde, nous offrit à manger et à boire, et nous informa que le Bataillon venait de passer sur le pont, entrer dans la forêt de Compiègne cette fois, prenant la route de Pierrefond et devant faire la pause au « Carrefour des Vineux »

 

Nous sommes donc repartis pleins de courage et, arrivé à ce carrefour, nous avons trouvé les dernières cuisines roulantes prenant leur départ après que les Chasseurs avaient mangé la soupe. Mon pauvre Joly en eut les jambes cassées, et moi je ne valais guère mieux. Finalement, vers 11heures, nous avons rattrapé les premiers traînards, puis un peu avant Pierrefonds nous avons rejoint ma 3ème compagnie et son chef. Tout le monde tirait la patte, le Bataillon s’égrenait et je sentais que si je m’arrêtais, je ne pourrais plus repartir.

Je ne me suis pas arrêté, mais mon compagnon, lui, a calé. Avec une dizaine de camarades, nous avons pris la tête de la colonne, et sans trop perdre de temps à admirer le château. Nous avons laissé Pierrefond et par Haramont, nous sommes arrivés à notre ancien cantonnement de Chelles près de Villers-Cotterêts. Il était environ 14 heures, sans rien demander à personne, je me suis déshabillé et allongé sur un billard.

La promenade en forêt avait duré 14 heures et je ne l’ai pas oubliée.

J’ai fait, au cours de cette marche, une constatation depuis le ‘Puits d’Orléans’, nous nous guidions, comme je l’ai dit plus haut sur le ciel étoilé- avec ce ciel limité par les sommets des arbres, on a  l’impression de ne pas avancer- heureusement que peu de temps après, le jour a commencé à se lever.

Bien sûr, nous ne sommes pas restés longtemps à Celles. Presque de suite, un convoi de camions est venu nous enlever et, après un court voyage dans la nuit, nous a déposés dans la région d’Estrée – St-Denis. Et là, ce n’était plus du tourisme.

J’ai même retrouvé mes cantonnements de l’année précédente : Ressons-sur-Matz, Marquéglise, etc., toutes localités forestières, mais détériorées par la guerre.

 

J’avais bien fait de profiter de mon séjour dans le château, avec les lectures, avec les lectures si intéressantes, et la tranquillité, j’avais fini par avoir le moral en bien meilleur état, car autour du 14 juillet j’avais fini par recevoir des nouvelles de mes parents. J’allais pouvoir affronter plus solidement la grande offensive- que j’ai racontée dans un autre cahier, rédigé à chaud.

Dans le rectangle limité par Ribécourt- Noyon – Ressons-sur-Matz, on trouve un massif de collines boisées, qu’on appelait la « Petite Suisse », paysage pittoresque, certainement, certainement très agréable à visiter en temps de paix. Pendant la période où je m’y trouvais pour la troisième fois, il y a juste 60 ans, c’était une autre affaire.

 

Jusque vers Marquéglise, il n’y eut guère que des petits bois communaux que nous traversions et où nous faisions la pause  à l’ombre.

Mais une fois le Matz traversé au Sud d’Elincourt- Sainte Marguerite nous avons attaqué un gros morceau, le bois du Facq, garni de tranchées, d’abris en tous genres, de réseaux barbelés, avec tous les carrefours hérissés de mitrailleuses et de crapouillots, c’était une vraie forteresse à prendre morceau par morceau.

Pour compléter le tableau, les obus toxiques y tombaient sans arrêt, autant les obus français que les obus allemands. Non ce n’était plus la belle vie que nous avions connue en d’autres temps. Dés les premiers instants il y eut beaucoup de pertes causées surtout par les gaz. Ce qui me valut de courir tantôt comme agent de liaison que comme patrouilleur, puis plus tard, comme fossoyeur.

 Il y avait quelques fermes fortifiées dans des clairières : Ste Claude entre autres, et un massif très boisé et fortifié : le Plémont, dominait le tout. Que de reconnaissances, de combats pour enlever ce Plémont ! Vers fin août, ce massif boisé était pris et nous marchions vers d’autres forêts plus ou moins importante : Bois des Essarts- Bois d’Autrecourt, Béthancourt, pour nous arrêter dans le bois de Frières, en face de Tergnier.  Là, nous en avions fini avec les forêts.

Bien sûr, nous en avons rencontré d’autres, mais nous n’y vivions plus.

 

 

Car en septembre, nous sommes partis pour la Belgique, où nous avons trouvé en premier lieur la forêt de Houthulst, en face de Dixmude. De forêt, il n’en restait que le nom, car, après quatre années de combats et de bombardements, il n’en restait plus que des troncs brisés, étêtés et ébranchés.

 Au sud et à l’est de Bruxelles, il y avait la forêt de Soignes, qui était un parc de la capitale belge, un beau décor pour sa banlieue.

Plus loin, en Rhénanie, sur la rive gauche du Rhin, j’ai traversé l’Eifel, mais en chemin de fer, tout comme le Luxembourg, notre ancien département « des Forêts » Plus au Sud, sur la rive droite, c’est la forêt Noire qui s’étend jusqu’à la Bavière, la Fichtelgebirge et enfin celle que j’ai le mieux parcourue au centre de l’ancien Reich : l’Erzgeberge : les anciens « Monts Métalliques » qualificatif justifié par la présence de nombreuses mines de fer, d’uranium à la frontière tchèque, dont une feuille de chêne orne un mur de ma chambre.

Paradoxalement, les forêts que je connais le moins sont celles de mon pays natal : la forêt d’Othe, d’Orient, que je n’ai vues qu’à travers les vitre d’un wagon !

Malgré les guerres, j’ai tout de même conservé un bon souvenir de ces pays boisés. Peut-être me suis-je un peu trop étendu sur l’épisode du château, mais j’y ai passé de si bonnes heures, en me transformant de taupe, en rat de bibliothèque.

Le 6 juillet 1978.

 

 

 

 

Il y a de fortes chances pour que ces souvenirs soient les derniers que je vais écrire.

Je vais arrêter ce résumé au 11 novembre1918 ; pour moi ce sera la fin d’une époque, mon enfance, mon adolescence, et les débuts de mon âge d’homme, je les ai décrits dans d’autres chapitres.

Partant de l’école primaire, l’apprentissage, le travail, puis le service militaire précoce, puis la guerre.

 

A cette époque du début octobre 1918, j’étais terriblement fatigué. Cette année avait été très dure pour les combattants que nous étions. Heureusement, j’avais fait le plein de forces morales et aussi physiques, car, comme je le dis au début de ce cahier, avec la trahison bolchevique, je m’attendais au pire. Et vers le milieu de l’année le pire n’était pas loin d’être atteint.

 

En juillet, le Bataillon de ‘marche’ avait passablement ‘marché’ ! Après mon séjour à la sucrerie de Vanciennes, je sentais venir le grand coup que tous nous voyons venir. Marches, contremarches, reconnaissances, coups de main, l’orchestre chez nous se préparait, chez les voisins d’en face, il commençait à s’épuiser.

Mais tout de même le plus dur restait à faire, car il s’agissait de les reconduire.

 

 

Et quand en juillet, l’orchestre se mit en route, il n’y avait plus qu’à espérer. Heureusement, nous étions bien nourris. Sur ce chapitre, ce n’était plus la pagaille des années précédentes : le vieux Clémenceau était là, et depuis quelque mois, il en avait donné quelques preuves.

Le froid Pétain avait préparé son monde, la discipline devait avoir commencé par en haut : les chefs d’Armées et de Groupes d’Armées savaient requis une bonne expérience.

Dans notre coin de Vanciennes, nous avions Mangin dans la forêt avec son État Major, avec ses Coloniaux. A l’Est de Reims, il y avait Gouraud, puis nous avions le géant Humbert commandant la 3ème Armée, avec qui nous étions affectés, après bien des déplacements. Personnellement, j’étais borgne de l’œil droit, ayant eu cet organe abîmé dans une opération antérieure, mais c’est lors de notre arrivée en lignes que je me suis présenté fatigué. Et pourtant j’ai tenu.

 

Heureusement que nous ne savions pas exactement ce qui nous attendait ! Evidemment, il y aurait une bonne grosse attaque, puis une contre attaque allemande, puis on serait relevés pour un bon repos à l’arrière ; bien sûr on laisserait des camarades sur le terrain mais du moins, j’étais convaincu de m’en sortir.

Nous étions le 13 août au matin et attaques et contre-attaques, se suivirent pendant trente jours ! Le « Bataillon de marche » avait marché. On n’en voyait plus le bout. Les allemands reculaient et nous courions derrière eux. Ils font comme nous, ils n’étaient plus relevés. C’était toujours les mêmes Régiments qui nous tenaient tête, les prisonniers nous arrivaient ‘ claqués’.

Pour une bonne part, c’étaient des gars plus jeunes que moi (j’allais avoir 21 ans ) Bref un beau jour,  on nous a laissé tranquilles. Et l’on est resté sur place, pourquoi marcher encore ?

Puisque le front reculait.

Et à vrai dire, on était pas beaux : sales, plus ou moins abîmés, ornés de pansements, etc.. et voilà pourquoi, malgré le repos, nous étions ‘vidés’.

Et voilà pourquoi, il y eut ce jour du 1er octobre, 60 ans, je ne me sentais pas un courage débordant.

 

Le 29 septembre, nous avions embarqué à Estrées-St-Denis et pour une fois nous n’allions plus vers les Vosges, non, car au bout d’une heure, le train roulait au milieu des villages où en mars, nous étions venus pour arrêter l’offensive allemande : Ménevillers, Tricot, Montdidier, ce qui faisait prévoir une petite randonnée en Belgique, où les Belges et les Anglais avaient mis leur offensive en branle, et où une armée française allait faire renfort.

Si mes souvenirs sont exacts, l’armée française de Belgique comprenait deux corps d’armée, dont la 70ème et la 77ème D.I. et se trouvait sous le commandement du général Degoutte. Le groupe d’armée de Belgique : Belges, Français et Anglais  était commandé par le Roi des Belges en personne.

 

 Le 29 septembre nous avions débarqué à la petite gare de Caestre près d’Hazebrouck, et le 1er octobre vers 10 heures du matin, près du village, de Boeschepe, nous franchissions la frontière belge pour la première fois. J’étais heureux, je ne sentais plus ma fatigue ! Pourquoi étais-je si heureux ? Tout simplement parce que je passais une frontière !

C’était puéril, mais toute ma vie, j’étais heureux de passer une frontière. Plus tard, le même cas s’est reproduit pour la frontière allemande, celle de Hollande et celle du Luxembourg.

Je ne raconterai pas la campagne de Belgique, qui, pour moi fut courte, car le 15 octobre, je partais en permission, depuis sept mois, je n’avais plus revu mes parents. Pour la première fois, j’allais à Lamastre pour les y retrouver.

 Après la Toussaint, j’ai rejoint mon Bataillon près de Roulers, et nous sommes remontés en ligne, mais à vrai dire, je n’ai plus pris part à de véritables combats.

J’ai raconté antérieurement les occupations du jour de l’Armistice, je n’y reviendrai pas. Simplement pendant trois jours, nous avons festoyé en compagnie des habitants belges du village de Lootemhulle où nous étions cantonnés.

Simplement aussi que le 11 novembre à 11 heures du matin, toutes les artilleries qui faisaient un vacarme épouvantable, se turent subitement, sous l’appel du clairon au « cessez-le-Feu !

Cette sonnerie que tant de camarades n’entendirent pas.

Octobre 1978 à Avignon.

 

 

 

Pour éclairer les lecteurs de l’avenir, il faut expliquer quelques termes qui semblent bizarres.

 

Les Chasseurs ont été créés d’abord sous le Premier Empire, puis rétablis sous Louis-Philippe pour les campagnes d’Algérie, sous le nom de Chasseurs ‘ d’Orléans’ en l’honneur du Duc d’Orléans, fils du Roi, mais sous la forme d’Infanterie légère et de petites unités, les Bataillons de, tantôt quatre, tantôt six compagnies à quatre sections sous le commandement d’un chef de Bataillon, ayant les prérogatives d’un Colonel : il est chef de Corps, a un État Major, dispose d’une section hors rangs, d’un train de Régimentaire pour le transport des vivres et des munitions.

Il a même une fanfare et non une musique (ne parlez jamais d’une musique dans un Bataillon de Chasseurs !!) et comme emblème : le fanion aux couleurs des Chasseurs : vert et jaune, orné du cor de chasse, ce cor qui orne les cols des vareuses et des dolmans.

Le Bataillon possède aussi son propre service de santé avec deux médecins.

 

J’ai pondu toute cette digression pour expliquer le terme ‘vitriers’.

Autrefois, existait dans les villes et villages en plus des ouvriers du bâtiment : maçons, charpentiers, couvreurs, etc. au moins un vitrier ambulant, qui portait tout son attirail sur le dos, au moyen d’une monture qui s’élevait assez haut pour tenir les plaques de verre.

 Or, chez les Chasseurs, crées comme Infanterie légère, et qui devaient être équipés très légèrement, leur sac dit ‘havresac’ était outrageusement chargé tout en hauteur, et, entre les Bataillons, et même souvent les compagnies, il y avait concours, à qui aurait le sac le plus lourd et le plus haut, ce qui le faisait ressembler au harnachement du ‘vitrier’.

Bouc au menton :

Dans certaines unités comme encore aujourd’hui dans la Légion Étrangère, qui pouvait porter la barbe, devait la porter.

Tout le long de la Meuse :

Dans les dernières années qui ont précédé la guerre de 1914, presque tous les Bataillons étaient rassemblés le long de la frontière de l’Est, de Lille  à Belfort.

C’était ces Bataillons qui devaient foncer sur les allemands et qui les premiers ont pénétré en Alsace –Lorraine (à l’occasion d’une visite voir les cimetières.)

 

  

         

 

 

 

 


Noms, prénoms, lieux et circonstances de la mort des Officiers, Sous-officiers, Caporaux et Chasseurs du 114ème Bataillon de Chasseurs Alpins cités dans ce récit :

 

NOM

Prénoms

Grade

Affectation

Lieu

Circonstances

Date

BERNARD

Emile

Chasseur

3ème Compagnie

Vosges : Secteur du Violu S/secteur du Col de La Cude

Coup de main allemand sur l’antenne Nord du G.C 6 lors de la relève des postes.

31 mai 1918

BOURG

Léon

Adjudant

2ème Cie 3ème Section

Aisne : Chemin des Dames Poste du Hibou

Attaque de la Caverne d’Hurtebise – Tir d’obus.

31 août 1917

BRANCHARD

Louis

Chasseur

3ème Compagnie Brancardier

Oise : Porquéricourt

Le 29 août 1918, venu chercher de l’eau dans la cour d’une maison où s’était réfugié la section de Maurice Olanié cause un peu avec eux, repart, une heure après est grièvement blessé lors d’un bombardement.

Décédé

le 31 août 1918

DUCROUX

Antoine

Sergent

3ème Cie

Oise : Forêt de Thiescourt

Le 13 août 1918 à 10 h, blessé grièvement lors d’un bombardement allemand. 

Décédé

le 13 août 1918

GERMAIN

François

Chasseur

4ème Compagnie

Oise : entre Courcelles

et Méry

Le 1er avril 1918, après 19 h, grièvement blessé au cours d’un bombardement allemand.

Décédé

Le 2 avril 1918

GOT

Emile, Prosper

Caporal

Section Hors Rang

Oise : Beaurains

19 h- attaque du village où les allemands tentent de se ré infiltrer – Tir de mitrailleuses.

29 août 1918

GRAS

Fabien, Joanny

Chasseur

4ème Compagnie

Oise : Courcelles-Epayelles

Grièvement blessé le 31 mars 1918 (jour de Pâques), vers 18 heures, par un obus de 88.

Décédé

 le 8 mai 1918

GUILBAUD

Charles-Joseph

Sergent

Cie Mitrailleurs 4ème Section

Aisne : Chemin des Dames Poste du Hibou

Attaque de la Caverne d’Hurtebise – Tir d’obus.

1er septembre 1917

LABROUSSE

Armand

Chasseur

2ème Cie 3ème Escouade

Aisne : Chemin des Dames Poste du Hibou

Vers 17 h 30, grièvement blessé au ventre par le culot de 75 qui a éclaté sur le parapet de la tranchée et tué le S/Lieutenant Ribier. Meurt pendant son transport.

31 août 1917

MAUCLAIR

René

Chasseur

Cie Mitrailleurs

Oise : Beaurains

19 h- attaque du village où les allemands tentent de se ré infiltrer – Tir de mitrailleuses.

29 août 1918

MYARD

Auguste

Sergent

2ème Compagnie

Oise : Beaurains

19 h- attaque du village où les allemands tentent de se ré infiltrer – Tir de mitrailleuses.

29 août 1918

PACHE

Louis

Lieutenant

Com.dant 3ème Compagnie

Belgique :Vijfwege, près de la station de Westroosebeke

Le 13 octobre 1918, vers 5 h 30, alors qu’il tenait avec sa Compagnie les positions de départ avant l’attaque, est blessé par un obus.

Décédé

le 14 octobre 1918

RIBIER

Pierre

S/Lieutenant

Com.dant 2ème Section

Aisne : Chemin des Dames Poste du Hibou

Vers 17 h 30, a le crâne arraché par un culot de 75 qui a éclaté sur le parapet de la tranchée.

31 août 1917

ROSAZ

Albert

Lieutenant

 

Oise : Bois de Facq

Grièvement blessé le 13 août 1918 en entraînant ses pionniers à l’attaque d’un point menacé par l’ennemi.

Décédé

le 14 août 1918

SIMARD

Albert

S/Lieutenant

 

Oise : Beaurains

19 h- attaque du village où les allemands tentent de se ré infiltrer – Tir de mitrailleuses.

29 août 1918

 

 

 

 

Noms, prénoms, lieux et circonstances de la blessure des Officiers et Chasseurs du 114ème Bataillon de Chasseurs Alpins cités dans ce récit :

 

 

NOM

Prénom

Grade

Affectation

Lieu

Circonstances

 

BENET

 

Chasseur

3ème Cie

Oise : Le Plessier

3 h ½- Premiers tirs du 208ème R.A.C : un coup éclate à la sortie.

13 août 1918

BORDERIE

 

Chasseur

3ème Cie

Vosges : Secteur du Violu S/secteur du Col de La Cude

Coup de main allemand sur l’antenne Nord du G.C 6 lors de la relève des postes.

31 mai 1918

CLAIRET

Jean-Marie

Chasseur

4ème Cie 1ère Escouade

Aisne : Chemin des Dames Poste du Hibou

4 h- Blessé par un obus de 77 : deux joues traversées

20 août 1917

COCHER

 

Chasseur

4ème Section

Oise :

Porquéricourt/Beaurains

Gazé

29 août 1918

 

DUBOULOZ

 

Caporal

3ème Cie  3ème Section

Oise :

Porquéricourt/Beaurains

19 h- Blessé lors d’un bombardement allemand 

29 août 1918

DURIEUX

Félix

Chasseur

4ème Cie 1ère Escouade

Aisne : Chemin des Dames Poste du Hibou

4 h- Blessé par un obus de 77 : jambe droite

20 août 1917

FONTESSE

 

Lieutenant

3ème Cie

Com.dant Section Olanié

Aisne : Crépigny

12 h- Blessé lors d’un bombardement allemand. Evacué 

5 septembre 1918

GONNET

 

Chasseur

3ème Cie

Oise : entre Courcelles

et Méry

Après 19 h, blessé au cours d’un bombardement allemand.

1er avril 1918

 

MONTARIOL

 

Capitaine

Com.dant 1ère Compagnie

Oise : Forêt de Thiescourt

8 h- Blessé lors d’un bombardement allemand 

13 août 1918

PAUQUER

 

Sergent

3ème Cie

Oise : Forêt de Thiescourt

10 h- Blessé lors d’un bombardement allemand 

13 août 1918

PRIEUR

Jean-Marie

Chasseur

4ème Cie 3èmeEscouade

Aisne : Chemin des Dames Poste du Hibou

20 h- Blessé légèrement à la main lors d’un bombardement allemand 

20 août 1917

(tué le 19 juillet 1918)

VALLAT

Xavier

Lieutenant

3ème Cie

Oise : Bois de Vaux

 (Le Frestoy)

Grièvement blessé à la jambe gauche (amputation)

30 mars 1918

VEYEUR

 

Chasseur

1ère Cie

Oise : entre Courcelles

et Méry

Après 19 h, blessé au cours d’un bombardement allemand.

1er avril 1918

 

XAVIER

 

Chasseur

3ème Cie

Oise : Le Plessier

3 h ½- Premiers tirs du 208ème R.A.C : un coup éclate à la sortie.

13 août 1918

 

 

 

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