Carnet de souvenirs d’Auguste JADAUD
Caporal au 137ème régiment d’infanterie, rédigé en avril
1915
Publication :
Février 2024
Mise
à jour : Avril 2024
Auguste
JADAUD du 137ème régiment d’infanterie
Prologue
Louis-Marie C.. nous dit :
« Je
m'intéresse au caporal Auguste Jadaud
qui appartenait au 3ème bataillon du 137ème régiment d’infanterie. Je vous
joins la transcription de son journal de guerre.
Je suis donc
intéressé par la carte de la bataille de la Marne ainsi que les autres que vous
présentez sur vos pages Web. »
Introduction
Auguste Jadaud voit le jour au Châtaignier de Mouchamps le 27 mars 1891. Son père Augustin y cultive une borderie avec son beau-père, Jean Bedon, qui est le chef d’exploitation. Sa grande sœur, Clémentine, était née trois ans auparavant alors que toute la famille exploitait une autre borderie à la Millonnière de Saint-Paul-en-Pareds. Aucune autre naissance ne viendra agrandir la famille.
Alors qu’Auguste n’a pas encore dix ans, nouveau déménagement : Cette fois on s’installe à Lavaud d’Ardelay et Augustin devient le chef d’exploitation.
Le séjour à Lavaud est court et douloureux : C’est d’abord Clémentine qui meurt le 16 janvier 1900 à l’âge de onze ans, suivie de son grand-père le 20 juillet 1901. La borderie est-elle devenue trop grande ?
On quitte Lavaud pour s’installer au Pinier de Saint-Paul-en-Pareds où meurt à son tour Modeste Paquereau, veuve Bedon, la grand-mère maternelle d’Auguste, le 21 mai 1903.
C’est là qu’Auguste va vivre son adolescence. Il exploite la borderie avec son père et sa mère. Mais un nouveau deuil vient perturber sa vie : C’est son père qui décède le 23 avril 1911 à l’âge de cinquante-sept ans. Auguste a vingt ans. Il serait capable de reprendre la borderie, mais il n’a pas encore fait son service militaire. Il s’installe donc avec sa mère dans une maison à la Pillaudière d’Ardelay près du bourg de Saint-Paul. Avec ce nouveau déménagement, sa mère en est à son cinquième domicile depuis son mariage, vingt-six ans auparavant. Cependant ils sont toujours restés proches de Saint-Paul-en-Pareds.
Le 29 février 1912, le conseil de révision déclare Auguste bon pour le service armé. Le 3 septembre suivant, il est reconnu soutien de famille, mais incorporé à Fontenay le 10 octobre. C’est un bon soldat, il est promu caporal le 9 novembre 1913.
Il part au 137ème régiment d’infanterie à la 10ème compagnie. Il commande une escouade environ 15 hommes.
Remerciements
La transcription et certaines annotations sont effectuées par Louis-Marie Caillaud. Le cas échéant, l’orthographe a été corrigée et la ponctuation complétée.
Des sous-titres ont été ajoutés : Les dates données par l’auteur, quelquefois inexactes, ont été rétablies dans les sous-titres d’après le journal de marche du régiment.
Merci à Philippe S. pour les
corrections éventuelles et certaines recherches.
Nous avons donc ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes
et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.
‘’ Ma campagne ‘’
Samedi 1 août
Fontenay-le-Comte. (*)
(*) : Ville de casernement du 137ème régiment d’infanterie et de
son régiment de réserve : le 337ème régiment d’infanterie
Samedi 1 août
4 heures, reçu du télégramme de mobilisation.
Remue-ménage général dans le quartier. Cris de "Vive la France !", "A mort Guillaume !", etc…
Dimanche 2 août - Fontenay-le-Comte.
Réveil à 5 heures. On va chercher au magasin de compagnie nos effets collection de guerre. Réintégration au dit magasin de nos effets d’instruction. Chacun vaque à ses différentes attributions.
Pour moi, je suis caporal d’ordinaire ; J’ai bien ma part d’occupation à surveiller la préparation des vivres et au nettoyage du matériel de cuisine.
Midi, départ de la caserne : on va loger en ville. Mon peloton cantonne à la literie militaire.
Dans la soirée, arrivée des réservistes. J’ai la joie de revoir plusieurs bonnes figures déjà connues.
Le soir, autorisation de se promener en ville de 5 heures à 8 heures et demie. On se couche tant bien que mal car on a peu de paille.
Lundi 3 août - Fontenay-le-Comte.
Lundi et jours suivants, je vaque à mes occupations qui consistent à rassembler les vivres d’embarquement, de réserve, de chemin de fer, et de débarquement.
Mardi 4 août - Fontenay-le-Comte
Mardi, composition des escouades. Je conserve avec moi 6 hommes de mon escouade de caserne et on me donne 8 réservistes tous charmants garçons dont un qui sera mon meilleur ami : (Constant Clément) Fauchard de Beaurepaire.
(*) : Constant Clément FAUCHARD. Son nom revient dans le texte.
Mercredi 5 août - Fontenay-le-Comte
Mercredi, tout en voyageant en ville, je rencontre beaucoup de territoriaux hommes du pays. On cause, on rit et on trinque un verre ensemble. Mais pour beaucoup, ce devait être la dernière fois qu’on se rencontrait.
Jeudi 6 août – Fontenay-le-Comte
Jeudi soir 6 août, je vais en ville avec plusieurs camarades notamment le petit sergent Genoist faire une petite visite chez plusieurs familles fontenaisiennes où on était très bien reçus.
A 8 heures et quart, quand l’heure vint de rentrer, on voyait légèrement trouble.
On va accompagner à la gare notre 1er bataillon qui partait. Là-dessus on se couche.
(*) : Il s’agit de Julien GENOIST classe 1911 passé sergent en
mai 1914. Il sera tué devant Tahure le 31 octobre
1915 et le JMO indique à cette date qu’il était bien à la 10e Cie comme Auguste
(annoncé blessé, il a dû décéder peu après). Sa
fiche matriculaire. (nom très peu répandu en dehors de la Loire Atlantique
où c’est le seul au 137e, sergent de surcroît).
Vendredi 7 août – Train en direction du front.
Deux heures du matin, le clairon sonne. C’est l’heure du départ.
Notre bataillon va se former auprès de la gare. On embarque. Trois heures et demie (*), le train s’ébranle. Nous quittons Fontenay-le-Comte que beaucoup ne devaient plus revoir.
Dès le jour, certains commencent à pavoiser le train et à faire des inscriptions :
"A mort Guillaume !", "Train de plaisir pour Berlin". On se croyait partir à Berlin l’arme sur l’épaule. Mais la suite nous apprendra que l’on a dû déchanter.
Dans toutes les stations, ce n’est qu’acclamations. A la Roche-sur-Yon une demi-heure d’arrêt. De charmantes demoiselles nous apportent des bouquets de fleurs et des fruits, même du vin pour remplir nos bidons.
En route pour Clisson où on arrête un quart d’heure seulement. Comme dans mon compartiment on est que de bons copains, à tous les arrêts un se dévoue pour aller chercher quelques litres.
Nantes. On n’arrête que le temps de changer de ligne. De là on traverse un pays magnifique : D’un côté la Loire, de l’autre des coteaux verdoyants couverts de vignes qui par le beau soleil du mois d’août se couvrent de raisins vermeils.
La Possonnière : Halte repas – une heure d’arrêt. On nous distribue du café. Et une personne généreuse a fait conduire sur la voie à notre intention une barrique de vin qui a été très bien reçue. On regarnit les bidons et les musettes et on s’organise pour passer la nuit, chose qui n’était pas très facile car à dix dans un compartiment on était un peu serré.
Enfin on dort tant bien que mal.
(*) : Le régiment embarque dans 3 trains. Le bataillon d’Auguste JADAUD (3ème bataillon) embarque dans le troisième et dernier train à 15h54. Ce train embarque aussi le TR (train régimentaire).
Train régimentaire : ensemble des moyens d’un régiment destinés
à fournir ce qui est nécessaire aux unités pour subsister. Commandé par
l’officier d’approvisionnement, il comprend une vingtaine de fourgons et
véhicules hippomobiles et une centaine de chevaux.
Samedi 8 août- Poursuite du voyage en train jusqu’à Autry (Ardennes).
Le lendemain on se réveille en arrivant à Versailles. Encore un panorama magnifique.
Dans la matinée on contourne Paris par la grande ceinture et de loin à la jumelle on peut admirer notre belle capitale.
Nous continuons dans la direction de Reims où nous arrivons à trois heures.
Trois quarts d’heure d’arrêt et de loin nous pouvons contempler la ville et sa magnifique cathédrale qui devait plus tard être détruite par les obus des Teutons.
Partant de Reims, notre ligne longe le parc d’aviation et c’est là que nous voyons tournoyer les premiers avions militaires partant ou revenant d’explorer les lignes ennemies au-delà de la frontière belge.
Nous voyageons ainsi jusqu’à la nuit, quand enfin à la gare d’Autry s’effectue le débarquement, chose qui n’était pas facile : Pour les hommes passe encore. Mais les chevaux et le train de combat (*) ont donné un peu de travail à notre équipe d’embarquement, assez mal entraînée.
De la gare, trois kilomètres à faire pour aller cantonner à Autry. Enfin à onze heures tout le monde était à peu près casé. On dormit très bien cette nuit-là.
(*) : Il s’est trompé, il s’agit du train régimentaire. Le train
de combat est parti (avec le 1er bataillon et l’état-major), le 6 août à 22h34,
qui seront cantonné à Mouron (JMO).
Le train de combat (TC) : ensemble des moyens d’un régiment
destinés à fournir ce qui est nécessaire aux unités pour combattre. Commandé
par l'officier de détail, il comprend une trentaine de fourgons, charrettes,
voitures hippomobiles et environ 100 chevaux.
Dimanche 9 août - Marche jusqu’à Toges
Le lendemain dimanche neuf août, départ à sept heures du matin. On ne devait faire ce jour-là quinze kilomètres seulement, quand en cours de route le commandant reçoit l’ordre d’aller plus loin. On était fatigués par le voyage et pas habitués à la marche avec une chaleur très forte.
Beaucoup d’hommes restent en arrière. Les voitures arrivent à la grand’halte chargées de sacs et d’hommes exténués. Une heure de grand’halte et je pars avec le campement pour aller au petit village de Toges où nous retrouvons le reste du régiment.
A Toges, on reste deux jours.
Mardi 11 août – Marche jusqu’aux Petites Armoises
Mardi matin, départ à neuf heures et demie mais l’étape n’est pas longue. Quinze kilomètres seulement et on s’arrête aux Petites Armoises où nous restons trois jours.
Du mercredi 12 août au vendredi 14 août – Les Petites Armoises
Là, la population ne nous était pas très sympathique car depuis quelques jours déjà il y avait de la troupe. Cependant la ferme de Bazancourt à deux kilomètres était habitée par de très braves gens. Le jeudi soir, ils mettent tout leur lait à notre disposition. Je pars avec deux hommes en corvée pour la compagnie. Nous sommes très bien reçus. On boit un bon coup et on réintègre le cantonnement.
Vendredi 14 août – Marche jusqu’à Raucourt
Samedi matin nous quittons les Petites Armoises pour aller à Raucourt (*) à vingt kilomètres en avant. Là on trouve tout ce qui nous est nécessaire. Déjà les ambulances sont organisées pour recevoir des blessés.
(*) : Raucourt-et-Flabas
dans le département des Ardennes.
Samedi 15 août
Marche jusqu’à Haraucourt puis Donchery.
Dimanche, deux kilomètres seulement pour aller à Haraucourt. Le régiment va faire de la manœuvre. Le campement reste pour toucher les vivres.
Quatre heures du soir, alors que les distributions étaient prêtes, l’ordre arrive de partir dans la direction de Sedan. On remballe tout et on part.
La pluie se met à tomber, mais comme Sedan n’est pas loin, on pense qu’on sera bientôt rendu au cantonnement quand tout à coup le bruit circule qu’on va plus loin. L’eau tombe toujours. On prend la route de Mézières et on s’arrête à Donchery, cinq kilomètres à gauche de Sedan.
A dix heures, on se couche sans manger.
Dimanche 16 août – Donchery puis marche jusqu’à Daigny
Le lendemain, on reste à Donchery mais on change de cantonnement. Notre section prend la garde aux issues sur la route de Mézières et les ponts de la Meuse. Là j’ai vu les premiers boches : Deux aviateurs dont l’appareil avait été abattu la veille par une compagnie d’infanterie.
Quatre heures du soir, départ. Nous traversons Sedan et nous allons cantonner à Daigny où nous ne passons que la nuit.
Lundi 17 août
Marche jusqu’à Illy.
Mardi
Matin, départ à sept heures pour aller à Illy où notre compagnie est logée dans un local de gymnastique.
On y reste encore trois jours.
Jeudi
Matin, le bataillon va faire des tranchées auprès de la frontière belge quand tout à coup la fusillade éclate sur notre droite. Cependant l’ennemi n’a pas été signalé par nos patrouilles de couverture. Mais soudain, en levant les yeux, nous voyons un taube (*) qui venait dans notre direction. C’était lui qui avait attiré l’attention des troupes qui étaient à notre droite. Tout le monde saute aux faisceaux de fusils et nous tirons à notre tour.
On voit l’avion balancer. Il est touché. Il va s’abattre à 1500 mètres plus loin. Il est recueilli par une autre compagnie. Une balle avait frappé le moteur et l’observateur en avait plusieurs dans les bras.
(*) : Avion allemand.
Vendredi 21 août – Marche jusqu’à Sensenruth (Belgique)
De là nous partons pour la frontière belge que nous traversons à cinq heures et demie. Nous devons cantonner à Bouillon, premier village belge sur notre route.
Mais quand nous arrivons, il y a de la troupe en si grand nombre que nous devons aller à Noirefontaine cinq kilomètres plus loin. Mais sur route un orage formidable éclate avec des grêlons énormes qui nous immobilisent sur la route.
Quand nous arrivons, le village est inondé. Enfin on se case quand même dans les greniers et on dort jusqu’à deux heures du matin, heure du départ.
Samedi 22 août – Maissin, Porcheresse et retraite vers Paliseul (Belgique)
Ce jour-là 22 août, nous devions recevoir le baptême du feu.
Les deuxième et troisième bataillons sont flanc-garde de gauche de la division qui est engagée à onze heures à Maissin. Pour nous, vers huit heures une patrouille d’uhlans est signalée par notre avant-garde qui leur tue deux hommes (*). Les autres s’enfuient et la marche en avant continue. L’on entend la fusillade à notre droite.
Les deux bataillons se déploient et on s’arrête sur une croupe à deux kilomètres de Maissin d’où l’on peut suivre les péripéties de la bataille qui est engagée entre notre 21ème division et un corps d’armée allemand. Sur la fin du jour, les nôtres sont victorieux mais sur leur droite d’autres unités sont obligées de se replier.
Pour nous, on va cantonner à Porcheresse dans un bas fond le soir. On se couche après avoir mangé quelques pommes de terre cuites à l’eau car ce jour-là le ravitaillement n’avait pas pu venir jusqu’à nous.
A dix heures, alors qu’on était couchés, tout à coup la fusillade crépite. Les balles traversent la toiture du grenier dans lequel nous étions couchés. Vivement on se rassemble et on s’organise pour résister à l’attaque, mais comment faire dans la nuit noire ?
Le village brûle. Les pauvres gens fuient affolés. Tout à coup un ordre arrive :
"Sauve qui peut. Nous
sommes cernés "
Notre septième compagnie charge à la baïonnette pour nous frayer un chemin. A peu près tout le monde put sortir du village.
Pendant quelque temps on est poursuivi par des cavaliers mais on était tous égarés. On se joint au premier groupe venu, commandé par un officier. Pour moi, avec quelques camarades, je suis une fraction de la neuvième compagnie commandée par son capitaine et jusqu’à trois heures du matin.
On marche à la file indienne sous bois.
(*) : Le journal de marche du régiment n’en signale qu’un seul.
Nota : Pour la journée du 22 août les pertes du régiment sont
d’environ 150 hommes tués, blessés ou disparus.
Dimanche 23 août – Retraite vers Bouillon
On s’arrête à quelques kilomètres de la gare de Paliseul. On se rassemble par compagnie. Là je trouve une centaine d’hommes de ma compagnie avec l’adjudant.
Nous nous remettons en marche à Paliseul. Nous retrouvons des éléments du corps d’armée qui nous transmettent l’ordre du général de se rassembler à Bouillon où nous arrivons à dix heures.
On fait l’appel dans les compagnies. De la nôtre, il manquait le sous-lieutenant Brizemeure (*) qui a été tué, mais notre premier bataillon qui a combattu à Maissin a perdu son commandant (**) et la moitié de son effectif.
Nous passons la nuit auprès de Bouillon dans un champ d’avoine. C’est la première nuit à la belle étoile.
(*) : Eugène BRIZEMEURE, sous-lieutenant, mort pour la France le
22 août 1914 à Porcheresse (Belgique). Voir
sa fiche.
(**) : Jules Eugène GUILLAUMET, chef d’escadron, mort pour la
France le 22 août 1914 à Maissin (Belgique), épine
dorsale brisée (JMO), Voir
sa fiche.
Lundi 24 août – Prise de position à Francheval
Mercredi matin nous partons de Bouillon pour repasser la frontière belge et on se dirige sur Francheval où on doit s’arrêter. Là on est très mal car la population est à moitié allemande. Ma demi-section prend la garde aux issues.
Trois fois on allume les feux pour faire la cuisine. Trois fois alerte on doit partir. Finalement on reste.
A la nuit comme le sergent s’était absenté je restais chef de poste.
Les sentinelles signalent de la cavalerie s’approchant : Ce sont peut-être des uhlans. Nous prenons nos dispositions pour les recevoir convenablement. Arrivés à distance nos sentinelles crient :
"Halte là", mais on ne s’arrête pas.
Deuxième sommation, on s’arrête.
"Qui vive", on ne répond pas.
Mes hommes ont l’arme chargée prêts à faire feu au premier signal.
Enfin un officier s’avance : C’est un détachement du deuxième chasseur qui rentre après avoir donné la chasse à une patrouille d’uhlans.
Onze heures et demie, rassemblement. On va à Bazeilles.
Mardi 25 août – Bazeilles puis Thelonne
Toute la nuit on marche mais à Bazeilles on n’arrête pas.
Nous traversons la Meuse sur un pont de bateaux que le génie a construit pendant la nuit et que l’on brûle aussitôt notre passage.
Nous reprenons la route de Sedan jusqu’à Noyers-Pont Maugis, petit village en arrière duquel nous prenons position.
Journée du 25 août, nous sommes en renfort d’artillerie.
Nous recevons quelques obus. Mais pas de mal.
Déplacement
du 24 août au 8 septembre 1914
Mercredi 26 août – Retraite vers Chaumont
26 le matin, même mission. Mais nous nous déplaçons un peu. A onze heures rassemblement d’une corvée pour la distribution des vivres à trois kilomètres de là. Je pars avec quinze hommes. La distribution s’effectue.
Mais au moment où nous allons partir, on voit sur la route une panique générale. Ce sont le 19ème régiment de Brest et le 118ème de Quimper qui, chargés de la défense directe de Sedan, ont dû abandonner leur position, l’ennemi ayant réussi à traverser la Meuse.
Avec mes hommes, je fais un grand détour sous bois pour tâcher de rejoindre la compagnie qui a dû se déplacer.
Je la retrouve enfin, mais nous devons partir bientôt pour aller prendre position derrière Sedan afin de tenter d’arrêter l’ennemi qui se rue sur cette ville.
A la nuit tombante, nous sommes attaqués par une reconnaissance ennemie. Les balles pleuvent. Beaucoup d’hommes encore peu familiarisés avec cette musique veulent s’enfuir, mais on parvient à les rassembler.
Et la reconnaissance est repoussée sans que les troupes couvertes par nous aient dû se démasquer.
Jeudi 27 août – Combat de Chaumont et ferme de Saint-Quentin, bivouac à Bulson
27 août, nous sommes en réserve. Dès le matin des corvées sont organisées pour ravitailler en munitions nos premier et deuxième bataillons qui sont engagés.
Neuf heures et demie, ordre est donné aux réserves de s’avancer. En arrivant aux bords de la Meuse, on se trouve nez à nez avec les Boches qui s’enfuient après avoir tiré quelques coups de feu. Nous leur tirons dans le dos et c’était amusant de les voir jeter dans la rivière pour échapper aux balles.
Tout à coup, l’artillerie tonne. Un obus ou plutôt, pour employer l’expression guerrière, une "marmite" tombe à moins d’un mètre en avant de moi. Je n’ai pas de mal mais mes voisins de droite et de gauche sont tués. Il y a une dizaine de blessés.
Comme nous n’avons plus d’infanterie devant nous et que nous sommes repérés par l’artillerie, nous nous reportons un peu en arrière. Là, nous restons tranquilles pendant deux heures environ quand nos sentinelles nous préviennent que l’ennemi contre-attaque.
Alors s’engage une action terrible : Pendant deux heures, on s’est tiré à trente mètres. Les balles passaient en sifflant, semant la mort des deux côtés. Mon camarade (Clément) Fauchard (*) est tué raide à mon côté frappé par une balle en plein front. Moi, une balle traverse mon képi et m’emporte les cheveux. Une autre coupe ma bretelle de fusil dans ma main. Mais je dois m’en tirer indemne.
Tous nos officiers sont morts ou blessés. Il ne reste que le sergent-major pour commander la compagnie. L’ordre arrive de se replier mais nous avons huit cents mètres de terrain découvert à parcourir pendant lesquels nous sommes fauchés par les balles. Arrivés près du petit village de Bulson, nous rencontrons le 19ème et le 118ème qui vont nous remplacer et qui rejettent encore une fois l’ennemi dans la Meuse.
Enfin le soir nous restons maîtres du champ de bataille.
Nous nous reformons derrière un bois sous les ordres d’un commandant car notre colonel a été tué. On fait l’appel des compagnies.
De la nôtre, sur deux cent cinquante hommes nous ne restons que trente-deux. Soit deux cent dix huit absents dont quatre-vingt-six morts. De mon escouade, cinq seulement restaient debout.
Cette nuit-là, nous avons eu une panique : Le commandant ayant donné l’ordre en cas d’attaque de ne tirer aucun coup de fusil mais plutôt de charger à la baïonnette, un cheval de l’artillerie bivouaquant auprès de nous ayant remué, le garde d’écurie crie après. Un de nos hommes réveillé en sursaut croit que c’est l’ennemi, se met à crier :
"En avant à la
baïonnette".
Tout le monde se lève alors baïonnette au canon prêt à foncer sur l’ennemi, mais heureusement il n’y avait rien.
(*) : Constant Clément FAUCHARD est donc tué (blessé ?) le
27 août 1914. Il a donc été tué au sud de Sedan, secteur Ferme de Saint-Quentin à Chaumont.
Mais :
1 - Sa fiche matriculaire indique ‘’ prisonnier décédé en
Allemagne’’ et que son décès est ‘’antérieur au 12 janvier 1915 ’’. Il est
signalé décédé sur une fiche officielle allemande, indiquant plaque et livret
militaire, provenant d’un soldat tombé à Sedan en août 1914. Voir
sa fiche.
2 - Sa fiche de décès donne sa date de décès le 1er août
1914 !!. Voir
sa fiche.
3 – La retranscription en 1919 de son décès à la marie de
Beaurepaire donne la date « en août 1914 ». Voir
l’acte (2 pages).
4 – L’union des anciens combattants de la Bossière de Montaigu (85600) qui a effectué l’étude de tous
les soldats natifs de cette commune, s’est trompé lourdement !
Voir la
fiche. Comment les joindre pour réparer leurs erreurs ? Leur site ne
précise aucune adresse, ni téléphone.
(**) : Colonel Jules Armand Georges de MAROLLES. Sa
fiche.
Nota : Pour la journée du 27 août les pertes du régiment sont
d’environ 800 hommes tués, blessés ou disparus.
Vendredi 28 août – En soutien, bivouac à Chemery.
On ne dormit pas très bien cette nuit-là.
Et quand arriva le jour on se leva tout de même de bon cœur car le ravitaillement était arrivé dans la nuit. On ne l’avait pas vu depuis trois jours.
Ce jour-là le singe fut trouvé très bon même par ses plus enragés ennemis.
Nous partons pour aller nous reformer en arrière mais tout à coup un officier d’état-major vint nous donner l’ordre de nous préparer à marcher en avant pour remplacer une brigade du 17ème corps d’armée qui avait lâché. Mais la prévôté parvint à la rassembler et à la reconduire sur son emplacement.
Vers le soir, alors qu’on était derrière un bois, quelques obus tombent à nos côtés donnant lieu à beaucoup de racontars car ce jour-là les Boches avaient peu tiré. Quelques-uns prétendent qu’ils ont reconnu des culots d’obus français et que c’est une armée française qui prend les Allemands par derrière et ses obus viennent tomber jusque sur nous.
Malheureusement ce n’était pas vrai car on dut encore battre en retraite pendant la nuit.
Samedi 29 – Retraite.
Le lendemain et jour suivant notre retraite se continue par Omont, Vendresse, etc. sans incidents notables.
Dimanche 30 août – En soutien, passage de l’Aisne à Attigny (Ardennes).
Nous sommes flanc garde de la division. Nous passons dans un petit pays peuplé d’espions où l’on avait disposé sur le bord de la route des bocaux remplis de liqueurs empoisonnées. Les sources étaient également empoisonnées.
Mais nous avons été prévenus. Et quoique ce jour-là il fît une chaleur torride nous nous sommes bien gardés de boire.
Pour la première fois ce jour-là on vit des troupes indigènes.
Vers le soir tout le monde était exténué. Nous nous arrêtons un peu pour manger. On se remet en marche jusqu’à Attigny où nous traversons l’Aisne. Nous retrouvons toute la division.
Nous prenons la formation de bivouac mais il nous faut repartir. Nous laissons seulement à Attigny quelques compagnies et une section de mitrailleuses pour garder le pont principal. Nous marchons jusqu’à deux heures du matin, heure à laquelle nous nous arrêtons pour goûter un repos bien mérité.
Lundi 31 août – Retraite, bivouac à Pauvres (Ardennes).
Le lendemain nous continuons la marche en arrière par Pauvres. On arrête quelques kilomètres en arrière de ce village où nous prenons position pour jusqu’au lendemain soir.
Mardi 1 septembre – Retraite, bivouac à Pont-Faverger (Marne).
Comme nous étions en colonne prêts à partir, les obus se mettent à pleuvoir faisant des morts et des blessés au 93ème régiment d’infanterie qui était queue de colonne.
Nous partons par Auvynet et Cauroy jusqu’à Machault (*). Là, nous retrouvons le dépôt qui est venu nous renforcer. Nous passons la nuit à Machault.
(*) : C’est l’inverse : Machault, Cauroy, Hauviné, et pour finir
bivouac à Pontfaverger.
Mercredi 2 septembre – Retraite, bivouac à Beine (Marne).
Le lendemain, quelques kilomètres en arrière encore. On fait halte dans une grande plaine où nous creusons des tranchées mais à la nuit il nous faut partir.
Nous allons jusqu’au camp de Chalons où nous dormons jusqu’au matin.
(*) : Il est étonnant qu’il soit allé jusqu’au camp de Châlons : le JMO indique qu’après avoir quitté Pontfavergé à 5h30, le régiment arrive à midi à Beine et le
3e Bat au moulin près de Beine avant de partir à la nuit (JMO 42e BI)
bivouaquer aux Marquises (et non au camp de Châlons
qui est encore à environ 15km. Le camp de Moronvilliers
n’existant pas encore, il n’a pas pu confondre.)
Jeudi 3 septembre – Retraite, cantonnement à Isse (Marne).
Nous repartons mais la chaleur est si forte que beaucoup d’hommes restent en arrière. Ce jour-là nous recevons quelques obus, mais pas de mal.
Le soir nous repartons pour nous arrêter à dix heures dans un petit village où pour la première fois depuis la Belgique quelques compagnies couchent en cantonnement.
La nôtre couche en plein air.
Vendredi 4 septembre – Retraite, cantonnement à Chaintrix (Marne).
Le lendemain matin de bonne heure, réveil en musique sonné par les marmites (*).
A quelques kilomètres de là, notre division se forme en carré pour la décoration du drapeau de notre régiment et de quelques hommes (**). Mais là encore les obus nous tombent sur le dos.
Nous repartons de nouveau. Notre bataillon est détaché comme flanc garde. A la grand’halte un cycliste de la division vient nous prévenir que nous allons être cernés. On s’enfuit à toute hâte. On s’en tire tout de même.
Nous rejoignons le régiment et en cours de route, nous rencontrons le ravitaillement et ce soir nous pûmes manger de la bonne cuisine.
(*) : Obus de gros calibre.
(**) : Le journal de marche du régiment ne fait pas mention
de cette cérémonie, ni ceux des 42e BI, 21e DI, 11e CA et G.A. Foch/IXe Armée.
Cependant, le Ministre de la Guerre Millerand a bien conféré au 137e RI la
Légion d’Honneur par décret du 5 septembre 1914 (au
J.O. du 7 septembre). Il serait étonnant que la décoration du drapeau ait eu
lieu la veille à moins que, l’information de la signature imminente par le
ministre étant connue, une courte cérémonie officieuse ait été improvisée en
attendant celle officielle (ou confusion de date d’Auguste en reconstituant ses
notes ?)
Samedi 5 septembre – Retraite, tranchées à Normée (Marne).
Le lendemain, nous prenons la route de la Fère-Champenoise mais nous nous arrêtons à six kilomètres de ce village à Normée où nous faisons la grand halte.
Dans la soirée, l’ordre arrive que nous devions tenir coûte que coûte. (*)
Nous faisons des tranchées que nous occupons immédiatement mais dans la soirée alors que nous étions bien tranquilles les obus pleuvent, prenant nos tranchées d’enfilade. Nous devons abandonner un instant mais à la nuit tombante nous réoccupons le terrain.
Et dans la nuit nous nous creusons de grandes tranchées que nous occupons.
(*) : De son quartier général de Châtillon-sur-Seine, Joffre rédige le 5 septembre au soir un
ordre du jour qui sera diffusé rapidement :
« Au moment où
s’engage une bataille dont dépend le sort du pays, il importe de rappeler à
tous que le moment n’est plus de regarder en arrière. Tous les efforts doivent
être employés à attaquer et à refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus
avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur
place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune
défaillance ne peut être tolérée. »
Dimanche 6 septembre – Combat de Normée.
Mais vers neuf heures du matin, une attaque se dessine sur notre droite. Nous évacuons nos tranchées et en creusons de nouvelles face à l’ennemi. Celles-ci sont de nouveau prises d’enfilade par l’artillerie ennemie qui nous occasionne des pertes assez sérieuses.
Dans la tranchée de ma demie section, huit hommes sont blessés.
Nous nous reportons en arrière d’environ cinquante mètres derrière une voie ferrée qui nous protège un peu. Mais de nouveau, nous sommes arrosés de projectiles. Et un moment avec une vingtaine d’hommes je me trouve égaré du reste de la compagnie. Nous trouvons une section d’une autre compagnie qui a été coupée comme nous.
On se joint à eux et nous passons la nuit derrière une batterie d’artillerie.
Lundi 7 septembre – Combat de Normée.
Le lendemain au jour, nous rejoignons nos compagnies. Toute la journée les obus pleuvent sans nous faire trop de mal.
La nuit arrive très calme. Pas d’attaque.
Mardi 8 septembre – Combat de Normée, repli jusqu’à Corroy (Marne).
Mais voici que le matin vers quatre heures, on entend marcher en avant de nous mais on ne distingue rien. Sur notre droite, des mitrailleuses s’installent.
Tout à coup, ils font un "à gauche" et nous tirent par le flanc (ce sont des boches déguisés en soldats français), pendant qu’en avant de nous une nuée de fantassins ennemis nous chargent à la baïonnette. Partout où l’on regarde en avant de nous, ce ne sont que cavaliers et fantassins boches se ruant sur nous.
Pendant quelques minutes, ce fut une mêlée générale pendant laquelle il y eut beaucoup de pertes des deux côtés.
Menacés de voir nos lignes enfoncées, nous devons nous reporter en arrière jusqu’à Corroy. Nous sommes remplacés par le neuvième corps ce qui nous permet de nous reposer un peu pendant la nuit.
Nota : Pour les journées des 6, 7, et 8 septembre les pertes du
régiment sont d’environ 600 hommes tués, blessés ou disparus.
Mercredi 9 septembre – Mouvements autour de Corroy, bivouac.
Le lendemain nous prenons position en avant de Corroy mais comme notre régiment est décimé nous sommes remplacés et nous partons un peu en arrière.
Le soir vers cinq heures les 28ème et 51ème régiments d’artillerie viennent se mettre en batterie en avant de nous. Le régiment est dispersé par compagnie derrière l’artillerie et pendant deux heures et demie, les canons tirèrent sans interruption. C’était un vacarme infernal.
A la nuit, ma compagnie prend les avant-postes derrière un petit bois où nous dormons un peu.
Jeudi 10 septembre – En direction du nord-est, bivouac.
Le lendemain matin, ordre de marcher en avant.
A quelques centaines de mètres de là, nous trouvons les tranchées que les Boches avaient faites la veille et qui étaient remplies de morts. Ma compagnie est en tête du régiment.
Je suis désigné pour faire une patrouille d’éclaireurs. Mais peu d’hommes ne tenaient à me suivre car démoralisés un peu par la retraite. Cette marche en avant nous surprenait.
Enfin, trois volontaires sortent des rangs et nous partons, comptant bien à chaque moment recevoir des pruneaux. Mais nous faisons dix, puis quinze, puis vingt kilomètres sans rien rencontrer.
Nous arrivons à Connantray où là nous trouvons une quarantaine de Boches qui s’étaient attardés à piller les maisons et surtout les caves. Ils sont désarmés et faits prisonniers. Une ambulance qu’ils n’avaient pu emmener dans leur fuite fut également faite prisonnière. Il fallait voir la joie de plusieurs blessés français faits prisonniers et qui maintenant retombaient entre nos mains.
A Connantray grand’halte une heure et la marche en avant reprend sans incidents jusqu’à cinq heures du soir.
A noter sur notre passage la rencontre d’un pauvre blessé français perdu depuis quatre jours au milieu des bois. Quand vers cinq heures nous arrivons près d’une voie ferrée, nous recevons quelques coups de fusil. Une reconnaissance est détachée et nous signale une compagnie cycliste qui à notre vue s’empresse de déguerpir en laissant quelques prisonniers entre nos mains.
Enfin nous arrivons à un petit village où quelques jours avant il y avait eu un violent combat car le terrain était encore jonché de cadavres. Nous bivouaquons à la corne d’un bois où une dizaine de camarades du 62ème sont étendus frappés par un obus.
Comme nous n’avions pas eu de ravitaillement depuis plusieurs jours, plusieurs d’entre nous s’aventurent dans le village et tombent sur une cave que dans leur précipitation à fuir, les boches n’avaient pas dévalisée. On regarnit les bidons car à défaut de pain, un coup de vin ne fait pas de mal.
Vendredi 11 septembre – Marche en direction de Châlons, bivouac.
Le lendemain matin, notre compagnie part en reconnaissance dans la direction de la Ville Neux (*) où là encore on s’était beaucoup battu. Pas une seule maison n’était debout.
Là encore, les Allemands avaient abandonné une grande quantité d’armes d’équipements et de munitions.
Ce jour-là nous sommes réserves de la division. Nous marchons tout le jour au travers de bois où nous trouvons une énorme quantité de matériel que les Boches avaient abandonné dans leur fuite.
Quand nous nous arrêtons à dix kilomètres de Châlons-sur-Marne, la pluie se met à tomber très froide. Nous bivouaquons dans un bois où vu la distance de l’ennemi nous pouvons allumer des feux. Chacun s’organise de son mieux pour passer la nuit. Pour moi, avec cinq camarades, nous creusons une petite tranchée.
Nous allumons un bon feu pendant que deux de nous s’en vont à la recherche de paille pour se coucher.
(*) : Villeseneux (Marne)
Samedi 12 septembre – Cantonnement à Saint-Martin-sur-le-Pré (Marne).
Quand à trois heures du matin je me réveille, je suis tout surpris de voir tout mon monde debout et une bonne marmite de café qui bouillait près du feu. Un homme s’était levé à une heure et avait fait six kilomètres pour trouver de l’eau.
Sept heures, nous partons pour nous arrêter à deux kilomètres plus loin pendant quatre heures. On organise une corvée que je conduis à la recherche d’eau. Mais nous devons faire cinq kilomètres pour en trouver, aussi quand nous retournons le régiment était parti depuis une demi-heure.
Nous ne pûmes le rejoindre qu’en arrivant à Châlons que nous traversons à une heure.
Et nous sommes tout surpris de voir que la ville n’avait pas trop souffert de l’invasion allemande. La population civile restée dans la ville nous acclamait à notre passage. Quand nous traversons le grand pont sur la Marne, le génie retirait la charge de poudre qui y avait été placée pour le faire sauter. Certains dirent qu’il y en avait huit cent kilos. Mais les Allemands dans leur déroute n’eurent pas le temps d’y mettre le feu. Un peu plus loin, nous rencontrons deux cents prisonniers qui avaient été capturés à la sortie de la ville.
Enfin, à la nuit tombante on nous annonce que nous allons coucher en cantonnement, chose qui n’était pas arrivée depuis le 21 août. Nous allons à trois kilomètres de là à Saint Martin-des-Prés.
Ce soir-là nous eûmes le ravitaillement et on passe une partie de la nuit à faire un peu de cuisine et à se restaurer. Toute la nuit, il tombe de l’eau à torrent.
Dimanche 13 septembre – Bivouac à Saint-Hilaire-le-Grand (51).
Le lendemain de grand matin un avion ennemi qui s’était hasardé sur Châlons fut abattu tout près de là.
Nous reprenons la marche en avant et nous arrivons au camp de Châlons où nous prenons la formation de ligne de section par quatre car l’artillerie ennemie faisait rage et les obus n’éclataient qu’à peu de distance en avant de nous.
A la nuit tombante, nous nous arrêtons en plein camp.
On se couche sur la terre humide. Mais la nuit fut si froide que peu d’hommes purent dormir.
Lundi 14 septembre – Combat à Saint-Hilaire-le-Grand.
Le lendemain, nous ne devions faire que peu de chemin, peut-être trois kilomètres, et nous sommes arrêtés près de la route de Saint-Hilaire-le-Grand à Mourmelon, notre avant-garde étant arrêtée à quelques centaines de mètres plus loin. Nous prenons une formation déployée et tout le monde se couche pour se faire de petits abris individuels.
Dans la soirée, quelques obus viennent éclater sur nous mais nous n’avons que peu de mal.
La nuit se passe calme.
Mardi 15 septembre – Combat à Saint-Hilaire-le-Grand.
Le lendemain, nous faisons une ligne de tranchée face à l’ennemi car les deux bataillons qui sont devant nous sont décimés par l’artillerie et nous devons nous préparer à résister au cas où ils seraient forcés de se replier.
Ce jour-là, le ravitaillement arriva à quelques kilomètres en arrière. Je suis chargé de la répartition des vivres aux bataillons de première ligne [ce] qui fut fait à l’aide de corvées fournies par le bataillon de réserve et chaque fois que l’une d’elle arrivait, elle était saluée par une grêle d’obus. Beaucoup d’hommes furent tués ou blessés.
Vers le soir, nous devons nous porter à la lisière d’un petit bois en avant mais comme nous avons huit cents mètres de terrain découvert à franchir nous sommes encore balayés par la mitraille.
Mercredi 16 septembre – Combat à Saint-Hilaire-le-Grand.
Le lendemain 16 septembre, nous nous creusons des tranchées tant pour nous abriter de la pluie que des projectiles.
Tout se passe bien jusqu’à l’après-midi quand vers trois heures un obus arriva sur notre tranchée [et] éclata au-dessus de ma tête. Un éclat emporta mon képi et me déchiqueta le pied droit.
Ce fut-là la fin de ma courte campagne soit
quarante-deux-jours.
Fait à la Ferté-Saint-Aubin, (Loiret) avril 1915.
Signé :
A. Jadaud caporal au 137ème régiment d’infanterie.
La suite…
Le 13 mai 1915, il reçoit la croix de guerre avec palme :
"A fait son devoir dans tous les combats auxquels il a pris part. A été grièvement blessé le 16 septembre 1914. A dû subir l'amputation de la jambe droite."
Il est réformé le 4 juin 1915.
Il retourne alors vivre avec sa mère à la Pillaudière d'Ardelay, tout près du bourg de Saint-Paul-en-Pareds. Il n'est plus question d'exercer le métier d'agriculteur. Il apprend celui de cordonnier.
Il ne tarde pas à rencontrer celle qui va partager sa vie. Ce sera Maria Siaudeau du bourg de Saint-Paul-en-Pareds. Il l'épouse le 8 juillet 1918. Un premier garçon, Marie-Joseph, naît à la Pillaudière en 1919. Il deviendra maire de Saint-Paul-en-Pareds quelques années plus tard.
Il déménage alors dans le bourg de Saint-Paul-en-Pareds. Trois autres garçons viendront compléter la famille : Gaston en 1922, Auguste en 1927 et Pierre en 1937.
Il décède à Saint-Paul-en-Pareds le 26 mars 1944 à l'âge de 53 ans. Son épouse lui survivra près de 42 ans.
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