Carnet de route de Charles DELSAUT

Soldat au parc d’artillerie, puis au 2e génie

 

 

 

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Introduction

 

  Ce carnet de route a été écrit du 25 août au 30 novembre 1914 par Charles Delsaut (1874 – 1929) à l’intention d’Augustine Dubois, sa jeune épouse alors âgée de 31 ans.

Durant cette période, Charles, réserviste de 40 ans, a d’abord été mobilisé dans une compagnie du parc d’artillerie du 18e corps, puis intégré à une section de télégraphistes et ensuite muté à la compagnie d’active 18-3 du 2e génie de Montpellier.

Il était employé comptable, marié et père de 3 enfants, originaire de Wallers (Nord) et domicilié rue Saint-Blaise à Paris XXe.

 

Il croisera dans son périple son frère Ernest, mobilisé dans le 106e régiment d’artillerie lourde.

 

  Charles a utilisé comme support un agenda pour 1914 (de format 8 x 17 cm) et a écrit au crayon à papier, ce qui n’a pas facilité le déchiffrage.

La transcription numérique de son carnet de route a été effectuée à l’automne 2010 d'après l’original par André et Guy Lecerf, petit-fils et arrière-petit-fils de Charles.

 

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Sommaire (n’existe pas dans le carnet)

Août 1914

Septembre 1914

Octobre 1914

Novembre 1914

Ensuite …

 

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Carnet de route


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Mardi 25 août

Landrecies, Maroilles, Prisches. Lit jusqu'à 11 heures à deux pas des Allemands.

Coups de canon sur aéroplane.

Mercredi 26 août

Lavaqueresse. 2 heures du matin, démontage de lignes télégraphiques.

Alerte.

Jeudi 27 août

Puisieux. Une nuit complète.

Gelé la nuit. Un Anglais,  un chasseur perdu.

Vendredi 28 août

Vu Ernest (*) à Montceau-le-Neuf. La Ferté-Chevresis, Chevresis-les-Dames, Nouvion-et-Catillon. 8 km de plus au lieu de La Ferté-Chevresis. Bien dormi dans la cuisine.

 

 (*) Ernest Delsaut, né le 13 nov. 1889,  frère cadet de Charles, mobilisé dans l’artillerie lourde en août 1914.

Samedi 29 août

A 6 heures du soir encore à Nouvion-et-Catillon. Amené un prisonnier allemand. 6 nouveaux à 6 heures ½.

Passé la nuit du 29 au 30 à Nouvion-et-Catillon. 4 espions plus une femme.

Dimanche 30 août

Quelques soldats avec casques, képis, sabres, etc. allemands.

Encore à Nouvion-et-Catillon à 9 heures. Le canon a l'air de s'éloigner ?

Je pense à Ernest, son régiment a donné ferme hier.

Les parents sont-ils à Paris ?

Toujours pas de nouvelles des  228-134-251-44-306-329 Infanterie, revenus ici hier soir.

Des régiments, sur 3000 soldats restent environ 400. Le reste : morts, blessés ou perdus.

 

Partis à midi de Nouvion-et-Catillon, arrivés à 3 heures ½ à Saint-Gobain, manufacture de glaces. Bien reçus. Un bout de glace, un bouton belge. Il paraît et cela est certainement vrai, que  la situation est très critique.

Nous reculons toujours.

Où sont tous nos parents ?

Si seulement vous étiez tous ensemble. Je m'éloigne tout seul dans l'usine et je pleure en pensant à vous tous.

Lundi 31 août

Saint-Gobain.

Partis de Saint-Gobain le 31 à 3 heures.

SEPTEMBRE 1914

Mardi 1er septembre

Nous arrivons le 1er septembre à 4 heures à Lesges sans avoir dormi, pas de manger, pas de boisson, plus de tabac. Les gens de ce village, même en payant, nous refusent du vin et l'eau est détestable.

Nous avons vu les obus tomber tout près de nous.

Marche, contremarche, aux armes, etc.

C'est trop dur pour un homme de 40 ans. Je suis avec des réservistes et même de l'active et je vais me débrouiller pour partir de là s'il y a moyen. On dit que la division de cavalerie allemande qui avait passé l'Aisne pour nous surprendre est décimée.

Est-ce vrai ?

Dans tous les cas, nous repartons encore d'ici à 9 heures.

Destination inconnue.

Je viens de t'écrire pour te faire savoir que je suis en bonne santé, cela est vrai, mais je suis bien fatigué.

Prêts à partir depuis 9 heures du soir, jusqu'à 8 heures ce matin.

Nuit glaciale. Crampes toute la nuit, dans une voiture sans couverture.

Mercredi 2 septembre

Je les sens bien à midi, heure à laquelle nous arrivons à Beuvardes ayant encore eu une alerte en route. Les Uhlans (*) sont toujours en avant de nous.

Nous avons trouvé ici du tabac et du vin à volonté. C'est la première étape depuis Avesnes. J'ai rappelé à nouveau au lieutenant que ma place n'était pas ici. Il m'a promis encore de s'occuper de moi dès cet après midi.

J'attends.

Nous avons pu manger une omelette et un bifteck avec du vin pour 40 sous chacun (**). Cela me remet un peu en place car depuis 3 jours sans sommeil et puis surtout en mauvaise santé, ça commençait à devenir mauvais.

L'argent diminue toujours.

Beauny (***) ne reçoit toujours rien. Je me demande si cela va continuer encore longtemps. On fait la soupe pour ce soir.

Va-t-on pouvoir la manger ?

Je suis abattu, je dois partir l'après-midi si je peux. Je n'ai pas encore dormi et la nuit est encore fichue.

A 4 heures, ordre de se tenir prêt pour partir à 8 heures du soir, toujours destination inconnue et nuit blanche en voiture. Le lieutenant ne m'a toujours pas donné de réponse.

En écrivant, j'entends le bruit sinistre d'une auto, toujours le même, ah qu'il me fait mal. Plein de régiments sont là, formant bivouac.

Une meule de paille tombe sur des soldats endormis.

 

(*) : Cavalier armé d’une lance, dans les armées germaniques et slaves.

(**) : 40 sous = 2 francs-or. En 1914, 1 g d'or valait 3,10 F. En 2012, le repas de Charles aurait coûté environ  20 €.

(***) : Beauny, ami de Charles qui dans le civil tenait un restaurant au Croisset près de Rouen.

Jeudi 3 septembre

Partis depuis hier soir à huit heures.

Gelé de nouveau dans la voiture. Resté sur un pont au dessus de l'Oise (*) pendant une heure.

Les balles sifflaient partout, en arrière, en avant, à droite et à gauche. Devions aller à Barrois, retournons sur nos pas, passons à Crézancy puis Courboin.

Toujours destination inconnue.

Cohue complète, restons des heures entières à la même place et avançons 10 mètres à la fois.

Ce matin, j'avais perdu mon portefeuille avec la photographie. C'est tout ce qui me reste. J’ai fait 300 mètres en arrière et l'ai heureusement retrouvé à la même place.

J’ai fait ensuite 5 kilomètres pour rattraper la voiture.

 

11 heures. Le lieutenant ne me donne toujours pas de réponse.

Nous étions arrêtés depuis 1/4 d'heure quand le canon se met à tonner des 2 côtés, les obus tombent à environ 100 mètres de nous. Nous partons vivement et nous nous arrêtons de nouveau à Artonges.

Les chevaux n'en peuvent plus.

Si l'on nous fait partir de suite, je crois bien qu'ils nous laisseront en route et si l'on passe la nuit ici, je pense fort également que nous serons prisonniers demain matin. C'est à se demander ce que nos troupes peuvent faire pour reculer à ce point-là.

 

Aujourd'hui des chevaux morts sont semés sur toute la route. L'artillerie repasse vers 6 heures en face de notre cantonnement. Ils ont l'air de donner des nouvelles plutôt bonnes.

Les Allemands, paraît-il, n'ont pu arriver à traverser la Marne. Si cela était vrai, hélas !

Je cherche toujours Ernest quand je vois de l'artillerie, mais je ne vois plus son régiment. J'ai oublié de noter que nous traînons avec nous, depuis Nouvion, 21 prisonniers allemands.

Donné tabac, feuilles. Cabinet en chaînes.

 

(*) : Charles se trompe. Il s’agit d’un pont sur la Marne reliant les communes de Chartèves et de Mézy-Moulins, à 10 km en amont de Château-Thierry.

Vendredi 4 septembre

Nous devions partir dans la nuit vers 2 heures.

Nous sommes au contraire partis à 8 heures du soir.

Encore une nuit à être assis sur le camion et à geler encore sans dormir. Cela fait la quatrième.

Arrêt à Montmirail à 2 heures du matin. Rien de nouveau sur toute la journée du 4. Toujours du chemin en arrière avec arrêt où on n'a pas même le temps de manger.

Nous arrivons à 3 heures ½ à Courgivaux.

Samedi 5 septembre

Nous sommes arrêtés à Beauchery. On dit que nous allons à Nogent-sur-Seine pour compléter la division et la laisser se reposer quelques jours. Il est vrai qu'elle est bien éprouvée. C'est une division de réserve et elle soutient le feu depuis plus de 15 jours.

Mauvaise nuit, encore dans la voiture.

Tout de même, le matin depuis 4 heures jusqu' à 7 heures on a pu dormir sur la paille dans un champ. Il est environ 3 heures, nous allons encore reculer.

Seulement les nouvelles sont, paraît-il, meilleures.

On dit que les Allemands sont cernés, que leur infanterie et leur artillerie n'ont presque plus de munitions.

Souhaitons que cela soit vrai.

Dans tous les cas, l'entrain de toutes les troupes a changé depuis qu'on sait que les généraux Pau et Mangin ont pris le commandement. Je viens de dormir comme un sourd pendant 4 heures, cela m'a fait beaucoup de bien mais je commence à souffrir des pieds.

Depuis Avesnes, j'ai enlevé mes souliers une seule fois pour changer de chaussettes.

Je t'ai envoyé une carte aujourd'hui.

Dimanche 6 septembre

Nous nous sommes arrêtés hier soir à Saint-Martin-Chennetron vers 7 heures. Nous avons couché dans un champ près des voitures et j'ai très bien dormi. Je sens ce matin que je suis un autre homme.

Il y a cependant eu alerte dans le milieu de la nuit. Le sapeur chargé de garder les chevaux attachés à la longe, un nommé Macaux, a abandonné son poste et tous les chevaux se baladaient sur nous.

Il a attrapé 8 jours de prison, c'est bien fait.

La consigne va devenir très sévère, c'est odieux ce qui se passe. On vole poules, lapins, vin, etc. Surtout les fantassins.

 

Hier, nous avons passé à côté d'une ferme complètement dévalisée : matelas éventrés, portes forcées, etc.

D'autres fantassins dans un village à côté, se sont faits passer pour des Allemands et ont exigé d'une fermière qui était seule 4 000 F. Il paraît qu'il y en a un d'arrêté, pourvu que cela puisse cesser, quel renom pour les Français !

Des civils en font autant.

Ils rapinent à côté des champs de bataille, volent tout ce qu'ils peuvent, chevaux, etc.

 

J'ai oublié de noter que nous avons été toute la journée d'hier sans pain. Nous avons touché 2 biscuits et un bout de veau cru, pas moyen de croquer le biscuit. Ordinaire sergent et cabot (poche, plus de 10 par jour).

 

On devait partir à 6 h ½, mais il y a eu contrordre.

J'en profite pour me laver les pieds et je suis très bien en ce moment. Une bonne nuit et un bon lavage, ça fait du bien. Si seulement je pouvais trouver une chemise, un caleçon et une flanelle, je crois que tout irait bien maintenant. Si on avance comme on l'espère, je trouverai bien un sac abandonné.

 

Après midi, le canon tonne à toute volée pendant que nous, nous n'avons jamais été aussi tranquilles qu'aujourd'hui. Nous faisons la cuisine par escouade. Poules, lapins, etc. sont cuits de toutes les manières.

La cuisson étant en train, nous avançons un peu plus haut sur une crête pour voir tomber les obus allemands. Cela ne dure pas longtemps, 1/2 heure à peine, puis l'on ne voit plus rien.

Nous nous amusons alors à jeter des cailloux, au plus adroit, après des grenouilles vertes qui se baladent dans une mare. Le canon s'éloignant de plus en plus et une estafette ayant été forcée de faire 9 kilomètres au lieu de 3 pour trouver l'état-major, je deviens plus gai.

Je pense à vous tous et je me dis que sans doute vous devez tous être en bonne santé. Je pense aussi, en entendant le canon, à Minet.

Son gros bide doit faire comme le mien... diminuer !

 

Passé la nuit du 6 au 7 à Saint-Martin-Chennetron. Belle nuit, clair de lune.

Chariot pas rentré.

Discussion avec Corber. Convoi chantant « Les godillots ».

Lundi 7 septembre

Je me lève à 5 heures, les reins brisés.

J'avais sans m'en apercevoir couché la tête en bas. Je fais un tour et je rencontre le général Valabrègue avec tout son état-major. Ils remontent en avant pour la première fois.

Ils ont tous l'air souriant.

A 5 h ½  le canon commence de tonner.

Un sous-lieutenant du 3e génie d'Arras qui nous suivait depuis 10 jours a enfin trouvé sa Cie ce matin.

Elle est à Nogent-sur-Seine, il est forcé d'y aller et cela doit l'embêter. Ce sans-gêne a l'air d'une bûche, il lui fallait toutes les belles places pour la nuit.

Notre lieutenant vient de venir boire un quart de jus, il nous dit qu'on allait sans doute remonter sur Villiers-Saint-Georges. Nous n'irons donc plus à Nogent-sur-Seine pour reformer la division. Tant mieux, j'aime mieux avancer.

 

Comme je trouve 4 marguerites, j'en fais un bouquet de joie, une pour chacun des membres de ma famille et si on avance, je tâcherai de les conserver.

 

Le canon n'a tonné qu'une ½ heure environ ce matin. Il est 2 heures, nous sommes toujours à Saint-Martin. On n'entend plus rien. Je suis allongé près d'une meule de paille et un vent doux nous rafraîchit.

Il n'est déjà plus possible de se tenir au cantonnement qui est situé en plein soleil et les déchets de viande, depuis hier matin, commencent à sentir mauvais.

Je viens d'envoyer 4 cartes.

A toi d'abord, te disant que les nouvelles sont plutôt rassurantes, à Prati, le patron, et Pierre le Bougnat.

Un copain est en train de traire une vache dans la prairie, nous allons boire un coup de lait.

Une section télégraphiste mitraillée. Reste l'officier et 2 hommes.

Enfin ça y est, à 5 heures, nous partons en avant.

Nous devons aller à 17 kilomètres plus haut, vers le nord, c'est à dire à Montceaux-lès-Provins.

 

Il fait nuit quand nous arrivons et le village ayant été presque détruit, il n’y a pas de place pour nous et nous revenons en arrière à Villiers-Saint-Georges. Les gens des pays vus avant ont l'air rayonnant.

Nous revoyons Bonsac pillé par les Français.

A Beauchery, les vieilles gens sont contentes et nous saluent amicalement. Étant arrêtés entre Villiers-Saint-Georges et Montceaux-lès-Provins, je vois de l'artillerie lourde.

Je m'informe, c'est le régiment d'Ernest.

Tout de suite, je descends et je le cherche, mais en vain. Lui est au tir et cette colonne n'est que de ravitaillement. Encore un avatar : la voiture où j'avais mon fusil, mes cartouches, serviettes, etc. est partie depuis 2 jours.

Plus rien encore un coup.

 

Cette nuit, la joie que j'éprouvais hier soir s'est gâtée par un rêve que je te raconterai. J'espère bien que ce ne soit qu'un rêve, ce serait trop affreux.

Je n'y pense plus ce matin.

 

 

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Mardi 8 septembre.

Les punitions commencent à pleuvoir pour les chapardeurs, quelques exemples, paraît-il, sont faits.

Cela ne les arrête pas.

Un conducteur de chez nous a été arrêté pour vol de Pernod-kirsch. Je reste à Villiers-Saint-Georges avec un sergent pour attendre les bobines de fil. En attendant, nous sommes étendus à l'ombre des noisetiers dans les jardins de l'école et nous mangeons des noisettes.

 

Il est 9 heures et nous en avons pour au moins 2 heures à attendre.

De crainte que les voitures de fil que nous attendons se trompent de chemin, le lieutenant m'envoie me poster à 200 mètres du village, à l'intersection des routes. Je suis tout à côté de la première fosse que je vois en train de faire.

On va y enterrer 2 morts.

Ce sont deux chasseurs de je ne sais quel régiment, car on a recouvert leurs figures.

Des automobiles pleines de blessés ne cessent de passer. J'ai une boîte de singe avec un vieux bout de pain à manger en attendant. Cela ne me donne guère appétit.

Le village où je suis, Villiers-Saint-Georges, a été complètement pillé, encore et toujours par les fantassins. Les gens commencent à revenir et c'est affreux de voir leur mine lorsqu'ils s'aperçoivent des vols faits par nous.

Leur rapacité ne porte pas seulement sur les vivres. Dans les magasins, jusqu' à des caisses de chemises de femmes qu'ils ont prises !

 

Nous partons pour Saint-Martin-du-Boschet. Nous passons à Montceaux-lès-Provins, premier village sérieusement bombardé.

Quel désastre !

Feu à 5 ou 6 endroits, église détruite, morts partout : chevaux, hommes, vaches, moutons, etc.

Murs défoncés, partout sur notre chemin des trous d'obus.

Nous arrivons à Saint-Martin dans un champ. L'orage se met à éclater aussitôt et je m'abrite sous la bâche des pièces d'artillerie.

Les munitions ne cessent de passer.

Pas d'eau pour faire boire les chevaux. Un fantassin lave même son plat avec les gouttes de pluie d'une haie.

Le canon tonne.

On cherche à les faire repasser la Marne.

 

Il est 8 heures ½ et toujours pas d'ordre de partir. Chacun s'arrange dans les voitures pour passer la nuit au mieux possible.

Nous sommes installés tous les deux, Beauny et moi dans notre fourragère, La bâche est percée partout.

Assis sur les bobines, les selles... enfin de tout excepté ce qu'il y a de doux.

Des bouts de toutes sortes nous rentrent dans les côtes et la pluie tombe toujours. Heureusement que le moral est meilleur depuis hier matin.

J'ai peut-être encore 2 ou 3 cigarettes.

Je viens d'en donner une à Beauny et il l’a laissée tomber à moitié fumée, il en pleure de rage et se donne ¼ d'heure de travail pour aller la reprendre.

Mercredi 9 septembre.

Nous nous sommes arrêtés à Le Vézier et nous devons repartir à 2 heures pour Artonges, cela fait une avance de 35 à 40 km depuis que nous commençons à avancer.

Toujours le même détail : dans une ferme on a fait brûler 400 Allemands morts. (*)

Grand’halte à Marchais-en-Brie. Trouvé dans une ferme bombardée : cartouches et sacs allemands. Toujours la même chose : odeur cadavérique  partout.

Arrivons à 9 h ½  à Artonges.

Même cantonnement que précédemment. Coup de feu sur 4 blessés allemands. Campement déménagé manu militari par le 106.

Retourné coucher entre 2 voitures.

Pluie à 7 heures du matin.

 

(*) : Cette « pratique » était courante au début de la guerre. De nombreux bûchers ont existé, des photos ont été prises.

Jeudi 10 septembre

Partons vers 8 h à Courboin, on n'entend plus le canon du tout.

Nous ne sommes plus qu'à 8 ou 9 kilomètres de la Marne. Toujours pas de tabac, ma dernière cigarette est fumée de ce matin. Lu aujourd'hui le Bulletin des Armées du 5 septembre.

Les femmes et les enfants sont partis de Paris, seriez-vous partis ?

Nous arrivons à Crézancy, puis nous venons passer la nuit un peu plus loin à Fossoy.

A Crézancy, une femme violée ?

D'autres très bien.

Vendredi 11 septembre

Vu quelques gens du pays.

Les Allemands, revolver sous le nez pour se servir, mais pas de viols de jeunes filles. Au contraire, du respect.

Écrit aujourd'hui.

Nous repassons à Mézy un pont de chemin de fer qui n'a pas été détruit. Nous devons passer quelques centaines de mètres plus en avant sur un pont fait par le génie, sur la Marne.

Nous venons de passer le pont qui a été construit à côté de celui où nous avions passé dernièrement et qui a sauté. C'est le seul fait intéressant de notre voyage d'aujourd'hui qui est très triste à cause du temps.

 

Le vent souffle violemment, la pluie tombe à torrent.

Heureusement nous sommes dans une voiture fermée. Les pays que nous traversons n'ont pas dû beaucoup souffrir. Aucune trace nulle part, sauf quelques bouteilles et boîtes de conserve vides.

Nous passons à Le Charmel. Dans un autre village, les gens nous disent que les Allemands n'avaient plus assez de leurs jambes pour se sauver.

Passé la nuit du 11 au 12 à Cierges dans une maison. Assez bien dormi.

Nous étions arrivés le soir vers 9 heures en plein champ. Boustifaille sans lumière, viande salée et dure.

Samedi 12 septembre

Nous sommes partis de Cierges à 10 heures du matin.

Le canon tonne plus en avant. Il y avait 2 jours qu'on ne l'avait pas entendu. Temps détestable, pluie torrentielle, vent violent, tout le monde complètement trempé.

Pas de vivres, ni pain, ni viande, ni boisson pendant toute la journée. Les Allemands ont tout dévasté.

 

Nous arrivons à minuit à Jonchery. Personne pour nous indiquer où l'on doit coucher.

Nous sommes dans le parc d'un château en plein bois et le vent et la pluie redoublent. Nous arrivons enfin à trouver un grenier sans paille, sans rien.

Nous nous couchons sans rien dans le ventre.

Dimanche 13 septembre

Levé de bonne heure.

Nous cherchons partout dans le village, avec Beauny.

Nous arrivons à pouvoir rentrer dans un débit de tabac qui a été saccagé. Il reste au débitant juste 2 litres de genièvre. Il nous en vend un et nous faisons plaisir à nos camarades.

La nouvelle se propage et tout le monde y court, mais trop tard : il ne reste plus rien.

Il nous manque encore du pain. Un boulanger a déjà fait une fournée, mais tout est parti.

La deuxième se fait et je suis au moins le cinquantième à faire queue pour en avoir un peu. Le mouton vivant que nous avions emporté hier avait été mis dans le fourgon cuisine.

Il a fait partout : le café, les biscuits, le sel, tout est inondé d'urine.

Encore un avatar imprévu.

 

Crampes toute la nuit et grelotté de froid.

Je viens de revoir Ernest. Je lui ai donné deux ninas et le peu de goutte qu'il me restait. Il n'a pas non plus de nouvelles de chez nous et n'est pas retourné au feu depuis que je l'ai vu. Nous venons de manger une bonne soupe et j'ai pu trouver un litre de vin blanc.

Cela réconforte un peu.

J'avais la plante des pieds usée depuis 2 ou 3 jours, cela à l'air d'aller mieux aujourd'hui.

Nous allons à Berry-au-Bac mais en route, nous nous arrêtons sur une hauteur.

 

La journée est belle à côté d'hier, le soleil luit et un vent doux sèche toutes les routes.

Sur la hauteur où nous sommes, nous voyons pour la première fois toute la bataille, dans toute sa ligne. Les obus allemands éclatent à 1 500 mètres de nous et nous voyons nos batteries d'artillerie tirer également.

C'est un spectacle que nous ne reverrons peut-être plus jamais.

Nous avançons toujours, mais nous avançons beaucoup trop. Nous allons quand même jusqu’à Berry-au-Bac. Les coups de canons éclatent partout autour de nous.

L'état-major s'apercevant à la tombée de la nuit qu'il s'est trop avancé - car nous sommes en première ligne et nous voyons revenir deux régiments d'infanterie qui n'ont pas pu soutenir le feu -  nous fait reculer jusqu'à Cormicy.

Nous partons avec les voitures. (*) 

Je suis complètement gelé et je fais la route à pied pour me réchauffer. Nous passons la nuit dans une grange, serrés comme des harengs.

Il ne m'est pas possible d'allonger les jambes et je ne ferme pas l'œil.

 

 (*) : Voitures hippomobiles

Lundi 14 septembre

Le matin, nous sommes en train de faire le café quand tout à coup des obus tombent à 50 mètres de nous.

On les entend siffler et éclater.

Un de nos brigadiers, en train de poser culotte à quelques pas de nous, en reçoit un tout à côté de lui et fait vite pour revenir en arrière. Il veut ramasser un éclat mais se brûle et le laisse.

Nous restons quand même là en attente et la canonnade ne s'arrête pas.

Sortirons-nous d'ici ? Je n'en sais rien.

 

Il est 2 h ½, et depuis deux heures nous avons l'ordre de partir, mais en vain. Nous restons là à perdre patience.

C'est une canonnade sans discontinuer, les obus éclatent à 50 mètres de nous, toujours. C'est un miracle que pas un n'est encore venu sur nos voitures.

Je suis dans un état d'énervement indescriptible et je ne suis pas le seul.

Je viens de revoir Ernest. Je lui ai donné une bouteille de vin et le reste de mon pain. Il a dû être content.

Son régiment a dû donner ferme hier et donne encore aujourd'hui.

Je souhaite le revoir demain.

 

Toujours la même chose, en partant nous faisons 10 mètres et nous arrêtons. Nous arrivons tout de même à Guyencourt, 6 km en arrière.

Il était temps, nous n'étions pas sitôt sortis du village que les obus éclataient partout, sur l'église et sur les habitations. L'un tue un artilleur et en blesse 6.

Trois de chez nous restés avec les voitures pour démonter la ligne reçoivent des éclats, mais il n'y en a qu'un qui est légèrement blessé au pied.

Nous passons la nuit dans la voiture au coin d'un bois.

Très mauvaise nuit, en plein vent. Gelé, crampes, courbatures partout.

J'ai écrit le 13 et envoyé le 14.

Mardi 15 septembre

Nous ramassons la nuit deux blessés du 5e d'infanterie et avec un camarade nommé Banchon, nous leur donnons le reste de notre manger.

Ils n'ont mangé que des pommes de terre cuites n'importe comment depuis 4 jours et sans pain.

 

11 heures, nous sommes toujours à  Guyencourt et le canon tonne toujours de plus en plus.

Cela fait la 3e journée.

Les Allemands occupent toutes les hauteurs en face de nous entre Craonne et Neuchâtel. Il sera difficile de les en déloger. C'est égal, il ne me sera peut-être plus jamais possible d'entendre un pareil tonnerre et je le souhaite.

 

3 heures.

Les canons tonnent toujours. Le 22e d'artillerie vient de venir se reformer à côté de notre parc.

Un brigadier vient me demander un bout de pain et je l'interroge. Il me dit que le haut commandement doit être mauvais, on les fait mettre en batterie sous les obus de l'ennemi et on les empêche de tirer.

Ils avaient les fantassins allemands à 1500 mètres d'eux. Ceux-ci les ont mitraillés et ils ont perdu pas mal de chevaux et une pièce. Leur commandant les a tout simplement fait revenir ici pour remplacer les chevaux perdus.

Je lui demande des nouvelles du 1er lourd.

Il me dit que ce régiment a reçu l'ordre de reprendre coûte que coûte sa position d'hier et qu'il a perdu un commandant et 2 ou 3 lieutenants mais pas d'hommes.

D'autre part j'entends dire : 1 commandant, 2 lieutenants et 3 brigadiers. Pourvu que cette nouvelle soit fausse !

Je vais tâcher de revoir tous les régiments d'artillerie et m'informer d'Ernest.

 

6 heures du soir.

Nos canons ont l'air d'avancer.  Nous repassons la nuit ici.

Mercredi 16 septembre

Nous avons passé la nuit dans une grange, je n'ai pas trop mal dormi.

Mais en nous levant, nous entendons les canons tonner beaucoup plus près qu'hier. J'ai cru que ce matin nous allions partir en avant, mais je crois plutôt que nos troupes ont reculé.

Il tombe une pluie fine qui mouille énormément. Nous enfonçons avec cela dans la boue jusqu'aux genoux. Je viens de voir passer le convoi de ravitaillement du 1er lourd mais je n'ai pu avoir de nouvelles d'Ernest.

Nous enterrons en ce moment un cheval mort sur notre parc avant-hier.

 

Je viens d'aller voir passer un convoi de blessés.

Nous avons touché le matin un paquet de tabac pour 3. J'ai fait 5 à 6 cigarettes afin de pouvoir en contenter quelques uns puisque tous sont du 329 ou 236, c'est à dire des réservistes.

Un zouave fait pitié, on dirait qu'il a été trempé dans le sang, il n'en peut plus et se couche sur un talus.

Un gendarme l'emmène et une femme lui apporte un bol de bouillon.

Les autos étant bondées, il n’y a pas moyen de le mettre sur aucune. Ils sont environ 300 et il y en a 200 en autos.

 

A 12 heures, nous attendons toujours à la même place et le canon tonne toujours.

 

3 heures. Le canon a cessé pendant environ 1 heure ½.

 Il  recommence, mais plus loin, on voit les obus éclater dans le lointain sur le haut du plateau de Craonne. Je crois que ce coup-là les Allemands vont battre en retraite.

Tant mieux !

Vivement que je retourne à Avesnes.

 

Le soir, toujours les mêmes positions. Couché dans un autre campement du 9-2.

Vie infernale jusqu'à minuit.

Jeudi 17 septembre

Nous restons toujours là, le canon tonne de plus belle, on n'a ni avancé ni reculé.

J'entends dire qu'au 1er lourd il y a 48 morts hommes et 120 chevaux.

Est ce vrai ?

On dit aussi que l'armée du Kronprinz est en déroute et que les Russes ont fait 200 000 Autrichiens prisonniers !

 

Nous sommes peut-être encore ici pour longtemps et à 5 ou 6, nous allons faire une tente avec des bouts de bois et de la paille. Je porte en ce moment une grande échelle pleine de paille.

Nous ne pouvons à 2, faire plus de 10 mètres à la fois et nous avons 500 mètres de côte à monter.

Belle corvée qui ne nous servira peut-être pas !

Écrit aujourd'hui.

 

6 heures du soir. Toujours la même situation : les Allemands reculent un peu puis reprennent leurs positions.

C'est ainsi que Berry-au-Bac, en face de nous, a été pris et repris plus de 10 fois depuis le commencement de la bataille. Pluie toute la journée sans arrêt.

La tente que nous avions faite est complètement inondée. Nous sommes dans la boue jusqu'aux genoux.

Toujours pas vu Ernest.

Un convoi de prisonniers est passé. Il paraît que ces 75 prisonniers sont le reste d'un bataillon que le 257 a enlevé à la baïonnette dans Berry-au-Bac. (*)

Nuit affreuse, mal de reins et jambes toute la nuit.

 

(*) : Le journal du 257e régiment d’infanterie n’indique pas cet événement

Vendredi 18 septembre

Le canon a l'air de tonner encore plus près de nous, mais le soleil a l'air de vouloir se montrer.

S'il pouvait faire beau !

Nous venons de toucher un paquet de tabac et j'ai fait une pipe.

Les Allemands ont l'air de gagner du terrain.

En allant chercher de la paille pour me coucher j'entends un lieutenant d'état-major dire à notre général que la situation ne s'est pas améliorée, qu'elle est plutôt mauvaise. Je ne sais si nous y passerons la nuit.

 

Le soir, les obus se rapprochent toujours sur nous.

J'aimerais beaucoup mieux partir que de passer la nuit ici sur la sellette.

Samedi 19 septembre

Toujours la même chose, les obus ne tombent pas loin de nous. Il paraît que de l'artillerie de marine devait arriver cette nuit pour nous soutenir.

Nous avons ordre de nous tenir prêts pour partir à 8 heures.

On dit aussi que Bruxelles et Louvain sont reprises par les Belges et Anglais.

Nous devions partir à 8 h, puis à 1 h, puis à 4 heures. Nous ne partirons sans doute pas et repasserons la nuit à Guyencourt. Il n'est pas tombé d'eau aujourd'hui.

Le parc commence à sécher un peu.

Situation toujours la même: les canons tonnent et les obus tombent toujours en face de nous sur Berry-au-Bac,  Corbeny et Cormicy.

Chasse au lièvre le soir.

Dimanche 20 septembre

Nous devions partir hier, nous sommes encore ici ce soir et l'on ne cause pas de partir.

Hier, aussitôt couchés nous commençons par entendre les mitrailleuses et le canon. J'ai passé une sale nuit avec ce bruit et le froid.

Aujourd'hui toujours la même chose : canons et mitrailleuses.

La situation ne doit pas beaucoup changer, on cause toujours de grosses pièces qui doivent arriver pour les déloger. Il me semble que c'est bien long.

Pour se distraire on joue aux cartes, on fait des compotes de pommes, poires, on mange des noix.

 

Ce matin, nous avons posé des collets dans le bois avec Beauny, nous irons voir demain matin s’il y a du lapin.

Toujours pas de lettre, on croyait en avoir aujourd'hui mais c'est encore raté.

Lundi 21 septembre

Toujours à Guyencourt.

Le canon a l'air de tonner beaucoup moins. La situation de l'armée française paraît très bonne. Les pièces de marine, paraît-il, sont arrivées et on prépare l'attaque pour demain, peut-être cette nuit.

 

Ce matin, il n'y avait pas de lapin, les collets étaient trop faibles.

Nuit atroce, j'ai encore la diarrhée mais pas de coliques. Les jambes pleines de crampes, toujours.

Écrit aujourd'hui.

Le canon n'a pas tonné autant que les autres jours.

Mardi 22 septembre.

Toujours ici.

Le canon tonne de temps en temps. Je croyais les Allemands en retraite, mais pas encore, sans doute. Quelques uns ont eu des lettres aujourd'hui, moi pas encore.

Un aéroplane est venu atterrir dans notre parc. Lavage caleçon, flanelle et chemise, l'un après l'autre. Coupe de cheveux, barbe.

Couché à Guyencourt. Pas un coup de canon de la nuit.

Temps passable.

Mercredi 23 septembre

Forte canonnade ce matin à notre droite.

Les Allemands partent cependant du côté du nord. On a observé hier une colonne de 20 kilomètres de longueur qui battait en retraite.

Attaque générale aujourd'hui, canonnade sur toute la ligne. Les Allemands doivent reculer mais leurs canons envoient toujours des obus de notre côté.

 

A 5 heures, nous allions manger la soupe et un caporal nommé Auriol nous racontait qu'une bombe lancée par un aéroplane allemand était tombée à 1 m 50 de lui au moment où il consolidait une ligne, près d'un parc d'artillerie.

Nous avons également à 50 mètres de nous 2 parcs.

Sa phrase n'était pas finie qu'une pétarade de mitrailleuse part et au même moment 2 bombes tombent à 10 mètres des 2 parcs, de notre côté, c'est à dire à 50 mètres de nous.

Cela va me faire passer une drôle de nuit.

En plus de cela c'est une vraie pluie d'aéros, nous en avons partout et c'est curieux de nous voir tous regarder en l'air et nous approcher des voitures pour nous mettre dessous.

J'oublie de noter que la 1re bombe est tombée juste à l'emplacement où nous étions 2 ou 3 heures avant, avec un nommé Grenou, en train de regarder le paysage.

Beau temps.

Jeudi 24 septembre

Les bombes ont fait de l'effet. Les parcs d'artillerie sont partis et notre parc est également venu se loger dans un verger, chaque voiture sous un arbre.

Le canon tonne toujours.

Nous avions repris la Ferme du Choléra et le Camp de César, mais non soutenue par l'artillerie, notre infanterie a dû encore les abandonner.

Beau temps.

Les Allemands mettent des prisonniers français en avant pour prendre des positions. Ils se servent également de brassards d'infirmiers pour prendre des tranchées.

Des paysans qui n'ont plus rien à manger viennent manger avec nous.

Vendredi 25 septembre

Toujours la même situation.

Touché ½ litre de vin. Acheté une chemise 4,75 F venant de Reims. Elle ne vaut pas plus de 3 F.

Toujours des avions sur lesquels des mitrailleuses posées spécialement tirent sans relâche. Les nôtres, pour se faire reconnaître, lâchent des fusées.

Nuit épouvantable.

 

A 8 h, le canon et les mitrailleuses commencent à donner. La maison où nous sommes en tremble.

Il est 6 h ½  et tout continue.

Cela n'a pas cessé de la nuit.

Samedi 26 septembre

Écrit aujourd'hui.

Toujours la même chose au parc : épluchage de légumes, soupe, etc.

Nuit mouvementée. Le canon et la fusillade font rage. On dit que les Allemands ont eu 15 000 morts dans la nuit du 26 au 27.

Écrit à Wallers.

Dimanche 27 septembre

Parti avec la voiture chercher du câble à Jonchery.

Avons tiré sur un aéroplane en cours de route. Lavé tout mon linge et recousu boutons et pantalon le matin.

Rien de nouveau.

On ne touche ni prêt, ni tabac. Nous avons pu trouver une bouteille de vin de 2 F à Jonchery. Toujours beau temps.

Vu le major pour ma jambe : teinture d'iode, aspirine.

Lundi 28 septembre

Toujours pas revu Ernest. Je vois bien de temps en temps des types du 1er lourd, mais ce sont ceux du ravitaillement et pas un ne le connaît.

Reçu une carte de J. Nesse et Prati.

Pas encore de toi. J’ai écrit aujourd'hui.

Nous nous mettons à construire une baraque avec du bois et de la paille pour nous abriter en cas de pluie, avec table à l'intérieur pour manger.

Le temps a l'air de vouloir se gâter, le vent est plus froid et les nuits sont fraîches.

Mardi 29 septembre

Notre baraque est terminée, on se sent bien à l'intérieur.

D'après les prévisions de Mme de Thèbes, les préliminaires de la paix devraient commencer aujourd'hui.

Si elle pouvait dire vrai !

Cela n'en a pas l'air. Les Allemands ne veulent absolument pas s'en aller d'ici. Il ne reste plus rien de Berry-au-Bac mais les boulets continuent toujours à pleuvoir dessus.

Beauny est encore allé poser des collets. Il prend du lapin et du faisan mais il y en a toujours qui passent avant nous pour les récolter. Nous avons eu juste une fois un petit lapin et on l'a donné à un adjudant.

Toujours pas de tabac.

Des lettres, encore aujourd'hui pour beaucoup...  mais pas pour moi.

Mercredi 30 septembre

L'état-major est dissous. Nous partons aujourd'hui, paraît-il, à l'état-major d'armée, c'est à dire en arrière de 20 à 25 kilomètres.

Les lettres commençaient à arriver et voilà encore l'adresse changée.

Ce coup-là je n'en aurai pas encore. J'en suis tout de même content car si nous partons à l'arrière je n'entendrai plus le canon de si près. En ce moment 3 obus viennent d'éclater près de nous, il y a longtemps que je les avais vus si près.

 

Je suis pris de coliques depuis hier après midi: je n'arrête pas d'aller au cabinet et je ne fais rien pour ainsi dire, c'est de la mousse.

Nous partons à Romigny à midi.

 

Nous arrivons à 6 heures. On n'entend plus le canon. Nous remarquons en route que toutes les troupes qui sont en arrière sont bien approvisionnées en vin, etc.

Nuit épouvantable comme fraîcheur.

OCTOBRE 1914

Jeudi 1er octobre

Resté une journée à Romigny.

Le lieutenant se détache de nous. Nous partons aux « isolés » et allons sans doute partir demain pour Noisy-le-Sec, pour retourner peut-être à Arras.

Si je pouvais aller à Paris, quelle chance !

Les coliques ne se passent toujours pas malgré les 2 potions que j'ai prises à l'infirmerie.

 

Le soir à 6 heures, départ pour le cantonnement des « isolés ». Au revoir aux amis, mais moi j'ai le cœur content.

Ils partent demain, destination inconnue. Les uns disent qu'ils vont à Clermont-de-l'Oise où se forme un autre corps d'armée.

 

Les Allemands reculent tout de même cette fois. L’état-major d'ici va avancer.

Ce fait les déconcerte, ils se sont aperçus du mouvement tournant et partent en vitesse par chemin de fer.

Les aéroplanes partent d'ici pour lancer des flèches dessus.

Vendredi 2 octobre

Il faut déchanter aujourd'hui.

Loin d'aller à Noisy-le-Sec, nous allons sans doute aller en 1re ligne.

On nous a fait passer la visite et en premier lieu on a demandé ceux qui voulaient retourner dans leur corps, sans visite.

Croyant bien faire, je suis sorti des rangs et on a éliminé ceux qui étaient réellement malades. J'aurais peut-être pu passer avec ma sciatique, mais il est trop tard.

Les reconnus partent de suite pour Noisy-le-Sec. Les autres, nous partons demain matin.

Je pleure de désolation. Où va-t-on me mettre ?

 

Je n'en sais rien, on ne s'occupe pas si j'ai 40 ans et 3 enfants. Nous allons peut-être même repasser dans l'infanterie.

Avec cela, des coliques toujours. Je ne mange plus, je n'ai plus de force, je me souhaite toutes les maladies et je ne puis en attraper aucune.

Samedi 3 octobre

Il est 6 h ½, nous partons au 18e corps.

Nous nous rapprochons de plus en plus du canon. Nous repassons, à pied cette fois et chargés, par les routes que nous avions prises pour revenir en arrière.

Nous arrivons à Jonchery. On fait la grand ‘halte.

Il est temps, je n'en peux plus. Cette fois ma jambe me fait réellement mal. Si j'avais le bonheur d'être reconnu malade en arrivant !

Mais je n'aurai pas cette chance et je pleure encore, il m'est impossible de m'arrêter en pensant à vous tous.

De plus, plus moyen d'avoir de lettre encore de longtemps, encore une nouvelle adresse à donner.

Mon Dieu, quand, quand sera finie cette maudite guerre ?

 

Nous arrivons à Maizy et je passe dans une compagnie d'active du 2e génie de Montpellier, après avoir passé avec les télégraphistes du corps et liquidé d'une manière qu'il m'est trop longue de raconter ici mais que je me rappellerai.

Dimanche 4 octobre

Écrit aujourd'hui.

Nous sommes en subsistance au 2e génie.

Le capitaine dit qu'il ne veut pas de nous, étant télégraphistes, mais je crois que nous serons forcés d'y rester. C'est une Cie qui a déjà été au feu et qui construit des ponts sous les balles.

Demain nous allons aller à la construction d'un pont. Je reprends tout de même espoir car un sous-lieutenant, très bon garçon, m'a dit que si l'on nous conservait ici, je serais sans doute envoyé en arrière. Il m'a mis du baume dans l'âme, mais j'ai tellement peu de chance que je n'y compte plus. Les obus passent par-dessus de nous, ils bombardent un ballon anglais qui est un peu en arrière de nous et j'ai bien peur que l'un d'eux n'éclate sur nous.

Je suis loin d'être rassuré.

Je viens de voir passer le 1er lourd  mais je n'ai pas vu Ernest.

Lundi 5 octobre

Nous sommes en train de construire un pont.

On reste, je te le dis dans une lettre qui, j'espère bien, t'arrivera vite. Les obus tombent en face de nous à 2 kilomètres et les aéroplanes allemands passent au dessus de notre tête et j'ai bien peur qu'ils nous repèrent et que les obus tombent sur nous tout à l'heure. Je voudrais pour beaucoup retourner en arrière, j'en ai toujours l'espoir mais je n'y compte plus.

Si cela arrive, je regretterai cependant ce régiment dans lequel je ne suis que depuis hier.

Jamais je n'ai rencontré de camarades aussi obligeants.

 

5 heures du soir, les obus n'ont pas tombé ici et j'espère bien que pour maintenant la fin de la journée arrivera sans que rien ne nous dérange.

Mardi 6 octobre

Toujours construction du pont, on est pire que dans un atelier.

Nous tournons la meule pour affûter les outils et un officier nous dit que nous n'en faisons pas lourd et que nous aurons de ses nouvelles demain.

Rien de neuf jusqu'à la fin de la journée.

Ma jambe va très mal. Je suis pris des reins mais pas assez, toujours, pour me faire porter malade.

Mercredi 7 octobre

Ma jambe est mieux et mes reins ne me font plus mal au réveil.

Un ami qui s'intéresse à nous me dit qu'un automobiliste de l'état-major va à Paris. Je vais le voir et lui demande s'il ne peut pas aller te voir et me rapporter ce qu'il me manque. J'ai oublié enveloppes et papier, et surtout rhum.

S'il a seulement le bonheur de te voir, je voudrais déjà être le 9 au matin pour savoir à quoi m'en tenir.

Garde aux voitures (pas prise).

Jeudi 8 octobre

Repos aujourd'hui.

Tirage au sort pour partir en avant : lettre J. Lieutenant, réponse pour le départ.

Reçu le paquet vers 5 heures ainsi que les nouvelles, cela me fait un grand plaisir de savoir tout le monde en bonne santé.

Vendredi 9 octobre

Revenons au pont.

Nous faisons des gabions pour remplacer les ancres.

Je me blesse au doigt avec une pierre.

 

Les obus tombent toujours en face de nous et sur les côtés.

Lu un journal d'hier - l'Écho de Paris (*) - qui m'a été donné par le chauffeur. Régal avec tabac fin, ainsi que quelques amis.

Je suis toujours à la 18-3, 2e génie, mais il est presque certain que nous changerons, alors je n'écris pas encore. Les obus tombent  en face de nous.

En mangeant la soupe le soir, nouvelle canonnade à 200 mètres.

Avons nuit tranquille.

Obus sur Concevreux.

 

(*) : Sous la IIIe République, l’Echo de Paris était un quotidien d’orientation plutôt conservatrice et nationaliste. Il a été publié de 1884 à 1944

Samedi 10 octobre

Le matin démontage et remontage d'un pont de bateaux fait quelques jours avant.

L'après-midi, arrangement d'une route.

Dimanche 11 octobre

Toujours à Maizy, arrangement de la route.

Rien de nouveau.

Belle journée. Toujours rien de nouveau, alors pas écrit.

 

A 6 h ½, nous allons remplacer de l'infanterie à la garde d'un pont. Faction de 11 h à 1 h.

Nuit affreuse en plaine, le long du canal.

Crampes.

Garde dans les tranchées la nuit. Mot de passe : LILLE.

Lundi 12 octobre

Attaque sur toute la ligne.

Les Allemands doivent reculer. Journée assez belle. On se réconforte de la nuit.

Garde jusqu'à 7 heures.

Écrit aujourd'hui. Mot : MACON.

Mardi 13 octobre

Repos. Reprenons la garde à 7 heures.

Mot : NICE.

Meilleure nuit.

Mercredi 14 octobre

Garde. Donné un sabre allemand à un lieutenant du 14e artillerie pour un paquet de tabac fin.  Mot : OSTENDE.

Jeudi 15 octobre

Pluie. Bonne nuit. Arrangement de route, cassage de pierres.

Vendredi 16 octobre

Construction et démolition d'une passerelle.

Les obus aujourd'hui éclatent au dessus de nous et un peu en avant.

 

A 5 h, personne encore n'est touché.

Le colonel nous a fait demander notre profession, à moi et Beauny.

Où allons-nous encore aller ?

Poids 76 kg.

Samedi 17 octobre.

Nous partons pour Révillon.

Les obus tombent toujours, vers 9 heures et vers 4 heures le soir, en haut sur le village. Aujourd'hui ce sont les obusiers qui ont touché.

Me suis fait raser par une femme qui était justement aux pommes de terre, au moment où ils ont touché. J'ai cru qu'elle allait me couper par son tremblement.

A 11 heures, nous partons pour Révillon, à 4 km.

Le sac est lourd pour la 1re fois.

Dimanche 18 octobre

Notre cantonnement est très bien. Nous sommes dans un grenier, rien que notre escouade.

Les obus tombent aussi près qu'à Maizy.

A la grâce de Dieu, pourvu que je n'en reçoive pas un sur le crâne ! Le sifflement m'importe peu maintenant, on commence à en prendre l'habitude. Il est fortement question de m'envoyer en arrière.

Cela ne va pas assez vite à mon avis.

Nous allons au travail à 10 heures. Contrordre, repos 4 heures. Un coup de canon, je suis dans la rue à attendre le Bulletin des Armées, l'obus passe par dessus ma tête avec un sifflement sinistre.

Je reste cloué sur place et entends l'éclatement à 50 mètres plus loin. Je me réfugie dans un couloir. D'autres obus arrivent et nous les regardons tomber presque au même endroit, mais en reculant un peu.

L'un tombe sur le château où une section des nôtres se trouve et tue un ordonnance en train de se laver, là où nous nous étions débarbouillés le matin.

Nous sommes réellement tombés dans une sale position. Et deux fois par jour et presque aux mêmes heures, la danse va recommencer.

Notre commandant qui était au château a changé de logement.

Lundi 19 octobre

Réveil comme d'habitude.

Nous attendons les ordres pour aller au travail. Nous nous sommes bien installés.

 

Hier nous avons fait tables, bancs, etc. et c'est dommage que les obus tombent si près, on serait très bien ici.

 

Après-midi, arrangement d'une route entre Fismes et Révillon.

Passage à l'angle d'une route où les obus bombardent.

Mardi 20 octobre

Destruction d'un pont métallique déjà sauté et construction à côté d'un autre pont à Pont-Arcy.

Notre route est jonchée de traces d'obus sur 7 km.

 

Arrivée à 8 heures le soir au cantonnement, éreinté.

Pris la garde de 9 heures à minuit pour ne pas y retourner le lendemain.

Mercredi 21 octobre

8 heures. Je sors de ma 2e faction. Je viens de voir le lieutenant attaché au colonel. Il m'a demandé si ça allait.

J'en ai profité pour lui demander s'il n'y avait pas de nouvelles pour moi. Il m'a répondu qu'on ne savait pas trop quoi faire. Je crois que je suis dans cette Cie jusqu'à la fin de la guerre.

Je n'ai plus que la chance de passer à travers les obus.

J'écris aujourd'hui en pleurant, je suis seul dans notre grenier et c'est plus fort que moi de songer à cette boucherie et de voir qu'à mon âge, je puis à chaque minute recevoir un obus qui m'empêcherait de revoir ma chère famille.

Jeudi 22 octobre

Repos.

Les autres ont touché 1 couverture pour trois, 12 tricots pour 16, 1 ceinture de flanelle par homme.

Pour nous rien.

Le commandant a donné l'ordre de nous donner un tricot et une ceinture.

Vu le fils Cirodde.

Vendredi 23 octobre

Arrangement du cantonnement.

Brouettage de fumier.

Des territoriaux du 15e bataillon du génie d'Avignon sont arrivés ici à Révillon.

Ils font une sale tête en entendant le canon. Ils vont arranger les routes sans doute. Si on pouvait me mettre avec eux, c'est tout ce que je puis demander pour l'instant.

Mais je crois fort que je resterai à la 18-3.

Reçu une carte aujourd'hui.

J’ai écrit.

Samedi 24 octobre

Garde depuis hier soir. Mots : COURTRAI, ZOUAVE, MAJOR.

4 heures de garde seulement.

Récapitulation des hommes de la Cie par grade, âge et recrutement.

Pourquoi ?

Un aéroplane a lancé 6 bombes hier, également à Merval.

Jeu de cartes,  j’ai gagné 33 sous.

Dimanche 25 octobre

Soupe à 10 heures.

Réparation des souliers : 2 heures.

Rien de nouveau.

Lundi 26 octobre

Nettoyage de route de Glennes à Maizy.

Les obus pleuvent partout.

En rentrant à Révillon les Allemands commencent à le bombarder. Au premier qui siffle au dessus de nous, je descends vivement de notre grenier et je me réfugie dans une cave. La descente de l'échelle a été rapide, j'ai manqué un échelon du milieu et je suis parti directement en bas sans me faire mal.

Aussitôt dans la cave un obus passe et va éclater à 50 mètres de nous, dans la cour où sont les territoriaux.

Personne de touché.

Attaque formidable toute la nuit : fusils, mitrailleuses, canons. Cela fait un vacarme épouvantable.

Mardi 27 octobre

On dit le matin qu'un régiment allemand a été anéanti.

 

Soupe à 9 h. Départ à 10 h.

Je fais fonction de sergent, le nôtre étant malade.

Le lieutenant Thouvenot me fait passer plus en arrière, avec 3 roulettes.

Route de Maizy à Oulches. On a une très belle vue : On découvre Beaurieux, Maizy, Craonne, Craonnelle, Cuiry et d'autres villages dont je ne sais pas le nom.

Les obus pleuvent partout, les Allemands bombardent tous les environs, village par village. Nous allons encore sans doute être arrosés en rentrant à Révillon.

 

Je dois rester sans doute ici car nous touchons de l'intendance maintenant comme ceux du 2e génie. J'ai touché un sac neuf aujourd'hui et cela me fait tout de même plaisir pour mon linge. Dans tous les cas, j'aurais bien voulu rester avec les télégraphistes du 4e groupe.

Le travail était beaucoup mieux et je risquais beaucoup moins qu'ici. Il n'y aurait rien de drôle, qu'en plus des obus, je sois forcé de faire le coup de feu avant la fin de la guerre.

 

J'ai écrit hier à Joséphine, aujourd'hui aux parents et à Michel. Les obus ne sont pas tombés aujourd'hui à Révillon.

Mais demain réveil à 6 h, départ à 7 h. Nous allons faire une route au dessus de Beaurieux dans un bois où les obus pleuvent toute la journée.

Quel en sera le résultat ?

Mercredi 28 octobre

Pour une fois nous sommes veinards.

Au lieu d'aller à la construction de la route, un sous-officier est venu nous informer hier soir à 11 heures que nous devions aller aujourd'hui avec un groupe des projecteurs pour construire une ligne téléphonique de Merval à Révillon.

Il est 7 heures du matin et nous partons la construire.

Nous terminons à midi et tout va bien.

Jeudi 29 octobre

Une autre équipe de télégraphistes ayant construit une ligne parallèle à la nôtre, des mélanges de fils sont intervenus et nous en avons profité pour la vérifier.

Terminé à 9 h. Repos le reste de la journée.

Vu le colonel, le commandant et le capitaine.

Nous faisons bonne impression auprès d'eux.

Vendredi 30 octobre

Je me suis fait porter malade ce matin pour ma jambe.

Exempt de service.

J'ai reçu hier le paquet mais pas de lettre. Pas de timbres sur le paquet. Le marc et le briquet me font un réel plaisir.

Samedi 31 octobre

Le lieutenant m'a fait rester au cantonnement, trouvant que le chemin était trop long et surtout trop fatigant pour moi.

Je ne me suis plus fait porté malade.

Toujours pas de lettre. Beauny a reçu tout de même de l'argent et un colis juste au bout de 3 mois.

 

Description : 1.jpg

Itinéraire établi par André

 

 

Encadré de la carte ci-dessus

Description : 1.jpg

 

NOVEMBRE 1914

Dimanche 1er novembre

Nous sommes de garde aux voitures. Mot : PERONNE.

La journée et la nuit se passent tranquillement.

C'est la Toussaint.

Quelques obus seulement sifflent de loin. Je reçois enfin la première lettre, à peu près.

Lundi 2 novembre

Canonnade assez forte de la part des Français, à notre gauche et du côté de Soissons. Repos pour nous deux encore aujourd'hui.

Beauny a reçu un autre colis hier : tabac, briquet, etc. Je réponds à ta lettre aujourd'hui.

Beau temps.

Les aéroplanes passent sans discontinuer et lancent des bombes un peu partout.

Mardi 3 novembre

Attaque des Allemands sur tout le front en face de nous. Bombardement continuel. Le sergent Marie me fait rester comme aide-cuisinier pour ne plus aller au travail.

Gentil garçon, bien accouplé avec le sous-lieutenant Thouvenot.

 

Le soir à 4 h, avertissement pour tout le monde d'être prêts à partir à 5 h avec le sac. Les uns disent qu'on va dans le Nord, les autres qu'on va refaire des ponts détruits par les Allemands.

Dans tous les cas, sale corvée de nuit.

Je dois partir avec les autres mais au dernier moment le cuisinier en pied étant maître ouvrier doit y aller et je reste donc. Ils vont poser des réseaux de fils de fer devant les tranchées. Ils arrivent à 3 h du matin exténués.

Ils ont fait 20 km, aller et retour et ont posé leurs fils de fer sous les balles. Beauny est réduit. Il me dit qu'encore ce coup-ci il a eu bien peur et regrettait de ne pas m'avoir donné ses recommandations avant de partir.

Mercredi 4 novembre

C'est la Saint-Charles, mais bien triste.

La section reste au repos. Ma jambe et mes reins me font mal.

Demain je me ferai porter malade.

Le soir, en nous couchant, les Allemands s'amusent encore à faire partir une dizaine d'obus au dessus de nous qui vont tomber dans la direction de Villers. 

Jeudi 5 novembre

Me suis fait porter malade ce matin.

Exempt de service. Mes reins me font bien mal et j'ai passé une très mauvaise nuit. Par 5 ou 6 fois j'ai été pris de douleurs et de crampes. Si cela doit continuer je ne me vois pas dans de beaux draps car il n'y a pas possibilité de se soigner.

Vendredi 6 novembre

Rien de nouveau.

Exempt de service.

Fortes attaques dans la nuit. Reçu une lettre de Joseph.

Samedi 7 novembre

Exempt de service.

Répondu à Joseph.

Attaque toute la journée et une partie de la nuit.

Dimanche 8 novembre

Exempt de service.

Changé mon pantalon. Pris également un caleçon.

Lundi 9 novembre

Rien de nouveau.

Exempt de service.

Un de notre escouade, Parain de Villefranche, a tiré un sanglier qu'on a rapporté le soir pour manger ensemble.

Attends lettre.

Mardi 10 novembre

Exempt de service.

Toujours pas de lettre. On entend causer que nous allons partir.

Est-ce vrai ?

Mangé sanglier.

Mercredi 11 novembre

Exempt de service.

Mangé sanglier.

Jeudi 12 novembre

Id.

Reçu 4 lettres. J’ai écrit.

Vendredi 13 novembre

Id.

Écrit à Arthur, M. Rémi.

Samedi 14 novembre

Id.

Vais peut-être être envoyé dans un bureau de poste ?

Dimanche 15 novembre

Partons à 6 heures, rien que notre section, pour Cuiry-lès-Chaudardes. Ne sommes pas très bien logés. On est les uns sur les autres. 3 escouades dans un grenier où ils seront gelés.

La nôtre au rez-de-chaussée mais salle très petite. Des obus sont tombés hier sur le mur du jardin de la maison.

 

11 heures.

Les obus commencent à tomber autour de la maison où nous sommes.

J'ai bien peur d'en recevoir un sur nous.

Lundi 16 novembre

Le major n'étant pas ici, je ne puis pas me faire porter malade et je vais au bois avec les autres.

Pas d'obus ce jour sur le village.

Mardi 17 novembre

Arrivés au bois.

Des obus tombent sur la ferme des Grands-Sablons.

Notre colonel et 2 capitaines s'y trouvent. Un caporal aussi de notre section qui est parti chercher les légionnaires pour leur apprendre à faire des tranchées. Les officiers reviennent sans chevaux. Un ordonnance les ramène après. 3 chevaux sont blessés.

Les officiers et le caporal n'ont rien mais il y a 3 tués et 10 blessés. Je reviens à 2 heures pour voir le major qui doit venir,  mais il ne vient pas. Ma jambe et mes reins empirent depuis 3 jours que je force un peu.

Mercredi 18 novembre

Travail au bois consistant à aller faire un tour de chasse de 10 à 12 h ½ ou 1 heure : lapins, lièvres, faisans à volonté !

Mais rien aux collets.

Jeudi 19 novembre

Id.

Rien aux collets. En avons posé ce jour une cinquantaine.

 

Le soir, Beauny et Guy rapportent chacun un lapin, c'est la fête.

L'officier est exubérant de gaîté. C'est un vrai camarade et surtout pour moi. Il m'appelle son capo et je suis le premier avec le sergent Marie à profiter de ses petites gâteries : huîtres, vin, chipester, tabac, etc.

Il a reçu également 2 pigeons et comme il n'y en a pas pour tout le monde, on se sert à 4 sur un, 2  le tenant par les ailes et 2 par les cuisses.

Puis on tire dessus, à qui aura sa part. Beauny triche et enlève presque le tout ! 

Vendredi 20 novembre

Chasse le matin. 2 nouveaux lapins, dont un tué par moi.

Je retourne à Révillon pour voir le major.

Soirée chantante, un camarade est allé à Fismes et a pu se procurer du vin.

Nous faisons notre dîner, chacun buvant du vin à sa soif, c'est la première fois depuis bien longtemps.

Ensuite il y a café, pousse-café, c'est la noce !

J'oublie de dire aussi que nous avons mangé de la salade, c'est cependant un événement qu'on doit noter.

Samedi 21 novembre

Visite au major qui m'appelle son « pauvre vieux ». Je suis décidément le gâté de toute la section. Il est vrai qu'il est rare de voir des types choisis comme ceux avec qui je vis depuis mon arrivée au 2e génie.

Le major me propose de m'évacuer mais je n'y tiens pas beaucoup et il m'approuve.

Lui et mon officier vont faire le nécessaire pour tâcher de me faire retourner en arrière dans un bureau.

 

Retour à Cuiry-les-Chaudardes pour reprendre mon fourniment et je dois rester exempt de service à Révillon.

On m'affecte à une autre escouade et je tiens à aller passer ma dernière journée avec mes bons amis. En arrivant on m'apprend qu'il y a vin et chipester à volonté.

Une belle soirée commence et tous à peu près, depuis Thouvenot jusqu'à Delsaut, on y va de sa petite chanson.

Moi j'envoie « Euphémie », mais je ne puis dire plus de 2 couplets et encore, le reste m'échappe. Plusieurs sont bons chanteurs.

Le lieutenant lui est tordant, genre Gavroche parisien.

Bien entendu chanson de circonstance.

 

Avant de se coucher, il me remet à nouveau 1 paquet de tabac. Comme il ne veut pas que je le paie, je refuse.

Il en prend alors 2, je suis alors forcé d'accepter car toute sa réserve y passerait et je serais forcé de la prendre.

Dimanche 22 novembre

Nous allons à la messe le matin de 8 heures à 9 heures.

Un aumônier militaire prêche sur le blasphème, puis il dit la messe, accompagné par des artilleurs. Nous sommes environ 100 dans la petite église et j'y reste jusqu'à la fin.

Tu seras bien étonnée quand tu l'apprendras !

 

10 heures. Les camarades vont au travail, je leur serre la main à tous. Ça me fait quelque chose au dernier, qui est Beauny.

Peut-être allons-nous nous quitter pour toujours ?

Coup de fusil en route, un soldat tirant sur des palombes.

Lundi 23 novembre

Visite du major.

Je suis évacué sur Fismes. Je fais refaire mon portrait de profil.

Le matin je donne mon bidon pour rapporter du vin de Fismes mais je pars avant qu'il soit rendu et je prends celui de Dinius.

Arrivé à Fismes avec le fourgon à 5 heures. Je bois une chopine de blanc au restaurant, il y a longtemps que cela ne m'était arrivé.

Je me rends à l'hôpital d'évacuation. On mange bien et on couche dans un lit.

Une dame de la Croix-Rouge me dit que ma fiche qui porte étape veut dire : « évacué entre Château-Thierry et Paris ».

Un infirmier me dit : « Château-Thierry ».

Mardi 24 novembre

Vu au dispensaire un infirmier de la rue Saint-Blaise et un autre, Lebouvier, de la rue des Haies, qui travaille au pulvérisateur.

 

Partis en train pour Château-Thierry à midi.

Passons par Mont-Notre-Dame, Fère-en-Tardenois.

Voyage en wagons 2e classe chauffés. Oulchy, Brény, Coincy, Bézu-Saint-Germain.

 

A 4 h ½, nous arrivons à Château-Thierry.

C'est épatant le bien-être que j'éprouve.

Depuis hier soir je me sens plutôt malade, ma jambe et mes reins me tiraillant plus que d'ordinaire.

A midi dans mon compartiment, un type des Landes à qui je veux passer un journal que je viens d'acheter, me le refuse en me disant qu'il ne sait pas lire. Il a 32 ans.

A Fismes, les infirmiers sont tous du Nord (Lille, Roubaix, Valenciennes), fils Dugardin, pharmacien-sergent. Pas un encore n'a reçu des nouvelles de chez lui.

Passons la nuit à  Château-Thierry.

Mercredi 25 novembre

Départ de Château-Thierry.

Passons par Mézy.

La neige tombe depuis ce matin, le temps ne radoucit pas. Montmirail, Esternay, Villiers-Saint-Georges.

Réception aimable : vin, tabac, etc. Passons à Léchelle, allons à Provins.

On arrive à Provins et on part en auto au collège. On nous met 11 dans la même salle.

J'ai la chance de choper un lit qui fait un coin et qui a un sommier. Je me couche de suite dessus.

Que c'est bon !

Jeudi 26 novembre

Passé une bonne nuit.

Les dames de la Croix-Rouge sont aimables et s'inquiètent de tout ce dont nous pouvons avoir besoin.

A midi, pas encore vu le major.

Écrit à Paris, à Thouvenot et Marie.

Vendredi 27 novembre

Envoyé carte.

Visite du major.

Peut-être vais-je rester là ?

Samedi 28 novembre

Visite d'un autre major.

Rien de nouveau. Écrit à Ernest et Émile.

 

 

Description : 1.jpg

Ernest, le frère de Charles du 106e d’artillerie lourde.

On distingue, sur son uniforme, 4 chevrons de présence au front ce qui correspond à 2 ans ½.

 

Dimanche 29 novembre

Visite de Corpel. Rien de nouveau.

Lundi 30 novembre

Visite du médecin-chef. Rien dit au sujet de l'emploi à la 1re visite. Il est revenu ensuite avec son aide.

Je crois tout de même que je vais rester ici.

Il dit que sinon je ne vais faire que la navette entre Château-Thierry et ici (Provins), s'il me renvoie.

 

 

Fin du carnet de route

Description : feather

 

Ensuite …

 

Charles Delsaut fut désigné par le major pour aller faire une cure au Mont-Dore d'où il sortit complètement guéri de sa sciatique. Il fut réaffecté après sa guérison comme télégraphiste au Fort de Charenton et il y termina la guerre sans jamais retourner au front.

 

Description : feather

 

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