Lettre de (Léon
Emmanuel) Pierre POTHELET
Sergent-fourrier
et sous-officier de liaison au 3ème régiment de marche de Zouaves
Publication :
janvier 2024
Mise
à jour : février 2024
Prologue
Yann L. nous dit en janvier 2024 :
« J’ai
découvert avec émotion des documents liés à mon grand-père maternel. Entre
autres, c'est trois pièces jointes.
En approfondissant
des recherches avec les détails trouvés dans la lettre je suis tombé sur votre
site et me permet de vous les communiquer.
Vous avez bien sûr
toutes les autorisations pour publier aussi les photos du premier email si vous
le souhaitez. »
Introduction
Léon Emmanuel Pierre POTHELET est né à Crésancey (Haute-Saône) en septembre 1892. Il déclare être étudiant en 1913, à son incorporation à 21 ans, au 3ème régiment de marches de Zouaves à Constantine. Il passe caporal en avril 1914, puis sergent-fourrier en août.
Il reste au 3ème Zouaves à la déclaration de guerre en août 1914.
Cette lettre datée de 1962 et retrouvée il y a peu de temps par son petit-fils, est adressée à une personne ou autorité inconnue. Nous pensons que c’est un brouillon car il y a des ratures et la signature ne figure pas à la fin du document.
Néanmoins, cette lettre devait être adressée à une autorité militaire ou civile pour espérer avoir une décoration ; On peut le penser car il a obtenu la médaille militaire 2 ans plus tard en 1964 comme indiqué sur sa fiche matriculaire.
Remerciements
Merci à Yann pour le document.
Merci à Philippe S. pour les
corrections éventuelles et certaines recherches.
Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes
et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.
Pour une meilleure lecture, j’ai
volontairement ajouté des chapitres, sinon le reste est exactement conforme à
l’original.
P. POTHELET
Armenonville 245
Roubaix
13 juin 1962
Cher Monsieur.
« Vous avez
bien voulu vous intéresser à mon passé militaire, guerre 14-18. Je vous
remercie de votre amabilité. Ce sont là des évènements bien lointains, mais
encore brûlants au cœur de ceux qui les ont vécus.
Peut-être vous
sera-t-il utile que je vous résume mon modeste rôle ?
J’ai fait mon
service militaire, classe 12, au 3e régiment de Zouaves, à Constantine, sur ma
demande.
J’ai participé
assisté à l’attaque du port de Philippeville (Constantinois) par le Goeben et
le Breslau, où ma compagnie (6e) a été décimée ainsi que la compagnie de
mitrailleurs. Eléments reformés sur place avant l'embarquement pour la France.
Batailles de
Philippeville (Belgique), Florennes, et Fosse ; puis, après la retraite, à la
bataille dite de la Marne, à Montmirail.
Mon unité a contourné
le front pour reprendre contact avec l'armée allemande à Senlis, Caisnes, Carlepont. C'est à Caisnes que le capitaine (Henri) Dufait (*),
de ma compagnie a été tué d'une balle dans la tête, presque dans mes bras. Sa mère
m'a fait parvenir ultérieurement un fragment de ses galons comme souvenir. Dufait était le type de l'officier
d'alors, comme vous avez dû en connaître, fanatique, mais d'une folle témérité,
comme s’il avait mis dans sa tête, comme point d'honneur « de n'en pas revenir
».
C’est au moment où,
bien que simple sous-officier, je le contraignais à s'abriter derrière un gros
arbre, au lieu de rester planté debout l’œil collé à ses jumelles, cible
ridicule, qu’il a reçu une balle entre les deux yeux, et est tombé raide. Je ne
puis m’empêcher d’évoquer ce souvenir qui m’a toujours poursuivi.
Le lendemain de la
mort de Dufait, j'ai été enterré
près de Carlepont par l'effondrement de la terre d'un
petit ravin conduisant à une carrière où se trouvait le colonel de Gouvello, et où m'appelaient tout le
jour mes missions de fourrier.
J'en ai été retiré
par les Allemands, qui avaient repris entre temps, je crois, le château de Carlepont (pour peu de temps) et je me suis retrouvé 4
jours après à l’hôpital d’Erfürt, soigné pour une
énorme orchite, qui m'a donné beaucoup de souci physique et … moral.
J’ai fait une
dizaine de camps divers.
En 1916, je me suis
évadé du camp de Forstort Anfang
(Hanovre) avec le très excellent et brave compagnon le maréchal-des-logis Leveinard, des chasseurs de Saint-Lô.
Repris après le passage du Weser, au sud de Brême, alors que nous nous
dirigions vers la Hollande, nous avons été séparés et je ne l’ai jamais revu.
Envoyé en camp de
représailles sur le front russe, au camp de Janisky,
en Lituanie, non loin de Kowno, je m'en suis évadé
sans grande difficulté, étant donné la surveillance assez relâchée à proximité
relative du front, et la garde déjà très clairsemée en 1916. J’espérais toucher
la côte, et traverser la baie de Riga, pour aboutir dans les lignes russes
(certains y ont réussi) mais j’ai été repris à Crans, non loin de Königsberg,
et renvoyé, après les 14 jours de cachot règlementaires, au terrible camp de
Cottbus.
Je l’ai assez
rapidement quitté, mais sans évasion, pour Mannheim, qui me rapprochait d’une
zone d’opération facile. Je me munis à nouveau de cartes, d’un livret militaire
d’infirmier faux, mais je ne suis pas arrivé à me glisser dans un convoi. J’ai
cheminé jusqu’à Ulm où j’ai pu me glisser à contre voie dans un train de rapatriés
où je n’ai subi aucun contrôle ; le lendemain, j’étais à Schaffhouse, et peu
après à Dôle, Jura. C’était en juin 1918.
On déconseillait
encore aux évadés de reprendre du service sur le front français, on disait leur
trace bien suivie dans les camps. Je demandais donc Salonique, et fus agréé. On
recevait l’ordre d’embarquer à Marseille, puis contre-ordre. J’ai été cinq ou
six fois au fort St Jean, et toujours les départs remis.
C'est donc à
Marseille, que m’a trouvé l’armistice. (**)
Comme vous le voyez,
cher Monsieur, mes aventures, assez variées, nécessitaient plus de sang-froid
et de détermination que d’héroïsme ; elles comportaient d’ailleurs des détails
curieux, mais qui n’intéressent plus personne.
Je précise cependant
que l’incident qui m’a valu une citation se place exactement à Fosse, Belgique,
où j’ai peut-être rendu quelque service à ma compagnie ; c’était encore du
vivant du capitaine (Henri) Dufait dont personne n’honorera probablement la mémoire, et
qui a fait un rapport trop élogieux sur moi au colonel de Gouvello, nommé général sur front et mort depuis.
Malgré mes aventures
au milieu de l’Allemagne en guerre, souvent tragiques et cruelles, quelquefois
ridicules, ces deux extrêmes étant bien la marque de ce peuple désaxé, mêlant à
l’improviste la naïveté et la férocité, je n’aurais pu que conserver l'immense
amertume de me trouver par la suite sans postérité possible, par la faute de la
marmite qui avait renversé sur moi la terre du ravin de Carlepont.
Il n’en a rien été puisque ma nombreuse famille m'a délivré de ce cauchemar.
Ayant rencontré depuis, dans tous les camps possibles, de jeunes classes ayant
connu la guerre de tranchées (certaines fortes têtes nous avaient rejoints en
Russie après Verdun), j’ai trouvé ma participation aux événements bien modeste.
Je vous en livre ce résumé tel quel.
Croyez, cher
Monsieur, à mes sentiments les plus amicaux.
Je joins, en
communication, différents documents qui me restent de ces temps lointains. Je
n’ai jamais fait de démarche d'aucune sorte, notamment pour la retraite du
combattant. Vous êtes d'ailleurs le premier auquel je livre ces
souvenirs. »
(*) :
Henri DUFAIT, capitaine au 3ème régiment de Zouaves, mort pour la France le 17
septembre 1914 au bois de Cuts (Oise). Voir
sa fiche.
(**) : Il avait été affecté à la 7ème section d’infirmiers
militaires depuis août 1918.
La suite
Il reçoit une citation à la 74ème brigade d’infanterie, avec croix de guerre, en 1915, puis la médaille des évadés en 1928 et enfin la médaille militaire en 1964.
Contacter le propriétaire
de la lettre de Pierre POTHELET
Voir la lettre originelle
dactylographiée
Voir des photos du 3ème
régiment de marche de Zouaves
Voir sa fiche matriculaire
(2 pages)
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