Mise à jour : octobre
2019
Sergent Charles DUMAY du 89e régiment d’infanterie – août 1909
Dominique nous
dit en novembre 2008 :
« Je suis comme
vous, généalogiste amateur... et mon arrière-grand-père était fantassin en
14-15. Il faisait partie du 289è RI et fut tué à Souchez en juin 15.
Je possède : - une
partie de son journal de marche et quelques photos de lui, mais en 1909,
pendant son Service Militaire - des lettres de 14-15 (de lui et de ses
camarades annonçant sa mort à son épouse - ainsi que des photos du 89è de
1908-1909. Je veux en faire profiter le maximum de personnes. Il faut me
prévenir si vous recopiez tout ou une partie du récit.
Merci ».
Charles Léon Georges DUMAY est né en août 1886 à Montgeron (Essonne) – Il travaille à la graineterie familial – Il est incorporé au 89e régiment d’infanterie de Sens pour son service militaire de 1907 à 1909, et passe sergent. Il est donc logiquement rappelé au régiment de réserve du 89e RI, le 289e RI en août 1914.
Le 289e régiment d’infanterie fait partie de la 109e brigade d’infanterie (avec les 204e et 282e régiments d’infanterie), qui elle, fait partie de la 55e division de réserve (avec la 110e brigade, 231e, 246e et 276e RI)
Les noms de villages ont été corrigés dans le texte. J’ai ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.
Merci à Philippe S. pour les corrections.
En réalité le
carnet est composé de « sous-carnets »
Première partie :
Le carnet original : Ecriture de couleur marron.
Seconde partie :
Intitulée : Journal de route de mon père, Charles DUMAY du
début de la guerre 1er août au
Copie presque conforme à l’original qui existe daté du 20 août au 30 sept sans doute fait par ma mère. Nous pensons que ce carnet a été « repris » par Charles lors d’une permission ou de son séjour à l’hôpital. En effet, l’écriture est la même que celle du carnet original ci-dessus et elle est différente de l’écriture des lettre de Marie, sa femme, qui sont à la fin de ce carnet.
Ecriture de couleur noire
La troisième partie
« Journal de Marie GOUVENIN à son mari Charles DUMAY »
Du 11 octobre au
Les lettres de Marie, sa femme, du 11 au
Important : pour une bonne compréhension des
événements, j’ai volontairement « mélangé » les 2 « sous
carnets » pour avoir un ordre chronologique
Le 1er est de couleur marron, le second de
couleur noire
Lire sa fiche matriculaire : ici
Soldats du 89e régiment d’infanterie dont le sergent Charles DUMAY – août 1909
Parti de Melun par le train de 2h19 pour aller y faire mon marché comme chaque samedi ; j’en avais l’habitude depuis que j’avais pris la succession de mon père ; chaque personne avait ce jour-là l’air préoccupé et il était question dans presque chaque conversation, d’une mobilisation imminente ; la corde était tendue à un tel point qu’il fallait qu’elle casse. Au marché, presque personne.
Cette question grave avait, avec la moisson commencée,
retenue la plupart des fermiers chez eux, donc il fallait s’attendre à ne voir
presque personne, à part ceux auxquels il était dû de l’argent, lorsque tout à
coup un gendarme passe en me bousculant un peu et dit à haute voix à seule fin
que les personnes qui étaient là puisse entendre : ça y est, la mobilisation est déclarée.
Tous les visages à cette déclaration deviennent blêmes, certains livides. Je sers la main aux quelques fermiers qui étaient là et avec lesquels je faisais des affaires ; nous nous disons « au revoir » et quelques autos qui étaient rangées sur la place le long des trottoirs disparaissent une à une, puis subitement la place abandonnée par nous devient vide, triste, chacun était parti.
En m’en allant prendre le train, je passe chez une amie de ma femme, mariée à un charcutier depuis peu (est annoté par Papa : COUSSINET, dit Couscous tête de veau) et restant sur mon passage, je trouve toute la famille en pleurs et m’empresse de remonter ces cœurs du mieux que je le puis avant de les quitter.
A la gare, je prends le premier train qui se dirige vers Paris, certain d’arriver plus vite de cette façon à Montgeron, que d’attendre celui qui m’emmènerait d’habitude.
Malgré la nouvelle déjà connue de tous, chacun est calme, le train s’arrête à toutes les gares jusqu’à Brunoy, et pour mettre un comble à ma veine, file directement à Paris. J’en suis quitte pour en revenir par un autre qui part presque aussitôt mon arrivée.
J’arrive chez moi avec un peu de retard, mais très heureux d’être rentré.
Nous nous couchons, ma femme et moi après avoir mis notre bébé au berceau, mais il m’est impossible de dormir, cette terrible chose que depuis tant d’années, mon grand-père et mon père, m’ont parlé dans maintes circonstances, est donc enfin arrivée.
Je vais donc moi aussi voir ce qu’est la guerre, la vraie guerre, celle où il y a de vrai morts, n’ayant pu croire les récits ni pu m’en rapporter aux images rappelant ça.
Je vais donc en tuer de ces boches, de ces satanés boches qui nous font tant de mal par tous les moyens, et puis c’en est assez, il faut en finir et au plus vite.
Monsieur le Comte d’ESCLOUBES parti dès le matin, la veille peut-être, a fait poser une petite affiche blanche sur laquelle il dit que l’heure n’étant plus aux réjouissances, le feu d’artifice qui avait avoir lieu ce soir même est reporté à une date ultérieure.
En effet, nul dans Montgeron n’a l’idée à la rigolade, chacun demande à l’autre « quand pars-tu ? Où vas-tu ? ».
Pour ma part, je ne dois partir à Sens que le 3ème jour, par conséquent c’est mardi matin que je partirai.
En attendant, aidé de mon employé, toute la journée du dimanche et celle du lundi sont bien employées, mes clients songent à faire une provision aussi importante pour leurs poules que pour eux-mêmes ; l’on croirait, à entendre certains, que nous sommes déjà privés de tout.
Je dis au revoir à mes parents ; c’est déjà chose faite de la veille pour les amis.
J’embrasse tendrement mon petit gars (qui sait, pauvre petit, c’est peut-être le dernier jour que je le vois, mais c’est une idée vite mise à l’écart) ; ce n’est qu’après avoir eu la promesse de ne pas voir de larmes que je consens à ce que ma femme m’accompagne à la gare.
Nous arrivons bien avant l’heure et nous causons un peu avec l’un ou l’autre en attendant le train qui est à 6 heures 50 ; après un dernier baiser, il m’emmène dans la direction de Sens, après avoir pris à chaque gare les civils qui demain, seront tous dans la même tenue ; il nous débarque à Sens vers 9 heures du matin.
Nous avons vite fait connaissance en arrivant, et la compagnie à laquelle je suis affecté n’étant pas à la caserne, je me présente à la maison où est son bureau, fais connaissance avec les camarades déjà arrivés, et je retrouve malgré ça quelques camarades de l’active.
Ma compagnie est logée dans le voisinage de la gare voisine de celle de Lyon.
Nous nous habillons, équipons, armons et faisons les provisions de bouche aux 250 hommes de la compagnie. Le drapeau nous est présenté, donné, accompagné d’une allocution de circonstance de la part du lieutenant-colonel qui est salué et applaudi par une bonne partie de la population aux cris de « Vive la France, vive l’Armée », puis pour clore la fête, nous faisons une petite promenade d’une dizaine de kilomètres pour nous faire les jambes, et j’ai le plaisir de rencontrer mon ami René DROUIN accompagné de sa sœur à qui je donne la commission de souhaiter le bonjour chez moi en passant.
En arrivant, nous sommes avertis que nous devons partir à minuit pour une destination que naturellement chacun se doute, mais que personne ne connaît. Pendant toute la soirée, beaucoup de compagnies nous ont déjà précédées et sont parties.
L’effet de défilé est très joli car rares sont les fusils qui n’ont pas de fleurs. A bien réfléchir l’on ne croirait pas que nous allons à la guerre ; bon nombre d’officiers ont des bouquets, des gerbes de fleurs, presque tous chantent, quoiqu’un bon nombre n’en n’ont pas envie dans le fond, car bon nombre d’entre nous, pour ne pas dire tous, ont femme et enfants, et si beaucoup ont la chanson aux lèvres et la blague facile, certains pensent aussi à ceux qu’ils laissent au logis.
Tout l’après-midi il en est ainsi, chaque fraction de troupe venant embarquer au son de sa clique. Le tour de ma compagnie arrive à une heure assez tardive, mais ça n’empêche pas de chanter et de crier comme si c’était déjà fait « à Berlin ».
Chacun de nous a aussi sa fleur ; pour mon compte personnel j’ai un gentil bouquet qu’une demoiselle m’a remis avant mon départ, beaucoup de camarades ont le leur aussi ; enfin à minuit à peu près nous quittons Sens et passons par Montgeron où nous prenons la ligne de Provins.
Je ne sais au juste par quelles gares nous avons passé, toujours est-il que c’est le mardi 11 que nous avons débarqué à Sampigny après avoir été immobilisé en pleine campagne par suite d’un affaissement de la voie et qui nous avait occasionné quelques morts par la même occasion.
Il est environ 6 heures quand nous arrivons ; le soleil est déjà assez fort ; un dirigeable évolue un peu à notre droite, sur veillé par un aéro qui fait bonne garde autour de lui.
Nous nous dirigeons vers Saint-Mihiel ; il fait très chaud et quand nous avons passé le pont de la rivière l’on fait halte et le café, j’en profite pour quitter mon équipement et ma capoté pour aller me nettoyer ; plusieurs camarades en font autant ; aussitôt le café fait et bu nous continuons à monter le côte en plein soleil en tournant autour du Fort des Paroches, puis après avoir fait la pose à l’entrée de Saint-Mihiel , nous arrivons à la caserne Canrobert.
Il est environ 10 heures.
L’on nous installe tant bien que mal, mais à voir dans quel étant les locataires qui nous ont précédés ont laissé la maison, l’on devine qu’ils n’ont pas eu le temps nécessaire pour tout ranger.
Je visite un peu dans le courant de l’après-midi cette caserne à côté de laquelle d’autres sont en construction et suit émerveillé du point de vue que l’on a de chaque fenêtre, ça ne peut être mieux placé au point de vue hygiène.
Le clairon nous oblige à décamper. C’est dommage car j’avais réussi à me procurer un lit, sans draps naturellement, et que je ne faisais que commencer à en apprécier les avantages.
Nous partons avec bien du mal, car les hommes sont sortis la veille et quelques-uns n’ont pas été raisonnable, mais ces petites bêtises passent inaperçues, et nous nous dirigeons approximativement du côté de Metz. Nous passons Chaillon déjà occupé par les nôtres et non sans avoir laissé quelques traînards à l’arrière, nous arrivons vers midi à dépasser les travaux de défense « tranchées et réseau de fil de fer » exécutés probablement les premiers jours de la mobilisation, et nous nous installons dans un petit bois à proximité de Eudicourt, Vigneules et Hattonville.
Quelques corvées sont à l’eau, car c’est tout ce que l’on peut trouver après avoir fait des petites cabanes au moyen de branchages, nous passons notre première nuit à la belle étoile.
Je me réveille le lendemain avec le képi de mon voisin. Instinctivement nous avions fait l’échange dans la nuit. Les hommes sont déjà dans certains coins en train de faire le café qui nous fait du bien ; aussi dès que le soleil fait son apparition, les capotes sont étalées un peu partout, nous laissant la liberté de nos mouvements.
Ma pensée s’en va bien loin à travers tous ces ennuis, car aujourd’hui mon fils a 14 mois. Ce cher petit il est bien loin, mais cette idée s’en va vite car les loustics ne sont pas rares dans ma compagnie et il faut bien faire comme tout le monde, chasser les mauvaises idées.
La viande arrive avec les légumes et bientôt se dégage une odeur des plus agréables. Cette journée se passe sans alerte, mais le soleil en se couchant nous envoie une pluie qui nous empêche de dormir tranquille, aussi sommes obligés de rester debout une bonne partie de la nuit.
Aussi sommes-nous content de quitter ce logis si peu commode. Même sans prendre le café à 5 heures du matin, le soleil se charge de nous sécher.
Nous passons Heudicourt, Nonsard, Lamarche-en-Woëvre, et arrivons par le plein soleil à Beney.
Il est 11 heures où 4 uhlans ont été tués la veille et enterrés à côté du cimetière. Le premier renseignement ne fait qu’accroître notre curiosité ; aussi quand dans le courant de l’après-midi, il en passe 2 qui sont escortés par 2 chasseurs à cheval, toute la compagnie est-elle là pour les voir passer. Après avoir mangé sur l’herbe, nous nous couchons dans la paille et ma foi, l’on dort mieux que la veille dans les bois sous la pluie.
Une compagnie de chasseurs à pied revient du côté de la
frontière qui n’est plus qu’à 12 ou
Cette journée de pluie nous empêche de sortir, mais chacun nettoie son fourbi.
Mon camarade se débrouille pendant ce temps-là et nous découvre un lit pour passer la nuit suivante dans la maison que la section occupera dans un autre endroit du pays.
Nous y passons une bonne partie de la nuit aussi le lendemain matin 18 août un copain nous apporte le café et c’est à regret qu’il faut le quitter, car il faut que l’on déménage. Pourquoi ? Nul ne songe à s’en inquiéter, chacun bouclant son sac aussi vite que cela lui était possible.
Nous passons par Saint-Benoît et faisons le café à Dampvitoux à une dizaine de kilomètres de la frontière. Le petit village est à moitié évacué et l’on sent en y arrivant que la contrée n’est pas ce qu’elle devrait être, car une herbe verte et touffue en cette chaude saison prouve qu’il y a dans ce coin une source d’élevage de 1er ordre.
Aucune maison de construction récente, au contraire. Une dans le nombre s’est effondrée et n’a même pas été reconstruite ; l’on sent que le propriétaire est sous la menace continuelle des obus. Personne n’ose venir s’y installer.
Nous sommes avertis que dans la nuit il nous faudra probablement aller déloger les Prussiens qui sont à quelques kilomètres de là.
L’on se couche donc après la soupe laissant la porte de la grange dans laquelle nous étions logés toute grande ouverte ; mais dans le courant de la nuit, une bonne partie de ceux qui s’étaient mis à l’entrée sont obligés de se vêtir plus chaudement, puis se rendorme tranquillement jusqu’au matin ; rien par conséquent n’est venu nous déranger, au contentement de tous.
Charles DUMAY durant son service militaire au 89e régiment d’infanterie - 1910
Vers 11 heures, la moitié de la compagnie est désignée pour aller occuper les tranchées qui se trouvent à l’entrée du village ; je reste avec le reste et peu de temps après leur départ, le capitaine nous emmène reconnaître les emplacements occupés par les camarades à qui nous viendrons succéder dans le courant de la nuit suivante.
Nous n’avons pas plutôt réintégrer notre grange que le capitaine y pénètre à son tour et nous annonce qu’un corps d’armée bavarois a été anéanti par les nôtre et que nos troupes, ou tout du moins une petite partie, ont franchi le Rhin.
Des braves le font sauver, puis chacun discute à sa façon en attendant la soupe du soir.
Ensuite au lieu de nous coucher ou d’aller relever les
camarades comme nous en avions été averti, l’on muni les hommes de pelles et de
pioches pour aller faire une tranchée au-delà de celle déjà occupée, ce qui est
loin de faire plaisir à beaucoup, car manier la pelle et la pioche n’est pas
facile pour qui n’a pas l’habitude et c’est encore bien moins facile la nuit où
l’on n’y voit rien, car il n’est pas rare d’en trouver faisant leur somme à 3
ou
Tant bien que mal la tranchée se fait et nous retrouvons notre grange.
Il est peut-être bien 1 heure du matin, à peine y sommes-nous qu’il faut mettre sac au dos et aller occuper la tranchée que l’on vient de faire, jusqu’au jour ; aussi quel bon somme nous nous offrons jusqu’à ce que la troupe soit prête. Puis une nouvelle sieste qui est abrégée par l’obligation d’aller faire un petit exercice à seule fin d’apprécier les distances, mais quel profit chacun en a-t-il tiré ?
Nous nous sommes plutôt amusé et intéressé à voir tirer quelques cochons achetés pour la compagnie. Enfin le temps passe malgré ça comme aucune distraction ne nous incite à sortir de nouveau, l’on se couche, mais mon nom est annoncé et avec joie je lis une lettre venant de chez moi, et à plusieurs nous profitons d’une bougie pour prendre connaissance du contenu de chacune d’elles.
Des figures sont réjouies, tandis que sur certaines l’ennui y apparaît par quelques larmes auxquelles nul ne fait attention.
Tout rentre alors dans le calme.
Départ à 3 heures, c’est à
peine si nous avons pu dormir, faisons des tranchées pendant la nuit. Je reçois
la 3è lettre de ma chérie
Rappel :
l’écriture en marron = carnet original
L’écriture en noir = carnet «
repris », plus tard (avant juillet 1915)
Prenons la garde aux
avant-postes. J’en profite pour écrire longuement à ma Didille.
Il est 2 ou 3 heures du matin. A peine si l’on voit devant soi ; nous allons occuper un emplacement en avant du village ; nous y restons jusqu’à 8 heures puis nous revenons.
La soupe est vite mangée car il faut à notre tour aller passer 24 heures dans les tranchées ; il y fait très chaud. Aussi je profite du temps libre que je dispose pour écrire longuement et donner de mes nouvelles détaillées sur notre nouvelle vie, car malgré tout ce bouleversement, nous ne sommes pas sans penser bien souvent à ceux que chacun de nous a laisser au logis.
Avons passé la nuit à la belle
étoile, il n’a pas fait chaud mais ça ne fait rien, je me suis bien couvert et
je me rase sous les 1er rayons du soleil levant. J’ai entendu le canon toute
l’après-midi au loin.
Nous passons cette nuit à la belle étoile dans d’assez bonnes conditions, puis le matin, le soleil nous arrive même de trop car nous serions mieux dans un petit bois qui se trouve à notre gauche, que d’être ici en plein champs. Aussi c’est avec plaisir que nous voyons venir les camarades pour nous relever.
Après la soupe, un brin de toilette ne fait pas de mal, au contraire.
On entend au loin le canon, ce qui ne nous empêche pas de plaisanter et à nous voir, l’on ne croirait pas que nous sommes si près des boches, bon nombre de soldats se promènent en bras de chemises sous l’œil des officiers qui ne leur disent rien ; il est vrai qu’eux même sont à leur aise.
Vers 5 heures, il nous faut aller à notre grand mécontentement, faire l’exercice ce qui, à mon idée, ne serait pas bien utile, car quand l’occasion se présentera, il est certain que la théorie que nous faisons sera bien loin d’être appliquée. Mais c’est l’ordre et nous n’avons qu’à exécuter et ne pas discuter.
Au retour je suis heureux d’avoir une lettre qui, avant de faire quoique ce soit, est lue puis relue encore après la soupe.
L’on ne fait pas grand-chose
dans la journée, je suis invité à dîner avec le capitaine, j’écris à ma Chérie.
Mais au moment d’aller dîner il faut mettre sac au dos et aller occuper les
tranchées jusqu’à 9 heures, en revenant je déguste un bout de viande et mange
tant bien que mal, le dîner est remis.
Quelle bonne nuit je passe ainsi ayant reçu de chez moi de bonnes nouvelles, et c’est avec plaisir que cette matinée du dimanche se passe. Puis dans le courant de l’après midi, je suis invité par l’adjudant à dîner avec le capitaine.
Chaque fois que l’occasion se présente, il invite selon le local dont il peut disposer, un ou deux sergents à dîner avec lui. Je suis content de l’ambiance, mais au moment où nous sommes prêts à entrer dans la maison où il loge, un ordre arrive de se porter aux tranchées et d’y rester jusqu’à 9 heures.
Les camarades ont déjà mangé, mais moi, je fais comme eux, je décampe le ventre vide. Heureusement que j’ai dit au cuisinier de me garder quelque chose, sans quoi je serai forcé de dîner par cœur.
Il est 3 heures nous allons
occuper les tranchées comme d’habitude, mais en revenant l’on dort toute la
journée ; dans la soirée l’on va voir les … et je dîne avec le capitaine. Menu
: potage, rôti de boeuf au
p. de terre, compote de pommes - très bonne – et crème excellente, le tout
arrosé d’un peu de vin.
Juste le temps de prendre un
petit canard et il faut que nous allions occuper La Chaussée qui est à 5
km ; nous arrivons il est 9 heures passés, bien reçu par Mr le Curé.
Malgré cela, nous passons une assez bonne nuit et le lendemain matin, nous passons une bonne partie de la matinée dans les satanées tranchées qui nous prennent les ¾ de notre temps.
Les hommes aimeraient mieux aller trouver les boches qui sont toujours à Chambley. Aussi le soir c’est pour de bon que nous dînons avec le Pitaine. Nous sommes là 8 et durant tout le repas, la conversation ne roule que sur la guerre. De quoi peut-on parler à l’heure actuelle ? Il n’y a d’autre sujet d’actualité.
Nous avons à peine fini que le commandant donne l’ordre à ma compagnie d’aller occuper La Chaussée, petit village situé à environ 5 kilomètres et que les chasseurs à pied venaient de quitter. Immédiatement le fourrier vient prendre les ordres et une heure après nous partons à notre tour à La Chaussée où nous arrivons vers 10 heures du soir.
Je m’arrête en attendant les ordres devant l’église et nous avons le plaisir de converser un peu avec le bon curé de l’endroit qui est bien heureux de nous voir remplacer les chasseurs.
Nous sommes logés un peu plus loin dans une grange où le foin, qui y est, dégage une odeur agréable. Après avoir placé 2 sentinelles, nous nous endormons à peu près sûrs, cette fois, de rester là quelques jours.
Oui, mais c’eût été trop bien.
Charles DUMAY 89e régiment d’infanterie, Maisons Laffitte, 1909
3 heures, l’on
part, direction plus au nord. Nous traversons un petit bois, passons ensuite
par Xonville et déjeunons à Sponville ; le capitaine nous offre un peu de
fromage qui est très bien vu. Passons ensuite à Suzemont
et apercevons la Lorraine.
A 5 heures, nous
recevons les 1er obus allemands à Jarny et bien fatigués, nous allons au
bivouac au-delà de Labeuville, sans manger. Le
commandant est tué avec son ordonnance et son cycliste. (*)
A 4 heures du matin, nous décampons. A peine si l’on voit clair.
Nous passons à travers champs, puis traversons un petit bois au bout duquel nous attendons, couchés dans une petite allée où le soleil arrive bientôt nous apporter la chaleur de ses rayons. Nous entendons le canon assez loin, mais les coups se succèdent d’assez près, et les hommes, quoique n’ayant pas pris le café, ni nous non plus du reste, sont d’assez bonne humeur.
Vers 11 heures, nous quittons le bois, passons Xonville puis à Sponville où nous déjeunons, si cela peut s’appeler déjeuner. Aussi le capitaine nous fait bien plaisir en nous offrant un petit morceau de fromage qui, quoiqu’étant encore divisé avant d’être mangé, nous aide à manger le pain qui n’est pas fameux.
Aussi ¾ d’heure se sont-ils écoulés qu’il nous faut à nouveau repartir. Où ?, personne ne le dit, personne ne le sait, mais chacun croit le savoir. Enfin nous passons à Suzemont. Il est 2 heures de l’après-midi.
Les prussiens y étaient la veille ; chacun de nous croit déjà en tenir un.
Aussi après avoir passé ce petit village, je constate déjà l’abandon des sacs sur le côté de la route, puis après avoir passé un petit bois dans lequel il y avait des restes de repas de la veille, probablement, nous apercevons dans le lointain, l’horizon de la Lorraine. Nous nous croyons déjà presque à Berlin.
Oui, mais cet espoir est subitement arrêté par l’arrivée de 3 obus allemand dont l’un d’eux sur le commandant du bataillon, son cycliste, et blesse son ordonnance. (*)
A ce moment, l’effet produit sur nous par le premier obus fut tel que, instinctivement, tous nous nous sommes fourrés les uns dans les autres, n’osant plus bouger. Malgré cela, un loustic de la section trouve le moyen de blaguer, mais dans le fond, il est comme les camarades, il n’en mène pas large.
La pluie commence à tomber, nous baissons nos pans de capote et exécutons les différents mouvements que l’on nous commande tout en avançant encore, nous avons le bonheur de voir tomber les obus là ou par bonheur, il n’y a personne.
L’heure sonne et l’ordre nous est donné de retourner en arrière, ce que l’on exécute plus vite que la marche en avant, aussi sommes-nous poursuivis par les shrapnells, qui par bonheur éclatent trop haut pour nous blesser.
La petite retraite que nous exécutons est loin de se faire en ordre, aussi il est très tard quand chaque capitaine a rassemblé son effectif.
A la nuit, nous passons Labeuville où les troupes qui sont déjà ont éprouvé de grosses pertes à ce qu’il paraît, par suite du défaut d’éclaireurs.
Les feux des phares se croisent au-dessus de nos têtes, éclairent le ciel, et aussi un peu la route sur laquelle nous marchons. Nous bivouaquons à Doncourt. Il n’est plus question de prendre le train pour Berlin, cette fois. Chacun est fatigué et fait comme il peut pour se coucher à sa place après s’être procurer une gerbe d’avoine pour lui servir de matelas, et rien pour se sécher.
Il est interdit naturellement de faire du feu ; nous nous couchons le ventre vide, les officiers eux-mêmes se sont abstenus de chercher un lit. Leurs ordonnances sont parmi les copains, et l’on est quitte le matin, pour se serrer les ceinturons avant de partir.
(*) : BLOMME Benjamin Aimé, 55 ans, commandant au 289e régiment
d’infanterie, mort pour la France à Porcher (54), le 25 août 1914. Voir sa fiche.
LUGAT René Edmond Charles, 29 ans, soldat cycliste au 289e
régiment d’infanterie, mort pour la France à Porcher (54), le 25 août 1914. Voir sa fiche.
Debout à 2 heures ; l’on
revient du côté de La Chaussée vers 9 heures et nous n’avons rien mangé
depuis la veille qu’un peu de bœuf de conserve et c’est tout.
Nous nous dirigeons à ce qu’il
paraît du côté de Saint-Mihiel, nous passons par Woel
et couchons à Doncourt après avoir bien dîné.
Nous revenons, d’après les renseignements que je puis me procurer du côté de La Chaussée où après avoir laisser le fourrier et les cuisiniers pour faire cuire à manger, nous allons, par section, occuper divers emplacements. La capitaine se fait attaquer d’une drôle de façon par le colonel à cause des traînards que nous laissons à l’arrière.
J’occupe un emplacement à l’ombre de quelques saules le long d’un petit ruisseau et avec quelques copains nous sommes heureux d’avoir chacun une carotte crue à manger, tout en nous réchauffant et faisant prendre un peu de soleil à nos vêtements qui sont encore humides de l’averse de la veille et qui nous avait tout alourdis.
Le fourrier touche le pain et nous l’envoie aussitôt par quelques hommes, touche ensuite la viande et les légumes, mais l’ordre nous est donné de nous retirer dans la direction de Saint-Mihiel.
Alors comme tout est bien préparé dans le « service des armées en campagne », notre pauvre fourrier touche bien la viande et tout ce qu’il faut pour la compagnie, mais comme il n’a pas les pouvoirs de l’électricité, il lui est impossible de la distribuer aux cuisiniers qui sont tant bien que mal prêts à la faire cuire.
Par conséquent, force lui est de tout abandonner à l’endroit où il se trouve et avec les cuisiniers, il nous rattrape comme il peut ; nous laissons bien quelques copains par-ci par-là, mais les infirmiers n’ont pas envie de se faire ramasser, et c’est à grande peine et avec bien du mal que l’on peut avoir un petit secours. Ils ont bien la croix rouge sur le bras, mais n’ont pas avec eux le nécessaire pour donner les soins à un homme qui tombe sur la route, ils n’ont même pas de sac, et s’ils ont une petite musette, ce n’est que pour avoir leur petit nécessaire.
Quant aux médecins, ces messieurs sont à cheval, gardés, et dame, l’on a plutôt fait d’éviter d’avoir besoins d’eux.
Enfin après avoir bien marché et nous être arrêté quelque temps par-ci par-là, nous arrivons à nous retrouver avec d’autres compagnies et sont comme la nôtre, plus ou moins au complet, mais elles ont l’avantage d’être accompagnées par des voitures réquisitionnées et qui sont maintenant pleines de sacs et d’homme qui, pour la plupart ne peuvent plus marcher.
Nous passons par Woel et après avoir bien dîné car nous en avions grand besoin, nous couchons à Avilliers-Sainte-Croix.
Départ à 2 heures,
passons par St Maurice-sous-les-Côtes, rencontrons le 276ème, vu BALLON,
NAUDET et son commis, faisons la grande halte sous la pluie, passons à Vigneulles et vers 2 heures nous apercevons la
caserne de St-Mihiel ; l’on y arrive tard, mais nous
dînons avec les copains à l’hôtel et en revenant nous sommes obligés de faire
la distribution pour 6 jours. 2 de chemin de fer, 2 de débarquement et 2 de
réserve ; tous les hommes sortis en ville.
Le 27 août à 2 heures du matin, le sergent-major pénètre dans la grange où nous étions et nous dit que nous sommes pris et qu’il faut bien vite nous sauver, que les boches sont à nos trousses.
Alors sans en chercher plus, nous suivons les copains et après avoir marché assez longtemps à travers champs, nous passons divers villages occupés par les nôtres, mais dont je ne me souviens pas des noms, n’ayant pas vu de plaques au coin des rues, si l’on peut se servir de « rues » car les pauvres petits pays sont plutôt traversés par des chemins, et encore, mal entretenus.
Enfin l’eau arrive et tombe très bien quand nous faisons la grande halte, passons Saint-Maurice-sous-les-Côtes où je rencontre un de mes amis, Gabriel BALLON, un copain d’école, puis dans le même endroit, un épicier de chez nous, NAUDET avec son beau-frère, tous deux dans la même escouade. Nous passons après à Vigneulles et après avoir mangé bien des kilomètres, nous apercevons enfin les casernes de Saint-Mihiel où nous arrivons enfin assez tard dans la soirée.
Nous sommes assez bien reçu par la population et ça nous semble bon de revoie quelques frais minois, aussi, aussitôt arrivés à la caserne, un petit incident nous fait dresser l’oreille : un homme, par inattention, a fait partir une cartouche qui était restée dans son arme ; heureusement personne n’est blessé, l’on est quitte pour la peur.
Nos prenons possession des locaux qui nous sont affectés et le quartier n’étant pas consigné la plupart des hommes sortent en ville faire des provisions et goûter un peu au vin, car depuis quelques jours il est très rare.
aussi lorsque après avoir dîner avec quelques camarades à l’hôtel, mangé du pain pas cuit et très chaud, nous sommes obligé de donner un bon coup de main à notre camarade JOBARD, le fourrier, à toucher et faire la distribution à toute la compagnie de 6 jours de vivres, c'est-à-dire pain, sucre, café, sel, haricots, riz, conserves.
Je ne sais pas quelle heure il est quand nous finissons tout ça car les hommes rentrent la plupart du temps dans un état très éloigné de la sobriété et il n’y a pas longtemps que le calme existe dans la caserne quand un coup de clairon nous oblige à reprendre la position debout.
Nous repartons pour la seconde fois à Saint-Mihiel.
Je suis de jour, à 2 heures le
clairon nous réveille et l’on part de St Mihiel
pour Sampigny où l’on est embarqué dans des
wagons non aménagés et l’on ne sait pas où l’on va ; il est 9 heures 45 quand
l’on part.
Passons à Vitry-le-François,
Chalons/Marne, Mourmelon, Reims.
21 hommes de la Cie restent ne
pouvant pas remonter dans le train, mais l’on passe la nuit serrés comme des
harengs, l’on ne peut dormir.
Le 28 août avant que le soleil ne soit levé et après avoir fait et bu le café, avant d’arriver à Sampigny, nous sommes réembarqué dans cette gare dans de vastes wagons à bestiaux auxquels il ne manque que des bancs pour s’asseoir ; aussi avec l’amabilité d’un capitaine faisant fonction d’employé, nous nous empilons à 40 dans celui auquel je suis destiné.
Il est 9 heures 45 exactement quand nous partons, mais où ?
Personne ne le sait et chacun croit s’en douter ; en tous cas, il fait très chaud et malgré le confort qui manque un peu, nous passons par Vitry-le-François, Reims où une vingtaine d’hommes de la compagnie restent abandonnés, un peu plus, un peu moins habillé car ils ont profité de l’arrêt de train pour aller au plus près chercher quelques provisions de bouche.
Débarquons à Tricot,
Oise. J’achète une ceinture de flanelle, j’ai mal au ventre ; nous passons par Courcelles,
Rollot, Boulogne et arrivons le soir à Roye (Somme). Il
est tard.
J’ai donné une carte à une
jeune fille pour qu’elle la mette à Paris. Nous avons eu du cidre tant que l’on
a pu en boire. Ordre est donné au commandant de fusiller tous ceux qui
reculeront car l’on va se battre certainement.
Je prends une pilule pour mes
coliques qui se passent.
C’est malgré tout dans cette position que, très heureux, nous goûtons les plaisirs des grands voyages, et que nous passons la nuit et débarquons le lendemain matin 29 août à Tricot (Oise) où nous rencontrons une amabilité de gens près de qui nous passons qui nous semble bien meilleur que celle que nous avons rencontré entre nos deux visites à Saint-Mihiel.
Nous passons à Courcelles, Rollot, Boulogne et bien fatigués après avoir croisé divers régiments nous arrivons à Roye (Somme) très tard, où les fantassins sont déjà. Il y en a plein les rues qui sont couchés un peu partout ; partout où nous sommes passés nous avons eu du cidre tant que nous avons pu en boire, aussi je griffonne une carte que je remets à une jeune fille qui se dirige vers Paris.
Nous avons croisé pendant une bonne partie de l’après-midi une quantité de gens qui se sauvaient avec chevaux et voitures et un peu de ménage dans la direction de Paris ; nous ne comprenons rien ce trafic, et le soir après avoir tant bien que mal mangé en commun ce que nous avions, nous nous couchons dans l’écurie d’une sucrerie où tout un côté est déjà occupé par des gens qui se sauvent avec des petits enfants, n’emportant que les effets qui sont sur eux ; c’est triste et attendrissant.
Puis nous nous allongeons sur la paille à côté de ces pauvres gens.
Charles DUMAY durant son service militaire au 89e régiment d’infanterie
Minuit. Sac au dos
nous partons et allons prendre position comme soutien d’artillerie.
Au petit jour les premiers
coups de notre artillerie partent, et de la place que j’occupe je puis
distinguer les déplacements des Allemands.
Les obus font un tel bruit
dans les bois occupés par eux que l’effet est terrible. Les Allemands nous
répondent, (est noté le nom de Marquevillers) mais pas beaucoup de mal,
les obus ne nous atteignent pas, l’on se replie vers 1 heure et nous n’avons
rien dans le ventre ; les hommes épuisés tombent ; je vais de l’avant et au 1er
village je dégote un puits.
Je me dépêche de me
débarbouiller et me rafraîchit au galop. Il faut presque 10 minutes pour avoir
un seau d’eau ; j’emporte la serviette mouillée et la passe aux copains pour se
rafraîchir un peu.
Les hommes se perdent et l’on
marche jusqu’au soir, l’on arrive à la nuit dans un petit village, Frestois.
Il est au moins 10 heures du soir. Les Allemands sont à
nos trousses.
Il est à peu près 2 heures que, réveillés en toute hâte, il nous faut aller prendre position un peu en arrière de Roye, et nous sommes soutien d’artillerie.
Au petit jour, nous recevons les premiers obus allemands auxquels répondent bientôt ceux de nos 75 desquels nous sommes soutien. L’effet de notre artillerie doit être terrible chez eux, car de la place que nous occupons il nous est facile d’apprécier la différence des 2 projectiles.
Malgré ça nous ne sommes pas fiers car nous ne voyons pas grand monde autour de nous et quand nous est donné l’ordre de nous replier, c’est sous un soleil brûlant et en plein midi, avec l’accompagnement d’obus e de snarpnelles que semant à chaque moment un des nôtres sur le côté de la route, que nous nous sauvons plutôt, le vendre vide et les bidons aussi.
J’arrive un des premiers au village d’où, après avoir cherché dans plusieurs maisons abandonnées un seau d’eau, je finis par trouver de l’eau fraîche pour permettre aux camarades de se rafraîchir la figure avec un torchon qu’une bonne femme restée à peu près seule était allé me chercher.
Je me souviens même qu’après avoir passé sur la figure de plusieurs copains, le capitaine qui n’en pouvait plus non plus, fût très heureux d’avoir une corne de torchon pour se la passer un peu sur la figure.
Nous continuons à marcher ainsi, semant les hommes à chaque instant et jusqu’à e que le soleil se cache et se couche, nous marchons toujours sans savoir où nous allons.
Les hommes se découragent.
Enfin le soir très tard, nous arrivons dans un petit village, Frestois, où nous nous couchons sans rien manger ; il est au moins 10 heures et l’on nous dit que les boches sont à nos trousses ; nous n’y comprenons rien ; pas mal d’hommes manquent dans les sections et après s’être reposé quelques heures dans un coin sur la paille, nous repartons à nouveau avant que le jour ne se lève.
C’est à peine si l’on voit clair à se conduire.
Le régiment a perdu ce 30 août environ 80 hommes tués, blessés
et disparus.
Départ de bonne heure ; il est
peut-être 2 heures du matin, à peine si l’on s’est reposé.
Passons par Ravenel et nous nous arrêtons à l’entrée d’un pays.
Je prends deux hommes avec moi, soi-disant pour trouver de l’eau, car nous
n’avons plus de seau.
Dans une maison bourgeoise, il
ne reste plus que la bonne ; je rentre et tandis qu’elle descend à la cave, je
bois un verre de lait qui est là, je finis son café, son pain beurre du matin
et je me rafraîchis ensuite avec le vin blanc et l’eau qu’elle est allé
chercher à la cave.
Nous continuons à marcher et
passons dans divers pays et arrivons esquintés à Rantigny où l’on nous
fit coucher chez ALBARET. Mon camarade trouve un lit chez un bistro et il est
au moins 11 heures quand après avoir bien mangé pour 1 Fr, nous nous couchons
rompus. En passant dans un pays le matin, j’ai fait décrocher 2 saucissons crus
à la fenêtre d’un boucher et l’on en a mangé un cru et l’autre on l’a fait
cuire.
Nous arrivons à Ravenel où avec un homme je me détache pour tâcher de trouver un peu d’eau et du pain si c’est possible. Les hommes qui avaient les seaux en toile sont restés en arrière, beaucoup ont même abandonné leur sac ; la compagnie est réduite à plus de la moitié. Nous ne nous sommes pas absenté 10 minutes que voilà les copains qui se débinent ; nous courrons rechercher nos sacs et nos fusils et les rejoignons aussi vite que nous le pouvons.
Plus nous marchons, plus les rangs s’éclaircissent et très tard, cette fois encore sans manger, nous arrivons à Rantigny où après avoir cherché assez longtemps, nous nous logeons dans l’usine ALBARET. Un camarade nous fait faire un bon dîner et nous nous couchons très fatigués, espérant cette fois-ci, pouvoir dormir tranquilles
Réveil à 5 heures et
être prêts à partir ; nous nous réveillons plus fatigués que quand nous nous
sommes couchés ; les jarrets me font un mal terrible
Néanmoins je me débarbouille
et l’on casse une bonne croûte, nous déjeunons bien avant de partir et l’on se
met à l’ombre dans le parc d’une propriété où l’on fait une bonne sieste avant
de partir ; il fait très chaud et en plein midi l’on est bien heureux d’être un
peu à l’ombre où l’on reste jusqu’à 3 heures.
Nous descendons la côte sous
le soleil et passons à Liancourt, une forte côte nous amène sous le
soleil à Angicourt vu pour la première fois
j’ai l’occasion de tirer deux cartouches sur un aéroplane.
Nous sommes alors en plein
bois et il y fait très bon.
Le soleil diminue de force ;
nous nous trouvons à la nuit tombante à Cinqueux
où nous couchons après avoir dîné avec de braves gens où à deux l’on a trouvé
un lit.
Je dors comme un pion.
Vers les 11 heures,
une formidable détonation me réveille ; ce doit être un pont qui saute du côté
de Pont-Ste-Maxence ; les camarades nous donnent de très mauvaises nouvelles.
Le lendemain 1er septembre, nous sortons du lit plus fatigué qu’en y entrant ; nous allons faire un tour à la compagnie. Des hommes manquent encore ; il en arrive à chaque instant ; ils ont couché sur la route, un peu partout, mais tant bien que mal ils arrivent à retrouver leur place. Nous cassons une bonne croûte et faisons un brin de toilette ce qui n’est pas un luxe car nous en avons besoin.
Puis devant repartir vers midi nous faisons faire un bon déjeuner et nous sommes 5 ou 6 qui y faisons honneur.
Nous partons vers midi et l’on nous met à l’ombre dans une grande propriété non loin de là où nous faisons une bonne sieste, puis vers 4 heures nous descendons la côte qui mène à Liancourt sous un soleil brûlant ; puis nous remontons une côte encore plus raide que celle que l’on vient de descendre, passons à travers bois.
Pour la première fois je tire 2 cartouches sur un aéro puis après plusieurs poses, nous entendons le canon bien distinctement et après avoir dîné chez de braves gens, nous couchons à Cinqueux.
D’après les camarades, les nouvelles sont bonnes, et après nous être reposé un peu, nous sommes réveillés en sursaut par une explosion épouvantable qui ne semble pas être loin de nous. Il paraît que c’est le pont de Sainte-Maxence qui a sauté.
Nous nous dirigeons vers
l’Oise qui est barrée par des péniches sur lesquelles le génie y a établi un
pont qui doit sauter après notre passage. Nous sommes à côté et nous déjeunons
au sol d’une petite maison qui est juste en face le pont.
Nous traversons le pont à 1
heure ½ environ et par les champs arrivons à Verneuil (Oise) ; le pont
saute et une forte colonne de fumée noire en l’air nous en montre l’endroit.
150.000 Fr de foutu.
Nous sommes biens accueilli ;
du cidre nous est donné à discrétion. Passons ensuite par Apremont,
Vineuil, Chantilly (Banque Bonus). Cidre à pleines bouteilles,
boutiques fermées, et arrivons vers les 11 heures coucher à Coye
chez Mr CALLOTIN, marchand de bois.
Nous dînons dans les bureaux
où l’employé nous approvisionne de vin et du bon, l’on dort ensuite dans la
sellerie sur la paille jusqu’à 3 heures.
Le matin, l’on nous dirige du côté de l’Oise et quand nous arrivons au bord de l’eau, une compagnie de génie y a installé un pont au moyen de dix péniches dont 4 sont toute neuve. Les hommes sont découragés ; les officiers ne savent rien, ne nous donnent aucun renseignement et il est impossible d’obtenir quoi que ce soit de la part de la troupe.
Nous avons l’ordre d’attendre, avant de passer, que toutes les compagnies qui sont derrière nous soient passées sur le pont et ensuite après nous, le génie qui doit faire sauter.
Aussi en attendant 1 heure de l’après-midi un de nous s’occupe de la boustifaille et avant de quitter, nous faisions un frugal repas avec quelques poulets. Nous passons sur le pont une heure plus tard que l’on nous avait dit mais je remarque avant de passer que les sapeurs ont mis hors usage les quelques petits bateaux de pêche qui se trouvaient de place en place retenus à la berge.
Nous n’avons pas fait 1 kilomètre de l’autre côté qu’une formidable explosion suivie de près de deux autres a fait sauter pour peut-être 100.000 Franc de matériel.
Que d’argent qui s’en va à la dérive nous franchissons. Verneuil d’où l’on peut distinguer l’endroit de l’explosion par la présence d’une épaisse colonne de fumée noire montant vers le ciel. Nous ne manquons toujours pas de cidre, puis en marchant toujours, nous passons par Apremont, Vineuil, Chantilly.
Le cidre est toujours donné par bouteille.
La ville est triste ; beaucoup de boutiques sont fermées et vers 11 heures du soir, nous finissons par pouvoir dormir après avoir dîner dans le bureau, chez Monsieur CAILLOTIN, marchand de bois en gros, lequel n’a laissé chez lui qu’un vieil employé, ayant emmené avec lui chevaux, voiture et une partie des ménages de ses charretiers.
Rappel :
l’écriture en marron = carnet original
L’écriture en noir = carnet «
repris », plus tard (avant juillet 1915, date de son décès)
Partons de Coye(-la-Forêt) ; il
est 3 heures. Je dors en marchant mais j’ai bien dormi tout de même.
Passons par Ory-la-Ville évacuée, La
Chapelle-en-Serval comme pillée par ceux qui y sont passés ; plus de
bouteilles vides que de pavés sur la route, c’est honteux.
Les prussiens n’ont pas besoin
de venir, l’ouvrage est fait ; il est 5 heures lorsque nous passons de l’Oise
dans Seine-et-Oise.
Après quelques mouvements dans
les champs vers une sucrerie (*), nous allons au coin de Marly(-la-Ville) où,
laissant la compagnie à l’entrée du pays, je vais avec 4 hommes nous mettre en
communication avec une autre compagnie qui occupe l’autre extrémité.
Je reviens seul et je rentre
dans une ferme où il ne reste en tout et pour tout qu’une centaine de moutons
qui sont là abandonnés ; tout est calme, les écuries vides ; je rentre dans la
cuisine ; c’est dégoûtant, seule l’horloge est là pour troubler de son tic-tac
le silence de mort qui règne dans la maison. Je visite le placard : un litre
d’eau de vie que l’on a mis sur des cosses d’orange remplace avec avantage
l’eau qui est dans mon bidon ; le courant n’a pas été enlevé de dans la salle à
manger ; le pain qui y reste est encore frais ; j’en trempe un bon morceau dans
un verre de cassis ; ce n’est pas mauvais ; dans une autre pièce presque vide,
2 pains y sont encore ; j’en prends un et 2 pots de confiture que je vais
porter aux copains.
Je reviens ensuite et je fais
une descente dans la cave où 5 bouteilles de vin trouvent de la place sur moi.
Il était temps, un régiment arrive dans le pays et le soir, quand je retourne
chercher mes hommes, il y a plus d’un tombereau de bouteilles vides dans le
pays où tout est abandonné.
Les camarades ont pris mon sac
et je suis donc obligé de pouvoir rattraper la compagnie, mais avant de les
retrouver il faut encore marcher, et c’est au milieu d’artilleurs et autres
fantassins que je les retrouve dans Choisy-aux-Bœufs.
Nous passons à travers champs
et l’on bivouaque aux abords d’une ferme abandonnée. Les feux s’allument, les
hommes se couchent dans la paille, le tout éclairé par un clair de lune
superbe.
Nous repartons le lendemain matin 3 septembre de (illisible) ; il est 3 heures à peine ; je dors en marchant mais je ressens un peu moins la fatigue.
Nous traversons Ory-la-Ville complètement évacuée par ses habitants puis nous arrivons à La Chapelle-en-Serval. J’en suis à me demander si les prussiens ne sont pas passés devant nous, c’est honteux la façon dont chaque maison a été visitée, aucune des modestes maisons n’a été épargnée.
Les trottoirs qui ont bien 3 mètres de large sont pleins de bouteilles vides. De toutes les façons ‘est après avoir passé dans ce pays triste que nous quittons l’Oise pour la Seine-et-Oise. L’on se demande si au train où nous allons, nous n’allons pas en Espagne, mais nous quittons la route pour faire un grand tour à seule fin de prendre position dans un champ de betteraves où peu de temps après nous y être arrêté épuisé de lassitude, nous nous endormons sous le soleil, sans chercher d’ombre ; mais nous n’y restons pas longtemps.
Nous allons en passant sur le chemin de fer, occuper l’angle gauche du pays qui se trouve bien à 4 kilomètres d’une sucrerie qui est reliée aux fermes voisines par une ligne de petite Decauville.
Vers 10 heures à peu près, nous arrivons ; c’est Marly, et le capitaine me charge de nous mettre en liaison à vue d’une autre compagnie qui est au nord du pays.
Je dispose les hommes que j’ai emmenés avec moi aux endroits qui me paraissent les mieux placés et après leur avoir donné la consigne, je passe au travers du pays à seule fin de me rendre compte de ma mission.
Le pays est à peu près évacué aussi ; le bureau de poste est ouvert, les appareils partis, seuls les bouts de fils apparaissent après les murs, le réveil qui servait de pendule est là, sur une petite table, et par son tic-tac régulier, donne encore plus de tristesse à la pièce.
Je sors et continue mon chemin. Devant une petite place, l’entrée d’une ferme assez importante me laisse, par sa porte entrebâillée, la facilité d’entrer. Une centaine de brebis sont là à l’ombre d’un bâtiment rempli de gerbe de blé ; les pauvres bêtes me regarde d’un œil surpris puis continuent à manger même le tas. Tout le reste me semble désert.
Partout la saleté ; les écuries vides, la maison d’habitation est là sur ma droite, une petite porte sur la gauche est ouverte : j’entre, c’est la cuisine qui a été laissée ou mise sens dessus-dessous, un essaim de mouche est répandu sur tous les ustensiles qui sont là.
Je continue mon exploration : je rendre dans la salle à manger où le déjeuner a dû être interrompu ; les assiettes, les verres, tout est là. Dans une petite pièce à côté une table, et sur cette table un pain de 4 livres ; je le tâte ; il est encore frais ; je le mets sous mon bras, prends en passant un pot de confiture et m’en vais retrouver mes camarades avec lesquels nous cassons la croûte, mais il manque à boire. Je retourne à la ferme tâcher de trouver la porte de la cave.
J’arrive, la maison est déjà pleine et la cave presque vide. Enfin je réussi à avoir 4 bouteilles de vin. Nous faisons ensuite un bon somme puis avant de repartir, je vais chercher mes 4 hommes, mais quand je reviens la petite place qui était vide ce matin est remplie de bouteilles vides, et la compagnie est partie.
Heureusement pour moi, ils ont eu l’amabilité d’emporter mon sac. Nous en sommes quittes pour les rattraper ; mais où se sont-ils dirigés ? Nous ne voyons plus personne. Enfin un cavalier que nous croisons nous renseigne et à la nuit, nous parvenons à retrouver notre place, et moi mon sac.
Après avoir traversé d’autres compagnies d’infanterie et des artilleurs au pied de l’église de Choisy-aux-Bœufs, nous faisons un grand tour à travers champs et finissons par venir bivouaquer autour d’une ferme au milieu des champs.
Chacun après avoir mangé ce qu’il avait se procure de la paille à une meule voisine et peu à peu le sommeil amène la paix pour la nuit, et partout aux alentours règne le plus grand calme.
(*) : La
sucrerie existe toujours
5 heures. Les feux
s’allument, l’on s’éveille.
Le soleil nous éclaire déjà,
je me rase, car l’on n’a pas l’air de se faire de bile. Les bonnes liqueurs prises
un peu partout la veille, sortent de leurs cachettes ; pour ma part je goûte à
un demi-quart de chartreuse qui n’a rien de sale. Je me rase à l’ombre d’un
buisson ; l’on tout le prêt : 7Fr90 pour moi, c’est pour 10 jours jusqu’au 30.
Un aéroplane allemand a été
capturé la veille à ce qu’il paraît, et d’après celui qui le montrait, nos obus
font un carnage effrayant. Nous n’avons pas entendu le canon depuis le vaille,
les Allemands se retirent chez eux à ce qu’il paraît.
Nous nous apprêtons et partons
à 6 heures et arrivons à Mauregard
(Seine-et-Marne) à la nuit tombante où nous allons bivouaquer.
Nous nous sommes serrés pour dormir, aussi ce matin nous ne nous plaignons pas du froid et le soleil se lève que nous n’avons déjà fait notre petite toilette, oh, bien sommaire, car nous n’avons même pas d’eau pour nous laver, mais cela ne nous fait rien quand nous savons que nous sommes là pour un bon moment. Une corvée a vite fait de nous en rapporter et quand vers 5 ou 6 heures nous quittons notre emplacement, l’on peut juger par les plumes que nous laissons que si nous n’avons pas eu beaucoup de pain, nous n’avons pas toujours mangé de poulet.
Et vers la nuit, nous arrivons à Meauregard (Seine-et-Marne) mais nous sommes obligés de coucher à nouveau à la belle étoile car le pays a été laissé par les troupes précédentes dans un état de saleté épouvantable, c’est au point que les officiers préfèrent se coucher dans la ferme à l’abri du vent.
Nous nous réveillons, il est 5 heures. Heureusement que j’ai
mis ma ceinture, sans quoi je n’aurais pas eu chaud. Le soleil se lève et fait
paraître le vent moins froid. Nous allons partir il est 7 heures.
Un homme vient de se blesser
au pied par son propre fusil.
Nous partons il est 8 heures ¼, passons par Mesnil-Amelot qui est évacué ; des animaux ont été abattus et
les tripes n’ont même pas été enfouies.
Nous rattrapons le 37è
d’artillerie avec lequel nous marchons dans la direction de Thieux-les-3-Villes.
La culture dans cet endroit à l’air de vouloir supprimer les meules ; de grands
hangars neufs existent un peu partout au milieu des champs.
Le 37è nous quitte à l’entrée
de Thieux que nous traversons et qui est
évacué. Nous faisons la grande halte à l’entrée de Nantouillet.
On entend le canon.
A 4 heures, le
canon allemand semble s’éloigner ; nous avançons.
Il est 5 heures ;
notre artillerie n’arrête pas à droite, devant, à gauche. La mitraille n’arrête
pas.
On entend très peu au loin en
avant, la fusillade. Nous avons tous des figures noires et pleines de poussière
; quelques blessés se portent à l’arrière. Le soleil se couche, les troupes se
déplacent ; nous marchons vite et passons un village, ensuite un 2è qui
s’appelle Iverny, mais nous sommes obligés de
nous arrêter.
La nuit se fait et il ne
serait pas prudent de s’aventurer plus avant.
Un maréchal-des-logis
d’artillerie est étendu au pied de l’église (*).
Les brancardiers ramènent les blessés ; le bureau de poste brûle, c’est le soir
de bataille, la lune éclaire tout ce spectacle et semble vouloir que nous
ramassions nos blessés.
Nous nous retirons à l’arrière
d’Iverny et l’on couche encore une fois à la
belle étoile ; le vent froid nous obligé à nous vêtir pour la nuit.
A peine avons-nous prie un peu
à manger qu’un maréchal-des-logis d’artillerie s’amène avec deux caissons
attelés et prie le capitaine de bien vouloir lui donner 4 hommes pour lui
donner un coup de main à vider un caisson abandonné dans le pays.
Je me propose et monte avec 2
hommes sur le caisson ; nous partons un peu bercer durement sur les betteraves
car les ressorts sont durs ; en passant dans le pays, les brancardiers
s’occupent ; l’église est allumée et doit servir d’hôpital pour l’instant. Je
reviens avec les camarades à une heure assez avancée et avant bien que mal, je
dors.
Durant cette nuit du 4 au 5, nous n’avons pas eu très chaud, aussi ce matin le soleil nous semble bon.
Nous passons par Le Mesnil-Amelot ; il est 8 heures et nous oublions que nous sommes en guerre car voilà 2 ou 3 jours que nous n’entendons plus le canon.
Aussi quelques-uns se mettent à chantonner mais leur voix est recouverte par le tapage que fit le 37ème d’artillerie à côté duquel nous marchons dans la direction de Thieux-les-Trois-Villes. Tous les champs alentours sont débarrassés de leurs récoltes qui sont à l’abri pour la majeure partie dans de vastes hangars.
Le 37ème nous quitte à l’entrée de Thieux et nous faisons une grande halte à l’entrée de Nantouillet.
On entend le canon dont le bruit semble s’éloigner, mais il reprend sur notre droite et devant nous et à gauche la fusillade n’arrête pas. Nous avons tous des figures qui sont loin de faire envie tant nous sommes sales.
Quelques blessés se portent à l’arrière. Le soleil disparaît ; les troupes se déplacent. Nous passons le village à une allure vive, puis un 2ème qui porte le nom d’Iverny je crois. Mais nous sommes obligés de nous arrêter car la nuit tombe.
Un maréchal-des-logis d’artillerie est là, étendu au pied de l’église. Pauvre gars, il a fini, lui…(*)
Quelques blessés sont ramenés sur des brancards, une maison à côté de nous brûle ce qui rend ce soir de bataille plus triste puis la lune nous éclaire, semblant nous aider de sa clarté pour ramasser nos blessés.
Puis nous avons l’ordre de nous porter à l’arrière du village et c’est là, au milieu d’un champ de betteraves qu’il va falloir dormir le vendre vide. Nous nous installons à l’endroit indiqué, mais à peine y sommes-nous qu’un maréchal-des-logis accompagné de 2 caissons attelés prie le capitaine de lui donner 4 hommes pour vider un caisson qu’ils ont été obligé d’abandonner dans le pays.
Je me propose et m’installe avec 2 hommes sur le premier caisson. Nous partons bercés un peu durement sur les betteraves.
Dans le pays, les brancardiers s’occupent ; l’église est allumée et doit servir d’hôpital pour l’instant, puis le caisson que l’on croyait bien plein ayant été visé, nous revenons rejoindre les copains laissant les artilleurs s’en aller de leur côté.
Nous dormons tout de même au clair de lune tant nous sommes fatigués.
(*) : Il s’agit très certainement de Maurice Alfred BONNARD, au 45e régiment d’artillerie, mort pour la France à Charny le 5 septembre 1914. C’est le seul maréchal-des-logis d’artillerie mort dans le secteur à cette date. Voir sa fiche.
Le 289e régiment d’infanterie (ainsi que le 204e RI) reçoit
l’ordre d’attaquer les forces allemandes entre Barcy
et Chambry (JMO), vers Pringy.
Nous n’attendons pas que le soleil
se lève pour partir sans rien prendre car il ne faut pas avoir l’estomac trop
chargé ; nous repassons dans Iverny.
Il ne reste plus que les 4
murs de la maison qui brûlait hier soir, sa voisine a subi le même sort.
Nous marchons en avant ; le
canon tonne un peu à notre gauche, ça m’empêche par les corps de chanter dans
le pays au-dessous duquel nous nous trouvons ; quelques hommes ont trouvé des
manteaux d’infanterie allemande, des couvertures de tente ; je trouve une carte
à eux de notre territoire ; un caporal des nôtres est là sur le bord de la
route ; le pauvre gars, il ne retrouvera plus sa famille, lui. Nous autres,
nous avons encore l’espoir ; plus loin c’est un Allemand qui y est resté ; plus
loin, deux fantassins français emmènent par le bras, plein d’humanité, un
blessé qui n’a pu se sauver ; le pauvre gars fait triste mine, mais il s’est
sauvé du carnage.
Nous traversons Monthyon ; c’est là qu’étaient les Prussiens hier ; il
y a des blessés de chez nous dans l’église ; nous avons alors l’ordre d’occuper
un petit village (Pringy) en avant ; nous
y allons par bonds ; nous le laissons à notre gauche, puis un 2ème (Barcy). Je trouve 2 sachets de biscuit allemand ; j’en distribue
un peu aux quelques hommes ; ils sont fort bien goûtés étant moins durs que les
nôtres. L’on se repose un peu à l’ombre. La fatigue commence à se faire sentir
avec le soleil.
Les aéros
nous survolent ; ils ne sont pas loin les uns des autres. Quelques coups de feu
au loin et c’est tout.
Les perdreaux s’envolent à
notre approche ; ma pensée est loin mais comment écrire. Je ne vois plus les
facteurs ; l’artillerie arrive de tous côtés et tonne dur. Nous avançons ; les
obus des prussiens répondent peu aux nôtres qui doivent faire de gros trous.
Je perds un instant ma
compagnie, mais je rattrape un homme blessé ; il m’appelle. Je me couche à côté de lui pour voir ce qu’il
a.
Je me garantis de mon sac ;
les balles sifflent de tous côté ; les obus destinés aux Allemands passent
au-dessus de nous, mais au même moment, je reçois une balle dans la fesse gauche, mais par
le coup de fouet qu’elle m’a donnée et ne sentant pas le sang couler, je
présume qu’elle ne doit pas être très profonde. Je n’ose me tâter tant les
balles sifflent.
Le canon tonne toujours :
c’est effrayant.
Je profite d’un instant de
ralenti pour me traîner à l’arrière, toujours derrière mon sac et me préserve
en ma faufilant par où j’étais venu. Je me panse à l’entrée d’un bois : ce
n’est pas grave, la balle est entrée dans la partie la plus molle et est
ressortie aussitôt, mais la porte d’entrée est restée ouverte tandis que la
porte de sortie est large d’au moins 3 ou 4 centimètres.
Je gagne le petit village
prochain où après m’être fait repanser, je regagne
avec les copains qui sillonnent la route. Nous couchons dans un hangar au
château où l’on est passé ce matin, mais à peine ai-je fermé les yeux que mon
copain m’apporte une lettre que je ne peux lire car il fait nuit.
Je la lirai demain.
Nous n’attendons pas que la lune ait fait place au soleil pour repartir, le ventre vide bien entendu.
Nous repassons dans Iverny que nous traversons cette fois d’un bout à l’autre. Il ne reste plus que les 4 murs de la maison qui brûlait hier soir, et sa voisine est en train de subir le même sort qu’elle. Le canon tonne à gauche ce qui n’empêche pas le coq de chanter.
Dans ce nouveau petit pays que nous traversons après Iverny, quelques manteaux boches sont ramassés par les hommes ainsi que quelques objets abandonnés.
Un caporal est là sur le bord du fossé. Pauvre gars, il ne reverra pas sa famille, celui-là ! Plus loin c’est un Allemand qui est resté là, face contre terre, puis plus loin deux des nôtres emmènent par le bras un blessé boche qui n’a pu se sauver ; pauvre gars, il fait triste mine, mais il est certain au moins d’être sauvé du carnage.
Nous montons encore un peu et arrivons à Monthyon en traversant une propriété habitée la veille par les Allemands ; ils ont abandonné leurs blessés dans l’église (*), mais nous avons l’ordre d’aller occuper le village qui se trouve au-delà. Nous nous y portons par bonds en le laissant à notre gauche ; un pauvre cheval blanc est blessé là dans un champ et nous regarde passer ; à l’abri d’un petit buisson un homme qui est à côté de moi trouve une bouteille de vin bouché et qui est sûrement bon ; nous n’en avons pas pour longtemps à la vider. Un peu plus loin je trouve 2 petits sachets de biscuit boche auxquels nous faisons grand honneur ; ça parait bon, surtout quand on n’a pas mangé la veille.
Nous nous engageons ensuite dans un petit chemin de terre au bord duquel quelques arbres offrent un peu d’ombre ; nous nous y reposons un peu ; quelques aéros nous survolent mais nous n’y portons pas grande attention ; quelques coups de feu au bois, puis un peu de calme ; une compagnie de perdreaux effarouchée passent tout près de nous et se posent au bord d’un petit bois à notre droite.
Je m’endors pensant aux miens, mais je suis tiré de mon rêve par des batteries d’artillerie qui passent à nos côtés et prennent position un peu plus loin, puis à droite, à gauche, derrière ; toutes se mettent à envoyer des obus d’une façon épouvantable si bien que ma compagnie s’est portée en avant sans que je m’en sois aperçu. Des balles passent à côté et au-dessus de nous et nous font sentir que nous sommes en danger ; aussi je profite qu’une compagnie passe à côté de moi pour me joindre à elle.
Les quelques hommes qui sont avec moi m’imitent, nous nous portons en avant en courbant la tête sous le vacarme épouvantable que font les obus au-dessus de nos têtes ; nous avançons toujours, puis sur le haut de la crête les balles sifflent de plus en plus autour de moi.
Je vois quelques copains touchés ; je m’avance encore ; un homme m’appelle.
Je m’approche vivement de lui, défait mon sac, m’en abrite, mais pas plutôt couché, je sens quelque chose qui me pique à la fesse. Je n’ose plus bouger, mon camarade non plus. Les balles sifflent d’avantage autour de nous, les obus éclatent un peu partout ; je regarde ou plutôt je risque un œil derrière moi : c’est tout juste si je distingue les 4 gueules de nos 75 qui sont en train de faire passer la mort au-dessus de nos têtes. Je n’ose bouger.
Mon camarade reçoit une 2ème balle, jure après les boches, puis les balles deviennent un peu plus rares. Le canon ralentit un peu ; mon camarade n’ose bouger, moi non plus.
Je profite de l’instant de répit puis, à reculons et tout doucement à l’abri de mon sac, me retire jusqu’à l’endroit occupé par la batterie, puis je remets mon sac sur le dos et je me sauve jusqu’à ce que je me trouve assez éloigné pour me faire un premier pansement.
Je pose mon fusil et mon sac au bord d’un bois, puis ma capote est aussi étendue au soleil et je constate qu’une balle est entrée un peu au-dessus du ceinturon et est ressortie aussitôt avec un orifice d’au moins 5 centimètres ; ça n’a pas beaucoup saigné. Je fais mon pansement aidé par un camarade puis après m’être rééquipé de nouveau, je me retire à l’arrière avec d’autres camarades plus ou moins atteints.
Le canon gronde toujours et en me retournant je peux constater que les shrapnells des boches éclatent beaucoup plus haut pour nous faire bien mal. J’arrive à une petite ferme où au moins 100 fantassins blessés font ce qu’ils peuvent pour avoir de l’eau au puits.
Je ne puis m’en procurer ; je vais plus loin où dans une plus grande exploitation je trouve infirmier et blessés des 2 nations qui donnent et reçoivent sans distinction de nationalité, les premiers soins.
Les moutons qui sont enfermés dans une bergerie et qui ont probablement faim regardent effrayés cette visite inattendue. Puis ayant réussi à refaire mon pansement par un camarade infirmier, je suis son conseil et m’en vais en tirant un peu la jambe jusqu’à Monthyon où dans la propriété que nous avions traversé ce matin, une ambulance est installée.
N’ayant pour le moment plus besoin de soins, je laisse la place aux pauvres gars qui arrivent à chaque instant, dont beaucoup sont bien abîmés.
La nuit vient encore une fois sans rien manger je m’endors sur un peu de paille étalée sous un hangar.
A peine suis-je endormi qu’un camarade m’apporte une lettre de ma femme et c’est avec le cœur gros et content à la fois que le lendemain matin, en m’en allant, je puis en prendre connaissance.
(*) : Le JMO
de la 109e brigade dit « à 9h30, Le
298e RI occupe Pringy est y trouve une ambulance
ennemi et 80 blessés (…) ». Le village était donc Pringy,
pas Monthyon ?
(**) : C’est
indiqué dans le JMO de la 109e brigade d’infanterie « le 289e régiment d’infanterie occupe Pringy
(…), lance des reconnaissances sur Barcy (..) , puis
le mouvement s’arrête au sud de Monthyon au
croisement de La Marche, (…). Quelques éléments ennemis en patrouille avec
autos-mitrailleuses, les refoulent (…) »
Le 6 septembre
durant les combats dits « de Barcy », le
289e RI perd environ 350 hommes tués, blessés et disparus. (Le 204e régiment
d’infanterie lui, perd environ 280 h.).
Extrait des pertes du 6 septembre 1914 du 289e régiment d’infanterie. On y précise que Charles DUMAY est à la 24e compagnie.
Nous partons toujours le
ventre vide, ceux qui peuvent marcher vont par la route ; nous passons dans un village
où les Prussiens ont abandonné des caissons d’artillerie ; il y a peut-être 2
cents obus qu’ils ont abandonné dans les paniers, plus loin des cadavres à eux,
abandonnés.
J’arrive à trouver les
voitures de la compagnie où je trouve un peu de pain, du bœuf et 2 quarts de
vin, plus loin ½ quart de fine. Ça me remet d’aplomb.
J’arrive à Iverny
où l’on est déjà passé. Je rencontre un nommé CEPOU (?) de l’active qui est du
train de combat. J’en profite pour me débarbouiller, je vais besoin. Plus loin
un sergent du génie m’offre une tasse de bouillon ; je la trouve bonne. Je
demande un œuf à une bonne femme qui ne veut pas que je lui paye.
Je croise des zouaves, des
tirailleurs indigènes et un troupeau de beaux bœufs suivent.
Je me mets à l’ombre d’une meule
pour refaire mon pansement qui tombe. Le canon tonne toujours derrière.
J’arrive à Vinantes ; il fait très chaud ; je
rentre dans une maison pour y prendre un peu de repos. Il fait trop chaud pour
que je continue et passa à Juilly et j’arrive à la gare de Dammartin-Jubly-Saint-Mard à 11 heures.
Un officier me fait signe de
monter. je grimpe en 1ère avec d’autres blessés qui
sont plus atteints que moi. Je distribue quelques pommes. Je pars il est 11
heures 20. Compans, Mitry-Claye,
Sevran-Livry, l’on aperçoit la tour Eiffel. Le Bourget, Drancy.
Midi, je dors. Argenteuil,
vin, …( ?) pain. Sartrouville, Maisons-Laffitte. Je mets une
carte à Achères en passant ; victuailles à profusion.
Partons d’Achères à 3
heures, Poissy, Villeneuve-sur-Seine, Vernouillet, Verneuil,
Les Mureaux, Epônes, Mézières, Mantes-station,
Mantes-Gassicourt, Rosny-sur-Seine, Bonnières, Vernon, St-Pierre-au-Vauvray …
Est ici annoté, entouré d’un cadre :
« COMPÉRANT Henri à Samoreau est blessé au pied et voyageons ensemble, a
travaillé chez Papa GOUVENIN cet hiver. »
Jolis panoramas tout le long
de la Seine. Un sidi marocain distrait bien le compartiment.
Dans la nuit à une station est
monté dans le compartiment et a demandé où l’on était blessé ; un homme sur le quai
écrivait ce qu’il lui disait. J’étais endormi ; je ne me rappelle plus ce qu’il
nous a dit.
Le lendemain 7 septembre, l’on nous évacue sur Vinantes.
Ceux que leurs blessures empêchent de marcher sont transportés en voiture, les autres y vont par leurs propres moyens, et je préfère ce dernier, espérant bien trouver quelques victuailles sur mon chemin car je commence à avoir faim.
Je traverse un village où les prussiens ont abandonnés des caissons dans une mare auprès d’une ferme, puis un peu plus loin, je ne sais combien d’obus ils ont laissé, la plupart dans leur panier, 3 par 3 ; à certains endroits le fossé de la route en est rempli.
J’ai le bonheur de rencontrer les voitures de compagnie à cet endroit, et dans celle de la mienne, je trouve du pain et du bœuf en conserve que je trouve bien bon. Je ne prends même pas le temps de poser ni mon fusil ni mon sac. Enfin après avoir bien bu et bien mangé et avoir souhaité bonne chance aux camarades, je continue mon chemin.
Je n’ai pas fait 500 mètres que j’aperçois dans un champ de betterave une batterie allemande complètement anéantie ; je distingue de loin les chevaux et les hommes qui sont tombés à côté, mais je n’ose pas m’en approcher.
Je passe ensuite à côté des tirailleurs algériens puis plus loin à côté d’un grand hangar, 8 chevaux qui sont là en tas et commencent à sentir un peu fort. A l’intérieur un cadavre, déjà noir, d’un boche est là, étendu sur du foin. plus loin un blessé à eux fait triste figure ; je ne m’intéresse pas d’avantage à son sort car il mange je ne sais quoi, je suis trop heureux d’en être quitte à ce prix là.
J’entends le canon loin derrière moi dont le son diminue à mesure que je m’éloigne.
Puis après avoir marché pas mal de temps j’arrive à Iverny où j’ai la chance de retrouver un camarade de l’active qui, après m’avoir donné ce qu’il fallait pour me nettoyer un peu, m’offre un bol de bouillon que je trouve excellent, et un peu plus loin encore une bonne et brave femme me donne un œuf qu’elle ne veut pas que je lui paye. Ainsi calé je continue mon chemin.
Je croise un troupeau de bœufs que les arlicots font paître en allant, puis je m’arrête à l’ombre d’une meule pour refaire mon pansement qui glisse.
Je repars avec d’autres blessés ; nous entendons toujours le canon au loin derrière nous et enfin nous arrivons à Vinantes mais il fait si chaud que je m’arrête un peu à l’ombre pour me reposer puis, en passant par un petit sentier nous arrivons à Juilly et de là, à la gare de Dammarie-Juilly-Saint-Mard où je monte dans un train qui est déjà là, sur le signe que me fait un officier.
Je monte avec d’autres sergents et soldats d’autres régiments qui, blessés eux aussi, sont arrivés avant moi. Je m’installe dans un coin et à 11 heures nous partons. Où ? Personne n’en sait rien.
Nous passons à Compans, Mitry-Claye, Sevran-Livry, Aulnay-sous-Bois puis à notre grande joie nous apercevons la Tour Eiffel qui disparaît presque aussitôt ; ensuite nous passons à la gare du Bourget, Drancy, nous arrêtons à Argenteuil où du pain, du vin, du tabac sont distribués à toutes les portières, ensuite Sartrouville, Maisons-Laffitte puis Achères où je mets une carte en informant ma femme de ma blessure qui n’est heureusement pas grave ; encore là des victuailles à profusion. Nous nous serions contentés de bien moins huit jours auparavant mais à mesure que l’on nous en donne, à mesure tout disparaît. Nous commençons à revivre un peu.
A 3 heures, nous quittons Achères, passons Poissy, Villennes-sur-Seine, Vernouillet, Les Mureaux, Epônes, Mézières, Mantes, Mantes-Gassicourt, Rosny-sur-Seine, Bonnières, Vernon, St Pierre-de-Vauvray, Pont de l’Arche, Alizai, Oissel.
Nous avons la vue de jolis panoramas tout le long de la Seine puis la nuit le roulement du train nous endort.
Au milieu de la nuit - je ne sais pas à quelle gare c’était - un Lieutenant nous a demandé à chacun de nous où nous étions blessé et un civil, sur le quai lui, écrivait ; puis je me suis à nouveau endormi.
4 heures du matin je me
réveille ; nous sommes à Elbeuf ; je ne sais pas dans quelle direction
nous allons ; à 5 heures nous passons à Glos-Montfort,
Pont-Authou, Serquigny
; il est 6 heures le soleil se lève.
Bernay à 6 heures ¼. A Lisieux l’on prend du café au
lait ; j’achète un petit journal ; c’est le premier que j’achète depuis que je
suis parti. Mesnil-Mauger à 9 heures.
A St Pierre-sur-Dives,
une rupture d’attelage se produit en nous laisse en pleine voie ; l’avant du
train s’est cavalé.
Pendant de temps, le pain, le
beurre, le lait, le cidre, les pommes nous sont distribuées à profusion ; le
pain est blanc et fin.
Nous arrivons à Argentan,
il est midi ¼.
Ici l’on garde les plus
amochés et nous partons après avoir bien déjeuné à ( ?), passons ensuite à Almeneche où il y a de jolis chevaux à embarquer.
A Sourdon
une altercation a lieu entre 2 capitaines du 289ème et le chef de gare, ceux-ci
trouvant que l’on nous arrête trop souvent (ils n’ont pas tort) ; ils demandent
à ce qu’on nous mène au plus vite où il faut pour que l’on panse les blessés. A
Sées nous avons plus à manger qu’il nous faut. Vingt-Hanaps, 5 heures ; Alençon : il pleut un
peu, puis c’est plus fort qu’un orage, presque.
La halte Coulombiers,
il pleut ; les gars redoublent de bons soins, la nuit arrive.
Le matin à l’aube nous passons à Elboeuf ; je ne sais pas encore, ni mes camarades non plus, où nous allons. A 5 heures, nous passons à Glos-Montfort, Pont-Authon, Serquigny puis à Bernay à 6 heures un quart. Ensuite Lisieux où l’on nous donne du café au lait, l’on nous gâte.
Puis à 9 heures, nous sommes à Mesnils-Mauger, puis à Saint-Pierre-sur-Dives ; une rupture d’attelage se produit, laissant la queue du train où je suis en plaine voie, pendant que la partie avant, qui est partie sans nous, s’arrête puis revient nous chercher.
Le pain, le cidre, le lait, les pommes nous sont distribués à profusion ; la blancheur et la finesse du pain attire mon attention ; puis ce petit accident réparé nous arrivons à Argentan vers midi où les plus gravement blessés sont laissés, puis nous repartons non sans avoir pris avant un bon déjeuner.
Puis nous passons à Almenèche où sur le quai d’embarquement 4 ou 5 jolis jeunes chevaux sont là, maintenus près de leur conducteur attendant probablement les wagons pour les embarquer.
A Surdon où nous nous arrêtons ensuite, un capitaine qui, blessé est dans notre train, trouve que l’on nous arrête trop souvent et qu’il faudrait nous emmener plus vite car nombreux sont les blessés qui auraient besoins que leurs pansements fût changé ; une petite altercation a lieu entre lui et le chef de gare, mais ce n’est pas grave ; puis nous repartons pour nous arrêter à Sées.
Là, nous avons à manger plus qu’il nous en faut ; ensuite Vingt Hanaps, il est 5 heures.
Quand nous passons à Alençon, il pleut si fort que c’est presque comme un orage, sauf que nous n’entendons pas le tonnerre ; nous n’en n’avons pas besoin, nous l’avons assez entendu.
Puis la pluie a cessé quand nous arrivons à la halte de Coulombiers ; aussi les personnes qui sont là redoublent de bons soins ; la nuit arrive, nous dormons.
Sommes arrivés à Rennes.
Je ne sais par
où nous sommes passés ; on nous apporte un bol de bouillon avec du pain, des
œufs durs, des poires, du café que l’on mange de bon cœur ; les femmes de la
Croix Rouge sont d’un dévouement digne d’elles ; nous partons il est 7 heures ½
et allons à St-Malo ; passons à Betton à 8 heures.
Il pleut quand nous passons à Combourg,
Bonnemain. Arrivons à Dol à 10 heures
20, La Frenais, La Gouesnière-Cancale
et arrivons à Saint-Malo à 11 heures.
On nous emmène en autos à
l’hôpital du Rosais à St-Servan.
Je suis bien reçu par la sœur,
je prends un bain de pied ; j’en avais besoin, et je déjeune d’une soupe à la
tomate, d’un morceau de viande avec des pommes de terre, un litre de cidre et
une petite tasse de café. Après je me mets en tenue : grosse chemise de toile,
pantalon bleu sans boutons et une espèce de vareuse.
J’écris à ma petite Chérie
ainsi qu’à ses parents et j’attends le vétérinaire après m’être rasé.
Il est 4 heures
quand il arrive ; il me demande ce que j’ai en me défaisant mon 1er pansement,
me mets un peu d’alcool dessus et puis s’en va ; la sœur me dit que je reste
ici et nous nous sommes mis à bavarder tous deux comme 2 bons vieux amis.
J’ai démonté mon fusil et l’ai
bien graissé ; j’ai ensuite la visité de l’aumônier qui vient voir ce que
chacun a. La pluie a cessé et le soleil nous charme un peu de ses rayons.
Avant que 5 heures,
l’on m’apporte la soupe, au lit s’il vous plaît ; elle est très bonne. Je sors
du petit placard qui est derrière mon lit le litre de cidre que je n’ai pas
fini à déjeuner, un morceau de viande et des haricots verts, puis une petite
poire pour terminer.
6 heures, je n’ai plus rien à
faire et vais dormir.
Le lendemain 9 septembre, nous sommes arrivés à Rennes, mais je ne sais pas depuis Coulombiers où nous sommes passés. L’on nous apporte un bol de bouillon chacun, du pain, des œufs, du café, des poires que nous mangeons de bon cœur. Les dames de la Croix Rouge qui refont les pansements aux blessés sont d’un dévouement tout à fait paternel.
Là, le train est coupé, l’avant auquel j’appartiens s’en va à Saint-Malo, c’est marqué sur notre voiture.
Nos partons, il est 7 heures et demi et passons à Betton ; en passant à Combourg il pleut un peu, ensuite à Bonnemain, puis à Dol et à 10 heures La Frenais, La Gouesnière-Cancale et arrivons à Saint-Malo il est 11 heures.
L’on s’occupe d’abord de ceux qui ne peuvent pas marché, on les descend puis on les transporte avec mille précautions, puis le tour vient de ceux qui peuvent trotter, et alors je monte dans une auto qui est là sur le plan ; nous sommes 3 soldats ; l’on nous emmène, paraît-il à l’hôpital du Rosais où après quelques minutes de voyage nous arrivons.
Ce sont des Sœurs qui avec le dévouement que chacun leur connaît, nous soignent, nous gâtent tout le temps que notre état nécessite notre séjour chez elles.
A partir de ce jour, les bons soins, les nouvelles que j’ai écrites et que j’ai reçues de chez moi m’ont fait apparaître bien court ces jours passés auprès de ces braves filles.
A l’hôpital du Rosais à St-Servan(-sur-Mer) je suis bien reçu par la Sœur ; je prends un bain de pied : j’en avais besoin et je déjeune d’une soupe à la tomate, d’un morceau de viande avec des pommes de terre, un litre de cidre et une petite tasse de café. Après je me mets en tenue : grosse chemise de toile, pantalon bleu sans bouton et une espèce de vareuse.
J’écris à ma petite Chérie ainsi qu’à ses parents et j’attends le vétérinaire après m’être rasé.
Rappel : l’écriture en marron
= carnet original
l’écriture
en noir = carnet « repris », plus tard
Il est 6 heures
quand l’on m’apporte un bol de café noir et une tartine de pain. Je constate
que j’ai tellement dormi que j’ai la figure un peu boursouflée ; c’est la 1ère
nuit depuis un mois que je passe complète dans un lit et ça fait tout de même
plaisir.
Hier au soir, un petit gars
est venu me réveiller vers 8 heures pour m’emmener à la salle d’opération ;
j’ai dit que je ne tenais pas ce que l’on me charcute.
Le major a donc acquiescé à ma
demande, la partie de mon type étant abîmé n’étant touchée et vue que par ma Didille, il est juste qu’elle ait l’honneur de la voir
telle que la balle me l’a faite, sans retouches.
Donc ce matin après avoir été
aux cabinets je me suis remis au pajot sur l’insistance de la sœur et pour lui
faire plaisir et en plus il faut que je rattrape le temps perdu.
Nous ne sommes que 5 dans
cette salle où il y a 10 lits et dame, comme sergent, je suis quelqu’un dans la
maison. Une espèce d’infirmier fait les lits et donne un coup de balai, puis
donne un coup de brosse au parquet de chêne de la salle (ou plutôt planche de
bois encaustiquée) ; le médecin passe il est 9 heures et me refait mes
pansements. Il le fait à sec ; aussitôt qu’il est parti je me lève car je
finirai par attraper des ampoules et devenir malade.
Je vais faire un tour en
attendant la soupe que l’on donne, il
est dix heures, avec une portion de ragoût et une petite grappe de raisin,
une bouteille de cidre, le tout très bon.
Je vais écrire à ma chérie
pour lui donner mon adresse à seule fin qu’elle puisse m’écrire.
Midi. Je sors avec
les camarades et je vais devant l’hôpital jouir à l’ombre du coup d’œil de la
mer.
A droite Dinard puis la mer à
perte de vue avec quelques gros bateaux au loin et une quantité de petits ..( ?) c’est agréable à voir
et encore que d’entendre le canon ou les balles siffler à ses côtés ; ici c’est
la paix et le repos.
Je suis resté jusqu’à 4 heures
; puis j’ai brossé mon pantalon et ma capote, puis ciré mes souliers et
maintenant un coup de peigne en attendant la soupe.
Je dîne avec 3 autre sergents
de la soupe, un morceau de beau rôti, de la salade et une poire puis pour faire
plaisir à la Sœur nous avons été à la chapelle dire des prières ; nous revenons
il est 7 heures ; je vais me coucher
en pensant à mes 2 chéris
6 heures, je me
lève et vais aux cabinets ; en revenant je trouve mon bol de café et ma tartine
de pain sur la table de nuit ; je fais honneur au tout, puis je vais me
bichonner et dire bonjour aux 3 autres sergents qui sont dans l’autre chambre.
Le temps est sombre et il ne fait pas très chaud.
A ce qu’il paraît que j’ai
rêvé cette nuit, je crois me souvenir que c’est de chez nous. Papa était en
train de faire transformer l’entrée de la cour ; il n’y avait plus qu’une
petite entrée comme celle de chez BRUNET et je trouve avec juste raison que ce
n’était pas assez large pour entrer les chariots de pailles et fourrages ; j’ai
beaucoup débattu mon affaire au dire des camarades qui m’ont entendu.
Il pleut maintenant et je vais
lire en attendant la soupe. C’est toujours la même : un morceau de bœuf rôti et
de pomme de terre, une poire cuite comme dessert.
Il est 11 heures quand
nous avons fini ; le major est passé avant la soupe, m’a demandé si ça allait ;
je lui ai répondu oui, puis il est parti. Une petite sieste après déjeuner et
je relis « La caserne allemande », un feuilleton que la sœur m’a donné ce
matin.
Je découvre dans l’après-midi
ceci à la porte :
Mr le Major : un branle et 2
coups
Mr l’Abbé : un branle
Mr PARGE : 3 coups et une
branle
A 5 heures la
soupe, un œuf et un peu de haricots verts avec de la confiture.
Après je vais mettre 4 boutons
au pantalon bleu que l’on m’a donné car il n’en a pas et quand j’ai mangé, ma
ceinture de flanelle que j’ai mis jusqu’ici comme ceinture me gène quand j’ai mangé. Avant de me coucher je vais aller
faire un tour dehors car il est bien trop tôt ; il n’est que 6 heures.
J’ai assez bien dormi, et je
me suis levé aussitôt mon bol de café avalé, un coup de peigne et je flâne un
peu. 10 heures arrive, la soupe un morceau de veau avec un peu de salade,
encore un déjeuner de passé.
Je vais lire dehors s’il fait
beau, mais après avoir lu un espèce de journal, je
m’endors et je fais un bon somme, ensuite l’on rentre car il pleut.
J’écris à ma chérie et pendant
que j’écris, la Sœur nous apporte une petite tasse de café.
Je finis d’écrire il est 3
heures ½ et je lis en attendant la soupe.
Elle arrive à 5 heures avec un peu de bœuf et des
haricots verts et des confitures, ensuite l’on s’apprête à aller se coucher
tout doucement.
Je n’ai pas bien dormi cette
nuit, je me suis tout le temps retourné dans mon lit ; est-ce le vent qui n’a
fait que souffler toute la nuit qui en est la cause ?
Ce matin j’ai goûté à un
fromage en boîte que l’on m’a rapporté hier au soir ; il m’a coûté 70 centimes,
et il en manquait un morceau encore ; c’est peut-être la mode ici de les goûter
de cette façon avant de les vendre ; mais toujours ‘est-il que ça m’a changé.
j’en ai fait une tartine que j’ai boulotté de bon cœur et que j’ai fait
descendre avec un bol de café.
Ensuite j’ai été voir si le
grande Sidi était parti, mais il est encore là.
J’ai fait ma raie avec un peu
d’eau de Cologne ; maintenant je vais aller au lavabo laver ma petite
gueugueule ; ma Didille doit être déjà levé à cette
heure-là. Mais j’y pense, cette nuit c’est peut-être là la cause de mes
insomnies.
J’ai rêvé que nous étions en
Alsace et que j’étais allé voir la famille THALMANN ; je les ai vu sans toutefois les reconnaître et c’est sans doute ce qui
m’a empêché de dormir.
Je l’écrirai tantôt à ma
cocotte et ça la distraira et en même temps lui fera plaisir.
A 7 heures, nous
allons à la messe ; ça passe le temps ; nous n’en sortons qu’à 8 heures. Après
je déménage car le grand marocain est parti, alors je vais loger avec les 2
autres sergents dans la petite chambre où nous serons pas mal du tout.
Maintenant que mon déménagement
est fait, je vais me raser ; il a l’air de vouloir faire une belle journée.
A déjeuner : la soupe, un
ragoût de mouton, une poire cuite et la Sœur nous a donné à chacun les 2/3 d’un
verre de vin qui n’était pas trop mauvais ; de cette façon il me reste un peu
de cidre pour ce soir.
Aussitôt déjeuner, l’on lit un
peu les nouvelles qui sont plutôt bonnes en général et l’on va sur la plage.
J’écrirai à ma chérie en
rentrant. J’ai pris un petit paquet de quelques cailloux et coquillages que je lui
rapporterai comme souvenir. Je lui dis sur la 3ème et grande et longue lettre
que je lui écris.
Le soleil ne nous fait pas
défaut de la journée. Tout se passe bien, l’ennui ne me gagne pas ; je pense
très souvent à mes deux chéris ; je me demande, si je suis encore un mois sans
les voir, si je vais les reconnaître ; c’est mon petit Marcel qui va être
changé ; il est capable de marche tout seul. Quant à sa maman je la vois déjà
encore plus gentille à mes yeux et pour moi plus aimante.
Il vient d’arriver un
capitaine du 78ème qui a des rhumatismes.
La soupe est arrivée le
dimanche et nous la mangeons donc un peu plus tôt que d’habitude ; nous
mangeons la traditionnelle soupe, un morceau de veau froid avec un peu de
salade, puis une pomme cuite.
Ensuite nous ressortons dehors
où nous avons le plaisir de causer avec des personnes qui vont et viennent sur
la plage.
Nous fournissons des
renseignements du mieux que nous pouvons. Une dame tenant un gentil bébé – je
lui dis que j’en ai un aussi, qu’il aura 15 mois après demain – et elle m’a
fait embrasser son petit car son papa était aussi parti à la guerre, et qu’il
était brun avec des moustaches comme les miennes ; le petit m’a appelé « papa
», mais s’est sûrement trompé, l’on rentre ensuite, l’on flâne et l’on finit
par se coucher à 6 heures ¼.
A 6 heures lecafé
; je mange du fromage avec mon pain.
Je n’ai pas bien dormi dans ma
nouvelle chambre ; il fait frais dehors ; on m’a rapporté mon linge blanchi ;
je recouds 2 boutons à ma chemise.
A 9 heures, les
journaux arrivent nous annonçant la victoire ; il faut voir les gars sauter
dessus ; ils n’ont plus mal aux pieds.
A 11 heures, je
reçois une lettre de Margo m’annonçant peut être l’arrivée de Marinette.
L’après-midi se passe dans
l’anxiété. Va-t-elle venir demain ?
A 5 heures, la
soupe, un morceau de veau avec des tomates farcies ratées mais tout de même
bonnes, une poire cuite ; ensuite nous allons faire connaissance avec notre
nouveau voisin, un capitaine rhumatisant, le capitaine LUCUSSOL, 78ème
territorial avec qui nous causons longuement et en bons termes.
Pas trop bien dormi. J’ai bien
pensé ma Didille. Va-t-elle venir aujourd’hui ou
demain ?
J’ai pris mon café seul, rien
avec. Mon camarade m’a passé la moitié de sa tartine,
je l’ai enduite de fromage ainsi que la mienne et me suis envoyé le tout dans
mon petit bec fin.
A 7 heures, il
arrive 5 soldats, 1 artilleur et 4 fantassins en auto. Je vais auprès d’eux aux
renseignements.
Sur 5, il y en a un qui a été atteint
à la tête, pas gravement, et tous sont fourbus ; ils ne peuvent plus avancer.
Les Allemands sont repoussés ;
ils tuent ceux qui ne peuvent pas suivre la retraite, mais la grande chose
c’est qu’ils reculent. Le soleil nous envoie quelques rayons qui ne font
vraiment pas mal.
A 10 heures, la
soupe arrive : toujours bonne ; la Sœur nous a fait réchauffer un petit restant
de tomate que nous avons laissé la veille, un morceau de porc avec de la salade
et chacun une poire crue.
Puis les nouvelles arrivent
bonnes et au lieu d’aller faire un somme sur l’herbe, il nous faut rester en
dedans car le soleil s’est caché et la pluie se met à tomber. Je vais en
profiter pour écrire à ma Chérie une longue lettre.
La pluie qui tombait bien fort
s’est apaisée ; malgré cela l’herbe est trop mouillée pour faire un somme
dessus ; je viens d’écrire encore une longue lettre à ma petite femme et je lui
demande à ce qu’elle me réponde au moins quelques mots car depuis le 6 que j’ai
été blessé je n’ai encore reçu que la carte à NEFF hier, et dame je commence à
trouver le temps long.
J’envoie une carte à Fernand
et à Paul GARNOT ; je pense que je n’ai pas fait remarquer à Cocotte que Marcel
avait aujourd’hui 15 mois à 9 heures ce soir ; je lui dirai demain.
L’après-midi se passe
bien ; 5 heures, pas encore de lettre ; ça c’est la guigne par exemple. 5
heures, la soupe traditionnelle, veau froid et salade, 2 pommes. Un camarade
qui a trop de son litre de cidre m’en cède un demi verre ; ma cuillère que
j’avais partir me revient ; à quand la fourchette ?
Il pleut à verse à cette
heure-ci. Que fait Bruno (employé à la graineterie familiale) ? Ici, rien à
faire ; je vais me mettre au lit ; je n’ai pas fait de roupillon à midi.
Il est 6 heures.
A 6 heures, le
café. En venant chercher les bols vides nous apprenons que dans la nuit des
blessés sont arrivés.
Je vais me lever et aller aux
renseignements pour voir. La chambre que je vois est pleine : ils dorment tous
et ils ont l’air bien fatigué.
Le soleil se lève ; il semble
bon aussi ; les bancs sont vite garnis de blessés qui viennent se réchauffer à
ses rayons. L’abbé se promène et cause avec chacun sur l’état actuel de la
guerre. Nous attendons les journaux ; il est 9 heures, ils ne doivent pas
tarder à arriver.
Je risque un œil pour la
première fois dans la cuisine ; elle est très grande ; une femme est en train
de faire des crêpes ; j’en mangerai bien une, surtout qu’elles sont grandes.
Les journaux arrivent en annonçant que les boches sont arrêtés dans leur
retraite, mais néanmoins les nouvelles continuent à être bonnes. 10 heures vont
arriver, peut-être une lettre aussi ; elle me ferai
bien plaisir aussi.
Une vieille dame qui est
hospitalisée dans le bâtiment voisin ne cesser de crier ; l’on croirait une
chèvre qui braie.
La soupe puis une bonne
portion de hachis mais il ne vaut pas, quoiqu’on se régale, celui que me fait
ma Didille, ce n’est pas la même fabrication ; puis
avec ça, une pomme et après la Sœur nous offre à chacun une petite tasse de
café.
Somme toute, j’ai fait un bon
déjeuner ; après nous allons faire un tour sur la grève où il y a quelques
enfants qui se baignent ; l’on remonte faire un petite somme puis j’écris une
lettre au camarade pour le remercier de l’amabilité qu’il a eu de m’apporter la
lettre du 6 au soir dans la remise du château où j’étais couché. J’écris aussi
à ma petite femme chérie une carte postale ; demain je lui écrirai plus
longuement, surtout si je reçois une lettre d’elle, car la méchante ne m’a pas
écrit, ou du moins je n’ai pas reçu de lettre d’elle depuis cette date du 27
août que j’ai reçu le 6 au soir.
Cela fera demain 11 jours que
je n’ai rien reçu ; c’est bien long.
5 heures arrive ;
j’ai bien faim.
Je mange la soupe de bon
appétit, puis une espèce de côtelette avec un peu de sauce à la tomate et des
haricots verts avec ensuite, pour finir, un peu de confiture, une espèce de
résine de figue ; ce n’est quand même pas mauvais.
Après l’on sort de nouveau
prendre le frais, il n’est pas 6 heures, nous avons bien le temps ; à 7 heures
nous rentrons et allons nous coucher.
Bonsoir petite Didille et petit Marcel.
Je me suis levé à 4 heures
pour aller aux cabinets et ensuite je me suis recouché en pensant à ma chérie
et de 4 à 6 je suis certain que si elle avait été à côté de moi, elle aurait
pris quelque chose pour son rhume ; ah mes aïeux, qu’est-ce que j’avais. Non,
où est Margot pour en faire la comparaison.
Ce n’est pas étonnant après
tout quand on n’a pas couché avec sa petite femme depuis 45 jours, il n’y a
rien d’étonnant que l’on ait mal au ventre, n’est-ce pas ?
A 6 heures, notre
café est arrivé, j’ai fini mon fromage ; après cela nous restons au lit ; que
faire, nous ne pouvons aller dehors, il pleut à verse ; alors on attend que 8
heures sonnent pour sortir du plumard et comme il pleut toujours et que le vent
souffle, nous attendons sous le porche que les fourneaux arrivent et à 10
heures, la soupe, un morceau de veau et des tomates farcies manquées, et une
poire.
Toujours pas de lettre ; mes 2
camarades en ont reçu l’un une et l’autre deux, et moi, pauvre petit Didi, tu
n’as encore rien.
Pour quand ce sera ? Je me le
demande encore ; oh la méchante, je ne sais vraiment pas si je dois encore lui
écrire tantôt et puis après tout, peut-être a-t-elle écrit et que ses lettres
n’arrivent pas. Enfin je vais quand même lui envoyer une carte pour lui prouver que moi, au moins, je lui écris.
Il est midi ; je
vais descendre ma carte et de là, comme la pluie a cessé, je suis allé voir
dehors s’il ne fait pas trop froid pour ma petite personne qui est si fragile.
Pendant l’après-midi,
après avoir fait un roupillon sur mon lit, je descends et flâne un peu partout.
Je cause un peu de l’état actuel des choses avec mon voisin le capitaine et de
nombreuses visites sont faites l’après-midi aux blessés par des personnes
venues les voir. Le vent qui a cessé pour faire place à la pluie a repris comme
de plus belle et il paraît très frais, cet état expliqué par le voisinage de la
mer.
Quant à moi l’on ne me demande
pas, ni pour une visite, ni encore moins pour une lettre ; pauvre Didi, va ! Je
suis là dans la cour avec quelques soldats blessés qui fument et causent entre
eux, d’autres sont aux fenêtres et moi je continue mon petit journal qui fera,
je l’espère, bien plaisir à celle à qui je pense si souvent et qui peut-être,
ne pense pas beaucoup à moi, la méchante, car plus le temps passe, plus je
trouve et sens qu’elle m’oublie ; enfin peut-être demain aurai-je une lettre.
Le Sœur nous a donné un jeu de
dame mais aucun de mes camarades ne sait y jouer ; je vais demander à COMPÉRAT,
quand je vais le voir, s’il sait jouer, lui.
Le soleil se montre vers 4 heures, je descends avec un
copain de côté de l’eau qui est beaucoup montée, et elle est mauvaise ; aussi
ce vent la me donne un appétit féroce et il n’est que temps que 5 heures arrive
; pour la soupe, un morceau de veau avec de la salade et une poire cuite.
Après, pour faire plaisir à la
Sœur je suis allé avec un camarade au Salur, ça passe
le temps, et à 7 heures, couche.
A 4 heures, petite
visite au bout de la salle, à 6 heures le café et ensuite l’on sort du lit qu’à
7 heures après avoir changé de chemise ; celle-ci est d’une toile un peu plus
fine que la première que l’on m’a donné ; ensuite je descends dans la cour pour
lire un petit livre que j’ai trouvé hier « Le Pitchounette
» ; c’est intéressant e en plus ça fait passer le temps.
Il fait doux ; le vent d’hier
s’est apaisé ; j’ose espérer qu’il fasse beau dans la journée.
Une dame arrive de Paris
probablement ; elle va droit à un soldat blessé aux deux bras avec lequel je
suis venu ici. Vais-je au moins avoir une lettre avant 10 heures ? Ca me ferai
plaisir. Attendons…. Rien, rien, toujours rien.
La soupe ; un morceau de
viande, des haricots verts et une poire cuite. Ensuite l’on descend dans la
cour et de là sur la pâture.
Je lis, je flâne en attendant
5 heures mais je réfléchis que je n’ai pas écris à ma
chérie ; j’y cours bien vite ; il n’est que 2 heures.
Je vais encore lui écrire une
carte de remerciement, elle m’écrit trop souvent.
Un monsieur est venu voir son
fils qui est arrivé avant-hier ; il n’a mis que 9 heures pour venir à Paris et
j’ai causé avec eux et le capitaine jusqu’à 5 heures.
C’est la soupe ; je me suis
offert 2 portions de haricots - je les ai trouvé bons -, avec 2 poires. Une
dame qui est venue dans l’après-midi m’a donné du chocolat mais ce soir, j’ai
bien boulotté ; je vais faire en sorte de bien dormir.
J’ai rêvé cette nuit à Maria ;
j’étais je crois chez le Prince en train d’essayer un cheval rouge attelé dans
une voiture comme celle au Compte ; un joli cheval rouge qui faisait envie.
Lui, Maria, était bien vieillie ; il avait dû contracter une maladie grave qui
l’avait amaigri beaucoup.
Ce matin, j’ai
mangé une bonne tartine de beurre que la Sœur nous avait apporté hier soir et
que nous n’avions pas mangé. Ce matin au lit comme conversation, le grand qui
est couché à côté de moi me dit comme ça que ça devait être une
drôle de nuit de noces.
Toi, me dit-il, tu dois savoir
ça, et dame, durant une heure, la conversation a roulé sur ce chapitre. Après
quoi nous avons été obligé de sortir du plumard car on est venu faire la
chambre, alors on n’a pas pris longtemps à s’habiller.
On amène dans la matinée un
territorial que l’on dit fou. Plusieurs personnes arrivées la veille viennent
voir les blessés ; aussi quand arrive l’heure de la visite je suis tout étonné
qu’il soit si tard.
La Major a regardé ma plaie et
il a dit : « ça bourgeonne, ça va.».
Ensuite l’on attend la soupe
et aussi une lettre. A quand cette désirée ? Pour aujourd’hui peut-être ; il ne
faut pas désespérer du beau soleil qu’il fait surtout, ce qu’il devrait faire
bon tout de même de ce beau soleil.
A déjeuner comme on le fait en
tête à tête à l’ombre auprès de la cuisine, distrait par le sourire de notre
cher petit gars et amusés par l’aller et venue des poules, mais espérons que
cela va venir bientôt, et quelle fête, ce jour-là.
A 11 heures, la
soupe ; le monsieur qui est venu voir son fils nous tient compagnie, ça change.
Un morceau de bœuf avec de la salade et ensuite des confitures.
A peine les ai-je finies que
COMPÉRAT m’annonce 2 ou 3 lettres ; je cavale et je suis plus qu’heureux d’en
avoir 2 de lettres.
Quelle joie ; depuis le 6, pas
de nouvelles. Je sors dehors et en un continuel va et vient, je vais de
l’intérieur à la pâture et finis à un moment par m’asseoir sur une pierre à la
porte.
2 dames avec un petit garçon
passent, puis après nous avoir dépassés, s’arrêtent. Le petit garçon qui peut
avoir 4 ans vient nous donner son goûter qui consiste en une poire et quelques
petits gâteaux, mais il n’ose nous approche ; il faut que sa maman le pousse,
alors tout doucement, très timide, il avance et donne à l’un de nous son goûter
qu’il avait sans doute apporté pour manger sur la grève puis vivement s’en va
retrouver sa mère qui a déjà fait quelques pas, puis tous les trois
disparaissent au tournant du chemin ; nous le dégustons ensuite à 5 que nous
sommes.
Nous faisons un tour sur la
pâture en causant avec le capitaine, puis 5 heures arrive et la soupe avec ;
cette fois de la morue avec de la purée de pommes de terre qui n’est pas
mauvaise, un morceau de viande et 2 petites pommes crues.
Après je descends prendre le
frais un instant dans la cour tout réjoui d’avoir reçu 2 lettres ; ça n’arrive
pas tout les jours.
Maintenant je vais aller faire
un tour à l’intérieur et aller me coucher en rêvant à mes deux amours.
Je me lève de bonne heure ; il
est 5 heures 30 ; je bois vite mon café,
mange un bout de chocolat avec mon pain et vais me raser pour être frais pour
aller à la messe ; je mets aussi ma tunique. En sortant de la messe il pleut ;
la journée n’a pas l’air de bien se préparer ; il arrive 8 blessés dans 2 autos
; ils viennent d’au-delà de Soissons.
Le soleil se lève quoique le
vent ne soit pas chaud, surtout quand le soleil se couche, et nous sommes très
contents quand la soupe arrive à 10 heures.
Elle nous réchauffe et le
camarade qui va déjeuner en ville est très content de se l’envoyer car pour
attendre midi depuis ce matin, ce serait un peu long. Un ragoût avec un morceau
de veau et une pêche et encore, ce qui n’est pas à dédaigner, un verre de café
que la Sœur nous apporte sans rien dire.
Il fait très beau et l’on a la
permission de descendre sur la grève.
Aussitôt après avoir écrit à
ma petite Didille, j’y descends avec les camarades,
mais le soleil se cache et une sale pluie fine m’oblige à remonter et je trouve
le capitaine en train de faire fonction d’infirmier ; un homme s’est rasé au
lit et il lui tend la cuvette d’eau pour qu’il se débarbouille ; comme coup
d’œil, ce n’est pas mal et je m’empresse de l’en féliciter.
D’après son avis l’on s’ennuie
beaucoup, aussi il me propose d’aller aux vêpres car la façon dont on chante le
latin par ici le surprend beaucoup, car ce matin il était avec moi au premier
rang à la masse de 7 heures.
Je suis pour rentrer à la
chapelle avec le capitaine quand un soldat vint à moi et me présenter une
lettre me demandant si c’est pour moi ; sur mon signe affirmatif, il s’en va.
Je ne reconnais pas l’écriture
tant elle a dû faire des tours avant de me retrouver ; je la mets dans la poche
de ma tunique et aussitôt après le repas je la décachette et je reconnais
l’écriture de Papa GOUVENIN ; je lis et je m’aperçois que ne leur ayant pas
écrit directement en leur donnant des détails, ils n’ont sans doute pas vu
Marie et ne savent pas d’où est ma blessure, qu’ils pensent peut-être plus
grave qu’il n’est.
Alors je ne fais qu’un bond et
leur donne des nouvelles en m’excusant de ne pas leur en avoir donné plus tôt.
Je ne puis mettre ma lettre à la boîte qu’après la soupe car le dimanche elle
est avancée.
Il est environ 4 heures quand je la mets ; après je sors et cause avec des personnes qui
viennent prendre des nouvelles et c’est la distribution de tabac, cigarettes et
allumettes ; ça ne coûte pas cher et ça fait plaisir surtout à ceux qui fument.
A 6 heures le soir
tombe et je crois bien que je vais aller au pieu.
Demain il faut que j’écrive à
ma Chérie et lui dire que Papa GOUVENIN n’était pas du tout content après moi.
Lundi. Je me lève il est 7
heures ; nous avons déjà eu notre café, mais comme le soleil a l’air de vouloir
se montrer, il tarde d’aller dans un coin pour faire le lézard, mais il faut
que je dégotte une brosse à chaussures car hier nous sommes allés sur la grève
assez loin et mes bottines sont pleines de sable.
Je commence à écrire à ma
Chérie pensant peut-être pouvoir sortir cet après-midi.
A 10 heures la
soupe et puis après 2 lettres ; j’ai bien fait de ne pas finir celles que
j’avais commencées ce matin, car elles sont datées du 14 et du 18. La dernière
a vite fait à côté de celles que j’ai reçues précédemment.
L’après-midi se
passe assez bien ; il fait à peu près beau mais au lieu de sortir en ville
comme je l’espérais, tout le monde reste ici parce qu’il y en a dans la
quantité qui sont allés chez un bistrot et fait que comme toujours les bons
pâtissent pour les mauvais. A 5 heures la soupe et avec la viande de la sauce
tomate farcie.
Je me couche, il est presque 7
heures.
J’ai bien dormi cette nuit ;
je m’étais couvert hier soir avec mes effets.
J’ai rêvé à mon Marcel chéri
et à mon oncle Jules, puis le matin on a tiré ma flemme avant de se lever à 7 heures.
Il y a une vingtaine de blessés qui, plus ou moins guéris, rejoignent leur
dépôt. Puis la cour rentre dans le calme que je ne lui avais pas connu ; est-ce
à cause du froid ? C’est bien probable.
A 10 heures le
soleil se montre, la soupe s’amène ; j’en mange 2 bols, un morceau de viande et
de la salade avec une pomme crue. Je n’ai pas de lettre aujourd’hui ; je vais
sortir sur l’herbe en face et j’écris à ma Didille.
Après lui avoir répondu à ses
lettres, je finis la journée en jouant un peu aux dames, puis on bavarde encore
avec les visiteurs et les passants, et après la soupe, je flâne, je fais un
tour puis après dodo…
J’ai passé une bonne nuit ; le
soleil est très bon ; je me suis rasé et une idée me prends d’envoyer des
cartes postales ; c’est le moment ou jamais.
J’en envoie donc à Didille d’abord, puis à ses parents, au cousin PORCHERON, à
Fernande, au cousin DUPRÉ, MARÉCHAL, DROUIN et la mère MARQUET, et je
demanderai à Marie à quels autres il faut que j’en envoie.
Après avoir déjeuné je vais
sur l’herbe mais je ne puis dormir.
Alors avec un copain nous
allons faire un tour et nous revenons avec un convoi de blessés ; ils sont
peut-être une vingtaine. On me remet une lettre de ma Chérie qui est parties le
15. Alors je ne prends pas de temps, je lui répondre tout de suite. Bien que
cela fasse la 3ème aujourd’hui, ça ne fait rien ça lui fera plaisir.
Après je retourne à la porte,
mais je prends une chaise car la terre est bien basse ; je regarde les rares
personnes qui descendent vers la flotte. Le soleil est bon, il fait beau.
Des personnes nous apportent
deux jeux de dames et deux jeux de cartes. Je garde un jeu de carte dans ma
chambre, puis après on va à la soupe et pour faire la digestion l’on est descendu
du côté de l’eau. En chemin deux dames nous donnent à chacun une pomme, puis
nous croisons 4 assez bien préparées et pas mal appétissantes, mais l’on sait
ce que c’est après tout, et je passe, j’ai mieux que ça, quoiqu’un jeune parmi
nous risque un détour de tête et voudrait bien que celle qu’il a choisi dans le
quatuor soit amenée dans son pajot par un boulet de canon. ça
ne le ferait pas baisser la tête au contraire.
Nous rentrons le coucher car
le jour baisse.
J’ai rêvé cette nuit que nous
étions placés comme domestiques dans une maison bourgeoise, où ? Didille avait un petit bonnet blanc, moi je ne me suis pas
présenté tout de suite à la Patronne, elle m’a attrapé pour ça.
Elle était très arrogante et
le bonhomme encore plus. On était entré juste au moment où ils déménageaient ;
après je ne m’en souviens plus ce de qui s’est passé.
j’ai été aux cabinets à
4 heures comme d’habitude ; je viens d’y retourner il est 6 heures et quand
je rentre, je trouve les 2 copains encore au lit, alors comme il est défendu de
dormir les uns sans les autres, pour ne pas les déranger, je me remets au lit.
L’on sort quand même du lit
peu de temps après, puis je dis à COMPÉRAT qui s’en va de souhaiter le bonjour
à VALVINS et de leur donner de bonnes nouvelles sur ma santé.
Le vent n’est pas chaud du
tout, c’est à peine si je peux écrire. Je cherche un coin de soleil où je suis
à l’abri du vent, et je suis juste bien.
Nous attendons les nouvelles,
étant toujours au soleil ; elles finissent par arriver et donnent l’espoir ;
puis la soupe après un petit bain de lézard. Après je vais écrire à ma chérie
qui doit attendre chaque lettre avec impatience. Comme je l’avais prévu, il n’y
a pas 6 minutes que j’ai mis ma lettre que l’on m’en apporte une et en recommandée
encore pour que je l’aie plus tôt, mais elle arrive après celle du 18. C’est
celle du 17 que je reçois aujourd’hui. Puis je suis un peu diverti par
l’arrivée des vidangeurs. On se distrait comme on peut…
Puis pour faire plaisir à la
Sœur qui m’a vu tailler des petits morceaux de bois, je lui fais une petite
spatule pour étaler la pommade.
Nous avons comme d’habitude la
visite des promeneurs avant la soupe puis après, nous sommes attardés à causer
jusqu’à la nuit avec un curé qui a été en Champagne et de ce fait, on se
couche, il fait nuit.
J’ai passé une bonne nuit, et
ce matin je pense que Marie ne m’a pas dit si le hasard avait mis Célestin sur
son chemin. Il faudra que le lui demande. Aussitôt levé je ma sauve pour faire
un tour de jardin, je n’y suis pas encore allé.
Un superbe carré de tomates
qui pour la plupart devraient être enlevé, mais le jardinier est parti m’a dit
la sœur, un carré de petit pois qui ne mûriront probablement pas, 3 planches de
salades qui auraient dues être arrachées depuis 15 jours au moins.
Je ne suis pas à Valvins, il s’en faut de beaucoup, ni même dans mon petit
jardin ; quoique le jardiner soit parti à la guerre, il est, j’en suis certain,
bien mieux entretenu.
Ce qu’il y a de pas mal c’est
une cinquantaine de poulets qui seraient bien dans notre cour, ça peuplerait.
Ensuite je reviens pour m’asseoir au soleil avec quelques copains qui y sont
déjà.
Le Major arrive ; une dépêche
est remise à l’économe qui a dit que les petits blessés doivent aller à
Saint-Lô et à Cherbourg. Il m’appelle avec un copain et nous demande si nous
voulons aller chez des particuliers. Je lui réponds, ainsi que mon copain :
oui, et il va s’arranger du reste.
Après la soupe, il dit à mon
copain qu’il nous verrait dans le courant de l’après-midi ; de cette façon
j’écrirai à Didille lorsque je serai certain.
En attendant nous faisons un
tour dehors, heureux d’avance de pouvoir prendre un peu d’exercice et de ne pas
être séparés ainsi du populo. Je suis d’autant plus heureux que Didille fera tout ce qu’elle pourra pour venir me voir.
Nous allons avec un copain prendre le café chez des gens qui restent à côté de
l’hôpital où il court après la gamine.
Nous revenons à 3 heures. Il était temps car
l’économe nous cherche pour nous dire où nous allons. Je vais cher Mr le
Docteur BOUGAN.
La soupe arrive. J’aperçois un
monsieur en civil ; ce doit être lui.
Je descends et en effet c’est
à lui que l’économe me présente ; il me dit que j’ai l’obligeance de
l’attendre, que sa dame est sur l’herbe, qu’il en a que pour une petite
demi-heure.
Je rassemble donc mes affaires
personnelles, les mets dans ma musette et j’attends que mon hôte ait fini sa
visite ; il revient, me présente à sa dame, puis nous nous acheminons lentement
du côté de sa demeure, rue Le Fur numéro 3. Deux petites filles de 10 et 12 ans
et un domestique font toute la maison ; l’on dîne et ensuite on me fait voir ma
chambre au 2ème étage.
Je m’éveille et j’attends pour
me lever d’être fixé sur l’heure qu’il est.
A 7 heures, je me
lève, jais ma toilette, puis l’on m’apporte une tasse de café au lait avec deux
tartines de beurre ; ensuite je descends et vais en compagnie des enfants et
des parents visiter le poulailler tout nouvellement installé, puis je prends
congé de mes hôte et vais me faire couper les cheveux et fais un tour en ville.
Je trouve un copain avec qui je vais à l’hôpital tout doucement, et là j’écris
tout d’abord à ma chérie pour lui donner l’adresse de mon nouveau local et des
détails pour le cas où elle viendrait me voir.
J’ai une carte de Ferdinand.
Puis avec un copain je regagne Saint Sevran et nous nous dirigeons chacun de
notre côté.
A midi, nous
déjeunons après que Monsieur BOUGAN m’ait remis une lettre de ma Chérie dans
laquelle elle m’annonce la mort de NAUDET.
C’est celle datée du 20. puis à 1 heure 30, après avoir fait une grande sieste dans
le jardin avec les deux jeunes filles, je prend congé
et me dirige vers la place Carnot qui se trouve à 2 pas et où je me mets à
l’ombre en attendant un copain avec lequel j’ai rendez-vous pour aller se
promener.
Il y est et nous nous
dirigeons par Saint-Sevran vers Saint-Malo en passant par le pont roulant.
Je vais voir à la caserne si
je vois PRÉVAL ; il n’y est pas, nous allons donc, en passant devant le casino
et en suivant la plage jusqu’à l’autre caserne où je ne le trouve pas
d’avantage, puis toujours en se promenant nous revenons du côté de Saint-Sevran
en passant par les quais où sont amarrés une grande quantité de bateaux : dans
quelques-uns on débarque de la morue qui est aussitôt mise dans des wagons.
Nous entrons dans Saint-Malo
et en ressortons pour revenir à Saint Sevran par le pont roulant. Nous montons
tout doucement ; nous prenons une bolée avec un troisième copain et après nous
être séparés, nous regagnons chacun notre demeure pour dîner. Chez Monsieur
BOUGAN l’on dîne 7 heures.
Je cause donc d’une chose et
d’une autre et après je monte à ma chambre au 2ème où dans mon grand lit je
vais bien dormir.
Je me lève il est 7 heures ; les cloches de différents
édifices me l’on annoncé et après avoir fait ma toilette, je descends car hier
la domestique m’a monté mon déjeuner dans ma chambre et je ne voudrais pas
abuser de la bonté des gens.
Après avoir pris ce premier
déjeuner, je vais faire un tour au Rosais, mais rien de nouveau. Je retourne
rue Le Fur pour aller à la messe de 9 heures avec toute la famille à la grande
église qui est très jolie. Monsieur et Madame rentrent et les deux fillettes
viennent me montrer le point de vue de la tour ; il est très joli.
Ce sera le premier si ma
Chérie peut venir ; ensuite l’on redescends vers la
plage où il y a quelques baigneurs (un peu jeunes). Nous nous dirigeons ensuite
vers le déjeuner qui est à midi. On déguste un poulet qui est ma foi très bon,
d’autant qu’il sort de la bassecour, et à la fin du repas, une bouteille de
Vouvray est débouchée pour marquer le dimanche. C’est un vin polisson duquel il
faut se méfier, tout au moins autant que du Champagne.
Ensuite une sieste au jardin
où l’on joue au culbute ; c’est un jeu jeune mais au moins ça passe le temps.
Ensuite une longue promenade à
la campagne nous fait passer l’après-midi assez vite et très en famille.
Après ça, le dîner, une autre
partie de culbute et chacun s’en fut couché, l’un avec sa femme et moi
naturellement tout seul.
7 heures ; j’ai
bien dormi ; je descends déjeuner, visite forcément la jeune basse-cour puis
vais au Rosais. Je sens qu’il doit y avoir du nouveau, car hier je n’ai pas été
là pour les lettres.
Un bonjour à Monsieur le curé
en passant que je rencontre sur mon chemin ; un coup de sonnette, la porte
s’ouvre, un petit bonjour à ceux qui sont là et je grimpe dans mon ancien
appartement. En effet une lettre d’hier m’attend ; c’est celle du 21 qui est
timbrée en pleine de protestations qui sont justes et pardonnées aussi à
l’avance.
Toute la faute à La Poste.
Je lui écris tout de suite
pour la récompenser. Je m’en vais pas avant 10 heures et je fais bien car une
autre lettre m’arrive de la caserne, et le facteur m’en apporte une autre ;
cela m’en fait 3 d’un coup : du 21 reçu hier et aujourd’hui celles du 24 et du
25, en plus une carte de GARNOT d’Essonnes. Je rentre
chez Monsieur BOUGAN et emporte avec moi mon sac et je m’empresse de répondre à
ma chérie sur ses deux dernières lettres, le plus simplement pour que je mette
la lettre à la boîte après le déjeuner.
A trois nous allons à Dinard,
la mer nous berce à l’aller et au retour. Dinard est magnifique. Nous
faisons au retour une visite à Saint-Malo où j’ai le plaisir de rencontrer
Monsieur CHASTEL, carrossier à Paris qui m’invite à déjeuner pour demain.
Puis de retour, je viens
tranquillement attendre la famille BOUGAN pour dîner. Une partie de culbuté et
au lit ensuite.
Je me lève un peu plus tôt car
il faut que je me rase ; je vais au Rosais où après avoir causé très longtemps
avec la Sœur je change mon pansement puis je reviens vers 9 heures au marché dont j’ai donné quelques détails à ma Didille. Je retourne au Rosais et attends avec impatience
le facteur qui n’a rien ; nous déjeunons bien et ne sortons de table qu’à 3
heures
C’est de là que je revins chez
Monsieur BOUGAN écrire, puis vais à la gare de Saint-Malo. Je reviens au Rosais
pour la troisième fois cherché mes souliers, puis après dodo.
A 7 heures, je
déjeune puis je prépare un jeu de petits chevaux aux jeunes filles, et comme il
fait très beau je vais chercher mon fusil au Rosais avant d’aller visiter le
moulin à côté de l’hôtel de ville.
A onze heures, on
visite donc le moulin auquel est adjoint une biscuiterie, nouveau modèle pour
l’armée : on m’en donne deux comme échantillon puis après déjeuner je prends le
train avec deux copains et on va à Paramé ; on en revient à pied jusqu’à
Saint-Malo où l’on casse une petite croûte puis l’on revient au logis tout en
causant avec un bourgeois.
A l’arrivée, j’apprends que
j’ai une dépêche, alors je grimpe l’escalier de pierre en trois enjambées ;
c’est ma chérie qui m’annonce son arrivée pour demain.
Je suis très heureux et demain
j’irai la chercher à la gare.
Son
carnet de route s’arrête là, provisoirement et mystérieusement….
Nous
pouvons penser logiquement que sa femme arrive et qu’ils passent plusieurs
jours ensemble (dans la maison du docteur ?).
Ensuite,
rétabli, le parcours logique d’un blessé est d’avoir une permission est d’être
dirigé vers le dépôt de son régiment (à Sens) pour repartir au combat.
Suite du carnet de guerre, du vendredi 25 décembre 1914 au 8 janvier
1915.
Écrit recto-verso sur 4 feuillets de papier libre, au papier de crayon
et numéroté en haut de page, au centre.
Séjour heureux après des miens.
J’arrive le lundi matin 28 à Sens à 4 h ½, il pleut un peu pendant mon trajet à Ste Colombe et à mon arrivée j’apprends qu’il y a un départ pour le 289 le lendemain. Je suis invité à me tenir prêt à partir ce qui est loin de me faire plaisir en rentrant de permission ; mais c’est un ordre et je n’ai qu’à m’y conformer.
Nous partons donc environ 200 dont 7 sergents parmi lesquels un collègue de Montgeron, MOREAU le beau-frère de RINCHECOCHE.
Nous sommes mouillés pour aller à la gare où nous prenons le train pour Laroche à 4 h 45.
Arrivé à Laroche, un train se forme ; nous y prenons place ; je suis avec les camarades logés dans un compartiment de seconde avec le sous-lieutenant BOUQUIN qui est notre chef de détachement et qui n’a pas encore été au feu.
Nous repassons à Sens ; la nuit vient et en passant à Montgeron je jette une carte sur le quai prévenant ainsi ma chère petite femme de mon passage auprès d’elle ; je lance un tel coup de sifflet que Raymond sort en coup de vent de la gare, et je pense qu’il aura vu ma carte que j’avais attachée après un petit morceau de fer.
Nous prenons la grande ceinture à Villeneuve, ensuite je fais comme les copains, je dors, mais nous n’avons pas chaud, les wagons ne sont pas chauffés ; nous arrivons au Bourget où l’on nous gare dans un coin ; nous y restons jusqu’au lendemain matin après avoir touché des vivres pour trois repas.
Nos en repartons le 31 au matin.
Passons par Dammartin où j’ai été embarqué quand j’ai été blessé, Nanteuil-le-Haudouin, Vaumoise, Villers-Cotterêts et débarquons à Vierzy vers 11 heures.
Nous ne pouvons passer le tunnel, il est bouché ; la gare de marchandise a été incendiée par les boches. Nous nous mettons en marche, pataugeant dans la boue avec un sac qui est plus que chargé.
Nous passons à côté de la ferme de Cravançon, puis gagnons péniblement à travers champs, dans la boue et sous la pluie, Soissons où nous arrivons à la nuit. J’y retrouve un camarade de ma compagnie qui me dit d’y revenir, mais nous passons la dernière nuit dans la vieille caserne de l’armée sur des paillasses qui ont reçus des blessés car certaines sont pleines de sang, allemand peut-être.
Il nous est défendu d’allumer du feu, même pas une bougie ; nous mangeons un morceau de pain un peu mouillé avec un bout de fromage, puis bien serrés les uns contre les autres, nous nous endormons cachés par nos capotes mouillées. Les carreaux n’existent plus aux fenêtres, les obus qui sont tombés sur les bâtiments les ont forcés à descendre.
Extrait du JMO du 289e régiment d’infanterie. Il y est indiqué l’arrivée du renfort dont fait partie Charles.
Nous nous éveillons engourdis, l’on se sert la main nous souhaitant mutuellement une meilleure année, puis nous nous équipons et nous sommes affectés à nos compagnies.
Chaque fraction s’en va de son côté dirigé par un sergent qui est venu la chercher. Je rejoins mon ancienne à St Paul (faubourg de Soissons) ; je suis heureux d’y retrouver d’anciens copains qui sont encore plus content de me voir revenir parmi eux.
Je ne les retrouve malheureusement pas tous, il y en a 140 qui ont été faits prisonniers et d’autres sont tués ou à l’hôpital. (*)
Je déjeune et comme par hasard, pour fêter la nouvelle année, du champagne est distribué. Les obus passent bien au-dessus de nous mais l’on n’y fait pas attention ; j’y suis vite réhabitué.
Dans la maison, où nous sommes, existe au 1er étage une loge de Francs-Maçons où chacun, sans souci du danger, y va de sa chanson.
A 5 heures, après avoir mangé la soupe, nous allons sous la pluie relever le 46 qui occupe les tranchées à Crouy.
Ce sont de vrais terriers dans lesquels à bien dire, l’on y est pas mal ; les maisons à l’entour ont fourni tout ce qui y était nécessaire, poêles, chaises, tables, glaces, paillasses, en un mot nous n’y sommes pas si mal que l’on pourrait le croire.
Ma première nuit n’a pas été bonne ; pendant la journée les obus passent de tous côtés au-dessus de nous sans pour cela nous déranger. Les balles échangées de part et d’autres ne nous effraient pas beaucoup, elles passent au-dessus de nos têtes, viennent taper sur les côtés des tranchées avec un bruit sec sans nous arrêter ni nous émouvoir.
Les tranchées des boches que l’on voit à travers les créneaux sont à peine à 100 mètres déparées des nôtres par des fils de fer barbelés à travers lesquels il est impossible de passer sans se faire zigouiller.
Avant de nous coucher nous allons poser de nouveaux fils de fer.
(*) : Le
régiment a perdu au combat de Crouy le 22 novembre,
environ 150 hommes de la 24e compagnie (celle de Charles) pour la plupart
prisonniers dans la « grotte des Zouaves ». Si Charles aurait intégré
sa compagnie à cette date, il ferait partie de ces prisonniers….
Même travail.
Nous sommes relevés par le 246 vers 5 h ½. L’on ne voit pas le soldat qui est devant soi ; à un moment les boches envoient devant nous deux fusées qui éclairent pendant quelques secondes ; nous nous baissons tous sans faire attention si l’on est dans la boue, nous nous acheminons doucement vers Crouy que l’on traverse sans bruit, puis la pluie se met à tomber.
Nous passons à St Paul, St Vaast, les faubourgs de Soissons, nous passons dans Soissons qui paraît d’autant plus triste de tout est éteint ; nous passons sur un pont qui après avoir sauté, a été réparé provisoirement.
Nous arrivons à Saint-Christophe où nous logeons dans les magasins de Mr BIZE et Cie, entrepositaire de tourteaux et d’engrais.
La nuit se passe bien ; j’ai eu bien chaud sous ma couverture.
Je reste assez tard au lit car je m’y trouve bien ; le café est chaud et bon ; je me lève et fais un tour dans la cour et dans les autres magasins à engrais.
Je me nettoie et suis heureux de me raser ; cela semble bon.
Le canon tonne.
Les sentinelles veillent car à l’œil nu l’on voit les Allemands qui se déplacent sur les crêtes de l’autre côté de l’Aisne
La matinée se passe vite et aussitôt déjeuner j’écris bien vite à ma chérie car je ne lui ai pas écrit depuis avant-hier.
Je prends la garde avec 8 hommes dans un stand à l’extrémité du faubourg. Je passe la nuit sans dormir et aussi sans alerte.
Je suis de jour. Je conduis les malades à la visite où j’ai le plaisir de serrer la main à l’infirmier qui m’a pansé le 6 septembre.
A mon retour, le canon tonne et c’est nous qui attaquons aussi sommes-nous avertis de nous tenir prêts. Après déjeuner j’envoie quelques cartes et j’écris à ma chérie de laquelle je n’ai pas eu de nouvelles depuis mon départ et je trouve le temps long à ce sujet.
Je passe une bonne nuit et suis éveillé de bonne heure.
Dans la matinée je suis appelé au bureau de la compagnie au sujet d’un coup de fusil qui a été tiré sur un adjudant au moment où j’allais relever le poste. De la rue je puis constater l’arrière des obus allemands dans le clocher de la cathédrale et malgré tout il tient le coup.
Le spectacle est épouvantable ; de loin quel effet cela doit produite dans l’esprit des habitants qui peuvent être autour ? Je dis bonjour au cuisinier de la section en passant car il fait la popote dans une maison à une centaine de mètres du cantonnement.
A mon retour, j’ai le plaisir de recevoir une carte de bonne année des cousins DUPRE et aussi une longue lettre de ma chérie ; toutes les deux sont passées par Sens, ce qui explique leur retard, mais j’en suis heureux tout de même car c’est la première depuis mon départ.
Fin provisoire du carnet.
Pourquoi le carnet s’arrête encore ?
Une explication fort possible : la bataille de Crouy en janvier 1915 (défaite française). Le 289e régiment d’infanterie y a eu 35 tués, 103 blessés et 784 hommes disparus. Le JMO du 289e régiment d’infanterie de cette période a disparu (durant les combats ?). Voir sur mon site la description de cette bataille >>> ici <<<
Suite du journal de marche du
29 mai au 15 juin 1915, Écrit recto verso sur 1 feuillet de papier libre, au
papier de crayon et numéroté en haut de page, au centre. Le régiment se trouve
à cette date dans le Pas-de-Calais, en Artois
Belle journée. Les Allemands bombardent Bouvigny une bonne partie de la journée puis le calme revient dans la soirée et nous passons encore une bonne nuit tranquille.
Dès le matin, j’écris à ma chérie bien que je n’ai pas reçu de lettre d’elle hier soir.
Dans l’après midi, j’ai le visite de Camille MARIA qui est cantonné à côté d’ici.
Le soir, je vais visiter un moulin à vent qui naturellement ne marche plus.
Nous venons coucher dans le bois dans des petites cabanes.
Nous faisons les lézards toute la journée
Les hommes finissent de s’habituer à nouveau au bruit du canon et tranquillement ils jouent au sous au soleil. Je suis heureux d’écrire longuement chez moi.
Le soir vers 9 heures, nous quittons sans regrets ces lieux trop bruyants et venons nous installer au Petit-Servin, puis passons successivement à Grand-Servin, Fresnicourt, Ohlain, Belruez et arrivons bien fatigués au Petit-Rietz où après avoir bu un bon café au lait, je me rase et me débarbouille et ensuite fais un bon roupillon ; le soir après avoir reçu une lettre, je m’endors après avoir bien dîner.
Je dors sur la paille et j’y passe une bonne nuit où je me repose bien.
Au matin, mon premier travail est de cueillir quelques pensées et de les envoyer dans une lettre à ma chérie, j’en suis d’autant plus heureux que depuis quelques temps je la prive de ces quelques fleurs qui lui font tant plaisir.
Belles journées.
Nous faisons une petite marche : nous partons le matin à 6 heures, passons par Frévillers et revenons par Houvelin ; nous sommes de retour à 9 heures aussi nous en profitons pour aller nous baigner.
Au soir nous avons un orage qui nous donne de l’eau toute la nuit.
Il fait à peu près beau, mais l’on se sent mieux de ne pas avoir de soleil.
Même travail.
Le dimanche matin deux soldats accusés de désertion devant l’ennemi sont dégradés et condamnés à 20 ans de travaux publics devant le régiment qui forme le carré.
Ce sont les seules lignes de son carnet écrites à l’encre.
Nous quittons La Comté et passons par Rebreuve, Gauchin le Gal, Estrée-Cauchy, le Grand-Servin et venons-nous coucher au Petit-Servin dans nos anciens cantonnements, mais l’artillerie qui approvisionnait les pièces de l’avant n’y sont plus.
Ici se termine le journal de marche de Charles DUMAY. Il sera tué le 23 juin 1915 à Souchez.
Pourquoi, lui qui avait tenu pratiquement au jour le jour son journal de marche, a-t-il été sans rien y inscrire pendant les 10 derniers jours ?
Manque de temps, fatigue, lassitude, découragement ? Ou tout simplement les attaques successives vers les lignes allemandes ?
Le 289e RI aurait perdu 800 hommes début mai et fin juin 1915…
Tombe provisoire de Charles DUMAY (tombe de gauche).
Il a été ensuite enterré dans le caveau familial de Montgeron (ex Seine-et-Oise) lors de son rapatriement définitif le 10 décembre 1922
à son mari Charles
DUMAY, du 11 octobre au
écrit au crayon de papier, sur le carnet « original » de son mari
.
Vrai jour d’ennui aujourd’hui depuis jeudi (donc le 9 octobre) que mon Didi est parti (sans doute de l’hôpital de St Sevran). Je n’ai encore reçu aucune nouvelle de lui. Viendra t-il ou ne viendra t-il pas ? Passer sa convalescence auprès de nous. Il y a des moments où j’ai de l’espérance et d’autres où je désespère. J’ai beaucoup pleuré cet après-midi et me suis sentie bien seule.
J’ai envoyé ce matin une dépêche ; demain je serai fixée. Dieu que je m’ennuie et que je juge combien je l’aime.
Ai reçu aujourd’hui 3 cartes de mon Didi. Il a passé la visite et est exempt de 15 jours de service, mais ne peut venir passer ses 15 jours ici. Il s’ennuie lui aussi ; pour moi la journée a été un peu moins monotone qu’hier, ce qui ne m’a pas empêché de penser beaucoup à ce pauvre Didi ; je lui ai écrit une longue lettre.
J’ai eu la visite de Mr BATIA et PRÉVAL ; suis restée ici toute la journée bien sage mais souvent dérangée, et cependant j’aurai été reconnaissante aux clients de ma laisser au repos, ayant depuis hier un clou à la fesse qui me fait beaucoup souffrir.
J’espère que mon Didi aussi n’aura pas froid cette nuit et qu’il se soigne bien.
Bonsoir Didi Aimé.
Je n’ai pas mieux dormi que la nuit dernière où, à peine endormie, j’ai des cauchemars terribles qui me laissent éveillées pendant de longues heures où je pense à mon cher Didi et me reproche d’avoir accepté son retour avec moi.
Je le saurai mieux en sûreté il me semble à St Sevran. Je me couche ce soir bien fatiguée. Je suis allée chez GUIBERT et Mr MALCHÈRE. Mon clou m’a fait beaucoup souffrir ; il est un peu percé, cela va me soulager.
Je n’ai pas eu de lettre de mon cher Di aujourd’hui ; je compte sur une demain.
J’ai encore beaucoup rêvé à mon Di cette nuit. La longue lettre d’hier au soir m’avait tant fait plaisir que cela n’est pas étonnant.
Ce soir comme récompense je n’ai rien reçu de lui, aussi j’ai vite pris la plume et lui ai écrit que puisqu’il n’a rien à faire, il pourrait bien m’écrire chaque jour. L’heure est passée maintenant où il aurait pu arriver, je l’espérai ; c’est sans doute que l’on lui a refusé sa permission. Pauvre Didi et aussi pauvre Didille.
Je suis restée bien sage ici aujourd’hui : hier Marguerite est partie ce matin et au fond je ne suis pas fâchée d’être un peu seule avec mes pensées et avec mon cher mari ; au moins je ne suis pas dérangée dans mes rêves.
J’ai écrit ce soir à Albert ayant ce matin reçu par Papa qui est venu me voir, son adresse et ayant aussi eu e soir une lettre de lui. J’espère recevoir demain une longue lettre de celui que j’attends.
Mauvaise journée aujourd’hui ; un brouillard à couper au couteau se transforme en pluie fine, serrée et froide.
J’ai pensé que mon Didi était assez heureux pour ne pas être exposé par cette froide et humide journée dans les tranchées. J’ai reçu 2 cartes aujourd’hui datées du 14 et du 15 ; la permission demandée et acceptée, je n’ai plus qu’à attendre.
Ce pauvre chéri s’ennuie ; ses cartes sont tristes.
Mon Dieu quand donc cet horrible cauchemar pour tous sera fini ?
Je désire
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