Été 1916,
lieutenant Joseph JUPIN au 106ème régiment d’artillerie lourde
Vincent J. , son petit-fils, nous dit en 2021 :
« Trois petits carnets, accompagnés de trois photographies, m’ont
été transmis par Patrick R., le fils de Janine JUPIN, en février 2019 (ceux-ci
ont vraisemblablement été récupérés par « l’oncle Fernand » au décès
de son frère Joseph, puis ultérieurement donnés à Patrick, son petit-fils et
filleul) : les deux premiers concernent la période de la première guerre
mondiale. En effet, manifestement conscient de l’importance historique de ces
moments, Joseph a décidé de consigner par écrit les évènements qu’il vit
quotidiennement.
C’est une véritable chance que de pouvoir aujourd’hui relire ces
carnets car, outre le déroulement du conflit tel qu’il le vit, Joseph nous fait
part aussi de ses impressions, de son ressenti. Dans ces pages, on ressent
parfois ses petits bonheurs (une bonne nuit de sommeil, un café bien chaud,…),
mais aussi de la fatigue, voire de l’épuisement, parfois un certain ennui… mais
jamais de découragement.
Malheureusement, certaines parties ou mots sont aujourd’hui manquants
(je les ai remplacés par des … ou ?), ces annotations étant au fil du
temps devenues illisibles, soit à cause de la fatigue au moment de les écrire
(je ne suis jamais parvenu à les déchiffrer malgré un usage
« intensif » de la loupe) ou parce qu’elles ont été écrites au crayon
à papier et se sont depuis presque effacées. On trouve aussi régulièrement
dans ces notes l’utilisation de sigles : j’ai la plupart du temps réussi à
les comprendre, mais pas toujours. Afin de rendre ce récit plus parlant, je
l’ai aussi, dès que nécessaire, accompagné de commentaires (en italiques) pour
une meilleure compréhension, en particulier afin de mieux suivre les nombreux
déplacements ou le déroulement des combats. Enfin, j’ai tenté de toujours
respecter au mieux la forme employée, d’où un style le plus souvent
télégraphique. »
La première guerre
mondiale (1914-1918) :
La guerre couve depuis déjà quelques mois : guerres des Balkans en 1912-1913, attentat de Sarajevo le 28 juin 1914 contre l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche,… Puis c’est une véritable réaction en chaîne début août 1914 : le 1er, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Du fait de la « Triple Entente », la France mobilise le 2. Le 3, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le 4, la Grande-Bretagne déclare à son tour la guerre à l’Allemagne qui, le même jour, envahit la Belgique, pays jusqu’alors neutre.
Joseph JUPIN est né à Sin-le-Noble (59) en avril 1891. En 1911, il est déclaré étudiant ingénieur architecte. Conformément à son « ordre de mobilisation », il rejoint le 2 août Douai (Nord) où est stationné le 15ème régiment d’artillerie, son régiment de mobilisation.
Dès le 4, il est promu sous-lieutenant, mais surtout il est immédiatement affecté au 1er RAL (régiment d’artillerie lourde).
Cependant, il doit d’abord effectuer sa deuxième année de service comme élève-officier. En effet, conformément aux obligations liées à son statut d’élève de l’École Centrale à Paris (ECP), Joseph s’est engagé volontaire pour cinq ans le 9 octobre 1912 et a été incorporé dès le lendemain comme soldat de 2ème classe au 41ème régiment d’artillerie de Douai pour effectuer sa première année de service militaire.
Le 1er octobre 1913, Joseph rejoint enfin l’ECP pour y débuter sa scolarité. A l’été 1914, la mobilisation le surprend donc en plein milieu de ses études…
Jeune élève-officier, il participe donc, sans être cependant en première ligne, à la retraite de Belgique et à la bataille de la Marne en 1914. Sa participation à ces batailles est d’ailleurs attestée dans son « livret matricule d’officier ».
Du 5 au 23 août, se déroule tout d’abord la « bataille des frontières » à laquelle succède la « retraite de Belgique » du 24 août au 5 septembre.
En août 1914, il est donc sous-lieutenant affecté à la 21e colonne légère du 1e groupe du 1e régiment d’artillerie lourde, comme l’indique le journal des marches et opérations du 1e régiment d’artillerie lourde.
Composition de
la 21e colonne légère de ravitaillement du 1e régiment
d’artillerie lourde (JMO 1e RAL)
Le 1e RAC est rattaché à la 5e armée en août 1914. Il est composé de 6 groupes d’artillerie. Chaque groupe d’artillerie est composé de 4 batteries de canons et de 4 colonnes légères de ravitaillement.
Joseph JUPIN est affecté à la 21e colonne légère du 1e groupe du 1e régiment d’artillerie. Ces colonnes sont chargées du ravitaillement en munitions. Les colonnes portent les mêmes numéros que leur batterie respectives ; la 21e colonne légère alimente donc en munitions la batterie n°21 du 1e groupe (qui comprend 4 batteries : les batteries n° 1, 2, 3 et 21).
La 21e colonne compte à son effectif : 4 officiers (dont Joseph JUPIN), 210 hommes, 217 chevaux et 31 voitures (hippomobiles), et elle se forme, ainsi que la 21e batterie, début août 1914, au château de Bernicourt à Roost-Warendin (Nord).
C’est pour cette raison (ces colonnes étant en retrait par rapport au feu direct), qu’il ne décrit que très peu des scènes de combat jusqu’en fin 1915.
Douai (2 au 9 août) :
Liart (10 / une commune située à
l’ouest de Charleville-Mézières, dans les Ardennes)
Wasigny (10 au 16 / toujours dans les
Ardennes)
Les Hénaux (16)
Val de la Caure (17
/ au nord d’Aubenton, cette fois dans l’Aisne)
Villers-la-Tour (18 / à l’ouest de Chimay,
maintenant en territoire belge)
Rance (19, au nord de Chimay)
Erpion (20-21 août / à une dizaine
de km au nord-est de Rance).
Puis, Joseph
commence peu à peu à donner plus de détails :
D’Erpion à Walcourt (à environ 8 km au N-E.). En attente. Retour à Erpion. Coucher dans la plaine à la belle étoile. Très bonne nuit. Chansons.
D’Erpion à Fairoul (à qq km à l’est de Walcourt). Position d’attente.
Nuit mémorable. Retour à Rance.
Retour à Rance et de là à Chimay où on arrive en pleine nuit.
Le JMO indique
« de se retirer vers le sud » : C’est la retraite.
De Chimay à Anor (petite bourgade à l’est de Fourmies, en territoire français, à quelques kilomètres seulement de la frontière belge).
D’Anor à Autreppes dans l’Aisne (à une vingtaine de km au S-O. d’Anor. Nous sommes dans la région de la Thiérache).
De Autreppes à Rougeries (dans l’Aisne, mais un peu plus au sud) après être resté en attente à Haution (un hameau situé à mi-chemin).
De Rougeries à Chevresis-Monceau (dans l’Aisne, à une quinzaine de km au sud-ouest).
De Chevresis-Monceau à Villers-le-Sec (encore dans l’Aisne, à une vingtaine de km au S-E. de Saint-Quentin). Mise en batterie. Retour à La Ferté-Chevresis (à quelques km au S-E. de Villers-le-Sec) à 2h du matin : vannés, fourbus.
Coucher à la belle étoile.
Départ à 10 heures ½ pour Vivaise au nord de Laon où on cantonne. Rencontre de Roch (qui est au 5ème Dragons).
De Vivaise à Urcel (situé sur la route de Laon à Soissons) en passant par Laon. Arrivée pour cantonner, mais départ d’alerte à 23h ½.
D’Urcel à Brouillet (dans la Marne, à une vingtaine de km à l’ouest de Reims). Très longue étape, très dure, chaleur excessive.
De Brouillet, la colonne revient sur ses pas à Bazoches-sur-Vesle où elle arrive à minuit.
Ereinté. Je tombe de sommeil sur le sol, mais je ne peux même pas dormir…
… car départ à 1 heure du matin pour La Chapelle-Hurlay.
Arrivée à 14 heures. Départ à 23 h.
Arrivée à 8 heures à Saint-Agnan (dans l’Aisne, au sud de Courthiézy) après avoir traversé la Marne à Passy (Passy-sur-Marne).
Repos. Cantonnement à Saint-Agnan.
Départ à 22 heures pour Montmirail. J’étais pourtant bien couché, quoique sur la paille.
3 heures ½ d’attente à Baulne. Il fait froid. Je dors un peu cependant.
Passage à Montmirail où par miracle on échappe à un feu d’artillerie très nourri.
De Montmirail on va à Champguyon (petite commune à quelques km au sud de Montmirail) où on reste jusqu’à minuit.
Départ
Départ pour Nogent-sur-Seine avec halte à Sourdun (au sud-est de Provins, dans la Seine-et-Marne).
Mais en route ordre est donné de cantonner à Provins. Jolie petite ville.
Je loge chez Mr. de la Fontaine, officier du 24ème (ou 29ème ?) Dragons. Très bien. Très bonne nuit qui remet des fatigues.
Journée de repos à Provins. Très bon bain réconfortant froid !
Ce même jour commence la « bataille de la Marne » (du
6 au 13 septembre).
Départ de Provins à 14 heures pour marcher de l’avant pour la 1ère fois d’où bonheur très grand chez tout le monde.
Plusieurs Teutons en auto. Charrette avec fantassins tués. Triste impression. Enormément de troupes devant nous.
Arrêt à Montceaux-lès-Provins (sud) à 6 heures du soir. Convoi de prisonniers allemands.
Départ à 9 heures et cantonnement un peu au nord de Maisoncelles (un hameau juste au nord de Monceaux-lès-Provins).
Un allemand mort dans un fossé sur le bord de la route. Ca fait plaisir !
Départ à 9 heures. Halte attente à St-Martin-du-Boschet au nord de Montceaux-lès-Provins. Départ à 1 heure ¼. Halte près de Montolivet (à une dizaine de km au nord de Montceaux-lès-Provins) derrière un bois.
Départ à 8 heures et cantonnement à Meilleray dans un champ longeant la voie de chemin de fer.
Bonne nuit.
Départ de Meilleray à 3 heures ½. N’est que tôt ! Nuit à la Grande Fourche (actuel croisement de la D 1 et de la D 933).
Champ de bataille. Morts. Canon allemand abandonné.
Départ à 8 - ¼. Halte aux Petites Noues à 10h ¼. Arrivée à Chierry, près de Château-Thierry (retour dans l’Aisne). Cantonnement à 9h ½.
Départ à 6h ½ de Chierry. Arrivée à minuit à Ronchères (dans l’Aisne, non loin de Fère-en-Tardenois). Parc. Gelé de froid.
Départ à 8 heures. Halte à 2 km d’Arcis-le-Ponsart (dans la Marne, au-dessus de Brouillet).
Départ à 5 heures. La pluie commence à tomber et ne cessera que le lendemain matin à 4 heures.
3 heures d’attente sur la route à l’entrée de Crugny (non loin au nord-est d’Arcis-le-Ponsart).
Je suis trempé, percé malgré mon manteau, noyé. Parc dans un champ où l’on enfonce jusqu’aux genoux. Obscurité complète et la pluie tombe à torrents. Pas d’abri. Je me fourre dans un fourgon, sur des caisses où je suis plié en quatre. Je m’enveloppe dans une bâche et couverture pour me protéger de l’eau qui traverse le fourgon. Le vent s’engouffre dans ma couverture. Je ne puis dormir et je suis transi de froid et le jour ne pointe pas. Je peste contre cette existence qui n’a rien d’agréable.
Enfin, le jour arrive, je suis cassé. La pluie cesse enfin. Mes genoux ne veulent plus fonctionner. Je crois que je deviens infirme et, cependant, je ne me porte pas trop mal.
Un bon café bien chaud et je suis remis tout à fait d’aplomb.
On s’apprête à partir. Fin de la semaine.
Départ de ce sacré Crugny, le fameux, mémorable, à 7 heures.
A la sortie du village, je suis agréablement surpris de rencontrer M. Pichon, agent d’assurances à Roye, qui est artilleur au 29ème RAC.
Arrêt à Bouvancourt (à l’est de Fismes, vers Reims) où je mange un morceau de pain et sardines.
Le matin, comme déjeuner, j’avais pris un biscuit et une pomme de terre cuite dans la cendre.
Le soir cantonnement à Cormicy.
Ce jour débute la « bataille de l’Aisne »,
du 13 au 28 septembre, suivie (de la mi-septembre à la mi-novembre) de
« la course à la mer » à l’issue de laquelle le front se stabilise de
la mer du Nord à la Suisse.
Vers 7 heures, canonnade des Allemands. Les obus éclatent presque au-dessus de nos têtes, mais un peu trop à droite. Quelques éclats peu dangereux atteignent même quelques hommes. Le danger étant minime, on s’amuse à les regarder éclater à 200 mètres environ. Coups secs, beaux globes de fumée.
A 8 heures, départ. Léger mouvement en arrière : halte entre Guyencourt et Bouffignereux (deux villages à l’ouest de Cormicy). Très bon déjeuner.
Départ à 1h ½ pour cantonner un peu au sud de Hermonville (au nord-ouest de Reims).
À 1h du matin réveil. Départ pour aller ravitailler les batteries près de Cauroy (un hameau entre Cormicy et Hermonville).
Retour et parc d’attente au sud de Bouvancourt. Repos toute la journée et le canon gronde toujours.
Grande bataille de l’Aisne.
Réveil volontaire à 9h, la colonne se sépare en deux. Une moitié va chercher des munitions à Jonchery (Jonchery-sur-Vesle), l’autre moitié dont j’ai le commandement, chargée de caissons pleins, va sur Hermonville dans le but de ravitailler les batteries.
L’adjudant Reboux est avec moi.
Parc au nord de Bouvancourt. Bon déjeuner sur l’herbe. Attente.
Départ à 2h ½ afin d’aller ravitailler les 1ère et 21ème batteries.
Retour à Jonchery à 10 heures du soir où il m’est, impossible de trouver le parc. Nous restons sur une route pour la nuit : on mange malgré cela, mais on ne ferme pas l’œil (… ?) train de caissons.
On ravitaille à Jonchery.
Là, je retrouve avec plaisir mon groupe du 41ème (le 41ème RAC) qui revient dans la région. Copains.
On retourne à Bouvancourt. Pluie toute la journée. On reste dans le même champ que précédemment. On patauge dans 10 cm de boue infecte.
Bonne nuit sous la tente, quoique un peu fraiche.
Je me lève à 7h ½.
A 9h du matin je pars avec le Lt Gille et 18 caissons pour ravitailler.
Toute la journée nous demeurons à Bouffignereux, à la sortie nord.
Vers 5 heures, 2 obus éclatent à notre gauche près de la gare. D’où mouvement en arrière … blessé.
Parc entre Bouffignereux et Guyencourt en compagnie du Lieutenant Lefèbvre (de la 2ème colonne légère) qui a 7 caissons avec lui.
A 8 heures nous nous couchons : on n’est pas mal, beaucoup de paille et pas trop froid … à 8H ½, 14 caissons sont demandés pour les batteries.
Le Lt Gille part avec le Lt Lefèbvre. (*)
Moi je reste au parc avec 12 caissons. Je me recouche et me rendors très vite.
(*) : Le Lieutenant Fernand GILLE est aussi
l’un des 4 officiers de la 21e colonne légère, le lieutenant LEFEBVRE est de la
2e colonne.
Fernand Marie Alphonse GILLE est né en mai 1878 à
Sains (59). Engagé volontaire à ses 20 ans, il fait ses classe au 8e
régiment d’artillerie de campagne. Il est au 1e régiment d’artillerie lourde à
la mobilisation.
À 3h du matin je me réveille transi de froid, trempé, manteaux et culottes, par la pluie qui n’a cessé de tomber toute la nuit sans que je m’en aperçoive. Je me crois foutu.
Cependant à la rentrée à Bouvancourt à 6h du matin, je me sèche, me couche et suis remis sur pied.
Le Lt Gille reçoit l’ordre de quitter la colonne pour se rendre aux batteries. Enfin un plumard m’est trouvé pour ce soir, mais pas de draps. Si, le soir.
Vivement la fin de cette guerre.
Après avoir très bien dormi, je me lève à 6h ½.
Bon chocolat pour déjeuner. Puis je vais à Jonchery avec 7 caissons pour amunitionner. Pluie.
En rentrant, bon beefsteak-frites. Le temps menace toujours. Il fait froid.
Reçois 3 lettres pour la première fois.
Je reste à Bouvancourt. Je suis souffrant. Le médecin me recommande de ne pas manger, ce que je fais volontiers.
Le soir plus de lit, mais bonne salle très chaude, paille où je couche avec l’adjudant Reboux et le chef Morau et quantité d’autres types après avoir passé une agréable soirée autour d’un petit feu rustique.
Après avoir passé une nuit exquise, je suis presque rétabli.
Le canon cesse presque de tonner. Peut-être que les Allemands songent à déloger.
Le temps est superbe.
Rencontre de Delval et de Ribaucourt qui me demande s’il y a longtemps que je n’ai pas vu Mr (ou Mme ?) R ! (En somme, journée superbe)
On parle de la St-Florent (Cet ermite évangélisateur est le saint patron de Roye), ce qui me fait penser que mon sort est beaucoup envié. Heureux veinard que je suis et que fus d’avoir eu la plus jolie cavalière de la noce.
Journée complète de repos. Le temps continue d’être superbe. En somme si ce n’est le canon qui fait entendre sa voix, on se croirait en pleine période de calme et de repos.
Toute guerre connaît ses moments de calme et
de répit. Les hommes profitent en général de ces trop rares instants pour se
reposer, dormir, écrire à leur famille ou leurs proches,… Joseph, lui, en
profite pour croquer la beauté de sites qu’il découvre.
Ainsi, ce 23 septembre à 2h de l’après-midi,
il dessine l’église de Bouvancourt (vue du côté nord)
et sa porte d’entrée. Sur la droite, il représente la route qui part vers Jonchery et leur campement matérialisé par quelques
tentes :
Le dessin de l’église de Bouvancourt. La voir actuellement ici.
Le beau temps continue. On ne fout rien, on s’emmerde !
Je consulte la carte afin de me rendre compte si de graves évènements ont pu se produire à Roye. Réflexion faite, je pense qu’il n’a pas dû y avoir trop de faits de guerre. Déplacements de troupes tout au plus.
Le soir à 8 heures je reçois l’ordre d’aller ravitailler les batteries avec 12 caissons. Je rentre à 3 heures du matin avec 4 caissons pleins et je me fais ensuite engueuler pour revenir avec 4 caissons pleins.
Joseph reporte sur
son carnet la carte qu’il consulte.
Il note les villes
d’Amiens, Péronne, Saint Quentin, Roye, Ham, Lassigny, Noyon, Laon, Compiègne,
Soissons, Reims et Paris. Le trait barré qui part de Lassigny, passe à Soissons
puis descend au sud-est ; matérialise le front ?
The good weather goes on! On reste toujours bien tranquille. Sauf le soir où l’on nous fait déloger pour aller ailleurs.
Veille de Saint Florent.
Préparatifs pour le bal du Jeu de Paume (Joseph jouait régulièrement au Jeu de Paume à Roye et il participait aussi chaque année au bal qui s’y déroulait).
Hélas ! Les années se suivent mais ne se ressemblent pas. Ce sera pour l’année prochaine. Et l’on dansera double. D’autre part, les vacances tirent à leur fin = elles n’ont pas été trop mauvaises.
Le canon ne cesse de faire entendre sa voix aujourd’hui. Serait-ce la victoire qu’il annonce ? Ayons confiance, que sa voix nous rassure. Des jours meilleurs naissent à l’horizon et ceux-là ne seront plus jamais troublés : jours de labeur, jours de joie et de bonheur. Promettons-nous de mieux les employer.
Jour de la Saint Florent. Le temps continue d’être superbe.
J’assiste à 10h ½ en l’église de Bouvancourt à une messe patriotique tout à fait impressionnante et dont le souvenir me restera toujours. La foule est émue jusqu’aux larmes, principalement au cimetière où l’on rend les honneurs en armes aux soldats morts pour la Patrie. Silence morne pendant qu’un lieutenant-colonel prononce un discours entrecoupé de sanglots tandis qu’au loin le canon fait entendre sa lugubre voix.
(Je reçois 4 lettres. Total 7)
En somme la journée passe assez rapidement et l’on s’aperçoit que c’est dimanche.
Mais triste Saint Florent. J’écris plusieurs lettres, toutes à l’encre rouge n’ayant pas d’autre encre, comme si je voulais que cette Saint Florent demeurât teintée du sang versé par les soldats.
Beau temps toujours. Repos … Rien d’intéressant à noter.
La Saint Florent est terminée
Toujours le même emploi du temps : lever 7 heures, déjeuner cacao 8 heures, dîner 11h ½ et souper 6h ½. Soirée chantante. Coucher 9h.
Le reste du temps, j’écris, je bouquine, je pense à toutes sortes de choses. Illisible…
Promenade à Reims en fourgon avec le capitaine. Attelage à la d’Aumont (*).
Rencontre Bellenger, sous-lieutenant au 29ème (RA ?), à la Grande Brasserie où je vais déjeuner.
(*) : Type d’attelage importé d’Angleterre par
le duc d’Aumont lors de son retour d’exil.
Temps toujours très beau.
Rien d’anormal. Toujours le même emploi du temps
Rien à ajouter. Idem
Id.
Je vois à Jonchery M. Pichon (l’agent d’assurances de Roye) qui m’annonce le bombardement de Roye.
Rien de nouveau. Idem lundi 5 et mardi 6 octobre
Id.
Je reçois une carte du 8 août et une lettre du 18 (?) à midi.
Départ de Bouvancourt pour Romain à 6 heures à gauche (car à l’ouest de Bouvancourt, sur la route qui mène à Fismes).
Arrivée à 1h ½. Suis très bien : chambre chez M. Itasse (*) où le plumard est tout à fait bienvenu car voilà 3 semaines que je couche sur la paille.
Très bonne nuit.
(*) : Rémy
ITASSE (66 ans) et son épouse Juliette habitent 6 rue de la république à
Romain, selon le
recensement de 1911.
Je pars de Romain pour Bouvancourt pou prendre en main un détachement de 12 caissons de ravitaillement.
Dîner avec Gille à Guyencourt.
Beau temps.
Je passe une autre journée à Bouvancourt.
À 10 heures à Bouvancourt, j’ai le plaisir de faire une ascension en ballon captif. Je monte à 300 mètres. Très bonne impression, très agréable. Je reste à peu près 20 minutes dans les airs. J’y remonterais très volontiers et en libre principalement.
Bonne chambre à Romain où je rentre à midi
Le temps continue d’être très beau. Belle soirée !
À 4 heures, je pars à Bouvancourt chercher 13 caissons de munitions. Je rentre à 10 h ½ à Romain où je reçois alors l’ordre de partir fournir 7 caissons à la 5ème batterie par Concevreux, Cuiry,… Je traverse le canal et l’Aisne. Enfin, après avoir circulé toute la nuit, je rentre à Romain à 6h 20 du matin.
Mercredi 14 : repos
Promenade à Fismes.
Aucune annotation ce jour, juste un croquis d’une
rue à Romain annotée :
« Romain, le 16 octobre 1914, 1h ½ de, l’après-midi. Dessin exécuté assis sur un tas de foin » :
Romain, le 16
octobre 1914
Départ de Romain à 8h ½ du soir.
Arrêt à Ventelay (un hameau sur la route de Bouvancourt) jusqu’à 2h du matin en attente (… ?) 4ème et 21ème batteries. On s’engage sur un mauvais chemin à Montigny-sur-Vesle, avec le fourgon et 6 caissons. 1h ½ pour dégager et il pleut à verse.
Arrivée à Reims à 8h du matin.
Cantonnement à Thillois à 6 km à l’ouest de Reims.
Le 17 octobre, les 4e et 21e batteries prennent positions, de
nuit, près de Reims (34e corps d’armée) (JMO
1e Gr 1e RAL)
La 21e colonne est donc détachée avec sa batterie du 1e groupe
de colonnes du 1e régiment d’artillerie lourde (1e, 2e, 3e et 21e colonnes)
pour se rendre à Reims (34e corps d’armée) (JMO). La 4e colonne fait de même.
Par ordre le 10 octobre 1914, le 34e corps d’armée a été
constitué une première fois avec le groupement des Vosges, à la date du 21
octobre 1914. Il comprenait organiquement les 41e et 66e divisions
d’infanterie, puis il est devenu « détachement des Vosges », le 8
décembre 1914. Par ordre du 3 mars 1916, le 34e corps d’armée a été
définitivement reconstitué le 20 mars 1916, commandé par le général Olivier
MAZEL.
1ère journée à Thillois. Le village est beaucoup plus triste que Romain, aussi le changement ne me plaît guère.
Repos.
L’après-midi, promenade à cheval Thillois – Ormes (Sénégalais) – Gueux – Thillois (4 lettres)
Encore un séjour à Thillois.
L’après-midi, promenade des chevaux à Gueux.
Départ de Thillois à 11 heures du matin pour Villers-Allerand (au sud de Reims) où on arrive vers 2 heures de l’après-midi.
Très bien logés. Salle de billard. Chez Mme (Goldeberg ou GODBERT ?).
Départ de Villers-Allerand à 4 heures de l’après-midi pour aller cantonner à Sermiers (un peu plus à l’ouest). C’est la série ininterrompue des voyages et déménagements : mais consolation, je loge chez M. Lacuisse !
Journée à Sermiers. Toujours inaction. Rien de nouveau.
Samedi 24 et dimanche 25 : rien de particulier.
Rien de particulier (manteau caoutchouc : ?)
“Nothing
new”.
Always the
same.
Promenade à cheval à Montigny-sur-Vesle (au sud de Bouvancourt) où je revois toute la fine équipe des 1ère et 3ème colonnes légères. De là, évidemment, je pousse une pointe jusque Romain où je vois mon ancien hôte, M. Itasse, et M. et Mme Petit ainsi que Simone. (*)
Je rentre à Sermiers à 7 heures du soir.
(*) : Fernand PETIT, son épouse Mathilde et Simone habitent 10 rue de la république à Romain, selon le recensement de 1911.
Rien dans la journée.
Le soir à 7h je pars au château de Romont (un château du 19ème siècle situé dans le village de Mailly-Champagne) ravitailler avec 5 caissons. Entrevue avec Gille. Retour à Sermiers à 1h du matin.
Beau clair de lune.
Rien d’intéressant. Reçois 5 lettres
4ème mois de campagne. Rien de particulier.
Nothing new
Photos.
Le soir à 6 heures à Chamery (à l’ouest de Sermiers) boulot « Piston » (c’est-à-dire repas entre élèves/anciens élèves de l’Ecole Centrale, « Piston » étant leur surnom), on ne s’y embête pas. 14 camarades réunis (ont bu).
Retour à Sermiers à 10h ½.
Rien de particulier
Rien de nouveau. Caoutchouc (?).
Le soir, Saint Euphraise (un petit village au sud-ouest de Reims). Photos.
Rien de nouveau.
Rien de frappant.
Idem
Nous quittons Sermiers pour aller cantonner à Ville-en-Selve dans la montagne de Reims.
Je pars à 9 heures avec le lieutenant David pour faire le logement. Nous n’y sommes pas mal = je loge chez M. Ludovic.
La journée se passe très bien. Comme toutes les autres d’ailleurs. Je monte à cheval l’après-midi. Selle anglaise !
Je vais voir ce vieux Gille (*) qui cantonne à Ludes (au nord de Ville-en-Selve) avec son échelon.
(*) : Fernand GILLE
a 37 ans…
Visite de Gille et pas d’autre incident.
Journée très calme.
Rien de nouveau
Première apparition de la neige qui tombe à gros flocons pendant un bon moment de 10h à 11h. Puis la pluie lui succède.
Déjeuner de gala : capitaine Fourcroy (*), lieutenant Gille, de Montclos, sous-lieutenant David, …, Jupin.
On rigole. On boulotte bien et il fait chaud dans la salle à manger tandis que dehors la pluie tombe sans cesse.
Le soir à 5 heures je reçois sept lettres qui clôturent bien la journée.
(*) : Le
capitaine Albert FOURCROY commande la 21e colonne.
Voyage à Epernay.
Journée clame. Photos chez M. Jacqueminet et ?
Grande balade à Chamery. Je … ?
Rien de particulier. Gelée
À 3h du matin, je reçois ordre d’aller avec 14 caissons chercher des obus à la gare de Rilly-la-Montagne.
Il gèle très fort. Fait très froid.
Rien de particulier. Gelée
Déjeuner des grands jours : Jupin, de Montclos, David, Gille, Antoine (*).
(*) : Le
lieutenant Carlos ANTOINE est l’adjoint au commandant de la 21e section de
munitions.
Rien de particulier
Rencontre Delattre à Chigny (act. Chigny-les-Roses, sur la route entre Villers-Allerand et Mailly-Champagne ?).
Il neige beaucoup
La neige ne tombe plus, mais elle subsiste.
Il commence à dégeler.
Déjeuner à Ludes avec le capitaine, le Lieut. Berteaux, vétérinaire Tréfandier et l’infirmier Major M. Beauvillaire. On ne cesse de plaisanter, ce qui rend le repas très amusant.
Triste. Soin à l’oreille.
Ça va beaucoup mieux après 11 heures mais, à cause de ce tampon de glycérine et ouate, je n’ai pas dormi de la nuit.
Ravitaillement avec 9 caissons de la batterie de 155 long à Cormontreuil (au sud de Reims) - parc de la Villageoise. La pluie tombe à torrents.
Départ à 3h ½ ; à 9h ½ je suis rentré.
Trouve 10 lettres à midi sur ma table de nuit, un record.
Rien de transcendant. Repos sur toute la ligne.
Rien d’intéressant
Toujours temps sombre et triste. Déjeuner de Ste Barbe avec de Montclos, David.
On s’amuse assez.
Rien.
Nous offrons à déjeuner à l’adjudant Reboux, chef Moreau et fourrier Gosselin (Gille arrive après, on rit enfin). On fait un excellent repas : à 2 heures l’ordre arrive d’aller ravitailler Cormontreuil, c’est à mon tour. La lune se lève tard, il fait sombre à n’y rien voir dès 5 heures. Pour revenir, la pluie commence à tomber de face, nous perçant les genoux et le derrière.
Mais enfin ce n’est pas grave.
De ce coup-là je me lève à 10 heures.
Promenade habituelle l’après-midi à mon hippodrome et ferme de Vauremont. L’ordre arrive à la 4ème colonne légère de quitter Ville-en-Selve et de se tenir prête pour embarquer demain à midi à la gare de Muizon (à l’ouest de Reims).
Cette fois la tristesse nous prend car nous allons rester seuls ; après avoir vécu ensemble depuis le samedi 17 octobre, voilà que de Montclos et David, charmants camarades, vont nous quitter pour une destination inconnue : quelle sensation d’ennui cette veille de départ : ah ! Que ne donnerai-je pas pour partir d’ici avec eux.
Je ne souhaite qu’une chose c’est de m’en aller bientôt. Je suis maussade et rêveur. Je voudrais pouvoir pleurer.
La 4ème CL s’en va à 6h du matin : Vu l’heure matinale, je ne suis pas levé. J’aime mieux ne pas les voir partir. Mais quel vide lorsque je sors dans le village. Je sens qu’il me manque quelque chose. Que c’est triste !
Temps triste toujours
Il pleut beaucoup.
Aurai-je une lettre aujourd’hui ? Je l’attends si impatiemment. J’enverrai un mandat de 500 francs chez moi et cela me rend heureux.
A partir de ce jour, je suis dans le secteur postal n° 99. Que c’est beau !
Déjeuner avec Gille suivi de ma première partie de bridge où je perds 10 sous.
Rien de particulier dans la journée.
Le soir, je ravitaille la batterie de 155L de Puisieulx (un hameau au sud-est de Cormontreuil).
Rien de particulier.
Beau temps.
Rien à signaler. 2ème partie de bridge = gagné 18 sous.
Chute de cheval fantastique en sautant la barre dans la prairie. Mais, aucun mal.
3ème partie de bridge, je perds 9 sous.
Après-midi à Ludes chez « La Veuve Joyeuse » en compagnie de Gille.
4ème partie de bridge = perds 29 sous.
5ème partie de bridge. Je perds 26 sous. C’est horrible ! Je ne jouerai plus.
Déjeuner avec Gille … Bridge ensuite.
A 5h ¼ je pars ravitailler le 155L au Mont de la Cuche (au sud de Reims). Projecteur allemand qui éclaire constamment l’horizon.
Je rentre à 10h après être resté un moment à Ludes chez M. RibailLE qui m’offre une bonne tasse de tilleul.
Il pleut à verse au retour. Invité à dîner demain.
Dîner à Ludes chez M. RibailLE (*). Passe une soirée excessivement agréable. On s’amuse bien avec Melles Marie, Georgette, Madeleine et ce vieux Gille.
Je rentre à Ville-en-Selve à 10h ½ du soir avec ma fidèle Triplepatte (**) qui m’accompagne partout.
(*) : D’après le recensement
de 1911, une famille RIBAILLE habitait LUDES, 83 place de la république.
Famille composé du père Georges RIBAILLE et de
3 enfants (en 1911) : Georgette
Juliette RIBAILLE (24 ans en 1915, décédée 1977), Jean RIBAILLE (21 ans en
1915), (Marie)
Madeleine RIBAILLE (16 ans en 1915). Georges RIBAILLE était veuf de
Juliette GAILLOT depuis 1909.
(**) : Sa jument ou sa chienne ?.
Journée très calme. Beau temps.
Promenade à Germaine (un petit village situé à l’ouest de Ville-en-Selve) l’après-midi.
Le soir, je vais ravitailler la section de 155 L de Puisieulx = en haut de la côte de Ludes au retour, je fais une chute de cheval : j’ai mal à la cuisse et je boîte un peu. Je suis tout couvert de boue. Le cheval du capitaine n’a que quelques égratignures.
Au retour, lettres et photo.
Il neige, mais très peu. On ne fait pas de réveillon (incompréhensible), ça me dégoûte. Je mange tout de même un morceau de boudin.
Jour de Noël.
Je vais déjeuner à Ludes avec Bureau chez M. RibailLE. Ma foi, on s’amuse bien avec Gille et les enfants !! Cela remet le cœur en place.
Il gèle très fort.
Il gèle encore.
L’après-midi, je retourne à Ludes et je trouve ce vieux papa Gille couché. Il a des courbatures : « Le pôvre ».
Déjeuner à Ludes. Décidemment, Ludes semble devenir ma patrie d’adoption…
Rien de particulier
Ravitaillement au mont de la Cuche. Je pointe un canon de 155 L.
Superbe clair de lune.
Journée calme, mais il pleut.
1915
Verrons-nous la fin de la guerre cette année ? Je l’espère.
Déjeuner à Ville-en-Selve avec Gille comme invité. Bon bridge.
L’après-midi, promenade au bois !!
Le soir ravitaillement (lieutenant Bureau) au cours duquel TraullÉ tombe de son caisson et se fait écraser.
Pauvre TRAULLÉ : c’était un excellent homme. Le matin même il était venu me présenter ses vœux et je lui avais donné ses étrennes, ce qui l’avait rendu très heureux et fait dire que j’étais on ne peut plus gentil. (*)
(*) : Maurice Eugène TraullÉ,
30 ans, canonnier-conducteur à la 21ème batterie du 1er RAL. Voir
sa fiche.
La pensée de ce pauvre TRAULLÉ m’attriste beaucoup. Je ne suis pas gai. Cela me fait penser à la fragilité de toutes les choses d’ici bas. Aujourd’hui en pleine santé et demain la mort brutale et impitoyable : Que de tristesse et que cette année 1915 semble déjà se présenter pour moi sous un aspect maussade. Que de pensées me traversent la tête et c’est tout juste si je ne puis m’empêcher de pleurer. Je voudrais être transporté subitement au milieu de tous ceux qui me sont chers et écouter pieusement ce qu’ils me diraient, car moi il me semble que je ne pourrais rien dire : mais ce jour là reviendra-t-il jamais ?
Et alors, une lune brillante éclaire la campagne triste et désolée. Le vent siffle dans les arbres dénudés.
A part cela, silence morne. Pas de bruit du canon. C’est à peine si l’on se croirait en guerre. Et cependant que de personnes souffrent qui chassées brutalement de chez elles n’ont plus de chez soi aimé et plein de souvenirs ! Nous autres soldats, nous sommes heureux, nous souffrons aussi beaucoup ; mais au moins nous avons la douce consolation de savoir que si nous souffrons, au moins nous faisons notre devoir.
Toutes nos souffrances n’ont qu’un but : la vie de notre chère et belle France ! Gloire à elle et maudits soient ses sauvages agresseurs !
Je vais déjeuner à Ludes et l’après-midi je me rends au cimetière afin de saluer la tombe de TRAULLÉ.
Ravitaillement avec 9 caissons au Mont de la Cuche. Il fait une nuit tout à fait noire, on ne voit pas à 1 mètre devant soi. Et avec cela il pleut à torrents pendant tout le retour.
Déjeuner à Ludes.
Adieux de Melle Marie qui me parle de « Jeune fille … » (*)
(*) : Marie
Madeleine RIBAILLE (16 ans) ?
Promenade nocturne dans les près !! Mais on a les genoux mouillés
Rien à signaler. Repos sur toute la ligne.
Déjeuner, invités capitaine Aleyrac et lieutenant Stievenard. Bridge. Ravitaillement à La Cuche ensuite.
A 7 heures je suis rentré et, par miracle, il n’a pas plu cette fois.
Rien à signaler
Balade à travers bois jusque Verzenay (une commune située entre Mailly-Champagne et Verzy).
Départ à 8h ½. Plan d’eau. Accompagne M. Jacqueminet, maire de Ville-en-Selve, à Verzenay.
Je visite Mumm : je bois du vin destiné à faire du champagne ; excellent.
Je rentre le soir à 4h ½.
Journée très calme. La 21ème section de munitions arrive à Ville-en-Selve pour y cantonner.
Aucune annotation.
Le journal
s’arrête à ce moment sur une dernière esquisse, inachevée, de l’église de
Ville-en-Selve.
On trouve
seulement, à la fin du carnet, quelques tableaux portant sur des calculs
de rations : rations de fourrage,
vivres de débarquement, vivres de réserve,...
Enfin une
ébauche de répertoire : parmi quelques noms, avec leurs affectations, on
retrouve les références de : René Labbaye
(13ème régiment d’artillerie, 64ème batterie à
Vincennes), d’un E. Lefebvre (3ème
régiment territorial), d’Arsène Phalemprès
(?), sous-lieutenant au 12ème régiment d’artillerie, 3ème
groupe, 21ème corps d’armée,…
Le 25 février 1915, Joseph est toujours à Ville-en-Selve.
Il envoie à ses parents au 6 rue des Orfèvres à Amiens (rue qui existe
toujours) une carte postale qui représente son cantonnement, rue Carnot :
« Chers parents.
Je suis très heureux d’avoir déniché une carte
du pays afin de vous l’envoyer pour avoir un aperçu de notre (?) d’hiver. C’est
la plus importante parce qu’elle réunit tous les documents que je vous ai
signalés sur la rue même. C’est dans ce petit espace que j’ai passé les trois
quarts de l’hiver. Tâchez de la conserver comme souvenir, car on n’en trouve
plus. Suis toujours en excellente santé et j’espère que chez nous c’est
absolument la même chose. Le beau temps va revenir et avec ça probablement la
fin de la guerre.
A bientôt de vos nouvelles. Affectueux
baisers à tous.
Joseph »
Il annote
aussi la photographie avec des flèches et des commentaires.
En partant de
la gauche : « Source qui fournit
l’eau à Triplepatte. École (au-dessus). Habitation du capitaine (au fond).
Indigènes !... Ma chambre à coucher depuis le 9 novembre. Écurie des
chevaux d’officiers. Entrée. Ma charmante propriétaire ! Chambre à coucher
de mon ordonnance ».
C’est
aussi durant ce mois de février 1915 que Joseph est
« officiellement » affecté au 1er RAL (par décision ministérielle du
20 février), selon sa
fiche matriculaire.
Une
explication : l’armée considère peut-être sa deuxième année de service
comme achevée ? Peut-être est-ce aussi à ce même moment qu’il est
transféré de la 21ème colonne légère à la 21ème batterie (ou plus tard durant
cette année 1915).
Dans le
deuxième carnet : nous retrouvons Joseph le dimanche 31 décembre 1916.
A-t-il-existé
un ou d’autres carnets entre janvier 1915 et ce début d’année 1917 ? Peut-être
… mais nous ne le saurons jamais. Si c’est le cas, ce carnet a donc
vraisemblablement été ensuite perdu ou détruit ? Je rappellerai donc juste ce
qu’il s’est passé pour lui durant ces deux années :
Tout d’abord,
Joseph passe vraisemblablement le reste de l’année 1915 sur le front de
Champagne.
Le 15 mai
1915 ; il n’est
plus à la 21e colonne, voir
le JMO
Ni au 2
sept 1915 : Voir
le JMO
Puis, début novembre 1915, le 1er RAL étant
dissous, la 21e colonne disparait, Joseph est affecté à la 30ème batterie du 106ème
RAL (ancienne 21e batterie du 1e RAL).
A quelle date,
et pourquoi, Joseph JUPIN est passé d’une colonne légère à une batterie de
combat ? Ce n’est pas du tout le même commandement ? Pas du tout les
mêmes risques…
Extraits du JMO du 8e groupe du 106e régiment lourde. Voir ici.
Son
remplacement au pied levé le 28 février 1916 au fort de Souville
de son capitaine commandant la 30e batterie, mortellement blessé par
un éclat d’obus, lui vaut également d’être décoré de la croix de guerre. Il
sera temporairement commandant de la 30e batterie jusqu’au 31 mars,
date à laquelle le lieutenant BONNARD du 7e groupe du 106e
RAL prendra sa place.
Que fait-il
durant tout 1916… ?
Le 5 avril 1916, le groupe, dont la 30e batterie
du 106e RAL, passe au groupe EYMARD de la 5e division
d’infanterie et se trouve au nord de Verdun : JMO
du groupe
Le 27 avril 1916, le groupe, dont la 30e
batterie du 106e RAL, passe au groupe EYMARD de la 48e
division d’infanterie et se trouve toujours au nord de Verdun : JMO
du groupe – JMO
de l’AD 48.
Le 26 mai 1916, le groupe, dont la 30e
batterie du 106e RAL, passe à la 6e division d’infanterie
et se trouve au nord de Verdun : JMO
du groupe
Enfin, en
pleine bataille de Verdun, une nomination au grade de lieutenant en juillet 1916.
Joseph ne
quitte Verdun que le 21 septembre :
son groupe est alors mis au repos aux environs de Fougères.
En octobre, les 155 CTR commencent aussi à être
peu à peu remplacés par les nouveaux 155 C Saint-Chamond.
Du 29 novembre
au 7 décembre, il part en stage :
Le 18 décembre 1916, le groupe part à l’école à feu de Coëtquidan (Morbihan), puis retour à Fougères (Ile-et-Vilaine) le 25 décembre.
Le second carnet commence comme
suit :
Embarquement à Fougères (à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Rennes).
Départ 9h40.
Débarquement à Sommesous (commune située dans la Marne, sur la N 4, entre Fère-Champenoise et Vitry-le-François) à 15h30.
Cantonnement à Haussimont sous les ordres du lieutenant-colonel Luya pour la 30ème batterie et E. M. (état-major), Vassimont et Lenharrée pour la 31ème batterie.
Tirs au camp de Mailly (camp militaire de Mailly, juste au sud de Sommesous)
Le groupe quitte Haussimont et va cantonner à Bannes (village au nord-ouest de Fère-Champenoise).
Permission.
Le groupe cantonne à Lachy (un petit village au nord de Sézanne).
Le groupe arrive au Vézier (commune de Le Vézier, 51), 12 km au sud-ouest de Montmirail.
Cantonnement définitif sous les ordres du lieutenant-colonel Viaux avec les 5, 6 et 8èmes groupes du 106ème.
De nouveau,
aucune annotation pendant environ 5 semaines.
A la fin
février, l’armée allemande entame une retraite stratégique vers le Nord (en
détruisant tout derrière elle), sur la ligne Hindenburg (ou « ligne Siegfried »
pour les Allemands), afin de raccourcir sa ligne de défense. Cette « ligne »
est en fait un vaste système de défenses et de fortifications construit suite à
la bataille de la Somme en hauteur au nord-est de la France. Elle vient d’être
édifiée pendant l’hiver par des soldats allemands, mais aussi par des civils et
des prisonniers de guerre russes, et s’étend sur près de 160 kilomètres de
longueur, de Lens jusqu’à l’Aisne, près de Soissons.
Départ du Vézier.
Cantonnement à Fromentières (12 km à l’est de Montmirail).
Cantonnement à Etréchy.
Cantonnement à Châlons.
Id. Herpont (village situé à une
trentaine de kilomètres à l’est de Châlons-sur-Marne)
Étape Herpont – Valmy.
Le soir, mise en batterie sud de La Main de Massiges (un petit sommet dominant le village de Massiges, au nord de Valmy, dont les courbes dessinent une main gauche) en vue de l’attaque de Maisons-de-Champagne.
À 14h40, attaque (neige) – 9 – 10 – 11 – 12 – 13 mars
Le groupe quitte sa position à 2h du matin et cantonne à Valmy.
Cantonnement à Courtisols (commune située à 12 kilomètres à l’est de Châlons-sur-Marne, sur la route de Verdun).
Cantonnement à Jâlons (au nord-ouest de Châlons-sur-Marne, sur la route d’Epernay)
Cantonnement à Vinay, à 5 km au S-O. d’Epernay
Cantonnement à Châtillon/Marne (à l’ouest d’Epernay, sur la route de Château-Thierry)
Cantonnement à Crézancy, 10 km à l’est de Château-Thierry.
A la disposition de la VIème Armée.
Cantonnement à Etampes (Etampes-sur-Marne), 1 km au S-E. de Château-Thierry
Cantonnement à Brécy.
Cantonnement à Cerseuil (au sud de Braine, sur la route de Soissons à Reims). Id 24, 25 et 26
Le groupe va se mettre en position dans le village de Presles-et-Boves (à environ 17 km à l’ouest de Soissons)
Joseph JUPIN effectue un stage d’officier d’antenne
à l’escadrille F7 à Mont-Saint-Martin, au S-O de Fismes.
Position Presles-et-Boves
Les batteries sont retirées de la position dans la nuit et se rendent à Cerseuil.
Le groupe va prendre position à Pont-Rouge en passant par Soissons, 22ème DI.
Mission : participer à l’attaque de Laffaux (village situé sur la route de Soissons à Laon, entre Soissons et le Chemin des Dames), PC à Crouy (à la sortie de Soissons, vers Laon) puis près de Pont-Rouge (lieu-dit sur cette même route, commune de Margival).
Même position…
Le 6 avril 1917 est une date très importante
puisqu’elle marque l’entrée officielle des États-Unis dans le conflit (avec le
vote du Congrès américain pour l’entrée en guerre des Etats-Unis contre les
Empires centraux, Allemagne et Autriche-Hongrie).
C’est le 16 avril que débute la bataille du Chemin
des Dames, bataille qui se termine par une dernière offensive menée par les
Français du 23 au 25 octobre, la bataille de la Malmaison.
Avril 1917,
Joseph (à gauche) et son frère Fernand au Chemin des Dames
(Jour J, H = 6 Heures). Attaque du 1er corps colonial entre Vauxaillon (au nord de Laffaux) et les carrières de Fruty (*).
Ne donne aucun résultat, Laffaux ayant résisté très fortement.
(*) : Ces carrières sont situées au niveau d’un
étroit promontoire entre le plateau du moulin de Laffaux
et celui de l’Ange Gardien. A cet endroit, les pentes sont donc naturellement
percées de tunnels et d’abris profonds utilisés par les Allemands pour y
installer des nids de mitrailleuses et leurs réserves. La configuration du site
fait que les tirs préparatoires de l’artillerie française resteront assez
inefficaces et les pertes humaines lors des assauts sont donc particulièrement importantes : le site
du moulin de Laffaux est un des « grands » lieux de la bataille du
Chemin des Dames et les monuments commémoratifs alentour y sont nombreux.
Laffaux est pris dans la nuit du 18 au 19, évacué par les Boches
Tranchées du Rossignol (*) et du Rouge-Gorge (**) (Ligne Hindenburg)
(*) : Cette
tranchée, située sur le plateau de Moisy, est
finalement conquise (ainsi que d’autres et la ferme Mennejean)
lors de l’assaut lancé par les troupes françaises les 5 et 6 mai.
(**) : Idem
pour cette autre tranchée, située aux abords du moulin de Laffaux,
prise par les Cuirassiers à pied, ainsi que tout le secteur du moulin de Laffaux et des carrières de Fruty.
Attaque avec la division provisoire Brécard (4, 9 et 11ème Cuirassiers à pied) qui est venue relever la 2ème DI coloniale.
Les 2 premières lignes sont prises, nous mettant en possession du plateau de la ferme Moisy, de la cote 171 et du moulin de Laffaux.
Arrêt devant le village d’Allemant.
Permission du samedi 26 mai au mardi 5 juin
Poursuite des combats.
Plus aucune
annotation pour la période allant de la mi-juin à début août.
Les batteries sont retirées de leur position.
Divers cantonnements à Pommiers, Laversine (villages se trouvant vers Soissons) puis Béthancourt-en-Valois (à 5 km au nord de Crépy-en-Valois) pour repos jusqu’au 22 août.
Le groupe quitte Béthancourt. Cantonnement à Mortefontaine.
Cantonnement à Pommiers pour l’E-M et les 30 et 31èmes batteries ; 32ème Bie et la SMA à Pasly.
Pommiers, à la disposition du 14ème CA, 129ème DI.
Le soir, la 30ème et l’E-M gagnent leurs anciennes positions du Pont-Rouge.
La 32ème près de la ferme Montgarni (la ferme Montgarny à Margival, au sud-ouest de Laffaux).
Le groupe passe à la 154ème DI, puis à la 27ème DI.
(Durant cette période, constructions d’emplacements de batteries à Coucy-le-Château (*), au Fort de Condé (à Condé-sur-Aisne), Sancy (act. Sancy-les-Cheminots), Margival). 14ème CA - 27ème DI
(*) : Ce château du 13ème siècle a été détruit
en mars 1917 par les Allemands lors de leur repli sur la ligne Hindenburg et,
notamment, son donjon, le plus imposant jamais édifié en Occident (54m de
hauteur pour 31 de diamètre). Après la victoire sur l’Allemagne, le Parlement
français a d’ailleurs décidé de le laisser à l’état de ruines pour
l’édification des générations futures.
L’offensive au nord de l’Aisne se déclenche. C’est le jour J – 4.
Temps superbe. Le groupe tire 2 600 coups = destructions entre Allemant et Vaudesson (communes situées au nord de Laffaux et de la N 2)
Le temps s’est mis à la pluie, nuageux. Cependant, l’eau tombe très peu, heureusement.
Le groupe continue ses destructions. Pas d’avions ni de ballons, le matin.
L’après-midi vers 14h, le temps s’éclaircit, les ballons, avions reviennent en grand nombre et le marmitage reprend, formidable. De l’observatoire Lardin, le spectacle est énorme ! Les carrières de Fruty, l’Ange Gardien (*), Belle-Croix prennent des obus de très gros calibre. C’est un roulement ininterrompu. Toute la nuit le marmitage reste ininterrompu ! Les Boches envoient quelques obus à gaz.
(*) : Un calvaire occuperait depuis fort
longtemps ce lieu-dit la Croix. Suite aux combats qui se déroulent à cet endroit
durant la première guerre mondiale, une croix monumentale (14 mètres de
hauteur), dite le « Calvaire de l’Ange Gardien », a été érigée en
septembre 1924.
Ce monument, ne pouvant être déplacé compte
tenu de son état de dégradation malgré une restauration en 1977, se trouve
depuis les travaux d’aménagement de la RN 2 en 2x2 voies situé juste à
l’intersection de cet axe important et de la RD 18. Ce
lieu marque l’entrée ouest du Chemin des Dames.
Temps couvert le matin ; reste nuageux pendant la journée. Quelques avions sortent cependant et à intervalles les ballons ascensionnels ; mais les tirs se conduisent par observation terrestre la plus grande partie du temps.
Le jour J est retardé. Toute la nuit le marmitage continue sans arrêt.
Un message nous prévient qu’il faut s’attendre à recevoir des obus vésicants (*) : mais la nuit se passe et rien ne vient.
(*) : Produit chimique vésicant a la propriété
d’irriter gravement la peau, les yeux et les muqueuses, en particulier les
voies respiratoires, de manière irréversible. Le gaz moutarde, ou ypérite, est
un gaz vésicant qui a été largement utilisé durant la grande guerre.
Le temps se remet au beau, le vent est au nord-est. Cependant une brume assez dense persiste ; l’après-midi le ciel se découvre suffisamment pour permettre aux avions de régler. Quelques nouveaux et plus gros calibres interviennent. Le marmitage est toujours d’une violence extrême sur les organisations boches.
C’est un plaisir.
Le groupe exécute de 10h à 13h un marmitage de 500 obus toxiques Sur PC de Colonel en 155 S (obus spéciaux), à l’ouest de Vaudesson.
La nuit ne voit pas le bombardement s’interrompre.
Temps toujours très beau, mais brumeux empêchant de faire des tirs importants dans la matinée.
Au cours de l’après-midi, le brouillard s’éclaircissant légèrement, les tirs de destruction reprennent avec une violente intensité : de nombreux avions exécutent des réglages. Tous les calibres depuis les plus petits jusqu’aux plus gros entrent dans la danse (Les journaux nous apprennent la destruction de 4 Zeppelins).
Le jour J est retardé pour la seconde fois sans que nous en connaissions le motif.
Le temps change. Une brume épaisse empêche toute visibilité. Dans la matinée une petite pluie fine se met à tomber vers 9 heures laissant craindre une très mauvaise journée. Elle cesse vers onze heures. Le temps reste très brumeux toute la journée, aucun avion ni ballon ne sort. Des observatoires terrestres d’ailleurs on ne voit rien ou presque. Le bombardement n’en continue pas moins très intense : on termine les destructions des organisations ennemies.
Dans la nuit, le groupe exécute un tir de 1 500 obus toxiques sur une zone d’abris au nord de la ferme St-Guislain (de 17h30 à 24h) entre les villages d’Allemant et de Vaudesson.
On attaque demain.
Le 23 octobre est donc lancée l’offensive de la
Malmaison qui succède à une préparation d’artillerie considérée comme l’une des
plus fortes de toute la première guerre mondiale : environ 1 800
pièces d’artillerie française ont envoyé près de 3 millions de projectiles en 6
jours sur un front d’à peine 12 kilomètres. L’attaque est menée par la 6ème
armée commandée par le général Maistre.
L’attaque se déclenche dans de bonnes conditions atmosphériques. Une heure après l’attaque, l’observatoire signale nos troupes maîtresses de tout le plateau de la cote 170 à l’Ange Gardien.
Le temps est légèrement brumeux, l’avion d’accompagnement d’infanterie vole très bas.
A 8 heures, on reçoit le message suivant :
« Tous les objectifs intermédiaires sont pris. Le fort de la Malmaison est enlevé ». (*)
Vers 8h15, un avion boche atterrit à quelques centaines de mètres en avant de la 30ème batterie : les 2 aviateurs sont faits prisonniers.
Vers 10h la pluie se met à tomber, fine mais pas trop abondante. Petit à petit cependant elle augmente d’intensité et elle tombe pas mal jusque 16H ; mais elle est venue trop tard, l’attaque a été menée rondement.
A 14h, un message de l’ALC27 nous apprend que l’objectif final est atteint ; les villages d’Allemant et de Vaudesson sont tombés entre nos mains, nous donnant ainsi les observatoires de la cote 170 et de la cote 183. La 27ème DI, la nôtre, a fait 1 700 prisonniers.
Aucune perte dans les batteries ; les Boches ont mollement réagi.
(*) : Ce fort, construit entre 1878 et 1882,
est une des principaux maillons, avec ceux de Condé et de Montbérault,
de la ceinture fortifiée qui protège Laon. Désarmé en 1903 (les fortifications
construites après 1870 sont déjà devenues obsolètes avec les obus modernes), il
est occupé par les Allemands dès 1914.
La bataille continue. Le groupe passe à la disposition de la 129ème DI qui a la mission d’enlever le Mont des Singes (*). La 31ème batterie seulement y participe, mais à peine a-t-elle commencé ses réglages par avion que l’ordre arrive de cesser le tir vers 15h : le Mont des Singes est tombé.
La nuit précédente, la 32ème batterie s’est portée en position entre Vauveny (**) et Nanteuil-la-Fosse. Le groupe se repose alors sur place n’ayant plus aucune mission. Toute la journée et toute la nuit, la canonnade continue. Violente la nuit où les pièces d’artillerie lourde VF (AL sur Voie Ferrée) postées entre Vuillery, Braye, Margival et Laffaux ne cessent de tirer.
(*) : Le mont des Singes est un poste fortifié
de la ligne Hindenburg situé entre les villages de Vauxaillon,
à l’ouest, et Pinon, à l’est. Lors de l’offensive Nivelle en avril 1917, cette
hauteur est considérée comme un site stratégique dont la prise est
vitale ; ce mont fait donc l’objet de violents combats menés, côté
français, par les forces coloniales (notamment des Sénégalais) qui le prennent,
mais le perdent presque aussitôt. Un nouvel assaut est lancé les 5 et 6 mai,
sans résultat. Le mont des Singes est finalement pris lors de la victoire de la
Malmaison, avant d’être repris par les Allemands en mai 1918. Il sera à nouveau
l’objet d’intenses combats mi-septembre, lors de la contre-offensive française.
(**) : Vauveny était
un des trois hameaux (avec Chimy et Mennejean) que comptait la commune de Nanteuil-la-Fosse
avant le conflit. Occupé par les Allemands dès 1914, ce site est pris par les
Français le 21 avril 1917 puis sert de point de départ lors de la bataille de
la Malmaison. Cette position sera reprise par les Allemands en mai 1918 avant
d’être enfin reprise par les Américains. Nanteuil est complètement détruit
pendant ces combats et le hameau de Vauveny n’a
jamais été reconstruit par la suite.
Le groupe ne tire plus.
A midi un message de l’ALC27 nous apprend que le village de Pinon vient de tomber : 600 nouveaux prisonniers et des canons y sont capturés. Le groupe est alors à 8 km des lignes, sans action. Des ordres pour un déplacement ne tarderont sans doute pas à arriver. En effet à 16 heures, coup de téléphone : le commandant Suprin doit aller de suite reconnaître une position de groupe vers la ferme du Bessy à 1 km au nord de Laffaux ; mission : battre d’enfilade les tranchées au sud du village de Brancourt situé sur la rive nord de l’Ailette.
En fin de journée, Pinon et toute la forêt de Pinon sont entre nos mains ; notre ligne borde l’Ailette.
La 129ème DI a pour objectif le bois de Mortier (*), au sud de Brancourt, tandis que la 27ème DI doit essayer de s’emparer d’Anizy-le-Château. Le groupe a 1 800 coups à tirer de 11h ½ à 14h ½ dans le bois de Mortier, de ses positions actuelles. Les Boches ont laissé couper, par nos fantassins, les fils de fer protégeant le bois de Mortier, ce qui indique très probablement qu’ils sont décidés à l’abandonner.
Si cela est, le groupe cette fois ne pourra plus agir nulle
part, et son déplacement s’ensuivra à brève échéance. J’espère que nous serons
fixés en fin de journée. Les patrouilles dans le bois de Mortier ayant été reçues
à coups de fusils et de mitrailleuses ont réintégré leurs tranchées.
La 32ème batterie reçoit l’ordre de se porter dans la nuit sur une nouvelle position à 1 km au N-O. de Laffaux, près de l’entrée du tunnel ; les deux autres batteries vont l’y suivre incessamment. Le PC de groupe doit se trouver dans une carrière à 1 km au N-E. de Neuville-sur-Margival. Je ne sais quand nous irons.
19h, il pleut.
(*) : Ce bois, situé à l’ouest de Pinon et
d’Anizy-le-Château et traversé par l’Ailette, est occupé par le Allemands dès
septembre 1914 et se trouve sur la ligne de front après leur retrait sur la
ligne Hindenburg. De ce fait, il est traversé par de nombreuses tranchées. Il
devient une zone disputée après la victoire française de la Malmaison. Ce bois
fait partie des positions reprises par l’ennemi en mai 1918 avant d’être
définitivement conquis lors de la contre-offensive alliée de l’été. En grande
partie détruit, il a été reconstitué après guerre.
Journée calme pour le groupe. La 32ème s’organise sur sa nouvelle position.
L’après-midi, je vais la visiter ainsi que notre nouveau PC. De là, je me rends au bois de la cote 160 et cote 171, tranchée, 39 abris. Terrain complètement bouleversé. Cadavres boches du 56ème d’infanterie, 14ème division.
Je rentre le soir par le moulin de Laffaux.
Journée calme. Les batteries ne tirent pas et restent sur leurs positions.
Rien d’intéressant à noter.
Journée calme.
L’après-midi, je me rends avec le sous-Lt Prud’homme dans la zone conquise. Nous visitons le village d’Allemant, le chemin creux d’Allemant à la ferme St Guislain (objectif de la 30ème batterie).
Nous remontons vers la tranchée des Éboulis, poussons au Carrefour 153,2 (ancien but auxiliaire). Nous apercevons l’Ange Gardien, la ferme Vauxrains, nous revenons par les carrières de Fruty. De là un camion nous ramène au Pont-Rouge en passant par le moulin de Laffaux.
Je rapporte comme souvenirs un casque de tranchée boche, un casque en drap et un sac et quelques boutons cueillis sur un cadavre boche. J’ai très bien vu la ville de Laon.
En rentrant j’apprends que nous sommes passés à l’AD28 et que nous devons être retirés du secteur dans quelques jours. Les Italiens continuent à prendre la « pile ». (*)
Le temps est beau.
(*) : Joseph fait ici vraisemblablement
référence au « désastre de Caporetto » : le 24, l’offensive
austro-allemande dirigée par le général allemand Otto Von Below
a enfoncé le front italien. Dans son repli, l’armée italienne laisse près de
330 000 soldats tués, blessés ou prisonniers, plus de la moitié de son
artillerie et d’importants stocks d’armes, de matériels et de vivres.
Rien à signaler.
Le groupe revient à l’AD27. J’y retourne. Le Lt- Colonel Gros commandant l’ALC27 part.
Dans la nuit, la 32ème batterie va occuper une position près du cimetière de Pinon.
L’après-midi, je vais reconnaître un PC à 1 000 mètres au S-O. de Pinon, vers l’intersection de la tranchée du Galion (sise au nord d’Allemant, dans le fond de la vallée, face à Pinon) avec la route Allemant-Pinon.
Dans la nuit, la 30ème va occuper une position au nord du ravin des Gobineaux (*), ferme. Et voilà comment se passe la 4ème fête de la Toussaint.
(*) : Le ravin et la ferme des Gobineaux, situés à l’ouest de l’Ange Gardien, se trouvent
en contrebas de la ferme Vauxrains. Les Gobineaux ont été au cœur de la bataille de la Malmaison,
le 23 octobre.
Détruite, la ferme n’a jamais été reconstruite après
guerre.
Le soir la 31ème batterie quitte le Pont-Rouge pour aller s’installer un peu à gauche de la 32ème.
Le PC reconnu par moi (le 1er novembre) doit être pris par un groupe de batteries. Je vais le matin reconnaître l’entrée dans une petite creute à côté de la ferme de la vallée Guerbette. Les Boches ont évacué tout le Chemin des Dames : Cerny-en-Laonnois, Ailles (act. Chermizy-Ailles), Chevreux sont à nous.
Rien à signaler.
Temps triste. C’qu’on s’empoisonne !...
Nous nous installons au nouveau PC de la vallée Guerbette.
À 8h, l’AD27 nous prévient que nous serons vraisemblablement retirés du secteur le soir.
A 16h, le groupe reçoit l’ordre de gagner les échelons à Bucy-le-Long (à l’est de Soissons) dans la nuit.
Départ des positions à 21 heures.
Nuit à Bucy-le-Long et on y passe la journée du vendredi 9.
Étape Bucy-le-Long - Montigny-Lengrain (village situé à mi-chemin entre Soissons et Compiègne) où l’on cantonne. Tous les officiers logent au château de Banru (ou château de Montigny-Lengrain), à 1 200 m du village.
Étape Montigny – Retheuil (à 5 km au S-E. de Pierrefonds)
Étape Retheuil – Saintines (village à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Crépy-en-Valois) où nous devons séjourner pour la durée du repos (du mardi 13 au mardi 20).
Minuit, départ de Saintines pour Nanteuil-le-Haudouin (à l’est du château d’Ermenonville, dans l’Oise) où le groupe doit embarquer avec les 6ème, 7ème et 9ème groupes du 106ème et l’E-M du régiment.
On y arrive à 5h du matin.
Départ à 10h. Itinéraire Le Bourget, Creil, Longueau (en périphérie d’Amiens, au sud-est) où l’on débarque à 19 heures. Cantonnement à Villers-Bretonneux où je fais le logement.
Arrivée à 23 heures.
Je suis évacué à l’English Army Hospital à Dernancourt. (*)
(*) : Sa fiche matriculaire (FM)
confirme une maladie : effectivement à l’hôpital anglais n°56 du 26/11 au
2/12 (probable confusion Xbre octobre/décembre lors
de la retranscription sur sa FM) puis du 3/12 au 26/12 à l’HOE n°7 SP164 puis
ambulance 7/5 SP97 du 27/12 au 02/01/1918 puis retour aux armées le 03/01/18
Je sors de l’hôpital et dois rejoindre mon groupe à Guerbigny (dans la Somme, à l’ouest de Roye), mais à Creil le train part trop tard. Je vais passer la soirée à Paris.
Je débarque à Montdidier où j’apprends que le groupe a quitté Guerbigny le 1er décembre ; une voiturette m’emmène à Davenescourt où je déjeune avec le colonel Chaninel qui me fait conduire en auto à Bray-Saint-Christophe où se trouve le groupe ; je passe par Roye, Ercheu, Ham. AL3 puis AD6.
(Reconnaissance de PC), 8, 9
Abandon des positions de Castres (localité au sud-ouest de Saint-Quentin) et reconnaissance d’emplacements plus à l’arrière, à l’est de Seraucourt-le-Grand et à Essigny-le-Grand avec le lieutenant-colonel Chaninel.
Demande. (*)
(*) : Selon sa FM il était alors à l’HOE n°7
Ambulance 7/3 à Ham. (*)
(*) : Plutôt écrit 7/5 sur sa FM mais dans le fichier (ici) des ambulances, rien trouvé à Ham en décembre
1917 que la 5/11 (ni 7/3, ni 7/5) … lacune dans ce fichier ?
Je sors de l’ambulance pour ma permission de 10 jours.
Arrivée à Amiens à 10 heures. Sur ces entrefaites, le groupe quitte Bray-Saint-Christophe.
Je rejoins le groupe à Sermaize (commune de l’Oise, sur la route de Noyon à Roye) et prend le commandement de la 8ème colonne légère formée pendant ma permission (Lahaye m’a appuyé). (*)
(*) : La 8e colonne légère a été créée le 9
janvier 1918 (JMO) et est la colonne affectée aux 2 batteries (30e
et 31e) du 8e groupe d’artillerie du 1e régiment d’artillerie.
Nous quittons Sermaize pour gagner Antheuil où je cantonne avec la 8ème SMA. Le groupe est à Monchy-Humières (dans l’Oise). Les Anglais s’étendant vers le sud sont cause de notre déménagement.
Départ d’Antheuil et cantonnement à Fresnoy-la-Rivière (dans l’Oise, au nord de Crépy-en-Valois)
Départ de Fresnoy-la-Rivière et cantonnement à Couloisy (sur la RN 31, entre Compiègne et Soissons). Tirs pour les batteries à Attichy (au nord de Couloisy).
Départ de Couloisy et cantonnement à Feigneux (au nord-est de Crépy-en-Valois).
Départ de Feigneux et cantonnement à Fresnoy-la-Rivière.
Départ de Fresnoy-la-Rivière à 19 heures. Embarquement à Villers-Cotterêts.
Le 1er mars, nous sommes devenus le 5ème groupe (ils étaient le 8ème groupe) du 106ème, 12ème DI.
La 30e batterie (celle de Joseph JUPIN ?)
du 8e groupe du 106e RAL devient la 13e batterie du 5e groupe du 106e RAL.
À 7h du matin, débarquement à Genevreuille (en Haute-Saône), entre Lure et Vesoul. Cantonnement à Servigney, entre Vesoul et Luxeuil-les-Bains.
Offensive boche.
En effet, le 21 mars
1918, l’Allemagne lance l’opération Michael, une série d’attaques qui doit
permettre aux soldats allemands de percer les lignes alliées en plusieurs endroits
du front occidental. L’objectif visé est de parvenir à couper le front en deux,
les forces anglaises d’un côté (pour les repousser vers Calais) et les troupes
françaises d’autre part (pour les repousser vers Paris).
Après quelques
succès initiaux, l’offensive allemande s’enlise devant Arras. Après un dernier
effort dirigé contre la ville d’Amiens, l’avancée allemande est définitivement
stoppée le 4 avril à Villers-Bretonneux, essentiellement grâce aux soldats
australiens. L’Etat-major allemand comprend alors à ce moment que leur pays
vient vraisemblablement de perdre la guerre.
Départ pour embarquement à Vaivres à 21h.
Le débarquement doit avoir lieu à Montdidier (dans la Somme).
Mais arrivés là, les Boches marmitent la ville, si, bien que nous faisons ½ tour et débarquons à Dompierre-Ferrières (dans l’Oise, les deux communes qui se touchent sont au sud de Montdidier) à 18 heures.
De là, nous allons cantonner à Le Mesnil-Saint-Firmin (voir ci-dessous). Le soir même à minuit, nous ravitaillons les batteries qui sont en position à l’est de Le Plessier (commune de Grivesnes, au nord-ouest de Montdidier), ferme de la Folie.
Nouveau ravitaillement des batteries, ferme de Septoutre (à Grivesnes).
Nuit, nous allons au Mesnil-Saint-Firmin, les batteries devant se replier sur Folleville.
Nous bivouaquons dans les bois à l’ouest de Rouvroy-les-Merles. 7 caissons qui sont allés ravitailler avec l’adjudant Marion ne nous rejoignent pas. Nous attendons au bivouac leur retour et des ordres.
A midi, je suis dirigé sur Folleville lorsqu’arrivé à 1 500 m. au sud-ouest de Quiry-le-Sec (juste à l’est de Folleville) arrive l’ordre de ravitailler avec les voitures disponibles. Nous nous installons dans un bois de sapins au bord de la route et y passons la nuit sous la tente.
Il ne cesse de pleuvoir.
Ordre de mettre en subsistance dans chaque batterie 4 caissons et 2 chevaux de parc. Je reste au bivouac avec le personnel, chevaux et matériel restant.
Le temps est meilleur : c’est le jour de Pâques.
Nous restons dans le bois de sapins sous la tente.
Je vais cantonner à Quiry-le-Sec où je trouve un emplacement auprès de l’église.
La pluie tombe depuis la nuit sans arrêt.
Je retourne dans le bois de sapins en bordure de la voie ferrée ; les échelons des batteries y viennent également.
Le groupe quitte ses positions dans la nuit. Nous nous rendons par la route à Le Quesnel-Aubry ; après avoir voyagé toute la nuit, nous y arrivons à 7h du matin.
Départ à 22 heures de Le Quesnel-Aubry pour aller embarquer à Liancourt-Rantigny (la gare qui dessert les villes de Liancourt et de Rantigny, toujours dans l’Oise) à 4h du matin.
À 17 heures, débarquement à Charmes (Vosges / sur les bords de la Moselle) et nous rendons à Moriville où nous passons la nuit.
Arrivée à 22 heures.
Etape Moriville-Fraispertuis (commune de Jeanménil) où nous cantonnons, à 6 km à l’est de Rambervilliers.
Départ de Fraispertuis, cantonnement à la ferme de Mervaville (Meurthe-et-Moselle) entre Flin et Glonville. Le groupe monte en position.
Départ de Mervaville pour cantonnement à Chenevières (au nord de Flin). Ravitaillement des batteries à Blémerey et Saint-Martin (deux communes au nord-est de Chenevières, situées de part et d’autre de la RN 4).
A partir de ce
moment, le rythme des changements s’accélère clairement pour Joseph et son
« journal » devient nettement plus succinct :
Je suis
nommé au commandement de la 3ème batterie de 105 du 1er
groupe. En position à Pexonne (à
10 km à l’est de Baccarat) dans le secteur de la 42ème
DI américaine. (*)
Il était
repassé à la 5e colonne ???
(*) : Cette division d’infanterie, créée
en 1917, est aussi appelée la « division Rainbow » en raison de son
insigne d’épaule. Elle participe notamment à la seconde bataille de la Marne, à
celle de Saint-Mihiel et à l’offensive Meuse-Argonne).
Envoyé à Saumur. Ecole d’artillerie américaine.
Selon toute vraisemblance, Joseph est envoyé
dans cette école pour y être instructeur au profit des cadres artilleurs
américains. Il occuperait donc déjà en théorie un poste d’officier informateur US
au sein de la MMF (voir ci-dessous).
Pourtant, sa mise à disposition
« officielle » de la MMF n’est notée qu’à compter du 27 juin…
Expédié (sic !) au camp de Coëtquidan (un camp militaire situé au sud-ouest de Rennes) : Mission Militaire Française auprès de l’armée américaine.
La Mission Militaire
Française (MMF) auprès de l’armée américaine :
Vincent J. , son petit-fils, nous dit :
C’est en mai
1917 qu’est signé un premier texte, l’accord Joffre-Baker, qui établit les
bases de la coopération militaire franco-américaine. En effet, devant
l’impréparation évidente des soldats américains au conflit qui les attend en
France, la nécessité est très vite apparue à l’état-major français de dispenser
une formation à tous les soldats et dans tous les domaines militaires :
infanterie, artillerie, génie, chars, défense aérienne, transmissions,…
Cette
coopération débute par l’envoi dès septembre 1917 d’officiers français dans les
seize camps qui s’organisent sur le territoire américain. Ce même mois, le
général Pershing, commandant en chef du corps expéditionnaire américain,
organise son quartier général à Chaumont, dans la Haute-Marne.
Rapidement, la
Mission Militaire Française (MMF) s’y installe aussi et son 3ème
bureau est chargé d’établir, en relation avec l’Etat-major de Pershing, les
modalités d’instruction des troupes US envoyées au front en France.
Les résultats
obtenus par les officiers français aux USA s’avérant très vite peu probants, il
apparaît rapidement indispensable de compléter l’instruction des soldats
américains dès leur arrivée en France, avant tout envoi au front. Plusieurs
écoles sont donc mises en place pour la formation des officiers américains.
Celle de Saumur,
opérationnelle dès septembre 1917, est ainsi dédiée aux cadres de l’artillerie
de campagne. Le GQG français procède donc au recrutement d’officiers, appelés
« officiers informateurs US », affectés dans ces écoles afin de
diffuser la doctrine française. L’organisation générale et le contenu des cours
pour les officiers informateurs se mettent en place en octobre 1917.
Une fois
sélectionnés, ils sont d’abord envoyés dans un centre (Eurville
ou Faverney) pour se perfectionner dans la
connaissance de la langue anglaise, mais aussi pour des enseignements
techniques de spécialités, des conférences,… et les préparer afin de tenir au
mieux leur nouveau rôle d’instructeur.
Mais des
difficultés surgissent rapidement. Face à l’intransigeance américaine, les Français
n’ont donc pas d’autre choix que de s’adapter au mieux. L’implantation des
différentes écoles initialement disséminées sur le territoire national doit
déjà être entièrement revue.
Mais, surtout,
ce que les Français désirent enseigner aux Américains ne correspond pas à ce
que les Américains souhaitent apprendre. Les officiers US pensent notamment que
c’est à l’offensive que leurs soldats doivent être préparés, non à la guerre de
position telle que les Français tentent de leur enseigner. Si l’armée française
est contrainte de faire évoluer très vite son dispositif d’instruction, ce
relatif échec provient aussi de ce que la présence française auprès des troupes
américaines est toujours resté trop faible (le total des instructeurs français
en activité ne dépassera jamais les 320).
Si la France
propose, les Etats-Unis disposent !
Outre ces
instructeurs, la MMF nomme également des officiers de liaison pour être
directement intégrés dans les régiments US envoyés au front. Leur mission est
particulièrement délicate : ils doivent faire comprendre, apprécier et
adopter les méthodes françaises d’organisation, d’instruction, de commandement
et de combat, de façon à diffuser l’influence française au sein des régiments
US envoyés au front.
Leur sélection
est de ce fait encore plus rigoureuse : l’officier français choisi pour
remplir cette mission doit procéder par persuasion et ne jamais s’immiscer dans
l’exécution ; « il ne doit pas être d’un grade trop élevé pour
ne pas porter ombrage aux officiers américains, doit avoir un très bon
caractère, doit s’efforcer d’être l’ami personnel des officiers américains
(auprès desquels il est affecté) et ne doit jamais se faire remarquer en
public ». Enfin, il adresse des rapports périodiques à la MMF destinés à
faire remonter toutes ses observations et remarques.
Enfin, si
certains souhaitent en savoir plus sur la « MMF » (sa création, son
rôle, les nombreuses difficultés auxquelles elle a été confrontée,…), je vous
invite à découvrir l’étude très intéressante réalisée par Raphaëlle AUTRIC,
« La rivalité franco-américaine : l’instruction des soldats
américains en France (1917-1918) » et publiée dans la revue historique des
armées, étude consultable sur ce site, qui m’a inspiré
la courte synthèse insérée dans ce récit.
Désigné pour être Instructeur au 324ème régiment d’artillerie lourde américain (colonel Ashburn) (158ème Brigade, Gal Fleming) à Bain-de-Bretagne (commune située entre Nantes et Rennes).
Quittons Bain-de-Bretagne pour le camp de Coëtquidan.
Désigné pour rejoindre la 167ème brigade au camp de la Courtine (Creuse). Instructeur au 351ème régiment d’artillerie lourde (Nègres), Lt Carpenter.
Vincent J. , son petit-fils, nous dit :
Joseph est donc affecté au sein de la 92ème DI américaine, dite « Buffalo Soldiers » (183ème et 184ème BI + 167ème BAC comprenant deux RAC, le 352ème RAL et le 317ème RA de tranchée). Cette division est
organisée en octobre 1917 au Kansas, avec des soldats afro-américains venant de
tous les Etats.
A cette date,
Joseph devient officiellement officier de liaison de la MMF, conformément à ce
qui est noté dans son livret matricule d’officier.
Cette
information nous confirme que Joseph est bien passé au camp de la Courtine.
Au vu de la
période, il est presque certain qu’il n’a pas, à ce moment, entendu parler de
la rébellion des troupes russes, épisode qui se situe en effet 11 mois plus
tôt.
Enfin,
l’inscription « Nègres » fait référence au fait que cette DI n’est
composée que de soldats noirs. Seuls les officiers supérieurs sont blancs.
Peut-être
fait-elle aussi référence aux pendaisons régulières auxquelles il assiste dans
le camp, souvenir qu’il racontera ensuite souvent ?…
Départ de la courtine pour le front : 1ère étape Clermont-Ferrand, 2ème étape Dijon et 3ème étape Frouard (commune de Meurthe-et-Moselle, juste au nord de Nancy).
PC du régiment à Ville-au-Val (commune de Meurthe-et-Moselle, à une vingtaine de kilomètres au nord de Nancy).
Permission…
Signature de l’Armistice.
Je quitte Nancy pour Faverney (un des deux centres d’instruction des officiers français recrutés par la MMF).
Faverney – Chaumont.
Joseph est d’abord détaché à la section
d’artillerie de la MMF basée à Chaumont avant de reprendre son précédent poste
d’officier au sein du 106ème RAL, les troupes américaines repartant en effet
progressivement aux USA suite à la signature de l’armistice.
Chaumont – Saint-Dizier.
Saint-Dizier – Belfort.
Belfort – Strasbourg, par Mulhouse.
Arrivée à Haguenau.
Vincent
JUPIN, son petit-fils, nous dit :
C’est vraisemblablement à ce moment qu’il retrouve son frère Fernand
déjà arrivé dans la région avec son groupe… et peut-être d’autres unités du 106ème
RAL ?
Il reste dans cette ville alsacienne jusqu’au 1er janvier 1919 (en fait, peut-être même un
peu plus tard ?) ; il quitte alors précipitamment Haguenau pour
retourner à Paris, l’Ecole Centrale ayant annoncé la reprise des cours).
Cette date du
12 décembre 1918 marque le point final de ses « Carnets de guerre »
pour la période consacrée à la première guerre mondiale.
Ceux-ci
comprennent cependant une deuxième partie composée d’annotations diverses
consacrées à l’artillerie (une bonne part de celles-ci étant d’ailleurs en
anglais) : des cours, mais aussi des exercices d’application destinés à la
formation des artilleurs américains lorsque Joseph est désigné pour être
instructeur auprès des troupes US.
En guise de
conclusion :
La
retranscription de ces carnets a certes constitué un long travail, mais
véritablement passionnant pour moi. En effet, j’ai souvent eu l’impression de
découvrir pour la première fois en profondeur la guerre de 1914-1918. Pour
comprendre le contenu de ces carnets (les déplacements, les batailles, les
nombreux sites cités par Joseph,…), il m’a fallu effectuer de nombreuses
recherches, en particulier sur internet.
V. JUPIN
(Pornichet,
mai 2021).
Je désire
contacter le propriétaire du carnet de Joseph JUPIN
Suivre
sur Twitter la publication en instantané de photos de soldats 14/18
Vers d’autres témoignages
de guerre 14/18