Récit de guerre de Célestin BLANCHARD

soldat au 45e régiment d’infanterie territoriale

mars-avril 1917

 

 

 

Mise à jour : juillet 2019

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Description : Célestin Blanchard

 

Célestin BLANCHARD et son épouse

 

Bernard BLAINEAU, nous dit en janvier 2005 :

« Ce n’est pas un carnet de notes tenu pendant les hostilités, mais un récit (du moins la partie qui est venue à ma connaissance) fait par mon grand-oncle Célestin BLANCHARD (1873-1933), instituteur libre. Il fut peut-être écrit à la fin de la guerre, à moins que ce ne soit après la guerre. Il a été démobilisé le 1/1/1919 et renvoyé à son école à Cholet (Vendée). Il est décédé en 1933 d’une tumeur cancéreuse abdominale.

J’espère que ces quelques lignes pourront intéresser plus d’un internaute. Merci. »

 

Célestin Louis Auguste BLANCHARD est né en novembre 1873 à Bourg-sous-la-Roche-sur-Yon (ancienne commune française) située dans le département de la Vendée. Il est instituteur congréganiste en 1893. Il effectue son service militaire au 93e régiment d’infanterie à partir de 1896.

Affecté le 14 septembre 1915 au 45ème régiment d’infanterie territoriale (RIT) et envoyé au front.

Il participe sans doute à la bataille de Verdun en février 1916. Du 19 mars au 12 avril 1916, il effectue un stage de mitrailleur aux Sables d’Olonne. Affecté à la 3ème compagnie de mitrailleuses du 45ème RIT, il retourne à Verdun et participe à la prise du fort de Douaumont.

En novembre 1917, il passe à la 20e section des secretaires d’état-major et du recrutement. Voir sa fiche matriculaire ici, page 470 (2 pages).

 

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1. DÉPART DE VERDUN ET ARRIVÉE AU BOIS ST-PIERRE.

Le 10 mars 1917, à 6 heures du matin, nous quittons Verdun pour le Bois Saint-Pierre.

Accompagnant le sergent-major et le fourrier, je fis la route en vélo afin d'aller reconnaître le cantonnement et de revenir ensuite au devant de la compagnie pour lui servir de guide.

Nous arrivons au Bois Saint-Pierre : c'est ainsi que nous appelons les quelques troncs d'arbres épars qu'a laissés la hache du sapeur ou du pionnier. Entre ces souches ont surgi des habitations humaines, c'est à dire des baraquements couverts de tôle ondulée ou même simplement de papier goudronné.

Il y en a des centaines abritant peut être des milliers d'hommes, soldats de toutes armes : la ligne, le génie, l'artillerie, etc…

Ce bois et beaucoup d'autres semblables sont devenus des cités populeuses, ou plutôt des bivouacs où s'abritent les troupes au repos. Pour quiconque aime la vie au grand air, cette existence de nomade peut avoir un certain agrément. En effet, abstraction faite des besoins, des caprices et des dangers de la guerre, ce serait assez bien l'idéal, lors de la belle saison.

L'ombre ne manquerait pas, et les broussailles garderaient de toute indiscrétion les promenades les plus sentimentales.

2. AUX TRANCHÉES. LES SAPES.

Le 11 mars, la compagnie reçoit l'ordre d'aller prendre position en deuxième ligne, entre le Mort-Homme et la cote 304.

Le Mort-Homme ! Quel nom ! J’en ignore l'étymologie, mais il mérite plus que jamais ce vocatif sinistre. Nous arrivons à notre poste dans la nuit, sur les 10 ou 11 heures.

Armés de nos mitrailleuses, munis de cartouches, chargés de notre barda, nous suivons un boyau, précédés par un guide. Il faisait noir, et nous marchions sans trop nous soucier où nous mettions les pieds, car le dégel et la pluie avaient détrempé la terre, et nous enfoncions parfois jusqu'aux genoux dans la vase.

 

Arrivés à destination, nous faisons une halte prolongée ; puis nous pénétrons dans ce qui doit nous servir d'abri ; c'est une sorte d'excavation creusée par les soldats dans le flanc d'une tranchée. Cette caverne artificielle, où l'on entre presque en rampant, s'enfonce dans la terre à la manière des entrées de certaines caves, mais avec une pente et une profondeur beaucoup plus accentuées.

Les sapes, comme celle dont je viens de parler, présentent parfois certains inconvénients.

Sans doute, ce sont des abris contre les obus qui ne sauraient les traverser, mais on y est gêné ; on ne peut s'y tourner ni s'y étendre. La position assise ou accroupie est la seule possible ou à peu près.

« Pour vivre heureux vivons cachés. » Ce ne fut jamais plus vrai qu'ici.

 

L'exiguïté de notre trou n'en est pas le seul inconvénient. Avant nous, le roi Toto (*) s'y est établi avec sa cour lilliputienne et son armée rangée en bataille.

Et il prétend conserver ses droits de premier occupant. Les rats aussi pullulent ; ils prêtent leur concours à la fête et dansent de joyeuses sarabandes tout en cherchant leur pâture.

 

(*) : Les totos : Les poux.

3. MON POSTE.

J'ai donc passé quelques heures dans une sape où le repos ne fut guère facile. Je tâchai de prendre de bon cœur les épreuves que la providence m'envoyait. Du reste, Elle m'en tira le matin même. J'étais désigné comme agent de liaison.

De suite, je fus dirigé sur le poste de commandement du colonel, et logé dans un abri un peu plus confortable ; la place y est encore très mesurée, mais comparé à l'autre, on y est relativement bien.

 

Comme agent de liaison, ma besogne n'est pas écrasante quatre mots la résument : dormir, me restaurer, faire une ou deux courses, et prier...

Pour dormir, j'ai une couchette en grillage. Le ravitaillement me fournit mes provisions.

Ma course est peut être le côté le plus pénible. Je puis la faire de jour ou de nuit, mais je profite ordinairement de la demi obscurité, ce qui me permet de suivre les boyaux en dehors sans être vu de l'ennemi, ni risquer ses balles. Mais ma plus douce occupation est sans contredit la prière. On a dit que pour savoir prier, il faut être sur mer, aux prises avec les émotions angoissantes d'un naufrage.

Certes, je le crois sans peine.

Mais quand vous êtes seul au milieu de camarades qui ne prient pas, qui ne partagent pas vos idées, quand un obus peut à chaque instant couper le fil de votre existence en vous frappant brutalement, ou vous ensevelir tout vivant, là aussi on sait prier. Et qu'il est à plaindre, alors, celui qui ne le sait pas.

4. SPECTACLES DIVERS.

Le pays où je me trouve offre l'aspect d'une immense plaine ondulée par de nombreux coteaux ; j'ignore si elle était cultivée avant la guerre.

En tout cas, point n'est besoin d'une défonceuse pour retourner la terre les obus se sont chargés de la besogne. Cette plaine est aussi, hélas ! Une immense nécropole où gisent des lambeaux de chair et d'ossements humains. C'est ce qu'indiquent les nombreuses croix sur des tombes éparses.

Les morts sont là, ensevelis, qui dans un trou d'obus, qui dans une fosse sommaire, creusée à la hâte.

Quelle pâture facile pour les nuées de corbeaux qui, en croassant, survolent le sinistre charnier. Ils sont là par milliers, vaquant à leur besogne lugubre, mais nécessaire.

 

Un matin, j'en ai vu une bande telle qu'elle s'étendait sur une longueur de 4 à 5 kilomètres, et sur une largeur de 50 à 100 mètres. Si un coup de canon les dérange ; leur troupe forme aussitôt un nuage qui rend le ciel tout noir. Puis vous les voyez s'abattre en tourbillonnant pour picorer la proie qu'un obus a déterrée. Ici, en effet, les exhumations sont fréquentes, et se font avec moins de formalités et de frais qu'en exige la loi civile.

Si ces spectacles sont tristes, il en est d'autres qui ne manquent pas de charmes.

 

Revenant un matin de printemps, vers les 8 heures, de porter un pli au capitaine, je m'assis un instant sur le flanc d'un boyau. Le canon cessait son tonnerre, les mitrailleuses ne faisaient plus entendre leur tragique crécelle.

Un calme profond régnait autour de moi, malgré les milliers de créatures humaines qui, à quelques centaines de mètres seulement, se tenaient dans l'expectative, toujours prêtes à semer la mort dans les rangs des audacieux qui tenteraient de passer la tête au dessus du parapet.

Quel moment délicieux pour l'âme contemplative...

Seule l'alouette rompait ce silence morne et solennel tout à la fois. De son chant matinal, elle saluait le soleil, dont les rayons doraient la cîme des coteaux voisins, aux accents de sa voix, elle montait vers les cieux, comme pour en montrer le chemin à ceux qui, peut être, tomberaient bientôt, victimes du devoir accompli.

5. MON NOUVEL ABRI.

Venez avec moi et je vous ferai les honneurs de mon logis... il est creusé sur le côté de la route et recouvert d'une grosse tôle ondulée et de terre.

Les tapisseries y sont plutôt rares, mais qu'importe ! Je suis chez moi.

Si votre taille ne dépasse pas 1 m 50, vous pourrez vous tenir debout.

Pour plus de sûreté, vous ferez comme les camarades, vous vous tiendrez un peu voûté...

Mon intérieur comprend une couchette, un poêle de fortune, un réchaud pour mes aliments, et quelques planches plus ou moins ajustées qui me servent d’étagères...

Pas de table non plus : une caisse me tient lieu d'écritoire.

Si j'avais l'honneur et le plaisir de vous recevoir je pourrais vous dire en toute vérité :

« Donnez vous donc la peine d'entrer », car la porte n'est ni haute, ni large.

C'est un peu la cabane du cénobite, et je m'y plais assez.

6. TRISTESSE ET JOIE.

Il est aisé de comprendre que le temps passé ici n'est pas de nature à exciter l'enthousiasme que Saint-Pierre manifesta sur le Thabor.

Le danger continuel, la gêne incessante et les privations de toutes sortes ne tardent pas à rappeler la réalité des choses.

C'est un sort qu'il faut subir, mais que personne ne recherche. Toutefois, à côté de ces ennuis, il y a quelques consolations, en tête desquelles je place la prière. Quel baume pour la souffrance ! Quelle douceur dans l'amertume ! Quel repos dans la fatigue ! Quelle joie dans la peine ! Quel soutien dans l'épreuve !

 

Puis, c'est le souvenir des personnes affectionnées, avec la certitude qu'elles pensent à vous et implorent le secours « d’ En Haut ».

Que dire de ces messes entendues, de ces communions faites là, près de l'adversaire, dans un réduit rappelant les catacombes ! La dévotion est facile en ces moments là...

Plus favorisé que d'autres, j'ai pu goûter ces consolations...    

Transcription d’une lettre à l’un de ses frères, Pâques 1917, avec photo.

 

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« Spectacle bien simple que celui de cette messe ; mais spectacle grandiose en raison même de sa simplicité. Cette messe devait avoir lieu dans la salle à manger du commandant ; mais vu l’assistance, l’exiguïté du local et le temps favorable, elle fut dite en plein air. J’eus l’honneur de la servir.

Point d’autel monumental : une petite table sur laquelle fut tendue une nappe et où brûlaient deux bougies à la flamme vacillante en tint lieu.

 

Les fleurs naturelles ou artificielles n’avaient point là leur place marquée. Comme décors : l’aspect nu et presque triste des cagnas. Les orgues majestueuses ne prêtèrent point leur concours à la fête ; mais par intervalles, le canon mêla sa grosse voix à la voix d’une mitrailleuse tenant lieu de castagnettes. Le soleil même n’osa se montrer ; mais un ciel grisâtre nous mit à couvert du regard scrutateur et indiscret d’avions ennemis.

A peu près seule, l’alouette rompait le silence qui nous entourait. A sa manière, elle chantait le triomphe du grand vainqueur de la mort.

En s’élevant dans les cieux, elle nous montrait le séjour bienheureux où retentit l’Alléluia éternel, écho de celui que les fidèles chantaient alors dans les églises du monde entier.

Chateaubriand, dépeignant dans son style imagé, la prière du soir à bord d’un vaisseau, plaignait celui que n’eût pas attendri pareil spectacle. Bien à plaindre aussi eût été celui que cette messe eût laissé indifférent. Quelque imposants qu’ils soient, les spectacles de la terre nous laissent le cœur vide et l’âme froide.

Ceux du ciel vous remplissent le cœur de salutaires émotions et vous arrachent ce cri d’admiration : “ le doigt de Dieu est là ! ” »

 

Célestin BLANCHARD, aux armées, le 8 avril 1917, près du Mort-Homme et de la côte 304.

 

 

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Fin

 

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