Publication :
Mai 2006
Mise
à jour : Janvier 2025
Prologue
Alain nous dit en mai 2006 :
« Je m'appelle Alain LESEUX,
J'ai 52 ans et je vous écris de Strasbourg. Je viens de découvrir avec stupeur
votre site retraçant le parcours des différents régiments lors de la 1ère
guerre mondiale. Étant moi-même fils de "poilus", je ne vous cache
pas que mon enfance a été bercée par les récits de batailles, périodes, que mon
père évoquait d'ailleurs toujours avec une grande émotion. Mon père était au
47e régiment d'infanterie. »
« Durant les quatre années
que dura ce conflit il prit part à tous les théâtres d'opérations où ce
régiment fut impliqué. Il libéra le 22 novembre 1918 Strasbourg. L'anecdote
voulut qu'étant orphelin de père et de mère et n'ayant pas d'attaches en
Bretagne, il resta en Alsace et fonda une famille. J'ai en ma possession de
nombreux documents et photos dont un carnet de route ainsi que de nombreux
dessins et croquis qu'il réalisa lors de ses journées de repos dans les lignes
arrières.
En attendant de vous lire, je
vous remercie vivement pour ce devoir de mémoire que vous avez réalisé avec
brio. Si vous tenez à prendre connaissance de ces documents je suis prêt à vous
les envoyer afin de compléter ce site. Je vous en remercie vivement. »
Contacts avec des
internautes depuis la mise en ligne (en 2006) :
Marie-France en 2008 :
« Bonjour Didier, Je suis allée voir le carnet
de route de Louis, vous faites vraiment un travail formidable. Ce monsieur en
plus d'être musicien avait un bon coup de crayon, c'était un artiste.
J'ai reçu un mail de M. Alain
LESEUX, il est très ému de voir ce récit sur votre site. Cordialement. »
Valérie E. en 2012 :
« En consultant votre site
internet, pour lequel je vous adresse mes plus sincères félicitations, on y
trouve des informations incroyables, j'ai plus particulièrement consulté les photos
du 47ème régiment d'infanterie et je pense y avoir reconnu mon
arrière-grand-père. Il s'agit de Louis, Marie, Eugène, François BERTHELOT tué à
l'ennemi le 26 août 1914 à Cheveuges dans les
Ardennes. J’ai aussi lu le carnet du mitrailleur LESEUX. Pourriez-vous me
communiquer ses coordonnées afin que je lui demande quelques précisions et si
cela s'avère possible, une reproduction de la photo en question. Je vous
remercie infiniment par avance de votre aide. »
Jean B.. en 2014 :
« Bonjour, dans le cadre de
la mission du centenaire de 1914-1918, nous organisons une exposition à
Saint-Méen-le-Grand (35). Nous possédons le Carnet d’Émile Orain
(47e R.I.) que j’ai fait mettre en ligne. Nous souhaiterions contacter les
ayants droit du carnet de Louis Leseux,
également du 47e R.I., afin d’obtenir l’autorisation d’afficher la
transcription de son carnet de guerre lors de cette exposition. Merci. »
Remerciements
Merci à Alain pour le carnet.
Merci à Marie-France pour la recopie du carnet.
Merci à Philippe S. pour les corrections
éventuelles et certaines recherches.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour
aller « plus loin » dans l’analyse du récit. Pour une meilleure lecture, j’ai
volontairement ajouté des chapitres, sinon le reste est exactement conforme à
l’original.
Introduction
Alain LESEUX nous présente son
père :
« Louis LESEUX
est né le 5 janvier 1892 sur la butte Montmartre, plus précisément rue des
Martyrs à Paris 18ème. De sa première enfance, il évoquait souvent un voyage en
train à l’âge de cinq ans avec son père Frédéric LESEUX, voyage dont la
destination finale devait être son placement à l’orphelinat Saint Michel à Langonnet-en-Priziac en pays
breton. Au début de son séjour il eut droit à une, voire deux visites de son
père puis, plus signe de vie de sa famille.
Quand il
évoquait son séjour à Saint Michel, tenu à cette époque-là par des pères
Spiritains, il ne manquait jamais d’évoquer la discipline de fer qui y régnait.
Cela ne
l’empêcha pas, comme en témoigne l’apparition de son nom dans différentes
pièces théâtrales parues dans ‘’ l’Écho’’ daté de 1908, de participer
pleinement à la vie culturelle et associative de cette institution. Mon père
séjourna à Saint-Michel vraisemblablement jusqu’à l’âge de seize ans. »
« Le 13
juillet 1906, il réussit avec succès son certificat d’études primaires suite à
quoi, un apprentissage d’ébéniste lui fut dispensé.
À l’issue de cet
apprentissage, il fut placé dans une famille d’accueil
à savoir la famille Blanchet à
Quintin, cette famille bretonne accueillit et considéra mon père comme un
membre à part entière de la famille. D’ailleurs de forts liens d’amitiés se
tissèrent entre nos deux familles liens qui durant les vicissitudes de
l’histoire se resserrèrent encore davantage.
Lorsque le
premier conflit mondial éclata, mon père partit de St-Malo le 06 août 1914 avec
le 47ème régiment d’infanterie, destination la frontière belge. Durant les quatre
ans de ce conflit, il sera amené à combattre sur plusieurs théâtres
d’opérations, en Champagne, dans les Ardennes, la Somme, la Meuse et la Marne.
Blessé durant la
bataille de Verdun, il fut cité à deux reprises à l’ordre du régiment pour
actes de bravoures et décoré de la croix de guerre (deux étoiles)… »
10 heures du soir, départ de Saint-Malo en route pour la frontière.
Nous passons par Rennes, Vitré, Laval, Alençon, Évreux, Creil, Soissons, Reims.
Nous avons depuis notre départ de Soissons un temps magnifique. Nous traversons des campagnes fertiles et de magnifiques moissons, des villages rustiques perdus dans la verdure, et tout cela sous un ciel magnifique et un soleil de feu… C’est d’un cachet incomparable.
Nous arrivons à Reims, ville
superbe que nous entrevoyons d’assez près et nous contournons le champ
d’aviation de Bétheny où nous avons le loisir d’entrevoir les fines silhouettes
des aéroplanes. Puis le train continuant sa route, nous passons encore Laon,
Rethel et Vouziers.
Nous sommes arrivés !
Enfin ! Depuis deux jours dans le train !
À midi, nous débarquons ; quelle sensation, surtout de se sentir si près de la frontière. Nous faisons halte à 1 kilomètre de la gare.
À trois heures, départ
pour Le Chênes à 13 kilomètres. Pendant toute la marche, de nombreux aéroplanes
nous survolent tout le temps. Enfin, à six heures et demie du soir, nous
arrivons aux Chênes. Nous sommes extrêmement fatigués, par la marche
principalement mais surtout du manque d’entraînement… et du chargement complet
du sac.
Nous cantonnons ici. Nous y sommes bien logés et les gens sont très affables.
Dans la fin de la
soirée, nous avons nouvelle qu’un soldat du 47ème vient de mourir ; c’est
probablement de fatigue, ajoutée à la grande chaleur. C’est le premier mort du
régiment.
Il se nomme Blandin. (*)
(*) : Félix Joseph Adolphe BLANDIN,
mort pour la France de maladie contractée en service le 8 août 1914 à Le Chesne
(88). Voir sa fiche.
Repos absolu. On remet nos affaires en ordre.
À 8 heures du matin, rassemblement devant la mairie pour la lecture des dépêches officielles. Journée magnifique.
1 heure du matin : alerte ! Départ pour Sedan. Nous traversons un pays très riche, accidenté et pittoresque… sous un merveilleux clair de lune.
La matinée est
étouffante de chaleur ; pour ma part, je meurs de soif. Beaucoup de camarades
restent couchés sur la route, exténués.
La difficulté est encore accrue par de terribles côtes à monter, en plein midi au plus chaud de la journée.
Journée inoubliable.
Enfin nous faisons une
grande halte.
Il est 2h 30 ; depuis 1 heure du matin que nous marchons ! La grande halte se termine à 3h30 avec le départ pour Sedan que l’on aperçoit à 3 kilomètres.
À 5 heures, arrivée à
Sedan. Réception enthousiaste par les habitants.
Nous sommes reçus comme des enfants : du vin
sucré, du rhum, du pain, du sucre, on ne sait plus où tourner la tête.
Après avoir traversé avec difficulté la ville, nous cantonnons dans la
caserne du 30ème Dragons.
Nous sommes au repos dans la caserne.
Nous faisons notre cuisine tout
seul, nous, la musique et les conducteurs du train régimentaire. Le régiment
est parti depuis le lendemain de l’arrivée pour occuper un petit bourg à 5
kilomètres derrière la frontière, à Bouillon, premier bourg de Belgique. Nos
soldats y sont comme chez eux, ils ont tout à souhait.
J’ai profité de notre repos pour aller faire
un petit pèlerinage au village de Bazeilles, si vaillamment défendu par les
nôtres en 1870.
J’y visite le musée et l’ossuaire et je reviens tout impressionné de
tous ces souvenirs patriotiques si récents, en cette circonstance, plus
impressionnants encore.
Le quartier est consigné ; préparation au départ probable.
À 9 heures du soir, départ de
Sedan pour faire place au 11ème corps.
Pendant toute l’après-midi, il a fait un
temps menaçant et c’est juste au moment où nous partons que la pluie commence à
tomber.
Pendant toute la marche elle ne cesse de tomber et avec cette nuit noire,
on ne voit pas à deux mètres devant soi.
On arrive à deux heures du matin dans un village pour se reposer et se
sécher ; on couche dans une grange.
Réveil à 5 heures du matin d’Harcy. Nous contournons Rocroi en longeant les fortifications de cette ville.
Nous marchons jusqu’à midi et nous faisons la grande halte dans un petit village.
Il est 1h 30, nous sommes à 5
kilomètres de la Belgique. Pendant la soupe, nous blaguons largement et sommes
pressés d’arriver en Belgique.
Départ du cantonnement à 2h30,
en marche vers la frontière belge. En cours de route, nous croisons les autobus
parisiens qui serviront à l’approvisionnement de la viande.
Enfin, à 4 heures moins quelque chose, nous
franchissons la frontière, très impressionnés à la vue des couleurs belges, les
nouveaux douaniers, les noms des stations en belge et surtout le poteau
frontière.
Les
Belges nous accueillent avec empressement et affabilité.
Partout des cris de « Vive la France », dont
l’écho est « Vive la Belgique ». Nous cantonnons à Cul-des-Sarts, première
ville belge à 4 kilomètres de la frontière.
Nous y cantonnons et sommes reçus comme des
libérateurs, on loge chez un bien brave homme qui se met en quatre pour nous
faire plaisir.
Le soir, après la soupe, ne voyant rien de
bien d’intéressant à faire, voyez ce que nous imaginons : nous avons un
drapeau français que ces braves gens conservaient chez eux comme souvenir et de
plus, un drapeau à leurs couleurs nationales.
Nous leur avons demandé de nous le donner, ce
qu’ils ont fait avec bonne grâce. J’empoigne un bout de bois et une boite de
cirage et de ma plus belle écriture, j’inscris sur le drapeau français :
« Musique
du 47ème », « Vive la France »
Et sur le drapeau belge
« Vive la Belgique, notre alliée
».
Et alors, ceci fini, un de nos plus
dégourdis grimpe dans un sapin à 5 mètres de la maison, un sapin d’au moins 20
ou 25 mètres de haut, et une fois arrivé au sommet, y installe le drapeau
français bien solide. Au bas de l’arbre, c’était très joli, et l’autre drapeau
fut installé au milieu de l’arbre.
Le patron nous a bien remercié et nous a dit :
« Pas un Prussien n’aura le courage d’aller monter jusque-là pour les descendre, ces deux-là ! ».
Départ à 7 heures du matin.
Remerciements à nos généreux hôtes et nous
filons. On revient vers la frontière que nous longeons quelque temps, puis l’on
continue notre marche en nous enfonçant définitivement en Belgique.
Les dernières maisons françaises disparaissent
petit à petit, puis tout d’un coup plus rien :
« Salut,
France, je ne reverrai peut-être plus ! »
Le soir, nous cantonnons dans un joli petit bourg très
pittoresque et nous y passons la nuit.
Départ à travers les Ardennes belges. Nous
assistons à un magnifique lever de soleil dans les montagnes.
Nous traversons Couvin, Marienbourg,
Philippeville.
La journée est accablante de chaleur ; nous
mourons de soif et aussi de faim car nous n’avons pas été approvisionnés la
veille.
Enfin, après une marche de 32 kilomètres,
nous arrivons et faisons la grande halte à Saint-Lambert. (*)
Nous y sommes de nouveau accueillis comme à
Sedan : des verres à n’en plus finir, du pain et du bon celui-là – fait avec de
la levure de bière -, des confitures, du beurre, des gâteaux, que sais-je, et
de la bière à discrétion, et tout cela sans donner un sou !
Ah ! Quels braves gens ils sont !
Enfin, à 2h 30, nous partons pour Fraire qui se trouve à 3 kilomètres. Nous y arrivons à 4 heures. Même accueil qu’à Saint-Lambert, nous y passons la nuit.
(*) : Le JMO (journal du
régiment) explique : « Étape très longue,
faite avec entrain par des hommes n’ayant pas eu le temps de manger avant le
départ, (…) alors que 35 km avaient été parcourus »
Départ pour Hanzinelle
à 7 heures du matin.
Le temps est des plus beaux, les campagnes
sont très riches et fertiles. La marche n’est pas dure car après 10 kilomètres,
nous arrivons à Hanzinelle vers 10 heures du matin.
Nous y passons la journée à nous reposer des fatigues de la veille.
Vers 5 heures du soir, un aéroplane allemand,
le premier que nous voyons se montre à 4 ou 500 mètres dans le ciel.
Des coups de feu éclatent tout de suite de
toute part. Nous voyons l’aigle essayer de monter plus haut mais c’est en vain
; à un moment même, il baisse une aile ce qui nous fait croire qu’il va tomber.
La fusillade éclate de plus belle.
Malheureusement, l’oiseau est touché et à
mort. Il s’éloigne petit à petit et deux heures plus tard on nous apprend qu’il
est tombé à 6 kilomètres de là, les deux officiers aviateurs sont carbonisés.
Voilà le premier ! Avis aux autres !
Repos toute la journée : soins de propreté et
cuisine.
Le soir à 6 heures, départ pour Biesmes à 18 kilomètres, nous dit-on.
Nous marchons toute la nuit par de très
mauvais chemins. Ca sent l’approche de l’ennemi.
À chaque pause, nous dormons sur la route,
découragés par la longueur de la route.
À 3h 30, nous arrivons là Vitrival.
Nous sommes harassés, n’ayant pas dormi.
Là, nous apprenons que la 1ère division a combattu la veille et subi de grosses pertes. À peine le temps de souffler et nous allons prendre nos positions.
C’est donc vrai que nous allons nous battre et tout de suite alors !
Premier combat.
Nous entrons en ligne après divers mouvements d’approche. Nous traversons la route de Charleroi à Namur et gravissons les pentes escarpées. Le canon gronde au loin pendant que nos troupes dévalent les collines voisines.
Les troupes se sentent près de l’ennemi.
Pour nous brancardiers,
nous installons notre ambulance dans un petit village à 2 kilomètres de notre
arrivée et le poste de secours s’installe juste à l’entrée du champ de
bataille.
Le canon gronde de plus en plus.
Nous avons pris contact avec l’ennemi, il est
8h45, une journée magnifique se prépare.
Voici maintenant que la fusillade se mêle au
canon ; ça crépite de partout. Nos premières lignes progressent légèrement.
Nous voyons bientôt arriver plusieurs
blessés, de mes camarades même. Ce qui atteste la fureur du feu, c’est que les
blessés arrivent maintenant très nombreux.
Certaines blessures sont terribles, ça nous impressionne beaucoup, pour
la première fois surtout.
Notre tour de travailler est venu pour nous
aussi.
Pendant qu’une partie
de nous soignent les blessés qui nous arrivent nombreux, les autres par équipe
de quatre, nous allons relever ceux qui sont frappés plus durement. La tâche n’est pas toujours facile et nous nous
sommes aplatis à terre plus d’une fois pendant notre marche sur le champ de
bataille pour éviter les obus qui éclataient parfois à des distances
dangereuses pour nous.
Cela dure jusque vers 2 heures de
l’après-midi.
À ce moment, un léger mouvement de recul nous
fait lâcher du terrain si chèrement pris le matin. C’est alors que malgré
plusieurs magnifiques élans de nos soldats pour reprendre les positions
perdues, nous reculons en laissant beaucoup des nôtres sur le terrain.
De leurs belles positions, les Allemands nous
mitraillent à volonté pendant ce recul. C’est surtout de là qu’est provenu le
nombre de blessés et tués. (*)
Enfin à 4 heures, nous reculons
définitivement pendant que les obus commencent à pleuvoir sur le terrain. Nous
ne réussissons même pas à relever nos blessés qui sont frappés pendant cet
instant. Notre recul est protégé par nos canons 75 qui font merveille !
D’où nous sommes, nous pouvons apercevoir les
Allemands sortant d’un bois où ils étaient retranchés, s’avancer en colonnes et
être fauchés par nos obus qui pleuvent des hauteurs. C’est pendant la lutte
d’artillerie que nous profitons pour nous reformer en arrière à 3 kilomètres.
Le soir à 7 heures, l’artillerie se replie à
son tour et alors il faut fuir, emportant sur nos épaules les pauvres blessés
que nous avions relevés le matin et l’après-midi, et cela pendant 5 kilomètres.
Enfin nous arrivons dans une ferme où nous
déposons nos blessés dans un hôpital provisoire. Nous y arrivons à 10h30 du
soir, harassés, fourbus, mourant de faim, pas approvisionnés de la journée, pas
dormi la nuit précédente.
Nous couchons dans une grange à côté de nos
blessés sans même manger car la faim est encore moins dure que le sommeil.
Triste début de campagne !
(*) : Le JMO
(journal du régiment) explique :
« Les bataillons ne peuvent plus avancer devant le feu terrible des
batteries de mitrailleuses invisibles dans les bois (…) ils subissent des
pertes sensibles (…) Un mouvement de repli est ordonné (…) un bataillon perd le
quart de son effectif (…) retraite précipitée (…) "
Réveil à 2 heures du matin.
Nous repartons précipitamment car l’ennemi
est tout proche et l’on craint une surprise. Nous marchons dans la direction de
Oret ; c’est un petit bourg dans la direction est des
collines où ont eu lieu les batailles de la veille.
Nous arrivons vers 9 heures dans une plaine à
côté d’un petit village. N’ayant rien dans le ventre depuis la veille, on nous
autorise à tuer la volaille, d’autant plus que le village est désert.
Nous enlevons les lapins, poules et cochons,
que nous faisons cuire comme nous pouvons.
À peine avons-nous le temps de dévorer un
malheureux morceau de poulet qu’une grêle d’obus tombe à côté de nous. Un
aéroplane allemand était venu nous survoler en plein cantonnement et avait donné
l’éveil.
C’est
alors la retraite qui recommence, plus précipitée et plus désordonnée que la
veille. Nous arrivons dans une
ville assez importante, Florennes.
Les gens sont en train de l’évacuer.
Là, sous sommes à plusieurs kilomètres de l’ennemi et nous nous y
arrêtons, d’autant plus que notre artillerie les maintient plus loin en avant.
Le soir, nous revenons en arrière un peu, car
nous avons repris un peu de terrain grâce à nos 75. Nous campons la nuit dans
un bois à 200 mètres de l’avant-poste prussiens.
Brr !
Nous partons avec l’ambulance à Florennes.
De là, la retraite se poursuit sur Daussois où nous arrivons à midi, après avoir fait la soupe dans un petit bois.
La chaleur est accablante.
Pendant la route, nous apprenons
que le 50ème d’artillerie a perdu une batterie en protégeant sa retraite. Nous
arrivons à Daussois vers 2 heures.
Là, nous trouvons encore de quoi nous
ravitailler dans une cave et une maison, nous trouvons de la confiture.
Le régiment se porte en avant du village pour
prévenir toute attaque.
Enfin, vers 4 heures, départ précipité.
L’ennemi étant à nous, tourne, disait-on.
Après une heure de marche, nous faisons une
pause sur la route, en attendant le régiment qui devait passer.
Puis au bout de ¾ d’heure, arrive un
capitaine de Dragons nous ordonnant de partir tout de suite. Précipitamment,
nous nous mettons en marche. Alors on nous apprend que le régiment est parti
par une autre route et que nous étions seuls en arrière, à 25 ou 30 comme
arrière-garde, à 1 kilomètre des Allemands.
Enfin nous arrivons à Cerfontaine pour y
faire la soupe derrière les tranchées.
À 8 heures du soir, signal du départ, en
route !
Nous marchons toute la nuit, terrible pour
moi. J’ai le pied forcé depuis 3 ou 4 jours et c’est juste si je peux faire 7
ou 8 kilomètres.
Je n’en peux plus, je m’arrête et monte en
voiture derrière le régiment. La marche est pourtant de 30 kilomètres, après
une halte pour faire le café à 12 kilomètres de Chimay, à 3 heures du matin.
À 7 heures du matin, nous arrivons à Chimay ;
un coup de vin, quelques gâteaux que nous trouvons à acheter et en route,
toujours…
C’est en passant à Chimay que nous voyons nos aéroplanes, eux que l’on
n’avait pas vus en Belgique, de même que quelques grosses pièces d’artillerie
lourde.
Nous arrivons à Saint Rémy à 1 kilomètre de
Chimay. Nous passons la journée au repos.
À 8 heures du soir, nous apercevons les premiers soldats anglais. De loin, nous les prenions pour des Allemands ; il y eut une fausse alerte.
À minuit, nous arrivons à une maison de campagne.
Nous passons la nuit sous les sapins et le matin à 9 heures, départ pour la frontière française.
À 11 heures, nous
repassons la frontière.
Nous traversons Hirson à 3 heures et arrivons à Neuve-Maisons, petit bourg à 2 kilomètres d’Hirson. Nous cantonnons dans une belle ferme et nous buvons du cidre pour la première fois depuis le départ.
Malheureusement, nous le trouvons rudement mauvais auprès de celui de Saint-Malo.
Après une nuit épatante de bon repos, nous repartons le lendemain matin à 7 heures.
Nous faisons une douzaine de kilomètres et
arrivons dans une tranchée, ou plutôt dans une prairie retranchée entre Le
Chaudron et La Bouteille.
Nous cantonnons dans une prairie un peu plus
loin, à proximité d’une ferme.
Là encore, on ne ménage pas les vivres restés
et abandonnés par les gens qui s’étaient enfuis. C’est une véritable fête….les
volailles, les confitures, les boissons et le reste…tout y passe !
Nous restons là jusqu’au lendemain à 10h30 du matin et nous repartons.
Nous traversons Vervins ou, en passant, les
plus débrouillards vident la cave d’un débit de tabac qui du reste était un
dépôt de gens vivant au détriment des autres.
D’après renseignements, ils vendaient la
bière 0,50 franc le litre au lieu de 0,30 franc…. Mal leur en prit ; tant pis
pour eux, c’était juste.
Et nous arrivons à 6 heures du soir à Lemé où
nous couchons dans une maison de campagne.
Le canon de nouveau se fait entendre,
l’ennemi est donc proche.
Que se passera-t-il demain ?
Deuxième combat. 1h
30, réveil.
À 2 heures nous
quittons Lemé, nous prenons la route de Guise, paraît-il.
Vers 6 heures, nous faisons halte à 200 mètres
du village d’Audigny, loin de se douter au grand silence qui y régnait à cette
heure de ce qui allait se passer.
Tout à coup, une terrible fusillade de tous
côtés. Nous sommes surpris.
Le bataillon qui nous suit passe en avant de
nous, pendant que nous nous mettons à l’abri avec nos voitures médicales et
l’ambulance. Les Prussiens sont en nombre, notre tête de colonne est à 200
mètres d’eux.
En arrière du village, le 2ème de Granville
qui nous suit s’élance pour entrer en ligne. Vive fusillade pendant une
demi-heure ; on essaie une charge à la baïonnette pour dégager nos troupes.
Mais les mitrailleuses allemandes sont en bonne position, d’autant plus
qu’elles sont là depuis la veille !
Aussi, dès que les nôtres s’avancent, des
files entières tombent, fauchées comme des grains. (*) C’est
très vif, on hésite, on a peur.
C’est
la panique qui commence, la débandade suit.
Notre poste de secours ayant un peu reculé en
arrière du village au moment le plus vif du combat, nous étions revenus en
avant pour chercher nos blessés. Mais le flot des fuyants et des blessés
s’étant sauvés tant bien que mal, nous emporte et nous traversons le village en
désordre. Pendant tout ce temps, les balles sifflent à nos oreilles.
Quelle cohue de monde, chevaux, voitures !
À ce moment, je porte sur un brancard un camarade blessé de ma compagnie quand à 200 mètres du poste de secours, le camarade qui porte le brancard devant moi reçoit une balle dans les reins. Heureusement quand on eut déposé le brancard, on s’aperçut que ce n’était rien : la balle avait effleuré la colonne vertébrale et était légèrement rentrée, et cela grâce à une cartouchière que ce camarade avait à son dos.
Quelle chance pour moi qui était derrière ; à 1,50 mètres de plus et c’était moi qui la recevais, dans la poitrine peut-être, étant plus petit que ce jeune homme.
Le long du chemin, des
officiers essaient d’arrêter les fuyards pour les ramener mais beaucoup
s’échappent.
Enfin, à 4 ou 5 kilomètres,
nous arrivons à une ligne de chemin de fer où un train nous attend pour le
transport des blessés. Nous donnons un coup de main pour les embarquer puis je
repars un peu plus loin où je m’arrête pour manger un morceau.
Il est 2 heures de l’après-midi.
Nous nous arrêtons sur une hauteur, derrière
l’artillerie du 1er corps.
Au Nord, les Allemands ont avancé mais ici,
ils sont refoulés peu à peu sur l’Oise. Pendant ce temps, le 47ème est de
retour peu à peu : il fait la pause et se reforme.
Il manque 1.200 hommes. (**)
Le combat continue le
reste de la journée pendant que le renfort nous étant arrivé est en train de se
battre.
La nuit arrive enfin, et le soir nous couchons sur le champ de bataille à la lueur de plusieurs incendies au front…
(*) : Le JMO
(journal du régiment) explique :
"
Le village Audigny est enserré comme dans une
tenaille par les Allemands (…) L'ennemi déborde à l'est et à l'ouest et les
balles pleuvent de tous côtés (…) la situation est critique, l'ordre est donné
de se replier (…) le régiment se reforme face au village et il reçoit l'ordre
de contre-attaquer avec un second régiment (…), l'assaut est donné à la
baïonnette, en colonne profondes, par toute la brigade, tambours battant,
clairons sonnant. (…). Mais l'ennemi a dispersé de nombreuses mitrailleuses (…)
l'élan est brisé. »
(**) : Le JMO donne le détail
des pertes : plus de 1000 hommes sont tombés.
Combat d’artillerie. Nous faisons le café dans un petit village et nous repartons au combat.
Toute la matinée,
violent duel d’artillerie.
Vers le milieu de la
matinée, ne pouvant plus tenir à l’endroit où nous étions et gênant
l’artillerie, nous allons un peu plus loin et avons l’imprudence de nous
installer sur une hauteur…Nous y sommes à peine installés que les obus nous
arrivent et qu’il faut décamper en vitesse.
Nous faisons la grande halte où nous nous sommes rassemblés la veille et nous repartons de nouveau…toujours la retraite ! (*)
Vers 7h 30, nous faisons la soupe en arrivant à Marcy ; elle se fait en plein bois puis nous allons nous reposer dans une grange.
(*) : Le JMO parle d'une marche
" rétrograde "
À 3 heures du matin nous repartons.
Nous arrivons à Vesles vers 1 heure.
Nous ne sommes pas mal installés, nous sommes logés dans une grange La Vieille Avare.
Nous nous reposons un peu jusqu’au soir et comptons dormir un peu.
Le soir à 8 heures,
des ordres de départ arrivent : en route !
Nous marchons toute
la nuit avec des arrêts à tout instant….oh, quelle sale marche que celle-là et
on n’en était pas au bout, pourtant c’était la plus longue que l’on est faite. (*)
(*) : 50 km…(JMO) à pied avec
tout le barda…
Continuation de la marche d’hier.
Nous marchons jusqu’à midi. Là nous arrêtons
à Berry-au-Bac, au bord d’un canal, pour casser la croûte.
Nous sommes harassés, je ne sens plus mes
pieds…Enfin, puisqu’il le faut, 2 heures après l’on repart.
Le soir, vers 6 heures, nous arrivons à Marzilly, après 55 kilomètres de route, 34 heures de marche
– ah ! Mes pieds !
Nous sommes dans un magnifique château du consul
d’Italie. Nous y sommes très bien reçu, il est bien entendu qu’il n’y a que les
officiers et la musique qui sont logés au château. Nous faisons un repas
succulent, avec un magnifique canard que l’on s’est payé. Nous passons la nuit
sous les sapins en plein parc.
Le lendemain, 4 heures, debout, on repart !
Merci à la patronne du château.
Vers 10 heures, nous arrivons à Rosnay.
Ici nous sommes logés très bien dans une
nouvelle propriété appartenant celle-ci à M. Théodore Dubois, ancien directeur de Conservatoire de Paris.
Il met tout à notre disposition.
Comme notre chef s’était débrouillé pour nous
trouver cette place-là, à nous autres musiciens, c’est là que j’ai passé mes
meilleurs moments pour faire la popote ; j’étais tout à mon aise. Le soir, nous
nous reposons très bien.
Le lendemain, le départ a lieu à 2 heures
pour Mardeuil.
Nous restons 3 heures sur les hauteurs de Rosnay puis nous repartons en
marche.
Nous voici en pleine Champagne, on entend le canon qui tonne au loin.
Vers midi, par une
journée magnifique et une chaleur étouffante, d’autant plus que nous marchons
depuis le matin, nous apercevons la Marne et plus loin Épernay, tout cela au
fond d’une vallée magnifique.
Nous traversons la Marne et allons cantonner à Mardeuil, à 4 kilomètres d’Épernay.
Là il est très difficile de s’approvisionner car toutes les maisons sont fermées. Nous logeons chez une brave femme qui nous prépare, à plusieurs camarades et à moi-même, une bonne portion de foie rôti que je trouvai rudement bon après une marche comme celle de la veille.
Le lendemain, départ à
3 heures pour Étoges.
Nous allons prendre possession des crêtes qui avoisinent la rive droite de la Marne, au pied d’Épernay.
Nous repartons à 11 heures, par une chaleur terrible, après une pause d’une heure à un carrefour dans un bois. Nous contournons les hauteurs d’Épernay, le pays est magnifique, des sites merveilleux.
Vers 1 heure, nous
nous arrêtons pour dîner, nous trouvons du vin assez facilement. Mais voilà
notre frugal repas à peine terminé qu’un obus tombe dans le village où nous
sommes.
Nous partons immédiatement.
À 1 kilomètre de là, on fait une petite pause en attendant les ordres.
Le soir à 7 heures,
nous sommes au château d’ètoges,
c’est une vaste propriété magnifique. Je couche dans une grange où je me
rappelle avoir eu les pieds bien malades.
À 4 heures, en route !
Après ¾ d’heure de marche, le régiment se
porte en avant.
Est-ce un nouveau combat ? Pas encore !
Après 2 heures d’attente, nous repartons pour
Sézanne à 6 kilomètres.
Là, nous trouvons à nous approvisionner à
volonté. Nous cantonnons dans l’ancien cercle catholique de la ville.
Une
proclamation est faite aux soldats du 47e RI le soir du 5 septembre :
"
Demain 6 septembre, la 5e armée attaquera la 1e armée allemande sur tout le
front (…) Le succès de cette opération peut dépendre de la fin de la 1e partie
de la campagne. Il importe que chaque soldat sache avant la bataille que
l'honneur de la France et le salut de la patrie dépends de l'énergie qu'il va
apporter dans le combat de demain. Le pays compte que chacun fera son devoir.
Les faiblesses seraient punies immédiatement par les rigueurs de la loi
martiale (…) "
2 heures du matin, départ.
Nous marchons vers le Nord maintenant.
À 2 kilomètres, nous nous engageons dans les champs à travers bois et prairies. Nous avançons plus prudemment, avec de fréquents arrêts. Le canon tonne à courte distance à travers les bois de sapins où nous allons nous réfugier.
Nous suivons la fusillade qui commence à éclater. Puis l’artillerie s’en mêle aussi. Nous voici de nouveau en contact avec les Allemands.
Nous avançons déjà assez prestement en avant : ça doit bien marcher !
Peut-être un peu trop vite même car nous sommes obligés à un moment à nous reporter un peu en arrière, mouvement insignifiant du reste.
Le régiment se trouve dans les bois de Charleville, au nord de Sézanne (Marne)
Dans l’après-midi,
violent duel d’artillerie. Pour la première fois, nous entendons les gros
obusiers prussiens.
De loin, dans un bois de sapins, nous assistons à cette avalanche de fer et de feu s’abattant sur nos batteries avec un bruit d’enfer, ces masses de feu se précipitant à une vitesse folle. Et élevant un nuage immense de poussière et de terre tel que d’où nous étions, on aurait cru à une trombe.
Oh, quel spectacle ce jour-là ! Nous croyons qu’il ne restait plus rien de nos pièces et de nos artilleurs.
C’était terrible.
Le soir à 7h 30, le
combat s’arrête. Nous couchons dans une ferme en compagnie de nos blessés.
Plusieurs prisonniers allemands ont été saisis.
Nous nous reposons.
Le combat reprend à 3 heures du matin.
La fusillade éclate, terrible, tout près de
nous, à 100 mètres des toits. Les Allemands se sont avancés pendant la nuit.
Peut-être serait-on cernés ?
Mais non, petit à petit, ils reculent et avec
des pertes importantes. Une heure après, tout étant fini à nos côtés, nous
faisons une pause pour déjeuner : quelques biscuits et un peu de lard trouvé
dans la ferme.
Enfin nous repartons pour aller occuper le village de Charleville que les nôtres ont pris la veille. Nous marchons sous les arbres jusqu’à un certain point mais la mitraille balaie tout le terrain et l’on s’arrête à 2 kilomètres du village.
Le soir, nous
retournons coucher à la ferme de la veille. Pendant tout le terrain de combat,
c’est très dur de part et d’autre. Nous avons fait 150 prisonniers, nous les
mettons dans la ferme.
Nous avons reçu l’ordre d’aller occuper Charleville, le régiment s’y trouve déjà.
Nous repartons donc
sans manger le soir pour aller à Charleville que les Allemands ont quitté en
hâte, laissant leurs tranchées remplies de cadavres des leurs. Nous sommes obligés pendant ce trajet de nous
arrêter fréquemment pour échapper aux obus qui tombent encore à proximité de
nous.
La nuit est enfin arrivée et nous aussi, on
n’aperçoit plus que les lueurs de l’incendie. Le soir, nous entrons avec nos
ambulances à Charleville.
Enterrement la nuit de l’adjudant LHOTELLIER,
du 47ème. (*)
(*) : Mathurin Jules Marie
LHOTELLIER, adjudant-chef au 47e RI, mort pour la France le 7 septembre 1914,
tué à l'ennemi à Charleville. Il était né à Lamballe (35) le 26 mars 1880. Voir sa fiche.
À 6 heures du matin, en avant sur la place de l’église. (*)
Elle est d’un aspect lamentable, couverte de
débris de toute sorte. L’église, elle, flambe encore depuis deux jours et sa
toiture flambe sous nos yeux en terminant de se consumer. Du reste, le toit
tout entier s’effondre dans l’intérieur ; il est 7h 30.
Quel spectacle de ruines offre ce petit
bourg.
À 8 heures, toujours en avant. Halte à 2 kilomètres plus en avant, le Petit-Morin. (**)
À 10 heures, arrivée à la ferme
de Pommerose. Là, nous retrouvons 190 blessés
allemands non évacués à temps avec leurs infirmiers.
Le soir, nous couchons dans la ferme assez
tard.
(*) : L'église
de Charleville
(**) : C'est une rivière
À 3 heures le lendemain, debout. Nous voilà partis suivre le régiment dans une vaste plaine.
Bientôt nous arrivons de nouveau sur une belle crête d’où l’on pouvait voir très loin. Le résultat de notre installation ne se fit pas attendre : nous étions à peine assis là depuis 10 minutes qu’une pluie d’obus nous arrive. Nous commençons alors de nouveau une fuite éperdue à travers cette plaine complètement à découvert, à la merci de l’artillerie ennemie. Aussi, elle ne nous ménagea pas ses obus de petit et gros calibre.
Quant au bout d’un quart d’heure de course nous nous sommes retournés pour juger des effets de l’artillerie, nous voyons ces gros obus tomber en plein dans les rangs des camarades qui se repliaient.
Nous les perdions de vue par moment, tant la fumée était épaisse.
Oh, c’était terrible et tout cela ne nous empêchait pas d’être continuellement exposé à être blessé ou tué par les obus qui nous tombaient dans le dos à 100 mètres à peine.
Enfin, obligés de reculer par suite de cette fausse manœuvre, nous perdons le terrain gagné la veille. Nous revenons sur le même terrain qu’hier.
C’est en s’y rendant que nous passons devant les tranchées occupées la veille par les Allemands. Oh, quel spectacle !
Une rangée de 20 cadavres ennemis couchés les uns sur les autres.
Oh, c’est horrible à voir, ces figures-là fauchées par nos 75 à leur sortie des tranchées. Mais le spectacle a été encore plus douloureux quand, de l’autre côté de ces tranchées, nous avons aperçu une douzaine de soldats français couchés eux aussi pour toujours, à 10 mètres de leurs ennemis. Ils tiennent encore dans leurs mains crispées leur fusil, la baïonnette au canon. J’ai regardé le régiment de l’un d’eux : c’était le 41ème à Rennes.
J’ai longtemps songé à sa famille, à ses amis. Hélas ! Et j’ai réfléchi…
De là, nous arrivons à un petit bois où l’on se met comme on peut à l’abri des obus qui pleuvent toujours.
C’est là que nous apprenons la mort de notre colonel (*), frappé d’un éclat d’obus en même temps qu’un de nos lieutenants de mitrailleuses.
On vient nous prévenir d’aller les relever mais les obus pleuvent tant qu’il nous est impossible d’y parvenir.
Cette triste mission est remise à la nuit.
Dans la soirée, profitant d’une accalmie, nous avons pu ensevelir notre colonel ainsi que le lieutenant. Nous nous sommes ensuite reposés la nuit à Charleville de nouveau.
Dans la soirée, les derniers coups de canon allemands cessèrent tout d’un coup. C’était leur retraite qui commençait : la grande bataille de la Marne était gagnée pour nous, les Allemands repartaient chez eux !
(*) :
Lieutenant-Colonel Jean Joseph René Georges Marie Daniel PONCET DES NOUAILLES.
(**) : En plus du colonel,
c’est, selon le JMO, le capitaine adjoint qui a été tué Georges
Jules Désiré LIEUTARD, le lieutenant Le
Barillec de la 2e section de mitrailleuses n’étant que blessé (il
décèdera en 1916 après être passé capitaine), ainsi que 2 sous-lieutenants de
la 11e Cie.
En avant, à 5 heures du matin, pour suivre et chasser les Prussiens en retraite.
Au bout de 3
kilomètres, nous arrivons à Le Thoult, petit village
occupé la veille par les Allemands.
Tout le long de la route, des cadavres de gens et de chevaux, des débris de toutes sortes, des restes de repas interrompus précipitamment, des effets, des casques, des armes et par-dessus tout, une odeur repoussante provenant des cadavres restés en décomposition dans les fossés et les chemins.
À 200 mètres du bourg,
on aperçoit sur une hauteur des pièces d’artillerie lourde qui ont été
détruites par nos 75. Notre commandant, comme nous passons à 300 mètres de là,
nous permet de nous en approcher et d’aller voir le travail accompli par nos
pièces.
Quand nous arrivons près des pièces, ah, quel spectacle !
Elles sont complètement détruites, brisées, tordues, les roues arrachées.
Mais ce n’est là que le dégât matériel.
Tous les servants ont été frappés au pied de leurs pièces, 8 cadavres horriblement mutilés, hachés, couchés là. L’un n’a plus de tête, l’autre est coupé en deux, un autre n’a plus que les jambes de visible…
Jamais je n’ai vu plus terrible et tout cela carbonisé par l’explosion
de leurs propres obus sur lesquels les nôtres étaient tombés. (*)
Enfin, après 20 minutes de cette vision, on est reparti à la hâte. Tout
le long de la route, des débris de toutes sortes et toujours des fuyards tués
et des cadavres de chevaux partout, des armes, des harnais, des caisses de
toutes sortes.
Nous arrivons à Champaubert. Nous voyons et
saluons en passant le monument élevé en l’honneur des Français morts là en
1812, sous Napoléon.
Nous faisons la grande halte.
Une heure après nous repartons pour Varenne.
Nous passons à Bergères, l’église et la mairie sont remplies de 180 blessés
allemands. (*)
(*) : C'est
aussi relaté dans le journal du régiment.
Il semble manquer la journée du 11 septembre. D'après le
journal du régiment, le 47e RI va de Bergères à Épernay et cantonne la nuit
dans la caserne des chasseurs à pieds
Nous traversons Épernay à travers une population enthousiaste.
Nous passons la Marne sur un pont construit par le génie, sur l’emplacement du pont que les Allemands avaient fait sauter. Nous allons jusqu’à Ay, pays du bon vin.
Nous nous y arrêtons et sommes bien reçus par ces braves gens : du pain, du vin, des confitures.
Vers 3 heures de l’après-midi, la pluie qui nous avait suivi depuis notre sortie d’Épernay recommence à tomber jusqu’au soir à 8 heures. Nous arrivons à cette heure à la ferme de Puisieulx, 4 meules de paille sont allumées pour nous faire sécher, nous sommes complètement traversés.
Le soir, nous cantonnons dans la ferme.
Départ de Puisieulx pour la ferme Couraux pour suivre le régiment qui gagne du terrain. Le combat étant engagé par notre infanterie depuis le matin, tout marche bien pour nous.
D’où nous sommes nous
apercevons Reims de loin, devant nous. Et le soir, nous voyons des incendies
dans cette ville par les Allemands.
À midi, un violent duel d’artillerie nous oblige à nous replier sur un peu de terrain en arrière de Puisieulx.
Nous nous dirigeons vers le château de Romont à 1,5 kilomètre. Nous y arrivons en passant par une aile qui avait été sérieusement défoncée par les obus.
Départ à 7 heures du matin du château de Romont pour aller à la ferme Couraux.
Matinée assez calme.
Voir la carte pour situer ces lieux près de Reims >>> ici <<<
L’après-midi, petit duel d’artillerie mais
sans importance notoire pour nous qui sommes pourtant dans le champ de tir de
l’artillerie ennemie.
Quand vers 11 heures du soir, les Allemands
commencent le bombardement du village où nous sommes et de la ferme en
particulier. Le bombardement devient terrible, nos blessés que nous avions
ramenés et mis à l’abri la veille dans les écuries et les étables ne furent
plus en sécurité.
C’est alors qu’il fallut, au prix de mille
dangers, les emporter en hâte sur nos épaules et les transporter au château
distant d’au moins 3 kilomètres et sous les obus qui tombaient de plus en plus.
Par miracle, il n’y a pas eu d’accident parmi nous ni nos blessés, mais ce fut
tout juste, plus d’un obus ayant éclaté bien près de nous. Quant à la ferme,
les maisons derrière, tout était en feu, c’était lugubre.
Tous nous pûmes nous échapper à temps. Deux camarades eurent l’imprudence de vouloir sortir au plus fort du bombardement d’une grange où ils étaient à l’abri.
Ils tombèrent tous les deux, tués sur le coup par un obus. Pauvres malheureux !
Enfin, après bien des peines, nous arrivâmes au château, lassés et tout impressionnés de ce que nous venions d’entrevoir.
Journée de repos pour les brancardiers, le combat étant moins terrible que ces jours derniers. Nous profitons de cette journée pour enterrer les pauvres blessés installés au château et qui sont décédés des suites leurs blessures.
C’est alors que nous
assistons à une cérémonie vraiment touchante. L’aumônier militaire précédant ce
convoi mortuaire défile devant les officiers qui saluent respectueusement au
passage de chaque civière. J’y ai assisté et j’en ai été très ému.
J’ai compté 19 cadavres, de ces pauvres soldats frappés si durement tout jeunes encore par l’impitoyable mort.
Ce fut impressionnant et j’en garderai le souvenir ineffaçable.
Coup de foudre : nous apprenons au château
que les gens de la ferme Couraux sont des espions.
Aussi on procède immédiatement à l’arrestation des gens ci-nommés.
Bientôt nous les voyons faire leur entrée au
château, escortés par les gendarmes ; il y a deux hommes et trois femmes.
Ils avaient entretenu des Allemands dans leur maison en cachette, après
que ceux-ci étaient partis et ils prétendaient que ces Allemands étaient malades,
mais on s’est aperçu de leur mensonge, à temps.
Nous restons encore au château.
Le combat dure
toujours autour de Reims, le canon gronde au loin mais les Allemands sont indénichables de là. Nous apprenons qu’ils sont retranchés dans les forts aux alentours de
Reims et qu’ils seront difficiles à expédier de là.
Journée assez calme, pas de blessés. Accalmie passagère.
Dans le journal du régiment, il est noté qu'ils reçoivent un
renfort de 800 hommes venant du dépôt du régiment.
Départ à 8 heures du matin, nous marchons
pendant toute la journée.
Nous cantonnons près de Reims, dans un rayon
de 10 kilomètres.
Vers 3 heures, nous nous arrêtons en arrière
de Reims. On fait le café en plein sur une plaine à découvert et il fait
salement froid.
Nous avons pourtant fait 25 kilomètres de
marche. On se propose d’y passer la nuit au bord d’un petit bois.
À 7 heures du matin, ordre est donné de
partir cantonner de nouveau à Rosnay, à 2 kilomètres de là.
Nous cantonnons de nouveau chez M. Théodore Dubois, nous passons la nuit-là et nous y reposons à notre
aise.
Réveil à 2h 30, départ à 4h30 pour
Saint-Brice-Courcelles où nous avons installé un poste de secours.
Le 47ème n’est pas engagé depuis ces jours derniers.
Puis nous arrivons dans une vaste plaine à découvert, d’où l’on voit les obus
d’assez près tomber. Quelques blessés nous arrivent en effet quelques instants
après notre installation.
Le soir, nous assistons plein de
découragement à la destruction de la cathédrale de Reims, on la voit flamber à
2 kilomètres devant nous.
À 6 heures du soir, ce n’était plus qu’un
immense brasier.
Nous avons passé la nuit dans la ferme où nous étions.
Départ à 7 heures pour Rosnay, arrivée à 11 heures. Nouveau départ à 15
kilomètres pour Thillois où nous cantonnons.
Départ à 14 heures pour Germigny,
à 8 kilomètres.
Halte de 3 heures dans une prairie, nous arrivons au cantonnement à 20
heures.
Nous restons en réserve au cantonnement.
Départ à 4 heures, marche de 10 à 12
kilomètres et arrêt à 9 heures dans un pré en vue de Trully.
Nous y passons une partie de la journée en revenant à Germigny, étant repartis de Trully
à 18 heures.
Départ à 4 heures et arrivée au même
cantonnement que la veille. Nous y passons tranquillement la journée au repos.
Retour à 18 heures pour Germigny,
l’étape de 12 kilomètres est très dure par suite d’une marche à travers bois, champs,
marécage et en pleine obscurité.
Et puis lorsque nous avons repris la grand-route, les premiers
voulaient probablement rattraper le temps perdu et se sont mis à courir comme
des fous pendant 2 kilomètres.
Départ à 5 heures pour Coulonges, dans l’Aisne, près de Nesles-la-Tuilerie. Étape de 35 kilomètres nous arrivons à
17 heures et nous cantonnons.
Départ à 4 heures du matin mais par suite d’un retard dans le réveil, la Musique se voit obligée de doubler tout le régiment qui était parti avant nous.
Nous doublons donc
les voitures de compagnie et tout le 10ème d’artillerie et nous faisons à peu
près 4 kilomètres au pas de course.
Nous passons par La Fère-en-Tardenois, Vichel-Nanteuil et enfin, par une fatigue éreintante, nous arrivons après toute une journée de marche à Silly-la-Poterie. Nous cantonnons dans une grange.
Départ à 5h 30 pour Rully
par La Ferté-Milon, Boursonne, dans l’Oise, Ivors, Crépy-en-Valois.
Le soir, nous cantonnons dans une écurie à Rully. Étape de 35 kilomètres. Bon accueil à Crépy, nous
sommes très bien reçus par les habitants au départ, le matin.
Le régiment a mis ses sacs dans les autos au service du 47ème. Comme
toujours, il y a des incidents stupides, plusieurs gardent leurs sacs par
punition.
Départ de Rully à 8
heures pour Verberie, arrivée à 11 heures. Nous sommes cantonnés dans une
fabrique de faux-cols.
Ici, nous sommes à 14 kilomètres de Senlis,
17 de Compiègne et 55 de Paris.
Depuis trois jours de beau temps, nous avons le plaisir de voir nos
amis les Anglais.
Départ de Verberie pour l’embarquement à 3
kilomètres. Nous faisons une pause à mi-route pour manger un morceau et se
reposer.
Embarquement à Lacroix-Saint-Ouen pour
Marcelcave par Longueau.
Départ à 7 heures et arrivée à 11h30.
Halte d’une heure et nous avons continué
notre tour par Villers-Bretonneux, Querrieu pour
arriver à Montigny, dans la Somme.
Étape de 22 kilomètres, nous arrivons au cantonnement extrêmement fatigués,
nous nous y reposons.
Repos pendant la journée, travaux de
propreté, couture et cuisine.
Alerte à 19 heures, départ à 21 heures pour
Mailly. Arrivée à 3 heures du matin où nous cantonnons.
Étape de 20 kilomètres.
Réveil à 9h30 cantonnement à Mailly-Maillet
dans une maison bourgeoise.
Très bon accueil. Nous profitons pour faire
des emplettes, des achats considérables car depuis longtemps on est sans
ressources. Aussi nous arrivons avec joie dans cette petite ville, nous
achetons du pain, du vin, du linge, du chocolat, des gâteaux, etc.
Départ à 2 heures de l’après-midi pour
Hannescamps, Pas-de-Calais.
Étape de 15 kilomètres. Nous y cantonnons.
Départ à 3 heures et étape de 8 kilomètres.
Nous entendons une vive fusillade près du
village de Boisleux-Saint-Marc, quelques obus sont venus nous saluer, mais sans
dommage pour nous.
Le soir, nous cantonnons à Mercatel.
Nous sommes restés toute la matinée dans une
prairie et nous sommes partis installer un poste de secours dans une ferme.
Pendant la journée, aucun service, le 47ème
n’ayant pas été engagé.
À 21 heures, une équipe de nuit est allée du
poste de secours à la ligne de feu.
Puis nous avons traversé le village de
Neuville-Vitasse, complètement en feu. Les toits étaient tout démolis par les
obus ennemis.
Retour au poste à 23 heures, nous y cantonnons.
À 3 heures, nous entendons une vive fusillade
de tous côtés.
À 7 heures, le poste de secours se replie
pour se reformer sur la route de Beaumetz-les-Loges. Nous installons un poste
de secours sur la route d’Arras puis comme les obus nous tombent dessus, force
nous est de nous porter plus loin sur Ficheux.
Nous y sommes restés et n’avons cessé de
porter des blessés, du 47ème surtout.
À 20 heures, nous recevons l’ordre d’aller
repérer le terrain.
Nous partons jusqu’à Mercatel.
À peine y sommes-nous arrivés que les balles
nous pleuvent de partout. Et quelques instants après, les obus se mettent de la
partie. Alors force nous est de nous précipiter à l’abri des maisons et pour ma
part, je m’abrite derrière une meule de paille. Quels moments j’y ai passé !
Pendant 20 minutes que j’ai cru des siècles,
tant c’était long à attendre, une accalmie enfin arriva, nous en profitâmes
pour aller relever les blessés qui venaient d’être touchés et nous les
transportâmes à Ficheux car la nuit était arrivée.
Pendant tout ce
transport jusqu’à Ficheux, c’est-à-dire 4 kilomètres, les balles n’ont pas cessé
de pleuvoir mais heureusement aucun de nous ne fut touché, Dieu merci !
Le village de Mercatel derrière nous ne formait plus qu’un brasier. Et le canon qui crachait toujours, ainsi que les fusils. C’était triste à voir.
Nous arrivons au poste
à 23 heures.
Le réveil est à peine
sonné que le canon crache déjà dur de part et d’autre, même que bientôt les
obus allemands approchent de bien près. C’est alors que l’ordre est donné de faire replier le poste de secours avec
tous les blessés de la veille.
Nous filons vers Arras.
Les obus pleuvent bientôt de toutes parts,
nous voyons notre artillerie se repliant au galop, devant nous, tout cela au
milieu des obus qui tombaient partout.
Il fallait voir cela pour s’en faire une
idée. Les routes étaient encombrées de voitures, de chevaux, de canons,
d’hommes et de blessés. C’était la retraite en désordre, arrêtée du reste
bientôt sur une hauteur éloignée.
Nous nous arrêtons à l’entrée du village
d’Achicourt ou du haut du ciel un superbe Taubes (*) nous regarde défiler. C’était peut-être
celui-là même qui avait repéré nos batteries le matin même. Puis nous
traversons le bourg d’Achicourt. Notre artillerie ayant repris position,
déverse sur les Boches qui s’avancent sur la route de Ficheux des bordées d’obus
qui font du beau travail.
Le soir, nous cantonnons à l’entrée du bourg
de Dainville.
Notre situation n’est pas très belle par
rapport au recul de la journée. Nous sommes maintenant dans un fer à cheval.
Réflexions.
(*) : Avions allemands
À 8 heures, nous recommençons à entendre les crapouillards.
Le poste de secours est replié dans une ferme à la sortie du village. Bientôt les gros obus nous pleuvent bien près et nous nous éloignons du village pour nous abriter plus loin. Nous nous mettons à l’abri des meules de paille.
À 11 heures, deux rafales d’obusiers tombent à 25 mètres de nous. Effrayés comme de juste par leur arrivée et leur fracas, nous nous éloignons plus loin en courant. À peine à notre nouvel abri, une nouvelle rafale nous arrive à 10 mètres, celle–là.
Quel spectacle j’ai vu à l’endroit où ils étaient tombés, c’était justement un groupe d’artillerie.
Dans l’affolement causé par cette nouvelle rafale, tous nous nous sauvions en toutes directions pour nous abriter ailleurs et en vitesse…. En passant, nous voyons un spectacle épouvantable, des pauvres artilleurs couverts de sang qui nous appellent en passant. Oh, c’est affreux !
Nous leur disons que l’on vient tout de suite. Et en effet pendant que les autres s’enfuient à quelques centaines de mètres plus loin et à l’abri, je reviens sur mes pas avec deux ou trois camarades pour porter secours à ces pauvres blessés.
Ah, ce que j’ai vu là !
Un pauvre malheureux haché, des chevaux éventrés, des meules de paille rouges de sang, des débris de chair et de toute sorte et là nous voyons quelques pauvres blessés affreusement abîmés que nous pansons le mieux possible et je repars rejoindre mes camarades plus loin.
Dans l’après-midi, nous sommes partis pour
aller cantonner à Varlus.
Devant, nous apercevons Arras et son grand
beffroi.
Le soir, une équipe de brancardiers et musiciens sont allés faire la
relève des blessés.
Nous sommes partis à 8 heures sur la route d’Arras
et nous nous sommes arrêtés devant la grande ligne de chemin de fer à 2
kilomètres d’Arras.
Là, nous formons une équipe de 20 musiciens
et nous sommes partis à Achicourt, à 1 kilomètre, pour installer un poste de
secours.
Arrivés à Dainville, nous avons été obligés
d’entrer dans l’intérieur d’une ferme et de nous abriter dans la cave d’une
briqueterie.
Les crapouillards tombent de partout autour
de nous.
Enfin après 2 heures d’attente, profitant
d’une accalmie, nous avons pu en nous faufilant gagner le poste.
Le soir, nous repartons pour Warlus.
Départ à 8 heures pour venir au même
emplacement que la veille.
Là une autre équipe a été détachée pour aller
à Achicourt, pour la relève des blessés.
Mon équipe se repose aujourd’hui.
Retour à 8 heures de Warlus
pour la relève. Comme la veille, aujourd’hui, quelques blessés nous arrivent et
sont pansés bien vite.
Le soir nous couchons au poste de secours.
Nous passons notre journée à coudre et à laver du linge. Le temps est superbe ces jours-ci.
Pendant ce repos, je
profite pour écrire et pour lire ; on ne se croirait plus à la guerre si de
temps en temps quelques obus ne venaient tinter à nos oreilles et vous dire :
Oh là ! N’oublie pas la guerre !
Nous cantonnons encore au poste de secours.
Même journée au poste que la veille.
Nos 75 ne cessent de tonner pendant que les leurs ne cessent pas, à part quelques coups vers 16 heures, sans faire de dégâts.
Même travail et même tranquillité.
Toujours journée assez calme. Couture et travaux divers.
Enfin le soir à 21 heures, nous sommes
réveillés par une fusillade d’abord lointaine qui se continua jusqu’à 22
heures.
La fusillade et la canonnade ne cessant de gronder,
nous nous levons en hâte en cas de bombardement du poste de secours ou de
retraite. Nous bouclons nos sacs et sommes prêts.
Ce n’était qu’une simple attaque des Boches pour entamer les nôtres
mais nous avons bien tenu et aucun recul n’a eu lieu.
Repos toute la journée ; peu de canons, quelques coups de feu isolés. Des aéroplanes allemands font leur petite randonnée au-dessus de nos lignes mais sont bientôt chassés par les nôtres qui les envoient chez eux.
Le bombardement d’Arras continue et abat le magnifique beffroi, ce n’est plus qu’une ruine.
Toujours des aéroplanes, des coups de canon fréquemment mais sans effet pour nous. Arrestation d’Allemands.
Arras recommence à être bombardé, la gare reçoit sa part de projectiles.
Repos le matin, quelques coups de fusil.
Dans l’après-midi, une
batterie de 220 allemande nous envoie quelques obus qui sifflent tout au-dessus
de nos têtes et à quelques mètres du poste de secours.
Enfin ça se termine, la nuit est calme, Arras brûle toujours.
Vers 8 heures, quelques gros obus recommencent à tomber. L’un tombe à une quinzaine de mètres du poste de secours. Quelques éclats retombent mais aucun de nous n’est blessé.
L’après-midi est assez calme.
Repos et calme général.
Même journée que la précédente.
Nous évacuons le poste de secours pour se reporter sur la route d’Arras, à Achicourt même. Nous cantonnons dans une immense grange, le confort est moderne, la journée est calme.
Repos et calme en général.
À 19 heures et pendant 20 minutes, notre artillerie bombarde Beaurains, feu à volonté.
Repos, très peu de fusillades mais vive canonnade vers Arras. Passage d’aéroplanes français et boches.
Journée comme la précédente.
Vive canonnade une partie de la journée. Vigoureuse reconnaissance d’aéroplanes de part et d’autre.
Véritable duel d’artillerie.
À 18 heures, nous
entendons une vive fusillade nourrie.
Un ordre nous est donné de nous tenir prêts à partir en cas de retraite, mais aucun changement n’eut lieu pendant la nuit.
Véritable duel d’artillerie.
Arras est de nouveau bombardée à la tombée de la nuit.
Les obus pleuvent de tous côtés mais nous craignons un nouveau bombardement de notre ferme. Les obus éclatent derrière la ferme où nous sommes. Nous nous abritons pour le mieux car les « shrapnells » tombent partout.
Enfin la journée se termine
sans accident.
La Fête de la Toussaint est respectée en général partout, aussi c’est peut-être pour cette raison que la journée fut calme, à peine 7 ou 8 obus et ce fut tout. Nos ennemis ont fait preuve d’initiative.
La journée se passe comme la précédente mais
avec cette seule différence qu’en ce jour aucun coup de canon, aucun, ne se fit
entendre.
Respect du jour des morts.
Seulement dans la nuit, à 2h 30, le 1er
bataillon du 47ème essaie de reprendre la briqueterie cédée la veille par le
25ème d’infanterie.
Ils
avaient essayé d’avancer contre cette position mais ils s’étaient trop vite
repliés sous la menace d’être tournés et cernés.
L’attaque fut très vive de part et d’autre,
c’est pris en écharpe que les nôtres furent obligés de reculer à leurs
anciennes positions.
Seulement cela nous coûta cher : 110 blessés et 60 à 70 disparus ou
morts.
Le journal du régiment (JMO) précise :
Le bataillon a perdu 30% de son effectif durant
l'attaque de la briqueterie de Beaurains, soit : 24 tués (dont 3 officiers),
188 blessés (dont 2 officiers) et 104 disparus (dont 1 officier).
Carte tirée du JMO (document SGA)
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agrandissement
À 6 heures, nous
sommes partis du poste de secours d’Achicourt pour le transfert dans les
faubourgs d’Arras, plus près pour la relève des pauvres blessés restés sur le
terrain.
Nous sommes donc à Saint-Laurent, c’est un pauvre petit coin de ville complètement dévasté par les obus. Il n’en reste plus que les débris, les maisons n’ont plus de toits, des pans de murs noircis, des décombres sans nombre…
Nous partons donc chercher les blessés de la nuit. Nous traversons des rues barrées, des murs percés dans les propriétés pour laisser passer la troupe en cas de recul et pour éviter les routes. Nous sommes ainsi arrivés aux premières tranchées françaises, à 200 mètres des tranchées allemandes, que nous voyons devant nous.
Nous avons essuyé quelques coups de fusil en traversant une rue complètement déserte pour nous rendre de l’autre côté.
Au milieu de cette route, à 100 mètres, était une tranchée boche ; on n’était pas rassuré !
Nous sommes rentrés à midi au
poste d’Achicourt.
Une équipe est repartie le soir
pour aller relever les blessés que nous n’avions pas pu relever le matin, étant
trop près des Allemands.
Journée assez calme.
À 17 heures, une équipe de 8 musiciens est
envoyée à Saint-Laurent pour tenter de ramener les dernières victimes de la
briqueterie, mais le magnifique clair de lune ne nous donne pas la possibilité
d’y parvenir.
Et de plus, à l’examen par les nôtres, un
soldat et un major qui réussirent à s’avancer assez près sans être vus, nous
firent savoir que les corps des officiers que l’on recherchait étaient à peine
à 25 mètres des Boches et que c’était risquer gros que d’essayer de les
transporter.
Nous sommes revenus la nuit à notre poste de
secours.
Nous avons traversé Arras au retour, c’était la première fois que je
voyais la ville.
Rien de nouveau ni de grave dans la situation, sauf les fusillades continuelles à la tombée de la nuit, toujours des contre-attaques ennemies qui sont toujours repoussées avec pertes.
Nous voyons pour la première fois l’apparition
de la neige. Matinée assez calme mais vers 14 heures, l’artillerie allemande
recommence à nous envoyer des obus et
des gros de 220.
Par malheur, un de ces gros engins tombe
jusque dans la cour où se trouvent les conducteurs mitrailleurs en train de
cantonner. Alors c’est encore le spectacle de carnage.
On nous prévient d’aller en hâte relever les
blessés qui venaient d’être frappés de manière imprévue. Nous en comptons 15,
blessés plus ou moins grièvement.
Le plus triste, c’est qu’il y ait 3 morts
parmi eux. Tout cela près de notre cantonnement, à 200 mètres à peine !
Encore un deuil de plus pour le 47ème.
Toujours de l’artillerie en danse, toujours
des obus qui vont tomber sur Arras ou à la citadelle, à 500 mètres d’Arras.
Tous ces obus passent sur nos têtes avec des bruits affreux et vont
éclater devant nous.
Les
obus tombant de plus en plus près de notre poste de secours, nous avons
entrepris, en cas d’un bombardement du bourg, de construire une grande tranchée
pour nous abriter en cas de bombardement.
Elle est en pleine construction, elle est profonde de 2,50 mètres, une des ailes a 10 mètres de long et l’autre, plus large et moins longue, a 7 ou 8 mètres. On se promène debout à l’intérieur. Maintenant les travaux n’avancent pas très vite car la neige est venue faire son apparition, gênant les travaux. Il fait très froid et la gelée a tout transformé en véritable casse-cou tous les endroits mouillés.
Il fait un froid de loup ; que va nous
réserver l’hiver si ça commence d’aussi bonne heure ?
Qui vivra, verra !
Matinée d’artillerie.
La neige rend le
terrain très difficile surtout quand il a gelé dessus. Le temps est très froid.
L’après-midi, deux ou
trois obus boches viennent encore faire des victimes. Une maison sur l’arrière
des tranchées françaises est frappée par un des projectiles et est démolie.
Plusieurs soldats sont dedans, l’un d’eux est tué et deux autres blessés, assez légèrement du reste. Puis tout rentre dans l’ordinaire.
Journée comme la précédente, moins les accidents. Toujours la fusillade et quelques coups de canon.
Nos aéroplanes profitent de la matinée qui est splendide mais froide pour faire des reconnaissances.
Fête des Musiciens – Sainte Cécile -.
La matinée passe assez
calme, on ne sait pas si ce n’est à cause de notre fête. Encore quelques obus
sur des convois de chevaux allant au bain.
L’après-midi,
préparatifs pour le dîner du soir qui doit être superbe. Ma foi, ce n’est pas
tous les jours notre fête !
Aussi, pour un instant, on oublie les crapouillards.
À 5h 30, « Attaque du menu » dont voici l’extrait :
Potage vermicelle
Entrée
Lard sauce ménagère
Choucroute de Munich
Rôti de bœuf en sauce
Pommes sautées
Dessert
Croustades chardon
Flan d’œufs
Gâteau
Vins
Café
Cognac
Et puis on s’est bien amusé, après on a chanté et fumé quelques cigares et cigarettes.
Et comme l’esprit français est toujours plein d’ingéniosité, un de nos camarades a transformé le menu de cette façon :
« Halt Verda »
Potage « Shrappnels »
Entrée
L’art à la « Kultur »
Choucroute « Bavaroise »
Salade turque
« Guillaume » rôti sauce impériale
Pommes sautées à la « dynamite »
Dessert
Croustades « Zeppelin »
Flan « Ké-Yger » (dans l’Iser)
Vins du Rhin
Café « Kon-pring »
Liqueurs « Cric Krupps »
Londres « 420 »
Cigarettes « 77 », allumettes « Doum-doum »
Pour un menu salé, c’en était un ! Si St-Guillaume tombait là-dessus !
Hein ?
Journée tranquille comme lendemain de fête, c’était tant mieux !
Quelques coups de fusil le soir, une contre-attaque peut-être et ce fut tout.
Journée calme comme la précédente, toujours quelques obus et c’est tout.
Dernier jour passé à Achicourt, joli petit pays où nous avons passé le meilleur temps de la campagne ; Aussi nous partons à contrecœur, nous y étions depuis 5 semaines et on y était bien habitué.
Nous nous rendons à Dainville pour de là nous diriger vers le nord d’Arras.
Nous quittons Achicourt à 6 heures du matin et arrivons à 7h 30 à Dainville.
Là, nous retrouvons
la moitié de la Musique que nous y avions laissée 6 semaines avant, bien
contents de nous revoir après si longtemps. Nous dînons ensemble.
Le soir à 5 heures,
en route pour notre nouvelle résidence.
Nous passons à Sainte-Catherine et nous arrêtons dans une grande minoterie où nous nous installons, la Musique et les brancardiers. Nous y passons la nuit.
Nous passons la journée ici et l’on prépare pour le soir une équipe de 8 musiciens pour aller installer un poste de relève pour les blessés sur la ligne de feu. Le hasard voulut que ce soit mon équipe à partir la première des trois.
Aussi, après avoir
passé la journée à la minoterie, le soir à 5 heures, c’est-à-dire à la tombée
de la nuit car le jour c’était impossible d’approcher, c’est dans une maison
isolée sur une crête, à 800 mètres des tranchées boches, que nous nous
installons. La maison a été complètement bombardée et brûlée et il n’en reste
plus que quatre murs debout.
Seulement il y a
encore une cave assez solide, croit-on, et c’est là-dedans que l’on doit vivre
ces temps-ci.
Pour s’y rendre, comme c’est impossible en plein jour et même de nuit car les balles sifflent sans relâche, on a creusé une tranchée profonde de 1,10 mètres dans laquelle on passe pour la relève le soir.
Il faut en passant dans ce boyau se plier un peu pour bien s’abriter. Donc, c’est une cave qui est notre chalet ces jours-ci.
Comment cela ira ici,
on ne le sait pas, car cette maison est isolée sur cette crête continuellement
balayée par l’artillerie ennemie.
Enfin…
Nous passons notre première nuit et notre
premier jour dans cette cave. Quelques obus nous viennent dans la matinée mais
sans dommage. Deux aéroplanes, un français et un boche, passent sur nos têtes.
Si jamais les Boches savaient que nous sommes
une douzaine de soldats, là sous la terre, ils nous feraient expédier quelques crapouillards. On n’est pas si fiers que cela, on se cache
le plus possible, on ne voit pas le jour.
Nous vivons à la lumière d’une lampe toute la
journée.
Donc, rien d’anormal pour la première journée.
Le soir seulement, vers 4 heures, nous assistons de loin et sans nous faire
voir à la panique causée parmi les Boches chassés de leurs tranchées par nos
canons de 75.
On les voyait s’enfuir partout devant nous et nos obus tombaient dessus
sans arrêt. Quel spectacle, « de loin » !
Enfin le soir, on est rentré sans anicroche
car il faisait au moment de la relève un clair de lune superbe qui nous obligea
à nous montrer circonspects.
En effet, on devait très bien voir au loin ce qui se passait sur la
crête.
Journée calme, quelques coups de canon par-ci, par-là, mais pas où nous sommes.
L’après-midi se passe
sans inconvénient.
Le soir nous couchons à la minoterie.
Journée calme assez régulière.
Cependant à 9 heures, nos 75 crachent un peu
sur les Boches qui ne répondent du reste pas, seulement le soir vers 4 heures,
ils nous rendent notre cadeau et nous expédient quelques marmites.
Nous avons le cheval de notre ambulance qui
en passant dans Arras a reçu un éclat d’obus dans le poitrail.
Pauvre bête ! Enfin ce n’est pas grand-chose…
La journée est calme et sans incident.
Le soir, nous allons de nouveau à la minoterie.
Canonnade ininterrompue au loin et quelques crapouillards sur Arras la nuit, pendant que mon équipe est dans la cave de l’ Équarrisseur.
Pendant la journée,
plusieurs aéroplanes s’envolent explorer le pays.
Enfin, le soir arrivé, nous repartons pour notre cantonnement sans incident.
Je profite de mon temps
dans cette cave du poste de secours pour m’amuser à sculpter sur les pierres du
mur qui sont en espèce de craie, tout plein de petits motifs au couteau. Je m’y
plais beaucoup ! Des camarades s’y essaient aussi ; enfin à cette heure, il a déjà
au moins une douzaine de gravures de faites : il y vient des visiteurs au musée
de la musique, enfin on passe son temps comme on peut…
Quelques coups de canon le matin de part et d’autre.
On apprend que les Zouaves ont donné cette fois avec plus de succès que la première fois. Ils sont arrivés à reprendre leur tranchée et à faire sauter la première occupée par les Boches. Ils auraient même pris deux mitrailleuses.
Bon résultat et bon travail.
La journée n’est pas
belle du tout, il fait un petit vent et de la pluie avec ça…. Je plains ceux
qui sont dans les tranchées.
Le soir, il fait noir à
ne pas voir à 3 mètres devant soi, aussi les fusées et les projecteurs marchent
souvent.
Journée froide et pluvieuse.
On s’ennuie et le soir
on doit partir à la tranchée. Il ne fait salement pas beau ; enfin, c’est
l’hiver et ce n’est que le début.
Le soir à 4h30, en
route pour la cave. On y arrive assez vite et libérés des appréhensions de la
traversée de la tranchée qui y conduit et où les balles sifflent souvent pour
nous mettre en garde.
Nous passons la journée à la cave, il fait un brouillard intense, on ne voit pas à 4 mètres devant soi ; Aussi les équipes de terrassiers travaillent-elles jour et nuit à creuser les endroits des tranchées qui ne sont pas assez profonds.
Pas du tout de canon et très peu de fusils ; journée calme en raison du temps qu’il fait.
Le soir, nous revenons au cantonnement parmi toutes les difficultés. Une nuit très noire.
Une attaque des nôtres à notre gauche nous fait assister à une vive fusillade. Aussi ça n’est pendant 10 minutes qu’une course, le dos plié dans les fossés pour éviter les balles.
Enfin, sales et dégoûtants d’avoir pataugé dans la boue et il y en avait quelque chose !
On réussit à s’abriter dans une maison au bord de la route en attendant une accalmie. Puis enfin, tout terminé, on repart pour la minoterie.
Libres et tranquilles encore pour 2 jours mais pas sans misère cette fois.
Journée calme de part et d’autre ; quelques coups de 75 le soir et c’est tout.
Chacun se repose. Je vais en compagnie d’un camarade visiter le cantonnement des artilleurs et nous assistons à un tir.
C’est très bien organisé et c’est plaisant de voir de près ce petit bijou qu’est notre 75, le soir nous rentrons et passons la nuit au cantonnement de la minoterie de Sainte-Catherine.
Journée passée sans encombre.
Nos grosses pièces donnent
tout le temps que nos 75 le matin. Le temps est légèrement beau mais dans
l’après-midi il recommence à pleuvoir.
À 5 heures, en route pour la caverne.
Journée passée à l’Équarrisseur.
La nuit, c’est une fusillade sans
interruption à laquelle se joint la mitrailleuse.
Le matin, vers 8 heures, quelques obus 77
viennent nous saluer dans notre propriété en ruine mais heureusement sans
accident. Quelques soldats de compagnie occupés à creuser une tranchée de
communication sont obligés de venir se réfugier dans la cave avec nous.
Dans l’après-midi, rien d’anormal, le calme
est rétabli, quelques coups de feu et c’est tout.
Le soir à 5h 30, départ pour le retour au cantonnement.
Toute la matinée, nos grosses pièces ne cessent de tonner. Les Boches répondent très peu, c’est cela du reste depuis quelque temps.
L’après-midi, on touche des effets neufs pour remplacer les trop vieux de déchirés, ainsi que des souliers et des chaussettes. Pour ma part, je prends une bonne paire de brodequins et une culotte ; et maintenant, en avant pour l’hiver, on n’aura pas froid. On nous apprend en même temps que maintenant l’on doit en allant à la tranchée, prendre 2 heures de garde chacun son tour.
Jusqu’ici ça n’avait pas été fait, aussi nous trouvons cela plutôt dur, surtout que c’est la nuit qu’il faut prendre cette garde et 2 heures, c’est long.
Enfin, rien à signaler
cette nuit-là.
Journée calme, quelques coups de nos grosses pièces le matin et quelques petits 77 l’après-midi et c’est tout.
Le soir, départ pour la
cave de l’Équarrisseur.
Journée remplie d’émotions ; le soir de notre arrivée, tout le trajet nous sommes salués par des balles. C’est la première fois que cela siffle tant, aussi on a été prudent.
La matinée, c’est une canonnade sans interruption, surtout nos pièces. Plusieurs de leurs petits 77 nous arrivent tout proche mais toutefois sans danger pour nous.
L’après-midi, même travail,
il faut continuellement rester dans la cave car ça ne cesse pas de tomber. Ce
n’est pas une journée gaie du tout.
Dans l’après-midi, on
nous envoie le corps d’un sergent du régiment qui vient d’être tué d’une balle
dans la tête.
Pauvre malheureux mais héros !
Le soir, nous
quittons de nouveau la caverne pour nous en retourner et ma foi, pas plus de
chance que la veille.
Les balles nous sifflent sans arrêt, c’est même une chance qu’aucun de nous ne soit touché sur la route qui est en pleine direction de tir et sans abri. Pas trop tout de même car le soir, quelques heures après notre passage, un soldat est blessé en pleine rue d’une balle à la jambe.
Ce n’est plus plaisant du tout d’aller là-bas.
Enfin, nous sommes de retour encore une fois, on n’y pense plus déjà.
Journée calme, quelques coups de 75 de temps à autre.
Dans l’après-midi, on nous annonce que le
deuxième de ligne va aller en avant pour un assaut et la prise d’un village
occupé par les Allemands. Ce ne sera pas une petite affaire car depuis deux
mois qu’ils y sont, ils ont du faire des travaux de défense terribles.
Le soir, ordre nous est donné de monter nos
sacs tout prêts en cas d’avance des nôtres car reculer dans des positions aussi
bien occupées que les nôtres et avec un rideau d’artillerie de tous calibres,
c’eut été impossible.
Donc nous nous préparons et de plus on nous
fait savoir qu’il fallait pour retourner au poste de secours de l’’Équarrisseur
une équipe nouvelle, en cas de besoin pour surcroît de blessés. Et comme
toujours, la malchance veut que ce soit mon équipe qui y aille.
Le départ nous est commandé pour le lendemain
à 6 heures, l’attaque devant commencer à 8 heures.
Puis, tout étant prêt, nous nous couchons.
Départ à 7 heures de la minoterie pour mon équipe : en route pour le poste de secours.
La journée s’annonce
belle, le ciel est clair et le soleil dore. Nous arrivons sans encombre et nous
attendons avec impatience le combat. Nous étions là depuis ¾ d’heure
lorsque nos batteries de grosses pièces commencent la danse. On nous prévient à
ce moment que notre artillerie doit donner pendant 2 heures consécutives. 3 000
coups de canon que nous avons à enregistrer, plus la réserve de chaque pièce,
c’est-à-dire 100 obus à peu près.
Maintenant des batteries, il y en avait quelques-unes…150 pièces au moins ont donné ; c’était par moment impossible de rester dehors, on était à moitié étourdis, on ne s’entendait plus causer, c’était assourdissant.
Jamais depuis le début de la campagne nous n’avions vu une pareille avalanche de mitraille. Dans le ciel ce n’était qu’un va-et-vient continuel, il fallait réellement voir cela, et pendant 2 heures et plus…
Extrait du journal du 47e RI
Dans notre poste de
secours, nous avions un grenier donnant juste sur le champ battu par nos
canons, nous assistions de loin à ce spectacle unique.
À 2 kilomètres devant nous, ce n’était que feu et flamme, par instant tout
disparaissait tant cela était épais.
Enfin vers 10h30, ce fut la fin de la
canonnade et le commencement de l’assaut. Nous y assistâmes plein d’émotion.
Nous vîmes les nôtres sortir de leurs tranchées, se mettre debout et,
baïonnette au canon, s’élancer sur les Boches.
Ce spectacle-là me restera toute
la vie. C’était admirable de courage.
Maintenant, ce ne sont plus les obus, ce sont
les balles qui marchent. Les nôtres s’élancent en plein terrain découvert à 200
mètres des tranchées ennemies, à 11 heures du matin, par un beau soleil.
C’était un tableau qu’eût envié un grand peintre « en toutes circonstances
».J’ai eu le bonheur d’assister de plus près à ce spectacle, grâce à
l’amabilité de monsieur le Médecin-Major qui était avec nous et qui daigna nous
prêter ses jumelles.
Enfin l’après-midi, ce fut calme. Les Allemands, qui ne nous avaient pas répondu pour ainsi dire, nous envoyèrent en manière de revanche quelques crapouillards mais sans dégât aucun. On nous annonça quelque temps après le résultat de cette lutte. Cela fut à notre avantage, nous avions gagné 500 mètres sur les Boches, pris le village de Saint-Laurent-Blangy et fait un certain nombre de prisonniers.
Les caves de Saint-Laurent en seraient pleines, dit-on, mais ils ne veulent pas se rendre.
Le soir, nous avons couché au poste de secours en prenant 2 heures de garde chacun. On s’attendait à une contre-attaque mais rien ne se produisit.
Départ à 8 heures du poste de secours pour
aller rejoindre notre équipe à la caverne et y reprendre le service normal.
Nous y passons la journée tranquillement.
Vers 10 heures du soir, les nôtres firent une
nouvelle contre-attaque mais plus loin que la veille, dans l’intention de
prendre un village maintenu par les Allemands, Beaurains.
Ce fut pendant cette nuit un nouveau
spectacle grandiose ; nous y assistâmes de notre cantonnement.
Une fusillade intense et des coups de canon
illuminant le ciel en même temps que des fusées lumineuses indiquaient les
points sur lesquels tirer. Les réflecteurs illuminaient la plaine, c’était un
véritable feu d’artifice.
Enfin, au bout d’une demi-heure, tout rentre dans le calme.
Journée employée par l’artillerie pour maintenir les positions prises les deux derniers jours. Canonnade assez violente la matinée.
Plusieurs aéroplanes profitent du beau temps, qui du reste est de courte durée, pour survoler les positions.
L’après-midi, calme parfait.
Canonnade sans intermittence, surtout de notre côté.
L’après-midi,
quelques crapouillards viennent tomber sur
Saint-Nicolas, village occupé par nous et auprès duquel sont installées des
batteries de 75.
Le soir, départ pour la
cave.
Journée de canonnade mais un peu moins fournie que la veille.
e soir, retour de l’Équarrisseur sans incident.
Canonnade le matin à 7 heures par nos 75, avec violence.
Canonnade de part et d’autre pendant ces deux
journées.
Le 24, les Allemands bombardent un petit
bourg, Saint-Nicolas.
Ils font quelques victimes et détériorent
quelques maisons.
Heureusement que le pays est évacué.
Dans la nuit du 24, nous faisons un petit réveillon, pas grand-chose car toutes les denrées ont été enlevées d’avance par les premiers arrivés de telle façon qu’on ne trouve plus rien.
La journée passe très calme, c’est réellement Noël. Journée calme et froide ; le matin, j’assiste à une messe basse… Ca me rappelle le pays.
Le soir, vers 4 heures,
un simulacre d’attaque a lieu et pendant 10 minutes ce n’est qu’une canonnade à
casser les oreilles.
Journée calme, quelques coups de canon de part et d’autre.
Toute la journée, canonnade sans
interruption.
Le matin, les Allemands envoient des crapouillards sur Saint-Nicolas. La journée n’est pas
chaude du tout ; pour moi, je suis dans la cave de l’Équarrisseur.
L’après-midi, vers 4 heures, une canonnade
nourrie et sans interruption éclate à notre gauche : ce sont les Anglais qui
attaquent et ce n’est pendant une heure qu’un roulement de tonnerre, un peu de
fusillade aussi.
La soirée se passe sans incident, le retour de la cave s’effectue avec tranquillité.
Le matin à 6 heures, debout car il va falloir assister, nous les Musiciens et les Brancardiers, à la remise de la Croix de la Légion d’Honneur à notre Médecin-Major David De DREZIGUE.
À 7 heures, nous partons
de la minoterie et nous nous rendons sur un terrain découvert, c’est là que
doit avoir lieu cette cérémonie.
Après la présentation de M. le Médecin-Major aux troupes rassemblées là par le colonel du régiment et la revue par celui-ci, l’allocution patriotique, la remise de la médaille eut lieu au milieu d’un silence impressionnant.
Enfin la cérémonie se termine
par petit défilé des troupes présentes devant le nouveau médaillé.
Journée calme mais sans bien beau temps, la pluie tombe dans le courant de la journée.
Violente canonnade de la part des nôtres, à laquelle fait suite la riposte des batteries allemandes.
Le mauvais temps persiste. Quelques petits obus allemands viennent tomber près de notre cantonnement, blessant quelques civils et quelques soldats.
Le canon tonne toute la journée.
Le temps redevient légèrement beau le matin mais dans l’après-midi, la
pluie recommence à tomber.
Pour un premier de l’an, il fait réellement
mauvais temps et l’année s’annonce réellement mal, d’autant que les Boches
commencent de nouveau à envoyer des 77 un peu partout, pas longtemps
heureusement. De la pluie toute la journée et du vent.
Le soir, les Boches ont réussi avec leurs
obus à mettre le feu à une maison de Saint-Nicolas, petit bourg où nous passons
pour aller à l’Équarrisseur ; justement, le soir nous partions
pour y aller, en passant nous avons pu voir à deux mètres cet incendie.
Heureusement que la troupe était là pour
faire la chaîne à l‘eau car les maisons voisines étaient bien en danger déjà !
Le soir, nous couchons à l’Équarrisseur.
Nous réveillonnons gentiment ensemble : du champagne, des gâteaux, du vin, des
oranges, des cigares….
Ça nous fait passer tranquillement la nuit.
Canonnade intermittente pendant toute la journée.
Le mauvais temps persiste.
Ils envoient de gros obus sur un groupe de fermes appelées Les Quatre-Maisons. Il y a quelques soldats de blessés, une femme civile est tuée et sa fille blessée grièvement.
L’après-midi, les nôtres
leur répondent.
Canonnade de part et d’autre toute la journée.
Les Allemands crapouillent toujours depuis hier mais sans grand dégât, ne pouvant pas repérer nos batteries.
Le soir, une petite attaque par les Zouaves
pour prendre une tranchée perdue la veille.
Ici toute la nuit nous sommes à l’Équarrisseur, il y a encore une
petite attaque, l’artillerie française donne beaucoup mais les Allemands ne
répondent pas.
Journée assez calme, quelques crapouillards le matin sur Arras, c’est tout.
Le temps est mauvais et il fait froid, nous sommes à l’Équarrisseur.
Canonnade pendant toute la journée.
Canonnade le matin.
Le temps qui était détestable depuis la veille s’est légèrement remis au beau, seulement il fait un froid de loup.
Pour aller à l’Équarrisseur, il faut passer dans plus de 30 centimètres d’eau par endroits, dans les boyaux.
Ceux qui sont dans les tranchées sont réellement à plaindre.
Journée assez calme, nos 75 le matin font encore du travail auquel des crapouillards répondent l’après-midi.
L’artillerie ennemie fait des siennes.
L’après-midi, elle nous
envoie pas mal de crapouillards en cherchant nos
batteries. Les obus tombent à 1 kilomètre d’elles ; ce n’est pas mal repéré !
Le temps est affreux, de la pluie toute la journée ainsi que du vent, aussi personne pour ainsi dire dans les rues.
Le canon de part et d’autre ne s’entend presque pas.
Le temps d’hier s’est un peu remis au beau, aussi nos aéroplanes en profitent pour sortir et survoler les lignes ennemies.
Le canon donne beaucoup, surtout l’après-midi.
Les Boches nous envoient encore pas mal de marmites.
Pendant la nuit, les grosses pièces donnent sans presque d’arrêt.
Le matin de bonne heure, une attaque par les Zouaves qui réussissent à prendre 3 tranchées aux Boches et leur font une centaine de prisonniers. Bonne journée pour nous.
Nous assistons de la cave de l’Équarrisseur à un duel de notre artillerie cognant sur les Boches.
Ce fut épatant à voir pendant toute la matinée, les obus de nos 75
tombant devant nous à 8 ou 900 mètres.
Matinée calme, quelques obus de 77 des Boches.
Un d’eux même vint tomber à 15 mètres à peine de la minoterie, trouant le toit de part en part. C’est une chance pour moi qui était à regarder dans la plaine au moment où il éclata devant ma tête.
L’après-midi fut assez
calme.
Le matin, canonnade assez vive de part et d’autre, mais surtout de nos 75. L’après-midi, le canon se tut, la pluie se remit à tomber.
Les Allemands envoient beaucoup de petits obus autour de la minoterie où nous sommes mais heureusement sans grand danger.
Le mauvais temps persiste.
La neige commence à tomber le matin et bientôt tout le sol en est couvert. De cette cause, notre artillerie ne donne presque pas.
Le soir, une violente fusillade de tous côtés ; c’est un simulacre d’attaque, ce n’est rien.
Le temps est toujours bien mauvais, toutes
les routes sont dégoûtantes à cause de la neige qui est tombée hier. Nos 75
tonnent un peu l’après-midi et c’est tout.
On nous annonce une nouvelle : une partie de
la Musique doit partir pour aller donner des concerts pour les blessés à Agnez-les-Duisans, petit bourg à 9
kilomètres de la ligne de feu.
Et je suis du nombre de ceux qui partent.
Le départ est commandé pour le lendemain à 5 heures. Le temps de
préparer nos affaires en vitesse et nous couchons notre dernière nuit au
moulin.
Repos et travaux d’installation et de nettoyage.
Rien à signaler d’important.
Nous faisons de la musique et donnons des concerts trois fois par semaine. Nous entendons les grosses pièces qui sont près de chez nous, nous voyons les aéroplanes continuellement, le champ d’aviation est situé à 900 mètres de notre cantonnement.
Le soir, nous entendons distinctement la fusillade, de loin. Le temps n’est guère favorable.
La Musique doit aller assister à la remise de
décoration à 2 officiers et à un aumônier militaire. Aussi comme ces cérémonies
se font au petit jour, il faut partir de bonne heure car c’est à Arras qu’a
lieu la cérémonie et ici nous en sommes à 10 kilomètres.
Le réveil a lieu à 3 heures du matin et le
départ à 3h45 et en route ! Pendant le trajet, nous voyons de nombreuses fusées
lumineuses éclairer la plaine devant nous. C’est d’un très joli effet et comme
il fait encore nuit, c’est d’un beau cachet.
Enfin à 4h45, nous arrivons à Arras.
À 7h30, la remise au milieu de l’ancienne caserne du génie. En passant dans la ville, nous avons pu voir un peu de dégâts commis par les bombardements.
Enfin le service prend fin à 8 heures et
quelques minutes et tranquillement l’on s’en retourne. Il est vraiment chanceux
que nous n’ayons pas eu de crapouillards pendant la
cérémonie qui dura plus d’une heure et à laquelle assistaient beaucoup de
troupes, car on nous a dit quelques jours après que des premières tranchées
françaises, situées à 2 kilomètres de là, on nous entendait excessivement bien,
les troupes boches étant à 200 mètres devant entendre tout pareil.
Et en pleine ville d’Arras, nous jouions la «
Marseillaise » à pleins poumons. Enfin on est rentré à 10h45 et l’on dîne.
L’après-midi, nous repartons
donner le concert habituel de tous les samedis.
Voilà une journée bien remplie, nous rentrons à 5 heures du soir.
Nombreuses reconnaissances d’aéroplanes, surtout des nôtres. Nous assistons d’où nous sommes à une vive canonnade qu’un de nos avions essuie pendant une vingtaine de minutes.
La journée est belle par hasard.
Quelques jours de beau temps auxquels succède bien entendu une terrible pluie pendant plus de 14 jours consécutifs.
La Musique, de nouveau, doit aller assister à
la remise des décorations à Arras. Nouveau réveil matinal à 2 heures et quand
tout est prêt, nous partons.
Tout le trajet nous assistons au lancement
des fusées, cela fait un bel effet, la nuit surtout. Enfin pour 6 heures moins
quelque chose, nous arrivons à Arras.
Il fait un beau crépuscule, la journée
s’annonce belle.
La remise des décorations a
lieu à 7 heures et tout se passe le mieux possible. Nous jouons bien entendu
pendant la remise des décorations et pendant le défilé ; c’est très joli. À la
fin du concert, les généraux nous félicitent de la bonne tenue de la Musique et
sur la bonne cadence des pas redoublés.
Enfin à 8 heures, nous repartons pour Agnez-les-Duisans. Le retour est abrégé car nous ne pouvons plus passer par la route de Saint-Pol-sur-Ternoise qui est continuellement balayée par les Boches quand ils voient passer quelques groupes. À 10 heures, nous arrivons et l’on dîne tranquillement. Voilà notre journée terminée.
Rien d’anormal.
Reconnaissance d’aéroplanes les jours de beau temps ; beaucoup de mouvements de troupes se dessinent dans la région, laissant prévoir quelque chose, de nombreux convois d’automobiles et de camions, on sent que l’on va partir bientôt.
Pâques – Pour une fête comme cela, nous n’avons pas eu de veine car la pluie est tombée toute la journée ; triste fête !
Rien de bien extraordinaire, si ce n’est les
renforts qui arrivent continuellement tous les soirs. C’est là que l’on nous
annonce que nous quittons Agnez-les-Duisans pour aller plus en avant un peu et faire la place à
un nouveau corps d’armée. Donc nous montons en vitesse nos sacs et débrouillons
le plus possible notre petit bazar.
Le soir à 8 heures, nous quittons le bon
petit pays d’Agnez avec un peu de regret. En route !
Le soir à 10 heures,
nous arrivons dans notre pays nouvelle résidence. Il s’appelle Berneville et il se trouve à 6 kilomètres de notre ancien
cantonnement. Ici, nous entendons le canon bien plus près de nous et pour notre
premier jour, voici déjà un aéroplane boche qui vient nous rendre une visite de
bienvenue parmi nos camarades.
C’est un de ces jolis « Taubes
», si renommés déjà par les captures continuelles dont ils sont les
spécialistes de la malchance.
Enfin tant mieux pour celui-là, il a pu
retourner dans ses lignes mais non sans avoir été salué pendant plus d’un quart
d’heure par nos mitrailleuses qui ont tiré dessus sans répit.
Le pays ici n’est pas vilain et l’on s’y
ferait si l’on ne nous avait appris que ce n’est pas pour longtemps que l’on
est là.
Enfin, attendons les évènements.
Nous passons la journée à nous astiquer et à nous remettre en installation dans notre nouveau domicile.
Pendant toute la journée, des aéroplanes survolent les lignes, le temps est épatant, il fait un beau soleil.
Aucun fait notoire à signaler.
Beaucoup de mouvements de troupes, excursions de nos aéroplanes, canonnade sans fin : tout en un mot fait prévoir un coup important, c’est du reste attendu avec impatience.
Nous devons aujourd’hui assister à la remise de décorations à plusieurs officiers et soldats.
Tout notre joli petit truc est prêt depuis la veille, aussi dès que l’ordre fut donné de partir, on se mit en route pour aller sur le terrain où devait avoir lieu la cérémonie.
À 8 heures, nous y
sommes et à notre emplacement, après la revue passée par nos généraux qui pour
cette circonstance étaient venus à cheval. La remise des décorations eut lieu,
ce fut joli, il y avait la musique et deux régiments à faire défiler.
Ce fut beau de voir cet entrain et ce cachet qu’avait chaque troupe en passant devant le général.
Enfin à 9h30, la
cérémonie prit fin et l’on rentra tranquillement au cantonnement. L’après-midi
fut tranquille.
Rien d’anormal, le temps se maintient excessivement beau et il fait même bien chaud.
Dans la matinée du 1er mai, les Boches nous envoient à 800 mètres de belles marmites qui font un potin à tout casser, mais enfin, d’après ce que j’ai su après, il n’y a pas eu de victimes car ils cherchaient une batterie de 90 qui leur tirait dessus depuis longtemps.
À part cela, rien d’extraordinaire.
Nous quittons presque sans nous y attendre notre nouveau petit pays et retournons non plus faire de la musique mais bien en écouter.
Donc le soir à 8
heures, en route. Cela nous fait une drôle d’impression de reprendre notre ancienne tâche,
c’est-à-dire brancardier, mais aussi on est plus heureux car on se dit
que l’on va avancer.
D’après les ordres reçus, nous allons à Saint-Nicolas, à 1 kilomètre et quelque chose des Boches. Le pays est bien démoli par endroits, enfin il y a des caves qui sont bonnes en cas de bombardement.
Là, nous sommes
affectés par le service de santé à la relève des blessés et nous sommes
installés dans la Stearinerie d’Arras,
à 900 mètres des tranchées. La maison ou plutôt ce qu’il en reste n’est pas
plus solide que cela. Du reste les Boches bombardent toujours là, mais
seulement il y a de bonnes caves et c’est là que nous sommes installés.
À notre arrivée, nous commençons par faire le transport en 1er, 2ème
met 3ème lignes de l’eau nécessaire pour les soldats.
Le chef de Musique me désigne pour la garde
et la préparation des filtres, en remplacement de deux camarades qui y sont
déjà depuis quelque temps.
Changement de travail : le lendemain, je
prends possession de mon nouvel emploi.
Je m’en acquitte le mieux possible d’autant
plus que comme il y a attaque bientôt, les hommes
soient pourvus d’eau sans discontinuer.
Le travail ne nous manque ces jours-là.
Un méchant obus allemand a failli nous
effrayer en venant éclater à midi en plein dans notre jardin, à 3 mètres du
filtre.
Heureusement qu’il y avait un mur pour
séparer !
FIN du CARNET
Y-a-t-il eu une
suite ? a-t-telle été perdue ? Nul ne le sait.
Le 22 novembre 1918, il entrait avec les troupes
victorieuses du Général Gouraud dans Strasbourg enfin libérée.
Son régiment resta cantonné quelques temps
sur les bords du Rhin et le destin voulut qu’il rencontra
celle qui devait devenir son épouse et avec laquelle il fonderait sa nouvelle
famille, dans une région si différente de celle de ses origines, de par sa
culture et sa langue.
En effet, libérée depuis peu du joug
allemand, l’Alsace gardait néanmoins une forte culture germanique.
Le dialecte alsacien était fort pratiqué à
cette époque-là et pour le francophone qu’était mon père cela n’a pas dû être
une sinécure. Il réussit néanmoins à maîtriser parfaitement cette langue à la
fin de ses jours.
Lorsque le second conflit mondial éclata,
plus précisément en 1939, durant la période dite ’’ de la drôle de guerre ‘’
l’intention allemande, étant d’annexer purement et simplement l’Alsace et la
Moselle au grand Reich, toute la
population strasbourgeoise fut contrainte à se réfugier dans d’autres provinces
françaises. Les chemins de l’exode conduisirent la majorité de ces réfugiés
dans le sud-ouest, principalement en Dordogne et en Haute Vienne.
Ma famille quant à elle, fut accueillie à
bras ouverts en Bretagne par la famille Blanchet.
Après un peu plus d’un an d’exil, les
Allemands ayant finalement annexé l’Alsace, il fallut bien se résigner à
rentrer à Strasbourg.
La germanisation de la région battait son
plein. Pour l’anecdote, le port du béret fut interdit, le bonjour remplacé par
le ‘’Guten Tag’’, ils poussèrent la plaisanterie
jusqu’à germaniser les noms de famille à consonance française.
C’est ainsi que Louis LESEUX se transforma du
jour au lendemain en Ludwig LOESSER. Il est bien évident que pour l’ancien
poilu qu’était mon père, ces brimades revanchardes étaient très difficiles à
vivre. Lorsque cette guerre s’acheva, ma famille vécut paisiblement dans la
proche banlieue Strasbourgeoise.
Mon père exerça son métier d’ébéniste mais la
conjoncture peu florissante d’après-guerre le contraignit à abandonner ce
métier pour travailler dans une brasserie alsacienne. Curieux de tout, il était
passionné d’histoire, de musique et de peinture, il exerçait cette dernière
activité avec bonheur.
Mon père décéda le 30 juillet 1969, soit quelques
jours après que le premier homme ait marché sur la lune, ce fut pour lui, qui
avait vu les premiers aéroplanes survoler les champs de batailles de la grande
guerre un évènement exceptionnel.
Mon père resta toujours très attaché à la
Bretagne qui fut pour lui dans sa prime enfance, et pour ma famille lors du
second conflit mondial, une terre d’accueil. Il m’a transmis l’attachement pour
cette Bretagne, à la fois si lointaine sur le plan géographique mais si proche
par sa forte spécificité régionale, sa langue, son histoire et par le caractère
entier de ses habitants.
Alain LESEUX
Croquis de Louis LESEUX. Cliquer sur les
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