Mise à jour : Mars 2017
ETUDES
Ces poèmes ont été étudiés, en 2014,
pour une épreuve d'histoire des arts pour le brevet des collèges. Ils
ont été lus et commentés devant un jury de professeurs du collège Victor Hugo
de Colmar.
PRELUDE
Nous nous trouvons en Meuse, à Lérouville, un petit bourg à quelques kilomètres de Commercy. Lérouville est célèbre pour sa pierre qui est utilisée partout en France pour les monuments.
C’est là que travaille Victor Emile VALET, il est carrier.
Il naîtra le 2 décembre 1869 à Lérouville.
Donc en France, en effet la Meuse n’avait pas été annexée par l’Allemagne après la défaite de Sedan et lorsque la guerre est déclarée en 1914, il est soldat français dans les tranchées.
Selon sa fiche matriculaire, il est rappelé à l’activité militaire le 2 août 1914, il fera campagne contre l’Allemagne du 2 août 1914 au 19 avril 1915 au 44e régiment territorial, et 4e compagnie à Verdun. Il sera réformé en avril 1915 (pour varices volumineuses). Voir sa fiche matriculaire >>> ici <<< (classe 1899, matricule 932)
Il avait épousé une fille du pays, Marie-Célénie CANTIGET, et en cette année 1914, était père de trois enfants : Henry, Jean et Denise. Etant meusien, il partit à la guerre défendre non seulement sa patrie mais aussi sa terre et celle de ses ancêtres.
Ayant hérité d’une bonne instruction, et plein de sentiments patriotiques, il a commencé sur un cahier de brouillon à écrire des poèmes, et malgré l'adversité et la dureté des combats, jamais il n'était injurieux ou médisant envers les pauvres soldats allemands d'en face. Il savait qu'ils étaient eux aussi des fils de paysans pris dans la tourmente des rois et grands de ce monde.
Au village, la vie continuait et il fallait faire vivre tout ce petit monde, c’est ainsi qu’un jour, Marie-Célénie qui était enceinte de 7 mois et sa fille Denise partent au marché à Commercy, à peine parties, elle se rend compte qu’elle a oublié son laissez-passer et retourne à la maison familiale.
C’est à ce moment qu’un obus perdu (français ou allemand ?) s’abat sur la maison à l’instant même où Marie-Célénie ouvre la porte. Denise est tuée sur le coup alors que sa mère est mortellement blessée et tente chercher de l’aide chez de la famille voisine en se traînant sur la route. Elle ne survivra pas à ses blessures. Elles furent les premières et seules victimes civiles du village de Lérouville durant cette guerre.
C’est au front que Victor apprit la triste nouvelle et ce fut à partir de ce moment qu’il commença à perdre la raison tant son chagrin fut immense. Les premiers poèmes sont plein d'élégance tant sur le point calligraphie que sur la syntaxe, à la limite de l'humour, puis après le drame on ressent la douleur dans les rimes, les expressions et l'écriture qui devient toute hachée.
Cette famille ne fait pas partie de mon ascendance mais de celle de mon fils Maxime.
Jean François, novembre 2006.
JE T’AVAIS DIT !
Je t’avais dit, ma chère
Célénie
Ainsi qu’à toi, Denise, mon
enfant,
Restez ici, restez, je vous
en prie,
Plus tard peut-être, mais pas
en ce moment
L’heure est critique, il y a
du danger
A Lérouville il ne faut pas
songer
Mais ou eût dit qu’une noire
nostalgie
Vous incitait à me désobéir
Et malgré moi, vous êtes
reparties
Dans le pays, c’était pour y
mourir
Je t’avais dit ma chère
petite femme
Ecoute-moi j’ai le
pressentiment
Que si tu pars, une brûlante
flamme
Va consumer le cœur de notre
enfant
L’heure est critique il y a
du danger
A Lérouville, il ne faut pas
bouger
Et l’ange d’or que portaient
les entrailles
Est mort avant de donner un
soupir
Le lendemain de tes funérailles
Tu repartis pour mourir
Je t’avais petite Denise
Reste avec moi ne rentre pas
chez nous
Ta mère a fait une grande
sottise
En repartant, je te
dis : gare à vous
L’heure est critique, il y a
du danger
A Lérouville il ne faut pas
songer
Mais n’écoutant pas mes
conseils de sagesse
Ne croyant pas voir eu en
noir l’avenir
Riant de moi, de mes tristes
présages
Vous êtes rentrées au pays,
pour mourir
Si vous aviez écouté ma
prière
Si vous aviez laissé votre
maison
Et délaissé le champ de
pommes de terre
Qui est seul cause de votre
perdition
Vous auriez dû restés hors du
danger
Je ne serais pas à me
lamenter
Mais voilà votre
désobéissance
A meurtri mon cœur d’un
éternel deuil
Et le chagrin, la douleur, la
souffrance
Sont à jamais tes fruits,
double cercueil
8 février
1915
Reproches à
l’Éternel
O ! Dieu toi qui fit
l’homme pour parer la nature
Tu aurais dû ce jour prendre
tout ton repos !
Car aujourd’hui l’on voit
l’immonde créature
Faire tout pour mériter ton
dédain o ! Très haut
Tu l’avais fabriqué, ce genre
humain indigne
Pour vivre en frères, heureux
et pleins d’humanité
Il n’a pas su de toi,
observer la consigne
Il ne rêve que mort, massacre
et cruauté
Et de quoi se plaint-il ce
genre humain infâme
Après tous les désirs dont tu
l’avais comblé
Pour partager la vie tu lui
donnas la femme
O ! Pour lui, Créateur
tu eus trop de bonté
Il aurait dû bénir toutes tes
grandes largesses
Et implorer ton nom d’avoir
été si bon
Il devrait profiter de toutes
les richesses
Dont tu l’avais comblé,
remercier ton nom
Mais au lieu de courber
devant toi son front frêle
Et de te rendre grâce de tous
tes bienfaits
Il méprise tes lois, son
regard étincelle
La haine est son orgueil et
la guerre ses forfaits
O ! Dieu de l’univers
répand donc ta colère
Sur ce peuple maudit Allemand
exécré
Lui seul a déchaîné cette
terrible guerre
Maudis-le ! Extermine ce
monde de cruauté !
Sournois il méditait sans
repos et sans trêve
De guerroyer l’Europe et de
la maîtriser
Et soudain de sa gaine il a
tiré son glaive
Et s’est jeté sur nous,
croyant nous écraser
Tel qu’un aigle affamé
planant sur victime
Contre le droit des gens il
nous a envahis
Malgré la résistance des
Belges, peuple sublime
Il les a massacrés, réduit,
anéantis
Puis pénétrant chez nous, ce
ne fut que carnage
Massacres, Assassinats, Viols
tous les méfaits
Ce n’était plus des hommes
c’était de vrais sauvages
Jamais l’histoire
n’enregistra de tels forfaits
O ! Très Haut use donc
de ta toute Puissance
Pour détruire à jamais ce
peuple de proscrits
Quoi ! N’aimerais-tu
donc plus notre belle France
Pour la laisser aux prises
avec de tels bandits
En février 2017, Denise me contacte :
« En débarrassant le grenier de ma belle-mère (âgée de 100 ans),
j'ai trouvé un vieux cahier sur lequel une personne a écrit des textes de
chansons de sa composition (chansons d'amour, chansons patriotiques etc...).
Au bas de certains textes figurent un lieu et une date : Paris, mai ou
juillet 1906.
Ma belle-mère ne sait d'où vient ce cahier, ni qui a écrit ces chansons
(peut-être une personne de la famille de son mari, dit-elle).
Ce qui est extraordinaire, à la fin du cahier, "l'inconnu" a recopié le poème où
Victor Emile VALET s'adresse à sa femme Célénie et à sa fille Denise après leur
mort tragique.
Il l'intitule : " Lettre de
recommandation d'un mari dans les tranchées à sa femme et à sa fille de ne pas
retourner dans leur pays à Lérouville après l'évacuation
"
Il a recopié le poème de Victor Emile
VALET en 1915. Comment « l’inconnu » a-t-il eu connaissance de ce
poème ?
Le poème qui figure sur mon vieux
cahier comporte 4 strophes de plus : la première intitulée "A ma
femme", la seconde "A ma fille", et les 2 dernières "A
toutes deux".
Aviez-vous connaissance de ces 4
strophes supplémentaires ?
Je pense que c'est lui - et non Victor
Émile - qui a composé les 4 strophes supplémentaires car elles sont émaillées
de plusieurs fautes d'orthographe ; or, Victor Emile avait une orthographe
plutôt sûre, si j'en juge par les poèmes originaux que j'ai lus sur votre site.
Je pense également que les 2 hommes ont
dû se connaître (à la guerre ?), sinon je ne vois pas comment mon poète inconnu aurait pu avoir
connaissance du poème de Victor Emile puisqu'il n'a pas été édité, et comment
il aurait pu savoir que Denise avait 2 frères.
Immortel regret
A ma femme
O toi dont l'image chérie
Reflète plus à mes yeux
Toi mon amour, mon cœur, ma
vie
Tu t'es envolée vers les cieux
De tristesse mon âme est
pleine
Et déborde en sanglots bien
forts
Mais malgré ma douleur, ma
peine
Je t'aime encore malgré la
mort
A ma fille
Tu m'as quitté mon adorée
Par un fatal évènement
Ah ! Quelle triste destinée
T'était réservée chère enfant
A l'âge où commence la vie
Tu es partie, le triste sort
De mon affection t'a ravie
Je t'aime encore malgré la
mort
A toutes deux
Par le même chemin tragique
Vous avez quitté mon foyer
Me laissant seul mélancolique
A rêver seul et à pleurer
Malgré cette épreuve cruelle
Il me reste un dernier effort
Si ma douleur est immortelle
Je vous aime malgré la mort
Adieu, reposez âmes chères
En attendant de vous revoir
Femme tes enfants, sœur tes
frères
Me dictent tous deux un devoir
Je veux leur incarner la haine
De ceux qui ont semé la mort
Des bandits de race germaine
Que je maudis jusqu'à la mort
Le malheureux ne survivra pas longtemps après la guerre et s’éteindra
le 5 octobre 1921 à l’hôpital (actuellement St Charles) rue Carnot à Commercy.
Une dernière anecdote concernant cette famille et les tragiques
répétitions de l’histoire : Henry VALET, fils de Victor perdra son épouse
dans les mêmes conditions en 1944 lors d’un bombardement américain. Une autre
guerre, une victime, Marie-Blanche VALET née KOUDLANSKI (tante Blanche) sera
décapitée par l’explosion et sa fille Marie-Thérèse restera blessée à vie.
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