Mise à jour : juillet
2019
Célestin BLANCHARD et son épouse
Bernard
BLAINEAU, nous dit en janvier 2005 :
« Ce n’est pas un carnet de
notes tenu pendant les hostilités, mais un récit (du moins la partie qui est
venue à ma connaissance) fait par mon grand-oncle Célestin BLANCHARD
(1873-1933), instituteur libre. Il fut peut-être écrit à la fin de la guerre, à
moins que ce ne soit après la guerre. Il a été démobilisé le 1/1/1919 et
renvoyé à son école à Cholet (Vendée). Il est décédé en 1933 d’une tumeur
cancéreuse abdominale.
J’espère que ces quelques
lignes pourront intéresser plus d’un internaute. Merci. »
Célestin Louis Auguste
BLANCHARD est né en novembre 1873 à Bourg-sous-la-Roche-sur-Yon (ancienne
commune française) située dans le département de la Vendée. Il est instituteur
congréganiste en 1893. Il effectue son service militaire au 93e
régiment d’infanterie à partir de 1896.
Affecté le 14 septembre 1915
au 45ème régiment d’infanterie territoriale (RIT) et envoyé au front.
Il participe sans doute à
la bataille de Verdun en février 1916. Du 19 mars au 12 avril 1916, il effectue
un stage de mitrailleur aux Sables d’Olonne. Affecté à la 3ème compagnie de mitrailleuses
du 45ème RIT, il retourne à Verdun et participe à la prise du fort de
Douaumont.
En novembre 1917, il passe
à la 20e section des secretaires
d’état-major et du recrutement. Voir sa fiche matriculaire ici, page 470 (2 pages).
Le 10 mars 1917,
à 6 heures du matin, nous quittons Verdun pour le Bois Saint-Pierre.
Accompagnant le
sergent-major et le fourrier, je fis la route en vélo afin d'aller reconnaître
le cantonnement et de revenir ensuite au devant de la
compagnie pour lui servir de guide.
Nous arrivons au Bois
Saint-Pierre : c'est ainsi que nous appelons les quelques troncs d'arbres
épars qu'a laissés la hache du sapeur ou du pionnier. Entre ces souches ont
surgi des habitations humaines, c'est à dire des baraquements couverts de tôle
ondulée ou même simplement de papier goudronné.
Il y en a des centaines
abritant peut être des milliers d'hommes, soldats de toutes armes : la
ligne, le génie, l'artillerie, etc…
Ce bois et beaucoup
d'autres semblables sont devenus des cités populeuses, ou plutôt des bivouacs
où s'abritent les troupes au repos. Pour quiconque aime la vie au grand air,
cette existence de nomade peut avoir un certain agrément. En effet, abstraction
faite des besoins, des caprices et des dangers de la guerre, ce serait assez
bien l'idéal, lors de la belle saison.
L'ombre ne manquerait pas,
et les broussailles garderaient de toute indiscrétion les promenades les plus
sentimentales.
Le 11 mars,
la compagnie reçoit l'ordre d'aller prendre position en deuxième ligne, entre
le Mort-Homme et la cote 304.
Le Mort-Homme ! Quel nom !
J’en ignore l'étymologie, mais il mérite plus que jamais ce vocatif sinistre.
Nous arrivons à notre poste dans la nuit, sur les 10 ou 11 heures.
Armés de nos mitrailleuses,
munis de cartouches, chargés de notre barda, nous suivons un boyau, précédés
par un guide. Il faisait noir, et nous marchions sans trop nous soucier où nous
mettions les pieds, car le dégel et la pluie avaient détrempé la terre, et nous
enfoncions parfois jusqu'aux genoux dans la vase.
Arrivés à destination, nous
faisons une halte prolongée ; puis nous pénétrons dans ce qui doit nous servir
d'abri ; c'est une sorte d'excavation creusée par les soldats dans le flanc
d'une tranchée. Cette caverne artificielle, où l'on entre presque en rampant,
s'enfonce dans la terre à la manière des entrées de certaines caves, mais avec
une pente et une profondeur beaucoup plus accentuées.
Les sapes, comme celle dont
je viens de parler, présentent parfois certains inconvénients.
Sans doute, ce sont des
abris contre les obus qui ne sauraient les traverser, mais on y est gêné ;
on ne peut s'y tourner ni s'y étendre. La position assise ou accroupie est la
seule possible ou à peu près.
« Pour vivre heureux vivons cachés. » Ce ne fut jamais plus vrai
qu'ici.
L'exiguïté de notre trou
n'en est pas le seul inconvénient. Avant nous, le roi Toto (*) s'y est établi avec sa cour lilliputienne et son armée
rangée en bataille.
Et il prétend conserver ses
droits de premier occupant. Les rats aussi pullulent ; ils prêtent leur
concours à la fête et dansent de joyeuses sarabandes tout en cherchant leur
pâture.
(*) : Les totos : Les poux.
J'ai donc passé quelques
heures dans une sape où le repos ne fut guère facile. Je tâchai de prendre de
bon cœur les épreuves que la providence m'envoyait. Du reste, Elle m'en tira le
matin même. J'étais désigné comme agent de liaison.
De suite, je fus dirigé sur
le poste de commandement du colonel, et logé dans un abri un peu plus
confortable ; la place y est encore très mesurée, mais comparé à l'autre,
on y est relativement bien.
Comme agent de liaison,
ma besogne n'est pas écrasante quatre mots la résument : dormir, me
restaurer, faire une ou deux courses, et prier...
Pour dormir, j'ai une
couchette en grillage. Le ravitaillement me fournit mes provisions.
Ma course est peut être le côté le plus pénible. Je puis la faire de jour
ou de nuit, mais je profite ordinairement de la demi obscurité, ce qui me
permet de suivre les boyaux en dehors sans être vu de l'ennemi, ni risquer ses
balles. Mais ma plus douce occupation est sans contredit la prière. On a dit
que pour savoir prier, il faut être sur mer, aux prises avec les émotions
angoissantes d'un naufrage.
Certes, je le crois sans
peine.
Mais quand vous êtes seul
au milieu de camarades qui ne prient pas, qui ne partagent pas vos idées, quand
un obus peut à chaque instant couper le fil de votre existence en vous frappant
brutalement, ou vous ensevelir tout vivant, là aussi on sait prier. Et qu'il
est à plaindre, alors, celui qui ne le sait pas.
Le pays où je me trouve
offre l'aspect d'une immense plaine ondulée par de nombreux coteaux ;
j'ignore si elle était cultivée avant la guerre.
En tout cas, point n'est
besoin d'une défonceuse pour retourner la terre les obus se sont chargés de la
besogne. Cette plaine est aussi, hélas ! Une immense nécropole où gisent des
lambeaux de chair et d'ossements humains. C'est ce qu'indiquent les nombreuses
croix sur des tombes éparses.
Les morts sont là,
ensevelis, qui dans un trou d'obus, qui dans une fosse sommaire, creusée à la
hâte.
Quelle pâture facile pour
les nuées de corbeaux qui, en croassant, survolent le sinistre charnier. Ils
sont là par milliers, vaquant à leur besogne lugubre, mais nécessaire.
Un matin, j'en ai vu une
bande telle qu'elle s'étendait sur une longueur de 4 à 5 kilomètres, et sur une
largeur de 50 à 100 mètres. Si un coup de canon les dérange ; leur troupe
forme aussitôt un nuage qui rend le ciel tout noir. Puis vous les voyez
s'abattre en tourbillonnant pour picorer la proie qu'un obus a déterrée. Ici,
en effet, les exhumations sont fréquentes, et se font avec moins de formalités
et de frais qu'en exige la loi civile.
Si ces spectacles sont
tristes, il en est d'autres qui ne manquent pas de charmes.
Revenant un matin de
printemps, vers les 8 heures, de porter un pli au capitaine, je m'assis un
instant sur le flanc d'un boyau. Le canon cessait son tonnerre, les
mitrailleuses ne faisaient plus entendre leur tragique crécelle.
Un calme profond régnait
autour de moi, malgré les milliers de créatures humaines qui, à quelques
centaines de mètres seulement, se tenaient dans l'expectative, toujours prêtes
à semer la mort dans les rangs des audacieux qui tenteraient de passer la tête au dessus du parapet.
Quel moment délicieux pour
l'âme contemplative...
Seule l'alouette rompait ce
silence morne et solennel tout à la fois. De son chant matinal, elle saluait le
soleil, dont les rayons doraient la cîme des coteaux
voisins, aux accents de sa voix, elle montait vers les cieux, comme pour en
montrer le chemin à ceux qui, peut être, tomberaient
bientôt, victimes du devoir accompli.
Venez avec moi et je vous
ferai les honneurs de mon logis... il est creusé sur le côté de la route et
recouvert d'une grosse tôle ondulée et de terre.
Les tapisseries y sont
plutôt rares, mais qu'importe ! Je suis chez moi.
Si votre taille ne dépasse
pas 1 m 50, vous pourrez vous tenir debout.
Pour plus de sûreté, vous
ferez comme les camarades, vous vous tiendrez un peu voûté...
Mon intérieur comprend une
couchette, un poêle de fortune, un réchaud pour mes aliments, et quelques
planches plus ou moins ajustées qui me servent d’étagères...
Pas de table non
plus : une caisse me tient lieu d'écritoire.
Si j'avais l'honneur et le
plaisir de vous recevoir je pourrais vous dire en toute vérité :
« Donnez vous donc la peine d'entrer », car la porte n'est ni haute, ni large.
C'est un peu la cabane du
cénobite, et je m'y plais assez.
Il est aisé de comprendre
que le temps passé ici n'est pas de nature à exciter l'enthousiasme que
Saint-Pierre manifesta sur le Thabor.
Le danger continuel, la
gêne incessante et les privations de toutes sortes ne tardent pas à rappeler la
réalité des choses.
C'est un sort qu'il faut
subir, mais que personne ne recherche. Toutefois, à côté de ces ennuis, il y a
quelques consolations, en tête desquelles je place la prière. Quel baume pour
la souffrance ! Quelle douceur dans l'amertume ! Quel repos dans la fatigue !
Quelle joie dans la peine ! Quel soutien dans l'épreuve !
Puis, c'est le souvenir des
personnes affectionnées, avec la certitude qu'elles pensent à vous et implorent
le secours « d’ En Haut ».
Que dire de ces messes
entendues, de ces communions faites là, près de l'adversaire, dans un réduit
rappelant les catacombes ! La dévotion est facile en ces moments
là...
Plus favorisé que d'autres,
j'ai pu goûter ces consolations...
« Spectacle bien simple que celui de cette messe ; mais spectacle
grandiose en raison même de sa simplicité. Cette messe devait avoir lieu dans la
salle à manger du commandant ; mais vu l’assistance, l’exiguïté du local
et le temps favorable, elle fut dite en plein air. J’eus l’honneur de la
servir.
Point d’autel monumental : une petite table sur
laquelle fut tendue une nappe et où brûlaient deux bougies à la flamme
vacillante en tint lieu.
Les fleurs naturelles ou artificielles n’avaient point là leur place marquée. Comme décors : l’aspect
nu et presque triste des cagnas. Les orgues majestueuses ne prêtèrent point
leur concours à la fête ; mais par intervalles, le canon mêla sa grosse
voix à la voix d’une mitrailleuse tenant lieu de castagnettes. Le soleil même
n’osa se montrer ; mais un ciel grisâtre nous mit à couvert du regard
scrutateur et indiscret d’avions ennemis.
A peu près seule, l’alouette rompait le silence qui
nous entourait. A sa manière, elle chantait le triomphe du grand vainqueur de
la mort.
En s’élevant dans les cieux, elle nous montrait le
séjour bienheureux où retentit l’Alléluia éternel, écho de celui que les
fidèles chantaient alors dans les églises du monde entier.
Chateaubriand, dépeignant dans son style imagé, la
prière du soir à bord d’un vaisseau, plaignait celui que n’eût pas attendri
pareil spectacle. Bien à plaindre aussi eût été celui que cette messe eût
laissé indifférent. Quelque imposants qu’ils soient, les spectacles de la terre
nous laissent le cœur vide et l’âme froide.
Ceux du ciel vous remplissent le cœur de salutaires
émotions et vous arrachent ce cri d’admiration : “ le doigt de Dieu est là
! ” »
Célestin BLANCHARD, aux
armées, le 8 avril 1917, près du Mort-Homme et de la côte 304.
Fin
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