Auteur
: André PIERRE, article publié dans la revue
Site
de la revue http://la.physiophile.free.fr/
Il y a quelques
années, à la suite de circonstances trop longues à expliquer ici, je suis entré
en possession d’une partie de la correspondance échangée par un jeune militaire
montcellien avec ses parents entre les années 1913 et 1919. La publication de
ces lettres va permettre de juger de l’âpreté de ce conflit meurtrier et des «
misères » endurées par ce soldat.
Du moins
eut-il le bonheur de rentrer à la maison à la fin des hostilités, ce qui ne
fut, hélas, pas le cas de nombre de ses camarades de combat.
Tout d’abord, laissez-moi
vous présenter ce jeune homme plein de courage et de bonne volonté : il s’agit
d’un personnage dont nombre de Montcelliens gardent le souvenir puisqu’il a
fait une longue carrière aux Mines de Blanzy, aux houillères à Montceau-les-Mines
et qu’il a été pendant des années président de l’Association des Chasseurs du
Bassin Minier : il s’agit de Nicolas Theureau, né à Montceau-les-Mines le 28
juillet 1893, comme l’indique son bulletin de naissance.
A remarquer que sur un
autre document, le nom du père, Jean, est orthographié Theureau, sans le d
final.
Un autre acte de naissance
nous apprend que son grand-père était mineur de fond et que son père, quant à
lui, exerçait le métier d’artisan-forgeron, rue de Bellevue, dans le quartier
du même nom à Montceau-les-Mines.
Dans ses lettres les plus
anciennes (1913), Nicolas, qui va avoir vingt ans, nous apprend qu’il travaille
à Chalon-sur-Saône. Suivent quelques extraits de plusieurs lettres postées dans
cette ville :
« Lors d’une journée de travail à Mazenay, ... le temps ne m’a pas
duré... Si toutefois je ne m’en allais pas à Montceau jeudi, envoyez-moi donc
mon violon sans oublier la colophane et ma méthode.... »
Il pense ainsi à se
détendre en pratiquant son violon d’Ingres.
« ... pour comble, mercredi, j’ai travaillé
comme un nègre ; j’ai brasé toute la journée... »
On apprend dans cette
lettre qu’il travaille comme mécanicien et qu’il fabrique et répare des
bicyclettes :
« ... j’espère que mon père a essayé sa bécane...
surtout que ce n’est pas un tacot comme la première que nous avions... Dimanche
je lui mettrai encore un frein, ce sera plus prudent et nous irons faire un
tour ensemble. »
Apparemment, le jeune homme
se rendait à Montceau chaque semaine pour rendre visite à ses parents.
Malgré cela, il écrivait
très souvent et il fera de même tout au long des événements qu’il affrontera
plus tard et qui sont relatés dans cet article.
Dans cette même lettre il
continue ainsi :
« ... J’ai des bécanes à vendre, au moins une si
ce n’est pas deux... Dis à mon père qu’il tâche de vendre quelques bécanes
maintenant qu’il a la sienne. »
Nicolas vient d’avoir vingt
ans :
« ... Je vais être obligé de me faire inscrire
avant le 20 août à ce que disent les affiches. C’est bien vrai quand même que
l’on va nous faire partir avant l’année prochaine, moi qui voulait encore
m’amuser... nous ferons bien le conseil de révision quand même ! »
Comme on l’a compris, il
s’agit là de l’inscription sur la liste des appelés sous les drapeaux au
service militaire obligatoire.
Dans une autre lettre du
Voici donc commentée
brièvement la partie heureuse de la jeunesse de Nicolas Theureau. A ce stade de
la reconstitution, il nous manque de nombreuses lettres, si bien que nous ne
pouvons indiquer le lieu où il a effectué son service militaire, probablement à
Dijon.
En l’absence de lettres
permettant de retracer l’année 1914, nous arrivons au début de 1915 : les
hostilités ont débuté depuis plus de six mois et le jeune soldat va bientôt
partir pour le front. Voici quelques extraits de sa lettre du
« ... Je vous l’ai dit je suis sur le pied de
guerre ; encore ce matin j’ai reçu mon fusil et ma baïonnette ainsi que douze paquets
de cartouches. Je m’attends à partir d’un jour à l’autre et même à chaque
instant...
Maintenant tout ce que je vous recommande mes bons
parents c’est de ne pas vous en faire ça ne sert toujours à rien, tout
simplement qu’à vous faire malades. Comme je vous l’ai dit il faut toujours
être très confiant ; j’ai eu de la veine jusqu’à maintenant, j’en aurai
peut-être toujours.
... Bonjour à tous et mille baisers à mes grand-mères
et parrain et bon courage pour vous et mille baisers. »
Recevez de votre fils qui vous aime mille caresses.
Nicolas Theureau 8e section
COA Cantonnement 57 à DIJON
Si l’écriture du début de
la lettre est assez régulière, celle des dernières lignes est devenue hachée
témoignant peut-être de l’anxiété et de l’émotion du jeune homme.
Nicolas et ses camarades
n’ont pas été dirigés directement sur le front, mais à Auxonne pour y être
équipés avant d’être conduits dans l’Est de
Le jeune soldat est
maintenant stationné à
Pompey (Meurthe-et-Moselle)
et est incorporé au 10e
Régiment d’Infanterie, 9e Bataillon,
35e Compagnie.
Il redit à ses parents de
ne pas se tourmenter et leur répète : Bon courage et bonne confiance.
En ce qui concerne la
période comprise entre début mai et octobre 1915, nous ne disposons pas de
correspondance de sa part. Il a probablement continué d’écrire régulièrement à
ses parents.
Mais la lettre suivante
nous indique ce qui a pu se passer.
Il est certain que de durs
combats se déroulent pendant cette période. En effet, Nicolas écrit que son
régiment se trouve endommagé.
Il appartient désormais au 167e Régiment d’Infanterie, 32e Compagnie, caserne Thouvenot à Toul
(Meurthe-et-Moselle). Les termes de sa courte lettre sont plutôt énigmatiques.
Il parle cependant de passer une visite ; aurait-il été blessé ? La suite de la
correspondance nous l’apprendra.
Le régiment du soldat
Theureau a été déplacé sur le front et les soldats ont probablement reçu la
consigne de ne pas indiquer dans leur courrier le lieu où ils se trouvent.
Cette lettre indique également que Nicolas a changé de Compagnie et le cachet
postal sur l’enveloppe porte un nouveau numéro de secteur postal (48 au lieu de
94)
Nicolas a bel et bien été
blessé. Dans cette lettre, il écrit :
« ... Je vous dirai que je m’attends à recevoir
Il a dû subir une sérieuse
blessure car il n’est plus en premières lignes, mais au train de combat ; il
conduit un cheval.
« ... Nous
sommes toujours dans les Vosges ; il y a beaucoup de neige et il fait froid.
Nous devons monter aux tranchées la veille de Noël mais je ne sais pas encore
si j’y monterai ; je vous avertirai. »
Cette lettre mérite d’être
reproduite dans son intégralité pour les précieuses indications qu’elle donne
concernant la vie des militaires sur le front des hostilités. :
« Mes biens chers parents,
Je m’empresse de répondre à votre gentille lettre que
j’ai reçue avec un vif plaisir en apprenant que la santé est bonne pour vous et
toute la famille. Pour moi tout va bien pour le moment. Excusez-moi si je suis
resté quatre jours sans vous écrire ; comme je vous l’ai dit j’étais aux
tranchées, cela m’était presque impossible d’écrire ; tantôt nous étions aux
créneaux, tantôt on était employés à enlever la boue et l’eau qui, parfois,
nous arrivait jusqu’au-dessus des genoux. Malgré tout je conserve bon courage
et bon espoir. En ce moment il faut savoir être patient et avoir conservé son
courage. Sachez être comme moi et tout ira pour le mieux, je le souhaite de
tout mon coeur.
Nous n’avons presque pas eu de pertes, deux tués et
une dizaine de blessés par les obus.
Entre nous, il n’y a pas grand chose, d’ailleurs,
c’est presque impossible avec le temps que nous avons, juste quelques coups de
fusils de temps en temps ; les boches sont très raisonnables ; ils ont été
jusqu’à fraterniser avec les nôtres au petit poste ; ils ont échangé une boule
de pain pour des cigares que les nôtres leur ont donné, cela prouve que les
boches en ont marre et je serais porté à croire que la guerre sera bientôt
finie, je le souhaite bien vivement.
Je suis de repos pour une huitaine de jours aussi je
vous ai demandé un colis, c’est à dire des limes fines et des bagues que mon
père me coulera car il ne m’est guère facile de trouver de l’aluminium, deux ou
trois pierres à briquet si le colis n’est pas parti, et une paire de
chaussettes ; il faudra m’en couler le plus possible et d’environ
J’ai reçu la lettre de grand-mère ainsi que le billet
; je la remercie du plus profond de mon coeur et vous l’embrasserez une bonne
fois pour moi.
Je termine en vous souhaitant bonne santé et bon
courage ; je vous écrirai ces jours.
Votre fils pour la vie et qui vous aime tous du plus
profond du coeur.
Nicolas »
En même temps qu’elle nous
montre la dureté de la guerre, cette lettre laisse transparaître les différents
états d’âme du jeune soldat : lassitude puis tristesse à compter ses camarades
de combat tués ou blessés, espoir de voir la guerre se terminer ; et ensuite,
alors qu’il est au repos, le goût pour des activités matérielles plus agréables
et enfin, la prévenance pour tranquilliser ses parents et leur dire son amour.
Cette missive nous fournit
des indications supplémentaires sur la cruauté de cette guerre.
En voici un extrait :
« ... Maintenant je vous dirai qu’un bruit court
à
Le jeune homme calcule ses
chances d’obtenir une permission car bon nombre de ses camarades sont morts
lors d’une attaque précédente.
Quelques extraits de cette
lettre nous donnent des renseignements sur la vie des soldats au front.
« ... Je vous assure que cela fait rudement
plaisir ; nous pourrons nous reposer et faire notre toilette pendant ces huit
jours... »
On apprend aussi qu’il a
été cité à l’ordre du jour mais aussi que, le 28 janvier, une explosion d’obus
l’a rendu sourd pendant quelques jours.
Toujours pas de permission
pour le soldat Theureau ; au contraire, il se trouve à nouveau sur le
front. :
« ..Je suis toujours aux tranchées, à vingt mètres
environ des boches ; en ce moment c’est très dur, le mauvais temps tous les
jours et les tranchées sont pleines d’eau ; par endroits nous en avons jusqu’au
ventre, c’est dur mais malgré tout il ne faut pas nous décourager, les beaux
jours viendront peut-être bientôt »
Une nouvelle fois, Nicolas
se trouve en première ligne et griffonne une courte lettre presque illisible :
« En ce moment je suis aux tranchées depuis deux jours. Les boches
commencent à redevenir tranquilles ces jours-ci ; ils reçoivent la piquette et
subissent de lourdes pertes ; à souhaiter qu’ils soient tous exterminés et que
nous puissions rentrer chacun chez soi et être heureux après avoir enduré
toutes sortes de souffrances. Pour moi ce sera bientôt fini cette guerre car
ils tentent un peu partout et n’arriveront pas à percer, au contraire »
Ces lignes reflètent-elles
l’état du moral des troupes à ce moment de la guerre ou ce qu’il veut donner
comme impression à ses parents... ? De furieuses batailles sont encore à venir.
Le soldat Theureau est en
première ligne depuis plusieurs jours ; il confie à ses parents de nouvelles
perspectives sur la durée de la guerre :
« Il est vrai qu’en ce moment de fortes batailles
se déroulent sur notre droite ; nous avons eu de la veine, espérons que nous
l’aurons jusqu’au bout. Les boches mènent une certaine activité mais ils ne
perceront pas, j’en suis sûr.
Ne vous tourmentez pas, je ne m’exposerai que
lorsqu’il sera extrêmement nécessaire »
Ces dernières lignes
montrent les tentatives du jeune soldat pour apaiser un peu l’angoisse de ses
parents. Il le fait dans chacune de ses lettres.
Cette lettre contient le
texte de la citation que doit recevoir le jeune homme :
« A toujours fait preuve de courage et de mépris
du danger depuis son arrivée au front, notamment au cours d’une attaque à
laquelle il a participé. »
Au moment de remonter à
nouveau en première ligne, Nicolas remercie ses parents :
« ... Je les reçois juste au moment de partir,
ces dix francs me serviront si j’ai le bonheur de redescendre au repos,
espérons-le, dans huit jours ; en ce moment il se mène une certaine
activité »
A la fin de la lettre, il
essaie d’être ironique :
« ... Bon courage et pas de tourments surtout.
Hein ! Moi je ne m’en fais pas, toujours le même poilu !... »
« ... En ce moment je suis aux tranchées, en
première ligne ; nous sommes sérieusement bombardés. Malgré tout, je continue
de ne pas m’en faire, d’ailleurs vous le savez bien cela ne sert à rien du
tout.
Nous venons d’avoir notre fourrier tué d’une balle au
ventre.
Je vous remercie pour les dix francs ; j’ai employé
cinq francs pour acheter deux tablettes de chocolat, un camembert et un pot de
confiture pour manger pendant mon séjour aux tranchées car nous ne mangeons que
la nuit ; le jour les cuisiniers ne peuvent pas monter sans être bombardés et
nos boyaux sont en partie démolis. Nous mangeons à
L’unité dans laquelle
Nicolas combat change de secteur :
« ... Nous devons partir d’un moment à l’autre
sûrement pour une chose sérieuse. Je vous le répète, ne vous en faites pas, je
viens d’être épargné par les balles, elles m’épargneront bien encore.
... Mon père doit être heureux de travailler le
jardin. Moi je serais heureux de pouvoir le faire, vous pouvez me croire !
J’aurais encore moins de peine que j’en ai actuellement ! »
Dans cette lettre, on
apprend que le 167e Régiment d’Infanterie dans lequel il est incorporé s’est
déplacé dans les environs de Lunéville.
Il semble que le régiment
soit au repos.
En effet la missive nous
indique que Nicolas Theureau a reçu
Il a également obtenu,
enfin, une permission et en profitera pour se faire photographier à Montceau.
Lettre poignante... La
voici dans sa presque intégralité :
« Mes biens Chers Parents,
Deux mots pour vous donner de mes nouvelles qui sont
toujours très bonnes mais aussi fatigué d’une longue marche que nous venons
d’effectuer sous un soleil ardent ; enfin tout s’est bien passé pour moi, je
n’ai pas calé ; sachez d’abord que votre fils est un as pour la marche...
En ce moment, comme je vous l’ai dit hier nous entrons
dans une nouvelle phase de la guerre qui, je crois, ne sera pas des plus douces
pour nous. Nous sommes tout près de Verdun et quand vous recevrez ma lettre je
serai aux tranchées ; je ne m’en fais pas une miette malgré que je pense très
souvent à vous et, croyez-le, je vous aime plus que jamais vous ne l’avez cru ;
j’ai été quelque peu volage mais j’espère que vous m’en pardonnerez et si
jamais il m’arrivait un malheur votre consolation sera celle-ci que votre fils
aura fait son devoir, oui, tout son devoir et non un lâche comme d’autres, et
ce que je vous demande surtout c’est d’ouvrir l’oeil quant à mon violon.
Je l’ai promis à ma Victorine, vous lui laisserez et
l’avertirez surtout. J’espère que je passerai au travers comme par le passé ou
bien, ce qui serait à souhaiter c’est que j’attrape une blessure comme il y a
un an.
Ne soyez pas surpris si vous êtes quelques jours sans
recevoir de mes nouvelles ; quant à moi voici six jours que je n’en ai pas ;
écrivez-moi souvent, très souvent.
Vous embrasserez la grand’mère Bernard et la
grand’mère Theureau ainsi que le parrain pour moi, et toute la famille.
Ne vous tourmentez pas et bon courage.
Votre fils qui vous aime et vous embrasse de ses
meilleurs baisers.
Nicolas »
Si Nicolas Theureau a
obtenu
En écrivant cette lettre le
2 juillet, le jeune homme sait où il va ; il passe en revue tous les instants
de sa jeune vie et en lisant ces lignes nous pouvons clairement nous rendre compte
qu’il fait son testament. Et il n’a pas encore vingt-trois ans !
Deux nouveaux courriers
parviendront à ses parents, datés des 4 et
Voici donc Nicolas engagé
dans l’enfer de Verdun. Le courage des troupes françaises fera que les
Allemands ne réussiront pas à enlever la place forte ; mais au prix de quels
sacrifices de part et d’autre.
Au cours de ces jours
sanglants, Aucune nouvelle de Nicolas ne parvient aux siens.
Que s’est-il donc passé en
ce début de juillet 1916 ?
A Montceau, sans nouvelles
de leur fils depuis un mois, les parents de Nicolas sont morts d’inquiétude. Le
Un peu avant le 15 août, la
famille reçoit une carte partie le 10 de Genève : le texte est pré-imprimé et
indique que le Comité de
Ce même Comité confirme
qu’à la date de ce jour le nom du disparu ne figure pas sur les listes des
prisonniers, des blessés ou des décédés qui sont envoyées régulièrement par les
gouvernements allemand, autrichien, bulgare et ottoman. Les recherches
continuent.
Enfin arrive une carte !
C’est une carte postale militaire allemande sur laquelle Nicolas indique ce qui
suit : Deux mots pour vous dire que je suis prisonnier de guerre, non blessé,
en bonne santé ? Ne vous tourmentez pas. Dites-le à Victorine. Je vous embrasse
tous du plus profond de mon coeur.
Nicolas
Cette carte, est datée du
Pour les parents, la joie
immense de savoir leur fils vivant est à peine atténuée par un second cachet
rouge qui ordonne en français : Ne pas répondre à Wahn, attendre des
indications ultérieures.
Le prisonnier écrira de
nombreuses cartes au départ de ce camp, sans toutefois donner d’adresse
précise. En outre, ces cartes réservées à la correspondance des prisonniers de
guerre en Allemagne subissaient toujours d’énormes retards ; par exemple l’une
d’elles, écrite le 28 août (date indiquée en en-tête), a été oblitérée au camp
de Wahn le 5 octobre.
Enfin, sur une nouvelle
carte écrite le 10 septembre, le jeune homme transmet son adresse.
Après les habituels
ralentissements subis en cours de route, elle n’arrivera probablement à Montceau
qu’à la fin d’octobre. Sur cette carte Nicolas écrit :
« .. En ce moment je ne suis toujours pas malheureux et travaille aux
champs. Ecrivez-moi mais ne m’envoyez rien, je n’ai besoin de rien… »
Une nouvelle carte postale
datée du
« ... Je vous dirai que j’ai reçu votre carte du
19 août ; elle m’a produit une joie profonde de savoir que vous étiez
renseignés sur mon sort car vous avez dû être inquiets. Ne vous inquiétez plus,
tout va pour le mieux... »
Cette correspondance montre
la lenteur qui affecte également le courrier au départ de France et adressé aux
prisonniers en Allemagne ; la carte des parents Theureau a mis environ quarante
jours pour lui parvenir.
On dispose donc de nombreuses
cartes du prisonnier dans lesquelles il affirme qu’il n’est pas malheureux et
recommande à ses parents de ne pas se faire de soucis pour lui.
Evidemment, malgré ses
recommandations, ses parents lui envoient de nombreux colis qui ne parviennent jamais
à destination.
Il faut dire que Nicolas
vient d’être déplacé et se trouve depuis peu dans un autre camp de prisonniers,
à Giessen, ville de Hesse, à soixante kilomètres au nord de
Francfort-sur-le-Main.
Il n’y restera que peu de
temps et sera dirigé à nouveau vers un autre camp à Stralkowo, près de Posen,
ville de Poznanie, qui deviendra polonaise à la fin du conflit sous le nom de
Poznan.
Il indique son adresse :
Nicolas Theureau, matricule 457, 1er Bataillon, Camp de Stralkowo près de
Posen.
Le régime militaire des
camps de prisonniers semble s’assouplir un peu ; ainsi lettres et colis
arrivent un peu plus régulièrement et les correspondances par lettres sous
enveloppes sont tolérées.
Nicolas semble travailler à
l’extérieur du camp mais réclame assez fréquemment l’envoi de vêtements chauds
pour se protéger des rigueurs du climat de la région.
Les fêtes de fin d’année
approchent et la perspective de les passer loin de chez lui provoque une baisse
sensible du moral. Les lettres suivantes des 16 et 31 décembre en sont le
témoignage : celle du 16 décembre n’a été traitée à
La lenteur de transmission
de ces correspondances, probablement voulue par les services allemands,
contribuait à saper le moral des prisonniers.
Voici des extraits de ces
deux lettres :
« ... Envoyez-moi régulièrement des colis et
mettez-y ce que vous jugerez qui me sera le plus utile et le plus nourrissant,
chaussettes, chocolat, lait, fromage, sucre, pâtes, pâtisserie, sel et poivre.
Je vous en serai reconnaissant. ... Ecrivez-moi souvent. Je termine en vous
souhaitant bonne année et bonne santé et, surtout, pas de tourments, ça ira
jusqu’au bout… »
« ...Puisse l’année 1917 nous apporter des jours
meilleurs, c’est ce que nous espérons tous ; oui, nous serions tous bien
enchantés de la disparition de toutes ces plaintes, de tous ces tourments et
inquiétudes ; oui, nous espérons que cette année, enfin, nous amènera la paix
et la liberté... Je demande à Dieu qu’il vous garde tous en bonne santé ; quant
au reste, tout ira pour le mieux... Ecrivez-moi aussi souvent que vous pourrez
cela me ferait tant plaisir... »
C’est le premier Nouvel An
que Nicolas passe en captivité et ces lettres nous indiquent que son moral est
vraiment atteint. Heureusement les colis vont arriver...
Nicolas a reçu trois colis
dont deux de Mâcon ; en effet, avec l’aide de
Carte postale de
Ainsi, après de longs mois de
recherches, dues au nombre très important de soldats tués, disparus, blessés ou
prisonniers,
C’était le
A ce sujet, laissons
quelques instants les tribulations de notre jeune Montcellien pour citer un
texte de M. Limoges, dans le Courrier de Saône-et-Loire du dimanche
L’histoire de France a
conservé en mémoire l’âpreté de ces heures tragiques : Lorsque dans les
derniers jours de juillet 1916, trois régiments français reçurent l’ordre de
reprendre le village sis à quatre kilomètres au nord de Verdun, les deux
artilleries française et allemande évitèrent de bombarder Fleury, non par souci
d’humanité, mais parce que les lignes des combattants et adversaires étaient
trop proches les unes des autres et, en certains endroits, entremêlées.
Lorsque le village fut
définitivement reconquis par les Français, il ne restait debout à Fleury qu’un
surgeon de noisetier ou d’ormeau et, d’intact, que la cloche de l’église... au
sol !
Carte de l’Oeuvre des
Prisonniers de Guerre de Saône-et-Loire. Cette association dispose dans tout le
département de nombreux membres qui se chargent de préparer les colis destinés
aux prisonniers. L’Oeuvre annonce qu’elle a adressé à Theureau
Nicolas un pantalon, une
capote et un képi.
Cette carte est adressée au
maire de Montceau avec prière d’en avertir la famille.
Nicolas exprime son bonheur
: il vient de recevoir une photo de ses parents qu’il n’a pas vus depuis sa
dernière permission, près d’un an auparavant :
« Mes biens chers Parents aimés,
Oh ! Grande est ma joie en ce moment. J’ai reçu votre
photo, cela m’a fait beaucoup plaisir ; je vous félicite de la bonne posture
que vous avez tous les deux et vous remercie infiniment d’avoir pensé à cela.
Je pourrai donc vous admirer, ainsi que Victorine, dans mes jours de cafard,
cela me distraira et me soulagera beaucoup... »
Victorine est la fiancée de
Nicolas. Nous savons par des lettres précédentes qu’elle rend de fréquentes
visites à ses parents. Il possède aussi une photo d’elle...
Cette missive nous apprend
la blessure du frère de Victorine : il a reçu un éclat d’obus et est
hospitalisé ; une nouvelle famille est touchée par cette guerre. A la fin des
hostilités la presque totalité des familles de France seront meurtries par ce
conflit.
Le jeune prisonnier ne
reçoit plus de conserves. Il pense qu’elles sont ouvertes et détruites par les
autorités de censure ; par contre il réclame des vêtements, des chaussures et
un képi rouge (?). Il écrit également : Ici il commence à faire chaud ; je
travaille chez un prêtre et, en travaillant, on n’est pas trop malheureux...
Nicolas s’est blessé au
pied avec sa fourche et devra observer quelques jours d’arrêt de travail. Il
s’intéresse à la langue allemande :
« ... Maintenant je me débrouille assez bien ; je
parle assez bien l’allemand et un peu le polonais, rien n’était plus
désagréable pour moi d’entendre parler et de ne pas comprendre. Ici on apprend
très vite... »
A partir de cette date il y
a une lacune de près d’une année dans la correspondance du prisonnier.
Monsieur J.-M. Theureau
adresse une lettre à son fils. Entre autres nouvelles, l’envoi du 82ème colis (!),
dont le père énumère le contenu. Tous ces envois représentent évidemment de
grands sacrifices pour la famille. Dans ce cas particulier, trois ou quatre
colis par mois pendant une période de deux ans. Il est certain que beaucoup de
prisonniers français n’ont pas été aidés de cette façon dans leur malheur.
Cette lettre a été
minutieusement inspectée par la censure allemande : elle porte les marques d’un
produit violacé et l’intérieur de l’enveloppe lui-même a été badigeonné par
endroits de ce produit, sans doute pour révéler un éventuel texte clandestin
invisible à l’oeil nu.
Lettre de Victorine à son
fiancé toujours prisonnier. La jeune fille est toute à sa joie et à son bonheur
de lui annoncer la signature de l’Armistice.
Cependant cette lettre
n’ira pas bien loin : l’enveloppe porte le cachet postal du 19.11.1918 au
départ de Montceau-les-Mines mais également la griffe « Retour à l’envoyeur »,
les échanges de courrier entre
Carte postale de Nicolas
expédiée de Mutzig en Alsace reconquise et portant un cachet postal français du
24 décembre. La voici dans son intégralité (sans quelques mots illisibles) :
« Mes biens chers Parents,
Me voici revenu français maintenant. Je suis rapatrié
du 20. Nous sommes arrivés à Strasbourg en bonne santé. Vous parlez d’une joie
que j’ai ressentie en passant le Rhin. Quand j’ai ..... les zouzous (?)......
ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai compris la réalité.
Soyez persuadés mes chers parents que je suis
réellement heureux. Je suis à Mutzig, à
Je pense qu’au jour de l’an je serai près de vous ; ne
vous en faites pas, je suis en bonne santé et espère que vous aussi ainsi que
Victorine. Bonjour à tous et à bientôt.
Votre fils pour la vie.
Nicolas »
Enfin à la fin de décembre,
le jeune homme va revoir sa famille et sa bonne ville de Montceau où il
séjournera effectivement un mois et demi en permission avant d’être convoqué
vers le
Dans cette carte postale,
Nicolas parle d’un exercice (?) : ... un exercice qui ne devrait pas être très
dur, mais enfin il ne faut plus qu’un peu de patience.
Il ne restera pas longtemps
à Chalon-sur-Saône... En effet :
« Mes biens chers Parents,
Me voici encore une fois dans un autre truc à Dijon
depuis mardi soir dans une compagnie d’autos du 8ème Train des Equipages. Nous
ne resterons pas ici ; j’irai à Orléans, probablement ; mais avant de partir
j’irai certainement en permission de dix jours à laquelle j’ai droit.... Quant
à moi tout va très bien.
A bientôt..... »
Nicolas vient d’effectuer
la permission de dix jours qu’il prévoyait et il est rentré à Dijon. Il a
touché sa ration de tabac mais, comme il ne fume pas, il informe ses parents de
l’envoi de deux colis de cinq paquets de tabac. ....cela aurait fait un colis
trop gros.
Cette correspondance est
oblitérée d’un cachet violet du 8ème Escadron du Train des Equipages - Dépôt.
Encore un changement d’affectation
pour Nicolas : Je m’attends à partir tous les jours, ma Compagnie étant
dissoute le 29 ; il en part tous les jours un peu partout, tous des
professionnels aux armées ; sûrement je serai du nombre et j’en suis très
affligé car je me trouvais bien ici.
Que voulez-vous ?
Dans ce métier-là on est
obligé d’écouter. Espérons vivement dans la libération prochaine.
On en vient à penser que le
jeune homme doit effectuer maintenant son service militaire en tant qu’appelé
sous les drapeaux.
Parmi cette correspondance
entre le soldat Nicolas Theureau et ses parents, nous avons trouvé une
enveloppe sans correspondance datée du
A Sélestat le moral est
bien meilleur et les mauvais moments de la guerre et de la captivité sont
oubliés. Dans cette lettre plaisante le soldat fait la relation de deux
incidents qui l’ont perturbé :
« ... Pour moi tout va bien à part un abcès qui
m’est venu à la moustache ; j’en souffre énormément mais j’espère que d’ici
deux ou trois jours ça ira mieux. N’empêche que j’ai une tête comme une
citrouille et peut-être serai-je obligé de me raser les moustaches, chose qui
me contrarierait beaucoup car j’aime beaucoup mes bacchantes... J’ai été
quelquetemps privé de nouvelles de Victorine et j’ai écrit deux lettres quelque
peu nonchalantes ; j’ai eu peur de l’avoir un peu fâchée. Non ce n’est qu’un
manque de ma part puisque maintenant je reçois journellement ses lettres.
.... Que voulez-vous ? Je l’aime et j’étais trop
malheureux d’être privé de ses nouvelles... »
L’épisode des moustaches
n’est pas terminé :
« ... Tout va bien pour moi ou à peu près ; mon
abcès est à peu près guéri ; on voulait me raser les moustaches mais je n’ai
pas voulu et ça guérit tout de même ; je préfère souffrir un jour de plus et conserver
mes moustaches. Je recommence mon service et vais partir dans un moment avec le
Général Jacquemond pour Strasbourg, peut-être plus loin je ne sais pas...
Envoyez-moi de l’argent ; ce n’est pas que j’en manque, non, mais je veux avoir
un pécule nécessaire dans le fourbi que je fais, il peut arriver que j’en aie
besoin. »
En quoi consiste le fourbi
que fait Nicolas Theureau ? Dans le langage militaire, Nicolas était tringlot,
c’est-à-dire soldat du Train des Equipages et l’armée faisait piloter aux soldats
toutes sortes de véhicules : des voitures automobiles transportant généraux et
officiers, des camions convoyant du matériel pour les troupes d’occupation de
Nicolas ne s’était pas
trompé en disant qu’il irait peut-être plus loin que Strasbourg puisque la
lettre suivante vient d’Allemagne.
Le soldat Theureau étant
mécanicien - rappelons-nous ses débuts dans cette profession, à Chalon, avant
son départ au service militaire -, on lui demande de changer de qualification :
« ... Comme je vous le dis je suis passé
dépanneur après avoir passé un essai ; je suis parti lundi matin et n’est
rentré que ce soir ; j’ai dépanné trois voitures à
Nicolas est toujours à
Spire et il se débrouille bien en allemand. Mais le métier de militaire
commence à lui peser et c’est bien normal après plus de cinq ans de carrière
militaire !
« Je vous dirai aussi que pour ce milieu
militaire ça commence à se tirer ; si je ne me trompe pas, d’ici 27 jours je
serai civil ; je m’en réjouis et Victorine aussi.... »
La démobilisation est
proche et cela se manifeste encore dans cette lettre dont voici un passage :
« ... Quant à moi tout va bien ; j’ai roulé hier
et ce matin et cet après-midi je veux aller pêcher dans le Rhin ayant une
dernière journée de repos ; je vous tiendrai au courant de ma pêche ! Ne vous
tourmentez pas pour moi... Je termine pour aujourd’hui ; à bientôt et c’est du
17 demain !
Bonjour à tous.
Votre fils qui vous aime.
Nicolas »
Cette lettre est la
dernière en notre possession.
Nicolas
Theureau a retrouvé la vie civile aux alentours du
Si l’on se
réfère aux lettres du jeune homme lorsqu’il travaille à Chalon-sur-Saône, son
départ pour le service militaire obligatoire peut être situé à la fin de 1913
ou au début de 1914 au plus tard. Sa carrière aux armées s’est donc déroulée de
la façon suivante :
1. Service
militaire : début 1914 à juillet 1914 7 mois
2. Guerre
1914-1918 : 1-8-1914 à 11-7-1916 1 an 11 mois 11 jours
3. Captivité
: 12-7-1916 à 31-12-1918 2 ans 5 mois 20 jours
4. Service
militaire : 1.1.1919 à 31-5-1919 5 mois
5. Troupes
d’occupat. : 1-6-1919 à 31-8-1919 3 mois
Ce qui
représente une durée totale de 5 ans 8 mois et peut-être quelques semaines de
plus si son départ au service militaire se situe à la fin de 1913.
Nicolas
Theureau a donc été absent de « ses foyers », comme disent les militaires,
durant près de six années pendant lesquelles il a été gravement blessé en tant
que soldat, il a subi des vexations de toutes sortes en tant que prisonnier de
guerre. Il n’a bénéficié que de quelques rares permissions et a obtenu une
décoration méritée avec citation pour sa bravoure au combat.
Un petit peu
de baume au coeur au milieu de tant de « misères ».
Il est rentré
chez lui à vingt-six ans gardant au coeur le triste souvenir de près de six
années de sa vie gâchées et la légitime fierté d’avoir défendu sa patrie. Il a
eu beaucoup de chance si l’on considère le nombre effroyable d’hommes de toutes
nations qui ont perdu la vie lors de cette terrible confrontation appelée la «
Grande Guerre »
Je remercie
chaleureusement mon ami Roger Triboulin pour sa collaboration.
André PIERRE
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