Voilà ce que Jannine GER…m’écrit en décembre 2003 :

« J'ai un oncle qui est décédé le 11 août 1914 au cours de la bataille de Lagarde en Moselle. Il était du 40ème Régiment d'Infanterie. Sa famille n'a été prévenue de son décès qu'en 1920 et son nom ne figure même pas sur le monument aux morts du lieu où il habitait.
Lors d'un passage en Lorraine, je suis allée à Lagarde où j'ai bien retrouvé sa tombe dans le cimetière français.
Pour essayer d'en savoir un peu plus sur ce qui s'est passé ce jour-là, je me suis rendue à la mairie qui possède un classeur où l'ancien secrétaire et instituteur du village, qui venait de décéder, s'était penché sur cette bataille passée sous silence qui ne figure ni dans les livres d'histoire ni aux archives départementales de la Moselle.

Il a regroupé ses recherches dans un classeur qui se trouve donc à la mairie. »

 

 

Tout ce travail de recherches a été fait par l'ancien secrétaire de la mairie de Lagarde (actuellement décédé) afin que cette horrible bataille ne soit pas oubliée. Merci à lui.

 

 

 

 

1914

L A G A R D E

Dans la tourmente de la guerre

 

Lorsqu’ éclate la guerre le 3 août 1914, le grand principe de l’état-major français est  « offensive à outrance ». Il a du reste été entendu avec nos alliés russes qui entreront dans le conflit le 6 août, que nous attaquerions aussitôt que possible sur nos frontières de l’Est.  

 

Selon le « plan XVII » adopté par Joffre en 1913, cinq armées s’échelonneront de Montbéliard aux Ardennes belges. Les généraux Dubail, Castelnau, Ruffey, Langle de Cary et Lanrezac en assureront le commandement.

 

Dès le 5 août, les forces de cavalerie du Général Sordet franchissent la frontière en direction d’Arlon et Bastogne.

 

Le 6 août l’Allemagne publie ce rapport officiel laconique : Briey est occupé par les troupes allemandes. Pour la premières fois la garde des frontières allemande étendait ses opérations en territoire français.

 

Le 8 août, un autre corps de troupes français sous les ordres du général Bonneau fonce sur la trouée de Belfort et arrive triomphalement à Mulhouse.

 

Ce ne sont là de part et d’autre de la frontière franco-allemande que des succès éphémères, consécutifs à des opérations de reconnaissance. Quelques jours plus tard les généraux Pau, Dubail et Castelnau lancent des attaques sur Sarrebourg et Morhange. Ces offensives se brisent sur l’artillerie ennemie. Le général Pau se replie sur les Vosges. Dubail et Castelnau sont obligés de décrocher et leur repli s’effectue au prix d’énormes pertes infligées par les troupes du  Kronprinz de Bavière.

 

C’est dans le contexte de cette « BATAILLE DES FRONTIERES », que se dérouleront, en prélude à la Bataille de MORHANGE et de  SARREBOURG qui du 18 au 20 août fera plus de 10.000 victimes de chaque côté, les sanglants combats de LAGARDE, le 11 AOUT 1914.

 

 

 

 

LA  BATAILLE  DE  LAGARDE :

 

11   AOUT 1914

 

 

Au cours des quelques jours qui ont suivi le déclenchement de l’impitoyable bataille de LAGARDE, le décrochage dela IIème armée française commandée par le général Edouard de Curières de Castelnau, entraîne le repli de la Ière armée sur l’ensemble du front.

Sous les coups des Bavarois qui ont réuni les moyens d’une solide offensive, certaines unités se débandent. Au cœur des combats, des sanctions sont prises, des colonels sont relevés de leur commandement.

On tente d’arrêter les fuyards afin d’organiser de nouvelles positions de défense.

Une contre-attaque lancée par le général BLAZER fait avorter l’offensive allemande.

 

 

La première attaque française

 

La IIème Armée, en position autour de Nancy, reçoit l’ordre de lancer une contre-offensive afin de reconquérir le terrain perdu au cours des jours précédents. Pour se lancer à l’assaut des troupes ennemies, le général de Curières de Castelnau dispose du XXème Corps commandé par Foch et de la Division de cavalerie de Lunéville comme troupes de couverture.

 

Afin de conduire cette attaque dans de bonnes conditions, le haut commandement reçoit le renfort de plusieurs corps d’armée du Midi : le XVème de Marseille, le XVIème de Montpellier, le XVIIIème de Bordeaux et le VIIIème de Dijon. Dans le dispositif français, le XVème corps occupe la droite de la IIème armée, s’intercalant entre le XXème corps de Foch et le XXIème Corps de Legrand appartenant lui à la Ière armée commandée par le Général Dubail. Parti du front Einville-Fraimbois, au nord-est de Lunéville, et longeant le sud de la forêt de Parroy, le XVème Corps rencontre une vive résistance ennemie : la prise de contact des méridionaux avec la Lorraine est difficile. Plusieurs fois, ils devront charger à la baïonnette.

 

Les Allemands s’étonnèrent beaucoup de la présence des troupes du XVème Corps d’armée français sur le front lorrain alors que son quartier général est établi à Marseille. Une explication leur fut donnée par les premiers prisonniers français : le quartier général avait été déplacé à Lunéville quelques semaines avant la déclaration de guerre. En outre, début mai, la plupart des garnisons françaises de l’ouest avaient systématiquement été déplacées sur les ouvrages fortifiés de l’est afin de renforcer les défenses de la frontière.

D’ailleurs, les Allemands y verront là la preuve irrécusable que la France était prête depuis longtemps à agresser l’Allemagne par tous les moyens.

 

 

Les Français occupent LAGARDE, situé alors en territoire allemand :

 

Dès le 10 août, le général Lescot qui commande la cavalerie de Lunéville, juge « opportun » de faire attaquer le village de Lagarde, au nord-est de Lunéville, par une brigade mixte. Cette attaque est confiée entre autre à deux bataillons, venus d’Avignon et de Nîmes, et notamment au 3ème bataillon du 58ème Régiment d’infanterie.

Le village, situé dans la vallée de Sânon, en bordure du Canal de la Marne au Rhin, est occupé par une section garde-frontière allemande. Inférieurs en nombre et malgré une solide position établie derrière le bois Chanal, entre Lagarde et Bourdonnay, les Allemands sont obligés de quitter le village. Ils en sont chassés dès le 10 août au soir. Il n’y eut point de combat car les postes frontières et avant gardes allemands jugèrent plus prudent de se retirer.

 

Pendant que les divers éléments des troupes françaises engagées dans cette action de reconnaissance occupent notamment le bois du Haut de la Croix, un détachement spécial formé d’un bataillon du 40ème Régiment d’infanterie de Nîmes et du 3ème Bataillon précité sous les ordres du Lieutenant-Colonel HOUDON s’établit dans le village  abandonné quelques instants auparavant  par les 3 compagnies d’infanterie allemande.

La nuit est mise à profit par les Français, pour établir des nids de résistance et des barrages sur les routes conduisant au village.

 

 

Veillée d’armes à Lagarde et Bourdonnay :

 

Le repli allemand n’est cependant qu’éphémère et cette même nuit, à Dieuze, le Général allemand VON STETTEN qui commandait une division de cavalerie bavaroise et le général de la 42ème Division d’Infanterie décident de lancer une attaque contre Lagarde.

Le 2ème bataillon de chasseurs bavarois en garnison à Aschaffenburg est dépêché en renfort. En raison de la supériorité des Français et des difficultés offertes par la configuration du terrain boisé de la région, une attaque de nuit sur Lagarde est exclue par le commandement allemand.

En attendant le matin, les chasseurs allemands creusent des tranchées de tir. Une action commune est convenue entre la Compagnie d’Infanterie et celle de cavalerie appartenant aux troupes garde-frontière. Une batterie d’obusiers du 8ème Régiment d’artillerie viendra en appui et a pour mission de progresser dans la forêt du Bois Chanal et de prendre position sur les hauteurs du « Haut des Vignes » d’où l’on domine le village de Lagarde.

L’intention allemande est d’attaquer de front, puis couvert par l’artillerie, d’assaillir Lagarde et ses occupants par le flanc.

 

Côté français, on ne reste pas inactif. Le 3ème bataillon du 58ème Régiment d’Infanterie se trouve à l’ouest du village, épaulé par des éléments du 40ème Régiment d’infanterie.

Alors que la 9ème Compagnie couvre le bataillon à l’Est, les 10ème, 11ème et 12ème Compagnies se trouvent à proximité immédiate du cimetière. Le chef de bataillon CORNILLAT est en position avec ses troupes au Sud-est du cimetière.

 

Le 11 août à 5 heures du matin, on complète l’approvisionnement en cartouches et on organise la défense. La 9ème Compagnie du Capitaine ROURISSOL a passé la nuit à creuser des tranchées.

Elle prendra la place de la 12ème Compagnie du Capitaine CARNOY au carrefour Xures-Ommeray et s’y reposera.

L’attente d’une attaque imminente est insupportable.

Des incidents éclatent dans le Bois du Haut de la Croix occupé par les troupes françaises : une patrouille avancée tombe sur les sentinelles françaises non averties de cette reconnaissance. Croyant avoir affaire aux Allemands, les sentinelles ouvrent le feu afin de donner l’alarme et atteignent un fantassin français à la cuisse.

« Soudain des coups de feu déchirèrent l’air et nous firent tous tressaillir en même temps qu’un cri de douleur se fit entendre, écrit Monsieur l’Abbé GEORGE, aumônier du 40ème Régiment d’Infanterie. Un tremblement nerveux secoue notre être, chacun a l’oreille tendue et retient sa respiration... Mais voici qu’à travers les arbres des silhouettes se meuvent, s’approchent et bientôt nous mettaient en présence du premier blessé. Un lieutenant ayant fait reculer ses hommes avancés en patrouille, ils étaient tous tombés sur les sentinelles non averties qui crurent avoir affaire aux Boches et tirèrent pour donner l’alarme. Heureusement encore que cette méprise n’avait causé qu’une victime : Une balle lui avait traversé la cuisse de part en part. Je me souviens de l’émotion que nous produisit la vue de cette plaie, du premier membre fracassé. La douleur du pauvre soldat nous fendait l’âme. C’était de mauvaise augure, et l’on avait déjà de sinistres pressentiments. Après l’avoir pansé de notre mieux, on évacua le blessé et le calme se rétablit ». 

L’Abbé GEORGE ajoute :

« Cependant, le sommeil semblait devoir me gagner et je sommeillais lorsqu’un bruit de moteur nous fit de nouveau sursauter, vers minuit. Le jet lumineux d’un réflecteur se promenait sur le bois et le fouillait comme l’œil d’un oiseau de proie qui cherche sa victime. L’ennemi savait que nous étions là. Toutefois aucun incident ne se produisit ».

 

 

Première attaque allemande et repli français :

 

Au lever du jour, les troupes ennemies lancent leur attaque. Le bataillon de chasseurs bavarois, une compagnie du 131ème régiment d’infanterie et une batterie du 8ème Régiment d’Artillerie prennent à Bourdonnay, la route de Lagarde.

Bientôt, ils se trouvent en face de leurs adversaires des 58ème et 40ème Régiments d’Infanterie et du 19ème Régiment d’Artillerie. Selon des témoignages de soldats allemands blessés au cours de l’affrontement, le combat se déroulera pendant sept heures, sous une chaleur accablante et contre un adversaire bien supérieur et solidement retranché.

Les Français ont installé des retranchements dans les champs sur une longue distance.  Pour faire obstacle à la cavalerie allemande, les fantassins français avaient parsemé le sol de sauts-de-loup, c’est-à-dire de puits recouverts de foin et d’herbe. La lutte est acharnée, meurtrière.

Les soldats français aux voyantes couleurs, les officiers aux brillants galons s’élancent courageusement à l’orée du bois. Les couleurs éclatantes de leurs uniformes, pantalon rouge et capote bleue, contrastent avec la sobriété des tenues gris verdâtre des fantassins allemands, et nos braves tombent aussitôt sous les balles des Allemands qui demeurent invisibles.

Demande de carte plus détaillée

Nota : C’est pour sauver la culture de la garance, une plante cultivée dans les départements méridionaux et dont la racine fournit l’alizarine, une substance colorante rouge, que les soldats français seront ainsi vêtus jusqu’en 1915 de l’éclatant pantalon rouge.

 

Une batterie de 75 française défend ardemment la position. Les mitrailleuses causent d’énormes pertes aux Allemands ; L’avantage semble se dessiner en faveur de l’ennemi.

Deux batteries françaises particulièrement dangereuses sont prises sous le feu ennemi. Avant de subir l’assaut des Allemands, les officiers d’artillerie font sauter leurs pièces. Il faut alors songer au repli et abandonner les positions dans la forêt du Haut de la Croix.

Serrés de près par les Uhlands, la retraite vers Xures s’effectue dans des conditions épouvantables.

 

 

Les Français résistent aux abords du village :

 

La bataille pour la conquête de Lagarde commence vers huit heures, heure à laquelle le 40ème R. I. essuie les premiers coups de feu.

Le Chef de bataillon CORNILLAT s’attend à une attaque.

Il en avise le Capitaine de la 12ème Compagnie et rappelle la 9ème sur ses emplacements de combat. Quelques cavaliers ennemis, sans doute des Uhlands, sont aperçus.

Les éclaireurs du 40ème et du 58ème partent en reconnaissance entre 7 heures et 8 heures tandis qu’un avion ennemi fait son apparition au-dessus des positions françaises. De retour, les éclaireurs font état d’un fort contingent ennemi  prêt à passer à l’attaque.

Tout-à-coup, une forte ligne de tirailleurs ennemis surgit des crêtes avoisinant le  village et l’artillerie allemande, très supérieure en nombre et en calibre, ajuste ses tirs meurtriers. 

L’attaque décisive pour la conquête de Lagarde est déclenchée. Il est alors 8 heures 30. L’ennemi a engagé une division complète qui a pour mission de fixer le 3ème bataillon et de le déborder sur son aile gauche.

Les Allemands craignent nos canons de 75 mm dont les tirs sont d’une extrême efficacité. Aussi, dès le début des combats, les batteries de 75 du 8ème Régiment d’Artillerie et du 19ème Régiment d’Artillerie de Campagne sont l’objet d’un pilonnage des obusiers allemands et sont rapidement réduites au silence.

Quittant leurs retranchements, les fantassins du 2ème Bataillon de Chasseurs bavarois entrent dans la bataille. Ils traversent le bois Chanal, en atteignent l’orée sans rencontrer la moindre résistance. Utilisant les gerbes du blé fraîchement moissonné en guise de camouflage, ils tentent de se rapprocher du village distant de 1 kilomètre environ. Ayant éventé la ruse, les Français pointent ce qui reste de leurs pièces d’artillerie vers la cime touffue des arbres qu’ils aperçoivent de leurs positions. Malheureusement, les coups qu’ils portent sont trop hauts. De plus, notre artillerie éprouve les pires difficultés pour changer de position sur un sol devenu marécageux alors qu’un soleil de plomb brille dans un ciel sans nuage. Cependant, cette riposte acharnée semble contenir l’avance ennemie et vers 9 heures 30, l’attaque ennemie paraît enrayée mais les Allemands sont parvenus sur les  hauteurs du « Haut des Vignes » à environ un kilomètre du village, à droite de la route de Bourdonnay.

 

 

Le repli français dans le village :

 

Vers 10 heures, une forte ligne ennemie émerge des hauteurs. Cette nouvelle attaque est appuyée par une puissante artillerie. Malgré une riposte soutenue de la nôtre, la progression allemande est foudroyante.

Nos artilleurs sont bientôt accrochés par l’infanterie ennemie.

Malgré les efforts de nos fantassins pour la dégager, notre artillerie est désormais incapable de jouer le moindre petit rôle dans la bataille. Dès lors, nos soldats supportent les tirs des canons et des obusiers ennemis sans pouvoir riposter et la manœuvre d’encerclement de l’infanterie prussienne se poursuit.  A présent les pièces allemandes crachent le feu et la mort sur le village. Des flammes s’élèvent des toitures des maisons.

Deux régiments de Uhlands jusqu’à ce moment tenus en réserve sur le domaine de Marimont, sont appelés en renfort. Plusieurs escadrons chargent et se font massacrer par la 11ème Compagnie. « Ils furent complètement fauchés par les mitrailleuses » écrira sur son carnet de route un médecin-major allemand fait prisonnier le 27 août 1914.

 

A 10 heures 50, l’ordre est donné aux combattants français de quitter les vergers au nord et de se replier sur le village. La 9ème Compagnie débordée par l’ennemi ne parvient pas à exécuter l’ordre de repli. Elle est anéantie avant d’avoir atteint le cimetière. Les survivants seront fait  prisonniers.

 

Vers midi, l’ennemi se trouve à 300 mètres à peine du village qu’il domine.

Les mitrailleuses font des ravages dans les rangs français, dont la tenue rouge et bleue ne passe pas inaperçue. Malgré le feu des mitrailleuses du 3ème bataillon, les chasseurs bavarois parviennent à déborder la gauche du détachement. La fusillade partant des maisons maintenant toutes proches, ne réussit pas à enrayer la manœuvre d’encerclement. La résistance faiblit de minute en minute. Les troupes françaises subissent des pertes cruelles sous le feu de l’infanterie et de l’artillerie. Les tirs s’amenuisent. Attaqués de trois côtés, les soldats français n’offrent plus qu’une faible résistance.

 

Vers 11 heures 30, le combat est à peu près terminé.

 

 

L’assaut final allemand :

 

Le commandement allemand donne alors l’ordre de l’assaut final..  Soutenu par le feu grondant de sa 2ème Compagnie et de la 8ème Compagnie du régiment d’infanterie, le 2ème Bataillon de chasseurs bavarois du lieutenant Colonel LETTENMAYER s’élance. Toute la 1ère ligne du 3ème Bataillon français est anéantie et là où les Français résistent encore, l’ennemi lance à nouveau ses Uhlands.

Lances baissées, ils pénètrent dans le village. Accueillis par un tir nourri partant des maisons, des granges et même du clocher de l’église, ils succombent en grand nombre. En un clin d’œil, 70 selles se vident : hommes et chevaux roulent, touchés à mort, sur le sol. Cette chevauchée macabre ouvre cependant la voie aux chasseurs. Dans les rues s’engage alors un combat cruel. Baïonnette au canon, on attaque, on résiste.

 

 

Entre 13 heures et 15 heures,  le combat de rue est terminé. Lagarde est aux mains des Allemands. nos troupes ont subi des pertes considérables. Le Capitaine ROURISSAL ainsi que 80 hommes de sa 9ème Compagnie rejoindront dans la soirée ce qui reste du 3ème bataillon du 58ème R.I.  d’Avignon. Le repli vers Xures se fait aux prix des pires difficultés.

 

 

Le triste bilan d’une bataille oubliée :

 

Cette sanglante journée a coûté  aux diverses unités engagées dans la bataille, unités françaises et allemandes confondues, une quinzaine d’officiers et 969 hommes tués, blessés ou prisonniers. Monsieur POIRE de Moussey a vu passer des chariots chargés de paille sur laquelle reposaient de nombreux blessés que l’on évacuait vers les arrières. Une autre source fait état de 300 tués, 700 blessés et 1000 disparus.

Les corps de tous ces braves ont été rassemblés dans deux cimetières

 

 

Les pertes françaises :

 

Dans le cimetière situé à l’ouest du village ont été rassemblés 552 soldats français tombés au cours de cette sanglante bataille. Seuls 232 corps ont pu être identifiés : 204 reposent dans des tombes individuelles, 28 dans deux ossuaires situés de part et d’autre d’une stèle centrale rappelant le nom des diverses unités ayant participé aux combats : les 3ème , 22ème, , 30ème , 40ème, 58ème , 63ème , 96ème , 97ème , 111ème , 112ème , 114ème et 141ème Régiments d’Infanterie, appuyés par les 8ème et 19ème Régiments d’artillerie de Campagne et auxquels s’étaient joints quelques éléments du 11ème Régiment de Hussards.

Toutes ces troupes appartenaient aux  IXème ,, XIVèmee , XVème et XVIème Corps d’Armées.

 

Ce sont le 40ème R.I.  et surtout le 58ème R.I.  qui ont payé le plus lourd tribut.

On ne réussira à mettre un nom que sur 100 fantassins du 58ème : 89 soldats, un  1ère classe, 1 clairon, 7 caporaux, 3 sergents, 1 sergent fourrier, 1 adjudant, 1 sous-lieutenant, 1 lieutenant et un capitaine.  

Du 40ème R.I.,  on identifiera 59 corps : 55 soldats, 1 sergent, 2 lieutenants et 1 capitaine.

Le 19ème R.A.C. subira lui aussi de lourdes pertes : 1 trompette, 10 soldats, 2 brigadiers, 6 maréchaux des logis, 1 chef-pointeur, 1 adjudant chef, 1 capitaine et un chef d’escadron.

Dans l’ossuaire gauche , ont été rassemblés les restes de 171 officiers, sous-officiers et soldats et parmi eux figurent 159 inconnus. Dans celui de droite reposent 181 officiers, sous-officiers et soldats dont 163 inconnus.

 

Les Allemands dans un communiqué officiel du 11 août déclareront : « Une brigade avancée, de toutes armes du XVème Corps d’armée français a été attaquée par nos troupes de sécurité, à Lagarde, en Lorraine.

L’ennemi, essuyant de lourdes pertes, a été refoulé dans la forêt de Parroy et a laissé entre nos mains un drapeau, deux batteries, quatre mitrailleuses et 700 prisonniers. Un général français a été tué ».

 

Le 12 août, ce communiqué est complété par un autre, plus bref mais aussi dur :

« A Lagarde, plus de 1.000 prisonniers de guerre non blessés sont tombés aux mains des troupes allemandes : cela correspond à un sixième des deux régiments français qui combattaient ».

De source allemande, on estime que l’effectif des troupes françaises engagées à Lagarde, s’élevait à environ 7.000 hommes, 12 canons et 12 mitrailleuses.

 

 

Les pertes allemandes :

 

Les victimes allemandes reposent dans un autre cimetière situé à l’est du village.

Parmi les 380 combattants qui y sont inhumés, 220 ont succombé au cours des combats du 11 août 1914.

Les charges successives des régiments de Uhlands se solderont par de lourdes pertes : Ce sont 54 cavaliers du 1er Régiment et 49 du 2ème Régiment qui rouleront dans la poussière.

Les Allemands perdront en outre 304 chevaux. L’infanterie enregistrera, elle aussi, de nombreuses victimes : le 131ème Régiment d’infanterie perdra 63 fantassins alors que 21 hommes du 138ème Régiment et 30 hommes, sous-officiers ou officiers du 2ème Bataillon de Chasseurs bavarois d’Aschaffenburg trouveront la mort au cours des combats impitoyables que se livreront soldats français et soldats allemands.

 

Selon des témoignages d’habitants ayant vécu la bataille, de l’Eglise à la sortie ouest du village, et particulièrement autour de l’église et au carrefour des routes Xures-Ommeray, la rue était jonchée de cadavres de chevaux, de corps de soldats français et allemands. Les caniveaux ruisselaient de sang.  L’imagerie populaire allemande, tout en exagérant certainement, nous donne une idée de la sauvagerie de l’assaut final  (voir dessin ci-contre).

 

 

Une bataille oubliée :

 

Un certain mystère plane encore de nos jours  sur cette bataille de Lagarde comme en témoigne cette lettre du 21 mai 1992 de Madame A. GUILLAUME, dont la dépouille mortelle de son oncle, BRINGUIER Moras, soldat du 58ème R.I., repose dans la tombe 164 du cimetière militaire de la route de Xures : « Je vous remercie, avec beaucoup de retard pour les renseignements que vous avez bien voulu me fournir au sujet du combat de Lagarde au cours duquel mon oncle BRINGUIER Gaston, appartenant au 58ème Régiment d’Infanterie a disparu. Rien ne figure dans les livres d’histoire concernant cette bataille et les archives départementales de la Moselle à  qui je me suis adressée, n’en font nulle part mention. Etant donné la violence de l’affrontement et les résultats cela me surprend beaucoup. (Nous aussi Madame).

 

Ce que vous ne savez peut-être pas et qui a dû arriver à toutes les familles des soldats disparus les 10 et 11 août 1914, c’est que le ministère des armées n’a officiellement annoncé leur disparition aux familles qu’en mai 1920, date à laquelle ils ont pu figurer comme décédés sur les registres d’Etat-civil de leur domicile.  Entre 1914 et 1920 ma grand’mère dont c’était le fils, n’a obtenu aucune nouvelle, l’armée faisant le black out sur ce combat ».  Ce témoignage récent ne corrobore-t-il pas ce qui a été dit au sujet de cette « faute de Lagarde » qu’aurait commise un haut commandant de l’armée française et dont il ne fallait pas parler ?

 

Les journaux de l’époque ne parlent que très peu de la bataille. La revue « L’ILLUSTRATION » mise à ma disposition, dans son numéro 3729 du 15 août 1914 publie un résumé très succinct sur le déroulement de la guerre. Les faits marquants  de la journée du 11 août ne concernent que de « petits engagements ».

 

Cependant, la même revue dans son numéro 3730 du 22 août 1914, édite une carte du théâtre des opérations sur le front du Nord-Est. Elle nous indique qu’une bataille s’est déroulée à LAGARDE et à XURES.  Quelques petites lignes font état de la bataille de LAGARDE-XURES.

 

Dans le N° 3967 de la même revue parue le 15 mars 1919, soit plus de quatre mois après la fin de la guerre, le Commandant A.GRASSET retrace la brillante carrière du Maréchal Foch qui assurait le commandement du  XXème Corps d’Armées lors du déclenchement  des hostilités. Lorsqu’il aborde les évènements du début de ce mois d’août, il passe sous silence la période du 8 au 13 août et ne relate les faits qu’à partir du 14 août date à laquelle les armées françaises prennent l’offensive avec pour objectif les hauteurs qui  bordent la frontière. Il ignore complètement les durs combats qui se sont découlés le 11 août dans le secteur  LAGARDE-XURES,  précisément à la frontière franco-allemande.

 

Une carte incluse dans l’article du Commandant A.Grasset mentionne un repli des troupes françaises sur les frontières de l’Est dans la région des Etangs mais à partir du 24 août dit la légende. Ce repli n’a-t-il pas déjà eu lieu une première fois le 11 août 1914, à la suite de la sanglante bataille de Lagarde ?  Si notre village figure sur la carte, c’est que quelque chose s’y est passé !  pourquoi alors ne pas en parler ?  Certes, l’article est consacré au général Foch et au XXème Corps, mais le XVème Corps et, en particulier, les 48ème et 50ème Régiments d’Infanterie n’avaient-ils pas été dépêchés en renfort et placés sous son commandement ?

 

11 août 1914, bataille de LAGARDE, bataille oubliée, peut-être pas, bataille ignorée, passée sous silence, certainement.

 

Les habitants pendant la bataille :

 

Quant à la population de Lagarde, elle s’était réfugiée dans les caves et n’eut point de morts à déplorer.

 

Madame MERCY née MEAUX Marie, alors âgée de huit ans raconte ;

« Je me souviens parfaitement de la veille de la bataille. Ce soir-là, c’était un lundi, nous avions assisté ma sœur Armance et moi, à la prière du soir. Mon père était venu nous chercher à la sortie de l’église pour nous ramener à la hâte à la maison. Au cours du trajet qui nous sembla long, une balle est passée à quelques mètres, peut-être quelques centimètres devant nous ».

Sans doute s’agissait-il d’une balle tirée par un Allemand se repliant sur Bourdonnay à l’approche des Français. Arrivés à la maison, nous nous sommes précipités dans notre cave.

Lorsque nous avons tenté de remonter, nous avons aperçu un pantalon rouge. Nous avons pris peur mais une voix nous a rassurés en disant : « Ne craignez rien ! Nous ne voulons pas vous faire de mal ! ».

 

« Pendant la bataille du lendemain, continue Madame MERCY, nous nous sommes à nouveau réfugiés dans notre cave. Mon frère Charles pleurait car il avait peur du bruit infernal que faisaient les mitrailleuses françaises en position dans la maison forestière, voisine de la nôtre » .

 

Un détail est resté gravé dans la mémoire de Madame MERCY :

« Un soldat français nommé SABI, je me souviens très bien de son nom dit-elle, avait demandé poliment à ma mère si elle voulait bien accepter de lui faire cuire une poule. Elle a répondu affirmativement avec plaisir. Malheureusement, lorsque le moment de manger la poule est arrivé,  l’attaque allemande a chassé les Français du village. C’est un Allemand qui, sans rien demander, a dévoré le repas de notre infortuné fantassin français, ne laissant que la carcasse « pour les enfants » avait-il dit en guise de remerciements ».

 

Malgré la violence des combats au cours desquels, affolés par la canonnade, la mitraille et les coups de fusils, les chevaux vidés de leur cavalier tentent vainement de pénétrer dans les couloirs des maisons pour y trouver refuge.

Madame MERCY nous confirme qu’aucune victime civile n’a été à déplorer au cours de la bataille.

Cependant, Eugène THIBEULT, originaire du village et qui avait été mobilisé au 138ème Régiment d’Infanterie en garnison à Dieuze, fut tué comme soldat allemand, selon certains à l’entrée du village, selon d’autres à la Tuilerie.

D’autre part, Monsieur Albert HENRY, grand-père de Monsieur Marcel HENRY, a été blessé dans sa maison. Aux dires de certains, les Allemands auraient tiré à travers la porte alors qu’il les observait. Transporté à Dieuze, personne n’a jamais plus eu de nouvelles de lui et nul ne sait ce qu’il est devenu par la suite.

Monsieur Emile RIEGER, qui plus tard sera agriculteur au Moulin du Gué-de-Laxat, était artilleur et servait une batterie allemande sur les hauteurs de Marimont. En outre, deux autres jeunes gens de Lagarde, Auguste LECLERE et Edmond DURAND, participèrent dans les rangs de l’armée allemande, à la bataille de leur village : le premier comme artilleur, le second comme fantassin (C’est lui qui, le premier, connaîtra le triste destin d’Eugène THIEBEULT).

 

Le père d’Auguste LECLERC ainsi que son commis de culture Joseph MEAUX furent fusillés tous deux, à 3 heures de l’après-midi, au Moulin.  Madame MERCY se remémore très bien cet évènement funeste, qui s’est déroulé à proximité de la maison paternelle : « Après leur repli sur le village, les Français s’abritaient derrière le mur du jardin de Monsieur Isidore ELMERICH, à l’endroit même où devait avoir lieu au cours de l’après-midi l’exécution de Monsieur Auguste LECLERE et de son ouvrier Monsieur Joseph MEAUX, mon oncle.

Leurs cadavres resteront plusieurs heures à même le sol avant d’être enlevés par leur famille respective ».  Ils avaient été accusés d’avoir favorisé l’ennemi, ce qui d’ailleurs n’a jamais été prouvé. Cependant, il est certain que des soldats français ont été trouvés dans la grange de la ferme. Est-ce Monsieur LECLERE qui les y avait cachés ?   Ou bien avaient-ils simplement trouvé refuge en ce lieu pour échapper à l’ennemi comme ce soldat qui se dissimulait sous la fenêtre d’une chambre et qui fut encouragé à reprendre le combat par Madame Marie PREUSSER, grand’mère de Monsieur Joseph BIER.

 

L’odeur de la poudre et l’eau-de-vie accroissaient l’excitation des soldats allemands et le moindre petit incident pouvait avoir des conséquences dramatiques. Madame Maria BIER ne fut-elle pas conduite puis internée à VIC-SUR-SEILLE tout simplement parce que ses pigeons étaient en liberté ?  Que serait-il advenu à André CASTAGNET, âgé de 82 ans, s’il avait été surpris par les Allemands alors qu’il aidait à soigner les blessés français.

L’énervement des soldats allemands était tel qu’ils n’hésitaient pas à tirer par les soupiraux des maisons lorsqu’ils entendaient les personnes réfugiées dans les caves s’exprimer en français. C’est dans de telles circonstances qu’une jeune fille, Mademoiselle Henriette FALENTIN, eut deux doigts sectionnés par une balle alors qu’elle avait trouvé refuge dans la cave de Monsieur Henri MAIRE.

 

« Je me souviens encore de l’exécution de Monsieur Charles LECLERE de Vaucourt, dans les jardins de la Rue Basse, nous dit encore Madame MERCY. Lui, fut obligé de creuser le trou qui devait être sa tombe, avant d’être froidement abattu ».

C’était un peu plus tard, le 31 août 1914. Accusé d’avoir tiré sur les troupes allemandes, il avait été conduit de Vaucourt à Lagarde pour y être sommairement exécuté.

 

 

Les conséquences de la bataille :

 

Ce combat eut un retentissement très important aussi bien en France qu’en Allemagne.

Même s’il n’était que les préliminaires de la grande bataille qui devait se dérouler les jours à venir, il devait avoir une grande influence sur le moral des combattants : la confiance en soi des troupes allemandes s’en trouva énormément renforcée alors que, suit à ce fâcheux baptême du feu, la confiance côté français s’en trouva très amoindrie.

 

Pourtant, lors de ces combats maintes preuves de bravoures et de hardiesse furent constatées. « Le Chef  de bataillon  CORNILLAT, atteint de plusieurs blessures, ordonne à ses hommes de l’abandonner sur le terrain et de continuer à combattre » (Extrait du carnet de route du Régiment).

 

Le sous-lieutenant DURAND de FONTMAGNE n’hésite pas à faire cesser le feu de ses hommes, à sortir du fossé qui leur sert d’abri, pour se rendre compte de la situation et leur montrer que les Allemands tirent trop haut et qu’il est encore possible de tenir. Il « réussit à ramener dans les lignes françaises les hommes disponibles et plusieurs blessés. Il fut blessé mortellement le 19 août »  (extrait de l’historique du régiment).

 

Outre-Rhin, on se félicita de la manière dont s’était déroulée cette bataille. Non seulement la 1ère mitrailleuse française de la guerre 14-18 fut conquise à LAGARDE, mais aussi c’est au cours de cette bataille que le 1er drapeau français tomba aux mains des chasseurs d’Aschaffenburg, comme le relate le lieutenant-colonel LETTENMAYER : « Un chasseur de la 1ère compagnie réussit à s’emparer d’un drapeau français. Mais comme à ce moment on tirait, en provenance d’une maison, sur les gens qui se trouvaient près de lui, il appuya le drapeau contre un mur, pour riposter. Entre temps un membre du 131ème ou du 138ème régiment d’infanterie s’empara du drapeau ».  (Traduit de l’Allemand : RECITS DE GUERRE ILLUSTRES : Le baptême du feu du deuxième bataillon de chasseurs bavarois à LAGARDE).

 

Côté français, le Général de Castelnau est furieux et donne des instructions pour « éviter les engagements inutiles ». Dès l’issue de la bataille et avant  de continuer la campagne, il limoge le Général  LESCOT, commandant la 27ème Division de Cavalerie de Lunéville, responsable de l’  «immense faute » de LAGARDE, et jugé trop inapte au combat.

 

Quelle est donc la nature de cette IMMENSE FAUTE ???

 

Elle demeure inconnue des militaires et des chercheurs. Peu-être un élément de réponse à cette question se trouve-t-il dans cette analyse allemande : le fait que l’avance française ait été entreprise par une brigade mixte laisse supposer qu’une reconnaissance en force en pays ennemi a été envisagée par le commandement français.

Une telle opération souvent évoquée dans l’Histoire militaire est mieux conduite lorsqu’elle est exécutée par de grands groupes de cavalerie. L’adjonction de troupes à pied diminue la mobilité de la troupe et restreint énormément ses capacités de manœuvre. Trop faible pour s’attaquer à un adversaire expérimenté et se rassemblant promptement, la brigade mixte est alors encerclée la plupart du temps par des forces plus puissantes et est ensuite anéantie.

Dans la plupart des cas il n’est pas possible de porter secours à un tel détachement de reconnaissance. Si toutefois c’est le cas, le commandant en chef est alors contraint à une bataille qui se déroulera dans des conditions défavorables et dont l’issue ne fat aucun doute. Est-ce cette erreur qui a été commise à Lagarde ? 

Les Allemands semblent le prétendre.

 

Cette erreur ou cette défaillance, si défaillance il y a eu, mais plus particulièrement celle qui suivit au cours de la bataille de MORHANGE fit l’objet d’une polémique très virulente.

On reprocha au Commandement d’avoir commis une « grave faute », anéantissant en quelques heures les avantages acquis les jours auparavant. Dans un article du sénateur Gervais, paru dans le numéro du Matin du 24 août 1914, avec l’approbation de M. Messiny, Ministre de la Guerre, il est fait état « d’une défaillance du 15ème corps » dont une division se serait débandée, ayant ainsi « entraîné la retraite sur toute la ligne ».

Les récits des témoins font mention d’un « effondrement complet de la discipline ». D’autres affirment avoir vu des «soldats monter sur des charrettes de paysans »,  ou s’emparer de « chevaux d’officiers pour fuir plus vite ». Il faut poster des gendarmes à l’arrière pour retenir les déserteurs.

 

Ces témoignages semblent corroborer celui de l’Abbé GEORGES, aumônier au 58ème R.I.  d’Avignon, qui,  relatant un incident vécu le 11 août 1914, après la bataille de LAGARDE, écrit dans son livre relatant les faits d’armes de son régiment :

« J’étais couché au repos dans le fossé de la route allant de Coincourt à Xures, lorsque j’avais aperçu cet officier que je ne connaissais pas encore. Il était descendu de cheval et parlait à un lieutenant laissant respirer quelques-uns de ses hommes échappés au massacre. Visiblement en proie à une violente agitation, un rictus nerveux contractait  étrangement son visage. Il disait textuellement, en parlant de ses soldats : « Il se sont enfuis comme des péteux... ». Et Dieu seul savait qu’il pensait en lui-même : « Si j’en rencontre un, je le brûle !... ». Il avait ensuite enfourché son carcan et s’en était allé comme un fou .......... Le Capitaine BLANC mourut ensuite au champ d’honneur tué à l’ennemi......

 

 

Témoignages allemands

 

Que penser encore de ce témoignage d’un combattant allemand ayant vécu la bataille de Lagarde et relaté dans un livre édité outre-Rhin :

« Nous avons atteint à présent la route de Nancy et j’écris auprès du feu de camp. Nous avons reçu le baptême du feu. « Sus à  l’ennemi ! », tel était le souhait le plus ardent de tous, et comme il a été exaucé !  En chemin, nous avons appris la chute de Liège, ce fut une joyeuse nouvelle !  « L’Allemagne, l’Allemagne, maîtresse du monde », c’était la réponse que nous donnions.

Le dimanche nous arrivâmes peu avant Lagarde et nous rencontrâmes nos troupes afin de les renforcer. Le lundi, tout était encore calme : personne n’imaginait que dans quelques heures déjà allait éclater ici un violent combat. De petites escarmouches isolées avaient déjà eu lieu avec les troupes frontalières, insignifiantes toutefois.

 

Le lundi, nous vîmes notre premier prisonnier français. Comme il avait mauvaise mine, amoché, rapiécé !  Nous étions encore absorbés dans nos discussions lorsque arrivèrent quelques informations venant des avant-postes et qui  laissaient supposer que la bataille allait s’engager.

Et en effet l’après-midi débuta le tapage. Mon Dieu !  C’était une danse sur la verte prairie. Nous nous sommes battus courageusement ; notre général toujours en tête et nous qui le suivions. Balles et éclats de mitraille sifflaient au-dessus  de nos têtes, atteignaient certains d’entre nous, mais le mot d’ordre était « En avant !  En avant !  « Nous  progressions avec efficacité. La bataille déferlait violemment.

Nos soldats en gris verdâtre avançaient avec détermination et énergie. Nous ne cessions de progresser et bientôt nous tombons sur des soldats français blessés ou morts, ce qui augmentait notre courage. Pour nous,  la bataille cessa trop tôt. L’aile gauche française recula et c’est ainsi que ce fut fait. A présent les Français ne pouvaient plus tenir et s’enfuyaient. Tu aurais dû voir comme les pantalons rouges détalaient dans le désordre le plus complet. Ce fut encore notre cavalerie qui prit les rênes et se chargea de la poursuite. Comme pour le premier prisonnier, les uniformes étaient horribles. « On a faim !  On a faim ! » s’écriaient-ils et ils demandaient du pain. Depuis dimanche, ils n’ont plus rien mangé et ils sont contents d’être avec nous ».

 

 

Un officier qui était en selle lors de l’attaque, décrit ainsi l’intervention décisive de la cavalerie :

 

« Le 11 août fut une grande journée pour notre régiment. Ce fut une chevauchée de la Mort, au sens propre du terme contre l’artillerie, les mitrailleuses et l’infanterie. Le cinquième escadron, qui ne pouvait plus participer en raison de l’occupation d’un pont est très triste. C’est mon escadron qui a le plus souffert, car ayant eu l’attaque la plus difficile : des 142 hommes, il en restait 58 à l’appel et parmi ces 58 survivants, beaucoup n’ont pas participé à l’attaque, car ils étaient en patrouille. Le soir du jour de la bataille, je rentrais seulement avec 27 hommes et 3 sous-officiers. J’étais le seul officier. Mais le succès, tout particulièrement au point de vue moral, est sublime. Nous avons prouvé ce dont nous étions encore capables et que les lanciers et les Uhlands si redoutés de tout temps par les Français, n’ont rien perdu de leur fougue. Les soldats se sont battus à merveille et ainsi le 11 août sera à jamais pour notre régiment un jour de gloire et cette attaque de Lagarde, l’un des plus vaillants exploits de la campagne. Tous les officiers à cheval qui ont participé, de nombreux sous-officiers et des hommes ont été décorés. »

 

Comment est-ce arrivé ? Nous couvrions sans cesse des parcours fatigants, tantôt en France, tantôt en Lorraine, sans voir ni accomplir du reste quelque chose de particulier.

Le 11 août, je n’ai pas songé à la gravité de la journée lorsque nous sommes sortis le matin, dans la bonne humeur comme de coutume. Alors, à 9 heures et demie, le combat éclata d’abord entre l’artillerie et l’infanterie. Nous nous y mêlâmes à midi. Mes sensations en arrivant à cheval correspondaient à une complète indifférence : je ne pensais qu’à cogner. Avec une rapidité effrayante, nous nous accoutumâmes à la vue des morts et des blessés. Parfaite indifférence face à cette vision atroce, comme quelque chose de tout à fait naturel. Partout où nous allions à cheval, nous rencontrions des Français avec leurs pantalons rouges en campagne, plusieurs batteries détruites, et en même temps le sifflement constant des projectiles et l’éclatement des grenades au-dessous et autour de nous. Progressant toujours à un rythme infernal, nous forçons plus ou moins les chevaux, en tout cas pas aussi bien rangés qu’au cours des célèbres attaques de parade sur le champ de manœuvre. Je frappe la tête d’un officier d’infanterie français qui demande pardon près de moi. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Soudain, à l’entrée de Lagarde, mon cheval s’effondre sous moi avec un coup dans le poitrail. Je ne l’ai plus revu non plus. Mes sacoches, ma selle, ma bouteille Thermos, mes objets de toilette, ma cape, du linge que j’avais sur moi, tout au diable. Je n’ai plus que mon sabre nu et mon révolver !  Avec deux de mes valeureux cavaliers, je m’abrite vite dans une tranchée au-dessus de laquelle sifflent de nombreuses balles. Ensuite, il y a une accalmie. A une certaine distance, je vois mon régiment se rassembler. Puis, à ma grande satisfaction, j’aperçois tout près de moi, ma propre infanterie. Avec mes cavaliers qui étaient passés au nombre de huit environ, je me plaçais aussitôt sous les ordres du capitaine et je participais au reste du combat avec cette compagnie, armé d’un révolver et d’une carabine.

 

Déjà arrivaient les premiers Français qui capitulaient. Nous devions être très prudents, car les gars blessés au sol canardaient encore. Un fantassin me tendit son bidon. Au moment où je veux le saisir, une balle lui passe entre les doigts.. Nous fîmes débarrasser les prisonniers de leurs pantalons rouges et de leurs chemises, et ainsi nous récupérâmes auprès de notre compagnie 150 pièces. Ils venaient tous vers nous les mains en l’air ; Finalement les pauvres gars, qui en partie étaient blessés et gisaient autour de nous, faisaient pitié. Parmi eux des gars de 16-17 ans. Je leur donnais encore ce que j’avais sur moi en paquets de pansements et chocolat et leur fis chercher de l’eau. De ma vie, je n’ai reçu autant de baisers sur les bottes et les mains. Sans cesse, ils criaient : « Nous ne voulons pas la guerre ! » et « Vive l’Allemagne ». Lorsqu’à l’arrière un des drapeaux de notre bataillon fut en vue, ils s’écrièrent : « Oh ! Le drapeau allemand ! Vive l’Allemagne ! Hissez le drapeau allemand ! ».  A 60 pas de nous, le reliquat des Français se repliait de l’autre côté du pont de l’écluse du canal de la Marne au Rhin. Nous tirâmes dans le tas. C’était terrible. De l’autre côté se trouvait la fontaine où nous nous revigorâmes après le combat victorieux. Pour y accéder, nous avons dû enjamber des tas de morts et de blessés. De l’autre côté, à environ cent pas de nous, se trouvait une batterie ennemie détruite. A tout instant éclataient les balles dans les voitures de munitions. Face à tout cela, on restait calmes et indifférents. Je m’étonne de moi-même, vu mon caractère, je ne l’aurais jamais envisagé. Le danger que nos propres troupes tirent sur nous existait toujours, surtout parce que les nôtres ne pouvaient pas savoir que les nombreux Français reconnaissables à leurs pantalons rouges étaient des prisonniers. Très judicieusement, j’ai alors fixé à une longue perche un rideau de couleur relativement blanche qui flottait au-dessus de nous comme protection.

 

A l’aide de plusieurs chevaux capturés, parmi lesquels un cheval d’artillerie, j’ai cherché à nouveau mon régiment et l’ai  trouvé alors qu’arrivaient particulièrement harassés chevaux et cavaliers. C’est à ce moment là seulement que j’appris nos lourdes pertes, mais aussi notre belle victoire ».

 

 

Ces témoignages sont certes troublants, parfois choquants et nous blessent dans notre amour propre de Français. Mais sans doute sont-ils empreints de chauvinisme et nous nous garderons bien d’émettre des hypothèses et d’établir un jugement sur les combattants de LAGARDE. De la bataille, nous ne retiendrons, par respect des braves qui y trouvèrent la mort, que les faits glorieux.

 

 

Tout rentrera d’ailleurs dans l’ordre et le discrédit jeté sur les soldats du 15ème corps et en particulier du 58ème Régiment d’infanterie d’Avignon sera définitivement lavé par Monsieur Louis TISSIER, député du Vaucluse qui, dans son rapport adopté par le groupe interparlementaire des représentants de la  XVème région militaire dans sa séance du 30 janvier 1915, écrit : « certains de nos régiments du XVème corps venaient de montrer un tel héroïsme que le nombre de leurs morts aurait dû faire taire les accusateurs et jeter le voile sur les « quelques désordres individuels » qui se seraient manifestés dans des conditions sur lesquelles il faudra que toute la lumière soit faite, afin d’établir les responsabilités de chacun ».

C’était notamment le 58ème Régiment d’Infanterie d’Avignon, décimé près de Xures, le 7ème Génie, également d’Avignon, et le 40ème d’Infanterie de Nîmes, ainsi que le 111ème d’Infanterie d’Antibes.

« Depuis lors, le XVème Corps n’a cessé de se montrer digne de la confiance du pays ».

 

 

Tels sont les faits marquants de cette terrible bataille qui s’est déroulée à LAGARDE, ce 11 août 1914..

 Ils ont pu être reconstitués à partir de documents français et allemands et en particulier grâce à un extrait du carnet de marche du 58ème Régiment d’Infanterie d’Avignon relatant avec précision le déroulement de la bataille et dont vous trouverez ci-après des photocopies.

 

 

Lire aussi l’étude très poussée de Claude CHANTELOUBE :

L'Affaire de LAGARDE et ses suites ignorées du grand public.

Le site de la ville de Lagarde :

Lagarde

 

Haut page               retour accueil  site "Historique des régiments 14/18"