Sur ces deux cahiers d’écolier, intégralement recopiés sans rajouts ni suppressions, Suzanne RUPLINGER, née le 24 Janvier 1901 à Lyon a tenu son journal, du mardi 28 juillet 1914 au 30 mai 1918, tantôt à Neuville, comme au début du 1er cahier, et lors des vacances, tantôt à Lyon où la famille RUPLINGER habitait 2 rue Pierre Corneille, près de la place Morand où Suzanne RUPLINGER faisait ses études au cours Diot (qui existe encore)
Son père, Jean RUPLINGER, était né en Lorraine en 1850.
Après la défaite de
Sa mère Adélaïde PASCALIN a hérité de sa tante et marraine Madame Villard d’une propriété à Neuville-sur-Saône, au 4 chemin de Parenty, depuis 1901.
Suzanne a épousé, le 13 septembre 1924, André LATREILLE (1901-1984), intellectuel et historien français. Ils eurent dix enfants entre 1925 et 1944 et de nombreux descendants.
Elle disparut en mars 1991, âgée de 90 ans.
Jean et Adélaïde RUPLINGER ont 6 enfants :
Adélaïde est décédée en 1907,
donc avant l’écriture des cahiers.
Marie Louise née en
1886 (dont on ne parle pas dans ces cahiers. Est-elle déjà au
couvent ?)
André, écrivain, né le
14/07/ 1889 – mort le 20 août 1914 en Lorraine.
Entré à l’école Normale
Supérieur en 1909, écrit sur Charles Bordes, de l’Académie de Lyon, un livre
qui sera publié après sa mort en 1915 avec une préface de Gustave Lanson.
En 1914, il fait son service
militaire à Clermont-Ferrand où il a une permission de 8 jours en juillet pour
présenter l’agrégation de lettres en août 1914, son
régiment, le 92ème RI s’est avancé en Lorraine
jusqu’à BRUDENDORF
Sa sœur Suzanne racontera
plus tard, dans ses souvenirs, la bataille et sa mort.
Citation à l’ordre de l’armée
Un de ses amis intimes écrit à
son père Jean RUPLINGER, après être allé reconnaître les lieux de sa mort ; cet
ami, Morel, mourra bien plus tard à BUCKENWALD.
Eugénie née en 1890, celle
qui est appelée « ma sœur » ou « Ninie » dans les cahiers.
Pierre né en 1892.
Service militaire à Annecy en
1914 avant la déclaration de guerre ;
En Lorraine sur le front en 1915,
évacué sur l’arrière, remontera au front, reviendra à Lyon en 1918. 268e d’artillerie
Henri né en 1894, mort
en mars 1915
Etudes de médecine, s’engage en
1915 comme infirmier, 14ème section
d’infirmiers militaires meurt de la typhoïde.
Suzanne née en 1901.
Celle qui, à
13 ans, raconte la guerre telle qu’elle l’a vécue dans ses cahiers, entre son père et sa sœur, soit à Neuville sur Saône,
soit à Lyon, avec ses 2 et bientôt 3 frères au front.
Un seul en reviendra, après ces
4 ans de guerre
Les noms d’André et Henri
RUPLINGER sont gravés :
À Neuville-sur-Saône sur la
plaque apposée à l’église,
À Lyon sur le monument de l’île
du Parc de
André RUPLINGER est inscrit au
Panthéon à Paris parmi les poètes et écrivains morts pour la France, il a donné
son nom à une rue de la Croix Rousse.
Merci pour la recopie à : Sabine, Alain, Patrick, Jean-Yves
Depuis quelques jours déjà nous
sommes assez inquiets et nous craignons une guerre.
Pendant une visite de l’archiduc,
héritier de l’empereur d’Autriche, dans
Les Autrichiens accusèrent alors
les Serbes d’exciter la population annexée, et d’être cause de cet assassinat.
Ne cherchant qu’une occasion pour faire la guerre à
La question était grave, les
Russes, slaves, ne pouvaient abandonner
Maintenant, les grandes
puissances de l’Europe se réunissent pour essayer d’apaiser l’Autriche et
Il semble que les chances de
paix arriveront peut-être à contrebalancer les chances de guerre.
Ce matin, la guerre est déclarée à
La situation n’est cependant pas
désespérée.
Cependant,
On apprend ce matin que Monsieur
Poincaré est rentré hier en France au milieu d’un grand enthousiasme.
L’Angleterre assure son concours à
En France, des précautions sont
déjà prises. Les permissionnaires sont rappelés. Les voies ferrées sont
gardées. Aux banques, à la caisse d’épargne, l’affluence est considérable.
Dans la journée nous apprenons
que
Les nouvelles sont plus graves.
L’Allemagne a demandé à
En Serbie, Belgrade est occupé
par les Autrichiens.
En France des précautions
financières sont prises. On attend d’un moment à l’autre l’ordre de
mobilisation. On voit passer de nombreux trains de marchandises, vides, se
dirigeant sur Lyon. Les voyageurs se hâtent de regagner leur pays, et déjà le
chemin de fer n’assure plus les transports. Les animaux et les voitures doivent
être tenus prêts.
A Neuville plusieurs réservistes
sont partis, d’autres sont prévenus.
Ici l’on est de plus en plus
inquiet et l’on considère que la guerre n’est pas loin. Les soldats sont fous
de joie à la pensée de partir.
La question, de plus en plus
grave, ne laisse presque plus d’espoir.
Les troupes françaises de
couvertures sont parties.
L’empereur d’Allemagne proclame l’état
de siège dans son empire. La guerre continue en Serbie où les Autrichiens ont
subi un échec. De graves incidents se sont produits à la frontière de l’Est, de
la part des Allemands.
A Paris, on a assassiné Monsieur
Jaurès.
Les nouvelles en étaient là lorsque vers
cinq heures cette après midi a été affiché partout l’ordre de mobilisation.
Ici, il n’y eût aucune récrimination. Seulement on ne voyait que des femmes en
pleurs à la pensée de voir partir le lendemain leurs maris, leurs enfants. Les
hommes montrèrent un grand courage.
L’opinion générale était une sorte
d’exaspération contre les Allemands. Ils voulaient la guerre, nous l’aurons.
Mais toutes les chances sont contre eux. L’Allemagne et l’Autriche auront à
faire face à
Toute l’Europe est depuis longtemps exaspérée
par les Allemands. La question d’Alsace-Lorraine et celle d’Orient ne sont pas
réglées. C’est ce que tout le monde pense.
C’est aujourd’hui le premier
jour de la mobilisation.
Déjà un
grand nombre d’hommes est parti. A l’église il y en a un grand nombre. Dans le
village tout le monde est triste, mais résigné. Les journaux nous apprennent
que l’Allemagne a déclaré la guerre à
On se console en pensant que
Ce matin, à l’église, beaucoup
de monde était venu prier.
On pouvait remarquer une
agitation singulière. En sortant, dans le village, on voyait qu’il y avait
quelque grave nouvelle.
Enfin je pus lire sur un
journal : L’Allemagne envahit
Mais cette conduite hypocrite
avait été prévue et nos troupes de couvertures étaient prêtes.
Mais maintenant ils ont montré
leur lâcheté et leur hypocrisie par cette injure à
Quand aux nouvelles, nous ne
savons rien de nos militaires. On ne peut au juste savoir ce qui se passe à la
frontière, car les journaux sont tenus à la plus grande discrétion.
Ce matin, la situation s’annonce
de plus en plus favorable pour nous. Il est officiel que l’Angleterre nous
soutient et que l’Italie est neutre. Les Allemands veulent entrer en Belgique,
prétendant que les Français y sont déjà.
On dit qu’à la frontière il n’y
a rien d’important, mais que les Allemands sont repoussés de toutes parts par
les troupes de couvertures.
La poste qui ne fonctionnait
plus régulièrement nous apporte de toutes part des lettres et notamment des
nouvelles si impatiemment attendues des soldats.
La confiance et l’enthousiasme
sont grands partout et l’on ne songe qu’à la victoire que font présager tant de
choses ; l’état de
Malgré la crainte et la douleur
de voir partir tant des nôtres, on songe avec une certaine joie que les
Allemands seront arrêtés dans leurs impertinents projets, et que nous reverrons
peut-être enfin l’Alsace et
Enfin, après avoir fait la
guerre, hier les Allemands nous l’ont officiellement déclarée. Les brutalités
ont commencé.
Hier (car nous ne savons les
nouvelles que le lendemain) à quatre heures du matin, un croiseur allemand qui,
paraît-il, avait feint d’arborer le pavillon russe, a bombardé Bône en
Algérie ; un homme a été tué. De même Philippeville a été bombardé. Les
Allemands ont choisi de préférence ces villes parce qu’elles ne sont pas
fortifiées.
En France, Lunéville a été
bombardé par un aéroplane allemand. Les Allemands ont violé la neutralité du
territoire belge, garantie par toutes les grandes puissances de l’Europe.
L’Angleterre a décrété l’état de
guerre ; et
Il y a eut des séances animées à
la chambre des députés et au Sénat. Le président a envoyé un message entraînant
dont la lecture a provoqué des élans d’enthousiasme. C’est un éloge de
L’ambassadeur allemand, monsieur
de Schoen qui nous a endormis dans l’espoir de la paix pendant 8 jours, a
demandé ses passeports.
En Angleterre, la marine est
mobilisée. En Belgique, les Allemands ont violé la frontière et les Belges se
préparent à la résistance. En Serbie les Autrichiens ont bombardé Belgrade,
mais ils ont aussi subi un échec.
L’Angleterre mobilise et a
envoyé un ultimatum à l’Allemagne. L’Europe entière est révoltée par les crimes
des Allemands qui ont tué dix-sept alsaciens.
Partout il y a des
manifestations contre eux.
Hier, 5 Août, l’Angleterre a
déclaré la guerre à l’Allemagne. C’est un encouragement pour nous.
L’Allemagne a déclaré la guerre
à
Un officier allemand fait
prisonnier était tout étonné de la résistance opposée aux Allemands, car on
leur avait affirmé à Berlin qu’ils ne trouveraient aucune résistance.
L’armée belge a détruit deux
régiments de uhlans, et l’armée allemande bombarde Liège.
Nous ne savons rien de ce qui se
passe à la frontière de l’Est. Personne ne reçoit de lettres des soldats qui y
sont, indiquant clairement leur situation ; les lettres ne parviennent que
quelques jours après. Les journaux sont tenus à la plus grande discrétion, et
ne parlent pas des combats qui pourraient avoir lieu, de peur d’effrayer la
population.
Tout le monde est en quête de nouvelles ;
le matin on se précipite sur le journal. Ceux qui peuvent aller à Lyon sont
favorisés, et à leur retour distribuent partout les nouvelles qu’ils ont pu
savoir, bien souvent des fausses nouvelles. De plus, on ne sait que le
lendemain ce qui s’est passé la veille. Cette attente est une bien grande
privation.
Cependant ici toutes les routes sont
gardées, ainsi que les ponts et les gares. On voit des troupes de chevaux qui
partent pour traîner les canons ou les voitures.
Les Allemands continuent leurs
atrocités.
Ils ont tué le curé de
Moineville, village français ; le maire de Saale ; monsieur Samin, un
bon Lorrain qui maintenait dans la jeunesse un peu d’amour pour
Hier, le 6 Août, il y a eut une
terrible bataille devant Liège, ainsi que la veille, le 5 Août. Les Belges les
ont repoussés héroïquement. Les dépêches disent qu’il y a plusieurs milliers
d’Allemands tués, blessés ou prisonniers.
Le combat continue, et les
Belges pensent pouvoir tenir jusqu’à l’arrivée des troupes françaises.
Liège est entouré de vingt-quatre
forts dont quelques-uns datent déjà de près de 30 ans. Jusqu’ici ils ont bien
résisté.
Sur mer, on dit qu’un combat
naval est engagé.
En Serbie, les Autrichiens sont
partout repoussés.
Ces temps-ci, tout semble bien
s’annoncer pour nous, et l’on peut espérer.
Ce matin en prenant le journal
nous avons vu que les Allemands demandait un armistice. Tout le long du chemin
nous lisions le journal pour y trouver les nouvelles que nous attendions depuis
un jour et qui devaient nous occuper toute cette journée.
Il y a plusieurs bonnes
nouvelles dans le journal ; L’Autriche a déclaré la guerre à
L’Empereur Guillaume a fait un sermon
à son peuple, disant qu’il se voit obligé de tirer sa grande épée pour se
défendre des attaques de ses voisins. Il conjure Dieu de bénir ses armées, car
lui n’est pour rien dans la guerre et, malgré tous ses efforts pacifiques (!)
il se voit obligé de se défendre.
Mais ce qu’il ne dit pas
officiellement, c’est ce que rapportait un journal : « N.D. de
Lourdes aura fort à faire de raccomoder les bras et les jambes que nous
casserons."
En sortant de la messe, tout le monde
exultait : les Français sont à Mulhouse, en Alsace ! C’est un
triomphe ! Pendant que les Allemands sont en Belgique, nous allons
pénétrer en Alsace-Lorraine. Et tout le monde se réjouit.
Le journal disait que les Français, après être entrés en
Alsace, avait remporté une victoire à Altkirch ; puis ils étaient entrés à
Mulhouse. De plus les forts de Liège tiennent toujours. Les Autrichiens se font
battre par les Serbes ; on parle même d’un soulèvement en Bohême. Les
Russes ont pénétré en Allemagne, etc.
En somme il n’y a que des bonnes
nouvelles.
Cependant maintenant, les troupes
françaises ont commencé à se battre !
Tous les ponts sont gardés.
L’après-midi, il nous faut un
sauf-conduit pour circuler aux alentours. On arrête toutes les autos, et nul ne
peut circuler hors des villages de 7h1/2 du soir à 6h du matin.
Les troupes françaises sont déjà
depuis quelques jours, cela est confirmé, en Belgique. Même, elles remplacent
en partie l’armée belge à Liège, pour lui permettre de se reposer. « Il
paraît » que les Français ont infligé une défaite aux allemands près de
Jemelle, dans le Luxembourg Belge.
L’Autriche devient provocante pour
Cependant l’Italie déclare
toujours qu’elle restera neutre .
Partout on pourchasse des nuées
d’espions allemands.
Ces jours-ci, le journal ne nous
apprend rien de grave. Les armées ennemies sont en présence dans
On signale de nombreux faits sans grande
importance pour encourager les esprits :
On craint une intervention de
Mais en dernière heure, on
annonce sans fracas que les Français, attaqués par les Allemands, ont évacué
Mulhouse tout en restant maître de
Il est vrai que ce n’étaient que
des troupes d’avant-garde. Cependant on est plutôt désenchanté. On ne peut pas
au juste savoir ce qu’il y a de vrai dans les nouvelles, et pour le moment nous
ne pouvons donc pas dire que nous avons l’avantage.
Les lettres arrivent avec huit jours de retard.
Nous en recevons une de notre
soldat.
Maintenant les armées sont prêtes ;
une grande bataille est imminente. A part cela, rien. Les relations diplomatiques sont rompues
entre
Les journaux rapportent toujours
les cruautés des allemands ; est-ce que tout est vrai ? Dans les
journaux allemands on doit nous traiter de la même manière.
Une grande partie cependant est
bien possible.
En tout cas ce qui nous préoccupe,
c’est cette grande bataille. Ce sera horrible. Combien de temps
durera-t-elle ? Quel en sera le résultat ? Une seule bataille n’est
pas décisive, mais elle peut avoir une grande influence sur le moral.
Ce soir, encore une lettre de
notre soldat, en retard de quatre ou cinq jours seulement celle-là.
Quel enthousiasme, et quel courage !
Mais ce n’est pas factice ; ils envisagent la situation telle qu’elle est.
Les habitants les reçoivent très bien.
Nous ne savons où ils sont
maintenant.
(1) Est-ce mercredi 12 août ? S’est-elle trompée ?
Toujours rien.
Il n’y a que quelques engagements
sans importance sur le front des troupes.
Pont à Mousson, petite ville
sans fortifications, vers Nancy, a été bombardé par les Allemands.
Ici, on a arrêté un espion allemand. C’est
un homme qui prétend avoir été arrêté avec quelques soldats prussiens pendant
qu’il travaillait. Les prisonniers auraient été amenés à Lyon ; on aurait gardé
les soldats et quelques paysans, mais on l’aurait relâché. Cette histoire ne
paraît pas vraisemblable. Pourquoi l’a-t-on seul relâché, et pourquoi a-t-il été
trouvé près des forts de Verdun ?
Le soir, en nous promenant dans le
jardin, nous avons vu vers l’est des sortes d’éclairs que les braves gens
prennent pour les « lueurs de l’Est ». Ce sont probablement des
fanaux électriques parcourant le ciel pour prévenir l’arrivée d’un Zeppelin,
attendu ces jours-ci.
Nous
regardions les étoiles lorsque j’ai aperçu sur la montagne dans les environs du
fort une petite lumière. De temps en temps, par secousses, une autre lumière
reliée à la première par un trait lumineux apparaissait au-dessus. Comme dans
ces parages il y a des appareils organisés pour correspondre à l’aide de
signaux lumineux, nous pensons que c’est cela.
Cette fois, l’Angleterre, avec
Si les Allemands, craignant
notre frontière si fortifiée vers l’est, n’avaient pas eu la bonne idée de passer
par
Les Allemands pensaient passer
là comme chez eux, et non seulement ils sont retardés, mais arrêtés et se font
battre. Enfin la grande bataille n’est pas encore arrivée, du moins on ne le
dit pas. Les Français ont remporté plusieurs petites victoires et tiennent la
crête des Vosges.
On signale cependant que les
Français s’étant emparé d’un village, Garde (1), ont été repoussés à Xures.
Ce qui est à remarquer, c’est
que cette guerre était attendue depuis longtemps.
Tout le
monde l’avait prévue, prédite. On signale nombre de prédictions à ce sujet.
Une célèbre devineresse avait prédit trois
choses, dont deux s’étaient réalisées ; la troisième était la ruine de
l’Allemagne pour 1912. Elle s’était du reste trompée dans ses calculs, et avait
rectifié (après coup) : 1915. L’erreur n’est pas grande.
Il y a dix ans, un général japonais, Nagi,
disait qu’il y aurait encore deux guerres dans le monde. L’une en Europe, qui
règlerait les différents entre
Enfin un autre avait prédit trois grandes
dates dans l’histoire d’Allemagne, et la dernière était en 1914.
J’ai remarqué aussi que pour
chaque exposition de Lyon, il y avait un grand évènement. Pour la première, la
guerre de 1870, pour la seconde, l’assassinat du Président Carnot, pour la
troisième, la guerre européenne.
(1) Il s’agit de la bataille de
Il n’y a toujours rien de bien important.
Nos troupes et les troupes belges ont
toujours l’avantage dans les petits engagements. Le Japon a déclaré la guerre à
l’Allemagne ; il lui prendra sa seule colonie asiatique Kiao-Tcheou. Enfin
En Allemagne, les officiers continuent leur
régime de terreur et leur campagne de fausses nouvelles. Nous sommes tous persuadés
que nous serons vainqueurs, et dans l’armée française il n’y a aucun doute à ce
sujet. Mais dans l’armée allemande les soldats, désenchantés, ne vont qu’à
regret. Ce sont les officiers prussiens qui les obligent à marcher, leur
content mille calomnies contre les Français et les obligent aussi à accomplir
tous ces actes de cruautés.
Les nouvelles sont bonnes, ce
matin. Nos troupes continuent à progresser dans
Enfin, le tsar Nicolas a adressé une
proclamation aux Polonais ; il rendra à
Si la victoire est pour nous,
l’Europe va être changée entièrement. Sans parler de l’Alsace Lorraine, nous
demanderions peut-être la rive gauche du Rhin qui autrefois était gouvernée par
des évêques, et nous en ferions un pays libre.
Le royaume de Hanovre serait
reconstitué, ainsi que celui de Pologne.
De cette façon,
Dans le journal ce matin on
signalait que le premier drapeau allemand a été pris. (2)
En 1870, nous n’en avions pris
qu’un seul.
(1) Les forts sont tombés le lendemain et surlendemain
(2) IL s’agit d’un soldat du 1e bataillon de Chasseurs qui a pris le premier drapeau allemand du 132e régiment, à Saint-Blaise, le 15 août 1914.
3 primes d’une valeur de 11000 francs lui auraient été versées. (Miroir N° 40 d’août 1914)
Nos succès continuent. Nos troupes vont
toujours de l’avant dans l’Alsace-Lorraine ; en Belgique, nos troupes
tiennent toujours tête aux ennemis et les ont repoussés vigoureusement devant
Dinant. Dinant n’est pas loin de la frontière française ! Enfin les pauvres
Serbes tiennent toujours tête aux Autrichiens.
Tout s’annonce donc bien pour nous.
Mais la grande bataille ne peut
tarder à arriver, et quel carnage ?
Le journal nous dit encore la
même chose qu’hier.
En Alsace-Lorraine, nous
occupons les sommets des Vosges, si bien que nous avons avancé la frontière.
Chaque jour amène une nouvelle petite victoire et un nouveau pas en avant.
Mais nous remarquons que l’on
cite toujours les pertes allemandes, les disant considérables, mais que l’on ne
parle jamais des nôtres.
En Belgique, l’offensive des
Allemands a été arrêtée, mais nous ne pouvons guère savoir ce qui s’y passe.
Naturellement, les Allemands
continuent leurs actes de sauvagerie. Tout le monde est furieux contre eux,
mais nous ne pouvons rien faire. Aussi sommes-nous bien heureux de voir leurs
échecs.
Du reste, nous avons beaucoup
d’espoir.
Quand bien même nous serions
battus par eux, les Russes vont arriver par l’autre côté, et en grand nombre.
Enfin même si les Russes étaient à leur tour battus, les Anglais arrêtant le
ravitaillement des Allemands, au bout d’un certain temps, ils devraient se
rendre.
Mais la guerre serait longue.
Sans cela même elle le sera, car
pour les Allemands c’est une question de
vie ou de mort. Les Français, qui quittaient leurs champs, pour la
mobilisation, disaient, regardant leurs vignes : « nous serons de
retour pour la vendange ! »
Il est malheureusement probable
que la guerre durera bien plus longtemps.
Un communiqué officiel du
général en chef Joffre confirme que nous avançons toujours de plus en plus.
Nous avons conquis presque
toutes les vallées des Vosges, sur le versant d’Alsace, nous sommes près de
Fenestrange et sur
En Belgique, nous repoussons les
Allemands, et nous occupons maintenant les deux rives de
En somme, la frontière est
reportée de dix à vingt kilomètres. On dit que les pertes allemandes sont
considérables, mais naturellement, on ne parle pas des nôtres.
En somme, bonnes nouvelles, mais
peu de choses décisives.
De nouveau, à Dinant nous avons remporté
un éclatant succès sur les Allemands. Il semble aussi que nous progressons,
lentement, mais méthodiquement en Alsace-Lorraine. De même, en Belgique, les
Allemands ont subi un nouvel échec vers le Nord.
Cependant, le gouvernement belge s’est
transporté à Anvers, et les Allemands font une pointe vers Bruxelles. Cette
capitale est une ville ouverte, dont la prise ne leur servira pas à grand’
chose.
Enfin nos amis agissent ; les Anglais
débarquent leurs troupes, les Russes entrent en Allemagne et en Autriche, et
les Serbes, aidés des Monténégrins repoussent les Autrichiens.
Sur le journal du matin, en annonçait que
le Pape était très malade. Mais ce soir, à Lyon, on a su qu’il était mort.
Cette guerre atroce l’avait achevé. Il le disait lui-même : « cette
guerre me tuera ! » Les soucis dont on est préoccupé ces temps-ci ont
fait que nous ne savions pas son état alarmant, et la nouvelle de la mort du
Souverain Pontife Pie X est arrivée comme un coup de foudre.
Hier, de grandes forces
allemandes ont franchi
Mais enfin nous avons déjà gagné
quinze jours et épuisé un peu l’armée allemande.
En Lorraine, notre front s’étend
de Delme au nord de Sarrebourg.
En Alsace, nous avons réoccupé
Mulhouse et pris Guebwiller, après des combats très vifs.
En somme, avantage d’un côté, et
attente de la lutte de l’autre.
Le journal semble donner de moins bonnes
nouvelles aujourd’hui. Les Allemands ont traversé Bruxelles. On s’attend à une
grande bataille, sur notre frontière nord. De plus, en Lorraine, nous nous
sommes repliés sur
Comme toujours, lorsqu’on veut détourner
l’attention, on nous tranquillise en parlant des Russes qui avancent et des
Serbes qui ont remporté une grande victoire.
Enfin, ce n’est qu’un
jour ; demain nous aurons de meilleures nouvelles.
La grande bataille a
commencé !
Mais maintenant ?.......les
Allemands sont donc bien arrivés sur notre frontière. Que résultera-t-il ou
qu’est-il résulté de cette bataille, la première ?
En Lorraine, il se confirme que
nous avons reculé. Cependant on dit que cette défaite correspond aux succès que
nous avons remportés en Alsace.
Ce matin, mon frère est revenu
de l’hôpital où il a vu des blessés.
C’est terrible paraît-il.
Ils sont abattus, n’en peuvent
plus, et puis ils racontent des choses horribles.
L’un d’eux disait qu’il était par terre,
blessé, les yeux fermés sur un champ de bataille laissé aux Allemands. Tout
d’un coup, il entend un bruit sourd. Ouvrant les yeux, il voit devant lui un
officier allemand qui tapait les hommes qui étaient par terre, et tuait de son révolver
tous ceux qui bougeaient. Cependant il s’écarta, et le soldat put parvenir à un
village allemand où il fut recueilli par une ambulance allemande, et très bien
soigné. Les Français ayant pris le village le lendemain, il fut envoyé à Lyon.
Il paraît pourtant qu’on est
très bien soigné dans les ambulances allemandes.
Il est vrai que les balles
françaises font beaucoup plus de mal que les balles allemandes. Les blessés
allemands en ont pour longtemps. Les Français au contraire pourront, pour la
plupart, retourner au feu. (1)
(1)
C’est vrai, certains journaux de l’époque racontaient ce genre de nouvelles
Nous ne savons rien de ce qui se
passe en France. La bataille continue, et c’est tout.
Les Autrichiens se font battre
de tous les côtés. Les Russes commencent à combattre les Allemands et avec
succès.
Sur mer, les navires anglais
continuent à cueillir les navires allemands,
petit à petit.
La bataille continue toujours, ou
plutôt elle continuait hier. Nous avions pris l’offensive en bien des endroits.
On explique aujourd’hui notre insuccès en
Alsace. Une division du XVéme corps d’armée a lâché pied devant l’ennemi, et
c’est pour cela que nos armées ont dû toutes se replier.
Maintenant, les allemands sont à Lunéville.
En Alsace, nous nous maintenons sur nos positions.
A part cela, nous ne savons rien
de nouveau, nous attendons.
On se bat encore sur la
frontière du nord. Il semble que nous reprenons l’offensive. L’armée belge qui
s’était retranchée à Anvers a repoussé les Allemands dans une sortie.
Les Russes avancent toujours, petit à petit ; ils sont devant Königsberg. On
les compare à ces rouleaux à vapeur qui vont très lentement, mais écrasent tout
sur leur passage.
Arriveront-ils assez vite ?
On nous dit que notre rôle est de faire le rempart et de tenir tête aux
Prussiens, jusqu’à ce que les Russes entrent à Berlin. Il aurait mieux valu que
cela puisse être le contraire !
On attend partout des blessés.
Il y a beaucoup de monde dans
les gares pour voir passer les trains.
Pas de pages écrites pour les journées des 27, 28, 29 et 30 août
Hier soir, après une journée
tranquille, mon frère Henri qui était parti à Lyon l’après-midi est revenu
brusquement à dix heures du soir.
Il a vu un
blessé du 92ème, le lieutenant Frederick qui lui a annoncé une triste nouvelle
: André a été fait prisonnier le 20 Août, à Sarrebourg (Lorraine) !!
Il a affirmé qu’il ne savait
rien de plus.
Le pauvre, il doit être là-bas
en Allemagne, et pour combien de temps, loin de nous, se figurant que nous ne
savons rien ! Pourvu qu’il n’ait pas la folie de vouloir s’échapper !
Enfin, il est à l’abri, quoique
dans un bien mauvais abri.
Hier, Papa est allé à Lyon. Le
soir il est revenu après avoir passé la journée avec le Lieutenant Frédérick.
Celui-ci lui a dit qu'il avait
été avec André tout le long de sa campagne. Ils se sont battus à partir du 15
Août, et le 20 au soir, il ne l'a pas revu. Il s’est informé, et on lui a
appris de différents côtés que, pendant la retraite précipitée des français (le
20 Août), le bruit avait couru parmi ses soldats qu’il était blessé. Puis on
l’avait vu avec 20 hommes, fuyant dans un bois.
C’est tout ce que l’on sait.
Ce n’est donc pas comme nous
l’avions cru après qu’il a été prisonnier qu’on l’a vu.
Papa est persuadé qu’il est
prisonnier ; mais après qu’on l’a vu, qu’est-il arrivé ?
Nous tâcherons d’avoir des
renseignements là-dessus.
La cathédrale de Reims est en
flammes à présent !!
C’est affreux.
Les Allemands ont fait cela
uniquement par rage et sans autre but ni raison que la vengeance. Que l’on dise
encore que ce ne sont pas des sauvages !
Le communiqué officiel dit que
nous pouvons constater de légers progrès sur la rive droite de l’Oise, à notre
aile gauche ; entre Craonne et Reims, nous avons repoussé les attaques
ennemies, mais vers Reims, nous avons perdu la hauteur de Brimont et pris le
massif de
Les Allemands, dit-il, se sont
acharnés sans raisons militaires à tirer sur la cathédrale de Reims qui est en
flammes.
Au centre, nous avons
l’avantage.
En Lorraine, l’ennemi a repassé
la frontière.
Dans les Vosges, nous avançons
très lentement en raison des difficultés du terrain, du mauvais temps et de la
résistance.
Les journaux allemands annoncent
la reddition de Maubeuge.(1)
Les Russes, eux, semblent
avancer lentement, lentement.
Sur le journal chaque jour la
liste des décès s’allonge toujours de plus en plus. Ce sont toujours des
soldats morts en Alsace-Lorraine, fin Août.
(1) : En fait, Maubeuge a capitulé le 8 septembre. Voir la
bataille de Maubeuge
>>> ici <<<
C’est fait : les bombes et
les flammes ont détruit la cathédrale de Reims. C’est impossible à croire qu’on
puisse descendre si bas et que la rage et la haine puisse mener jusque là. Il
avait fallu deux siècles pour la construire, et depuis cinq siècles elle
faisait l’admiration de tous, français comme étrangers, catholiques comme
protestants et incroyants.
C’était paraît-il une œuvre de
l’art gothique, une des plus belles cathédrales de ce style.
Les Allemands, avec leur
artillerie lourde, de fort loin, visait cette masse s’élançant dans les airs,
sans aucune raison. Heureusement que ces sauvages ne sont pas arrivés à Paris !
Nous progressons sur notre aile
gauche.
A l’Est de l’Oise et au Nord de
l’Aisne, les Allemands s’acharnent, mais sans avancer. Au centre, nous avons
pris plusieurs villages. Ailleurs, les Allemands se fortifient.
Quand aux Autrichiens, ils se
font battre même par les Monténégrins, comme d’habitude. Les Russes les poursuivent,
leur infligeant de nombreuses pertes.
Nous n’avons toujours rien au
sujet de notre prisonnier. Nous avons écrit partout, et nulle réponse.
Il y a bien longtemps que je n’ai
touché mon journal.
Cependant, il n’y a toujours
rien de nouveau !
La bataille dure depuis plus
d’un mois ! !
On espérait toujours que la
guerre serait bientôt finie ; mais maintenant on ne voit plus d’issue. Les
Allemands se sont repliés sur cette ligne de défense et s’y sont fortifiés
merveilleusement.
Ils sont dans des carrières,
achetées par eux avant la guerre, et n’en sortent pas. Les Français sont dans
des tranchées, et n’en bougent pas, ne pouvant pas même faire cuire leurs
aliments, et mangeant de la viande crue.
De là, les deux armées s’usent.
Nous semblons avancer, chaque jour d’un kilomètre environ, lorsqu’on
avance ; s’il faut aller comme cela jusqu’à Berlin. Les Français prennent
les carrières quand ils peuvent y placer des mines qui font sauter les
allemands ; ils avancent en creusant des tranchées en zig-zag, comme l’on
prenait les villes, dans les sièges d’autrefois.
Un moment, les journaux, parlant par sous
entendus, nous faisaient comprendre qu’il y avait de très bonnes nouvelles à
notre aile gauche. En effet, nous sommes montés jusqu’à la frontière (la
bataille s’étend de l’Alsace Lorraine jusqu’à la mer du nord) et il semblait
que nous allions les tourner. (1)
Mais depuis quelques temps,
c’est toujours eux qui prennent l’offensive.
Ce matin, le journal annonce que
Lille, cette place si forte que nous avions déclarée ville ouverte, a été
occupée par un corps d’armée allemand ; il y avait un détachement de
territoriaux français !
Cela est mauvais pour nous, car
ils vont s’y fortifier.
De même depuis quelques jours
ils ont pris Anvers. Les pauvres Belges !
La capitale de
(1) Les historiens ont appelés cet épisode de la guerre
« La course à la mer ». Voir cet épisode sur mon site : >>> ici <<<
Les nouvelles ne sont point
sensationnelles, mais il semblerait que l’avantage est pour nous.
Nous avançons petit à petit,
fort peu il est vrai.
Notre front s’étend vers les
régions de
En Alsace, nous tenons Thann, et
plus au nord, nous occupons la ligne Bonhomme, ?????, Lulzern.
La bataille de l’Oise semble
terminée, et à notre avantage. C’est maintenant la bataille du nord, la
bataille de Lille. Nous avançons d’une certaine manière : ce sont les
allemands qui nous attaquent, et les journaux disent toujours : nous les
avons repoussé et avons même gagné du terrain.
Ici, l’inquiétude dans les nombreuses familles
sans nouvelles devient épouvantable. Chaque jour, sur le journal, il y a une
longue liste funèbre ; les familles ayant un blessé s’estiment très
heureuses.
On travaille en vue de l’hiver, et l’on fait des
chaussettes, des cache-nez, des passe-montagnes. L’œuvre du « Petit
Paquet » reçoit de nombreuses offrandes, avec lesquelles elle envoie des
milliers de paquets de vêtements chauds aux soldats.
Il pleut toujours. Les pauvres
soldats dans les tranchées couchent dans l’eau !
Toujours point
de nouvelles de mon frère André !
Voilà plus de deux mois que nous
n’avons rien, et cela devient désespérant. Cependant, cela n’a rien
d’invraisemblable s’il n’est pas blessé, et cependant prisonnier, car personne
n’a de nouvelles des prisonniers non blessés.
Mais, est-il seulement
prisonnier ?
Mon second
frère Pierre est toujours en convalescence ici.
Nous pensons qu’il ne pourra pas repartir.
Mon troisième
frère Henri est parti depuis plus d’un mois
avec la classe de 20 ans.
Il est d’abord resté à Lyon, au fort
de
Verdun parait-il, est rempli de
soldats. On sait que la bataille n’est pas loin, et cependant les gens sont
très calmes. Henri a ramené trois blessés allemands.
Les pauvres, dit-il, ils font pitié !
L’un s’était pris d’amitié pour
lui, et a pleuré comme un enfant quand il a fallu le quitter, à Dijon.
Il avait dix neuf ans, et avait déjà fait deux ans de service
militaire !
Ah, nous voudrions bien que nos
blessés prisonniers soient traités aussi bien en Allemagne qu’en France
« c'est-à-dire comme des blessés ! »
Il n’y a pas eu, pendant ce
mois, de changement exceptionnel dans les armées. Mais il y a bien de graves
nouvelles ici !
Nous avons su qu’on parlait
d’André dans un journal allemand qu’une dame de la Croix-Rouge avait entre les
mains à Clermont-Ferrand. Immédiatement nous écrivons de tous côtés pour avoir
des renseignements.
Sous une pluie battante, Papa
part.
Après une longue course, il trouve le père
et la mère de l’infirmière de Clermont qui lui expliquent immédiatement le
cas ; voici l’article : sur la route de Bruderdorf, entre le chemin qui va
de Schneckenbusch à Hartzveiller, se trouvent douze tombes contenant les corps
de 395 soldats français tombés en ce jour (bataille du 20 Août, aux environs de
Sarrebourg.) Parmi les soldats se trouvent 10
officiers dont les noms suivent……… Dans la liste est le nom d’André……
On peut comprendre quelle fut notre
douleur, et quelle soirée nous passâmes !
On nous avait tellement affirmé
qu’il était prisonnier, que nous avions fini par y croire plus ou moins.
Quelques temps au paravant, un capitaine de son corps nous avait
écrit : « Il est sûrement prisonnier, je ne le crois pas
blessé !! ».
Nous avons écrit immédiatement aux
curés de deux de ces villages et au maire du troisième, pour qu’ils aillent
voir sur les lieux.
Les journaux allemands font tant
d’erreurs !
Mais nous gardons infiniment peu
d’espoir ; il y a tant de précisions.
Cependant nous n’avons pas
encore de réponse du pays depuis bientôt trois semaines que les lettres sont
parties. Il faut très longtemps pour que les lettres passent par
A
Pourquoi les prisonniers ne peuvent-ils pas
correspondre avec leur pays ? Quel mal cela ferait-il à l’Allemagne ou
Il faut bien dire que des
lettres arrivent, mais d’autres, et combien, ne parviennent pas en France.
On cite de nombreux cas de
prisonniers ayant écrit nombre de lettres lesquelles ne sont jamais parvenues ;
on les croyait morts, quand par des hasards exceptionnels on a appris qu’ils
vivaient toujours.
Voilà trois semaines que dure notre
attente, mais elle ne peut guère durer plus longtemps. Nous ne pouvons arriver
à voir l’article.
On nous a dit tout d’abord que c’était sur
le Strasbourger Post du 5 Octobre. Nous l’avons, ce n’est pas celui-là. On nous
a dit ensuite que c’était celui du 4 . Nous
l’avons, et il n’y a rien dessus. La personne qui l'a l’a prêté, et nous
ne pouvons arriver à l’avoir.
Mais peu importe, c’est la lettre du
curé que nous attendons.
Sur les journaux on voit encore
des décès du mois d’Août. Les allemands, à cette époque, se croyaient
vainqueurs et ne tenaient aucun compte de leurs prisonniers ; ils ne
faisaient passer aucunes nouvelles, soit de prisonniers, soit de morts.
(1) visiblement écrit plutôt le 23 Novembre !
Quand à la situation des armées,
elle semble n’avoir pas changé.
On ne demande même plus de
nouvelles ; on sait bien que, s’il y en avait, elles se sauraient vite.
Lorsqu’on demande s’il y a quelque chose de nouveau, la réponse est
invariablement : « Toujours la même chose ! »
Les Allemands tentent depuis
quelques temps un grand effort dans le nord pour s’emparer de Calais. De là,
ils seraient maîtres du détroit, pourraient attaquer l’Angleterre avec leur
flotte, ou même par-dessus le Pas de Calais ils pourraient la bombarder de leur
artillerie lourde. Mais ils n’y ont pas réussi, et même la flotte anglaise,
postée sur la mer du Nord, leur tape dessus avec les gros canons de la marine.
Nous devions, d’après certains
bruits, tenter prochainement un grand effort vers les Vosges ; on avait même dégarni les hôpitaux de l’Est pour
qu’ils soient prêts.
Mais depuis quelques jours, la
bataille semble moins féroce.
C’est peut-être à cause de
l’hiver rigoureux qui s’avance rapidement.
Samedi, il a neigé.
De la neige le 21 Novembre, cela
ne s’est pas vu depuis 1870 !
L’hiver s’annonce bien pour les
pauvres soldats, ils vont geler dans leurs tranchées !!
Ces jours-ci, il fait un peu
moins froid, mais le temps est humide, ce qui leur est encore plus funeste. Si
c’était un froid sec, ce serait plus supportable ; la glace servirait
aussi aux Russes.
Ils ont du reste l’air d’avancer
assez rapidement. Ils sont dans une région couverte de lacs entre lesquels les
allemands se cachent. Ces lacs qui sont des obstacles pour leur marche
deviendraient bien utiles aux Russes s’ils étaient gelés. Mais nous ne pouvons
rien sur le temps.
Il semble que toutes les années
de guerre soient excessivement froides, comme si Dieu voulait nous punir
davantage.
Nous
avons ce Strasbourger Post, celui du 3 Octobre.
Du reste il n’y a rien dessus que ce que nous savions
déjà ! Mais nous avons aussi appris qu’une famille ayant vu le nom d’un de
ses membres dans l’article en question, a été avertie officiellement de sa
mort.
Si d’ici quatre à cinq jours nous n’avons rien d’officiel,
nous pouvons reprendre un faible espoir, très faible hélas !
Ce matin, nous avons reçu une lettre de Suisse.
Une riche famille allemande s’était adressée à Madame
Herriot, femme du maire de Lyon, pour la prier de rechercher un prisonnier
allemand en France, un officier nommé Von Müphling.
Madame Herriot ne pouvant se charger de l’affaire, papa
s’est chargé de faire des démarches au sujet de cet officier, tandis qu’en
retour sa famille s’occuperait de notre André, en Allemagne
Cette famille, haut
placée, a de suite fait des démarches.
Ce matin un Suisse, ami de l’officier Von Müphling, nous a
appris que le directeur de
De plus, il nous fait parvenir une lettre qu’il a reçue du
directeur de
Nous aurons donc bientôt une réponse quelconque.
De plus, quelqu’un doit aller de Strasbourg sur les lieux
aussi, ces jours-ci. Les curés ne répondent pas. Peut-être ne peuvent-ils pas,
ne sont-ils plus dans les villages, ou peut-être encore arrête-t-on leurs
lettres à la frontière ?
C’est
incroyable !
Depuis le
déluge, c’est le plus terrible châtiment qui ait fondu sur les humains ! L’Europe entière est
décimée, et bientôt tous les hommes valides auront disparu !
Tout cela à cause des orgueilleux et perfides
Boches !!
Il est probable que ce sera la dernière guerre d’ici un
temps extrêmement long, car c’est une chose trop terrible ; et il n’y a
qu’un peuple en Europe capable de déchaîner un massacre pareil ; quand ce
peuple sera anéanti, l’Europe aura peut-être enfin la paix.
Ces jours-ci, les nouvelles semblent devenir meilleures.
En France et en Belgique, l’action se calme, mais en
Russie, les Allemands se sont fait battre. On dit même que trois corps d’armée
allemande se sont fait envelopper, en tâchant de contourner les Russes, en
Pologne.
Mais les Russes, quoique victorieux, ne sont pas encore à
Berlin !
Maintenant nous sommes fixés sur le malheureux sort de
notre pauvre André.
Le samedi 5 décembre
au soir, nous avons reçu une lettre de Madame Donin de Rosière, femme d’un
commandant qui était sur la même liste que notre pauvre André.
Elle avait écrit à une Suissesse pour lui demander de
chercher à avoir des renseignements. Cette Suissesse a écrit au curé de
Sarrebourg (Nous avions écrit aux curés des localités voisines de l’endroit,
car on nous avait dit que Sarrebourg était éloigné de 6 kil. des tombes). Le
curé lui répondit donc en lui envoyant
une sorte d’acte officiel, disant que le commandant Donin de Rosière se
trouvait enterré à tel endroit ; «Dans la
même tombe se trouve le Lieutenant André Ruplinger ».
Jusqu’au dernier moment, sans même s’en rendre compte, on
garde un dernier espoir. C’est le
Depuis quatre mois presque, il était là, et nous n’en
savions rien ; il est là-bas loin de nous, dans les lignes allemandes,
mais en Lorraine, bientôt en France !
Nous ne pouvons y aller, ni avoir aucun détail sur lui, sur
ses derniers moments. Cette mort, si belle soit-elle, brisant un avenir qui
s’annonçait si brillant, nous ne pouvions y croire ! Et dire que ce sont
les Allemands les seuls auteurs de tous ces crimes, de tous ces massacres.
On n’entend plus
parler autour de soi que de morts et de misères ; dans la rue on ne
rencontre que des gens en deuil. Dans toute l’Europe, il en est ainsi.
Ces barbares massacrant tout, n’épargnant rien pour porter
la désolation partout où ils peuvent, il est impossible qu’ils
triomphent !
Et quand aux nouvelles, « c’est toujours la même
chose !»
Nous qui nous vantions d’être à Berlin rapidement, voilà
près de six mois que la guerre dure et les Allemands sont encore chez nous.
Lorsque les journaux annoncent que nous avons fait un grand
progrès, c’est que nous avons avancé, sur un point, ….de cinq cents mètres tout
au plus !
Français et Allemands se touchent. Il parait que dans les
moments de repos, bien au fond des tranchées, les soldats ennemis se donnent
mutuellement des concerts, puis cinq minutes après se tirent dessus à outrance,
ou se font sauter.
Résultat, en France, nous n’avons pas bougé.
Les Russes, qui devaient si vite avancer, après avoir
remporté quelques victoires sur les Allemands
et les Autrichiens ont dû prendre la défensive, et sont dans la même
situation que nous. Il n’y a que les Serbes, les braves petits Serbes qui
battent le grand empire autrichien. Ces jours-ci, ils sont rentrés dans leur
capitale, à Belgrade, tout contre la frontière.
Quand apercevrons-nous une fin ?
Nous devions ce matin voir Henri qui devait passer à Lyon
dans son train sanitaire ; mais après avoir pérégriné toute la matinée,
nous l’avons manqué.
Celui-là, nous sommes tranquilles sur son compte. Il a
beaucoup à faire, mais nous le savons à l’abri.
Mon autre frère,
Pierre, a été opéré de l’appendicite lundi dernier. C’était cela qui lui
donnait de la fièvre. Maintenant, il va bien, autant que cela se peut dix jours
après une opération. Le voilà tranquille encore pour quelques temps, mais
après ? Il repartira probablement.
Les Anglais se
préparent à ce que la guerre dure trois ans !
Fort heureusement, il fait moins froid.
Le mois dernier, nous avons eu une vague de froid ; il
y a eu chez les soldats beaucoup de pieds et de mains gelées. Puis la
température s’est radoucie, et après avoir eu de la neige au milieu de Novembre,
nous avons eu un orage cette semaine.
Aujourd’hui, il pleut !
Quelles tristes fêtes cette
année ! Cela n’a même pas été des fêtes,
car on était tout aussi (si ce n’est plus) tristes que d’ordinaire.
Noël est par excellence la fête de
famille, et c’est donc à cette fête que s’est fait sentir le plus cruellement
l’absence de ceux qu’on aime tant. Autrefois, nous étions neuf à cette fête ;
cette année nous étions trois.
Partout Noël a été triste cette
année.
La messe de minuit a été
célébrée quand même ; on a bien besoin de prier, pour beaucoup de raisons.
Les vacances se passent.
Le jour de l’an, nous avons
salué la nouvelle année 1915.
On n’ose penser ce qu’elle sera.
Meilleure que 1914, tout le monde l’espère…..
Verrons-nous au moins finir
cette guerre ?
Tout en est au même point.
Déjà cinq mois de guerre, et où sommes-nous ?
On prédit un grand coup pour le printemps
quand nous aurons reçu des renforts d’Angleterre mais à cette époque, les
Allemands lèvent 4 millions d’hommes. Si nous avons de la peine pour le moment
à maintenir les Allemands, quel coup terrible ce sera ! Nous ne pouvons
marcher à présent parce que nous ne sommes pas prêts, parce que les hommes
massacrés au début de la campagne nous manquent beaucoup, parce que nous
n’avons plus de munitions. (1)
Et il faut attendre des hommes,
préparer des munitions partout.
On ne fait plus que des obus partout maintenant en France (et en
Allemagne !….)
Si bien que nous avons craint la
visite d’un zeppelin.
L’autre
soir, nous étions sortis après souper. En rentrant, nous avons aperçu le
projecteur électrique de la tour de Fourvière qui fixait un des coins du ciel,
immobile ; c’était un mardi. La première pensée qui m’est venue, c’est
qu’on attendait un aéroplane ou un zeppelin, comme à Londres. Mais je n’y
attachai pas grande importance. Le lendemain on nous a dit qu’en effet on avait
signalé un zeppelin se dirigeant sur Lyon.
Maintenant tous les soirs, on
éteint les becs de gaz des ponts et des quais à 9h du soir. Du reste cela ne
sert à rien, car la ligne des fleuves que marquait auparavant un double trait
de feu est aussi bien marquée par cette large bande noire.
Ce serait plutôt par économie,
car il n’est pas probable qu’un zeppelin arrive à Lyon.
(1) C’est exact, une pénurie de munitions s’est abattue sur les armées françaises et allemandes, qui ne prévoyaient pas une guerre si longue. Dans quelques Journaux des Marches et Opérations de régiment d’artillerie, il y est clairement inscrit « d’économiser » les munitions
(1) note en marge, entre parenthèses : "14 ans" (c'est la date anniversaire de Suzanne)
Depuis quelques temps il
recommence à faire très froid. Qu’est-ce que cela doit être dans le Nord et
dans l’Alsace-Lorraine !
Sur le front, toujours le même
genre de guerre. Il semble cependant que nous ayons subi un échec, ces
temps-ci ; mais les journaux français l’ont à peine signalé. Les journaux
neutres ont prétendu que nous avions laissé des prisonniers, et des canons , de
notre artillerie lourde.
Enfin nous n'avons reculé de
plus de quelques centaines de mètres, et sur un point seulement.
Depuis le temps que la guerre dure,
nous commençons à épuiser nos réserves de charbon en France. Il n’y a plus
d’ouvriers dans les usines, et il faut le faire venir. Son prix a augmenté,
mais nous ne devons pas craindre d’en manquer, du moment que nous avons la mer
libre.
Il n’en
est pas de même des Allemands qui manquent de cuivre à présent. Ils en prennent
partout où ils peuvent. On prétend que les pointes des casques ont elles-mêmes
été fondues, pour faire des obus.
De même pour la nourriture, ils se
rationnent soigneusement. Pauvres prisonniers français !
En attendant, ils ont réussi à
exaspérer les Anglais, peut-être un peu trop froids. Une flotte de leurs
aéronefs est allée bombarder les paisibles habitants qui pensaient ne rien
craindre de la guerre. Ils ont malheureusement fait quelques victimes, et ont
bombardé une ville où se trouvaient le roi et la reine quelques heures
auparavant. En somme, comme le dit un journal suisse, résultat militaire nul,
résultat moral : secouer les Anglais qui ne l’avaient pas encore assez été.
Ici, nous n’avons encore point
vu de machines de ce genre.
Et l’évènement inattendu qui devait
terminer la guerre ? Nous ne le voyons point venir !!
J’ai entendu dire cependant que
Cependant ce ne serait pas mal
si
Quel mois ?
Pendant ce temps nos hommes se
battent toujours ! Pierre est toujours ici. Il achève de se remettre dans
un hôpital près de chez nous, et vient tous les jours à la maison. Mais cela ne peut durer indéfiniment,
et nous nous attendons à le voir partir d’un jour à l’autre.
Sept mois passés ! Rien de
nouveau.
Tout porte à croire que c’est en
ce moment que se donne le coup décisif.
Toutes les munitions accumulées depuis le
commencement de la guerre viennent d’être envoyées sur le front. On vide les
hôpitaux. Les soldats chargés du ravitaillement disent qu’on leur a envoyé des
approvisionnements considérables. Enfin dans les mairies on peut voir des
affiches prévenant qu’il ne faut pas s’inquiéter si du 1er au 15 mars
on ne reçoit pas de nouvelles des militaires du front.
Maintenant que les gros froids
sont finis, c’est le moment tragique, attendu depuis si longtemps par les
armées et les généraux.
De détails, on ne peut en savoir
aucun ; et l’on fait bien, car les Allemands les sauraient en même temps que
nous par leurs espions. On parle beaucoup, on ne sait rien de certain.
C’est le major d’un hôpital de
Neufchâteau (la ville d’attache, pour ainsi dire, du train d’Henri) avec ces
deux mots « angine pultacée ».
Henri est donc malade, et assez
pour qu’il soit à l’hôpital ?
Qu’est-ce qu’une angine
pultacée ?
En tous cas, on ne nous aurait
pas avertis ainsi pour rien du tout !
Nous n’avons point de lettres d’Henri
depuis mardi dernier. Dans sa dernière lettre datée du …., il nous disait qu’il
avait eu la grippe, mais qu’il allait mieux.
Enfin, nous sommes très
inquiets ; nous avons télégraphié à ce major.
Quand aurons-nous la
réponse ?....
Matin. Le docteur nous a dit
qu’une angine pultacée est une angine ordinaire. Henri étant très sujet à des
accès de forte fièvre, peut-être n’a-t-il rien de sérieux ?
Soir. 9 heures. Une dépêche
terrifiante :
« Henri donne sérieuses inquiétudes.
Visites autorisées. Aumônier Rebeval » !!
4 heures. La mairie elle-même nous
averti ! A quel point en est-ce !
Qu’est-il donc arrivé ?
Papa et ma sœur partent ce soir
à 9 h. Nous les accompagnerons à la gare… Pierre ne peut naturellement pas y
aller ; Neufchâteau est dans la zone des armées.
Ils sont arrivés à 1h15.
Le soir nous avons cette dépêche
:
« Henri
bien mal. Fièvre typhoïde intense. Délire »
Comment a-t-il pris la fièvre
typhoïde, étant vacciné, il est vrai par un procédé nouveau ?
Sûrement, il n’a pas été soigné
à temps. Et alors….
Nous
n’avons une dépêche qu’à 7h ce soir
« Toujours
bien bas. Grande faiblesse. Délire »
Enfin,
état stationnaire, comme dans toute fièvre typhoïde !
Nous
pouvons garder un peu d’espoir…
Enfin,
on prie tant qu’il est presqu’impossible qu’on obtienne rien !!
3
heures.
Terrible
dépêche :
« Nuit
très mauvaise, peu espoir ».
Pour
moi, tout est fini, mais on ne veut pas nous le dire.
Ah,
quelle journée !
10
heures soir. La fatale dépêche est arrivée.
Non,
le coup est trop affreux, comment cela se peut-il, comment peut-on vivre
maintenant ?
Les
voilà revenus ce soir de Neufchâteau.
Ils
font pitié !
Nous
n’avons plus la force de penser, de ne rien faire…
Je
vais mettre quelques-uns des tristes détails.
Mercredi
en arrivant à l’hôpital, ils l’ont trouvé délirant, perdu déjà…
Pourtant
il les a sûrement vus, reconnus.
Il
parlait beaucoup ; il a dit de petites choses tendres à Papa. Il se sentait bien mourir, et son principal
souci était toujours qu’il avait fait son devoir de Français :
« Vous
saurez que je ne suis pas un paresseux. Je meurs pour
Pauvre
petit !
Vendredi,
ce fut tout un jour d’agonie. Pourtant il ne devait pas bien souffrir. Papa
avait passé la nuit ; il avait fait appeler ma sœur, pensant que c’était
la fin …
Dans
la soirée moment de calme… à 6 h tout est fini !
Dimanche
matin, messe de l’aumônier dans la grange qui lui sert de chapelle ; le
soir cérémonie dernière. Puis ils sont revenus au plus vite.
Et
personne de nous ne peut y croire, c’est de l’effarement…
Si
prompt, si inattendu…
Lui,
si fort, si bien constitutionné pour la vie, le seul qui semblait à l’abri,
mort, peut-être faute de soins rapides, car quoique son major l’ait envoyé le
jeudi à l’hôpital pour fièvre typhoïde, on l’a soigné pour angine, en le
faisant manger !
Pourtant,
et nous en sommes bien heureux, il avait communié le dimanche.
C’était
temps, le soir il délirait.
Ah,
l’on voit bien que nous ne pouvons jamais être sûrs de rien, ni rien prévoir
heureusement !
Les
jours passent, la vie ordinaire a dû recommencer, et l’étonnement passant, la
douleur devient plus intime, le vide se fait sentir de plus en plus terrible.
Les
avoir vus dernièrement tous deux si entrain, si vivants, avec une vie si belle
devant eux, les savoir morts et partis !
Il
semble qu’on les voit encore parlant, riant, on trouve tout ce qui leur
appartenait, leurs livres, leurs objets familiers.
On
dit encore : « André pensait ceci, Henri m’a dit cela... »
Et de
se voir enlevé ceux-ci quand rien ne pouvait le faire prévoir, cela fait place
à toutes les inquiétudes pour l’avenir…
Quoiqu’on
ne puisse pas encore songer sans frémir à la durée possible de la guerre, les
évènements semblent assez bien en notre faveur.
Mais,
ce qui est affreux, c’est lorsqu’on pense aux milliers d’hommes qui tombent
actuellement, pour permettre d’avancer de quelques kilomètres, un jour.
Quelquefois,
plusieurs centaines d’hommes se font écraser par les obus ou embrocher par les
baïonnettes, pour reprendre… une tranchée, c'est-à-dire un trou démoli et
rempli de cadavres ennemis.
Et puis, derrière la tranchée, il y en a une
autre, et encore bien d’autres ! Qu’est-ce qu’un progrès si minime, et
acheté si cher !! Quel évènement que la prise d’un hameau, ou d’une partie
d’un village. Si nous voulons aller ainsi jusqu’à Berlin !
Mais
si seulement nous pouvions débarrasser
Seulement,
un terrain, ainsi coupé de tranchée, labouré de partout par les obus, ce n’est
plus habitable. On dit même que ces Boches ont miné les belles cathédrales de
Metz et de Strasbourg, et qu’ils les feront sauter, lorsque nous en seront trop
près. Cela semble tout naturel de leur part.
Quelle
merveille, que cette cathédrale de Strasbourg.
Et
l’année dernière ils avaient eu le toupet de la reproduire en miniature dans leur
pavillon à l’Exposition ! Du reste, il faut bien le dire, il n’y avait que
cela qui présente quelque intérêt, au milieu de leurs affiches et statistiques.
Leur
nouvelle invention, (ce n’est du reste qu’une découverte française, dont la
police se servait parfois contre les pires malfaiteurs), c’est d’envoyer sur
nos troupes des obus à gaz asphyxiants. Dans ces nuages ils ont fait des
milliers de victimes, et nous avons été obligés de reculer un peu. Il paraît
que les quelques malheureux qui en réchappent sont entièrement brûlés,
défigurés, et les poumons abîmés.
Mais il
faut croire qu’ils ont reconnu qu’ils risquaient de s’attirer des désagréments,
ou bien qu’ils ont trouvé quelques dangers à cet exercice, car on en entend
beaucoup moins parler.
Et
c’est grande fête en Allemagne, chacun se réjouit de la « Victoire de
Lusitania » !
Ils
se promettent bien de recommencer.
Mais
les Etats-Unis ne se laissent pas ainsi marcher sur les pieds ; le
Président Wilson a envoyé vendredi une note officielle, fort polie, mais très
ferme et pleine de finesse, au gouvernement Allemand, pour lui demander des
réparations autant qu’il est possible de le faire, et pour l’avertir d’avoir à
cesser ces pratiques.
Ce
matin, la lettre est arrivée à Berlin.
Que
vont répondre les Boches ?
J’ai
bien peur que Guillaume ne comprenne pas l’ironie cachée dans toute la lettre,
mais, si bête soit-il, il comprendra que les Etats-Unis ne reculeront pas, même
s’il s’agit de faire la guerre !
Eh bien ça y est ! L’Italie
a marché !
Dimanche 23 Mai, elle décrétait
la mobilisation générale, et Lundi 24 elle déclarait la guerre à l’Autriche,
son alliée, sans motif même apparent.
Lorsqu’on y réfléchit, cela
semble étrange de leur part. C’est heureux pour nous, car, même s’ils se font
battre, cela étend le front austo-boche, et cela prive l’Allemagne d’une
quantité de munitions et vivres. Mais cela n’empêche pas que l’Italie faisait
partie de
J’ai trouvé l’autre jour cette
phrase dans un livre écrit vers
Espace Blanc sur la page
Enfin, on le prédisait depuis
longtemps :
Extrait du Nouvelliste de Lyon,
le 23 Août 1914 :
Paris 22 Août 1914
« L’ Eclair » reçoit de son correspondant romain par une voie
détournée l’information que la mobilisation générale en Italie est décidée. La nouvelle
en sera donnée officiellement dans trois ou quatre jours. »
C'est-à-dire neuf mois !
Maintenant qu’on ne peut plus
mettre « l’attitude de l’Italie » dans les journaux, on met
« l’attitude de
La résolution de l’Italie
déterminera-t-elle ces nations à marcher ?
L’offensive des italiens
continue en Autriche, dans le Frioul, mais prudemment, car ils n’ont encore
pas, ou presque pas vu les autrichiens. Qu’ils prennent garde au piège que nous
ont tendu les allemands en Lorraine !
Enfin, il paraît que tout marche
bien ; les généraux parlent par sous entendus disant qu’ils sont très
contents ! En effet, il est visible que nous progressons de partout, mais
si lentement !
Dans le nord, il y a quelque
temps, nous avons remporté un succès vers Arras, et même les blessés et les
nouvelles de morts commencent à nous en arriver. Maintenant, une bataille est
engagée près de Lens, où nos troupes ont de l’avantage. (1)
En Alsace, nous avançons
continuellement, peu à peu.
Mais que de morts ! et pour
quels progrès ! Quel courage ne faut-il pas aux troupes pour ne pas se
désespérer. Et cependant, on dit que ceux qui se plaignent ce ne sont pas eux,
mais les civils, et particulièrement ceux qui ne font rien, ou n’ont personne
au front. Nos soldats font tout leur devoir ; le nôtre est d’attendre,
nous pouvons bien le faire avec un peu de courage !
Il y a quelques temps, (ceci est bien
triste, mais donne un peu d’espoir) nous avions remporté un succès vers
Notre-Dame-de-Lorette. Par là, dit-on, Joffre aurait voulu lancer sa cavalerie
dans la plaine de Laon, ce qui aurait été une véritable victoire, car cela
aurait débloqué peut-être jusqu’à Lille même. Mais tout cela a été tenu secret,
naturellement, car il fallait bien que les Allemands l’ignorent.
Eh bien, voilà qu’une troupe de lâches a
tout fait perdre ; un corps d’armée qu’il est inutile de nommer, a lâché
pied devant l’ennemi, et nous a fait perdre les dix ou onze kilomètres que nous
avions enlevés en quelques heures (c’était un succès extraordinaire). Tout est
à recommencer, et cela est presque impossible, parce que les Allemands sont
prévenus. On dit que Joffre était furieux ; alors….!
Les journaux n’ont pas dit un
mot de tout cela ; ç’aurait fait bonne impression à l’étranger !
Mais, en somme, cela montre que nous
n’avons pas renoncé à percer la ligne allemande. Joffre recommencera peut-être
à un autre endroit, peut-être…. Bien difficilement, mais qui sait ? Quand
nous aurons assez de munitions, quand les Anglais se seront enfin organisés
pour en fabriquer.
En ce moment les communiqués
disent constamment : Rien à signaler. Ce qui prouve qu’il se passe pas mal
d’évènements.
Lesquels ?
Attendons.
Vendredi 2 Juin, la plus grande
partie des catholiques français ont solennellement consacré
Ce n’est pas trop tôt.
Le Sacré Cœur avait promis à
Qu’on lui élève un temple.
Montmartre a été construit.
Qu’on lui consacre
Enfin le Sacré Cœur demandait
qu’on mette son image sur le drapeau français. Il est difficile de faire
accepter un tel changement dans notre drapeau. Mais on essaye.
L’union des
femmes françaises, je crois, a brodé un superbe drapeau. Puis on a invité
Joffre à venir à Montmartre. Il s’y est rendu, et là on le lui a remis. Il l’a
accepté. Tous les généraux ont un fanion qui les distingue ; Joffre aurait
accepté ce drapeau pour en faire son fanion.
Il a
même autorisé ces drapeaux, pourvu qu’on en use avec discrétion. C’est un joli
résultat. Notre Joffre, tout en étant plutôt modéré, était loin d’être un
« clérical ». Serait-ce par politique ? Mais cela peut bien être
sincère. Le Pape Pie X n’a-t-il pas prédit que
(1) Il s’agit de la bataille d’Artois, débutée
en mai 1915. Voir cet épisode sur mon site :
>>> ici <<<
Les vacances approchent.
Qu’elle a passé vite cette
année, et pourtant…. !
Pierre en ce moment est dans le
Midi. Il est parti à Cannes au commencement de mai, avec un congé de trois mois.
Puis il reviendra, aura probablement une permission de huit jours chez nous, et
repartira à Annecy, de là au front.
Son régiment est actuellement dans
Ce pied lui a donc sauvé la vie
à Pierre. Quoiqu’il ne soit toujours pas guéri, je ne pense pas cependant qu’il
l’empêche de repartir.
Enfin, il n’y a qu’à attendre
sans se tourmenter d’avance.
Il paraît qu’on s’attend d’un jour à
l’autre à une formidable attaque des Allemands sur le front français. Nous
avions essayé de percer, et jusqu’à présent nous avions échoué. Maintenant on
dit que c’est eux qui veulent essayer.
Dernièrement, ils ont cogné fort les
Russes qui se « replient en bon ordre » mais n’en sont pas moins tout
prés de Varsovie. Maintenant qu'ils espèrent avoir un petit instant de répit de
ce côté, malgré les Autrichiens auxquels ils ont laissé leur place, ils se
retournent contre nous pour en faire autant. (C’est une tactique merveilleuse,
puisqu’elle fut employée par Napoléon, mais remarquons en passant qu’on
l’emploie généralement lorsqu’il y a manque d’hommes.) Arriveront-ils à quoi
que ce soit ?........
On comprend qu’il est bien
difficile de tenir en un endroit, relativement restreint, où ils envoient huit
mille obus en un jour, comme ils l’ont fait chez les Russes.
Il faut croire qu’ils ont des
munitions quoiqu’on en dise. Et nous, en avons-nous assez ?
En tous cas, je sais qu’ici on
se dépêche à fabriquer les obus.
On s’en aperçoit lorsqu’on sort
dans la ville le soir à la nuit. Tout est noir, sauf un bec de gaz de loin en
loin dans les rues, les devantures éteintes, les quais et les ponts entièrement
éteints : quelque fois seulement une lumière au milieu du pont ; très
peu de monde dans les rues ; silence.
Les tramways circulent tous
rideaux baissés, et les particuliers (pas toujours) ferment leurs volets. Et
puis le ciel est balayé par les projecteurs électriques ; c’est amusant à
voir, surtout lorsqu’il y a des nuages, parce que les zepplins pourraient s’y
cacher, et qu’on les fouille avec ardeur, et aussi parce que ces nuages font
comme des écrans pour les projections.
Enfin, on attend les Taubes et
les Zeppelins. Cependant les habitants n’en ont guère peur. Ce serait peut-être
drôle de voir « descendre » un oiseau boche.
Cela a toujours cet avantage que
Lyon a un « air de guerre » plus que certaines autres villes, dans le
Midi par exemple !
Dans le Midi, non seulement on
ne s’aperçoit pas de la guerre dans la vie extérieure, mais on s’en soucie
peu :
« La guerre, disait l’autre
jour un Marseillais, on en parle quelque fois, mais on ne s’en préoccupe
guère. »
Ah si le Midi pouvait prendre quelque
temps la place de ces pauvres provinces du nord et de l’est qui reçoivent des
coups toutes les fois qu’il y a une guerre quelconque, cela mettrait un peu de
patriotisme et de bravoure dans l’âme de ses joyeux habitants !
Nous voici de nouveau à Neuville
pour les vacances.
Triste retour dans une maison
trop pleine de souvenirs vivant d’une façon saisissante !
Pierre est ici
pour le moment, retour de Cannes où il a
maigri de trois kilos. Il ne va pas mieux, tant s’en faut.
Jeudi, il passera à
Il a une faiblesse générale
excessive qui lui interdit toute marche ou tout effort. Un régime reconstituant
chez lui peut seul le mettre d’aplomb.
Ce soir, le directeur de la
poste nous a passé le communiqué. Il est fort bon : un succès au Ban de
Sapt (Vosges), nous avons fait 700 prisonniers non blessés, et pris quantité de
munitions.
Demain, nous aurons des détails.
Enfin, il est certain que nous
avançons pas mal dans les Vosges depuis quelque temps. Il doit y avoir par là
quelque chose d’important, les lettres
sont retardées, les soldats tenus au secret.
De plus, j’ai entendu dire à une personne
qui a son fils dans la cavalerie que celui-ci, après être resté un certain
temps près d’Arras, venait d’être envoyé dans les Vosges. Lui-même ne pouvait
pas le dire, mais on l’a appris d’un de ses camarades en permission.
Ne se pourrait-il donc pas que le coup de main
qui a échoué à Arras soit tenté dans un endroit dégarni légèrement par les
Allemands, et où ils ne se méfient de rien ? Pourquoi alors la cavalerie
serait-elle là-bas dans les Vosges ?
Cependant, on disait que nous ne voulions
pas essayer d’offensive, parce qu’il faudrait y sacrifier trop d’hommes, et que
notre Joffre préférait se dispenser d’une avance qui lui coûterait trop cher,
et attendre que les Allemands commencent, quitte à ce que cela dure plus
longtemps.
Mais si c’est bien possible,
cela est-il vrai ?
Je ne pense pas que Joffre
confie les véritables secrets de sa stratégie à tout le monde.
Le fameux : « Je
les grignote » qu’il aurait dit en parlant des armées allemandes pourrait
fort bien être fantaisiste, à moins qu’il l’ait dit pour tenir tranquille le
public.
Bien que chacun et tout le monde
fasse plus ou moins de pronostics et plans de guerre, la stratégie est un art
fort difficile qu’il nous faut laisser à ceux qui ont été chargés de l’honneur
de
Il faut bien nous résigner à ne
jamais savoir rien de vrai sur ce point avant la fin de la guerre, avant
longtemps.
L’année dernière, à pareille
heure, à pareille date, des troupes françaises se battent depuis 2 jours déjà,
la mobilisation générale officielle commençait.
On était triste en pensant à
l’avenir.
On pensait que ce serait
terrible, ç’a été effroyable ; on croyait que ce serait fini en quelques
mois, et cela peut fort bien durer plusieurs années, comme se terminer
brusquement.
A l’occasion de ce triste anniversaire
Guillaume a adressé un manifeste à son peuple, dans lequel il dit entre autres
choses : « Je jure devant Dieu et devant l’histoire que ma
conscience est nette et que je n’ai pas voulu la guerre. » C’est
En somme, il n’est pas excessivement
triomphant.
Poincaré devrait lui répondre quelque chose
de bien tapé !
Hier, on a paraît-il arrêté un
journal de Lyon qui avait fait paraître un article imprudent.
Nous avons ce journal, et
l’article en question est peut-être celui où l’on dévoile un fort rassemblement
de troupes (près d’un corps d’armée actuellement) près de Lyon,
Pourquoi
ce journal a-t-il été arrêté ? Serait-ce vrai par hasard ?
Depuis quelque temps, on donne
des permissions aux soldats qui sont sur le front depuis six mois au moins.
Quelques hommes à la fois sur
une certaine quantité, cela ne fait pas de grands vides.
Ils ont donc quatre à cinq
jours, huit pour le plus, à passer dans leurs familles. Est-ce une bonne
chose ?
Certainement, le contact des
civils et des militaires doit faire du bien aux civils, mais plutôt du mal aux
militaires.
En effet, ceux-ci, quoique fort
las, peu communicatifs ni entrain, ont conservé un courage admirable, une
confiance absolue dans la victoire. Ils parlent couramment de la campagne
d’hiver - d’ailleurs, humainement parlant, ce ne peut être fini avant -,
ils endurent les pires souffrances, et, quoi qu’on en dise, il n’est pas
possible de s’habituer à ces dangers de tous les instants, de ne plus penser
aux obus, aux balles, de ne pas les « saluer » à leur passage.
Et leur pensée à tous lorsqu’ils
passent quelques jours parmi les civils, c’est que le moral de ceux-ci est
« dégoûtant ». Ils pensaient trouver un réconfort, une énergie morale
inébranlable chez ceux qui ne font rien, qui pourrait à peine s’apercevoir de
la guerre dans leur vie ordinaire ; et précisément ce sont ceux qui
souffrent le moins qui ont le moins de courage.
Ils ne connaissent pas, les
braves, l’angoisse d’une attente impuissante, inactive et prolongée !
Mais il est vrai que ce sont
ceux qui ont le moins à se plaindre qui trouvent que les armées n’avancent pas,
qui se désole de ne pas voir apparaître le « grand coup » annoncé,
ceux qui n’ont, et n’ont eu personne sur le front.
Les soldats qui ont apporté à
l’arrière une âme retrempée dans des épreuves sans nom, ont été surpris de
trouver les courages un peu déprimés par une angoisse perpétuelle ; cela
se comprend.
Il y a un an, à pareille date,
un mercredi, nous recevions un paquet de photographies d’André, et une lettre
de lui, la dernière que nous ayons reçue de lui : « A la veille d’une
bataille qui semble s’annoncer assez chaude, et où les nôtres ont chance de
s’en tirer à leur honneur et à l’honneur de
Vivat Gallia
nostra ! »
Le lendemain du jour où il
envoyait cette lettre, le ?, la grande bataille commençait.
Il a dû depuis nous écrire une
autre lettre, mais nous ne l’avons jamais reçue. Déjà dans celle-là il avait un
pressentiment de ce qui allait arriver, et lorsque nous l’avons reçue, nous
l’avons bien prise pour un adieu.
Décidément, cela ne va pas.
Les Russes sont en train de se faire battre
; après avoir occupé Varsovie, les Allemands viennent de prendre
Brest-Litowsk, la grande forteresse
russe. On parle déjà d’une offensive possible sur Pétrograd. Nous voilà revenus
aux plus mauvais jours d’Août l’année dernière, seulement, ce sont les Russes
qui se font battre à notre place.
Cela vaut peut-être mieux, car
cela a tout de même un peu moins d’importance ; et puis eux peuvent, s’il
le veulent, reculer jusqu’à l’Amérique.
Mais le miracle de
Enfin, ce qu’il y a de clair,
c’est que nous allons être obligés de remuer un peu sur notre front pour
décharger les Russes, si cela continue, et chaque mouvement coûte combien
d’hommes !
Si nous n’avançons pas
maintenant que les Allemands sont ailleurs, c’est pour garder nos troupes
fraîches ; c’est aussi parce que les Allemands ont un nombre fantastique
de mitrailleuses (une pour 16 hommes) ; d’ailleurs, les mitrailleuses ne
font de la besogne que lorsque l’ennemi se montre, elles peuvent empêcher ou
rendre épouvantablement meurtrière toute attaque, mais si l’on n’avance pas, on
en est à l’abri.
Mais gare quand les Allemands
reviendront !
Certes, nous ne pouvons pas
avancer, et nous avons tout avantage à les attendre, d’autant plus qu’ils
seront exténués. Mais cela n’empêche pas que cela sera terrible, et combien
plus encore si nous nous voyons obligés de les faire retourner en partie contre
nous avant qu’ils reviennent de chez les Russes !
Enfin, voilà bientôt
l’anniversaire de
Pierre est
revenu samedi d’Annecy avec une réforme
temporaire pour un an.
Nous allons donc pouvoir le
soigner. Mais il n’est pas absolument sûr qu’il reste avec nous toute son
année. Je crois qu’il faut qu’il passe un conseil tous les trois mois.
D’ici un an, la guerre
sera-t-elle finie ?
Cela est douteux. Pierre nous a
dit que du dépôt partent des quantités de troupes « d’attaque » pour
la frontière,
D’où l’on conclue :
« D’ici au milieu de Septembre, il y aura un grand coup en
Champagne ». On le croit, parce qu’on attend quelque chose avant l’hiver,
parce que maintenant les Allemands sont bien avant dans
Mais ce qui pourrait faire
douter que ce soit vrai, c’est que tout le monde le sait et le dit.
Forte émotion
ce matin. Papa reçoit une lettre de Clermont
Ferrand ; André est cité à l’ordre du jour en ces termes :
« Officier qui fit preuve du plus
grand courage et d’un sang froid remarquable pendant les combats du mois d’Août
1914, et en particulier le 20 Août, où il fut grièvement blessé au moment où il
venait de gagner une crête pour prendre les ordres de son commandant de
compagnie. Mort des suites de ses blessures »
Signé :
Gal Dubois, Commt de la 6° armée, le 6 Septembre 1915
Bien des
évènements se sont passés depuis septembre.
En
France d’abord, nous avons remporté un brillant succès en Champagne, le 25
septembre.
Nous
avons avancé de un à quatre kilomètres suivant les fluctuations du front, et
nous avons fait, en une seule journée, vingt-sept à trente mille prisonniers valides, ce qui ne s’était jamais
vu.
On
pensait à la suite de cela que nous allions percer la ligne allemande ;
d’autres attendaient un coup décisif en Lorraine lorsque les Allemands auraient
amené leurs renforts en Champagne.
Mais
c’est devenu une question secondaire à présent ; d’autres dangers plus
pressants nous menacent.
En Russie
de même cela ne va pas mal. Après un temps de galop en arrière, les Russes ont
repris l’avantage.
Où la
question est particulièrement grave, c’est dans les Balkans.
Nous
attendions comme un évènement considérable l’entrée en ligne des peuples
balkaniques, pensant que de là viendrait la fin de la guerre même.
Le
but de
Il
faut d’abord l’arracher aux Turcs qui seront bien probablement définitivement
chassés d’Europe cette fois ; puis
Mais
le but principal est de se rendre maître des détroits, et d’être par là en
communication avec
Par
là, les Allemands auraient un réservoir inépuisable d’hommes et de vivres, les
deux points par où nous pouvons la vaincre. Il fallait de suite envoyer des
troupes en Serbie, mais, avec la rapidité qui nous est propre dans cette
guerre, nous sommes arrivés trop tard, la jonction est faite, ou presque
achevée. Il nous faudra maintenant la rompre, au lieu de l’empêcher ce qui eut
été plus simple.
Pendant
ce temps, « le Sphinx roumain regarde » ; voilà qui nous avance
bien !
Quant
à
Mais
en sera-t-il toujours ainsi ?
L’Angleterre
pour l’amadouer et la décider lui a offert Chypre, c'est-à-dire un point
d’appui pour aller en Asie ; elle a refusé.
Si
elle nous attaque par derrière maintenant, ce sera complet !
Il
faudrait des prodiges de diplomaties, d’habilité, car la question est grave et
difficile, si difficile, que notre gouvernement n’a rien trouvé de mieux que
d’employer une méthode tout à fait pratique : la crise. Nous changeons
donc de ministère.
Puissions-nous
en ressentir quelque bien ! On dit qu’il est formé de gens de toutes
sortes de partis, mais intelligents.
Enfin,
on dit que la guerre va durer encore plusieurs années au moins. Alors que
restera-t-il d’hommes ?
Déjà on
n’entend parler que de deuils, et bien rares sont les familles qui n’ont pas
été éprouvées d’une manière quelconque. Un jour, on annonçait sur le journal la
mort de cinq frères tombés pour
C’est
impossible.
Où
est Napoléon, et ses guerres glorieuses de 3 mois ?
Si
Dieu ne vient pas à notre aide…..
Une nouvelle année
commence !
Que nous réserve-t-elle ?
Comment finira-t-elle ?
Personne ne peut même le
supposer.
On dit bien qu’il est humainement
impossible que la guerre finisse cette année. Mais comme tout le monde espère
que
D’ailleurs, les soldats sont
épuisés, et malgré tout leur courage, deux années de vie dans les tranchées,
c'est-à-dire le plus souvent dans la boue, toujours dans une affreuse saleté,
dans des dangers tels qu’on ne peut rien imaginer de semblable, c’est une
épreuve terrible, et c’est plus qu’un homme ne peut supporter.
Il est bien certain que les Allemands en
souffrent encore plus que nous. Nous savons bien que tout ce qu’on a raconté
sur la disette en Allemagne, sur les révoltes..…prochaines, et sur le
déplorable état d’esprit de nos ennemis est certainement très exagéré. Il n’en
est pas moins vrai qu’ils n’auront pas toujours de l’argent, malgré toute leur
habileté.
Cependant, leur orgueil et leur
enthousiasme n’ont guère diminué, grâce à la campagne extraordinaire de la
presse chez eux. Les Allemands sont encore persuadés que c’est nous qui les
avons attaqués, et qui avons provoqué cette guerre, seulement par ambition,
pour les écraser.
Ils croient aussi défendre la civilisation
en nous combattant.
Il a paru en Allemagne un livre, que Papa a
lu, et qui est significatif de l’habileté des Allemands lorsqu’il s’agit de
calomnier. Ce sont des lettres entre le Français, le Russe, l’Anglais, le
Serbe. L’Anglais commande la guerre dans les fabriques françaises, pour telle
somme. Puis c’est le Français qui se félicite d’avoir trouvé de précieux
auxiliaires chez les femmes belges qui savent très bien tirer dans le dos des
Allemands ; mais il est furieux contre les Allemands qui démolissent les
cloches dans lesquels il met des mitrailleuses. Et cela continu ainsi.
L’orgueil est à un tel degré chez les
Allemands, qu’un pasteur protestant a pu dire en pleine chaire :
« Nous avons mission de crucifier l’humanité, pour assurer sa
rédemption. »
C’est une rage diabolique qui
les soutient, et Papa nous a lu des hymnes à la haine qui font frémir :
« Tremblez, peuples, car nous rions !
C’est le règne de Satan dans le monde, et
peut-être avions-nous besoin d’être relevés, aussi bien nous, les Français,
malheureusement, que tous les peuples d’Europe.
Et cependant, les horreurs se
multiplient, et nos gouvernants ne changent pas de manière de parler, les
réunions franc-maçonniques se continuent plus que jamais, et, ce qui est encore
plus grave, on se lasse de prier ; la ferveur des premiers temps ne se
retrouve plus à présent. Nous sommes en bien mauvaise posture !
Dernièrement encore, deux états viennent de
disparaître sous « la botte allemande ». Ce sont
Bientôt, nous allons avoir ici
une grande foire, dans le genre de celles de Leipzig. Il se pourrait fort bien
alors que nous ayons la visite de quelques Zeppelins. Ils sont enragés pour le
moment ces vilains oiseaux ; deux fois ils sont venus au-dessus de Paris
lancer des bombes qui ont fait de nombreuses victimes (des femmes, des enfants,
naturellement) : ils sont allés aussi en Angleterre, à Salonique.
Il est vrai que Lyon est bien
loin de chez eux, mais on ose tout, quand on est enragé et possédé.
Hier, nous avons assisté à une
séance bien émouvante.
On imagine en ce moment à Lyon,
une « Semaine du livre », pendant laquelle des gens de lettres et des
libraires doivent se réunir et étudier les moyens de favoriser l’essor de
l’industrie du livre.
La foire des échantillons a si
bien réussi que Lyon se lance !
Hier, c’était la séance
d’inauguration, et nous y sommes allés. C’était au Grand Théâtre ; la
salle était comble. Sur la scène il y avait toutes les autorités de Lyon, des
gens de lettres, etc. Les principaux personnages étaient :
Monsieur Heriot, « maire et
sénateur de Lyon », M. Dalimier, un sous-secrétaire d’état, le général
D’Amade, le colonel belge Marein, M.M. de Courcelle et Harancourt, mais surtout
Maurice Barrès que tout le monde a applaudi à son entrée.
M. Herriot a d’abord pris la
parole, en « souhaitant la bienvenue aux hôtes illustres de la ville de
lyon » qu’il a présentés et convenablement encensés.
Monsieur le ministre Dalimier
nous a fait ensuite un discours plein de paroles enflammées, d’encouragements
énergiques, etc, etc.
M. Pierre de Courcelle, président de la
société des gens de lettres, a parlé ensuite ; il a fait l’éloge du livre,
en montrant sa nécessité. Puis il a parlé de la supériorité effrayante des
Allemands dans l’industrie du livre. Tous les livres bon marché viennent d’Allemagne
ainsi que la musique, les journaux de mode (française, imprimés en français)
les cartes postales même sur lesquelles les prisonniers allemands écrivent
actuellement chez eux et qui ainsi « retournent à la fabrique ».
C’est effrayant !
Enfin « l’éminent poète » M.
Harancourt a lu un discours « d’une magnifique envolée lyrique, inspiré
par les plus nobles pensées, emportés par les accents les plus vibrants de foi
patriotique, contre la barbarie ». Il a parlé sur l’influence de
l’Allemagne dans l’art et le goût français, qui se faisait sentir partout, dans
les modes qui devenaient « inquiétantes » dans les strophes
inintelligibles de nos poètes, dans la peinture, etc. Nous étions pénétrés de
cette influence étrangère et Paris était un vaste « jardin d’acclimatation
pour toutes les bêtes du monde ». Enfin, tout cela a été arrêté à temps,
etc... C’était vraiment très beau au point de vue littéraire.
Ensuite nous avons entendu un long discours
de monsieur Rosny qui a parlé, je crois du roman, dans le passé, le présent et
l’avenir...
Enfin, Maurice Barrès a pris la
parole. Il devait parler des jeunes écrivains morts à la guerre, et nous avons
eu alors une surprise bien émouvante : tout en annonçant qu’il ne
songerait pas à parler de tous ces jeunes écrivains qui sont au nombre de deux
à trois cents, il a voulu saluer tout de même d’abord la tombe de deux jeunes
lyonnais.
Le premier était Paul Lintier, puis André
Ruplinger, auteur d’une intéressante thèse de doctorat sur le philosophe
lyonnais Bordes ami de Voltaire. Il est d’une famille de Lyonnais d’origine
lorraine, et il est tombé le 20 août 1914 sur cette terre de Lorraine. Il
écrivait à son père la veille de la mobilisation : Quel bonheur pour vous si
avant de mourir vous pouviez voir votre Alsace-Lorraine redevenue française, et
vous dire que vos fils y sont pour quelque chose ! (ceci est tiré de la
lettre qu’il nous écrivit de Clermont au moment de la mobilisation.)
Toute la salle applaudit à cette parole. Et
Maurice Barrès ajouta : c’est une belle phrase.
Nous étions trop émus pour nous
rappeler exactement ce qu’il a dit ; mais c’était à peu près cela, je
crois. (Papa, il y a quelques jours avait envoyé à Barrès la thèse d’André
qu’il a fait imprimer, comme dernier souvenir, et seule œuvre d’André. Mais
nous devons cet hommage public du grand homme à madame Morel, qui lui a écrit
pour lui parler d’André, et qui a su ainsi nous procurer le grand bonheur de ce
témoignage rendu publiquement par un écrivain d’un grand renom actuellement devant
un public choisi et nombreux !)
Maurice Barrès a continué
ensuite en nous parlant de Péguy, de Psichari le petit fils de Renan (qui avait
pris à cœur de compenser l’œuvre scandaleuse de son grand-père), et du colonel
Driant, tous trois morts à la guerre, écrivain connus… Ils étaient de ses amis
personnels, et il nous en a surtout retracé la vie.
Il a même raconté au sujet de Driant un
trait touchant de simplicité. Un lieutenant est mourant, entre les lignes
françaises et allemandes ; son colonel, le colonel Driant va vers lui et
reste jusqu’à ce qu’il ait rendu le dernier soupir sous un ouragan de feu. Et
plus tard il raconte à Barrès : le pauvre enfant demandait
l’absolution ; je crus pouvoir la lui donner. Je me suis renseigné depuis ;
elle n’est pas valable. Je croyais que c’était comme le baptême, et qu’un
laïque pouvait la donner en cas de besoin.
Après le discours de Barrès, on
a lu des extraits des œuvres de jeunes écrivains morts à la guerre ;
quelques uns de ces morceaux étaient forts beaux.
Il y a déjà quelque temps, on a donné le nom d’André Ruplinger à une rue de
Que c’est triste de voir tout ce
que l’on fait pour donner un peu de gloire au moins à ceux qui étaient plein de
promesses, et qui n’ont rien pu faire, sinon tout abandonner d’un coup à
C’est
aujourd’hui le deuxième anniversaire de la mort d’Henri.
Que
le temps passe vite ! Nous sommes dans le trente deuxième mois de cette guerre,
qui ne pouvait pas disait-on, durer plus de un à deux mois.
A
quand la fin ?
On
tremble en pensant à la mentalité des pauvres soldats sur le front, parce que
de toutes parts on n’entend plus dire que des phrases bien inquiétantes : on en
a assez, ce serait temps que cela finisse, parce que sans cela, on ne sait pas
ce qui arrivera.
Et les
plus mauvaises têtes parmi les soldats disent même quelquefois : quelle utilité
a-t-on de se faire tous tuer pour rien ? La belle affaire que
(Campagne défaitiste de la bande à Caillasse du Bonnet
Rouge et compagnie.) (1)
Mais il ne faut pas penser à toutes ces choses.
Actuellement,
nous avançons d’une façon extraordinaire, et même inquiétante.
40
kilomètres !
Mais
malheureusement….ce n’est peut-être pas une grande victoire.
On dit couramment que les
Allemands se retirent volontairement. Nous allions les attaquer, ils ne se
sentaient pas assez forts sur leurs positions, ils se retirent sur d’autres
positions plus fortes. Ainsi notre attaque est remise à plus tard ; ils ne
nous laissent qu’un pays désert, des ruines, des chemins qu’ils démolissent ;
ils coupent tous les arbres, empoisonnent les puits, etc., etc.
Enfin, il faut bien se dire que
Si
leur tactique les faisait reculer encore d’une centaine de kilomètres, nous ne
demanderions pas mieux. Il n’y a rien de tel pour remonter le moral et chasser
le cafard.
Il ne
faut jamais se désespérer avant d’avoir de quoi (ni même après).
Attendons
les évènements.
(1)
cette phrase est dans la marge
(2)
Les Allemands ont, en effet, reculé d’une cinquantaine de Km. Recul
stratégique, qui a surpris le Haut Commandement français
Dieu
ait pitié de
Pierre est parti au front le
vendredi 11 Mai, au 268ème d’artillerie, vers Craonne et plus exactement à (2) (il nous fait savoir où il est
en s’arrangeant de façon à mettre à la fin de chaque ligne la lettre nécessaire
pour qu’on puisse lire de haut en bas le nom du patelin)
Sitôt
arrivé, comme il demandait autant que possible une place de téléphoniste,
tandis qu’un de ses camarades sollicitait la place de cuisinier, on s’est
empressé de mettre Pierre à la cuisine et son camarade au téléphone. Pierre a
bien prévenu le lieutenant qu’il ne savait en tout que faire des œufs à la
coque ; mais son officier lui a dit qu’avec de la bonne volonté, il
arriverait bien et qu’il n’avait qu’à aller chercher immédiatement son
paquetage pour être dans 10 minutes à son poste.
Enfin
il ne faut pas en dire trop de mal, c’est un poste de confiance qu’on donne à
Pierre comme infiniment moins dangereux que d’autres, parce qu’il a perdu deux
frères à la guerre.
Pour
le moment il ne fait que peler des légumes et faire des sauces vinaigrettes,
mais quand il retournera en ligne, il sera seul chef. Alors, gare, messieurs
les officiers !
Enfin, ce qu’il y a de plus
« chouette » c’est qu’il nous est arrivé vendredi dernier en
« perm de sept jours » (c'est-à-dire qu’il ne part que lundi 10, le
jour d’arrivée, qui est, officiellement, celui où on fait viser sa perm, ne
comptant pas plus que celui du départ, dans les sept jours). Il nous annonce
cela d’une façon qui en dit long « Vive Dieu, ça colle ! ».
Pas
besoin de commentaires.
Il
paraît que le moral est si bas, au front !
Il y a eu
(cela ne doit pas se dire, mais je me moque de la censure) une révolte dans
l’infanterie, prés de l’endroit où est Pierre. Les soldats disaient que les
bons régiments sont toujours et invariablement aux endroits les plus dangereux,
que quand ils attendaient enfin l’ordre d’aller au repos, c’était celui de
remonter en ligne qui arrivait à la place et sans crier gare, bref ils ont
refusé de remonter en ligne.
Pierre
ajoute même quand il se laisse aller, que les soldats ont tiré sur les
officiers d’état-major.
Tous en
ont assez. Ils demandent que cela finisse ; ils vont se promener 15 jours
à l’intérieur. Que voulez-vous qu’on nous fasse pour nous punir,
disent-ils ? Qu’on nous envoie en 1ére ligne ? Nous y sommes
toujours.
Enfin
ils comptent même sur la gêne et la vie chère, pour que les civils se mettent à
crier et la guerre soit obligée de finir.
Tout
ceci, on n'en parle jamais, ou pas souvent, parce que c’est inutile de se
décourager.
Mais
ce qu’on ne peut pas ne pas voir, ce sont les grèves qui commencent dans toute
Seulement
pourquoi les grévistes se sont-elles précipitées dans les bras de la bourse du
travail, socialistes et le reste !
(1) Il
s’agit de la période troublée des mutineries
(2) :
Espace laissé blanc sur la page
Les grèves continuent. Nous
sommes bien placés pour en jouir, la bourse de travail est à cinq minutes de
chez nous, et le cours est tout encombré de femmes, jeunes filles, apaches de
toutes sortes.
Aujourd’hui, les employées de
tramway se sont mis de la partie.
Elles ont leur salaire, leur allocation, on
vient de leur accorder, sous menace de grève, une indemnité de vie chère de
1,50 frs. Elles ne sont encore pas contentes, et voilà pourquoi aujourd’hui
aucun tram ne marche. Ce matin, quelques-uns marchaient encore, mais les
grévistes les ont attaqués et arrêtés.
C’était drôle, en classe. On
voyait les élèves arriver un quart d’heure, une demie heure et plus en retard.
Comment êtes-vous venues ?
A pied.
Une autre qui avait trouvé un tram de
Francheville à St Jean ce matin se trouve à présent seule à Lyon. Elle est
allée dîner à Perrache chez des parents (à pied, aller et retour). Elle veut
rentrer chez elle ce soir, et sera obligée de louer une bicyclette. « La
jeunesse moderne sait se tirer d’affaires ! » comme dit Mlle Diot.
Enfin les grévistes grouillent
toujours dans le quartier. Il paraît que cette nuit ils ont fait un train
d’enfer devant la bourse du travail . Moi, je n’ai rien entendu. Mais j’ai vu,
au milieu de tous les groupes animés des individus qui n’étaient sûrement pas
des Français. Si je ne me trompe, ce devait être des Espagnols.
Ils avaient l’air enchantés,
ravis.
En effet, on dit bien que tous
ces hommes qui parlent à voix basse en conseillant et excitant la foule (ce qui
est facile quand c’est une foule de femmes) sont payés par les Allemands.
Ce sont eux qui entonnent le
refrain : « Nos poilus ! Nos poilus ! A bas la
guerre !
Il faut bien dire qu’il y a eu en
Allemagne, en Autriche des émeutes encore bien plus graves, mais en Allemagne,
ce n’est pas le peuple qui commande. Tandis qu’en France !... Il y a qu’à
consulter l’histoire, depuis 1789. Et quand les Français sont partis, je ne
sais pas ce qui peut les arrêter.
C’est bien le cas de
dire « Où allons nous ? »
Pierrot est en perm de
« sept jours » !
Depuis dimanche dernier il a
quitté le front, il a passé la journée de lundi à Paris (à l’aide d’une fausse
permission, parce qu’on n’a plus le droit de passer par Pantruche, ou Panam, dit-il,
si l’on a pas la feuille rose des habitants de la grande ville.
Mardi matin il était chez nous,
mercredi il faisait signer sa perm ; comme le jour où on fait cette formalité est soi-disant
celui de l’arrivée, il ne compte pas ; résultat, nous l’avons jusqu’à
vendredi soir !
Quel temps tranquille et heureux, mais
combien il est court. Jeudi, en voyant passer un train de permissionnaires,
Pierre leur criait presque des sottises de loin : « les veinards,
ils ont 2 jours de plus que moi à voir passer avant de retourner là-bas !
Les « vaques » !
Nous sommes doublement contents de le
voir, parce que nous avions bien souffert d’être séparés pendant la récente et
si grave maladie de Papa.
Papa avait pris de violentes
douleurs intestinales le mercredi 6 juin, Pierre était là.
Nous ne pensions pas que ce fût
grave, mais déjà le lundi 10, jour du départ de Pierre, le docteur nous avait
inquiété, il craignait une appendicite etc.
Puis le lendemain, il demandait
une consultation, le docteur Delore venait le mercredi après-midi, le mercredi
à 7 h Papa était emmené à la clinique de
Quel souvenir, que celui de
cette semaine là !
Enfin le lundi, cela n’allait plus du
tout ; le matin, le Docteur n’était par extraordinaire pas venu. Aussi le
soir quand il est arrivé, il a juste regardé, puis ôté de suite sa veste pour
réopérer, faire une fistule sur le champ.
C’est ce qui a sauvé Papa. C'est-à-dire que nous savons bien qui l’a
sauvé, et ce n’est pas un médecin terrestre, car sa guérison a été vraiment
miraculeuse de rapidité.
Pendant plusieurs jours après
cette seconde opération nous étions encore bien inquiets ; mais bientôt,
quoique cela nous ait paru un siècle, Papa était hors de danger.
A partir de ce moment, nous
avons commencé une neuvaine à la petite Sœur Thérèse de l’Enfant Jésus, et les
choses se sont tellement précipitées que le docteur n’y comprenait plus rien.
La fistule qui devait rester ouverte 3 ou 4 mois nous avait dit le docteur, à
moins qu’elle ne se ferme jamais, a commencé à être inutile et à se fermer de
suite.
Au début de juillet Papa
rentrait à la maison, commençait à se promener, fin juillet nous partions pour
Neuville, où la fistule achevait complètement de se cicatriser, et maintenant
Papa va mieux qu’avant. « Vous avez fait un nouveau bail. » lui
disait le docteur ; il lui a dit aussi de reprendre toutes les occupations
qu’il voudrait, de ne plus penser à sa maladie qui était de l’histoire
ancienne.
Et voilà comment tout cela à
tourné splendidement au mieux de Papa, malgré toutes les angoisses, trop
justifiée, qu’il a causées.
Dieu soit loué !
Et la vie a repris comme de
coutume, tout le monde à son travail, Pierre au sien !
Pierre est
près de Neufchâteau pour le moment au repos,
et il a pu aller voir la tombe d’Henri et y cueillir une rose qu’il nous a
envoyée.
La journée d’avant-hier samedi a
été toute pleine d’émotions… aériennes, ici à Lyon.
Le matin, Charlotte nous a raconté qu’en
passant sur le pont vers les 7h1/2 , elle avait vu tout le monde le nez en
l’air, direction du sud. Elle regardait un peu de tous cotés, ne sachant ce
qu’on pouvait voir, ni où cela se trouvait. « Il n’est pas commode à
voir » disait un monsieur.
Et Charlotte pensait. » C’est un
aéroplane, j’en ai assez vu. »
Le
peuple est si badaud à Lyon. Un jour en passant sur le pont Papa expliquait à
Ninie : « Les gens sont si badauds, que si on s’arrêtait, comme
cela, à regarder en l’air, je suis sûr que tout le monde s’attrouperait pour
voir. » Et comme Papa esquissait le geste, un monsieur qui passait leva la
tête pour regarder ce que papa avait l’air de regarder.
Charlotte pensait à cela tout en filant car
elle était pressée.
Ce n’est que plus tard dans la matinée
qu’elle apprit que c’était un dirigeable que tout le monde contemplait, et elle
regrettait bien de ne pas l’avoir vu.
Il nous semblait assez étrange
qu’un engin de ce genre se promène au dessus de Lyon, car on n’entend guère
parler des dirigeables français pendant cette guerre ! Je ne savais même
pas qu’il en existait.
Tout cela était bien oublié au
bout de quelques heures.
Mais le soir, Ninie et moi, nous nous
trouvions vers les 6 heures dans la rue ; et nous remarquions une femme
sortant sur le pas de sa porte : « Tiens, on vient d’éteindre tous
les becs de gaz. On les avait pourtant allumés toute à l’heure. Qu’est-ce qui
se passe donc ? » Et les voisines faisaient chorus.
« Qu’ils sont agités les gens dans ce
quartier ! Disions-nous. Nous
n’avions même pas remarqué qu’il faisait un peu plus sombre, les rues ne sont
pas tellement illuminées depuis la guerre.
Mais c’est vrai, tous les becs de gaz sont
éteints. C’est peut-être une expérience d’éteignage pour les Zepplins ; ce
n’est pas la première, ni la dernière, il n’y a pas besoin de tant
s’agiter. »
Pourtant c’était bizarre de faire cette
expérience à l’heure de la pleine circulation. Nous pensions que c’était
peut-être une « panne » de gaz ou électricité.
Mais pendant le souper, les
quelques becs restés allumés place Morand se sont éteints, on a entendu des
bruits de volets de magasins fermés en hâte, tandis que des agents cyclistes
circulaient pour dire de fermer.
Cela devenait intéressant.
Certains disaient qu’il y avait
vraiment des zeppelins signalés, l’opinion générale était tout de même que ce
n’était qu’une expérience ordinaire.
On était cependant un peu
surexcités, et on formait en riant toutes sortes de projets pour s’il y avait
une alerte dans la nuit.
Charlotte demandait qu’on la
réveille, pour qu’elle puisse descendre de son quatrième dans la cave.
Ninie disait qu’en fait de caves
il fallait aller trouver celles du Saint Nom de Jésus, qui sont immenses et
splendides.
Papa ne voulait pas bouger de
son lit, et disait qu’il se cacherait bien assez sous ses couvertures.
La bonne ne voulait pas qu’on se
réveille mutuellement pour se faire du souci sans profit aucun.
Moi je trouvais qu’il fallait au
contraire se réunir tous, pour mourir tous ensemble ou pas. Enfin Eugène Sommen
qui soupait avec nous disait qu’il ne fallait pas bouger, parce que si son
heure était venue il aimait mieux que le Bon Dieu le trouve dans son lit que
dans sa cave.
Nous avons bien ri ce soir là.
Mais nous étions peut-être un
peu plus inquiet au fond que nous n’en avions l’air (je parle pour moi, c’est
vrai).
Tout de même, nous avons bien
dormi, et nous avons été stupéfaits le lendemain en apprenant l’explication de
tout cela par le journal. Le fameux dirigeable (qui était suivi d’un second,
par parenthèse) c’était un Boche !!!!!!!!!!!!
Voilà ce que c’est que la
confiance.
On admirait béatement un
dirigeable français, et on se gardait bien de lui tirer dessus
(j’exagère : un poste a tiré quelques coups de canon ; il a eu le nez
fin, et a été assez habile pour penser que ce n’était pas un français).
Cependant c’était le reste d’un
raid formidable de Zeppelins sur l’Angleterre et sur Paris. Celui-ci n’était
pas un Zeppelin, mais un Parceval, ballon
plus petit, et il avait été désemparé dans la bataille et emporté par le
vent vers le sud sans savoir où il allait. C’est ce qui explique qu’il n’avait
plus de bombes à notre disposition.
Il se croyait en Suisse en
passant par ici (c’est bien de l’honneur !) et n’a pas reconnu Lyon.
On sait tout cela, parce que
finalement l’individu est allé échouer près de Sisteron.
« Tu faux pas croire » (1) qu’on l’a abattu.
Dieu nous garde d’y toucher !
Alors, on a fait interroger
l’équipage par des boches (!!!) qui travaillaient dans les environs.
C'est très fort, cela. Comme
cela, on est bien sûr que les prisonniers se sont compris entre eux, ce qui est
très sûr en effet ; mais quand à penser que nous sommes au courant de tout ce
qui se sont dit, c'est autre chose !
Pauvre France ! Faut-il en être encore là !
Et si ce n'était qu'une fois en passant...
Toujours est-il que le soir de ce
fameux samedi, on a pris des précautions très soigneuses, parce que tout était
fini.
On a craint une nouvelle visite ;
aussi nous avons pu admirer l’ordre dans lequel on sait prendre les mesures
nécessaires pour nous protéger des attaques nocturnes.
Seulement en plein jour, vous
comprenez, c’est autre chose !
(1)
expression lyonnaise : "ne croyez pas"
« La bataille
continue » ; titre ordinaire, presque, des articles militaires, à
présent.
C’est que le printemps a amené
la guerre offensive boche. On en parlait tant !
On disait que ce serait plus
terrible que Verdun, mais que ce serait le dernier effort des Allemands, que
nous étions de force à le supporter et qu’il fallait avoir confiance. Et en
effet, ç’a été terrible, mais autant qu’on peut en juger, plus de leur côté que
du nôtre. On dit que certains de leurs régiments se sont sortis du
premier assaut avec une vingtaine de survivants.
Quant à nous, j’ai entendu le
chiffre de 400 restants sur un des régiments qui ont le plus supporté l’effort
ennemi.
C’est que ce premier choc a été
épouvantable, et les Anglais ont plié.
Cela se comprend et n’a rien
d’extraordinaire ; n’empêche que si s’avait été des Français…..
Enfin le premier mouvement
d’angoisse une fois passé, quand nos troupes ont eu renforcé de partout nos
alliés, (c’est comme cela que ça se passe, sur tous les fronts, dans toutes les
grosses affaires) on ne s’est guère gêné pour dire qu’au fond c’était bien fait
pour Messieurs les Anglais, et qu’ils ne dédaigneraient plus d’obéir à un chef
français, un chef unique, dont leur fierté ne voulait pas jusqu’à présent.
Car c’est cette offensive qui
est cause de la nomination du général Foch au poste de commandant unique des
opérations.
Foch, un calotin, frère d’un
jésuite !
Où allons-nous ?
Mais Clémenceau ne se gêne pas
pour répondre son « Je m’en f…. » bref et catégorique, quand on lui objecte
que ce qu’il fait n’est pas très conforme à la bonne tradition .
Le digne homme ! Je ne
crois pas qu’il soit tout à fait calotin, lui (quoique qu’on agite souvent la
question de savoir s’il est baptisé, s’il est vrai qu’il envoie tous les huit
jours un bouquet à la chapelle des sœurs qui l’ont si bien soigné dernièrement
etc..)
Mais enfin, enfin c’est
quelqu’un d’intelligent et c’est une poigne.
Dieu seul peut savoir le mérite
qu’il y a pour un homme d’Etat français de notre époque, à dire « Je m’en
f…. ». Que le Bon Dieu lui en tienne compte, et qu’il daigne se servir
malgré tout d’un pauvre énergumène qui est en train de faire tant de bien à
Dire que Caillaux est en
prison ! Je me demande quelquefois si les générations futures pourront se
rendre compte de l’impression que cela nous fait à nous de penser que cela
n’est pas un rêve.
On va décapiter Bolo un de ces
quatre matins.
Pauvre homme, cela fait
pitié !
Puisse Monseigneur Bolo son
frère avoir quelque influence sur sa pauvre âme, lui qui a fait tant
d’imprudences par amour pour son frère, en faisant dire que le clergé soutient
les pires traîtres etc etc... Si le traître en question a encore un peu de bon
au fond de lui-même, il ne pourra se défendre d’avoir au moins un peu de
reconnaissance pour l’amour fraternel et la confiance de son frère. (1)
Tout de même, Claire Ferchaud (2) avait bien dit, il y a un an, qu’il était nécessaire que
plusieurs têtes tombent… Elle avait dit aussi que nous avions même beaucoup à
souffrir, qu’il fallait que nous descendions bien bas, pour que le Sacré Cœur
nous sorte du péril, que Paris serait à feu et à sang. S’agit-il du
bombardement ? De quelque chose de pire encore que ce qui se passe déjà
là-bas ?
On prétend qu’elle aurait
dit qu’elle resterait seule à Paris avec Mgr. Amette, mais il doit y avoir là
une forte dose d’exagération.
On dit tant de choses quand on
ne sait rien !
Et on ne sait rien en somme sur
Claire Ferchaud, sinon qu’il faut prier pour elle, qu’il serait évidemment très
possible que le Cœur de Jésus dans sa bonté ait pitié de nous et intervienne
d’une manière même matérielle, que ce serait peut-être le moyen qu’il prendrait
pour établir d’une manière encore plus éclatante son règne sur
Le fera-t-il sûrement, on ne
peut rien dire, on ne doit rien affirmer. Ce n’est pas le Bon Dieu qui a des
dettes envers nous, certes, et sa justice pourrait parfaitement laisser les
hommes patauger dans la boue où ils se sont mis volontairement. Mais vraiment
on ne peut se défendre d’être impressionné par tout ce qui nous donne espoir.
D’ailleurs on a reconnu que
Claire Ferchaud était de bonne foi, et c’est tout ce que la prudence de
l’Eglise peut dire de quelqu’un avant qu’on l’ait vu à l’œuvre.
Et puis, comme le dit l’évêque
de cette jeune fille « le but à atteindre (suivant Claire Ferchaud, je
pense) est la prière, la réparation, le règne social du cœur de Jésus et
l’apposition de son visage sur les étendards » (suivant les promesses
faites à la bienheureuse, bientôt sainte, Marguerite Marie, cette dernière
condition équivaudrait à la certitude de la victoire).
Maintenant le résultat acquis
est un grand redoublement de ferveur, beaucoup de conversions dans le pays de
la jeune fille, correspondant à l’immense mouvement de propagation de la
dévotion au Sacré Cœur à travers le monde, depuis cette guerre surtout, et à la
consécration de tant et tant de familles.
Pie X
déjà avait dit que
Confiance, confiance !
Cela est encore bien plus
important que la victoire, mais la victoire peut servir à cette régénération,
ou bien la régénération peut servir à la victoire.
Oh ! Qu’on a l’impression
de vivre des heures solennelles ! Qu’avons-nous fait pour avoir la grâce
d’assister à tout ce qui va se passer semble-t-il ? Et pourtant dans ce
bouleversement terrible, on sent que Dieu est tout près, que son action est
trop vaste et immense pour que nous puissions la saisir, que ses desseins sont
trop profonds pour que nous ayons le droit d’essayer de les sonder, mais on
dirait qu’il va se passer quelque chose d’extraordinaire.
La réalisation de la parole de
Jeanne d’Arc touchait l’union des Français et des Anglais pour une grande
œuvre, la prise de Jérusalem, et l’accomplissement peut-être de ces prophéties
qui annoncent l’approche de la fin du monde, comme tout cela est impressionnant
!
L’apocalypse se termine par ces
mots « Venez, Seigneur Jésus, venez »
(1) Lire l’exécution de Pacha BOLO au travers de la revue l’illustration : >>>> ICI <<<<<
(2) Claire FERCHAUD (Sœur Claire de Jésus sacrifié) est une voyante et mystique catholique français. Son histoire >>>> ICI <<<<<
La terrible action que nous annonçait
Pierre depuis quelque temps est commencée cette fois. On dit que nous sommes à
la période la plus critique et la plus terrible de la guerre.
Déjà
Verdun, l’Yser, le mont Kemmel dernièrement, sont des souvenirs si affreux
qu’on se refuse à penser que l’avenir puisse nous réserver des choses pires.
Pierre doit avoir quitté
Et
l’on recule toujours.
Ce
soir, il se pourrait bien que Reims soit pris.
Jusqu’où
iront-ils ?
Ne
dirait-on pas vraiment que la parole de Claire Ferchaud se réalise ?
Après-demain
commencera le mois de juin.
La
semaine prochaine, fête du Sacré Cœur.
Pourquoi
a-t-on dit que la guerre serait fini le 12 Juin ? Est-ce une pure
invention ? On a paraphrasé probablement ces mots «
Je
marque ici pour m’en souvenir et savoir si c’est vrai, à ce propos, quelques
autres détails sur ce sujet. Il faut tout retenir, pour savoir ce qui en
restera.
On dit que
Claire Ferchaud ira sur le front, qu’elle ne reviendra pas de la guerre, qu’à
Paris elle est avec quelques jeunes filles s’offrant en réparation pour le
salut de
Enfin
elle aurait dit que la guerre finira le jour où un général déploiera dans la
bataille son fanion du Sacré Cœur.
Je crois
que je ne fais plus que parler de Claire Ferchaud dans ce cahier ; mais
c’est que vraiment c’est la première idée qui me vient en pensant à la guerre.
Et
comme par prudence on n'ose pas trop en parler autour de soi, on ne fait qu’y
penser davantage, et on prend plaisir à l’écrire.
Confiance,
grande confiance.
Fin du
journal de Suzanne.
Contacter
le dépositaire de ces cahiers
Retour accueil Retour page précédente Vers d’autres carnets ou
témoignages de guerre 14/18