Voilà ce que Jannine GER…m’écrit en décembre 2003 :
« J'ai un oncle qui est décédé le
Lors d'un passage en Lorraine, je suis allée à Lagarde où j'ai bien retrouvé sa
tombe dans le cimetière français.
Pour essayer d'en savoir un peu plus sur ce qui s'est passé ce jour-là, je me
suis rendue à la mairie qui possède un classeur où l'ancien secrétaire et
instituteur du village, qui venait de décéder, s'était penché sur cette
bataille passée sous silence qui ne figure ni dans les livres d'histoire ni aux
archives départementales de la Moselle.
Il a regroupé ses recherches dans un classeur qui se trouve donc
à la mairie. »
Tout ce travail de recherches
a été fait par l'ancien secrétaire de la mairie de Lagarde (actuellement
décédé) afin que cette horrible bataille ne soit pas oubliée. Merci à lui.
Lorsqu’ éclate la guerre le
Selon le « plan XVII » adopté par Joffre en 1913, cinq armées s’échelonneront de Montbéliard aux Ardennes belges. Les généraux Dubail, Castelnau, Ruffey, Langle de Cary et Lanrezac en assureront le commandement.
Dès le 5 août, les forces de cavalerie du Général Sordet franchissent la frontière en direction d’Arlon et Bastogne.
Le 6 août l’Allemagne publie ce rapport officiel laconique : Briey est occupé par les troupes allemandes. Pour la premières fois la garde des frontières allemande étendait ses opérations en territoire français.
Le 8 août, un autre corps de troupes français sous les ordres du général Bonneau fonce sur la trouée de Belfort et arrive triomphalement à Mulhouse.
Ce ne sont là de part et d’autre de la frontière franco-allemande que des succès éphémères, consécutifs à des opérations de reconnaissance. Quelques jours plus tard les généraux Pau, Dubail et Castelnau lancent des attaques sur Sarrebourg et Morhange. Ces offensives se brisent sur l’artillerie ennemie. Le général Pau se replie sur les Vosges. Dubail et Castelnau sont obligés de décrocher et leur repli s’effectue au prix d’énormes pertes infligées par les troupes du Kronprinz de Bavière.
C’est dans le contexte de cette « BATAILLE DES FRONTIERES », que se dérouleront, en prélude à la Bataille de MORHANGE et de SARREBOURG qui du 18 au 20 août fera plus de 10.000 victimes de chaque côté, les sanglants combats de LAGARDE, le 11 AOUT 1914.
11
AOUT 1914
Au cours des quelques jours qui ont suivi le déclenchement
de l’impitoyable bataille de LAGARDE, le décrochage dela IIème armée française commandée
par le général Edouard de Curières de Castelnau, entraîne le repli de la Ière
armée sur l’ensemble du front.
Sous les
coups des Bavarois qui ont réuni les moyens d’une solide offensive, certaines
unités se débandent. Au cœur des combats, des sanctions sont prises, des
colonels sont relevés de leur commandement.
On tente
d’arrêter les fuyards afin d’organiser de nouvelles positions de défense.
Une
contre-attaque lancée par le général BLAZER fait avorter l’offensive allemande.
Afin de conduire cette attaque dans de bonnes conditions, le haut commandement reçoit le renfort de plusieurs corps d’armée du Midi : le XVème de Marseille, le XVIème de Montpellier, le XVIIIème de Bordeaux et le VIIIème de Dijon. Dans le dispositif français, le XVème corps occupe la droite de la IIème armée, s’intercalant entre le XXème corps de Foch et le XXIème Corps de Legrand appartenant lui à la Ière armée commandée par le Général Dubail. Parti du front Einville-Fraimbois, au nord-est de Lunéville, et longeant le sud de la forêt de Parroy, le XVème Corps rencontre une vive résistance ennemie : la prise de contact des méridionaux avec la Lorraine est difficile. Plusieurs fois, ils devront charger à la baïonnette.
Les Allemands s’étonnèrent beaucoup de la présence des troupes du XVème Corps d’armée français sur le front lorrain alors que son quartier général est établi à Marseille. Une explication leur fut donnée par les premiers prisonniers français : le quartier général avait été déplacé à Lunéville quelques semaines avant la déclaration de guerre. En outre, début mai, la plupart des garnisons françaises de l’ouest avaient systématiquement été déplacées sur les ouvrages fortifiés de l’est afin de renforcer les défenses de la frontière.
D’ailleurs, les Allemands y verront là la preuve irrécusable que la France était prête depuis longtemps à agresser l’Allemagne par tous les moyens.
Dès le 10
août, le
général Lescot qui commande la cavalerie de Lunéville, juge
« opportun » de faire attaquer le village de Lagarde, au nord-est de
Lunéville, par une brigade mixte. Cette attaque est confiée entre autre à deux
bataillons, venus d’Avignon et de Nîmes, et notamment au 3ème
bataillon du 58ème
Régiment d’infanterie.
Le village,
situé dans la vallée de Sânon, en bordure du Canal de la Marne au Rhin, est
occupé par une section garde-frontière allemande. Inférieurs en nombre et
malgré une solide position établie derrière le bois Chanal, entre Lagarde et
Bourdonnay, les Allemands sont obligés de quitter le village. Ils en sont
chassés dès le 10 août au soir. Il n’y eut point de combat car les postes
frontières et avant gardes allemands jugèrent plus prudent de se retirer.
Pendant que
les divers éléments des troupes françaises engagées dans cette action de
reconnaissance occupent notamment le bois du Haut de la Croix, un détachement
spécial formé d’un bataillon du 40ème Régiment d’infanterie de Nîmes et du 3ème
Bataillon précité sous les ordres du Lieutenant-Colonel HOUDON s’établit dans
le village abandonné quelques instants
auparavant par les 3 compagnies
d’infanterie allemande.
La nuit est
mise à profit par les Français, pour établir des nids de résistance et des
barrages sur les routes conduisant au village.
Le repli
allemand n’est cependant qu’éphémère et cette même nuit, à Dieuze, le Général
allemand VON STETTEN qui commandait une division de cavalerie bavaroise et le
général de la 42ème Division d’Infanterie décident de lancer une
attaque contre Lagarde.
Le 2ème
bataillon de chasseurs bavarois en garnison à Aschaffenburg est dépêché en
renfort. En raison de la supériorité des Français et des difficultés offertes
par la configuration du terrain boisé de la région, une attaque de nuit sur
Lagarde est exclue par le commandement allemand.
En
attendant le matin, les chasseurs allemands creusent des tranchées de tir. Une
action commune est convenue entre la Compagnie d’Infanterie et celle de
cavalerie appartenant aux troupes garde-frontière. Une batterie d’obusiers du 8ème
Régiment d’artillerie viendra en appui et a pour mission de progresser dans la
forêt du Bois Chanal et de prendre position sur les hauteurs du « Haut des
Vignes » d’où l’on domine le village de Lagarde.
L’intention
allemande est d’attaquer de front, puis couvert par l’artillerie, d’assaillir
Lagarde et ses occupants par le flanc.
Côté
français, on ne reste pas inactif. Le 3ème bataillon du 58ème Régiment d’Infanterie se trouve à l’ouest du village, épaulé
par des éléments du 40ème
Régiment d’infanterie.
Alors que
la 9ème Compagnie couvre le bataillon à l’Est, les 10ème,
11ème et 12ème Compagnies se trouvent à proximité
immédiate du cimetière. Le chef de bataillon CORNILLAT est en position avec ses
troupes au Sud-est du cimetière.
Le 11 août
à
Elle
prendra la place de la 12ème Compagnie du Capitaine CARNOY au
carrefour Xures-Ommeray et s’y reposera.
L’attente
d’une attaque imminente est insupportable.
Des
incidents éclatent dans le Bois du Haut de la Croix occupé par les troupes
françaises : une patrouille avancée tombe sur les sentinelles françaises
non averties de cette reconnaissance. Croyant avoir affaire aux Allemands, les
sentinelles ouvrent le feu afin de donner l’alarme et atteignent un fantassin
français à la cuisse.
« Soudain
des coups de feu déchirèrent l’air et nous firent tous tressaillir en même
temps qu’un cri de douleur se fit entendre, écrit Monsieur l’Abbé GEORGE,
aumônier du 40ème
Régiment d’Infanterie. Un
tremblement nerveux secoue notre être, chacun a l’oreille tendue et retient sa
respiration... Mais voici qu’à travers les arbres des silhouettes se meuvent,
s’approchent et bientôt nous mettaient en présence du premier blessé. Un
lieutenant ayant fait reculer ses hommes avancés en patrouille, ils étaient
tous tombés sur les sentinelles non averties qui crurent avoir affaire aux
Boches et tirèrent pour donner l’alarme. Heureusement encore que cette méprise
n’avait causé qu’une victime : Une balle lui avait traversé la cuisse de
part en part. Je me souviens de l’émotion que nous produisit la vue de cette
plaie, du premier membre fracassé. La douleur du pauvre soldat nous fendait
l’âme. C’était de mauvaise augure, et l’on avait déjà de sinistres
pressentiments. Après l’avoir pansé de notre mieux, on évacua le blessé et le
calme se rétablit ».
L’Abbé
GEORGE ajoute :
« Cependant,
le sommeil semblait devoir me gagner et je sommeillais lorsqu’un bruit de
moteur nous fit de nouveau sursauter, vers
Au lever du jour, les troupes ennemies lancent leur attaque. Le bataillon de
chasseurs bavarois, une compagnie du 131ème régiment d’infanterie et
une batterie du 8ème Régiment d’Artillerie prennent à Bourdonnay, la
route de Lagarde.
Bientôt,
ils se trouvent en face de leurs adversaires des 58ème et 40ème Régiments d’Infanterie
et du 19ème Régiment d’Artillerie. Selon des témoignages de soldats allemands blessés au
cours de l’affrontement, le combat se déroulera pendant sept heures, sous une
chaleur accablante et contre un adversaire bien supérieur et solidement
retranché.
Les
Français ont installé des retranchements dans les champs sur une longue
distance. Pour faire obstacle à la
cavalerie allemande, les fantassins français avaient parsemé le sol de
sauts-de-loup, c’est-à-dire de puits recouverts de foin et d’herbe. La lutte
est acharnée, meurtrière.
Les soldats
français aux voyantes couleurs, les officiers aux brillants galons s’élancent
courageusement à l’orée du bois. Les couleurs éclatantes de leurs uniformes,
pantalon rouge et capote bleue, contrastent avec la sobriété des tenues gris
verdâtre des fantassins allemands, et nos braves tombent aussitôt sous les
balles des Allemands qui demeurent invisibles.
Demande
de carte plus détaillée
Nota :
C’est pour sauver la culture de la garance, une plante cultivée dans les
départements méridionaux et dont la racine fournit l’alizarine, une substance
colorante rouge, que les soldats français seront ainsi vêtus jusqu’en 1915 de
l’éclatant pantalon rouge.
Une
batterie de 75 française défend ardemment
Deux
batteries françaises particulièrement dangereuses sont prises sous le feu ennemi.
Avant de subir l’assaut des Allemands, les officiers d’artillerie font sauter
leurs pièces. Il faut alors songer au repli et abandonner les positions dans la
forêt du Haut de la Croix.
Serrés de
près par les Uhlands, la retraite vers Xures s’effectue dans des conditions
épouvantables.
La bataille
pour la conquête de Lagarde commence vers huit heures, heure à laquelle le 40ème R. I. essuie les premiers coups de feu.
Le Chef de
bataillon CORNILLAT s’attend à une attaque.
Il en avise
le Capitaine de la 12ème Compagnie et rappelle la 9ème
sur ses emplacements de combat. Quelques cavaliers ennemis, sans doute des
Uhlands, sont aperçus.
Les
éclaireurs du 40ème
et du 58ème
partent en reconnaissance entre
Tout-à-coup,
une forte ligne de tirailleurs ennemis surgit des crêtes avoisinant le village et l’artillerie allemande, très
supérieure en nombre et en calibre, ajuste ses tirs meurtriers.
L’attaque
décisive pour la conquête de Lagarde est déclenchée. Il est alors
Les
Allemands craignent nos canons de 75 mm dont les tirs sont d’une extrême
efficacité. Aussi, dès le début des combats, les batteries de 75 du 8ème Régiment d’Artillerie et du 19ème Régiment d’Artillerie de Campagne sont l’objet d’un pilonnage des
obusiers allemands et sont rapidement réduites au silence.
Quittant
leurs retranchements, les fantassins du 2ème Bataillon de Chasseurs
bavarois entrent dans
Vers
Nos
artilleurs sont bientôt accrochés par l’infanterie ennemie.
Malgré les
efforts de nos fantassins pour la dégager, notre artillerie est désormais
incapable de jouer le moindre petit rôle dans
Deux
régiments de Uhlands jusqu’à ce moment tenus en réserve sur le domaine de
Marimont, sont appelés en renfort. Plusieurs escadrons chargent et se font
massacrer par la 11ème Compagnie. « Ils furent complètement
fauchés par les mitrailleuses » écrira sur son carnet de route un
médecin-major allemand fait prisonnier le
A
Vers
Les
mitrailleuses font des ravages dans les rangs français, dont la tenue rouge et
bleue ne passe pas inaperçue. Malgré le feu des mitrailleuses du 3ème
bataillon, les chasseurs bavarois parviennent à déborder la gauche du
détachement. La fusillade partant des maisons maintenant toutes proches, ne
réussit pas à enrayer la manœuvre d’encerclement. La résistance faiblit de
minute en minute. Les troupes françaises subissent des pertes cruelles sous le
feu de l’infanterie et de l’artillerie. Les tirs s’amenuisent. Attaqués de
trois côtés, les soldats français n’offrent plus qu’une faible résistance.
Vers
Le
commandement allemand donne alors l’ordre de l’assaut final.. Soutenu par le feu grondant de sa 2ème
Compagnie et de la 8ème Compagnie du régiment d’infanterie, le 2ème
Bataillon de chasseurs bavarois du lieutenant Colonel LETTENMAYER s’élance.
Toute la 1ère ligne du 3ème Bataillon français est
anéantie et là où les Français résistent encore, l’ennemi lance à nouveau ses
Uhlands.
Lances
baissées, ils pénètrent dans le village. Accueillis par un tir nourri partant
des maisons, des granges et même du clocher de l’église, ils succombent en
grand nombre. En un clin d’œil, 70 selles se vident : hommes et chevaux
roulent, touchés à mort, sur le sol. Cette chevauchée macabre ouvre cependant
la voie aux chasseurs. Dans les rues s’engage alors un combat cruel. Baïonnette
au canon, on attaque, on résiste.
Entre
Cette
sanglante journée a coûté aux diverses unités
engagées dans la bataille, unités françaises et allemandes confondues, une
quinzaine d’officiers et 969 hommes tués, blessés ou prisonniers. Monsieur
POIRE de Moussey a vu passer des chariots chargés de paille sur laquelle
reposaient de nombreux blessés que l’on évacuait vers les arrières. Une autre
source fait état de 300 tués, 700 blessés et 1000 disparus.
Les corps
de tous ces braves ont été rassemblés dans deux cimetières
Dans le cimetière situé à l’ouest du
village ont été rassemblés 552 soldats français tombés au cours de cette
sanglante bataille. Seuls 232 corps ont pu être identifiés : 204 reposent
dans des tombes individuelles, 28 dans deux ossuaires situés de part et d’autre
d’une stèle centrale rappelant le nom des diverses unités ayant participé aux
combats : les 3ème
, 22ème, , 30ème , 40ème, 58ème ,
63ème , 96ème , 97ème , 111ème ,
112ème , 114ème et 141ème Régiments
d’Infanterie, appuyés
par les 8ème
et 19ème Régiments d’artillerie de Campagne et auxquels s’étaient joints quelques
éléments du 11ème
Régiment de Hussards.
Toutes ces
troupes appartenaient aux IXème ,,
XIVèmee , XVème et XVIème Corps d’Armées.
Ce sont le 40ème R.I.
et surtout le 58ème
R.I. qui ont payé le plus lourd tribut.
On ne
réussira à mettre un nom que sur 100 fantassins du 58ème : 89 soldats, un 1ère classe, 1 clairon, 7
caporaux, 3 sergents, 1 sergent fourrier, 1 adjudant, 1 sous-lieutenant, 1
lieutenant et un capitaine.
Du 40ème
R.I., on identifiera 59 corps : 55 soldats, 1
sergent, 2 lieutenants et 1 capitaine.
Le 19ème R.A.C. subira lui aussi de lourdes
pertes : 1 trompette, 10 soldats, 2 brigadiers, 6 maréchaux des logis, 1
chef-pointeur, 1 adjudant chef, 1 capitaine et un chef d’escadron.
Dans
l’ossuaire gauche , ont été rassemblés les restes de 171 officiers,
sous-officiers et soldats et parmi eux figurent 159 inconnus. Dans celui de
droite reposent 181 officiers, sous-officiers et soldats dont 163 inconnus.
Les
Allemands dans un communiqué officiel du 11 août déclareront : « Une
brigade avancée, de toutes armes du XVème Corps d’armée français a été attaquée
par nos troupes de sécurité, à Lagarde, en Lorraine.
L’ennemi,
essuyant de lourdes pertes, a été refoulé dans la forêt de Parroy et a laissé
entre nos mains un drapeau, deux batteries, quatre mitrailleuses et 700
prisonniers. Un général français a été tué ».
Le 12 août, ce communiqué est complété par un
autre, plus bref mais aussi dur :
« A
Lagarde, plus de 1.000 prisonniers de guerre non blessés sont tombés aux mains
des troupes allemandes : cela correspond à un sixième des deux régiments
français qui combattaient ».
De source
allemande, on estime que l’effectif des troupes françaises engagées à Lagarde,
s’élevait à environ 7.000 hommes, 12 canons et 12 mitrailleuses.
Les
victimes allemandes reposent dans un autre cimetière situé à l’est du village.
Parmi les
380 combattants qui y sont inhumés, 220 ont succombé au cours des combats du
Les charges
successives des régiments de Uhlands se solderont par de lourdes pertes :
Ce sont 54 cavaliers du 1er Régiment et 49 du 2ème
Régiment qui rouleront dans la poussière.
Les
Allemands perdront en outre 304 chevaux. L’infanterie enregistrera, elle aussi,
de nombreuses victimes : le 131ème Régiment d’infanterie perdra
63 fantassins alors que 21 hommes du 138ème Régiment et 30 hommes,
sous-officiers ou officiers du 2ème Bataillon de Chasseurs bavarois
d’Aschaffenburg trouveront la mort au cours des combats impitoyables que se
livreront soldats français et soldats allemands.
Selon des
témoignages d’habitants ayant vécu la bataille, de l’Eglise à la sortie ouest
du village, et particulièrement autour de l’église et au carrefour des routes Xures-Ommeray,
la rue était jonchée de cadavres de chevaux, de corps de soldats français et
allemands. Les caniveaux ruisselaient de sang.
L’imagerie populaire allemande, tout en exagérant certainement, nous
donne une idée de la sauvagerie de l’assaut final (voir dessin ci-contre).
Un certain
mystère plane encore de nos jours sur
cette bataille de Lagarde comme en témoigne cette lettre du
Ce que vous
ne savez peut-être pas et qui a dû arriver à toutes les familles des soldats
disparus les 10 et
Les
journaux de l’époque ne parlent que très peu de
Cependant,
la même revue dans son numéro 3730 du
Dans le N° 3967 de la même revue parue
le
Une carte incluse dans l’article du
Commandant A.Grasset mentionne un repli des troupes françaises sur les
frontières de l’Est dans la région des Etangs mais à partir du 24 août dit
Quant à la population de Lagarde, elle
s’était réfugiée dans les caves et n’eut point de morts à déplorer.
Madame MERCY née MEAUX Marie, alors
âgée de huit ans raconte ;
« Je me souviens parfaitement
de la veille de
Sans doute s’agissait-il d’une balle
tirée par un Allemand se repliant sur Bourdonnay à l’approche des Français.
Arrivés à la maison, nous nous sommes précipités dans notre cave.
Lorsque nous avons tenté de remonter,
nous avons aperçu un pantalon rouge. Nous avons pris peur mais une voix nous a
rassurés en disant : « Ne craignez rien ! Nous ne voulons pas
vous faire de mal ! ».
« Pendant la bataille du lendemain,
continue Madame MERCY, nous nous sommes à nouveau réfugiés dans notre cave. Mon
frère Charles pleurait car il avait peur du bruit infernal que faisaient les
mitrailleuses françaises en position dans la maison forestière, voisine de la
nôtre » .
Un détail est resté gravé dans la
mémoire de Madame MERCY :
« Un soldat français nommé
SABI, je me souviens très bien de son nom dit-elle, avait demandé poliment à ma
mère si elle voulait bien accepter de lui faire cuire une poule. Elle a répondu
affirmativement avec plaisir. Malheureusement, lorsque le moment de manger la
poule est arrivé, l’attaque allemande a
chassé les Français du village. C’est un Allemand qui, sans rien demander, a
dévoré le repas de notre infortuné fantassin français, ne laissant que la
carcasse « pour les enfants » avait-il dit en guise de remerciements ».
Malgré la violence des combats au
cours desquels, affolés par la canonnade, la mitraille et les coups de fusils,
les chevaux vidés de leur cavalier tentent vainement de pénétrer dans les
couloirs des maisons pour y trouver refuge.
Madame MERCY nous confirme qu’aucune
victime civile n’a été à déplorer au cours de la bataille.
Cependant, Eugène THIBEULT, originaire
du village et qui avait été mobilisé au 138ème
Régiment d’Infanterie en garnison à Dieuze, fut tué
comme soldat allemand, selon certains à l’entrée du village, selon d’autres à
la Tuilerie.
D’autre part, Monsieur Albert HENRY,
grand-père de Monsieur Marcel HENRY, a été blessé dans sa maison. Aux dires de
certains, les Allemands auraient tiré à travers la porte alors qu’il les
observait. Transporté à Dieuze, personne n’a jamais plus eu de nouvelles de lui
et nul ne sait ce qu’il est devenu par la suite.
Monsieur Emile RIEGER, qui plus tard
sera agriculteur au Moulin du Gué-de-Laxat, était artilleur et servait une
batterie allemande sur les hauteurs de Marimont. En outre, deux autres jeunes
gens de Lagarde, Auguste LECLERE et Edmond DURAND, participèrent dans les rangs
de l’armée allemande, à la bataille de leur village : le premier comme
artilleur, le second comme fantassin (C’est lui qui, le premier, connaîtra le
triste destin d’Eugène THIEBEULT).
Le père d’Auguste LECLERC ainsi que
son commis de culture Joseph MEAUX furent fusillés tous deux, à
Leurs cadavres resteront plusieurs
heures à même le sol avant d’être enlevés par leur famille
respective ». Ils avaient été
accusés d’avoir favorisé l’ennemi, ce qui d’ailleurs n’a jamais été prouvé.
Cependant, il est certain que des soldats français ont été trouvés dans la
grange de
L’odeur de la poudre et l’eau-de-vie
accroissaient l’excitation des soldats allemands et le moindre petit incident
pouvait avoir des conséquences dramatiques. Madame Maria BIER ne fut-elle pas
conduite puis internée à VIC-SUR-SEILLE tout simplement parce que ses pigeons
étaient en liberté ? Que serait-il
advenu à André CASTAGNET, âgé de 82 ans, s’il avait été surpris par les
Allemands alors qu’il aidait à soigner les blessés français.
L’énervement des soldats allemands
était tel qu’ils n’hésitaient pas à tirer par les soupiraux des maisons
lorsqu’ils entendaient les personnes réfugiées dans les caves s’exprimer en
français. C’est dans de telles circonstances qu’une jeune fille, Mademoiselle
Henriette FALENTIN, eut deux doigts sectionnés par une balle alors qu’elle
avait trouvé refuge dans la cave de Monsieur Henri MAIRE.
« Je me souviens encore de
l’exécution de Monsieur Charles LECLERE de Vaucourt, dans les jardins de
C’était un peu plus tard, le
Ce combat eut un retentissement très
important aussi bien en France qu’en Allemagne.
Même s’il n’était que les
préliminaires de la grande bataille qui devait se dérouler les jours à venir,
il devait avoir une grande influence sur le moral des combattants : la
confiance en soi des troupes allemandes s’en trouva énormément renforcée alors
que, suit à ce fâcheux baptême du feu, la confiance côté français s’en trouva
très amoindrie.
Pourtant, lors de ces combats maintes
preuves de bravoures et de hardiesse furent constatées. « Le Chef de bataillon
CORNILLAT, atteint de plusieurs blessures, ordonne à ses hommes de
l’abandonner sur le terrain et de continuer à combattre » (Extrait du
carnet de route du Régiment).
Le sous-lieutenant DURAND de FONTMAGNE
n’hésite pas à faire cesser le feu de ses hommes, à sortir du fossé qui leur
sert d’abri, pour se rendre compte de la situation et leur montrer que les
Allemands tirent trop haut et qu’il est encore possible de tenir. Il
« réussit à ramener dans les lignes françaises les hommes disponibles et
plusieurs blessés. Il fut blessé mortellement le 19 août » (extrait de l’historique du régiment).
Outre-Rhin, on se félicita de la
manière dont s’était déroulée cette bataille. Non seulement la 1ère
mitrailleuse française de la guerre 14-18 fut conquise à LAGARDE, mais aussi
c’est au cours de cette bataille que le 1er drapeau français tomba
aux mains des chasseurs d’Aschaffenburg, comme le relate le lieutenant-colonel
LETTENMAYER : « Un chasseur de la 1ère compagnie réussit à
s’emparer d’un drapeau français. Mais comme à ce moment on tirait, en
provenance d’une maison, sur les gens qui se trouvaient près de lui, il appuya
le drapeau contre un mur, pour riposter. Entre temps un membre du 131ème
ou du 138ème régiment d’infanterie s’empara du drapeau ». (Traduit de l’Allemand : RECITS DE
GUERRE ILLUSTRES : Le baptême du feu du deuxième bataillon de chasseurs
bavarois à LAGARDE).
Côté français, le Général de Castelnau
est furieux et donne des instructions pour « éviter les engagements
inutiles ». Dès l’issue de la bataille et avant de continuer la campagne, il limoge le
Général LESCOT, commandant la 27ème
Division de Cavalerie de Lunéville, responsable de l’ «immense
faute » de LAGARDE, et jugé trop inapte au combat.
Elle demeure inconnue des militaires
et des chercheurs. Peu-être un élément de réponse à cette question se
trouve-t-il dans cette analyse allemande : le fait que l’avance française
ait été entreprise par une brigade mixte laisse supposer qu’une reconnaissance
en force en pays ennemi a été envisagée par le commandement français.
Une telle opération souvent évoquée
dans l’Histoire militaire est mieux conduite lorsqu’elle est exécutée par de
grands groupes de cavalerie. L’adjonction de troupes à pied diminue la mobilité
de la troupe et restreint énormément ses capacités de manœuvre. Trop faible
pour s’attaquer à un adversaire expérimenté et se rassemblant promptement, la
brigade mixte est alors encerclée la plupart du temps par des forces plus
puissantes et est ensuite anéantie.
Dans la plupart des cas il n’est pas
possible de porter secours à un tel détachement de reconnaissance. Si toutefois
c’est le cas, le commandant en chef est alors contraint à une bataille qui se
déroulera dans des conditions défavorables et dont l’issue ne fat aucun doute.
Est-ce cette erreur qui a été commise à Lagarde ?
Les Allemands semblent le prétendre.
Cette erreur ou cette défaillance, si
défaillance il y a eu, mais plus particulièrement celle qui suivit au cours de
la bataille de MORHANGE fit l’objet d’une polémique très virulente.
On reprocha au Commandement d’avoir
commis une « grave faute », anéantissant en quelques heures les
avantages acquis les jours auparavant. Dans un article du sénateur Gervais,
paru dans le numéro du Matin du
Les récits des témoins font mention
d’un « effondrement complet de la discipline ». D’autres affirment
avoir vu des «soldats monter sur des charrettes de paysans », ou s’emparer de « chevaux d’officiers
pour fuir plus vite ». Il faut poster des gendarmes à l’arrière pour
retenir les déserteurs.
Ces témoignages semblent corroborer
celui de l’Abbé GEORGES, aumônier au 58ème
R.I. d’Avignon,
qui, relatant un incident vécu le
« J’étais couché au repos dans
le fossé de la route allant de Coincourt à Xures, lorsque j’avais aperçu cet
officier que je ne connaissais pas encore. Il était descendu de cheval et
parlait à un lieutenant laissant respirer quelques-uns de ses hommes échappés
au massacre. Visiblement en proie à une violente agitation, un rictus nerveux
contractait étrangement son visage. Il
disait textuellement, en parlant de ses soldats : « Il se sont enfuis
comme des péteux... ». Et Dieu seul savait qu’il pensait en
lui-même : « Si j’en rencontre un, je le brûle !... ». Il
avait ensuite enfourché son carcan et s’en était allé comme un fou ..........
Le Capitaine BLANC mourut ensuite au champ d’honneur tué à l’ennemi......
Que penser encore de ce témoignage d’un combattant allemand ayant vécu la bataille de
Lagarde et relaté dans un livre édité
outre-Rhin :
« Nous avons atteint à présent la
route de Nancy et j’écris auprès du feu de camp. Nous avons reçu le baptême du
feu. « Sus à
l’ennemi ! », tel était le souhait le plus ardent de tous, et
comme il a été exaucé ! En chemin,
nous avons appris la chute de Liège, ce fut une joyeuse nouvelle ! « L’Allemagne, l’Allemagne, maîtresse du
monde », c’était la réponse que nous donnions.
Le dimanche nous arrivâmes peu avant
Lagarde et nous rencontrâmes nos troupes afin de les renforcer. Le lundi, tout
était encore calme : personne n’imaginait que dans quelques heures déjà
allait éclater ici un violent combat. De petites escarmouches isolées avaient
déjà eu lieu avec les troupes frontalières, insignifiantes toutefois.
Le lundi, nous vîmes notre premier
prisonnier français. Comme il avait mauvaise mine, amoché, rapiécé ! Nous étions encore absorbés dans nos
discussions lorsque arrivèrent quelques informations venant des avant-postes et
qui laissaient supposer que la bataille
allait s’engager.
Et en effet l’après-midi débuta le
tapage. Mon Dieu ! C’était une
danse sur la verte prairie. Nous nous sommes battus courageusement ; notre
général toujours en tête et nous qui le suivions. Balles et éclats de mitraille
sifflaient au-dessus de nos têtes,
atteignaient certains d’entre nous, mais le mot d’ordre était « En
avant ! En avant ! « Nous
progressions avec efficacité. La bataille déferlait violemment.
Nos soldats en gris verdâtre
avançaient avec détermination et énergie. Nous ne cessions de progresser et bientôt
nous tombons sur des soldats français blessés ou morts, ce qui augmentait notre
courage. Pour nous, la bataille cessa
trop tôt. L’aile gauche française recula et c’est ainsi que ce fut fait. A
présent les Français ne pouvaient plus tenir et s’enfuyaient. Tu aurais dû voir
comme les pantalons rouges détalaient dans le désordre le plus complet. Ce fut
encore notre cavalerie qui prit les rênes et se chargea de
« Le 11 août fut une grande
journée pour notre régiment. Ce fut une chevauchée de la Mort, au sens propre
du terme contre l’artillerie, les mitrailleuses et l’infanterie. Le cinquième
escadron, qui ne pouvait plus participer en raison de l’occupation d’un pont
est très triste. C’est mon escadron qui a le plus souffert, car ayant eu
l’attaque la plus difficile : des 142 hommes, il en restait 58 à l’appel
et parmi ces 58 survivants, beaucoup n’ont pas participé à l’attaque, car ils
étaient en patrouille. Le soir du jour de la bataille, je rentrais seulement
avec 27 hommes et 3 sous-officiers. J’étais le seul officier. Mais le succès,
tout particulièrement au point de vue moral, est sublime. Nous avons prouvé ce
dont nous étions encore capables et que les lanciers et les Uhlands si redoutés
de tout temps par les Français, n’ont rien perdu de leur fougue. Les soldats se
sont battus à merveille et ainsi le 11 août sera à jamais pour notre régiment
un jour de gloire et cette attaque de Lagarde, l’un des plus vaillants exploits
de
Comment est-ce arrivé ? Nous
couvrions sans cesse des parcours fatigants, tantôt en France, tantôt en
Lorraine, sans voir ni accomplir du reste quelque chose de particulier.
Le 11 août, je n’ai pas songé à la
gravité de la journée lorsque nous sommes sortis le matin, dans la bonne humeur
comme de coutume. Alors, à
Déjà arrivaient les premiers Français
qui capitulaient. Nous devions être très prudents, car les gars blessés au sol
canardaient encore. Un fantassin me tendit son bidon. Au moment où je veux le
saisir, une balle lui passe entre les doigts.. Nous fîmes débarrasser les
prisonniers de leurs pantalons rouges et de leurs chemises, et ainsi nous
récupérâmes auprès de notre compagnie 150 pièces. Ils venaient tous vers nous
les mains en l’air ; Finalement les pauvres gars, qui en partie étaient
blessés et gisaient autour de nous, faisaient pitié. Parmi eux des gars de
16-17 ans. Je leur donnais encore ce que j’avais sur moi en paquets de
pansements et chocolat et leur fis chercher de l’eau. De ma vie, je n’ai reçu
autant de baisers sur les bottes et les mains. Sans cesse, ils criaient :
« Nous ne voulons pas la guerre ! » et « Vive l’Allemagne ».
Lorsqu’à l’arrière un des drapeaux de notre bataillon fut en vue, ils
s’écrièrent : « Oh ! Le drapeau allemand ! Vive
l’Allemagne ! Hissez le drapeau allemand ! ». A 60 pas de nous, le reliquat des Français se
repliait de l’autre côté du pont de l’écluse du canal de la Marne au Rhin. Nous
tirâmes dans le tas. C’était terrible. De l’autre côté se trouvait la fontaine
où nous nous revigorâmes après le combat victorieux. Pour y accéder, nous avons
dû enjamber des tas de morts et de blessés. De l’autre côté, à environ cent pas
de nous, se trouvait une batterie ennemie détruite. A tout instant éclataient
les balles dans les voitures de munitions. Face à tout cela, on restait calmes
et indifférents. Je m’étonne de moi-même, vu mon caractère, je ne l’aurais jamais
envisagé. Le danger que nos propres troupes tirent sur nous existait toujours,
surtout parce que les nôtres ne pouvaient pas savoir que les nombreux Français
reconnaissables à leurs pantalons rouges étaient des prisonniers. Très
judicieusement, j’ai alors fixé à une longue perche un rideau de couleur
relativement blanche qui flottait au-dessus de nous comme protection.
A l’aide de plusieurs chevaux
capturés, parmi lesquels un cheval d’artillerie, j’ai cherché à nouveau mon
régiment et l’ai trouvé alors
qu’arrivaient particulièrement harassés chevaux et cavaliers. C’est à ce moment
là seulement que j’appris nos lourdes pertes, mais aussi notre belle
victoire ».
Ces témoignages sont certes
troublants, parfois choquants et nous blessent dans notre amour propre de
Français. Mais sans doute sont-ils empreints de chauvinisme et nous nous
garderons bien d’émettre des hypothèses et d’établir un jugement sur les
combattants de LAGARDE. De la bataille, nous ne retiendrons, par respect des
braves qui y trouvèrent la mort, que les faits glorieux.
Tout rentrera d’ailleurs dans l’ordre
et le discrédit jeté sur les soldats du 15ème corps et en
particulier du 58ème Régiment d’infanterie
d’Avignon sera définitivement lavé par Monsieur
Louis TISSIER, député du Vaucluse qui, dans son rapport adopté par le groupe
interparlementaire des représentants de la
XVème région militaire dans sa séance du
C’était notamment le 58ème Régiment d’Infanterie d’Avignon, décimé près de Xures, le 7ème Génie, également
d’Avignon, et le 40ème d’Infanterie de Nîmes, ainsi que le 111ème
d’Infanterie d’Antibes.
« Depuis lors, le XVème Corps
n’a cessé de se montrer digne de la confiance du pays ».
Tels sont les
faits marquants de cette terrible bataille qui s’est déroulée à LAGARDE, ce
Ils ont pu être reconstitués à partir de
documents français et allemands et en particulier grâce à un extrait du carnet
de marche du 58ème Régiment d’Infanterie d’Avignon relatant avec
précision le déroulement de la bataille et dont vous trouverez ci-après des
photocopies.
Lire aussi l’étude très poussée de
Claude CHANTELOUBE :
L'Affaire de LAGARDE et
ses suites ignorées du grand public.
Le site de la ville de
Lagarde :
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