CORRESPONDANCE 1908 – 1919 de SAUER Claire, Henri, Gaston, René

5ème partie : années 1918 à 1919 et 50 ans après

 

Vers les années   1914  1915  1916  1917  1918  1919

 

 

 

 

« Je viens de transcrire une petite centaine de lettres écrites par les trois frères SAUER.

Il s’agit d’Henri (mon grand père), Gaston et René, tous au front, dans des endroits différents ; lettres écrites à leur maman, leur sœur (Claire), tante ou fiancée (restées en Algérie), cousin ou entre eux.

Tous trois ont eu le bonheur de rentrer à la fin de la guerre. »

 

« À partir de 1917, mon grand-père Henri, déclare son amour à sa cousine germaine (Claire BROGAT), ma future grand-mère, puis ils se marient à l’occasion d’une permission, en 1918, et les courriers deviennent plus amoureux, et plus impatients, l’attente est longue.

Henry a devancé l’appel, les premières lettres sont datées de 1913. »

Mireille, janvier 2010

 

Le 6/1/1918

Lettre de Gaston à sa mère

Ma chère maman,

Nous changeons encore de cantonnement. Je me suis rencontré hier avec Louis qui appartient à la même division que nous. Nous avons passé la soirée ensemble, tu peux juger de notre joie de nous revoir.

Je reverrai sans doute Louis souvent maintenant. Nous allons probablement manœuvrer ensemble

Bons baisers à tous, je t’embrasse

Gaston

Alexandre Sauer et Louis Fouque, quelques années plus tard.

Le 10 mars 1918

Lettre de Gaston à sa frère Henri

Mon cher Henri,

J’ai eu ta carte il y a quelques jours déjà mais comme j’étais en ligne je n’ai guère eu le temps d’y répondre.

Après une nuit de veille au petit poste tu dois penser que le jour venu on n’aspire qu’à une tente pour roupiller.

Nous sommes en réserve depuis trois jours, comme j’ai dormi ce matin jusqu’à la soupe, je me sens plus frais et plus dispo pour écrire.

Ta carte m’a rejoint à la 43è Cie où je suis affecté comme 2ème classe depuis 15 jours et j’ai pensé en lisant tes recommandations à propos des galons de sous-officier qu’à toi aussi ma cassation allait te peiner et je t’assure que c’est le seul regret que j’ai d’avoir perdu ces galons.

Maman m’écrit qu’elle t’envoie ma lettre lui annonçant l’événement.

C’est bien simple et c’est vrai.

Un homme de mon petit poste a quitté sa place et celui qui le remplaçait ne s’est pas mis exactement à l’endroit qu’il fallait, d’où l’officier de ronde a couché que personne chez moi ne veillait. Je lui en ai montré non pas un mais deux et lui a répondu en me montrant l’emplacement « Là, il n’y a personne »

Et ce qu’il y a de plus fou, c’est qu’au moment où la surprise a été faite, j’étais au petit poste voisin pour y répartir le casse croute entre 4 hommes.

Je ne pouvais pas être partout.

Mais comme je me sentais visé je n’ai rien ajouté et ai été cassé et je t’assure que cela ne me déplait pas. Je ne serai jamais passé sergent ne pouvant pas faire un bon caporal, il était donc inutile que je continue à faire un mauvais caporal, il vaut mieux que je fasse un humble 2ème classe qui ne doit rien à personne.

Comme dit maman, pourvu que nous revenions tous trois, c’est la seule chose à demander

 L’armée de gloire ne m’étouffe pas, je n’aspire qu’à une seule chose, qu’à sauver ma peau et surtout pas les galons de sergent qui m’auraient donné plus d’invulnérabilité.

 

Parlons de choses plus intéressantes.

Tu as du quitter ta femme le cœur gros et je comprends que tu as dû pendant quelques jours posséder un cafard mous.

Heureusement que tu as quelques avantages matériels et que tu es bien placé pour te distraire un peu. Peut-être es-tu déjà à Epinal à suivre ces cours de signalisation. Je me demande à quoi ce changement est dû. Ce n’est pas toi qui as demandé à quitter ta compagnie, je pense.

C’était là un bon filon qu’il te sera difficile de retrouver peut être.

Tu me dis bien que les cours finis tu entreras comme secrétaire chez le trésorier, mais en es-tu sûr. Je pense que tu ne feras rien pour passer sous lieutenant et que tu te contenteras des galons de chef qui sont de beaucoup plus avantageux.

Je te quitte. Je t’embrasse affectueusement

Gaston

Le 6 avril 1918

Lettre d’Henri à sa mère

Ma chère maman,

Toujours en Meurthe-et-Moselle et en bonne santé, j’ai eu une lettre de René me disant son entrée à l’ambulance pour intoxication mais plus rien depuis. Donne-moi de ses nouvelles.

Ne peux t’écrire longuement faisons beaucoup d’entraînement en vue de la 2ème partie de la pièce se jouant.

Je ne demande pas un premier rôle et me contenterai de celui de figurant.

Je m’en fais moins que jamais et ai bon espoir-

Baisers à tous à toi les meilleurs de Gaston

Henri

 

 

Aux Armées le 19 mai 1918

Lettre de René à sa mère

Nous n’étions pas loin l’un de l’autre et ne nous sommes pas vus. (complété par Henri en 1951)

Ma chère maman,

Nous avons changé de cantonnement avant-hier.

Heureusement que notre déplacement a été de courte durée car il faisait une chaleur atroce et par les grandes chaleurs il ne fait pas bon se promener en tenue de campagne complète les routes (45kg à transporter)(complété par Henri en 1951)

Notre cantonnement n’est pas comparable à celui que nous occupions, de plus nous n’avons pas trouvé de personnes complaisantes pour nous faire la cuisine.

Avons crèmes, flancs, gâteaux de riz, etc. Enfin tout cela reviendra peut-être un jour.

 

En attendant de monter en ligne les poilus font des tranchées à l’arrière en cas d’un nouveau repli anglais.

Mais je ne crois pas que cela arrive une 2ème fois car ils ont eu des ordres très sérieux et ceux qui ont reculé lors de la dernière offensive boche doivent reprendre le terrain perdu.

Pourvu qu’ils réussissent seuls sans notre intervention, c’est tout ce qu’il faut.

Je te quitte Maman en t’embrassant bien bien fort

Bons baisers à tous

Ton fils René

Le 20 mai 1918

Lettre d’Henri à sa mère

Ma chère maman

Je suis toujours en excellente santé, un temps splendide rend notre vie moins pénible et nous fait tout paraître plus beau. Mais je suis toujours loin de toi et de ma Clairette et il m’est impossible de rien apprécier.

Il est près de 1h du matin, je vais aller dormir et oublier toutes ces misères.

Bons baiser à tous, reçois les plus affectueux de ton fils

Henry

Aux Armées le 23.5.18

Lettre de René à sa mère

Ma chère maman,

Toujours à l’arrière en réserve des anglais. Ils veulent se faire un honneur de reprendre le terrain perdu mais le commandement trouve quand même prudent  de mettre des troupes françaises à l’arrière en cas de nouvelles attaques boches.

Nous sommes en ce moment dans un cantonnement à peu près tranquille.

Nous avons perdu, dernièrement, un chef de bataillon qui était plutôt ennuyeux aussi maintenant sommes nous à peu près tranquilles. Dans notre bureau j’ai  réussi à trouver un lit. Ce n’est pas le « plumard » rêvé, mais le soir je peux me déshabiller pour me coucher et le repos est ainsi beaucoup plus profitable.

Dans quelques jours nous allons changer de village et il va falloir recommencer à coucher sur la paille.

Hier j’ai écrit à Tante A, ainsi qu’à Henri et à Gaston. J’espère qu’ils me répondront.

Je te quitte, maman.

Embrasse bien pour moi tout le monde chez Tante et chez Monsieur Jouve.

Les meilleurs baisers de ton fils

René

Tache de m’envoyer des cigarettes !

Le 26 mai 1918

Lettre d’Henri à sa mère

Ma chère maman

Je vais t’écrire aujourd’hui un peu plus longuement que d’habitude, mais j’ai toujours beaucoup de travail et quelquefois pas le temps de penser à moi.

Il fait beau depuis plusieurs jours et je rage souvent de ne pouvoir aller me promener.

Ce beau temps est très agréable pour nous qui vivons continuellement sous les bois, C’est une véritable cure d’air que nous faisons, et pourtant je ne grossis pas. Les fatigues endurées dans la Somme ne m’ont pas fait du bien et quand je suis revenu dans cette région, bien des gens que je connaissais m’ont trouvé maigri.

Si nous restons quelques temps dans ce secteur calme, je me remplumerai certainement.

J’ai reçu hier une carte de René toujours dans la Somme, de Franciel près de Reims, de Gaston rien encore.

J’espère que tata Victorine se porte bien et qu’elle a de bonnes nouvelles d’Alexandre. Embrasse la bien pour moi ainsi que mon petit Riquet, Clairette et Albert, qu’ils m’excusent tous si je les laisse sans nouvelles.

Un nommé Landelle ira voir les Jouve de ma part, il vous dira où je suis, notre vie.

Je t’embrasse affectueusement

Henri

Henri – Saint-Drieux 1918

Le 30 mai 1918

Gaston à sa mère

Ma chère maman

Un petit mot avant que le sergent de jour ne s’en aille au vaguemestre. Toujours dans le même coin et pas près d’en sortir. Il vaut peut-être encore mieux y  rester puisque d’après ce que l’on nous a laissé entendre nous ne sommes pas près d’aller au repos. Et jusqu’à ce que les américains entrent en ligne, il en sera ainsi sans doute.

C’est une belle perspective. Comme notre secteur reste plutôt calme

il vaut mieux que nous n’en bougions pas.

Bons baisers à tous je t’embrasse mille fois

Gaston

21 juin

Chers tous

En quelques mots nous allons bien, toutes ces cartes ou lettres reçus depuis quelques jours des enfants. Cela vous occupera votre dimanche si vous les recevez xx.

Clairette me gardera les principales de Gaston et René, les vues aussi et les apportera quand elle viendra. Je vais écrire à Henri, chaque jour c’est le tour de l’un d’eux. Je lis ces combats devant Villers-Cotterêts et je suis effrayée de xx

Ai reçu lettre de Clo, je trouve qu’elle devrait bien revoir encore Mr Babibé et se soigner sérieusement.

Mille baisers de tous ici, de tata V aussi les meilleurs de T

Le 1er juin 1918

Gaston à sa mère

Ma chère maman,

Toujours rien de nouveau quand à moi.

J’ai eu hier au soir ta lettre et mandat y contenu.

Je vais faire des économies faciles les occasions de surprises étant plutôt rares.

Baisers chez tante et Claire, amitiés à la famille Jouve

Je t’embrasse mille fois

Gaston

Le 5 juin 1918

René à sa mère

Ma chère maman,

Toujours au même endroit, pas pour longtemps sûrement car depuis le début de l’offensive boche notre regt n’a pas encore donné et il va falloir remplacer les copains. On se bat chacun à son tour là-haut !

J’ai reçu aujourd’hui une courte lettre de Gaston, nous étions tout près l’un de l’autre sans nous en douter, mais maintenant nous sommes loin sans doute.

Bons baisers à tous, les meilleurs de ton fils

René

Aux armées le 12 juin 18 René

René à sa mère

Ma chère maman,

Je reçois aujourd’hui ta lettre du 3. Tu as tort de te faire du mauvais sang tu sais très bien que les courriers ne sont pas réguliers en ce moment.

Toujours dans le même secteur.

Nous sommes dans une cave qui nous protège tout juste contre les éclats et les boches ne se gênent pas pour nous canarder.

Ce matin ils nous sont sonné un drôle de réveil. Ils ont attaqué mais ils ont été repoussés immédiatement. L’artillerie les a arrosés copieusement.

Cette nuit ils vont surement recommencer et ils nous laisseront pas dormir tranquilles.

J’ai reçu aujourd’hui des nouvelles d’Ouled Fayet et d’Aim Tedeles.

La lettre de Simone était datée du 4 juin et elle avait des nouvelles d’Henri du 24. Tu as du sans doute en avoir toi aussi.

Je n’ai rien eu de Gaston. Tout ce que je sais c’est que nous ne sommes pas dans la même région. Il se trouvait il y a une quinzaine de jours en Lorraine. Son secteur est surement plus tranquille que le notre.

Je te quitte maman, je voudrais que le vaguemestre emporte ma lettre ce soir.

Embrasse bien tout le monde pour moi chez tante et chez monsieur Jouve.

Bons baisers à Riquet

Les meilleurs de ton fils

René

PS peux-tu m’envoyer de cigarettes ?

Florsli (Italie) , le 15 juin 1918 10h soir

Henri à sa femme

 

Ma chérie,

J’ai enfin pu trouver de l’encre à mettre dans mon stylo et je vais maintenant t’écrire un peu plus lisiblement peut être.

Je suis rentré vers 7h de Mayex où je t’ai dit que j’allais faire un match de football. Pour la première fois depuis mon retour de perm, nous fumes battus, aussi inutile de te dire si j’étais en rage tout à l’heure.

Enfin ce n’est qu’un petit malheur que nous tacherons de réparer dimanche prochain, si toutefois d’ici là les événements importants ne se sont pas produits.

Inutile de te dire que si les boches ne signaient pas, ils en prendraient plein la vue, mais il vaudrait mieux ne pas en venir là.

Je n’ai pas eu de lettre de toi aujourd’hui ; aussi ai un peu le cafard, maintenant.

Comme il m’aurait été doux de m’endormir en relisant une lettre toute nouvelle…

J’attends demain après midi avec impatience pour pouvoir te lire.

Ma chérie, je suis fatigué, je te quitte et je t’embrasse de tout mon moi.

Mille caresses de ton Henry

 Aux Armées le 18 juin 1918

René à sa mère

Ma chère maman,

Voilà plusieurs jours que je n’ai pas reçus de tes nouvelles. Pourtant il y a eu courrier d’Algérie.

Je suis toujours en ligne.

Heureusement que nous avons des grottes. Cela nous permet d’être à l’abri du bombardement et ensuite de pouvoir faire cuire sans  risque lapins et poulets que nous avons eu le bonheur de trouver dans un village pas loin des lignes.

Je te prie de croire que depuis 3 jours nous nous nourrissons bien. Tous nos repas sont arrosés de vin bouché et nous les terminons par des bouteilles de champagne (Marque Mottier-Chandon).

Si tu pouvais voir ce linge d’hommes et de femmes qui se gaspille dans ce village, ce n’est pas croyable. Certains poilus mettent des chemises propres tous les jours.

S’ils n’en trouvent pas d’hommes, ils ne se gênent pas pour mettre des chemises de femmes. De cette façon, les « totos » n’ont pas le temps de moisir.

 

Il faut dire aussi que le village où nous prenons toutes ces affaires sera sûrement rasé dans 3 ou 4 jours et que tout le matériel que nous avons pris aurait été brisé par les obus.

Aussi au bureau nous avons pris nos précautions et nous avons monté notre bureau. Nous avons même pris une machine à écrire, toute neuve, de nombreux encriers en verre, presse papier etc, etc…

Pauvres gens lorsqu’ils vont retourner chez eux. Je ne voudrais pas être à leur place.

Je te quitte ma chère maman, la corvée de soupe va partir.

Bons baisers à tous. Grosses caresses à Riquet

Les meilleurs baisers de ton fils

René

Plouguernevel le 22 juin 1918

René à sa mère

Ma Chère Maman,

Je parie que tu es en train de te demander quel est ce village au nom baroque dans lequel je me trouve !? Eh bien, je t’assure que si le nom est bizarre, le village et les gens le sont bien aussi.

Un petit trou de 200 ou 300 habitants.

J’y suis arrivé aujourd’hui après un voyage de 48 heures. Je ne regrette tout de même pas l’ambulance où je me trouvais car nous couchions sur des paillasses et la nourriture n’était pas très satisfaisante. Si ici elle laisse aussi un peu à désirer on a au moins une consolation, celle de coucher dans des draps et cela repose beaucoup plus.

 

Je suis obligé, maman, de te réclamer de l’argent car dans tous les voyages que j’ai fait dernièrement j’ai, pas mal dépensé pour me nourrir car je t’assure qu’étant malade je n’avais pas beaucoup envie de m’amuser. Envoie moi donc un mandat télégraphique dès réception de ma lettre car je n’ai plus le rond.

J’ai appris en arrivant ici une bonne nouvelle.

C’est qu’à ma sortie de l’hôpital, je rejoindrai le dépôt d’Alger. Je n’aurais sans doute pas de convalescence mais je préfère cela et retourner à Alger.

Là-bas je réussirai à avoir une permission

Voici ma nouvelle adresse

Caporal fourrier, 9e Zouaves Hôpital Complémentaire N°72

Plouguernevel (Côtes-du-Nord)

 

Envoie moi des cigarettes, maman, on en trouve pas ici et notre seule distraction est dans « griller une » de temps en temps. La postière ne pourra pas te refuser le paquet puisque je suis dans un hôpital.

Embrasse bien pour moi tout le monde chez tante et chez Monsieur Jouve.

Reçois les meilleurs baisers de ton fils

René

Le 24 juin 1918 Henri

 À sa sœur Claire

Ma chère Clairette,

Voici quelques temps que je ne t’ai pas écrit ; il est vrai que de tels événements se sont passés depuis plus de deux mois que je n’avais guère de temps à consacrer à ma correspondance ; tout juste quelques fois le temps d’écrire une carte à ma femme.

Je suis même resté, au cours de la dernière retraite 4 jours sans pouvoir faire partir le moindre mot.

 

Maintenant que le front se stabilise de nouveau, nous avons un peu plus de temps à nous ; mais seul notre esprit peut s’évader et quitter ces lieux plutôt dangereux, notre corps (*)  reste toujours là, toujours prêt à tout, et pendant combien de temps encore !!

 

Ma femme m’a envoyé une longue lettre que tu lui as écrite, j’ai vu que vous aviez des nouvelles assez récentes (22 mai) de Gaston et de René ; moi, moins veinard je ne reçois rien d’eux et pourtant je leur écris ; j’étais sûr de l’adresse de Gaston, je lui ai envoyé 5f dans une lettre, j’espère qu’il m’en accusera réception.

Quant à René, je ne puis que lui écrire au CID, je ne connais pas le N° de sa Cie depuis son retour de l’hôpital.

Sois donc assez gentille pour m’envoyer leur adresse à tous deux.

Maman a du te dire que nous avions changé de division, ceci nous a valu de rester une dizaine de jours sans courrier d’aucune sorte ; aussi, inutile de te dire si j’avais le cafard.

 

Clairette passera les vacances près de toi ; conserve là le plus longtemps possible ; j’aime mieux qu’elle soit à Tlemcen où elle s’ennuiera moins qu’à Of. Je n’aurai pas la veine d’être à ce moment là au départ de Tlemcen, ce serait alors trop de chance, et tu sais qu’elle ne m’a pas souvent adressé de beaux sourires, la chance !!

 

J’espère qu’Albert se porte toujours bien de même que mon diable de petit neveu qui, je l’espère n’oublie pas ses tontons.

Embrasse les pour moi, ton petit gosse et ton « homme » comme dit une chanson.

Transmets mes bonnes amitiés à la famille Jouve. Embrasse maman et tante Victorine

Reçois de ton frère ses meilleurs baisers

Henry

Sauer Henry, Sergent Major, 6è Tir de Marche, 3è  Cie de Meuse, SP 57

(*) Il s’agit du 12e Corps d’Armée, tout entier parti en Italie

Le 29 juin 1918

René à Adèle Fouque

Bien chère tante

Excuse-moi si je ne t’ai pas écrit depuis quelques temps. Depuis 20 jours nous sommes en ligne constamment sur le qui-vive.

J’ai reçu aujourd’hui des nouvelles de Gaston qui avait été blessé le 8 juin à la jambe gauche. On a été obligé de lui couper la jambe. Maman doit le savoir sans doute mais quand même je n’ose lui en parler.

Bons baisers à grand-mère, tonton, Marianne, Gaby et Georges

Les meilleurs de ton neveu

René

Excuse mon écriture je suis au fond d’un trou

René

Le 29 juin 1918 Henri

Henri à sa mère

Ma chère maman,

Enfin, j’ai reçu hier une lettre de ce pauvre Gaston ; tu connais surement maintenant la terrible nouvelle ; moins terrible toutefois que ce qui aurait pu lui

arriver.

Il a quelques mois de souffrance à endurer, de mauvais instants encore à passer, mais je crois qu’il n’y a plus de gros dangers maintenant puisque c’est seulement pendant les 10 premiers jours qui suivent l’opération que des suites sont à craindre.

Il aura une jambe en moins, mais cela ne l’empêchera pas de vivre et de bien gagner sa vie ; avec son caractère plutôt gai, il ne se frappera pas et il ne faut pas que toi, tu te frappes !

Il faut qu’au contraire tu lui remontes un peu le moral par tes si affectueuses lettres car, malheureusement personne de notre famille ne peut se rendre auprès de lui.

 

J’ai un faible, très faible espoir de pouvoir obtenir 24 heures de permissions dès que j’aurai reçu un certificat de son docteur, mais ce cas n’est pas prévu par le règlement, et je crains fort que le colonel ne refuse de me laisser aller le voir.

Dès réception de la lettre de Gaston, je lui ai envoyé un mandat télégraphique, 15f, un colis de cigarettes (25 paquets) et une longue lettre. Je lui écrirai

souvent.

Je pense qu’il sera bien soigné ; comme du reste le sont tous les grands blessés, tu n’as pas à t’en faire à ce sujet-là ; les dames de France (si souvent prises à partie par certaines gens…) font bien leur devoir et savent bien s’arranger pour faire allégrement supporter leurs souffrances aux malheureux blessés.

Je serais maintenant très heureux de recevoir des nouvelles de René.

Je lui ai écrit plusieurs fois, mais je n’ai pas exactement son adresse, donc envoie la-moi le plutôt possible.

A-t-on de bonnes nouvelles d’Alexandre ? Parle m’en dans ta prochaine lettre.

Ne t’en fais pas trop ma chère maman, songe que dans 5 à 6 mois tu auras un de tes fils continuellement auprès de toi, un glorieux blessé et que tu pourras être fière de lui…

Je te quitte ma chère maman, embrasse bien pour moi tante V. Riquet Albert et Claire

Reçois les plus affectueux baisers de ton fils

Henry

Aux armées le 2 juillet 1918

Aujourd’hui un peu mieux comme installation, mais pas pour longtemps.

Quelle vie ! Vivement que j’en sorte.

Voilà 20 jours que nous sommes en ligne sans avoir pu dormir une nuit tranquille, sans cesse alerté, attaquant tous les 4 ou 5 jours.

Les boches qui sont devant nous se sauvent comme des fous ou se rendent lâchement. Nous sommes contents sur le moment, nous avançons rapidement sans songer à la fatigue mais lorsque nous arrivons à nos positions présentes, c’est alors que nous nous en ressentons.

As-tu des nouvelles de Gaston ?

Bons baisers à tous les meilleurs de René.

Aux armées le 4 juillet 1918 René

René à tante Claire, épouse Baudier

Chère Tante

 Je reçois à l’instant ton mandat et je t’en remercie. Tu m’excuseras si ces jours ci, je n’ai pas écrit plus souvent.

 

Depuis le 13 juin je suis en ligne et presque constamment en première ligne. En ce moment je suis en réserve mais au lieu de recevoir de petits obus, nous recevons les gros. La musique est moins charmante mais le bruit final est beaucoup plus assourdissant.

Il me tarde d’être relevé définitivement pour pouvoir me changer un peu.

Nous avons attaqué ces jours-ci et nous avons fait du bon boulot, avancé de 2 kilomètres, 1500 prisonniers, un matériel considérable.

 

J’ai eu ces jours-ci des nouvelles de Gaston. Tu as du savoir qu’il avait été blessé

et qu’on avait du lui couper la jambe au dessous du genou, afin de lui sauver la vie.

Pauvre Gaston, je ne voudrais pas être à sa place.

Je te quitte ma chère tante en t’embrassant bien fort et en te chargeant de mille baisers pour toute la famille.

René

Ps – As-tu des nouvelles de Cendro ?

Excuse mon écriture, la corvée de soupe attend que j’ai fini pour partir et emporter ma lettre.

 

Le 16-8-18

Mes chères petites

Je continue sur la lettre de René reçue hier ainsi que d’autres d’Henri expédiées de suite. Une du filleul que j’envoie. Je lui envoyé les 10 frs hier et j’ai mis sur le mandat-carte lettre suit.

Sirroco épouvantable hier et aujourd’hui.

Vous avez de la veine d’être partis car je pense qu’au bord de la mer on ne le ressent pas.

Amusez vous bien et employez bien votre temps. Cette rechute de Françoise au moment où elle se réjouissait tant de ce séjour à x avec toutes est bien contrariant.

Espérons que cela n’aura pas de suite. Vous me donnerez de ses nouvelles sitôt que vous en aurez.

Ici, tout va bien, les 3 vieux font très bon  ménage, vous n’en doutez pas, n’est-ce pas ?

Et Henriette est-elle sage ?

Les petits canards la réclament à grands cris. Il faut qu’elle revienne d’Alger. Nous savons par tante Clo que Pierre est à Marseille c’est tout. Mais aucune nouvelle du panier expédié vendredi.

Que Claire n’oublie pas d’écrire à Tlemcen. Ecrivez aussi à Marraine, on ne lui a pas écrit au sujet d’Emile reçu au bac. Gros baisers à tous de notre part et grosses bises à vous de Maman. (1)

 

(1) Certaines lettres ont été complétées par les destinataires qui les faisaient suivre pour informer d’autres membres de la famille, ces ajouts sont inscrits en rouge sur le site, et sont principalement du fait de Thérèse Sauer, et sa fille Claire Jouve.

 

Aux armées le 5 juillet 1918

René à sa mère

Ma chère maman

Toujours en ligne et pas de si tôt au repos.

Nous sommes tous éreintés. On ne se rend pas compte de la fatigue des hommes. Fatigue aussi bien morale que physique accompagnée d’un état de surexcitation extraordinaire, l’esprit constamment tendu, l’oreille au guet ne sont pas faits pour reposer les hommes.

Enfin il faut patienter toujours, patienter pour attendre la fin de cette maudite guerre.

J’ai reçu il y a quelques jours un mandat de Tante Lucie, sans aucune nouvelle. Je n’ai pas non plus de nouvelles d’Oran et pourtant chaque fois que je le peux je leur envoie une carte.

Je n’ai toujours pas vu Alexandre.

 

Je te quitte, maman, en te chargeant de bien des baisers pour tous.

Les meilleurs de ton fils René

 

Tlemcen 19 /7

Ma chère Adèle

J’ai reçu ta lettre du 14.

Ci-joint quelques unes des enfants.

Gaston s’impatiente de ne pas avoir de lettres, cela se comprend, le 25 juin seulement nous recevions son adresse de Solesmes, nos lettres de ce jour pour peu qu’elles aient attendu quelques jours un départ, lui parviendront à peine après le 10.

Je comprends qu’il s’impatiente ; il a x lui, écrire, causer, il a aussi le temps de réfléchir. Je suppose qu’il le fait par une température moins x que celle que je supporte en ce moment, il est 8 h du soir j’écris dans la salle à manger de Vict.

 Il y a 30° quelque x x qu’à Relizane, mais j’ai bien chaud. Je viens de trier les lettres de mon sac qui était bourré.

Je fais la répartition.. un peu à Of puis à mon cousin, les lettres xxx, à toi celles-ci.

J’ai la tête en feu et je vais me hâter d’aller un peu au balcon en attendant V. elle était sortie avant mon arrivée, elle va revenir en criant …

Que…j’ai chaud que … je suis fatiguée …C’est bien fait pour elle et je la dispute sans cesse mais elle reste impossible, elle ne fait que ce qu’elle veut, ce qui en somme est matériel, elle est d’âge à savoir se contenir ; et elle veut travailler au lieu de se reposer.

Je n’y puis rien.

Baisers à tous, à petit Georges pour qu’il soit bien sage

Claire et Riquet étaient sortis à 6h je ne les ai pas vus, elle a eu le courage de quitter son x elle a bien fait elle est allée chez Bellot.

Je ne crois pas pourtant qu’elle soit restée chez x.

Victorine et moi vous embrassons tous bien fort

Thérèse

Aux armées le 9 juillet 1918

René à sa mère

Ma chère maman,

Je t’ai envoyé une carte hier t’annonçant que j’avais vu Alexandre et même déjeuné avec lui. Il n’a pas été très surpris de me voir arriver puisqu’il savait que

notre régiment avait été relevé la veille. Alexandre n’a pas changé du tout (il est vrai que je l’ai vu pour la dernière fois le jour où il repartait de permission). Il est toujours aussi gai et a toujours aussi bon appétit.

Pour ma part, l’appétit n’est pas ce qu’il était il y a 3 mois. Je ne sais pas si c’est l’effet des 24 jours passés en ligne, ou bien la joie de revoir Alexandre. Je n’ai pas pu manger. J’ai été obligé de quitter Alexandre si tôt le repas terminé car le soir nous nous déplacions et malheureusement je me suis éloigné d’Alexandre.

 

Nous sommes en ce moment dans un petit patelin pas très loin du front.

Les avions viennent y faire des visites presque tous les soirs : aussi les civils ont évacué le patelin depuis pas mal de jours. Cela nous permet de nous installer beaucoup plus commodément dans les maisons abandonnées.

Nous nous servons aussi bien de la vaisselle et des tables que des plumards, c’est ce qu’il y a de plus chic surtout lorsque l’on vient de coucher sur la dune.

Notre prétendu repos ne sera sans doute pas de longue durée.

La France en ce moment a besoin d’hommes plus que jamais. Les Américains ne feraient pas mal de venir nous remplacer un peu sur notre front et de prendre pour 1 ou 2 ans la totalité du front français. Je dis 1 ou 2 ans comme je dirais 6 mois, rien ne peut faire supposer la fin de la guerre.

Mais tout peut faire croire que nous, ici, ne sommes pas encore au bout. J’ai reçu aujourd’hui des nouvelles de Gaston.

Tu sois savoir qu’il a eu la jambe coupée. La dernière fois que je t’ai parlé, je savais déjà qu’il n’avait plus qu’une jambe. Je me suis un peu remonté depuis et je comprends maintenant que Gaston a la vie sauve.

Il a une jambe en moins il est vrai mais il a la vie, c’est le principal. X*(1)

 

Le jour où j’apprenais l’accident de Gaston, j’ai eu mon meilleur camarade du régiment qui a eu le nez et les yeux emportés à côté de moi. Le pauvre malheureux n’est pas mort.

Cela serait préférable car quoi de plus triste que de perdre la vue à 29 ans, en pleine vie, pleine jeunesse et surtout rempli de gaité et d’amabilité pour ses camarades comme l’était mon copain.

Nous ne sommes plus que deux au bureau. Nous avons beaucoup de travail mais j’ai tout « plaqué » et je me suis sauvé à la popote pour pouvoir t’écrire plus longuement comme je te l’avais promis dans ma carte d’hier.

Il y a quelques jours que je n’ai pas eu de tes nouvelles. Alexandre m’a dit hier que Riquet avait été fatigué. J’espère qu’il se porte bien maintenant.

Il parait que tante Victorine reçoit des nouvelles d’Alexandre beaucoup plus souvent que tu n’en reçois des miennes. Je ne sais plus comment faire depuis que

je suis en ligne, tous les jours ou au maximum tous les deux jours et souvent tous les jours. Une fois au repos une lettre tous les jours n’est pas nécessaire puisqu’il y a des courriers tous les 3 ou 4 jours. Et de plus que veux-tu que je te raconte, les bêtises que nous faisons, des amusements que nous avons (néant).

Alexandre m’a montré le filon pour envoyer des cigarettes. Tu n’as qu’à demander à Tante.

Embrasse bien pour moi Tante.

Dis lui que j’ai embrassé son fils pour elle.

Bien des choses à la famille Jouve.

Baisers à Albert Clairette et Riquet.

Les meilleurs de ton fils René

 

X* René son régiment avait participé aux attaques du 28 juin. Ils avaient repris des villages et fait des prisonniers. C’est Alex qui en a parlé à Victorine, c’est après le 28 qu’Alex et lui s’étaient rencontrés. –

Voici la lettre reçue le 23 au moment où j’avais sa dépêche du 21 annonçant qu’il était blessé.

(1)

 

(1) Certaines lettres ont été complétées par les destinataires qui les faisaient suivre pour informer d’autres membres de la famille, ces ajouts sont inscrits en rouge sur le site, et sont principalement du fait de Thérèse Sauer, et sa fille Claire Jouve.

Aux armées le 13 juillet 1918

René à sa mère

Ma chère maman,

Nous avons changé de région. Nous sommes partis le 11 à 6 heures du soir et jusqu’ au lendemain 2 heures de l’après midi nous nous sommes promenés en auto.

Je ne te parle pas longuement de la nuit que nous avons passée, sans cesse secoués dans ces limousines nouveau genre jusqu’au moment où le chauffeur qui s’était sans doute endormi sur son siège nous a culbuté dans le fossé. Drôle de réveil que j’ai eu. J’ai été projeté sur mon camarade vis-à-vis. Heureusement il n’y a pas eu de casse.

Enfin après 3 heures d’attente, l’auto a quand même pu se dégager et nous sommes arrivés en même temps que ceux qui étaient partis 4 heures après nous.

Il a fallu chercher le cantonnement des hommes et officiers et je ne te prie de croire que, le soir je me suis couché avec plaisir. J’ai dormi 14 heures sans me réveiller. C’est te dire si j’étais fatigué.

Nous voilà donc à 10 km de Provins. Tu pourras d’après la carte que nous nous trouvons beaucoup plus près du front. Nous ne tarderons pas à monter en ligne.

Notre repos étant fini. C’est chacun son tour à se faire casser la figure.

Le régiment de Buissé n’est plus avec nous. Il nous a quitté hier.

Je t’ai écrit ce mot à la hâte, excuse mon écriture.

Bons baisers à tous

Les meilleurs de ton fils

René

Aux armées, le 14 juillet 1918

Reçue le 31 juillet

René à sa mère

Ma chère maman,

C’est aujourd’hui 14 juillet jour où l’on a l’habitude de faire une prise d’armes et de poiroter pendant des heures sur un champ de manœuvre.

Eh bien aujourd’hui nous avons continué la coutume française. Le matin nous avons fait une prise d’arme mais une petite et discrète pour remettre quelques

croix de guerre aux Régiments.

J’ai été parmi ceux qui ont eu l’honneur de recevoir cette distinction et j’en suis très très heureux. Je t’envoie ma citation.

C’est moi qui ai écrit à la machine à écrire le libellé de ma citation. Tu vois que je commence à savoir me servir d’une machine. Il est vrai que j’ai mis du temps pour le faire. Mais avec du temps et de la pratique on arrive à tout.

J’ai reçu hier une lettre d’Henri, il était en colère parce qu’il n’avait pas de mes nouvelles. J’avais égaré sa carte contenant son adresse et il m’était impossible de lui écrire. Je l’ai fait longuement hier au soir.

J’ai aussi écrit à Gaston une longue lettre. Si j’avais le temps, je lui écrirais tous les jours longuement mais j’ai du travail par-dessus la tête, et je profite de ce jour un peu plus calme pour faire ma correspondance.

 

Aujourd’hui ta lettre du 1er juillet. Tu ne me donnes pas des nouvelles de Riquet qui était fatigué. Tu me fais des recommandations pour que je ne m’avilisse pas à piller et à détruire ce qui appartient à de pauvres exilés.

Il est permis, maman, de prendre dans un village en première ligne tout ce que l’on y trouve, car tout ce que l’on retire du village est à peu près sauvé du bombardement.

Figure-toi que la dernière fois que j’étais en ligne, je descends avec mon Lieutenant dans un village extrêmement bombardé. Nous rentrons dans une villa magnifique, après avoir fouillé un peu partout nous découvrons une « chambre noire » magnifique remplie d’appareils photographiques de toutes sortes ainsi que tout le matériel nécessaire à la photo. Nous nous promettons de revenir le soir et d’emporter le plus grand nombre d’objets possible.

Nous descendons donc le soir.

Malheureusement un obus était, comme un fait exprès, tombé au milieu de cette chambre. Il n’y avait plus un appareil entier, tout était brisé en mille morceaux. Crois-tu maman que nous n’aurions pas bien fait de tout ramasser le matin, nous aurions sauvé, pour des milliers de francs, des appareils qui auraient encore pu nous servir. Bref, tu vois que si le pillage est odieux à l’arrière, il est utile en ligne.

J’ai reçu aujourd’hui des nouvelles de Simone (Brogat) qui me donnent des détails sur tous les poilus de la famille. Il faut que je la remercie.

J’ai reçu aussi un colis de cigarettes, seulement j’ignore si c’est le tien ou celui que Bellot m’a envoyé

Bons baisers à tous, grosses caresses à Riquet, son papa et sa maman.

Les meilleurs de ton fils

René

L’envoi d’ici étant très difficile, j’avais prié Bellot d’en envoyer

Hôpital auxiliaire n° 105 Salle 6 Dieppe

René à sa mère

Le 21 juillet 1918

Ma chère maman,

Je suis dans un hôpital à Dieppe.

J’ai été blessé le 19 à 7 heures du soir, au bras droit par une balle. J’ai eu le triceps traversé et tu peux voir d’après mon écriture que ma blessure ne me fait pas très souffrir.

Ne te fais pas de mauvais sang à mon sujet, je n’ai presque rien et je ne resterais sans doute pas que quelques jours à l’hôpital. Tu continueras à m’écrire à l’hôpital. Envoie-moi un mandat télégraphique car j’ai perdu le peu d’argent que j’avais sur moi.

Cette blessure m’a sauvé d’une passe terrible car nous étions sur une position presque intenable. Maintenant tout pour le mieux et je me prélasse dans mon plumard toute la journée en attendant de pouvoir me lever.

Je te quitte, maman, en te chargeant de bien des baisers pour tous, les plus

affectueux pour ton petit fils.

René

Dieppe le 23 juillet 1918 René

René à sa mère

 

Ma chère maman,

Je ne t’ai donné aucun détail sur ma blessure.

Le 19 juillet à 6 heures du soir nous partions à l’attaque des positions ennemies que nous n’avions pu prendre le matin.

De nombreuses mitrailleuses boches nous arrosaient copieusement. Nous sortions des tranchées avec l’idée que plusieurs d’entre nous allaient être touchés.

Cela n’a pas manqué !

Plusieurs sont tombés dès la sortie. Notre progression continuait quand même, nous avons avancé pendant une heure environ, il nous restait à franchir une route pour atteindre les positions qui nous étaient assignées.

C’était l’endroit le mieux gardé. A 10 mètres de la route, les boches ouvrent un feu terrible de mitrailleuse. Nous nous aplatissons le plus que nous pouvons mais les balles rasaient le sol, si bien que mon fusil qui était par terre est traversé par une balle. Quelques minutes après une balle traverse mon casque sur le côté et vient traverser mon bras.

J’attends un instant toujours allongé. Enfin les boches se calment.

Je me déséquipe et me sauve vers le poste de secours le plus vite que mes jambes pouvaient courir. J’arrive au poste de secours situé à 2 kilomètres après avoir fait de nombreux plat ventre pour me garer des obus qui tombaient à foison.

Là mon premier pansement fut fait. Il me restait encore un passage difficile à traverser pour arriver aux autos.

Là enfin, une fois en auto je me suis senti en sécurité.

L’auto nous a transportés à 50 kilomètres de là à une vitesse incroyable. Il était environ 3 heures du matin lorsque nous sommes arrivés à une ambulance où nos pansements ont été refaits ainsi qu’une piqûre antitétanique. A 9 heures, nous prenions un train sanitaire pour arriver le soir à Dieppe où je me trouve en ce moment.

Je suis très bien dans cet hôpital. Les plumards sont excellents, la nourriture aussi, les infirmières sont charmantes et essaient le plus qu’elles le peuvent de nous faire oublier nos misères passées ; En un mot, je me sens revivre depuis 3 jours.

Hier je suis allé me promener sur la plage de Dieppe, de nombreuses élégantes se baignaient et j’ai eu le plaisir d’admirer les beaux mollets des dieppoises.

Aujourd’hui il fait mauvais et je ne sais pas si je sortirais. Tu as sans doute reçu mon télégramme où je te demandais de l’argent. J’ai pas mal de choses à acheter car je n’ai plus rien de mes affaires.

Je te quitte, maman, embrasse bien pour moi Albert, Claire et Riquet.

Bons baisers chez tante et chez Mr Jouve.

Les meilleurs baisers de ton fils

René

Le 26/7/18

Henri à sa femme

 

Ma chérie,

J’ai devant les yeux 4 longues lettres de toi reçues hier du 15 au 18 juillet. Je suis très content de te savoir au milieu de ces personnes si gentilles pour toi, et je me demande qu’une seule chose c’est que tu t’amuses le plus possible.

Les bains ne peuvent que te faire le plus grand bien, car en dehors de la distraction elle-même, s’ils sont pris modérément, (et j’espère que tu ne t’attardes pas trop dans l’eau) ils te feront maigrir un peu mais t’assoupliront beaucoup, surtout si tu arrives à savoir nager.

Oui, je regrette beaucoup de ne pouvoir te donner des leçons de natation.

Mais je ne sais si tu aurais fait beaucoup de progrès, car je crois que j’aurai plutôt passé mon temps à t’embrasser qu’à te faire nager… Pouvoir te serrer dans mes bras est mon plus cher et plus grand désir, car je t’aime ma chérie toujours plus, et je souffre du désir de toi, je souffre de ne pouvoir prendre tes lèvres, baisers tes yeux aimés, t’avoir à moi… !

Et dire qu’il faut que j’attende peut être encore de longs mois !

 

Merci pour nénette et Rintintin, ils sont tous les deux mignons comme tout ; ils dorment en ce moment, bien tranquillement au fond de ma poche, et je n’ose les déranger car ils doivent surement s’aimer comme deux fous. Ils ont, dans cette même poche, comme voisin de nuit, ta petite montre ; tu es bien gentille ma chérie d’avoir pensé ainsi à moi, et cette montre me sera d’autant plus précieuses qu’elle vient de toi, qu’elle a longtemps été portée contre ta poitrine, quand tu étais une petite jeune fille innocente que j’aimais déjà de tout mon moi.

Je n’ai eu le temps de t’écrire hier et pour pouvoir le faire aujourd’hui, je suis obligé de me lever de bonne heure. Ma journée sera encore bien occupé et jusqu’au 1er août prochain je ne chômerai pas beaucoup.

 

Nous sommes au grand repos après avoir supporté 6 journées de durs combats.

La route de Château-Thierry à Soissons fut plusieurs fois prise et reperdue par nous au cours de ces pénibles journées. Naturellement beaucoup de pertes chez nous, mais une proportion de blessés phénoménales qui rassure un peu ceux qui restent.

Pour récompenser tous ces combattants de leur effort merveilleux, on nous met au repos dans un affreux patelin de l’Oise ; les hommes parqués dans toutes les granges couchent sur une maigre épaisseur de paille ; cela ne leur donne guère envie de recommencer à se faire abimer la figure, pour tout un tas de gens qui se foutent de lui.

Nos chefs directs, ceux qui prennent part directement à l’attaque avec les poilus souffrent de cet état de chose et se démènent pour essayer d’obtenir mieux, mais il faut, avant nous, que les automobilistes soient logés, qu’ils aient leur popote, leur chambre à coucher etc …

Notre commandant, un très craint et très chic type, était dans une colère effrayante hier, à notre descente d’auto quand il eut vu le cantonnement. Je t’assure que l’officier chargé du cantonnement a pris quelque chose pour son rhume.

 

Je suis avec beaucoup d’intérêt l‘histoire de ta blonde enfant et de ton bon géant ; il me tarde d’en connaître la fin, de savoir s’ils s’aiment bien et surtout s’ils s’aimèrent longtemps…

J’envoie cette lettre à Tlemcen, à l’adresse de Tata Victorine, car je n’ai pas l’adresse exacte de maman. Embrasse-la bien pour moi ma chère maman, et dis lui qu’elle ne se fasse pas trop de bile.

J’embrasse ta bouche de tout moi

Ton Henry

Le 26 juillet 1918

René à sa mère

Ma chère maman

J’ai eu de tes nouvelles un peu indirectement puisque tu as télégraphié à l’hôpital pour avoir des nouvelles. Je parie que tu t’es encore fait du mauvais sang. Et tu dois le savoir maintenant, bien inutilement, car je t’assure que lorsque j’ai été blessé j’étais plus heureux que ceux qui étaient obligé de rester en lignes.

J’ai reçu ton mandat télégraphique. Merci maman.

J’ai totalement oublié l’adresse d’Henri et de Gaston. Pourrais-tu me l’envoyer.

Bons baisers à tous, les meilleurs de ton fils

René

Le 22 juillet 1918

René à sa mère

Ma chère maman,

Je me porte de mieux en mieux et je ne tarderai pas à sortir. Je ne crois pas pouvoir obtenir de convalescence pour l’Algérie. C’est vraiment dommage et moi qui comptais diminuer un peu le temps que je devais rester sans te revoir. 1 an c’est long pour un poilu. Enfin, voilà toujours 6 mois de passés, encore 6 mois à attendre ! !

J’ai reçu le mandat télégraphique.

Bons baisers à tous

Les meilleurs de ton fils

René

Le 2 novembre 1918

Henri à sa mère

 

Ma chère maman,

Vers le 8 ou 9 novembre je sortirai de l’hôpital, et comme je te l’ai laissé entendre j’aurais fort probablement 10 j de convalescence que j’irai passer auprès de Gaston. Je lui ai déjà dit qu’il tâche de me trouver un chambre meublée pour mes dix jours, cela me reviendra moins cher que dans un hôtel.

Je tacherai ensuite pour la question nourriture de manger de temps en temps à l’hôpital. Je réduirai le plus possible mes frais divers, et ainsi j’arriverai à passer 10j agréablement et économiquement.

Tu dois t’imaginer ce qui me fait tant souhaiter une convalescence. Ce sera 10 jours de pris et sur l’hiver et sur les fatigues ; comme la paix n’est peut-être pas bien loin, c’est certainement ma vie d’assurée, ce qui n’est pas désagréable pour une fois quand depuis 4 ans et quelques mois on a été continuellement exposé.

J’ai reçu hier une lettre de René parti en renfort au régiment, mais qui n’avait pas encore trouvé son corps. Hier, on nous a annoncé de bonnes nouvelles ; armistice signée avec l’Autriche, démission de Guillaume et troupes allemandes retirées du front. Nous attendons les journaux qui nous confirmeront ces novelles avec beaucoup d’impatience.

J’espère que tante a toujours de bonnes nouvelles d’Alexandre, et que tout le monde se porte bien.

Bons baisers à tous les plus affectueux de ton fils

Henri

Le 22 octobre 1918

René à sa mère

Ma chère maman,

Je monte au Régiment. Dans deux jours je serais en ligne. Les souffrances vont recommencer. C’est mon tour, il y a 3 mois que je suis à l’arrière. Tache de m’envoyer de l’argent et des cigarettes.

Bons baisers à tous

Les meilleurs de ton fils

René

J’ai reçu hier ta lettre du 2 octobre. J’ai eu hier aussi une lettre de Gaston. Il

attend sa jambe ; dans une dizaine de jours il serait peut être en route pour

Oran.

Le 18 novembre 1918

René à sa mère

Ma chère maman,

Je suis toujours à l’ambulance. Je ne peux encore te donner mon adresse car nous allons pour la 8ème fois déménager. C’est très agréable de voyager par des temps pareils.

Enfin, j’espère bien que la prochaine fois sera la dernière et que de là je pourrais aller passer quelques jours à Tlemcen. Il y a déjà pas mal de jours que je n’ai pas de lettres et je ne compte pas en avoir avant une dizaine de jours, ne pouvant donner mon adresse à ma Cie.

Je te quitte ma chère maman, en t’embrassant bien bien fort

René

Le 23/11/18

Ma chérie,

J’ai quitté Gaston hier matin à 5 heures.

J’ai reçu le 2e télégramme la veille au soir, et encore que d’histoire pour toucher ces 50f (et non 1OO comme je te l’avais demandé) avant d’arriver à rejoindre le corps je vais sûrement passer une dizaine de jours à « vadrouiller » en tous sens à sa recherche et je n’ai que 15f en poche !

Enfin tu as eu tort de ne pas m’écouter cela aurait évité bien des ennuis.

Quand je serai arrivé à destination, je t’expliquerai pourquoi j’ai tenu à avoir une convalescence, malgré les frais.

Je ne t’en veux pas et t’embrasse de tout moi

Henry

Décembre 1918

Beuvrage, 4 km de Valenciennes

Plouguernevel le 11/12/1918

Ma chère maman,

Voilà deux jours que je suis occupé au bureau et c’est pour cela que je ne t’ai pas écrit. La vie me parait ainsi moins triste et les jours sont beaucoup moins longs que lorsque j’étais obligé de les passer dans mon lit. Enfin maintenant, tout va pour le mieux.

Il n’y a que la nourriture qui laisse à désirer car imparablement, tous les jours matin et soir, nous mangeons du bœuf gros sel et de la purée de pomme de terre.

Au début cela nous changeait du front car nous ne trouvions pas de patates comme nous voulions.

Mais maintenant cela devient vraiment intolérable.

Purée le matin, purée le soir, à me demander si je ne vais pas devenir « purée » moi-même.

Heureusement que nous trouvons du lait excellent, du beurre tout ce qu’il y a de plus frais et du chocolat. Alors nous prenons notre petit chocolat au lait et tartine de pain beurré tous les jours à deux heures : cela, je crois, ne peut pas nous faire de mal.

Je te quitte ma chère maman.

Je n’ai pas encore eu de tes nouvelles aujourd’hui.

J’ai hâte de voir arriver le courrier de demain.

Bons baisers à tous, les meilleurs de ton fils

René

Le 13/12/18

Un ami d’Henri

Mon cher Sauer

Te serait-il possible de me céder un peu de sucre, ainsi que quelques paquets de tabac ?

Si oui, je te serait très obligé de vouloir bien me faire un petit paquet fermé que tu me ferait parvenir par la vaguemestre du bataillon, sans oublie de me dire ce que je doit.

Avec mes remerciements

Bien à Toi

L. Pollin

Le 13 décembre 1918

Henri à sa mère

Ma chère maman,

Je suis inexcusable de ne pas t’avoir écrit depuis plusieurs jours.

J’ai quitté Gaston le 26 nov. et jusqu’au 30 je ne fis que voyager chemin de fer, auto, voitures, et très peu de chemin à pieds.

J’ai retrouvé mon régiment à Couvin, en Belgique, et deux jours après nous reprenions le chemin de la France ; trois jours de marche nous conduisirent auprès de Le Nouvion.

Nous sommes bien installés en ce moment, et j’aurai, presque sans impatience attendu ma permission, mais voilà, il faut reprendre le soir, et dans deux ou trois jours, nous devons nous rendre vers Valenciennes.

Bel avantage pour la reconstruction des cités envahies que de nous faire ainsi arpenter les routes !!

Cela ne changera pas du reste et, je suis certain que jusqu’à une libération, nous marcherons, nous marcherons….. !

Comme si nous n’en avions pas assez parcouru de ces kilomètres depuis le début de la guerre.

Mais je ne veux pas m’en faire, mais pas du tout sur ce sujet là, et mon plus grand bonheur ce sera le jour où j’irai chez un tailleur acheter un complet civil…. !

J’apprends avec beaucoup de peine la mort de Bellot.(1)

Quel chagrin à la maison, Alexandre doit maintenant être auprès de sa mère. Je lui écrirai sans doute demain.

Sais-tu quelle heure il est 11h1/2 du soir, je viens seulement de terminer mon travail, tu vois que celui-ci ne manque pas. Aussi il me tarde au plus haut point que ma permission arrive.

Je n’ai pas de nouvelles de René et je ne sais dans quel hôpital il se trouve, j’espère qu’il n’est pas trop gravement atteint et qu’il obtiendra 40 j de permission.

Je ne sais pas quand j’aurai la mienne, car le tour ne marche pas si vite.

Bons baisers à Tata Victorine.

Mon souvenir ému aux Teufel.

A toi mes plus affectueux baisers

Ton fils Henri

(Bellot = surnom de Gabrielle Teufel épouse Alexandre Sauer)

Saint-Denis le 10-2-19

René à sa mère

Ma chère maman,

Pas de lettres depuis plus de 10 jours . Je ne comprends pas ton silence. Il est vrai que c’est pendant cette semaine que tu as été à Alger et là-bas on n’a pas du te laisser le temps de m’écrire.

J’espère avoir de tes nouvelles demain ou après demain.

Ici toujours le même travail. La température s’est rafraîchie sensiblement car hier il y avait 17° en dessous de zéro. Ce n’était pas le moment de mettre le nez dehors, on aurait eu des glaçons sous les narines.

Certains tramways étaient arrêtés par suite de l’impossibilité de faire marcher les aiguilles. Aujourd’hui tout est encore recouvert de neige, mais le temps est superbe.

Si le soleil d’Algérie était là, il se chargerait bien de faire fondre toute la glace, mais celui d’ici semble plutôt les durcir pour pouvoir admirer les gens qui se fichent par terre.

Les permissions pour l’Algérie sont toujours suspendues, je ne m’en plains pas trop, il ne fait pas bon voyager en ce moment.

Bons baisers à tous, les meilleurs de ton fils

René

5 Mars 1919

Henri à sa femme

Ma chérie,

Reçois à l’instant colis et lettre de toi. Je vais bien, ne t’inquiète pas. Le travail afflue par suite de départ en Orient, où je n’irai du reste pas.

N’oublie pas d’adresser mes lettres chez Barbier, Saint-Leu-D’esserent, Oise.

Merci et caresses de ton Henri

Le 12 juin 1919

Henri à sa femme

C’était sur cette route qu’un va et vient de gens endimanchés (car on trouva le moyen de nous faire voyager le 2 juin de pentecôte) qui, pour des vaincus n’avaient pas du tout l’air de s’en faire beaucoup.

Des couples s’enlaçaient tendrement, et ce n’était que rire et jeux dans tous les groupes.

Naturellement cela me rendait un peu jaloux de voir tous ces jeunes gens en civil alors que moi qui nous, plutôt, les vainqueurs, avec des 6 et 7 ans de service, sommes encore là, loin de chez nous, de nos intérêts.

Oui ! Je puis dire que l’on se fiche de nous.

Ah ! Ils me font rire les français quand ils se disent indisciplinés, je suis certain que si on les tenait encore 5 ou 6 mois, pas un seul ne manquerait.

Je n’ai pas de lettre de toi depuis plusieurs jours. Je ne m’en étonne pas à cause de ce déplacement.

Continue à m’écrire à Saint-Leu-D’esserent, nous sommes de nouveau appelés à changer d’adresse.

Je t’envoie mes meilleurs baisers ma chérie, et toutes mes caresses les meilleures

Ton Henry

1Oh1/2, souvent je vais me coucher en pensant beaucoup à toi ma belle. H

Florsheim, le 14 juin 1919

Henri à sa femme

Ma petite femme

Ce soir je vais me coucher de bonne heure, car demain dimanche je vais avoir à passer une journée assez fatigante. Je vais faire à Mayence un match de football, une sixte ; c'est-à-dire que notre équipe devra jouer contre les six meilleures équipes de la Xe Armée. Je doute fort que nous soyons vainqueurs, car notre équipe est sérieusement handicapée par l’absence de deux de nos meilleurs joueurs.

Enfin, cela occupera ma journée, puisque je pars à 5 h du matin et que je ne rentrerais que vers 11 h du soir.

 

Que feras-tu, toi ma chérie, de ton dimanche ?

J’espère que tu consacreras une petite demi-heure à m’écrire. Je te l’ai déjà dit, j’ai bien besoin de tes lettes.

Aussi ne me néglige pas, je t’en prie.

Les affaires ne marchent pas aussi bien que je l’espérais et j’ai bien peur que le boche ne relève la tête.

Que peut-il faire le malheureux ? Cela malgré tout nous coutera encore la vie de quelques hommes, mais qu’est-ce qu’il va prendre le boche !

La chaleur ici continue à être étouffante. Je ne sais ce que vous devez supporter là-bas. Et pourtant, même s’il fait très chaud, n’est-ce-pas, auprès de toi, que je serai le plus heureux des hommes ?

Qu’il me tarde de t’avoir dans mes bras et de t’aimer comme tu sais que je t’aime.

Je t’embrasse tout toi de tout moi

Ton Henry

Florsheim Le 17/6/19

Henri à sa femme

Ma chérie

Voilà un petit coin agréable de ce pays où je loge. La rivière s’appelle le Main, son cours est relativement large.

C’est à ce bac que je termine souvent mes promenades après déjeuner. Tout est calme pour le moment ; en sera-t-il de même à la fin de la semaine ?

Mille bons baisers et meilleures caresses de ton Henry.

 

 

Etats de service de René Sauer

 

Le 3 juillet 19

Henri à sa femme

Ma chérie,

 

 

 

Un mot en vitesse, sommes toujours au même endroit, et toujours je m’ennuie après toi.

Les journaux d’hier ne précisent rien au sujet des choses 10 et 11, et cela n’est pas fait pour diminuer mon cafard.

Enfin, j’espère que fin Aout me verra auprès de toi ma chérie, et pour toujours.

Bons baisers à tous,

Les meilleurs de ton Henry

Saint-Leu-D’esserent, 11 septembre 1919

Famille Barbier

Monsieur Sauer,

Excusez-moi de ne pas avoir encore répondu à votre carte nous annonçant votre retour en Algérie. Vous devez être bienheureux et votre famille aussi, que ce long cauchemar soit enfin terminé.

Nous avons tous regretté que vous ne soyez pas venu à St-Leu avant votre départ car il est peu probable que nous nous rencontrions à moins que vous ne veniez faire un voyage en France (pas dans les mêmes conditions que cette fois-ci) et nous espérons bien que dans ce cas, vous viendriez nous présenter Mme Sauer.

Je ne sais si vous avez reçu les dernières cartes que Marcelle vous a envoyées en Allemagne et dans les quelles elle vous remerciait de votre gentil souvenir, si vous ne les avez pas reçues, je tenais à vous réitérer nos remerciements car ça nous a fait bien plaisir à tous deux.

Nous sommes bien contents de savoir que vous avez trouvé une situation.

 

 

 

 

 

50 ANS PLUS TARD

 

Lettre d’ Henry Sauer à ses trois enfants ; remise de la médaille commémorative à « ceux de Verdun ».

Lettre dactylographiée à la manière habituelle de mon grand père, avec du papier carbone et en 3 exemplaires.

Perpignan le 31 octobre 1969

Chers Lucette, René, Gilou et familles

Vous trouverez ci-joint un article sur « Ceux de Verdun », ainsi qu’une photo qui vous permettra de me reconnaître.

Ayant désiré, depuis déjà plusieurs mois, d’adhérer à la section régionale de l’association des rescapés de cette longue et pénible bataille, j’ai donc du fournir quelques pièces militaires justificatives de ma présence dans une unité combattante ayant participé à ces combats un peu particuliers, et extrêmement dangereux puisque, en six mois, il y a eu 400 000 tués et un nombre considérable de blessés uniquement dans ce secteur de 50 km de long.

Le président du groupe catalan m’ayant demandé si j’acceptais de recevoir la médaille commémorative j’ai naturellement accepté et, dimanche dernier, une réunion importante organisée comme tous les ans du reste, nous rassemblait sur la Pace de Verdun, place voisine de la mairie et de la Préfecture.

 

Un défilé (auquel je ne pus prendre part) précédait une réunion générale et a parcouru les rues principales de la ville : la musique municipale participait et animait ce groupement… Tout le monde se retrouva sur la place prévue ; maman, tata Lucienne et moi-même attendions à la terrasse d’un café voisin l’arrivée des participants et des récipiendaires (4) auxquels j’eus vite fait de me joindre.

Musique, et voilà le général qui passe…etc signale l’arrivée du Préfet et sa suite, Marseillaise, puis chants patriotiques exécutés par une chorale importante, salut aux morts, et les quatre passent sur le podium (voir photo) 3 pieds noirs et un catalan ; nous sommes épinglés par le président, et le préfet nous rend nos diplômes. La musique se remet en route et entraîne un groupe important vers la salle ARAGO (salon d’honneur du maire) ou un apéritif était offert par le maire.

 

J’ai omis de me rendre à l’abreuvoir et grand mie m’a rappelé cette réunion alors que nous avions déjà entamé les hors-d’œuvre (nous déjeunions au restaurant de la Loge, placé en face de la mairie) lorsque nous vîmes les convives invités arriver et s’introduire dans la mairie ; je ne pouvais pas abandonner mes convives pour aller déguster une anisette…. n’est-ce pas ?

Vous remarquerez sur cette photo la magnifique grille en fer forgé ainsi que le disque de circulation / sens interdit et les médaillés dons la médaille sur laquelle est inscrit : « on ne passe pas » : tout cela semble indiquer qu’il n‘est pas facile de voir le maire.

 

Me voilà donc titulaire de SIX décorations, mais, malheureusement pas une seule ne donne droit à pension… Il serait question d’attribuer médaille militaire avec pension (3FN par an) aux soldats qui ont été blessés et ont séjourné plusieurs années sur le front dans une unité combattante… je réponds aux conditions prévues : avec 7 ans et 2 mois de service militaire et une blessure, je devrais même avoir droit à une retraite de sous officier tout au moins la moitié puisque je suis resté 1 300 jours et nuits sur le front, soit 3 ans et 5 mois.

 

Vous êtes maintenant fixés et même si l’un de vous ou de vos descendants sont exonérés du service militaire je considère que j’ai fait leur part et pour moi et pour plusieurs d’entre eux.

 

Pas d’autres nouvelles à vous signaler mais seulement vous confirmer que Luisette Gilou : ils ont du vous écrire ne nous visiteront que le samedi 8 novembre pour déjeuner.

Maman et tata Lucienne s’activent pour le repas du matin ; samedi nous aurons les Chevance à déjeuner, nous aurions aimé les réunir et vous voir lors du passage de Gilouisette ; nous ne décommandons pas cette invitation, la lettre de Louisette ne nous étant parvenue qu’hier au soir.

De l’autre côté de la barricade, les quatre dames canastent sans caqueter ce qui m’a permis de dormir, ou mieux de siester jusqu’à l’heure du thé.

Que puis-je vous dire encore alors que tout le long de ces lignes il n’a été question que de MOI…

 

Quelques baisers à vous répartir entre vous de la part des 3 vieux que nous sommes.

 

Complément

Au cours de cette journée, j’ai vécu certains moments avec beaucoup d’émotion en pensant à mes deux jeunes frères, Gaston et René.

Le premier appelé dès le début de la guerre fut envoyé au front comme zouave, après 5 mois d’instruction militaire, sérieusement blessé à a fin de la guerre, blessure qui entraîna l’amputation d’une jambe, et il n’avait que 24 ans…. ;

Quant à René, également appelé en fin 1914, il fut naturellement incorporé aux zouaves et rapidement envoyé en lignes pour y être blessé après plusieurs mois de combat, puis gazé à l’ypérite, il ne quitta pas pour autant la zone de combat où, mal soigné, il en supporta les conséquences tout le long de sa vie.

Tous les deux vécurent leurs dernières années de vie en supportant tous les troubles occasionnés par ces blessures et furent emportés prématurément.

 

Il en fut de même pour Albert Jouve, qui, intoxiqué au cours du traitement d’un blessé supporta toute sa vie les troubles occasionnés par les séquelles d’un empoisonnement du sang, il partit prématurément lui aussi.

 

Je n’oublierai pas naturellement mes cousins germains Louis Fouque et Alexandre Sauer, l’un artilleur, l’autre Zouaves, mon 2ème beau-frère Brogat, chasseur d’Afrique et également Lucien Bellvert qui lui alla combattre en extrême orient ; tous firent la guerre en entier.

 

Henry Sauer – 1er à droite

 

Enfin toutes les familles françaises ou espagnoles ou italiennes d’origine que l’on insulte en les dénommant « pieds noirs » subirent les mêmes sacrifices que les familles françaises de notre patrie.

 

A noter qu’en 1939 et en 1944-45 les sacrifices des français algériens furent encore supérieurs à ceux des français (toutes proportions gardées)

Mais tout cela mes chers parents le savent bien et seuls les français de France semblent l’ignorer.

Je ne comprends du reste pas pourquoi les dirigeants des associations des Algériens chrétiens ne publient pas, dans leurs journaux, les statistiques officielles détaillées des sacrifices supportés par toutes les familles algériennes chrétiennes.

Je souligne ce mot car je considère les tirailleurs musulmans à classer dans une autre série (à l’exception des cadres français toutefois, puisque j’en étais) à noter que dans cette série, qui ne fut pas épargnée, il y eu un pourcentage de morts aussi élevé que dans les régiments d’infanterie française… et leur souvenir reste présent dans ma mémoire puisque j’étais avec eux pendant 4 ans au cours de la guerre.

 

Je termine donc cet exposé et je désirerais qu’il soit communiqué à mes petits enfants ; je ne parle pas toutefois de DIDIER, CAROLINE, et LAETITIA

 

 

 

 

Vers les années   1914  1915  1916  1917  1918  1919

 

 

 

 

Contacter le propriétaire de ce carnet

 

 

Retour accueil        Retour page précédente       Vers d’autres carnets ou témoignages de guerre 14/18