Carnet de guerre d’Alfred PARISIS

du 287ème régiment d’infanterie

août 1914 - mai 1915

 

Mise à jour : Novembre 2018

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Alfred PARISIS avant la guerre au 87e régiment d'infanterie

 

Introduction

 

« ….Ce carnet m'a été donné par ma mère (la fille d’Alfred). Je l'ai retranscrit avec beaucoup de peine car il était écrit au crayon et ce n'était pas toujours évident à lire.

Il parle de la bataille de Berry-au-Bac mais ce n'est pas trop un journal, il cite des noms de soldats et de villages, ça peut intéresser d'autres personnes. Il donne ses impressions sur le comportement révoltant de certains officiers, le pillage méthodique des Allemands…

Je n'ai que deux photos, une prise avec deux autres soldats et une à Bécon-les-Granits (région d'Angers) où il a été envoyé en convalescence après sa blessure… »

René et Franck. Sarrazin

 

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Prélude

 

Alfred PARISIS est né à Bohain (59) le 7 février 1885, il était daubeur – Service militaire au 87eRI en 1906-1908 – Caporal en mai 1907. Il intègre en août 1914 le 287 régiment d’infanterie, d’environ 2300 hommes, qui est constitué de deux bataillons. Le 287e RI fait parti de la 69e division d’infanterie.

Il part de Saint Quentin (sa ville de casernement) le 13 août, pour la région de Vigneux-Hocquet, puis Lambercy puis le 21 août à Mondrepuis (Aisne) et enfin à Solre-le-Château (Nord, frontière belge), le 23 août.

 

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Août 1914

Frontière franco-belge

23 août

Le 287ème va avoir le baptême du feu, nous devrions voir les boches. (*)

 

(*) : Le régiment se trouve à Solre-le-Château (59)

24 août

Vers cinq heures du matin après avoir passé la nuit à la belle étoile le canon commence à gronder. Toute la nuit les troupes qui étaient en avant de nous ont passé sans discontinuer. Les malheureux étaient très fatigués, ils ont été obligés de laisser leurs morts et leurs blessés sur le champ de bataille.

Nous, 2ème section de la 20ème Cie du 287ème nous attendons dans les tranchées, nous sommes frais ; on les attend. Puisque les boches achèvent les blessés français, pas de pitié pour eux.

Les paysans belges des villages ou a eu lieu le combat évacuent le pays, c’est triste à voir ces gens sur la route avec le bétail qui peuvent enlever le plus qui peuvent en prendre ils le prennent malheureusement ils sont obligés d’en laisser.

 

Il est trois heures de l’après midi, nous sommes toujours dans l’attente de l’ennemi nous sommes postés dans la ferme de Thirimont nous sommes en dernière ligne après nous ce sont les boches.

 

Le combat s’est arrêté un moment puis vers 7 heures le duel d’artillerie a repris.

De l’endroit ou nous sommes on entend très bien arriver les obus allemands car quand ils arrivent on dirait une tôle qu’on remue les obus éclatent à environ 300 mètres du point où nous sommes postés, leurs obus sont chargés à la mélinite on les regarde éclater en rigolant.

Après les choses ont changé de face, nous étions toujours aux créneaux et ayant eu une demi-section de partie pour protéger notre retraite, j’ai eu l’ordre d’aller chercher après elle, seulement elle était partie bien plus loin qu’on lui avait dit. Au moment ou je suis parti les obus commençaient à bien tomber j’ai cherché un bon moment ne les ayant pas trouvés, je suis revenu à la ferme ou j’avais laissé les autres camarades mais en y arrivant j’avoue que j’ai eu le trac car les autres étaient tous partis et je me trouvais seul au milieu d’une grêle d’obus.

 

Donc je suis retourné sur mes pas pour voir si je retrouverais mes camarades, je cherchais un peu partout à travers champs quand tout à coup j’ai aperçu une fraction du 332ème.

Je leur ai demandé s’ils avaient vu passer du 287ème, ils m’ont répondu :

« Oui il vient d’en passer une Cie, elle est là au coin du bois »

 

J’y arrive mais c’était la 17ème, quand même je me mets avec eux.

Je n’étais pas avec eux de cinq minutes que les Allemands se mettent à bombarder le bois avec une grand ardeur, j’ai senti la chaleur des obus allemands j’avoue encore une fois que j’ai encore eu le trac.

Il a fallu battre en retraite car nous pouvions rien faire contre l’artillerie ennemie, c’est à ce moment que Gaston Taine a été blessé seulement ses blessures sont sans gravité, il n’en est pas de même pour mon ami Jules Lefèvre (*) qui a trouvé la mort ce jour là.

 

(*) : LEFEVRE Jules, 2ème classe, né en janvier 1884 à Bohain, Aisne, mort pour la France à Montignies-Saint-Christophe (Belgique), tué à l’ennemi. Voir sa fiche.

 

 

L’éprouvante retraite

Tout en battant en retraite (*) nous étions pourchassés par les obus et, en étant sur la route, j’ai vu un obus éclater juste au milieu de la tranchée où nous avions passé la nuit.

Puis après ce fut la ferme qui fut bombardée et ils nous poursuivaient sans cesse.

Nous avions une batterie d’artillerie qui par 3 fois fut félicitée par le général pour son tir.

Enfin j’ai retrouvé ma Cie j’ai été bien content de retrouver mes camarades j’aimais mieux êtres avec mes camarades qu’avec d’autres.

 

Nous avons continué à battre en retraite sur Montigny, Bousignies, Cousolre et nous sommes venus loger à Aibes, là nous avons vu le commandant Cappes mort au champ d’honneur il avait eu la jambe emportée…

 

En quittant Aibes nous avons contourné la ville de Maubeuge on entendait très bien les canons des forts de Maubeuge. Les aéroplanes allemands évoluaient sans cesse au dessus de nous pour donner un aperçu de nos troupes aux leurs, après nous avons marché sans cesse on arrivait toujours au cantonnement vers 11h-minuit en s’ayant envoyé tous les jours 30, 35 kilomètres.

 

 (*) : Le Journal des Marches et opérations du régiment (JMO), ne parle pas de « retraite », mais de « mouvement rétrograde ».

Le 27 août

J’ai appris que la 69ème division était complètement sacrifiée car ce jour le 287ème devait aller cantonner à Dompierre (?), mais en garnison l’officier qui commandait le campement s’est adressé à un officier qui était cantonné à Dompierre s’il y avait un cantonnement pour le 5ème bataillon ou le 287ème.

L’autre officier a répondu :

« Vous êtes du 5ème bataillon du 287ème ce n’est pas possible que ce soit vous, vous étiez sacrifié là bas à Thirimont. Il n’y a pas de cantonnement pour vous ici, allez voir à St Hilaire ».

 

Nous sommes donc partis pour St Hilaire, en y arrivant nous avons touché les vivres mais la viande sentait tellement que nous n’avons pas pu la manger.

Le 28 août

le lendemain nous sommes repartis de St Hilaire nous n’avions pas fait 1 km qu’un aéroplane s’amène nous lui avons envoyé une nuée de balles sans l’atteindre, puis nous sommes repartis on a marché très longtemps, vers 2 heures de l’après midi nous avons fais la ……

Nous avons mangé dans les prés tranquillement quand tout à coup on a crié :

« Sac au dos car l’ennemi est là »

 

En effet, l’ennemi grimpait une crête qui était un peu derrière de nous, quand même ce jour là nous n’avons pas eu de pertes, nous avons marché nous avons passé quelques petits pays, finalement à Le Nouvion (-le-Conte) on nous a cantonnés à grande rue, nous avons couché dans une usine sur les carreaux.

Après on a encore marché longtemps, Nous avons logé à Pont-à-Bucy.

Le 29 août

Là, j’ai vu le frère d’Henri Lefèvre qui m’a demandé après Henri, je suis obligé de lui dire la position dans laquelle il se trouvait, je lui ai dit qu’il pouvait en être fier.

En quittant Pont-à-Bucy on nous a dirigé à Renansard, nous avons une position de soutien d’artillerie pendant un moment, ensuite nous nous sommes dirigés sur Alaincourt.

Au matin, nous passons sur la Marne, le génie prépare tout pour faire sauter le pont.

 

Vers 12 heures, nous faisons petite pause et comme nous avons faim nous arrivons dans un champ de pommes de terre et nous nous mettons pour nous manger car notre corps crie famine.

La colonne part sans nous, nous continuons à manger nous restons à quatre et plus tard nous rejoignons la colonne juste au moment où les Allemands nous envoient leurs pruneaux, mais nous battons en retraite sans laisser derrière ni tué ni blessé.

Septembre 1914

Le 3 soir

Bivouac nuit.

Départ, arrivée à Mezu (?), vers 4 heures du soir grande canonnade par artillerie française et allemande sommes encore obligés de battre en retraite sur Courboin. (*)

Nous nous dirigeons sur un pays dans un pays dont je n’ai pu lire le nom.

 

(*) : Courbouin se trouve au sud de Château-Thierry (Aisne)

Le 4

Nous passons à Montmirail, puis nous prenons la défense de l’artillerie, vers 9 heures du matin nous repartons mais toujours pas de manger, nous marchons sans cesse sous un très fort soleil mais rien dans la musette et pas d’eau dans le bidon.

Nous sommes éreintés par la fatigue, par la chaleur, la soif et la faim, beaucoup de mes camarades ont leurs pieds en sang. (*)

 

(*) : Le régiment a effectué prés de 80 km en 3 jours

 

Tellement c’est dur moi, je suis exténué de fatigue mais je me compte heureux près de ces pauvres malheureux qui sont obligés de fournir un effort surhumain pour nous suivre.

Car s’ils restaient en arrière c’est la mort par les ennemis ou par la ……tion. Il est vrai que beaucoup se voyant dans cette situation se serviraient des balles qu’on leur a donné pour se faire sauter la cervelle puisqu’on ne s’en sert pas contre les Allemands.

Beaucoup de ces malheureux en souffrant de la sorte vont voir les majors, les majors leur répondent :

« Nous ne pouvons pas vous reconnaître, il faut marcher ou crever en arrière »

 

 

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Enfin vers 2 h ½ du soir, nous faisons une halte pour manger mais quoi manger nous n’avons absolument rien, nous sommes obligés de voler des pommes de terre dans les champs pour nous manger.

Nous sommes à Les Buteaux et nous savons que nous allons sur Épernay, c’est très malheureux de nous l’avouer, nos officiers sans exceptions, aussi bien depuis le général jusqu’au s/lieutenant, marchent sans but de rassemblement.

Il n’y a pas, il faut marcher toujours et quand on nous dit nous cantonnons à tel endroit nous n’y croyons plus rien car en arrivant à l’endroit dit, il faut des fois continuer à marcher toute la nuit. Voilà le repos qu’on nous donne.

 

En allant à Les Buteaux, j’ai vu passer Louis Bara nous avons été très contents de nous voir, maintenant je dois dire aussi que l’esprit moral des troupes n’est plus très bien car après les fatigues et les privations il ne nous faut pas attendre à avoir un autre état d’esprit.

Si seulement on nous donnait 24h ou 48h de repos et de la nourriture ça se remettrait un peu mais tant que ça ira de cette façon, l’esprit ne changera pas.

 

Un zeppelin allemand est venu nous rendre visite mais de l’endroit où nous nous trouvons il est éloigné. C’est très pénible d’attendre, nous avons entendu un officier d’artillerie française, il disait :

 « J’ai 54 ans j’ai demandé à rendre mes galons de commandant puis prendre un fusil car on nous traite de toute sorte j’ai des obus pour le tass….. et l’on me dit que je perds des obus exprès pour donner la direction à l’ennemi »

 

Enfin le soir, nous touchons un peu de manger, alors vous comprenez on est très heureux de pouvoir se rassasier un peu, comme couchette nous couchons sur place ce qui est préférable que de faire 18 à 20 kms pour coucher. Tout de même à la belle étoile on est tout à fait bien car il fait beau temps, les nuits sont belles.

 

A minuit, départ pour une direction inconnue, d’abord Montmirail ensuite plusieurs villages, nous avons à manger dans nos musettes c’est très lourd mais on est heureux car on sait que c’est quelque chose à se mettre sous la dent.

Nous arrivons dans la Seine-et-Marne nous nous dirigeons vers Provins nous arrivons vers 1h de l’après-midi dans un champ on nous fait rester là, nous faisons un peu la pause.

 

Vers le soir, on nous fait creuser des tranchées pour y passer la nuit mais les hommes murmurent car on n’a pas fait de distribution de vivres.

Tout à coup on crie :

« La 20ème (*) aux distributions »

Les caporaux de chaque escouade vont pour toucher la ration nécessaire à leurs hommes, en arrivant là une grande déception nous attendait car il y avait juste un peu de viande si on peut appeler ça de la viande car il y a des crapules qui s’étaient amusées à désosser la viande que nous devions toucher. Nous avons laissé là ces os, pas de café pas de pain, pas de sucre, enfin rien.

 

(*) : Il s’agit de la 20e compagnie

La bataille de la Marne

6 septembre

La journée du dimanche 6 septembre s’est passée sans rien toucher et la journée a été rude dès 5h du matin on commence à faire des tranchées et les Allemands commencent à nous bombarder.

Toute la journée un duel effroyable d’artillerie, nous l’infanterie on nous a donné l’ordre de ne pas bouger, il faut tenir coûte que coûte.

Nous sommes là, en spectateurs, on voit éclater les obus un peu partout.

Les artilleurs français sont admirables aussi de courage car les obus tombent partout autour des leurs, jusque midi la canonnade ne cesse une seule minute et nous, nous attendons, nous restons dans les tranchées.

Toute la journée la canonnade continue sans cesse, acharnée d’un coté comme de l’autre.

 

Vers le soir, nos artilleurs envoient des obus Rimaillos ces obus sont terribles leurs effets sont foudroyants, ces obus pèsent 47kg et il y a 5kg de mélinite alors quand ça bombe ça fait un dégât épouvantable.

Une batterie française a avancé de 5km pour se mettre en batterie, les artilleurs ont été obligés de rejeter les cadavres allemands d’un coté et d’autre et les Allemands ont eu 32 canons de pris ainsi qu’un commandant de compagnie.

Quand il a été pris, il s’est écrié :

« Avec les engins dont se servent les français ce n’est pas humanitaire c’est trop meurtrier »

 

Les obus français étaient envoyés sans cesse, les obus allemands tombaient un peu partout dans la plaine, on ne s’en retourne pas beaucoup car ils ne sont pas très meurtriers.

La nuit du 6 au 7 septembre s’est passée comme les autres à la belle étoile et sans incident.

7 septembre

Le 7 nous entendions le canon de très loin car les Allemands avaient reculé de beaucoup, le soir nous nous sommes mis en marche pour Monceaux-lès-Provins.

C’est malheureux de voir de voir ce pays arrangé de la façon ou il l’était par les obus français, les Allemands se trouvant dans ces parages donc pour les en déloger il a bien fallu canonner. C’est même dans ce village que la garde impériale a reçu une des ces volées pas banale.

Les officiers allemands se trouvaient dans une ferme dénommée la ferme des Châtaigniers.

Ils avaient dressé la table et ils étaient en train de manger, il y avait un ouvrier de la ferme qui leur remontait du vin et les obus français tombaient dru comme de la grêle, il y a eu un officier allemand qui disait aux autres en entendant tomber les obus :

 « Ne craignons rien, les français ne sont pas assez malins pour venir nous déloger ici »

 

Il n’avait pas fini sa phrase qu’un obus entrait par la fenêtre et le tuait.

 

La ferme ne présente plus qu’un amas de ruines et derrière cette ferme se trouve un bois, il était rempli de cadavres et le pays lui-même ne représente plus non plus qu’un amas de ruines et de cadavres d’animaux de toute sorte.

 

 Ça sent la peste en plein nez nous avons quitté ce pays et nous entrons dans Réveillon, en y arrivant nous avons vu un détachement de prisonniers allemands, je puis vous certifier qu’ils faisaient une triste figure tous.

Puis de ce pays nous avons marché sur Montmirail en passant à Tréfols, il y avait un jour que les Allemands étaient passés, c’est la désolation partout.

C’est la désolation et la peur, nous avons logé au même endroit qu’eux. Ils avaient laissé un peu de vivres, un peu par ci par là croyant sans doute que les français s’en serviraient.

Seulement dans les vivres ils avaient versé un peu de pétrole.

8 septembre

Le 8 septembre le canon a tonné toute la journée sans discontinuer mais au loin de nous, nous l’entendions de plus en plus loin ce qui nous prouvait que les allemands reculaient sans cesse.

Le 8, nous devions loger à Morsains mais comme il y avait trop de soldats, on nous a fait revenir sur nos pas à Tréfols.

9 septembre

Donc nous avons là bivouaqué le 9 au matin nous sommes partis à 8½ du matin pour Montmirail, le canon tonne déjà depuis longtemps et nous avons appris que le lieutenant aviateur De Malesherbes avait été tué par des français, il y en a qui sont vraiment bêtes aussitôt qu’ils voient un avion avec les ailes un peu recourbées, ils croient tout de suite que c’est un allemand.

Ils tirent dessus tout de suite et cependant nos avions Albatros ont les ailes un peu recourbées aussi, cependant on reconnaît un avion boche avec un français.

 

Je l’ai déjà dit, partout où nous passons ça sent la ruine.

Nous traversons quelques villages. Tous sont dévastés, c’est malheureux de voir à quel point c’est dévasté, partout c’est incendie pillage et désastre. Nous rencontrons quelques cadavres allemands et quelques fosses où sont enterrés aussi des Allemands.

Nous avons vu deux caissons de cartouches allemandes démontés par des obus parce que près d’un de ces caissons se trouvait aussi plus de 200 obus allemands non éclatés.

Les boches pendant le combat ne se refusaient sans doute rien car nous avons vu un phono démonté et des disques cassés. Sur la route on voit les bécanes cassées, de toute façon nous avons traversé un petit village nommé Villemoyenne, les habitants nous ont dit que les Allemands avaient empoisonné l’eau.

On voit d’ici à quel point ils sont brigands, nous continuons la route et allons coucher à Artonges.

 

Le 9 soir, le camion de ravitaillement n’arrive pas, pour une fois que nous couchons à l’abri, comme nourriture il faut serrer sa ceinture d’un cran.

 

La poursuite

10 septembre

Le 10 matin, tout le monde se réveille le ventre creux, on attend le convoi car nos ventres crient famine.

Encore une fois on nous défend d’arracher les pommes de terre et cependant avec ces pommes de terre, en arrivant au cantonnement, avec un peu d’eau on fait un peu de rata mais non, il vaut mieux crever de faim.

En arrivant à Artonges on nous fait coucher dans une ferme presque en plein air, dans le bidon même pas d’eau. On dort tant que mal que bien.

 

Le lendemain, nous voila repartis nous traversons plusieurs villages un que je me rappelle principalement c’est Confrémeaux car pour y arriver il a fallu grimper pendant une heure.

Nous avons fait la grande halte à Courboin (prisonniers allemands) de là on repart…….. blanc ……….. cochon vin

11 septembre

 Cohan, Abbaye d’Igny (grande côte) puis Arcis-le-Ponsart et grande bataille (grande bataille de Fismes). En arrivant déjà à Cohan nous commençons à entendre le canon gronder.

Pour arriver à l’Abbaye d’Igny il y a déjà une belle côte, un très joli paysage, de l’endroit où nous nous trouvons nous voyons très bien les obus éclater.

La pluie tombe sans cesse et il nous faut quand même marcher.

Nous trouvons un détachement avec 5 prisonniers allemands, les prisonniers ont l’air très heureux, ils ne cherchent nullement à s’évader ils ont raison ils sont pour ainsi dire libres. Ils ont à manger, sans doute plus que nous, car nous, des fois, on a une boule de pain pour quatre ou cinq alors on voit d’ici le gros bout de pain que l’on a.

 

Après avoir passé l’Abbaye nous regravissons une très forte côte, on en a plein les jambes puis nous redescendons par un chemin très boueux.

Dans Arcis -le-Ponsard partout à perte de vue se trouvent des soldats, comme il est très tard nous pensons faire une grande halte pour nous reposer un peu, et aussi pour nous manger seulement nous sommes tous bien trompés, en fait de halte la marche si bien que nous arrivons dans Bugny.

 

Crugny, brutalité d’officier de réserve :

 Dans ce pays j’ai vu une chose qui n’est pas digne de l’armée française.

Les gens de Crugny avaient les unes à boire les autres des paniers avec des poires. Il est donc arrivé un petit con de lieutenant de réserve qui nous fumait bourru :

« Eh bien allez vous me foutre le camp d’ici »

Et en disant ces mots, il saisit un homme par les épaules et d’une secousse brusque il le jette par terre.

L’homme n’a rien dit il a simplement regardé comme il a dit :

« J’ai pensé à mes gosses ou sans ça, j’aurai douze balle dans la peau car je l’aurais tué sur place ».

 

Nous traversons Serzy et Savigny sans qu’il y ait rien de nouveau.

Départ de Blesmes pour Ronchères

Lorsque nous sommes partis de Blesmes vers 8h du matin nous pensions ne pas marcher beaucoup, le premier village que nous traversons est Fossoy déjà là on aperçoit les horreurs que les Allemands ont laissé.

Partout dans les maisons tout est mis sens dessus-dessous, nous traversons ce petit village on voit que les gens sont contents de revoir des soldats français.

 

De là nous voila partis pour Mezy-Moulins, là les horreurs de la guerre se font encore voir.

Seulement avant d’y arriver nous faisons par la pluie une petite pause qui dure environ 3 heures, voila comme ça on est bien secs. En arrivant sur le pont de la voie ferrée nous voyons tous les fils du chemin de fer qui sont coupés puis de là nous voilà partis sur Mont Saint Père.

De là nous avons passé la Marne sur un pont que le génie avait construit car ils avaient fait sauter l’autre pour empêcher les Allemands de passer.

Dans le coup de l’explosion il y eu une vingtaine de soldats de tués ainsi que 2 femmes, ils sont tous enterrés ensemble.

 

Les Allemands avaient eux aussi construit un pont et comme ils sont sans cesse harcelés par notre cavalerie et notre artillerie, ils ont abandonné dans la Marne plus de 2 000 000 de paquets de carbone ainsi que beaucoup d’obus à mélinite.

Les balles nous en avons trouvé sur une très grande longueur puis nous avons passé Chartèves et nous sommes arrivés à Jaulgonne.

 

Là, les boches avaient encore fait des leurs.

Toutes les maisons étaient pillées, saccagées enfin c’était le désordre partout le pays était très sale, seulement nous ne pensions pas à le regarder car nous étions trempés comme des soupes.

Car l’eau tombait à torrents, nous faisons une halte dans un bois vous devez penser si l’eau tombait doublement, nous voila repartis nous traversons Le Charmel nous dirigeons sur ……..  Courmont là encore pareil et prisonniers allemands, puis on repart pour Cierges.

 

Arrivés à Cierges, pas de place pour nous dormir, tout ça fait toujours plaisir si bien que nous arrivons à 7h du soir à Ronchères trempés jusqu’aux os.

 

Quand nous sommes arrivés la 1ère chose que nous avons pensé ce fut de faire du feu pour nous sécher. Les gens chez qui nous avons logé nous ont dit que la veille ils avaient eu un capitaine d’artillerie allemande pour loger chez eux et qu’il leur avait dit :

« Les français nous ont bien attirés dans un guet-apens maintenant que nous sommes embouteillés nous ne savons pas si nous pourrons retourner en Allemagne et avant la fin du mois tout sera fini ».

Ils ont aussi laissé sur place obusiers et plusieurs hommes et chevaux. Nous sommes bien réchauffés et nous avons passé la nuit dans le foin.

 

La journée tragique

12 septembre

Le 12 à 6h du matin, on nous a fait la distribution : un quart de boule par homme, avec ça on peut aller loin.

Départ 6h45, nous voila donc partis on ne pensait pas aller loin mais seulement désillusion complète, en fait de petite marche nous nous enfilons au moins 52kms.

La pluie commence à tomber au départ c’est pour toute la journée.

Nous allons sur Épernay, puis changement de direction on va sur Reims, nous traversons Branscourt, Courcelles, Sapicourt, Prouilly aussi déjà à 6h du soir on est à Branscourt.

Nous marchons depuis le matin sans avoir fait de grande halte pour manger, la pluie retombe à torrents. Tout le monde est trempé jusqu’aux os, pour arriver au cantonnement nous traversons un bois et nous restons au moins deux heures sans bouger.

 

Beaucoup de mes camarades tombent à terre de froid de faim et de fatigue,  j’ai un camarade nommé Berthier que j’ai été obligé de maintenir par le bras pendant au 2 kms.

 Il ne peut plus marcher j’ai l’impression que tout le monde est prêt à se soulever, il y a vraiment de quoi car plus nous nous plaignons plus on nous laisse sur place. Enfin nous apercevons des lumières c’est là, seulement on nous fait poireauter tout le monde crie :

« Assassin voleur bandit criminel ».

En effet c’est bien les mots qu’on peut donner à ce cochon de colonel, on dirait vraiment qu’il prend un suprême plaisir à nous voir souffrir.

 

Je me dirige tout de même avec Berthier vers cette demeure, en y arrivant on me demande ce que je veux je réponds :

« Monsieur je viens vous demander hospitalité pour mon copain qui est malade ».

« En ce cas, me dit il, entrez »

On lui donne un cordial ça le remet un peu, mais comme il est gelé ça ne fait pas grand-chose.

 

Le plus malheureux c’est un sergent de réserve du 332ème, le malheureux a été au moins 2h sans connaissance et pas de major pour lui porter secours. Dans les cas pareils les majors sont toujours absents, on a même été obligé de le porter coucher dans le foin il était encore sans connaissance.

Ce pays est Trigny, tout le monde rouspète et avec raison car c’est malheureux de faire faire des marches semblables et par un temps pareil. Il y a même eu des compagnies qui ont laissé des hommes malades en pleine nuit par la pluie dans les bois, il y en a qui ont logé dans les meules, dans les cours enfin un peu partout.

Il ne fallait plus grand-chose pour que les hommes se mutinent, je me rappellerai de ça.

 

 

Le JMO du régiment confirme cette journée très éprouvante :

 

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13 septembre

Le 13 au matin comme distribution : ceinture, on part à 6h du matin sans rien dans la musette et rien dans le corps, c’est très malheureux de partir de la sorte.

 

En quittant Trigny le 1er pays que nous avons traversé est Gouvencourt, toutes les personnes sont à peu près gaies.

Elles rigolent de nous voir on leur demande un peu de pain elles nous répondent :

« Nous n’avons plus rien les Allemands nous ont tout pris ».

Mais cela c’est de la blague c’est parce qu’ils ne veulent rien donner, j’ai même entendu une femme qui disait quand nous sommes passés :

« Ce n’est pas le moment de faire voir son manger car il faudrait tout leur donner ».

On voit bien que c’est de la mauvaise volonté des gens pour les Français.

 

Avec les Allemands c’est tout autrement, ils prennent sans rien demander ils se font même servir à table donc avec eux la population ne crâne pas tant.

Il faut les servir ils dévalisent tout et partout, de cette façon les Allemands n’ont pas faim ce n’est pas comme nous quand on nous voit cueillir quelque chose soit une pomme, une poire ou une grappe de raisin on nous menace de nous fusiller.

Il y a même un caporal nommé Robeau qui a été pris avec un peu de raisin dans sa musette, il a pris 15 jours de prison et un autre qui a eu 8 jours de prison pour avoir monté dans un autobus.

 

Enfin nous sommes plus malheureux que les prisonniers allemands, eux autres on les entoure ils marchent au milieu de la colonne on leur donne à manger et à boire. Ils n’ont rien à s’inquiéter mais nous quand on nous voit s’arrêter, tout de suite on nous poursuit.

On parle de l’armée allemande mais l’armée française est encore pire.

 

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L’armée allemande avait fait faire du pain pour eux, mais comme ils n’ont pas eu le temps de le prendre, les habitants nous les ont donné.

 

La blessure

Puis après nous avons traversé Cauroy les habitants étaient un peu tristes, de là nous avons pris la route de Reims à Laon.

Nous arrivons à une maison nommée Maison Bleue nous étions en train de faire la pause, tout à coup l’artillerie qui passe, nous nous disons : il va se passer quelque chose de pas ordinaire, donc nous avançons avec eux.

 

Tout à coup ils se mettent en batterie, nous recevons des ordres pour se mettre en position derrière et à gauche seulement, nous voila donc partis mais en cours de route, voila les balles qui nous arrivent dirigées d’un bois par les hulans. Ces cochons avaient des balles explosives nous prenons position sur une crête voila les balles qui arrivent avec acharnement.

Nous sommes sacrifiés, nous sommes 2 compagnies contre on ne sait combien d’ennemis.

 

Tout à coup, j’ai un camarade qui arrive près de moi, en y arrivant il reçoit une balle dans l’épaule mais la balle a dévié sur ses courroies et il n’a rien. Et nous continuons à tirer avec acharnement aussi, tout à coup je reçois une balle dans le ventre, je tombe sur le côté, je demande à mon copain, je lui dis de regarder ma blessure la balle était à plat sur mon ventre.

Le camarade me l’a donnée j’ai été très content de voir que je n’avais que ça.

 

Malheureusement il n’en a pas été de même pour mes autres camarades, ah quelle malheureuse journée pour nous nous la 20ème compagnie, tant de tués et de blessés que nous avons laissés sur le champ de bataille d’Aguilcourt, plus de 80.

C’est malheureux, on nous a envoyé au combat en nous disant :

« Allez là derrière vous contournerez un convoi ».

Mais en fait de convoi c’était les allemands qui nous attendaient.

Le major Cavenel, l’adjudant, le caporal Fournier, un sergent rengagé, tout ça, ont été blessés et combien d’autres.

Mon camarade Louis Berthier (*) que j’avais sauvé la veille a reçu une balle en pleine tête, il n’a pas jeté un cri il a été tué sur le coup.

Près de moi il y avait un soldat, qui ne savait pas bien tirer, je lui dis :

« Mon vieux Coquigny puisque tu ne sais pas tirer, couches toi et ne bouges pas ».

Donc il se couche au même moment il reçoit une balle dans la cuisse, il dit :

« J’ai une balle dans la cuisse ».

Au même instant il reçoit une balle en pleine oreille il n’a plus bougé, il a été tué sur le coup. (**)

 

Voyant que nous ne pouvions plus tenir nous avons été obligés de battre en retraite.

D’habitude on voyait des régiments et des régiments mais le 13 on ne voyait personne.

 

Combat du 13/9/1914

Tué Coquigny Léon

Témoins

Caporal Parisis          signature : Garoy

Aguilcourt  Guignicourt  Brouvé

 

L’artillerie tirait de temps en temps mais les Allemands nous envoyaient obus sur obus et les balles tombaient à torrent.

Nous avons retourné sur la maison bleue et j’ai fait mettre un peu de teinture d’iode par un major du 254ème qui me dit :

« Mon ami vous pouvez dire que vous êtes verni car 99 fois sur 100 vous auriez été tué ». (***)

 

Puis de là nous sommes partis sur Berry-au-Bac.

 

En arrivant là tout était pris il a fallu repartir pour Guignicourt et depuis vendredi soir où nous n’avons pas touché de pain on peut voir d’ici la force que nous devions avoir.

Quand même en étant sur la ligne de combat nous ne pensions ni à notre faim ni à notre fatigue, nous ne pensions qu’à défendre notre peau, malheureusement beaucoup l’ont laissée.

Nous avons dormi à la belle étoile près de Guignicourt.

 

(*) : Je n’ai pas trouvé trace de ce soldat…

(**) : D’après la fiche SGA : « Coquigny Léon Camille, 30 ans, né à La Neuville-Housset (Aisne), tué à l’ennemi, à Vienne-le-Château, le 14 septembre 1914. »

On constate que deux erreurs se sont glissées, la date et le lieu. Le jugement de son décès, en mars 1921, explique certainement cela. Son corps a du disparaitre après son décès constaté par Alfred PARISIS.

(***) : Selon le JMO (indiqué sur la journée du 15/09/14), le régiment a perdu le 13 septembre : 4 officiers tués, 7 officiers blessés, 59 hommes tués et 389 hommes blessés.

14 septembre

Vers 2h du matin, les Allemands nous ont envoyé des balles, on crie « aux armes », nous voilà debout puis voyant que ce n’était rien nous nous recouchons.

 

A 5h, ça recommence cette fois nous voila partis mais avec du pain car on nous en a donné.

Nous traversons Guignicourt et nous nous dirigeons vers Prouvais, arrivés là nous restons environ 1h puis nous recevons l’ordre de nous rediriger pour faire la défense du pont de chemin de fer de Guignicourt.

Nous revenons donc en étant près d’arriver au pays voila tout à coup les obus qui nous arrivent, nous avons encore quelques blessés.

 

Il y a un caporal nommé Legrand de Montbrehain qui a été blessé par un éclat d’obus et sur la route se trouvait une voiture du 306ème le conducteur voulait partir. On lui donne l’ordre d’arrêter pour y prendre le blessé comme il n’arrêtait pas il y a un sergent nommé Rovaro qui a couru après lui avec un revolver, le conducteur quand il a vu un revolver briller a vivement fait demi-tour pour prendre le blessé.

Une fois que le blessé a été en voiture, nous sommes partis pour la gare de ce pays et les obus tombent toujours.

 

Nous recevons des obus sans cesse c’est très malheureux on ne peut pas se défendre contre eux puis après nous voila repartis pour Aguilcourt c’est très malheureux de prendre une position semblable nous arrivons à un front nommé le front de Sapigneul

Et le 236ème passe en tête, mais 5 minutes après il battait en retraite avec d’énormes pertes (*) si bien qu’on a fait mettre le 287ème en tête, nous arrivons à notre position mais les Allemands avaient incendié 2 meules de cette façon ils nous voyaient très bien la nuit.

Nous nous mettons à faire des tranchées je suis avec Soulier, car depuis que le pauvre Berthier a été tué, nous ne nous quittons plus.

 

(*) : Il a raison, le JMO indique à cette date :

« ..Une rafale de l’artillerie ennemie (…) oblige le 236e RI à se replier (…) Ce mouvement de repli dégénère en un certain désordre qui menace de ce communiquer au 287e RI. C’est grâce à l’énergie des officiers du 287e qui, revolver au poing, arrêtent les soldats du 236 RI … »

15 septembre

Le matin à 5h, les Allemands commencent à nous envoyer leurs obus.

Oh la la ! Qu’est ce qu’ils nous envoient, ils tirent sur nous sans arrêt avec ça ils nous envoient des balles explosives.

Nous ne pouvons pas lever la tête tellement ça tombe dru, on nous dit qu’il faut résister on ne peut résister. Nous commençons à murmurer si bien qu’il nous vient un ordre de partir mais l’ordre arrive trop tard.

 

Enfin on s’apprête à quitter la tranchée, au moment où je quitte la tranchée je reçois en plein dos une balle d’obus je me tâte je m’aperçois que je n’ai rien. Nous nous mettons à courir sous une pluie d’obus effrayante, peut être 50m plus loin je reçois comme un violent coup de bâton sur le côté du pied gauche c’est à ce moment là que j’ai rattrapé le sergent Rovaro je lui dis :

« Mon vieux Rovaro je crois que je suis blessé au pied gauche ».

 Je regarde et je vois mon soulier plein de sang, je suis obligé de marcher à quatre pattes j’ai eu mon bidon traversé par une balle et ma gamelle sur mon sac a été fracassée.

C’est un vrai miracle que je n’ai pas été tué.

 

Tout à coup je vois passer 2 soldats de ma compagnie, je leur dis :

« Mes amis soutenez moi un peu pour que j’arrive jusqu’à la meule ».

Ils m’ont soutenu en arrivant à la meule je les ai remercié ils sont partis, j’ai vu passer Soulier je lui ai donné mon porte-monnaie avec 30fr car les Allemands approchaient et je ne voulais pas, si en cas j’étais tombé entre leurs mains, qu’ils aient mon argent. Je me suis fait panser, ce que j’avais c’était un shrapnell qui m’avait pris sous la cheville gauche, ça avait fait un canal de 8 à 10 centimètres et c’était ensuite logé dans la chaussette. Je suis resté un moment à une meule où mon pansement a été fait.

Les balles sifflaient sans relâche il y en avait un à la meule qui m’a appelé, au premier abord je ne l’avais pas reconnu c’était Edgar Lefèvre, il était tellement arrangé que je ne le reconnaissais pas.

 

Ensuite j’ai vu Soulier qui courait, je lui ai donné mon porte-monnaie je lui ai dit :

« Si tu en as besoin faut t’en servir et sauve toi tache de ne pas être blessé ».

Ce fut un soldat du 205ème qui est venu me chercher avec un cheval tout sellé, il m’a conduit à une ferme où était établie la Croix Rouge dans un village nommé Sapigneul.

 

La journée s’est passée sans incident sauf que l’on nous a apporté à manger que vers 11h du soir.

Le jour les Allemands ne nous ont pas bombardé mais au moment où on nous apportait à manger ils ont commencé.

Enfin nous avons passé le reste de la nuit en nous demandant si nous en sortirions vivants.

 

Le JMO du régiment confirme cette journée très éprouvante :

 

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16 septembre

Puis enfin le jour a paru avec quelle joie nous avons vu éclore cette journée, vers 6h du matin les voitures d’ambulance sont venues nous chercher pour nous conduire à Cormicy. Nous étions très contents de partir de cet endroit dangereux pour nous autres blessés, hélas nous ne savions pas ce qui nous attendait.

Enfin, nous voila en voiture nous allons quitter Sapigneul et en route pour Cormicy. Vous allez voir jusqu’à quel point va la cruauté des allemands, cependant il me semble que les ambulances doivent être respectées.

 

Nous avions à peine quitté le village que tout à coup nous entendons le crépitement des balles, nous nous demandions d’où ça pouvait provenir, le problème était facile à résoudre c’était les Allemands qui tiraient sur nous. Il y avait 4 voitures il y a des blessés qui ont été reblessés, un cheval de tué et des infirmiers eux aussi qui ont été blessés.

Enfin, nous voila arrivés à Cormicy, c’était changer un cheval borgne pour un aveugle. On nous met dans l’école des garçons, nous y étions à peine installés que nous nous apercevons que nous avons l’artillerie derrière nous.

Toute la journée ces N de D n’ont cessé une minute de tirer, comme manger on nous a donné un peu dans la journée et un peu vers 9h du soir.

 

Le bombardement tragique de l’école-hôpital de Cormicy

17 septembre

La nuit du mercredi au jeudi les batteries françaises n’ont cessé un seul instant, nous les entendions car malgré que nous étions fatigués pas un de nous ne dormait.

Il faut aussi que je vous dise que nous étions 60 blessés dans cette école et fatalement ce qui devait arriver arriva, les Allemands se voyant canonnés par les batteries françaises cherchaient à démonter ces batteries et comme ces batteries étaient derrière le village, le village a fatalement été bombardé.

 

Tout à coup un obus tombe dans la cour de l’école, et la panique commence à régner parmi nous, 2 minutes plus tard c’en est un qui tombe tout en face.

Toutes les vitres tombent, les blessés qui peuvent marcher se sont sauvés ou ils ont fui mais nous étions une quinzaine qui ne pouvions pas marcher. Nous nous sommes rassemblés dans un coin, pour nous le plus dur n’était pas encore sonné il sonna juste vers midi, un obus ennemi tomba juste sur l’école les murs se sont effondrés en partie et nous n’avions rien dans le bidon.

 

Vous dire les heures d’angoisse que nous avons vécues vous ne pourrez jamais vous l’imaginer, c’est comme ça jusque 5h du soir.

Il est tombé 5 obus nous étions sous les décombres, sous les plâtres enfin sous toutes sortes de choses enfin vers 5h nous entendons des pas on venait à notre secours.

Chacun lève la tête et que vois-je, deux soldats de ma compagnie et même de ma section, j’ai été très heureux de les revoir, eux aussi.

Ils m’ont vivement mis sur un brancard et en route je ne savais pas où ils me conduisaient je leur ai demandé ils m’ont répondu :

« Ne te fais pas de chagrin nous allons te mettre en sûreté ».

Ils me portaient pour me mettre dans une cave, en effet dans cette cave on était en sûreté car il y avait quarante cinq marches à descendre et c’était taillé dans le roc.

 

Vers 7h, on nous a donné à manger car nous étions à 30 blessés, autant d’infirmiers et 3 ou 4 majors. Parmi ces infirmiers il y en avait un d’Aisonville nommé Valentin.

La nuit que nous avons passée là dedans a été triste car nous étions tous gelés.

18 septembre

Le lendemain vers 2h de l’après midi, on est venu me chercher pour me conduire à l’école des filles, quand je fus arrivé le major m’a demandé ce que je voulais, naturellement ma réponse fut :

« À manger car j’ai bien faim »

Je lui ai expliqué depuis quand et comment j’avais eu à manger, il a trouvé que c’était malheureux de laisser des hommes si longtemps sans manger. Il m’a dit :

« Mets toi dans cette salle on va t’en donner »

 

J’entre donc dans la salle, nous étions 15 blessés, 8 allemands et 7 français.

Quand vint l’heure de la soupe et que l’on a servie j’ai été rassasié. J’ai eu une gamelle de soupe puis ce fut du rata et trois portions de viande, je tiens à dire qu’avec les trois portions que j’ai eues à l’école des filles on en aurait au moins fait neuf de celles que nous touchions à l’école des garçons.

 

Croquis trouvé dans le carnet d’Alfred, secteur Berry-au-Bac.

Cliquer pour agrandissement

 

plan bataille Berry au Bac 1petite

 

Car à l’école des garçons on ne nous en donnait pas souvent mais quand il arrivait l’heure de la soupe, on nous donnait juste pour nous faire voir qu’on nous en donnait.

Bref, là-dessus quand j’ai eu mangé que j’ai été bien restauré le major est venu nous prévenir que nous allions être évacués de ce pays de désastre, en effet vers 9h du soir.

Il est arrivé 6 camions automobiles, on nous a mis dedans et en route.

 

Nous avons fait 6 à 7 kms mais alors cette fois nous étions un peu en dehors de la ligne des canons.

19 septembre

 On nous a débarqués à Bouffignereux nous avons passé la nuit dans une espèce de grange et le lendemain matin là on nous a donné à chacun la moitié d’un quart de jus si on peut appeler ça du jus que c’était de l’eau rougie, ça ne fait rien, puis un bout de pain (une boule pour 17) et les infirmiers ont dit :

« Prenez patience on va venir vous chercher »

Oui, mais à la fin on perdait patience nous n’entendions jamais rien venir.

 

Tout de même vers 3 heures, nous avons entendu le ronflement des moteurs c’étaient les autos qui venaient nous chercher. Nous nous casons comme nous avons pu, puis enfin le démarrage.

Vous dire la joie que chacun éprouvait de quitter ces lieux où ça puait la poudre en plein nez, où nos oreilles étaient fatiguées d’entendre sans cesse ces grondements meurtriers de nos pièces Rimaillo et nos 75 puis 120, je vous dirai que chaque canon envoyait jusqu’à 1000 obus par jour.

Eh bien tant qu’aux environs de Berry-au-Bac, Sapigneul, Cormicy, Bouffignereux il y avait au moins sans exagération 4 à 500 canons, alors voyez d’ici quel tintamarre il y avait de quoi devenir sourd.

 

Nous traversons Bouffignereux, en cours de route il y a un officier d’artillerie qui monte à l’automobile où j’étais, il était évacué pour la dysenterie. En passant dans la plaine on voyait dans le lointain nos obus éclater, je tiens à vous dire, déloger ça coûtera cher.

Nous voila donc partis ça allait très bien en cours de route nous voyons des prisonniers allemands qui étaient occupés au nettoyage des routes, puis plus, qu’est-ce que nous voyons vous ne le devinerez jamais, c’était des régiments d’active en train de faire la pause.

Pendant que nous les réservistes nous nous faisons broyer, l’active comme des bienheureux fait la pause.

 

J’avais tellement faim, qu’en cours de route profitant que l’auto était arrêtée, voyant un soldat mordre à pleines dents dans un biscuit, je lui ai demandé.

Enfin nous voila arrivés à Jonchères-sur-Vesle en arrivant à la gare on nous a donné à manger.

Tous les blessés, comme vous devez penser, étaient affamés. Nous avons mangé chacun 3 ou 4 tartines de confiture puis les bonnes gens nous ont donné du thé bien chaud.

Quand nous avons été un peu réconfortés des Dames de France ont passé pour renouveler nos pansements.

Quand ce fut mon tour et que le major a vu ma blessure il me dit :

« Mon vieux ne te fais pas de mauvais sang car dans un mois tu vas courir comme un lapin »

 

Nous voila tous pansés, il y en avait de toutes les façons puis on nous met en chemin de fer mais dans des wagons à bestiaux, un peu de paille et à 6h½ du soir coup de sifflet et en route.

Nous voilà partis.

20 septembre

La nuit nous étions tous gelés nous n’osions pas nous bouger de peur de nous faire mal l’un l’autre, bref à 7h du matin nous arrivons à Château-Thierry. Il avait fallu faire un très grand détour car les voies par endroit étaient coupées.

Nous étions très heureux de voir le jour.

A cette gare on nous a donné du pain et des boîtes de singe nous en avons été très heureux.

Il faut que je vous dise en passant que quand nous avons pris le train que nous nous dirigions sur Noisy-le-Sec puis après nous avons pris la direction d’Épernay en croyant toujours nous diriger sur Noisy-le-Sec.

 

Le 1er arrêt après Épernay, était Avize c’était un petit village seulement les gens étaient très bonnes pour nous, la garde barrière principalement. Elle nous a donné du café bien chaud avec la goutte, du vin mousseux, du pain tendre, des chemises, des mouchoirs jusqu’à des pantalons car il y en avait deux dans mon wagon qui n’en avaient plus.

 

A cette gare, nous avons vu des gens de Berry-au-Bac qui avaient été obligés d’évacuer leur pays. Nous leur avons expliqué comment se trouvait leur pays ainsi qu’Aguilcourt, Sapigneul puis Guignicourt malgré le désastre entendu sur ces pays elles ont été très contentes d’en avoir des nouvelles.

Puis par arrêts successifs nous avons vu Coulommiers et … .

21 septembre

 Vers 6h du matin, nous étions à Verneuil-l’Étang. Les gens nous ont donné du bouillon bien chaud ce qui nous a fait du bien, du pain de la confiture, du vin, du raisin enfin tout ce que vous pouvez vous imaginer jusqu’à des cigarettes.

Puis le train se remet en marche, comme il faisait soir et froid nous avons fermé la porte et nous avons essayé de dormir c’était lundi soir.

22 septembre

Donc mardi matin, nous nous éveillons et nous étions en gare de Chartres nous n’étions plus du tout dans la direction de Noisy-le-Sec nous y tournions le dos en plein.

Là du café chaud et du pain puis après ce fut Illiers, Izrou, Courtalaing, Montdoublague, Sarge, Savigny-sur-Braye, Montoire, St Arnaud, Château-Renault, Monnaie et Tours.

Tous ces noms ce fut les gares où nous avons été reçus comme des enfants gâtés, je vous prie de croire que malgré nos blessures nous étions très heureux d’être reçus de cette façon, ça nous mettait un baume dans le cœur.

 

Enfin vers 6h du soir, nous traversons la Loire et nous entrons à Tours, le mardi dans la journée on nous a dit que nous allions à Tours mais en arrivant ce ne fut plus ça du tout, car après un moment d’arrêt nous voila repartis cette fois pour une direction inconnue.

Le chef de train nous dit pour nous consoler qu’il devait nous conduire à Périgueux vous devez penser si nous trouvions ça amer, c’est que Périgueux ce n’est pas tout près.

 

Hôpital d’Angers

23 septembre

Enfin vers 2h du matin l’on nous réveille en nous disant :

« Ceux qui peuvent marcher n’ont qu’à essayer de descendre, ça aidera les infirmiers car les amis c’est ici que vous descendez ».

 

Nous regardons de suite le nom du pays nous étions à Angers.

Donc j’ai attrapé ma béquille et appuyé sur un homme qui se trouvait là je me dirige vers l’ambulance qu’il y avait d’installée à la gare. L’on inscrit nos noms, prénoms, genre de blessure, régiment, compagnie enfin tout le fourbi puis on désigne notre hôpital.

 

Moi et un copain de 287ème résidant à Remaucourt près de St Quentin, nous sommes dirigés sur l’hôpital n°6 rue Dacier.

On nous conduit à la sortie de la gare il y avait des autos de maisons bourgeoises nous montons dedans et en route. Dix minutes de route et nous voila arrivés, à la descente infirmiers et infirmières s’empressent autour de nous, la première chose ce fut de nous conduire au réfectoire boire un bol de bouillon bien chaud que nous acceptons d’un grand cœur puis on nous a conduits à nos lits.

 

Moi et le copain nous avions demandé à rester ensemble, on nous amis dans la même salle côte à côte, nous sommes dans la salle d’Assas.

Puis aussitôt au lit, nous avons échangé complètement de linge, je vous assure que j’ai bien dormi car vraiment ça me semblait bon de coucher dans un lit et d’être à l’abri.

Au moins là on pouvait se reposer en toute sécurité le bruit des balles et du canon ne cassait plus nos oreilles et nous avions plus cette appréhension de dormir sur une oreille car à la campagne nous dormions toujours à demi.

24 septembre

Le lendemain matin, nous avons eu la visite des majors, ils se sont montrés très embarrassés autour de nous, nous demandant toute sorte de détails puis vint l’heure de la visite.

Tous les nouveaux arrivés de la nuit sont passés les premiers, les majors se sont montrés dignes de leur capacité car pour nous enlever les vieux pansements ils y allaient avec douceur.

Quand nos blessures furent nettoyées et que nos pansements furent refaits ce fut à notre tour de nous nettoyer, pour cela les jeunes filles qui faisaient partie de la Croix Rouge vinrent nous apporter tout ce qui nous était nécessaire.

Ceux qui comme moi pouvaient faire usage de leurs mains pouvaient se laver mais ceux qui étaient blessés aux mains, ces jeunes filles les lavaient comme des mères lavent leurs enfants, avec autant de soin.

Quand arriva l’heure de manger c'est-à-dire dix heures nous avons soupe potage, viande et quart de vin ainsi que dessert, à cinq heures du soir, ce fut pareil et à chaque repas changement de menu.

 

Malgré que je sois très bien soigné, ce qui soulage un peu nos blessures, ma pensée est toujours errante, j’ai très souvent pensé ce que pouvaient être devenus ma femme et mon fils car ayant appris que les Allemands occupaient Bohain et sachant les cruautés dont ces barbares sont capables, j’ignorais leur sort.

Que je voudrais bien avoir un peu de leurs nouvelles car depuis que je suis parti de St Quentin, j’en ai cependant envoyé des lettres, et je n’ai jamais eu de nouvelles.

Vous devez comprendre mes souffrances d’époux et de père, car ce jour 29 septembre j’ignore encore ce que sont devenus les membres de ma famille car avec ces vandales rien de bon n’est à espérer.

Je l’ai vu par les endroits où nous avons traversé où ces vampires avaient passé. Rien n’est plus debout, bouteilles de vin vides enfin tout ce qu’on peut imaginer est dehors, les maisons aussi.

Malgré les bons soins je suis morose, j’attends des nouvelles pour me remettre un peu en place.

 

Depuis le 23 septembre que je suis à l’hôpital n°6 rue Dacier, je suis très content d’y être soigné de cette façon. Les gens qui viennent nous voir nous disent des bonnes paroles pour tacher de nous réconforter un peu mais malgré tout ce que j’attends, ce serait rien qu’un mot de ma famille puisque ayant appris que les boches étaient installés au pays je ne sais si ma femme et mon enfant n’ont pas évacué ou je n’en sais rien.

 

Depuis que nous avons repris la marche en avant après le combat de Monceaux-lès-Provins et ayant vu toutes les cruautés commises par ces vandales je ne sais plus à quoi penser car ces chameaux là tout leur est bon.

Il n’est pas de cruauté sans qu’ils ne le fassent j’ai vu des villages où les habitants avaient quitté leurs maisons, leurs pauvres meubles étaient là dehors tout éventrés dehors, alors je pensais au pays occupé par ces monstres.

 

Octobre-décembre 1914

Le lendemain que je suis arrivé j’ai envoyé une lettre à ma femme et j’attends la réponse, mais je m’explique un peu le cas.

Voici pourquoi je me l’explique :

Ayant écrit une carte à ma cousine de St Denis elle m’a répondu qu’à St Denis tout allait bien mais qu’il n’en était malheureusement pas de même partout. Elle me disait que sa mère Irène étant allée à Vaux-Andigny pour y passer ses vacances elle n’avait pas eu des ses nouvelles depuis le 24 août que les communications étaient coupées.

Voila pourquoi je m’explique un peu le cas pour lequel je ne reçois pas de lettres.

Tout de même c’est long depuis le 13 août de ne pas avoir de nouvelles, que l’on dise ce que l’on voudra ça semble vraiment trop long, je me résigne quand même puisqu’il le faut.

Tout les matins on nous apporte les journaux c’est avec une anxiété que l’on regarde toutes les péripéties du combat.

Ce jour 7 octobre

Je me suis levé pour la première fois, je vous assure que ça m’a semblé très bon d’aller fumer une pipe dans la cour, je suis resté environ deux heures dehors j’en ai été très content.

La nuit j’ai mieux dormi, pensez donc il y avait quinze jours consécutifs que j’étais couché sans pouvoir me lever, c’est très dur surtout pour moi qui avait l’habitude de ne pas rester en place. Enfin je vois qu’il n’y a pas lieu de s’en inquiéter ce qu’il faut ce n’est plus qu’un peu de patience à prendre.

Ma blessure va de mieux en mieux, je vois qu’il n’en restera rien.

 

La semaine dernière il nous est arrivé deux nouvelles infirmières, il y en a une nous avons vu tout de suite ce que c’était.

Elle se dit infirmière de profession mais tous les blessés ont vu que c’était plutôt une infirmière de rempart, aussi pas un de la salle ne peut la voir. Tandis que l’autre est bien plus gentille, il est vrai que c’est une femme mariée son mari est au 135ème d’infanterie à Angers mais ils habitent à La Courneuve.

 

Donc comme elle revenait de Paris nous avons causé un peu et le dimanche suivant sa mère est venue la voir ainsi que son fils qui est âgé de 4 ans.

Lorsque j’ai vu entrer ce bambin je n’ai pas pu le regarder car il était de la taille de mon petit Henri, alors vous devez pensez si en voyant ce pauvre gosse qui peut être est orphelin, chose que je souhaite que ce soit le contraire à qui je pensais en le voyant là si gai auprès de sa mère. Je n’ai pas pu m’en empêcher d’y aller de quelques larmes.

 

Depuis que nous sommes arrivés à Angers je vous dirai que la nourriture ne change pas, nous en avons toujours assez. Comme nous ne sommes pas atteints de la poitrine ce qui n’est pas malheureusement pour tout le monde, il y en a qui ont des balles à pleine poitrine, donc ceux là ne peuvent pas manger comme ils veulent.

Mais les autres qui comme moi sont atteints aux pieds aux jambes ou aux mains ceux là peuvent manger comme ils veulent et si dans le manger il y a quelque chose qui nous plait pas nous le disons on nous donne autre chose.

Enfin nous y sommes très bien mais malgré tout ceux qui y sont préfèreraient être chez eux près de leur famille.

 

La nuit du 6 au 7/10, il nous est arrivé 45 blessés venant d’Arras, ma foi ils ne sont pas trop amochés je suis très content pour eux.

Le temps passe mais mon inquiétude ne passe pas j’ai écrit au maire de Bohain et nous sommes le 24, je n’ai pas encore de nouvelles je voudrais en avoir car je serai un peu moins inquiet.

 

Aujourd’hui nous avons reçu 38 nouveaux blessés heureusement ils ne sont pas trop blessés, ils viennent tous des environs d’Arras ils disent que ça se bat très fort par là.

Tant qu’a moi je suis pour quitter Angers pour aller ailleurs car comme ma blessure va très bien, je laisse la place aux autres mais quand même je ne suis pas près à retourner au feu.

Je ne suis pas près de pouvoir mettre des souliers car ma cheville me fait encore mal. Donc vers 4 heures de l’après midi on nous a appelés, nous étions 10 à partir l’on nous a donné un peu à manger puis direction la gare d’Angers.

C’était plutôt drôle de nous voir sortir de l’hôpital sur 10 il y avait 4 boiteux. Bref en arrivant à la gare au moment de monter au train il y a une jeune dame bien mise qui nous demanda où nous allions, quand nous lui avons dit l’endroit elle nous dit :

« Vous allez sans doute chez ma belle mère car elle en attends ».

 

Ambulance St Jacques à Bécon(-les-Granits)

 Quand nous fûmes arrivés à Bécon-les-Granits, il y avait des Mrs et des Dames qui nous attendaient, tout de suite ces Mrs ont pris les boiteux. De la gare à l’ambulance il y a 200m, il y avait une dame qui était méchante que l’on n’avait pas pris de voiture pour les boiteux.

En arrivant à l’ambulance la table était prête et nous attendait. D’abord comme premier repas je vous assure que je fus étonné d’en avoir autant car avec ce que j’ai mangé pour un repas j’en aurais eu pour une journée à Angers, quand nous avons eu mangé le fils de la patronne nous a conduits à nos lits puis nous a dit :

 « Vous savez mes amis chaque soir et chaque matin ma sœur viendra dire la prière »

 

Car il faut vous dire en passant que nous sommes soignés par des Sœurs de Charité.

Quand la prière fut dite, il nous a expliqué l’emploi du temps :

« Réveil 7h, toilette, prière puis petit déjeuner ; à 9h visite et pansements de nos blessures ; à 12h dîner ; à 6h souper et prière; coucher à 8h du soir »

 

Faut dire en passant que comme petit déjeuner c’est fade, un bon morceau de pain avec des rillettes puis un bon bol de café au lait, à midi bouillon, viande, légumes, vin et pain à discrétion ainsi que dessert, le soir la même chose mais chaque repas changement de nourriture excepté pour le petit déjeuner.

 

Je n’ai pas dit quelles étaient ces personnes qui nous attendaient à la gare. Il y avait d’abord Madame la Marquise de Maillé, son fils, sa belle-fille, Monsieur le Maire de Bécon ainsi que d’autres personnes. L’ambulance où je me trouve se nomme l’ambulance St-Jacques nous y sommes très bien, le jour de notre arrivée après que la prière fut dite.

Monsieur le Vicomte nous souhaita la bienvenue nous disant que nous serions à l’ambulance comme chez nous.

 

Tout ce que nous aurions besoin qu’on pouvait le demander, ça nous serait accordé seulement en récompense, il nous demandait d’être sage, naturellement nous ne sommes plus des enfants.

Par le fait je tiens à le dire pour les soins que nous recevons pour nos blessures ils sont très bons, chaque jour notre blessure est vue et arrangée. Pour la nourriture et le coucher nous y sommes très bien aussi.

Le jour qu’il fait beau ceux qui peuvent marcher vont en promenade avec Monsieur le Vicomte et ceux qui sont comme moi restent à l’ambulance. Tout ce que nous avons à l’ambulance nourriture, coucher, soins tout ça c’est aux frais de Madame la Marquise, elle ne reçoit aucune indemnité, il y a de la place pour 20 blessés.

 

 

photo ambulance St Jacques  - Copie.jpg

 

Souvenir de Bécon-les-Granits (Maine-et-Loire)

Au milieu du groupe Madame la Marquise de MAILLÉ

 

 

Quand arrive le dimanche ceux qui peuvent marcher vont à la messe, ceux qui comme moi traînent la jambe restent à l’ambulance, seulement le jour de la Toussaint, Madame la Marquise a fait atteler sa voiture et tout le monde est allé à la messe.

De crainte que nous ayons froid aux pieds cette brave dame nous a payé aux uns des sabots, aux autres des chaussons. L’église par elle-même est un beau bâtiment surtout pour un village de 2000 habitants. Quand nous sommes sortis de la messe on aurait dit que nous étions des choses curieuses, tout le monde nous entourait.

Nous avons repris la voiture pour aller à l’ambulance.

Le 2 novembre

J’ai écrit au maire de la ville d’Angers pour savoir si des fois ma famille ne serait pas parmi les émigrés du Nord de la France qui sont arrivés la semaine dernière.

Monsieur le Marquis de Maillé, qui est maire de Bécon (*), a bien voulu mettre le cachet de la mairie et poser sa signature de sorte que j’aie des réponses plus vite.

 

(*) : Roger De MAILLÉ a été maire de Bécon de 1908 à 1925.

Le 3-11-1914

J’ai écrit au préfet d’Angers pour la même chose, aussi j’attends les réponses avec impatience.

Le 9-11-1914

Les blessés de l’ambulance St Jacques avons été invités à visiter les écoles, nous y sommes allés avec la Marquise et le Vicomte de Maillé. Quand nous y sommes arrivés c’était la récréation, tous les enfants étaient très contents de voir des soldats et surtout des blessés.

Puis après nous sommes entrés dans leurs classes, comme c’était une école libre ou autrement dit une école religieuse, il y avait comment, dirais-je, des saints partout.

 

Comme j’avais copié un récit pour que l’institutrice le fasse apprendre à ses élèves il a fallu que je le lise puis un autre soldat a dit une chanson puis un troisième.

Puis les élèves nous ont chanté deux chansons puis plusieurs élèves nous ont charmé par leurs récits qui étaient bien surtout une qui nous récitait la retraite de Russie.

 

Après nous avons été chez les plus petits, ah si ceux là étaient contents de voir des soldats. Ensuite avant de quitter l’école la directrice nous a offert des gâteaux avec du bon petit vin blanc, je n’ai pas eu regret du tout de mon après midi.

 

Le lendemain à 10h du matin nous avons 4 de nos camarades qui nous ont quittés pour aller rejoindre leur dépôt et le soir il nous en est arrivé 11.

Aujourd’hui 19-11-1914

St Edmond, je puis vous assurer la rigolade Edmond Gallard.

Vers le 20-12-1914

J’ai appris que je devais aller en permission à St Denis. J’étais très content d’un sens d’aller voir St Denis et d’un autre côté je prévoyais la tristesse qui m’attendait.

 

Le jour du 22 je partis donc assez content tant que je ne fus pas à Paris, mais à Paris la tristesse m’a pris. Lorsque j’arrivais à St Denis ce fut bien autre chose, la première maison que j’entrais fut chez ma cousine nous avons causé de la famille, naturellement nous n’étions pas gais.

Et quand je suis arrivé à mon logement c’était encore bien pire j’avais pour ainsi dire peur d’ouvrir la porte.

Lorsque je suis entré, dire l’effet que ça m’a fait, je ne pourrais. Je ne suis pas resté longtemps chez moi je suis allé chez Mme Delaporte ce sont des personnes que lorsque la guerre sera finie que je dois récompenser car j’ai été très bien avec eux.

Les filles de Mme Delaporte m’ont très bien accueilli aussi.

Tous les voisins auraient voulu que j’aille chez eux. Le 1er jour j’ai mangé chez la …..trière. La cousine était méchante après moi car elle était venue voir après moi pour manger mais jamais je n’étais là.

Je suis allé passer 2 jours à Paris près de mon oncle qui est arrivé de Caudry.

Enfin la permission s’est assez bien passée les personnes que j’ai pu voir m’ont très bien reçu.

Le 30-12-1914

J’ai pris le train à la gare Montparnasse à 5 heures du soir et je suis arrivé le 31 à Quimper à 8h du soir. Quand je suis arrivé j’ai vu de suite ce que c’était de ce pays, pluie toujours, mauvais pays, pire que ceux du Nord.

 

 

Janvier-mai 1915 : Convalescence en Bretagne

 

Je suis resté à Quimper jusqu’au 10-01-1915 puis de là j’ai été dirigé sur Pluguffan pour faire l’instruction des bleus de la classe 15.

Au moins j’étais plus content que de rester à Quimper.

En restant à Quimper j’aurais pu partir dans un convoi pour la ligne de feu tandis qu’en étant à Pluguffan je pense y rester un bon moment, jusqu’au moment où les bleus seront mobilisables.

Lorsque j’ai quitté le fameux Quimper j’étais un peu peiné car déjà sur 10 jours j’avais déjà fait des copains et ça semblait dur de se quitter, enfin il le fallait.

 

Lorsque je suis arrivé à Pluguffan moi et d’autres gradés nous nous sommes présentés au bureau de la 28ème compagnie.

 

Le 11 matin nous sommes partis à l’exercice, ceux que j’ai d’hommes ce sont tous des auxiliaires ou des réformés rappelés, ce sont pour la plupart des pères de familles, je vous prie de croire qu’à la compagnie comme service ça barde. J’y étais déjà depuis un moment quand tout à coup ma blessure m’a refait mal, j’ai été 4 jours sans pouvoir aller faire mon service.

Le 5ème jour j’ai voulu marcher, j’ai fait environ 12 kms je ne pouvais plus revenir.

Le lendemain, le lieutenant m’a dit qu’il fallait que je me repose, je me suis reposé 2 jours puis après ça a été un peu mieux quoique malgré tout je ne peux pas faire de longues marches.

Aujourd’hui 3 février

J’ai été désigné pour surveiller une corvée de menuisiers, quelques jours après nous avons quitté Pluguffan pour aller loger 6 kms plus loin à Plomelin. Le pays quoique étant très peu éloigné de l’autre, a un autre aspect, c’est plus propre les gens du pays sont bienveillants pour nous, enfin ça fait un changement.

Le lendemain de notre arrivée, nous continuons les exercices, les bleus prennent pour leur rhume il n’y a pas d’erreur il faut pousser leur instruction.

 

Très vite vers le 1er mars commencent à arriver les nouveaux rappelés, dans le nombre il y en a qui ont été soldats d’autres qui n’y ont pas été. De suite on nous met à faire leur instruction les premiers temps sont durs pour eux et pour nous.

Enfin avec patience et bonne volonté on en vient à bout. Beaucoup de ces hommes sont au début très fatigués car c’est très dur.

Vers le 5/3

 Ma blessure me fait encore souffrir je suis allé voir le major, le major m’a demandé pourquoi je marchais avec un pied comme j’en avais un. Il m’a envoyé à Quimper pour qu’on me propose pour être versé dans l’auxiliaire.

A Quimper je me suis fait rejeter, je suis revenu à Plomelin, le lendemain j’ai continué mon service.

 

Vers le 8 j’ai été au tir de guerre à Tréguennec, d’abord nous avons logé à Pont-l’Abbé, faut y avoir été pour voir la population avec les soldats, quand nous sommes arrivés les habitantes nous attendaient au moins 1km avant d’entrer dans Pont-l’Abbé.

 

Le lendemain nous sommes partis pour Tréguennec.

Le temps était superbe nous apercevions très bien l’océan car nous en étions à 2kms. Pendant 2 jours nous y sommes allés mais le 2ème jour l’océan commençait à devenir houleux, ce jour nous avons vu 4 bateaux à vapeur mais malgré ça ma blessure me faisait souffrir énormément si bien qu’en revenant le lieutenant m’a fait rentrer à Plomelin au lieu d’aller faire la manœuvre.

 

Il faut que je dise en passant que les gens chez qui je suis logé sont de bonnes gens. Pendant quelques jours mon pied a bien été.

 

Le 11/3, il partit de la compagnie 30 hommes tous âgés de 25 à 30 ans pour aller, sur, au feu, quand je vis partir ces hommes ça m’a fait quelque chose car je savais ce qui les attendait. Non seulement ils allaient pour avoir des balles, obus et shrapnells mais encore pour avoir toutes sortes de privations.

Je leur souhaite bon courage et bonne chance.

Le 15/3/1915

Ma blessure a recommencé à me faire souffrir je m’en suis plaint à l’officier commandant la compagnie.

 

Le 16 au matin, ça me faisait mal encore davantage, le lieutenant m’a fait rentrer au cantonnement, j’ai pris le jour. Donc en conduisant les malades à la visite j’ai fait voir mon pied au major. Le major m’a demandé comment ça se faisait que je marchais avec un pied semblable, de suite il me l’a arrangé en disant qu’il allait, si ça n’allait pas mieux, me redonner un coup de bistouri.

 

Le lendemain m’a fait encore souffrir mais pas le pansement.

Le pus étant parti de ce fait il n’a pas eu besoin de bistouri, le 19 le major m’a dit qu’il me fallait du repos en quantité, qu’il fallait que ma jambe soit constamment allongée et que s’il n’y avait pas de changement dans 3 ou 4 jours l’on me renvoyait à Quimper.

 

Le 18, j’ai appris par un auxiliaire rappelé, qui a quitté Le Catelet au mois de septembre, que à Bohain les rues de Vaux, Petit-Becquigny, d’Enfer et la place Thiers avaient été rasées par le bombardement.

Vous pensez d’un coup que ça m’a donné j’étais déjà inquiet sur le sort de ceux qui me sont chers et apprendre des choses pareilles c’est affreux et, d’un autre coté, il y a ma blessure aussi qui me chagrine.

Le 22/3/1915

J’ai appris par Anatole Gendre que ma femme, mon fils et ma belle sœur Esther étaient à Avignon, vous dire le coup que ça m’a donné personne ne peut se l’imaginer, j’étais très heureux de les savoir en sûreté.

 

Le 23, j’ai appris par ma cousine que réellement ma femme était en France.

 

Le 24, j’ai fait voir mon pied au docteur Husson, originaire de St Quentin. Le major qui était à Plomelin voulait me garder mais le docteur Husson n’a rien voulu savoir, il faut aller de suite à l’hôpital pour lui faire un curetage, le 25 je suis parti de Plomelin, avant de nous quitter le brave homme chez qui j’étais logé m’a offert à manger il était tout impressionné que je m’en allais, moi aussi ça me faisait quelque chose de quitter de si bonnes gens.

 

En arrivant à l’infirmerie de Quimper je vois Julien Lefèvre, nous avons été très heureux de nous voir, nous avons parlé d’Edgar le pauvre malheureux avait le bras gauche enlevé. Il est vrai que quand je l’avais vu à Berry-au-Bac il était dans un piteux état.

 

Je suis resté 2 jours à l’infirmerie j’en suis sorti le 27.

Ce jour là j’ai reçu une carte de ma femme me disant qu’elle était rentrée à St Denis, j’en suis très heureux.

Donc je suis rentré à l’hôpital mixte où l’on ne fait que des opérations, l’aspect de l’hôpital est bien, comme nourriture on y est assez bien, le lit est bon.

 

Le 28 se passe sans rien d’anormal, j’attends d’être opéré.

 

Le 29 matin, on me prévient que je serai opéré ce jour là donc à jeun et bain, vers midi le chirurgien vient, nous étions quelques uns à être opérés, je suis entré le 3ème dans la salle d’opération. Il était midi ½ l’opération fut vite faite car à 1h j’étais dans mon lit, je me suis éveillé juste à la fin de l’opération, j’ai monté sur mon lit tout seul mais j’étais encore sous l’effet du chloroforme.

 

J’ai souffert le 29 et le 30 mais dans le fond j’étais content que ma cheville avait été grattée peut être que ça ira mieux.

 

Le 1er avril se passa sans rien d’anormal.

 

Le 2 je fus dirigé sur l’hôpital temporaire n°20 (Lycée) le changement avec l’hôpital mixte fut très grand. Je fus affecté à la salle D j’ai comme infirmière une anglaise, les voisins de lit me disent que c’est une bonne infirmière, je ne fus pas long à m’en apercevoir.

Lorsque je fus à mon lit de suite elle est venue faire le lit en me disant

« Vous savez il faut vous coucher de suite pour ne pas aggraver votre blessure »

 

Elle me couvrit comme une mère couvre son enfant, j’avais 2 couvertures, elle m’en remit une 3ème. La 3ème était une doublée on doit penser si j’étais bien, le lit est encore mieux qu’à l’hôpital mixte, la nourriture est meilleure.

Le 4 avril

Dimanche de Pâques

Je suis surpris des mets que nous avons : à 10h bouillon vermicelle, rôti, purée de pommes de terre, salade, œufs, gâteaux, vin, café. Du vin nous en avons un quart à chaque repas tous les jours, aussitôt après avoir mangé le matin l’infirmière est venue faire mon pansement qui n’avait pas été fait depuis le 29 mars.

Elle s’y prit très délicatement lorsque le pansement fut enlevé je vis le trou fait par le bistouri du chirurgien. Il n’était pas trop grand, comme largeur on peut y entrer un sou, comme profondeur 2 ou 3 centimètres, rien quoi. Comme 2ème infirmière c’était une jeune fille très aimable avec tous les blessés se dévouant à prodiguer les soins nécessiteux à chacun.

 

Malgré que l’on soit bien pour une saison comme celle que nous vivons, quand même c’est morose car chacun de nous pense à ceux qui lui sont chers. La pensée est toujours vers ceux qui se demandent « reviendra t’il ? »

De mon coté j’ai hâte de revoir ma femme, mon fils et toute ma famille.

Maudite soit cette guerre qui a séparé tant de familles et combien déjà sont éprouvées. Toutes les familles ont un défenseur là bas où le canon tonne, chaque soldat fait héroïquement son devoir, combien de héros resteront inconnus !

 

Pour revenir à l’hôpital où je suis la vie est toujours la même, comme divertissement jeu de quilles c’est tout, et encore ceux qui y jouent c’est pour passer le temps, ce qui nous reste à faire c’est fumer pour se distraire.

Nous sommes quand même comme dans une prison, le lycée est en tous sens entouré de murs et nous n’avons aucune vue sur l’extérieur. Quand je suis entré à cet hôpital les blessés avaient encore une faveur, ils pouvaient sortir le jeudi et le dimanche ou alors se promener sur une terrasse.

 

Seulement il y a toujours des ingrats, il y en a qui se sont amusés à boire, ils étaient saouls.

Donc là-dessus privation des permissions du jeudi et du dimanche puis interdit d’aller se promener sur la terrasse. On doit penser si ça nous semblait dur, du coup que nous reste t’il à faire rien ou presque rien.

Nous passons notre temps à lire les premiers temps ça va mais au bout de quelques jours la lecture nous ennuie, les cartes nous embêtent, on n’a plus de goût à rien. Tous les matins nous voudrions en nous éveillant qu’il soit l’heure de se coucher tellement la journée à passer nous semble morose, on est content que lorsqu’on reçoit des nouvelles des siens.

 

Le 20 avril, nous avons la visite du général inspecteur des hôpitaux, ce général a trouvé tout le monde très bien, lui même a été très gentil avec nous ce qui est rare car souvent il y a quelque objections à faire.

Ma plaie continue à aller très bien, je ne me ressens plus de rien, je souffre moins qu’avant d’avoir été opéré car avant j’avais toujours la cheville qui me faisait mal.

 

Nous sommes le 21/4/1915

J’attends maintenant la décision du docteur car je pense ne plus rester longtemps à l’hôpital. J’espère aller voir ma chère épouse, mon cher fils ainsi que ma belle sœur. J’ai eu pour voisin en arrivant à cet hôpital un nommé Brelel qui habite Paris, cet homme revenait juste des tranchées.

Il y a passé l’hiver, il me dit que l’hiver il a beaucoup souffert, il est là pour des ulcères, il pensait y rester au moins 6 semaines ou 2 mois seulement il a été très désillusionné car le 23-4 il est parti pour le Lykés et le lendemain il allait en permission.

 

Nous voila donc quittés, voila comme on se fait des camarades et comme on se quitte. Dans la salle où je suis il y a un jeune homme de Marcoing, près de Cambrai, nommé Demarle, avec lui on n’a pas le temps de s’ennuyer il a une tapette bien pendue.

Il a été blessé le 22 août 1914 à Virton et depuis il n’est pas encore retourné au feu, il est comme tous ceux des régions envahies, il aspire que ces régions soient débarrassées, il a laissé là bas toute sa famille et depuis il est sans nouvelles.

 

Ces jours, 3 ou 4, j’ai vu partir beaucoup de blessés pour des maisons de convalescence, soit à Concarneau ou Quimperlé. Moi j’attends la décision du docteur ce que je demande c’est d’aller passer quelques jours près de ma famille.

Je suis très heureux de pouvoir avoir des nouvelles mais je serai encore plus heureux de les voir. A l’hôpital civil on y est très bien mais on ne peut sortir, voila ce qu’il y a de mal.

 

Le 13 mai, j’ai été envoyé dans une maison de convalescence à Quimperlé, là nous sommes soignés par des religieuses, la nourriture n’est pas si bonne qu’à Quimper mais tous les jours nous sortons nous promener accompagnés du sergent qui est affecté à cette maison.

C’est un charmant garçon, on fait pour ainsi tout ce qu’on veut pourvu qu’on soit sage.

 

Le 18 mai, nous avons été nous promener jusqu’à Le Pouldu sur les bords de l’océan la plage était assez belle le matin mais vers deux heures lorsque ce fut l’heure de la marée montante l’océan devenait un peu furieux l’on entendait les vagues au loin gronder.

Nous avons monté sur les rochers pour aller chercher des crabes et vers 4 heures nous sommes revenus (en voiture) nous étions contents de notre journée.     

 

Fin du carnet

 

Ce que nous savons de lui après mai 1915 :

-Il intègre les forges de Nantes en août 1915 (sa station debout difficile et sa profession de daubeur le pré-destinait).

-Il est rappelé, à 32 ans, au 58e RI en mai 1917 (suite aux pertes françaises ?). Il partira combattre en Orient de juin 1914 à janvier 1918 (évacué pour paludisme)

-Il est cassé de son grade de caporal en juin 1918 pour « faute grave envers la discipline ».et finira simple soldat au 58e RI. Voir sa fiche matriculaire >> ici << (3 pages)

 

 

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