Extrait de la correspondance de Kléber POULEAU

Soldat du 89e régiment d’infanterie

 

Mise à jour : novembre 2013

 

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« J'ai un grand père, blessé à la bataille de Vauquois (Meuse) le 28 février 1915, dont je possède le courrier adressé à sa mère (il avait 20 ans à son incorporation en septembre 1914).

Je vous joins quelques extraits de ces lettres qui me semblent significatives (les fautes d’orthographe sont rectifiées) »

Evelyne.

 

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Kléber POULEAU, né le 21 juillet 1894 à Lunay (Loir-et-Cher) parti le 4 septembre 1914, au 89e RI, recrutement de Sens.

 

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St Denis – Vendredi midi (25 septembre 1914 sans doute)

 

Chers Parent

 

« Je crois que vous allez dire que je suis un peu en retard mais ce n'est pas de ma faute j'attendais un peu. Car maintenant on est à St Denis à 5 km de Sens on disait aussi que l'on devait partir pour le camp d'Avon près de Fontainebleau on n'en parle plus car on ne sait rien on nous avertira bien 2 heures à l'avance avec ces bourgeois on ne sait comment virer.

On couche dans la paille sans couverture on n’a pas trop froid on est bien on couche beaucoup dans peu de place.

Voilà 15 jours que l'on a fusil c'est vraiment une ???? car il nous quitte pas souvent que pour aller au lit, le matin il ne fait pas chaud à le tenir.

Le lieutenant nous dit que l'on partira bientôt surtout que la 28e Cie est la première à partir il y a le 26e et la 27e ce sont des évacués et des blessés il en part souvent alors après ça sera nous on part que par compagnie pour bouchait les trous maintenant il ne faut pas croire tout ce qu'ils disent.

Le lieutenant, c'est un chic garçon c'est lui qui commande notre Cie il s'occupe beaucoup de nous surtout pour la nourriture c'est le principal

J’ai reçu le paquet tout va à merveille. Je vous remercie.

Pas plus long car on m'attend pour la porter à Sens elle partira plus vite qu'à St Denis

Je me porte bien et je pense que vous êtes tous de même. »

 

Kléber

 

 

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St Denis, 18 octobre 1914 (dimanche)

 

Chers parents

 

« J’ai attendu aujourd'hui dimanche pour écrire car je n'avais pas encore reçu l'argent que vous avez envoyé comme je l'ai reçu je m'empresse d'écrire j'ai envoyé une carte pour faire patienter j'avais peur que vous ennuyez.

J'ai reçu aussi le coli quant à la couverture je m'en serai bien passé car maintenant on en a une et pour partir on en touche.

M'envoyer plus rien car ça serait plutôt embarrassant si je pars on ne peut emporter tout c'est un peu trop lourd, plus on a plus on se fatigue. On emporte une paire de soulier sur le sac une couverture 2 chemises un caleçon, tricot des chaussettes la veste les vivres de réserve pour 2 ou 3 jours 120 cartouches qui pèsent un poids fusil cartouchière quand on a ça sur le dos ça commence à bien faire, avec 20 ou 30 km dans les pattes, vous voyez comme on peut bien courir avec ça et quand il faut se battre en arrivant ça vous remet d'aplomb.

Surtout si il faut battre en retraite on fout le sac là et on se sauve en vitesse alors tout est perdu j'aime mieux emporter davantage de vivre pour ne pas crever la faim et être moins chargé surtout que l’on n’est pas toujours en 1er ligne.

Je me suis pas fait photographié aujourd'hui avec plusieurs copains il faisait trop sombre pour le faire faire tout seul il m'a dit que je serai mal alors j'aime mieux attendre.

Il y a Maurice LEROY qui est parti au feu vendredi je ne vois plus grand chose à vous dire pour le moment que je me porte toujours bien et je pense que vous êtes de même. »

 

Kléber

 

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St Denis, 16 novembre 1914 (lundi)

 

Chers parents

 

« Je reçois votre lettre ce soir que j'attendais depuis plusieurs jours pour écrire de nouveau. Je me demandais pourquoi je ne recevais rien.

Car je commençais à m'ennuyer surtout maintenant, depuis que l'on nous dit que l'on devait partir l'on a les idées moroses, car on se demande quand cela va être surtout que l'on se tient prêt on nous dit que l'on peut nous appeler le matin pour partir le soir ça ne sera pas long il n'y aura pas beaucoup à réfléchir, ont dit que ça va pas demander longtemps car le 89 a encore pris la purge cette semaine pour la deuxième fois, car en premier il avait pris une bonne purge et voilà sa deuxième ce n'est pas les chefs qui nous le disent mais on le sait tout de même par ceux qui reviennent.

Enfin il n'y a pas que lui tout le 5e corps en a pris pour son compte.

Si on part on ira surement dans l’Argonne car c'est là que les autres sont ça peut demander encore quinze jours comme un. On ne connaît pas grand-chose à ce sujet.

 

Quand à mes affaires je l'ai encore ma couverture me sert tous les jours je la garde encore un peu. Elle me sert pour me couvrir la nuit on n'a jamais trop chaud car on n'a pas de drap. Il y a longtemps que l'on en a vu mais on n'y fait plus attention maintenant.

Il tombe de l'eau tous les jours il ne fait pas trop froid, on ne travaille pas trop maintenant. Je vais terminer ma lettre car j'écris sur une planche sur mes genoux je ne suis pas trop bien calé les tables sont rares.

Je vous embrasse tous et je me porte bien. »

 

Kléber POULEAU

 

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Première lettre après arrivée au front

 

19 décembre 1914 (samedi)

 

Chers parents

 

« J'ai reçu votre lettre et le mandat ce soir pour mieux dire à l'instant car je suis dans les tranchées de réserves à 750 m des première lignes ou l'on va descendre peut être demain faire le coup de feu les balles et les obus nous passent pas loin beaucoup au-dessus de nous l'on entend siffler tout ça et ça fait drôle.

Pour la première fois ce n'a rien d'épatant car on n'est pas habitué à cela avant on joue au petit soldat mais maintenant ce n'est plus ça.

Il ne fait pas froid pour le moment on est bien nourri, il ne manque rien mais enfin ce n'a rien de la vie rêvée. Il ne manque pas de boue des fois jusqu'au mollet chevilles mais on n'y fait pas attention. Je vous assure des fois que l'on est propre quand on sort des tranchées mais pourvu que l'on revienne c'est un détail.

 

Envoyer de petits colis de temps en temps surtout à manger ou linge excepté des chaussettes ce n'est pas la peine ou l'argent de temps en temps mais en lettres recommandées car les mandats ce n'est pas facile à toucher vous avez qu'à mettre des billets dedans, comme ça on a son argent de suite car on trouve du vin à acheter quand on est au repos mais des vivres elles sont assez chères.

Je ne vois plus grand chose à vous dire pour le moment que je porte bien je vous embrasse tous. »

 

Kléber

 

« Voilà une nouvelle adresses qu’ils viennent de nous donner :

89e Infanterie 1ere compagnie secteur postal n° 10

Je suis toujours avec mon copain à côté l'un de l'autre je lui ai donné votre adresse et lui celle de ces parents en cas accidents vous pourriez être prévenus. »

 

 

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26 décembre 1914 (samedi)

 

Chers parents

 

« Je crois que vous allez vous ennuyer car je suis un peu en retard mais j'attendais une lettre de vous car je n'ai rien reçu depuis le 12 qu'elle était partie.

Je pense que vous allez vous faire des cheveux comme beaucoup en ce moment cela n'a rien de bien agréable j'ai pris la garde au poste avancé 48 heures c'est très moche on attend parler les boches car on est à 40 m comme vous voyez on n'est pas loin.

Ils chantent, ils sifflent, ils n'ont pas l'air de s'ennuyer mais je crois bien qu'ils sont comme les autres qu'ils voudraient bien que cela soit fini. Ils ont du toupet car voilà 2 jours il y en un qui est venu à 10m de notre tranchée avec un saucisson et une boite de cigares et les autres se sont découvert par-dessus la tranchée et nous aussi il n'y a pas eu un coup de feu de tiré.

 

C’est plutôt drôle en ces moments-là mais cela ne dure pas car maintenant on a un ordre formel de tirer dessus. (*)

Voilà notre noël passer l'on s'en est guère aperçu on dirait plutôt au 14 juillet il y a qui fait un peu moins chaud voilà 3 jours il est tombé de la neige qui a été vite fondue. Maintenant il gèle, ça serre vite dans ce pays-là je n'ai pas froid au corps mais les pieds c'est toujours ça qui souffrent moi comme les autres.

 

Je ne vois plus grand chose pour le moment à vous marquer je suis toujours en bonne santé.

Écrivez un peu plus souvent.

Je pense que papa n'est pas encore incorporé cela ne presse pas envoyez surtout des chaussettes car je n'en ai plus guère.

Je vous embrasse tous »

 

Kléber

 

« C'est plutôt mal écrit mais on guère bien calé et l'on fait ça au plus vite.

Voilà encore mon adresse si quelque fois vous n'avez reçu mes lettres

1ère compagnie 89e infanterie secteur postal n° 10 »

 

(*) : Ce moment de fraternisation franco-allemande de noël 1914 n’est pas mentionné dans le journal du régiment. Kleber est soldat à la 1e compagnie, donc au 1e bataillon du 89e RI.

Ce bataillon passa la nuit de noël dans les tranchées de la « corne ouest » de la Haute-Chevauchée (nord-ouest de Ste-Menehould, Meuse)

 

 

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Joui (*), Argonne 30 décembre 1914 (mercredi)

 

Chers parents

 

« J’ai enfin reçu votre lettre avant hier que j'attendais avec impatience car je me demandais si c'était que vous n'aviez rien reçu de moi comme s'aurait bien pu se faire en ce moment malgré que la correspondance marche assez bien.

Si mes lettres mettent 6 jours les votre aussi ce n'est pas encore trop long.

 

Nous sommes toujours dans les tranchées nous devons être relevé cette nuit mais je crois que nous n'irons pas en cantonnement nous resterons dans les bois en arrière des lignes assez loin malgré tout.

Nous logerons dans des cabanes que l’on fait avec du bois et de la terre car maintenant on est comme les sauvages, la vie revient à peu près à celle des gaulois, nous nous foutons des coups de fusils sans nous voir car on est terré comme des taupes ce n'est pas le moment de montrer sa tête.

 

Il fait un drôle de temps de la gelée et de la pluie beaucoup temps brumeux pas trop chaud surtout des pieds il y a beaucoup d'évacués par les pieds gelés.

Enfin je commence à m'habituer a tout cela, on y fait plus attention mais plutôt ça sera fini mieux cela vaudra. Il y a des vieux qui y sont depuis le début alors il en ont vu de toutes sorte, c'est intéressant de les entendre raconter.

Je n'ai pas encore reçu le paquet mais il est encore temps pour les chaussettes. Elles seront toujours bien tu peux encore en envoyer car c'est cela qui manque. Elles sont vite humides et de quoi manger, car dans les tranchées on ne rien acheter si on n’a pas assez.

Je ne vois plus grand chose à vous marquer pour le moment.je vous embrasse tous. »

 

Kleber

 

« Tu me dis aussi que tu as reçu mes chemises quant à la couverture je l'ai gardée avec moi ; Ah j'oubliais je vous en souhaite une bonne et heureuse àtout le monde. »

 

(*) : Ce semble être Jouy-en-Argonne - Meuse

 

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Mardi 16 février 1915

 

Chers Parents

 

« Je vous écris deux mots pour vous donner de mes nouvelles que je sais que vous attendez toujours avec impatience. Nous sommes dans les tranchées depuis quatre jours au pied du patelin de Vauquois dans de sales tranchées remplie de boue car il tombe de l'eau tous les jours ce qui n'est pas trop agréable.

Hélas quand finira cette vie que l'on commence fortement à s'ennuyer si cela devez durer encore longtemps vaudrait mieux avoir une dalle dans la caboche, enfin faut espérer que cela finira bientôt on prend patience tout même à force d'écrire l'on est forcé de mettre la vérité car ça commence à vous dégouter enfin ne parlons plus de ça, espérons que la paix est proche.

Je vais écrire à Louis FÉRIGNAC aujourd'hui qui car il m'a écrit une carte me disant qu'il était changé de place et qu’il avait passé le conseil de révision et était réformé, qu'il parle bien l'anglais maintenant.

J’ai reçu votre colis qui m'a fait plaisir. Je trouve les rillettes extra ainsi que les fromages.

Je ne vois plus grand chose à vous marquer pour le moment je me porte toujours bien je vous embrasse tous. »

 

Kléber POULEAU

 

« Ne vous ennuyez pas trop de même car cela ne servira à rien. »

 

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Bourges, le 6 mars 1915 (*)

 

Chers parents

 

« Je pense que vous allez vous vous ennuyer de ne pas recevoir de mes nouvelles car voilà un moment que j'ai écrit. mais aussi je vous dirait que je suis blessé depuis le 28.

J'ai l'épaule gauche traversée, mais rien d'essentiel d'attaquer, bonne blessure. Je suis bien content je ne souffre pas trop.  Ce qui me fait souffrir le plus ce sont les pieds car j'ai une attaque de gelé mais cela commence à aller mieux.

J'ai toujours voyagé depuis je suis arrivé à Bourges hier soir à huit heures à l'hôpital.

Je ne vois plus grand chose à vous marquer pour le moment que je me porte assez bien cela pourrait aller mieux mais enfin il ne faut pas se plaindre car c'est la blessure rêvée. Je ne peux pas me lever mais je mange et je bois, c'est déjà quelque chose.

Tu m’enverras 15 F quand tu auras reçu ma lettre. Je vous embrasse tous »

 

Kléber POULEAU

 

« Voilà mon adresse : Hôpital militaire de Bourges, Cher, salle n° 9

Si vous voulez venir me voir vous serez a même, mais vous trouverez peut être que c'est un peu loin. »

 

(*) : Samedi – 6 jours après sa blessure

 

 

Extrait du journal du régiment indiquant les pertes des 28, 29 et 30 mars 1915.

Kléber est certainement l’un des 495 blessés.

 

 

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  "Bulletin de santé d'un militaire en traitement» signé du médecin militaire

 

Annotation du médecin, annotation de Kléber

13 mars 1915, plaie pénétrante,…..(illisible). Tout va bien je vous embrasse tous.

Kléber.

 

19 mars 1915, plaie pénétrante à poitrine par balle.

Je vous embrasse tous Kléber.

 

3 avril 1915, pleurésie purulente.

Tout va bien je vous embrasse Kléber.

 

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Bourges, le 17 mai 1915

 

Chers parents

 

« Je reçois à l'instant votre lettre il y a l'argent et le certificat que je viens de donner alors je sors vendredi (21 mai) par lequel j'arriverai samedi matin (22 mai) à Vendôme enfin par le même train que vous puisque il n'y en a pas d'autre.

Je compte sur vous pour venir me chercher car je ne pourrais faire le chemin à pied si vous n'êtes pas arrivés j'attendrais

 

Si y a dérangement je vous le dirais mais c'est très rare. Je vous embrasse tous. »

 

Kléber

 

(*) : Il y a environ 10 km de la gare au domicile.

 

 

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Retour au domicile des parents pour convalescence : 2 mois et 22 jours après la blessure

 

 

Sens, le 2 juin 1915

le capitaine HÉRAULT envoie à Kléber POULEAU un mandat de 27 F 50 centimes représentant moins déduction des frais, le montant qui lui est dû pour la période du 22 mai au 5 juin de son congé de convalescence.

 

Puis son état s'est aggravé, il est entré à l'hôpital de Vendôme le 22 août 1915.

Le certificat de sortie de l'hôpital de Vendôme mentionne "Plaie à la poitrine et pleurésie (blessure contractée au front), daté du 1er octobre 1915, entré le 22 août 1915 et sorti le 1er octobre 1915, avec 2 mois de convalescence.

 

Un certificat de Victor AUBRY, maire de Mazangé, daté du 22 septembre 1915 certifie que ses parents peuvent le recevoir en convalescence et qu'il n'existe aucune épidémie dans la commune.

 

Fin

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