LE CHEMIN DES DAMES

L’offensive

 

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Journée du 16 avril

 

Le 16 avril, à 6 heures du matin, l'offensive commença. Après une préparation d'artillerie de neuf jours, avec un élan magnifique, exaltés par la plus sincère foi patriotique, les troupes françaises se ruèrent à l'assaut.

 

Le terrain était difficile.

Depuis la bataille de la Marne, l'ennemi y demeurait accroché: il en connaissait tous les avantages, l'escarpement des coteaux, la profondeur des creutes, l'abri des crêtes et l'obstacle des cours d'eau.

Le champ de bataille s'étendait du massif de Saint-Gobain à l'ouest, aux forts de Reims à l'est, et la montagne avec la ville de Laon en formaient le centre.

Nous avons vu que c'était aussi le premier but.

Au nord de l'Aisne s'élève un plateau, limité par des falaises et dont l'extrémité orientale, en forme de promontoire, porte le village de Craonne.

Une route, le Chemin-des-Dames, suit les sommets des plateaux de Craonne à La Malmaison, au nord-ouest de Soissons.

Elle marquait la ligne de défense allemande, qui se poursuivait à l'ouest sur les coteaux boisés de Vauclerc, de Cerny et de Bray.

Deux forts que nous avions évacués sans combat, en 1914, Condé et La Malmaison, étayaient cette ligne.

 

Le débouché de l'attaque, s'effectua presque partout facilement; le barrage allemand fut en effet ou tardif ou peu dense.

 

Notre préparation et nos tirs de contre-batteries avaient neutralisé l'artillerie adverse.

Par contre, dès le début de la progression à travers les organisations ennemies, notre infanterie se trouva battue par de nombreuses mitrailleuses établies soit en plein champ, soit sous des abris qui avaient échappé à notre artillerie ; une infanterie allemande très nombreuse garnissait la première position sur laquelle il était visible que l'adversaire entendait résister avec acharnement.

 

A la fin de la matinée, au cours de combats très durs, la 5e Armée avait marqué deux succès importants; à droite (7e Corps d'Armée) elle s'était emparée de Courcy (125e RI), Loivre et Berméricourt; au centre (32e Corps d'Armée), elle avait pénétré dans la deuxième position entre l'Aisne et la petite rivière de la Miette.

Partout ailleurs, elle n'avait pu que prendre pied dans la première position ennemie ; devant le plateau de Craonne, le 5e Corps d'Armée avait presque complètement échoué.

 

Du côté de la 6e Armée, les 2 Corps colonial et 20e CA réussirent à s'installer sur la crête du Chemin-des-Dames, mais sans pouvoir la dépasser, des îlots de résistance (monument d'Hurtebise, sucrerie de Cerny) y rendant même précaire leur situation.

Plus au sud, les éléments de gauche des 20e et 6e Corps avaient été entraînés immédiatement dans un combat acharné autour de creutes, d'abris-cavernes et à l'intérieur des bois; Ils ne purent progresser que très lentement et ne dépassèrent pas les premières et deuxièmes lignes allemandes.

 

A l'ouest, le 1e Corps colonial avait enlevé Laffaux et la ferme Moisy.

Ces combats très durs et les pertes subies fatiguèrent et démunirent l'infanterie; à partir de midi elle était hors d'état d'accomplir un effort sérieux.

 

Aussi quand, à 13 heures, les tanks débouchèrent sur Juvincourt, ils ne purent entraîner que quelques fractions et arrivèrent sans soutien vers la deuxième position allemande.

Dès lors l'ennemi, à son tour, s'efforça de reprendre le terrain.

Il avait déjà exécuté, pendant toute la matinée, une série de contre-attaques partielles, extrêmement énergiques.

 

Vers 14h30, le 32e Corps d'Armée avait arrêté une violente contre attaque venant de la région de Prouvais; pris sous le feu de notre artillerie lourde, l'ennemi subit des pertes considérables.

Malheureusement, les contre-attaques allemandes réussirent mieux dans la région de Juvincourt et sur la droite, où Berméricourt fut perdu par nous.

De même à la 6e Armée, le 1e Corps colonial était revenu sur ses tranchées de départ à la suite des réactions ennemies.

 

En somme, malgré que certains résultats obtenus fussent très honorables, les objectifs prévus n'étaient pas atteints. On avait espéré une avance foudroyante; que s'était-il donc passé?

 

Le général Blondlat, commandant du 2e Corps colonial, l'explique dans son rapport :

 

« L'influence des circonstances atmosphériques défavorables, dit-il, a été le trait le plus saillant de la période de préparation. Le vent violent, l'atmosphère brumeuse, la pluie et la neige fréquentes ont amoindri, dans une large proportion, le rendement de l'aviation, gêné l'observation aérienne, contrarié les réglages et l'exécution des tirs, empêché le contrôle photographique des destructions. L'activité de l'artillerie s'est trouvée, de ce fait, décousue, saccadée, incomplète. L'infanterie a également souffert des intempéries qui ont rendu très pénibles les travaux sur la position et le stationnement dans les bivouacs, et alourdi les mouvements. Si l'état moral de la troupe avant l'attaque était excellent, ainsi qu'en témoignent les extraits de correspondance, son état physique laissait à désirer.

A l'heure H, les troupes abordent en ordre les premières organisations allemandes. La crête géographique est atteinte presque sans pertes ; le barrage d'artillerie ennemi est peu nourri et présente des lacunes.

Toutefois, notre infanterie s'avance avec une vitesse inférieure aux provisions. Le barrage roulant se déclenche presque immédiatement et s'éloigne progressivement des premières vagues qu'il cesse bientôt de protéger.

Quelques mitrailleuses, qui se sont révélées sur le plateau, n'arrêtent pas l'élan des fantassins qui peuvent descendre le versant nord jusqu'au bord des pentes raides dévalant dans la vallée de l'Ailette.

Là, ils sont accueillis et cloués sur place par le feu meurtrier de nombreuses mitrailleuses qui, postées sur des pentes hors d'atteinte de nos projectiles, sont restées indemnes.

Quelques fractions, utilisant des cheminements incomplètement battus, parviennent à descendre les pentes; mais, d'une manière générale, les vagues subissent en quelques minutes des pertes considérables, particulièrement en cadres, et ne parviennent pas à franchir cette zone meurtrière, s'arrêtent, s'abritent et, sur certains points, refluent sur la dernière tranchée dépassée.

Elles sont rejointes par les bataillons de deuxième ligne qui, partis à l'heure fixée, viennent se fondre sur la ligne de combat.

Les bataillons de troisième ligne, conformément au plan de combat, s'avancent à leur tour; quelques-uns peuvent toutefois être arrêtés à temps et occupent les premières tranchées allemandes ou nos tranchées de départ.

En moins d'une heure, le combat s'est stabilisé; toutes les tentatives pour reprendre le mouvement en avant échouent dès que l'on arrive sur la ligne battue par les mitrailleuses ennemies. La progression à la grenade par les boyaux et tranchées est seule possible et se heurte à une résistance de plus en plus vive.

Les réserves ennemies sont, en effet, à peu près intactes ; bien abritées dans les creutes du versant au nord ou dans des abris très profonds, elles n'ont pas souffert du bombardement et la tranchée courant sur le rebord du plateau leur constitue une parallèle de départ commode.

Nos fantassins sont desservis par l'état du terrain détrempé, particulièrement dans la zone bouleversée immédiatement derrière eux ; boyaux et tranchées sont remplis d'une boue gluante qui retarde l'arrivée des ravitaillements en munitions, ralentit singulièrement les mouvements préparatoires aux attaques et ceux nécessités par la remise en ordre des unités, expose de plus en plus les liaisons et les transmissions d'ordres et de renseignements.

De plus, l'artillerie, dans cette journée, ne put donner tout ce qu'on attendait d'elle.

Un barrage roulant devait précéder notre infanterie, réglé comme elle à la vitesse de 100 mètres en trois minutes.

Pour assurer ce barrage pendant toute l'opération, suivant les ordres formels du général Micheler, il fallait procéder à des déplacements d'artillerie et pour cela un certain nombre de batteries avaient été gardées sur roues. Mais les averses de pluie et de neige ne permirent bientôt plus ces déplacements sur un sol détrempé. D'autre part, l'artillerie lourde était insuffisante, ainsi que les lots de munitions qui n'avaient pas été augmentés, malgré l'allongement de la période de préparation.

Enfin, la supériorité de l'aviation allemande fut telle que nos mortiers et certaines batteries de 75 furent constamment survolés et marmités. »

 

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Il en résulta que la 10e Armée ne put entrer en ligne. Armée d'exploitation, elle devait déboucher en fin de rupture, le soir même du 16 avril, sur Monchalon et Vieux-Laon, en traversant les lignes au centre, entre le 2e Corps colonial et le 1 Corps d'Armée

 

 Ses têtes de colonnes franchirent le canal et l'Aisne dès le matin.

Le gros se massa en arrière de Merval, attendant pour avancer que la cote 108, à droite, et les positions d'Ailles, d'Hurtebise et de Craonne, au centre, fussent occupées par nos troupes d'assaut.

 

Apprenant, à 6h55, l'enlèvement de la première ligne ; à 7 heures, celui de la route 44; à 7h55, celui de Cerny-en-Laonnois (64e, 65e RI), le général Duchêne avait ordonné la marche en avant.

L'Armée, pleine d'ardeur et de confiance, était entrée dans la zone de bataille pour achever la victoire ; bientôt elle se heurta aux groupes de plus en plus nombreux de blessés gagnant l'arrière et apportant de mauvaises nouvelles. Comme, vers 10 heures, l'échec du 2e Corps colonial et celui du 1e Corps d'Armée furent confirmés, elle s'arrêta.

Il ne lui sera plus donné de jouer le rôle qu'elle avait assumé.

Dès le premier jour, l'offensive était donc mise en échec!

L'histoire des « chars d'assauts » qui, ce jour, reçurent le baptême du feu, déployèrent un courage héroïque, subirent des pertes énormes et durent abandonner la bataille, est malheureusement une illustration synthétique de cette journée.

 

 

Journée du 17 avril.

Contrairement aux grands espoirs conçus, le soir du 16 avril n'avait pas été un soir de victoire; la nuit qui suivit fut particulièrement pénible.

Sur les positions conquises, il n'y avait d'autres abris que ceux, à moitié détruits, des Allemands, et le froid, la grêle et les bourrasques de neige continuaient.

L'évacuation des blessés était difficile. Les munitions manquaient, parce que les hommes partis pour une grande avance, surchargés de plusieurs jours de vivres et de cartouches, s'étaient débarrassés d'un poids trop lourd.

Quant au Commandement, bien que les premiers renseignements recueillis fussent incomplets, parfois contradictoires et souvent tendancieux, il ne pouvait douter du résultat. L'ennemi avait été chassé de ses premières lignes et laissait entre nos mains plusieurs milliers de prisonniers, mais le front n'était pas brisé.

Or, le général Nivelle avait certifié « qu'il serait en état, après les  premières vingt-quatre heures, de décider si l'opération conçue par lui avait réussi ou échoué », et répété « qu'au bout de quarante-huit heures, au maximum, il serait en mesure de décider s'il y avait lieu ou non de continuer », déclarant que « rien n'était pire en de telles circonstances que de s'obstiner et que, sous aucun prétexte, il ne recommencerait la bataille de la Somme »

 

Mais, d'autre part, une nouvelle action avait été prévue pour le 17 au matin.

La 4e Armée  devait se déclencher à l'est de Reims.

Le général Anthoine, qui la commandait, débuta par un succès, s'emparant du Cornillet (25e, 27e, 47e, 48e, et 270e régiments d’infanterie), du Mont-sans-Nom, de la tranchée de Bethmann-Holweg et du mont Blond (59e, 83e, 91e, 136e régiments d’infanterie soutenu des 4e, 7e, 269e régiments d’artillerie), malgré une furieuse résistance de l'ennemi qui lui laissa 2.500 prisonniers.

Le général Nivelle voulut alors tirer parti de la situation en fixant une orientation nouvelle à la bataille.

 

A 10h30,

Il envoya au général Micheler les instructions suivantes :

« 1.. La bataille engagée hier a nettement montré l'intention qu'a l'ennemi de tenir ferme sur le front de la 6e Armée et de rendre, par suite, difficiles et coûteux les progrès de votre Groupe d'Armées vers le nord;

« 2.. C'est donc actuellement vers le nord-est que doit s'axer votre effort en partant de la base qui vous est assurée par les progrès de la 5e Armée;

« 3.. Sur le front de la 6e Armée, bornez-vous à faire terminer et à consolider la conquête des hauteurs sud de l'Ailette, afin d'assurer définitivement notre rétablissement du nord de l'Aisne. »

 

D'autre part, le général Nivelle mettait trois nouvelles divisions à la disposition du général Pétain, « pour exploiter, le cas échéant, les avances réalisées à la 6e Armée. »

 

La journée du 17 se terminait ainsi : La 6° Armée avait progressé dans la région de Braye-en-Laonnois (146e,153e,156e régiments d’infanterie soutenu du 39e régiment d’artillerie),, la 5e avait son 1e Corps d'Armée repoussé devant Craonne et contre-attaqué, mais sans succès.

Quant à la 4e qui, malgré une violente bourrasque de pluie, avait débuté par une avance de deux kilomètres, elle voyait son mouvement enrayé à son tour sur ses deux ailes par les mitrailleuses ennemies.

 

Journées du 18 au 22

Dans les cinq jours qui suivirent, la situation ne se modifia pas d'une façon particulière. Nous assurâmes nos premiers succès.

 

Le 18 avril, pourtant, la 6' Armée recevait la récompense de ses efforts et achevait tout d'un coup la conquête du plateau.

Devant elle, l'ennemi battait précipitamment en retraite en y incendiant les villages qu'il évacuait Vailly, Aizy,Sancy et Jouy.

Le fort de Condé, abandonné, était repris.

Quant à la 5e Armée, elle ne progressait point, mais brisait une forte contre attaque qui lui laissait 1600 prisonniers et 24 canons.

La 4e Armée, réduisant quelques îlots de résistance, s'avançait au mont Haut et au mont Téton.

 

Le 19, la 6° Armée affirme son succès, enlève le monument d'Hurtebise et lutte pour l'occupation de la sucrerie de Cerny.

La 5e Armée ne voit pas ses tentatives couronnées de succès, sauf sur Berméricourt.

La 4° Armée occupe le mont Blanc, le Téton, le village d'Auberive (126e RI) et progresse dans la direction de Laigue.

 

Le 20, la 6e Armée se maintient sur ses positions conquises, la 5e Armée voit encore une de ses attaques échouer, et la 10e a du mal à tenir tête aux contre-attaques.

 

Le 21 avril, nous bordions au nord de l'Aisne, de Laffaux à Braye-en-Laonnois, la ligne Hindenburg sur laquelle l'ennemi s'était finalement replié, laissant entre nos mains, après cinq jours de lutte, 21604 prisonniers, 183 canons et 412 mitrailleuses.

Malgré cela, les Allemands ne se tenaient pas pour battus

 

Or, après sept jours, non seulement la brèche n'était pas ouverte, mais la continuation du mouvement vers le nord-est était devenue périlleuse, notre flanc droit risquant de se trouver à découvert.

Néanmoins, le Généralissime français décida de continuer. D'ailleurs, le maréchal Haig partageait sa manière de voir

.

Le 21 au soir, le général Nivelle adressait la note suivante au général Wilson, chef de la mission militaire anglaise au Grand Quartier Général

Aucun arrêt des opérations n'est à envisager. Elles seront reprises à des dates très rapprochées.

 

Rôle des Armées britanniques

Profiter des opérations engagées sur le front français pour augmenter l'ampleur des attaques et viser des objectifs plus éloignés. La collaboration anglaise à notre offensive commune ne sera, en effet, réellement efficace que si son action s'exerce sur une profondeur suffisante pour menacer sérieusement l'adversaire, et l'obliger à engager des réserves importantes.

Prononcer l'effort principal dans la région sud et sud-est de Quéant, de manière à faire tomber par une attaque de revers la ligne Quéant-Drocourt et à pouvoir progresser sans retard en directions de Cambrai et Douai. »

 

Deux jours après, les intentions du Commandement s'affirmaient encore davantage, et les ordres suivants étaient envoyés aux commandants de Groupes d'Armées, et au général commandant la 1e Armée.

 

 

Le but des opérations est :

  1e De dégager Reims par une attaque combinée des 4e et 5e Armées;

      a) La 5e Armée est chargée d'enlever les hauteurs de Sapigneul, du mont Spin et de Brimont.

      b) La 4e Armée dégagera, vers le nord et le nord-ouest, les sommets conquis des hauteurs de Moronvilliers, du Téton et du Mont Haut (9e, 11e, 20e ,115e, 117e ,217e ,317e, 358e régiment d’infanterie aidés des 18e, 31e,et 262e régiment d’artillerie)

 

  2e De compléter l'occupation du plateau du Chemin-des-Dames, par une opération combinée des 6e et 1 e Armées.

a) La 10e Armée  devra s'emparer de la crête militaire septentrionale et orientale des plateaux de Craonne, Californie et Vauclerc (43e, 127e, 327e, régiment d’infanterie), ainsi que des avancées de cette crête  jusqu'aux entrées des abris.

b) Elle enlèvera ensuite la première position allemande, entre le boyau Persan et le bois de Chevreux, en étendant l'attaque jusqu'à la conquête de la ligne générale, tranchées du Marteau et de l'Enclume, de manière à avoir une base de départ ultérieure pour l'attaque du front Corbény-Juvincourt.

c) La 6e Armée prononcera une action sur l'ensemble du Chemin-des-Dames »

 

 

En résumé, le plan primitif subissait les variantes rendues nécessaires par les circonstances: Poussée vers le nord-est avec couverture du flanc menacé et coopération plus large des Anglais pour attirer au nord une bonne partie des réserves ennemies.

L'offensive continuait, mais il n'était plus question de rupture.

 

 

L’affaire politique de  BRIMONT

 

Au moment où le général Nivelle donnait ces ordres pour la reprise de la bataille, il avait à faire face à des attaques venant de l'arrière et à se dépêtrer d'intrigues et d'embûches où l'on s'efforçait de le faire tomber.

Leur premier résultat fut d'obliger le Généralissime à des voyages fréquents à Paris : « Dans une période de vingt-deux jours, dira-t-il, j'ai passé douze jours hors de mon Quartier Général; et sur ces douze absences, neuf, les trois quarts, sont uniquement dues à l'intervention du Gouvernement »

 

On n'avait pu empêcher l'offensive, il fallait maintenant réussir au moins à l'arrêter. Mais on continua d'employer contre elle les mêmes moyens; et alors qu’il aurait suffi de prendre une décision, si on la jugeait nécessaire, on tergiversa en essayant de faire buter celui qu'on n'osait pas jeter à terre.

 

Le 22 avril, un jeune député, M.Y. Barnégaray, qui appartenait depuis peu à l'état-major du 18e Corps d'Armée, profitant du droit que les Parlementaires s'étaient arrogé d'être à la fois soldat et député, vint directement trouver le Président de la République.

Il l'avertit qu'on se préparait à recommencer l'opération coûteuse qui n'avait qu'à demi réussi le 16 avril, et se prétendit l'interprète des officiers et des soldats, en demandant au chef de l'État d'intervenir auprès du Haut Commandement pour faire différer cette attaque.

 

M. Poincaré, persuadé par l'éloquence de ce témoin, et ne pouvant en référer avec le ministre de la Guerre, en mission sur le front, prit sur lui, vu l'urgence, de faire téléphoner au Grand Quartier Général, ce message :

« Le Président de la République a été très ému par des exécutants qui considèrent comme tout à fait prématurée et comme impossible à la date fixée, la reprise des attaques sur Craonne et sur Vauclerc.

La préparation d'artillerie serait insuffisante. La dotation en munitions est faible. Il faudrait plusieurs jours de préparation intensive. Sinon, on recommencera ce qui s'est passé à la première attaque. On perdra beaucoup de monde.

« Il conviendrait d'interroger non seulement le général Duchêne, mais le général Hirschauer ».

 

 

Le général Nivelle répondit aussitôt; et après avoir déclaré qu'aucune date n'était fixée ni aucun ordre donné, et que les généraux responsables avaient, au contraire, toute latitude pour agir seulement au bon moment, il ajouta :

 

« Le Général commandant en chef ne peut qu'exprimer sa douloureuse surprise que des racontars, nullement autorisés et sans aucun fondement, trouvent créance auprès du Président de la République. Il n'est pas possible d'exercer un commandement dans de pareilles conditions.

« Je demande que les exécutants qui se sont livrés à ces écarts de langage, qui détruisent toute discipline dans l'Armée, soient l'objet d'une sanction exemplaire. »

Le général Nivelle ayant fait son enquête et vu personnellement les généraux mis en cause, pouvait, dans une nouvelle communication, remettre les choses au point:

« Les trois généraux intéressés dans l'opération à achever sur le plateau du Chemin des Dames (généraux Duchêne, Hirschauer et Mangin), déclarent sur l'honneur qu'ils n'ont jamais reçu ni donné aucun ordre concernant la date de l'opération, fait aucune plainte au sujet de l’insuffisance des munitions, leurs demandes ayant toujours été satisfaites à cet égard.

« Ils étudient et préparent l'opération combinée, comme ils l'ont toujours fait, à Verdun notamment, la date étant toujours fixée par le dernier prêt.

« Il n'est pas besoin d'ajouter qu'ils ont été navrés à en pleurer des faits qui leur ont été signalés, de la répercussion qu'ils ne manqueraient pas d'avoir sur l'état moral de leurs troupes qui puisent une certitude plus grande de la victoire dans celle qu'ils viennent de remporter. De l'aveu de tous les généraux, le moral, aussi bien au front que parmi les blessés des ambulances, est nettement supérieur à ce qu'il était avant l'attaque.

 

 

« Le Général commandant en chef insiste sur la nécessité qui s'impose d'infliger un châtiment exemplaire aux auteurs de ces bruits calomnieux, tendant à déprimer le moral et à semer la panique.»

 

L'affaire en resta là, du moins quant aux conséquences immédiates, car si personne ne fut puni ni même blâmé, nous verrons plus tard combien étaient justes les vues du général Nivelle sur l'influence démoralisante de cette manière d'agir.

L'hostilité était flagrante. Un conflit allait éclater entre le Généralissime et le ministre de la Guerre.

 

Le 25 avril, M. Painlevé, de retour d'un voyage sur le front, convoqua le général Nivelle à l'Élysée, dans le cabinet du président de la République, où se trouvaient aussi le Président du Conseil, M. Ribot, et l'amiral Lacaze.

Le plan du Commandant en chef fut l'objet de la discussion, et celui-ci fit un exposé des nouvelles offensives en préparation.

« On m'a dit que Brimont tout seul coûterait 60.000 hommes, interrompit M. Painlevé...

- Qui, on ? Riposta le général. Les renseignements n'ont de valeur que s'ils viennent d'une source autorisée.

-Les miens ont une source très sérieuse, répondit le ministre, mais je ne peux pas vous l'indiquer. »

 

Dans son dernier voyage aux Armées, M. Painlevé avait eu une conversation avec le général Mazel ; et, sans doute, dans la crainte de nouvelles pertes, hanté par son idée, le ministre comprit mal les réponses du général.

A sa demande : « Quels effectifs sont nécessaires pour l'affaire projetée au sud de l'Aisne?»

il lui fut répondu : « Un Corps d'Armée sur Brimont, un autre sur le Mont Spin, cela fait en gros 60.000 hommes. »

Le malentendu était manifeste, mais aucune résolution ne fut arrêtée, aucune décision prise et la situation demeura trouble.

 

Les jours suivants, d'une part, le Gouvernement interrogea le maréchal Douglas Haig, dont l'avis fut qu'il fallait absolument continuer la bataille sous peine de perdre le fruit des efforts et des sacrifices antérieurs et de donner à l'ennemi le temps de se redresser ; d'autre part, le général Nivelle, défavorablement impressionné, dut reprendre ses enquêtes et visiter à nouveau, l'un après l'autre tous ses généraux.

Ayant reçu de chacun d'eux les explications nécessaires et l'affirmation de leur espoir dans le succès, l'attaque fut décidée et sa date fixée au 1e mai, « mais pouvant en cas de besoin, et à la demande des divisionnaires, être reculée ».

 

La préparation d'artillerie commença le 28; le général Micheler devait fixer l'heure de l'attaque d'infanterie...

 

Le 29 avril, à cinq heures du soir, un coup de téléphone du Ministère enjoignait au Grand Quartier Général de surseoir à l'attaque, « puisqu'elle pouvait être retardée sans inconvénient et parce que le Gouvernement était insuffisamment éclairé sur les risques et pertes possibles entraînés par l'opération. »

En même temps, le Généralissime apprenait la nomination, comme chef d'état-major général, du général Pétain, avec lequel il devait s'entretenir de cette attaque avant de la déclencher.

A cette entrevue du 30 avril, l'attaque prévue fut décidée », mais en en détachant ce qui concernait Brimont ».

 

C'était le coup de grâce, car l'opération devenait inutile. Supprimer l'attaque de Brimont, c'était abandonner le dégagement de Reims.

Le 1e mai, le général Micheler fut prévenu que l'attaque de la 5e Armée serait limitée à l'enlèvement des hauteurs du mont Sapigneul et du mont Spin.

 

Reprise et arrêt définitif de l'offensive.

Le 4 mai, le général Nivelle, fort des idées offensives émises la veille par les Gouvernements, fit reprendre la bataille.

Ce jour-là, la 10e Armée enleva Craonne dans un assaut magnifique, puis essaya d'aborder le plateau de Californie.(18e,32e, 34e, 49e, 218e RI et 14e RAC)

La 5e Armée, déployée à 6h30 du matin, enfonça la première ligne ennemie, mais dut ensuite reculer. Le soir, cependant, elle conservait une partie de sa conquête, le Mont Spin (51e, 87e, 128e ,272e RI)

La 4e Armée, de son côté, avait progressé sur les pentes du mont Blond et du Cornillet par le 1e régiment de zouaves et 2e régiment mixte qui finirons de l’investir définitivement le 14 mai

 

Le lendemain 5 mai, la 10e Armée, attaquant de nouveau avec le même élan, achevait la conquête du plateau, atteignait les crêtes dominant la vallée de l'Ailette et faisait 7.000 prisonniers.

La 4e Armée, après une lutte pénible, réussissait à s'emparer du mont Blond.

Enfin, la 6e Armée, sous le commandement du général Maistre, (remplaçant le général Mangin, renvoyé à l'intérieur comme victime expiatoire), entrait dans la lutte.

Avec le secours des chars d'assaut (31 chars, sous les ordres du commandant Lefebvre, accompagnés par le 17e bataillon de chasseurs à pied) qui surent profiter des expériences précédentes et agirent espacés, de façon à pouvoir évoluer sans se gêner et sans offrir une cible trop facile au canon ennemi, elle remporta un véritable succès.

La ligne Mont des Singes-ferme de Moisy-moulin de Laffaux-tranchées du Panthéon-Épine de Chevrigny-ferme Froidemont attestait son entrain.

 

Les jours suivants 5 au 10 mai, nos positions furent maintenues, malgré de nombreuses et fortes contre attaques dans la région de Laffaux, aux abords de la ferme Froidemont, au nord de Braye à Verneuil (37e et 79e RI) et sur le front de la Bovelle.

Puis, après ce dernier effort, l'offensive cessa...

 

Les résultats en étaient divers.

Les gains obtenus étaient importants, bien qu'ils ne le parussent pas suffisamment tant on les avait espérés supérieurs:

Conquête des premières positions et d'une partie des secondes lignes, des plateaux de Craonne et de Vauclerc, où l'ennemi avait eu l'ordre de tenir jusqu'au bout.

Sur 12 kilomètres le long de l'Aisne, de Soupir à Missy-sur-Aisne, notre ligne, placée au sud de la rivière, était avancée de 6 à 7 kilomètres; le fort de Condé qui domine les vallées de l'Aisne et de la Vesle, les villages de Chivy, Braye-en-Laonnois, Ortel, Chavonne, Vailly, Celles, Condé-sur-Aisne, Laffaux, Nanteuil-la-Fosse, Saucy, Jouy, Aizy étaient tombés entre nos mains.

 

La voie ferrée de Soissons à Reims se trouvait dégagée. Les observatoires que l'ennemi possédait sur la vallée de l'Aisne nous appartenaient, ainsi que d'autres sur le Chemin-des-Dames, nous donnant des vues dans la vallée de l'Ailette et au delà.

Nous avions enlevé 40.000 prisonniers, 500 canons et un millier de mitrailleuses.

 

Il en résultait une usure de l'Armée allemande assez considérable puisque, des cinquante-deux divisions disponibles et fraîches avant le 16 avril, il n'en restait plus que 12 le 25 avril.

« Dès le premier jour de mai, dit le général Nivelle (4 mai), toutes les divisions allemandes disponibles avaient été engagées dans la bataille... Les Allemands étaient désormais hors d'état d'entreprendre une action de quelque importance sur un front quelconque en Europe, pourvu que nous ne relâchions pas complètement notre étreinte. »

 

A l'intérieur de l'Empire, un grand découragement naissait: les Allemands avaient l'impression que, devant Arras et l'Aisne, leurs Armées venaient de subir de graves échecs. Les pertes avaient été très élevées. Plusieurs grands chefs allemands avaient été relevés de leur commandement. La ration de pain avait été réduite.

Des troubles éclataient à Berlin; et, dans les centres industriels, des grèves menaçaient.

 

Le bilan

L'arrêt de l'offensive eut pour conséquence naturelle de modifier cet état de choses, et nous en perdîmes ainsi tous les avantages, laissant à notre tour le découragement pénétrer parmi nous.

Déjà, les premières désillusions avaient causé un déséquilibre tel que les bruits les plus tendancieux pouvaient se propager à l'aise. On en constata les inconvénients dans la question des pertes qui eut tant d'influence sur les décisions gouvernementales.

Quelle qu'en ait été l'origine, il est certain que des statistiques inexactes furent répandues et causèrent un incontestable trouble. Aucune voix autorisée ne vint les démentir. Les imaginations se laissèrent gagner, on parla de tueries, de massacres, et le général Mangin y perdit son commandement.

 

Pourtant, ces pertes étaient proportionnellement moins fortes que celles des autres offensives. Celle-là, exécutée sur un front de 30 kilomètres, entraîna la mise hors de combat de 108.000 hommes.

Celle de Champagne, en 1915, sur un front de 40 kilomètres, avait coûté 128.000 hommes.

La 5e Armée (Mazel) avec 16 divisions d'infanterie engagées, avait perdu 49.526 hommes; la 6e Armée (Mangin), avec 17 divisions d'infanterie, 30.296 hommes ; la 10e Armée (Duchêne), avec 9 divisions d'infanterie, 4.849 hommes ; la 4e Armée (Anthoine), engagée partiellement, 21697 hommes, et là 3e Armée (Humbert), qui ne fit qu'une démonstration, 1486 hommes.

 

A partir de mai, l'armée française traverse une grave crise qui engendre des mutineries.

 

Les généraux NIVELLE et MANGIN sont limogés.

Le général PETAIN prend le commandement le  17 mai. Il commence par mettre en place des mesures d'apaisement et prépare avec minutie une offensive limitée dans le secteur ouest du Chemin des Dames autour du Fort de La Malmaison.

 

Lancée en octobre 1917, cette opération est un succès (cliquez ici, pour le détail). Les Allemands sont obligés de se replier au nord du Chemin des Dames, dans la vallée de l'Ailette.

Les troupes françaises retrouvent la confiance.

 

 

Une conséquence, plus désastreuse encore et qui aurait pu nous être funeste, ce fut l'indiscipline.

Les mutineries, qui avaient commencé au début de mai et que les opérations actives avaient arrêtées, reprirent de plus belle.

Des compagnies, des bataillons, voire des divisions, refusèrent de monter aux tranchées, et quelques-unes prirent le chemin de Paris. Le retour à la discipline allait être la première tâche qui s'imposerait au nouveau Généralissime.

Le général Pétain sut y exceller.

 

Donc, cette fameuse offensive produisit des résultats positifs appréciables. Et pourtant ceux-ci eurent des conséquences morales déplorables. La faute en fut surtout aux campagnes sournoises qui entourèrent cette offensive et qui créèrent dans le pays un état d'esprit où dominaient les théories pacifistes et les solutions défaitistes.

 

Enfin cette offensive, voulue pour des raisons politiques et arrêtée pour d'autres raisons politiques, ne pouvait se passer d'un dénouement politique.

Elle l'eut sous la forme d'un comité secret qui se tint au Palais-Bourbon pendant sept jours (fin juin-début juillet 1917); les interpellations et les ordres du jour au nombre d'une quinzaine disent assez avec quelle violence on discuta « de la politique de guerre que commandaient les récents événements politiques et militaires », de « la façon dont avaient été préparées, décidées et conduites les dernières opérations », et « des mesures prises pour mettre à profit les enseignements de la guerre actuelle et l'emploi des engins nouveaux».

 

A cette occasion, on rappela toutes les légendes, toutes les désillusions, on fit revivre tous les racontars et les haines, les jalousies, les animosités personnelles...

Le Gouvernement, qui n'était déjà plus très solide, s'associa aux critiques dirigées contre l'opération, quoi qu’il eût eu sa part des responsabilités.

Il déclarait pourtant : « Nous finirions vraiment par nous persuader à nous-mêmes que ces journées ont marqué un échec pour nos armes, alors qu'en réalité elles ont été un succès, payé cher il est vrai, mais néanmoins glorieux. »

 

 

Texte tiré de « La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes  Aristide Quillet, 1922 »

 

 

 

Je possède le guide Michelin de 1920 « guide illustré des Champs de bataille : Le Chemin des Dames »,

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Suite des opérations :   Verdun (1917)

 

 

D’autres épisodes de la bataille du chemin des Dames :

Combats à Berry au Bac et Juvincourt

Les combats à Soupir  

Bataille de Laffaux   

Combats pour Loivre et Berméricourt 

 

 

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