Carnet de guerre de Léopold REY

du 8e régiment d’artillerie et cycliste de l’état-major du 20e corps d’armée

 

 

Jean, avril 2011

« Je viens de tomber sur votre site qui est pour moi formidable. J'ai retrouvé dernièrement les carnets de guerre de mon grand-père maternel de la guerre 14 18. Ces carnets commencent le 3 aout 1914 jusqu'au 26 mars 1919. Il est de la classe 1906, il s'appelait Léopold REY. J'ai aussi son livret militaire. Il a été cité à l'ordre de la 20ème brigade d'artillerie le 22 octobre 1916 et il a reçu la croix de guerre. Au départ cycliste agent de liaison et pour finir 2eme canonnier-servant au 85e régiment d'artillerie

Je vous remercie pour ce que vous faites pour la mémoire de gens comme mon grand-père.

Je ne l’ai pas connu mais par ces textes, je le découvre intimement…»

 

 

Description : Description : Description : Description : Description : feather

 

Les noms de villages ont été corrigés dans le texte. J’ai ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit. J’ai aussi ajouté des dates, un sommaire et des chapitres pour pouvoir mieux se repérer dans le récit.

 

Léopold REY est né à Paris en 1886.

Pour son service militaire (1907-1909), il intègre le 7e bataillon d’artillerie, puis, en 1908 le 40e régiment d’artillerie de campagne (RAC) d’Orléans. Il effectue une période d’exercice en 1911 au 8e RAC. En août 1914, il est rappelé au 8e régiment d’artillerie de campagne.

Le 8e régiment d’artillerie de Nancy, est l’artillerie de la 11e division d’infanterie. Il fait partie de la 20 brigade d’artillerie (avec les 39e et 60e RAC) du 20e corps d’armée.

 

 

Description : Description : Description : Description : Description : feather

 

Sommaire

 

Août 1914 : Nancy, Toul, la retraite de la 20e armée

Septembre 1914 : Nancy puis la Somme

octobre 1914 : Somme

novembre 1914 : Flandres belges

Décembre 1914 : Belgique

Janvier-avril 1915 : Belgique, puis Pas-de-Calais

Mai 1915 : les tranchées comme artilleur, nord d’Arras, Artois

Juin 1915 : les tranchées en Artois

 

Description : Description : Description : Description : Description : feather

Août 1914 : Nancy, Toul, la retraite de la 20e armée

3 août 1914 :

Neuf heures du soir. Nous quittons Paris dans des wagons à bestiaux.

Partons de la Place Hébert, bien triste. Je me trouve serré contre un ancien camarade de l’active. On se remonte un peut l’un et l’autre, mais cette guerre était inévitable et ma foi tous disent que puisque le Boche la veut on la fera convenablement.

4 août 1914 :

Arrivée à Mailly (*), à midi, après nous êtes arrêtés 2 heures à Chalon que nous avons mis à profit pour nous restaurer un peu.

J’envoie des cartes chez nous et je fais l’acquisition d’un briquet. Les chaussures que j’ai aux pieds me font mal. Je ne suis pas le seul, car nous sommes chaussés depuis la veille, aussi descendons au bord de la Marne pour nous tremper un peu les pieds cela nous soulage un peu et nous reprenons le train qui nous amène à Mailly au soir.

Nous mangeons dans un petit café puis nous allons passer notre première nuit dans la paille. Je ne peux dormir, mon esprit travaille et j’ai froid avec mes vêtements légers cependant au matin vanné, je m’endors.

 

(*) Il s’agit de Mailly-le-Camp, Aube.

5 août 1914 :

Six heures, nous faisons connaissance de nos officiers, nous avons entre autres un capitaine particulièrement charmant qui nous réunit pour nous faire un petit discours :

« Qu’il compte sur nous, que sommes là de notre propre volonté et que par conséquent chacun fera son devoir sans qu’il soit nécessaire de sévir ».

Enfin quelque chose de bien dans la note.

 

On demande des cyclistes, je me présente et suis pris d’emblée attendu que l’on a consulté mon livret matricule qui prouve que j’ai servi comme cycliste du général gouverneur de Paris le général Deroille et me voilà cycliste de l’état-major. (Il s’agit de l’état-major du 20ème corps d’armée)

Nous recevons l’ordre de partir.

Où ? On ne sait.

En colonne par 4 cyclistes de batterie et moi-même en avant de la colonne puis les officiers et les pièces et caissons. Comme je roule le premier j’ai reçu ordre de diriger la colonne sur la gare de Mailly que j’ai repérée avant le départ. Mais le départ ne va pas sans difficultés car les chevaux probablement réquisitionnés sont affolés par le bruit des caissons (*) et dansent ferme.

Enfin arrivé à la gare, on arrive à grand peine à les faire entrer dans les wagons et à charger les caissons et les pièces (**) et à neuf heures du soir le train part enfin.

Direction la frontière. Laquelle ?

 

(*) : Les caissons contiennent 72 obus.

(**) : Une pièce d’artillerie = 1 canon.

 

Le service du chemin de fer est bouleversé et nous avançons à grand peine, la journée se passe aussi à rouler. Nous avons un fourgon pour quatre cyclistes. Nous ne sommes donc pas serrés, nous avons ouvert les deux côtés du wagon et nous sommes assis sur le bord, mais malgré le courant d’air nous étouffons.

Le soleil tape, mais vers le soir lorsque nous pensons à nous coucher nous nous apercevons que cela ne va pas être drôle, rien que le plancher, pas de paille, enfin nous sommes si fatigués que nous nous étendons à même le wagon. Mes camarades s’endorment, mais je ne puis y parvenir, j’ai cru très malin de prendre un coin mais à chaque cahot je suis jeté contre la paroi et à force cela finit par être douloureux.

A chaque instant le train s’arrête, car la voie est encombrée d’autres trains se dirigeant tous vers la frontière.

Enfin lors de l’un de ces arrêts en plein champs l’un de nous se précipite et emprunte aux meules voisines quelques bottes de paille, mais le train repart et on a juste le temps de regrimper. On est un peu moins mal.

 

Les habitants dans toute les gares à tous les passages à niveau nous acclament, les hommes nous passent à boire, nous donnent des petits drapeaux dont nous ornons nos wagons. Les femmes donnent des fleurs, nous entrons en gare de Neufchâteau. Un marchand a eu l’heureuse idée de s’installer sur le quai. C’est une véritable ruée pour acheter de la bière.

Tout à coup un chef de gare portant feuilles de chêne à la casquette nous dit :

« Eh les enfants regardez dans le train à droite déjà des prisonniers ».

nous nous précipitons et voyons dans des compartiments d’un train en stationnement sur une voie de garage, une dizaine de jeunes gens aux uniformes vert bouteille, aux casquettes plates qui nous regardent l’air ahuri.

Quelques-uns leur adressent des lazzis. Il y a parmi eux deux chefs de gare qui sont coiffés de casquettes ordinaires car ils ont dû donner leurs képis en route pour éviter les huées de la foule qui apercevait seulement les tètes qui dépassaient.

Tous nos wagons sont ornés d’inscriptions aussi pas modiques que de mauvais gout, une tête de cochon est coiffée du casque prussien et en dessous on a indiqué Guillaume ou à Berlin direct etc…

 

11 heures

Nous arrivons à une halte en plein champs, il y a juste un quai de débarquement, c’est Domgermain (*)

Pendant que le débarquement s’opère nous partons en avant un lieutenant, un trompette à cheval et moi en vélo.

Nous faisons environ 10 kilomètres, et arrivons à un village encombré de troupes où le bureau du cantonnement nous apprend qu’il n’y a pas la moindre place où nous loger. Le trompette reste là pour diriger la colonne qui nous suit et nous repartons plus loin sur Gondreville (*).

Je commence à être fatigué, sur la route de Toul la nuit est venue et je ne me tiens pas trop en avant pour ne pas perdre mes suivants. Tout à coup :

"Halte là !"

Je m’arrête aussitôt car en ce moment ce n’est plus la manœuvre à la caserne et les fusils sont chargés et avec un trouillard….

Je reste sur place

«Qui vive ? »

« France ! »

C’est tout ce que je peux répondre car je n’ai pas le mot.

« Avance au ralliement ! »

J’avance. Il croise la baïonnette et moi je ne croise rien du tout car je n’ai aucune arme.

 

C’est un territorial. Je lui explique que je suis agent de liaison d’une troupe qui suit et que je n’ai pas le mot car nous débarquons et n’avons pas trouvé place au cantonnement qui était prévu.

Mais c’est un buté, il ne veut rien savoir. Ne pouvant passer je retourne au-devant de l’officier qui me suivait et nous revenons tous les deux. Enfin après avoir montré notre ordre de route, on nous laisse passer.

La nuit est noire et on entend sur la route les sections qui nous ont presque rattrapés.

Enfin nous entrons dans Gondreville.

 

(*) : Secteur de Toul, Meurthe-et-Moselle

 

Je n’en peux plus.

Dans une immense plaine en forme de parc, les chevaux ruent, se cabrent, on ne voit pas à deux mètres devant soi et je crains à tout moment de recevoir un coup de pied du cheval. Ou à coup nous nous trouvons éclairés complètement, c’est un dirigeable français, heureusement qui veut se rendre compte de ce qui se passe.

Nous restons un jour couchés dans les foins des granges de ce petit hameau. Je vais à la Moselle qui coule tout près et m’offre un bain de pieds. Nous avons installé la cuisine de l’état-major dans une ferme où je peux avoir du bon lait tous les matins, un grand bol pour deux sous. Notre cuisiner, Pennequin qui est de Nancy, achète un canard et pour 20 centimes chacun, nous nous régalons.

 

Ensuite départ par étapes sur Maney où nous cantonnons à Joinville aux portes de Nancy.

Ici on n’est pas malheureux, la ville est proche et j’en profite pour acheter ce qui me manque un couteau avec une chaine et aussi un couvre nuque car il y a déjà deux cas d’insolation.

Quelques camarades sont de Maney et ils me font promettre pour pouvoir aller coucher chez eux que je les préviendrais en cas de départ subit.

Pour la première fois depuis mon départ je vais coucher dans un lit chez une brave femme. Aussi je me propose de faire un bon somme quand l’ordonnance du commandant me dit que celui-ci veut me voir. J’y vais, c’est l’ordre de partir !

Je dois d’abord prévenir chacun des capitaines qui logent en ville et ensuite les nombreux camarades qui sont de Nancy et logent chez eux. Aussi je roule à moitié habillé une partie de la nuit dans les rues de Nancy que je connais heureusement un peu. Les gens réveillés en sursaut s’affolent, les femmes pleurent et je dois les brusquer un peu pour faire démarrer tout le monde.

Heureusement nous arrivons à temps personne n’a remarqué notre absence et nous voilà à nouveau en route dans la nuit.

Nous nous arrêtons à Laneuveville-devant-Nancy, devant Nancy y a encore la rivière et un camarade imprudent se noie en se baignant. Mais moi je n’ai pas le temps de me baigner, ni même de me débarbouiller, ma barbe a poussé et j’ai fait tondre mes cheveux à ras.

Je suis affreux.

C’est alors une suite d’étapes sans intérêt et nous arrivons à la frontière.

 

Un soir, le commandant me dit :

« REY attention ! Cette nuit dormez d’un œil car il y aura certes des ordres »

En effet, dans la nuit un cavalier de l’état-major général arrive et me remet un pli à porter de toute urgence au commandant et celui-ci me dit alors :

« Tout le monde debout ! Direction Vic »

Nous voilà à nouveau en route et nous atteignons la belle Lorraine avec ses houblonnières.

 

Quel beau pays ! Mais des traces de combats se remarquent bientôt.

Il est cinq heures du matin et je reste sur un petit pont à quelques kilomètres de la ville de Flavigny-sur-Moselle ou j’ai été envoyé en avant pour reconnaitre la route et guider les unités qui suivent.

Un aéronef français passe au-dessus de ma tête, on le reconnait maintenant car il vient parfois quelques aéronef boches, mais ils sont plus trapus, plus ramassé que les nôtres et leur queue de poisson est reconnaissable. La campagne est très calme, un autre aéronef vole assez bas, je crie Bonjour !

En agitant mes bras et je vois un bras qui sort de la carlingue et répond à mon signe. Enfin la colonne arrive et après avoir été causé au Commandant je repars en avant dans la direction qui m’a été indiquées.

 

La Frontière !

Je vois un groupe d’officiers français et je leur demande où est le poteau de la frontière. Mais il est en Allemagne me répond l’un deux, les marsouins sont passés tout à l’heure et l’ont emporté. Et moi qui croyais que j’allais passer le premier le poteau !

Enfin on avance toujours c’est la joie !

On nous a donné des fleurs, des petits drapeaux dans les villages traversés, il y en a aux chevaux, aux canons, aux caissons, mon guidon en est garni. Pas trop de trace de guerre. De ci de là des fusils brisés, un cheval mort, de l’équipement, mais très peu et le pays est très joli respire le calme et la paix.

Les habitants parlent tous le Français. Ils agitent chapeaux, mouchoirs, les enfants sont groupés devant moi et errent.

Bonjour Français !

En cherchant à saisir ma main sur le guidon, car les écussons du 8eme régiment d’artillerie que je porte sont très estimés ici car c’est le régiment qui a soutenu le premier choc de l’artillerie boche.

 

À Vic on a fait un cantonnement dans les granges, mais cela fut bien inutile car chaque habitant offrait son ou ses lits et l’invitation à déjeuner enfin tout cela est trop beau et nos officiers s’inquiètent un peu de cette avancée sans combat.

 

La nuit suivante, en effet, le canon se met à tonner et il n’est pas douteux que nous avons donné dans un piège espérant nous couper du reste de l’armée française au moyen des forces importantes qu’ils ont groupés à droite et à gauche de nous.

Il faut se replier, le cœur gros et c’est à peu près une fuite que notre retour, mais une fois en France. Arrêt !!

Et les groupes d’artillerie se placent à droite et à gauche de la route, tandis qu’un bataillon d’infanterie occupe la route.

Et en effet les Boches grisés par leur facile succès se sont précipités à notre poursuite et tombent à leur tour dans le piège. Ils laissent sur le terrain 2000 hommes blessés ou tués et quantité de prisonniers puis c’est ensuite l’écoulement de tous les blessés français et allemands qui gagnent par la route les postes de secours hâtivement constitués.

Ils sont sales et ont des figures d’hallucinés, ils ne paraissent pas comprendre ce qu’on leur dit certains ont leurs képis troués, la mâchoire fracassée maintenue par un mouchoir ensanglanté. Tout le long de la route on rencontre des malheureux et ma bouteille d’alcool de menthe est vite épuisée, à les rafraichir un peu.

L’un deux a un pied en sang et il marche soutenu par un camarade depuis 4km à la fin il tombe épuisé. Je me précipite et lui verse un peu d’eau avec de la menthe, mais c’est trop tard, il est exsangue et dans un râle me crache à la figure tout le liquide que je lui ai versé dans la bouche.

On ne peut le laisser ainsi je cours au commandant qui fait arrêter un de nos fourgons et nous l’installons comme nous pouvons sur des sacs. Au prochain poste de la Croix Rouge nous l’avons descendu vivra-t-il ? Mais il y en a trop et on ne peut les ramasser tous.

 

Nous continuons à rentrer en France, c’est maintenant un troupeau de toutes les armes.

J’ai vu des hommes jeter leur cartouches, leurs sacs, leur fusil dans les fossés bordant la route pour pouvoir suivre, mais il y en a la dedans beaucoup d’hommes qui sont affolés et fuient ; Beaucoup descendent de Morhange plateau où les Boches nous ont durement accueillis par un terrible bombardement.

Ils sont du midi et les officiers mêmes abandonnent leur harnachement pour fuir plus vite.

Certains disent qu’on les a sacrifiés menés à une boucherie. Mais ceux-là n’ont aucune blessure et questionnant chacun j’apprends que les hommes blessés que j’ai vu revenir sont ceux des régiments de l’Est, du Nord et de l’Ouest qui étaient au centre de l’attaque et qui se sont vus encerclés par les Allemands parce que le régiment du midi qui étaient sur les ailes avaient fui comme des lapins sans combattre aussi est ce avec haine qu’ils se regardent.

 

Séjour à Flavigny où je suis couché au château à côté du commandant j’ai à la ferme le matin un bol de lait tout chaud toujours au prix de 0,10 centimes

26 août 1914 :

Toujours à Flavigny, c’est grâce à un journal que je puis retrouver quel jour nous sommes.

Depuis le matin 5 heures je suis encore une fois sur un pont avec ordre de faire faire demi-tour aux unités d’artillerie qui vont se présenter pour les diriger sur Manonville mais 11 heures arrivent je n’ai rien vu et j’ai faim.

Heureusement des artilleurs font halte non loin et je leur demande à manger. Ils me donnent du pain et du fromage, une pêche qu’un vieux jardinier m’a donné le matin, un verre d’eau une cigarette et me voilà d’aplomb, mais j’ai envie de dormir et cela n’est pas possible car si je dors un régiment pourrais passer sans que l’entendit aussi je marche une peu.

Ah ! Voici un camarade qu’on a envoyé me remplacer aussi je cours à la soupe.

27 août 1914

Mauvais réveil ce matin à 4 heures.

Le commandant m’a fait appeler pour porter l’ordre à la première section de partir de suite. Je cours au parc réveiller tout le monde.

À 7 heures, on démarre comme d’autres sections sont parties pour ravitailler à Pont-Saint-Vincent. Le commandant me dit de rester pour les diriger et leur donner le mot de passe.

Il se fait 8, 9, 10, 11, 12 heures et personne.

Il pleut à verse et j’ai pour tout abri, un arbre. J’ai envie de dormir et je m’appuie le long de l’arbre. Mais l’eau me coule dans le cou à 13 heures je me décide à aller voir ce qui se passe.

 

La gare où ils se ravitaillent est à 8 kilomètres et il faudra ensuite rejoindre les autres et cela ne m’enchante pas avec l’eau qui fait rage je me mets cependant en route. J’arrive enfin à la gare après avoir parcouru la ville dans tous les sens. Il pleut toujours.

J’annonce la nouvelle, le train qui doit amener les projectiles est en retard. Comme c’est une voie de garage je monte dans un wagon avec tout mon fourbi, fusil, bicyclette, bidon, musette. Je trouve dans une caisse à cartouches de la bourre un peu humide.

Je l’étends sur le plancher du wagon et m’apprête à me reposer. Il doit être 2h du matin.

A ce moment je sens le wagon remuer. Je passe la tête c’est un train qui va vers Nancy. Je redescends en vitesse en jetant tout mon barda, compris le vélo, sur le talus et je m’assieds mélancoliquement sur un poteau télégraphique sous la pluie qui ne cesse pas.

Mais malheur ! J’ai laissé dans le wagon ma musette dans laquelle je conservais précieusement du tabac et des cigarettes que j’avais acheté à Nancy. Encore à ajouter à mes nombreuses pertes.

Septembre 1914 : Nancy puis la Somme

12 septembre 1914

A La Neuville-devant-Nancy je reprends mon journal que j’ai quelque peu délaissé depuis quelques jours.

Nous avons été surmenés car les Boches attaquent maintenant chaque nuit.

La nuit dernière nous avons été réveillés par le bruit de la canonnade, les obus passaient au-dessus de notre grange pour aller tomber sur Nancy. On se demande comment les Allemands ont pu faire effectuer ce mouvement à leur artillerie, mais un officier d’état-major arrive et dit au commandant qu’il devait retirer sa troupe de cet endroit dangereux.

« Dangereux ! répond le vieux pour deux malheureux merles qui chantent »

Et va se recoucher et moi aussi.

 

Le lendemain l’infanterie enlevait deux pièces aux baïonnettes et les 75 tiraient sur les servants boches.

14 septembre 1914

Journée d’hier et d’aujourd’hui calmes nous sommes dans un château et pas trop mal logé. Je couche toujours sur la paille mais dans une remise et avec les coussins empruntés au landau je ne suis pas mal. Il y a dans le parc un lavoir bien installé avec savon à discrétion, aussi en ai-je profité pour faire ma lessive qui sèche en ce moment.

Les nouvelles sont bonnes il parait que les Russes avancent. Tant mieux car c’est bien dur pour nous de tenir dans ces conditions pareille, la pluie tombe sans arrêt et je cours au château chercher mon capuchon au château ou je loge.

La région de Sonner-Villers est bombardée et on voit ces pauvres gens fuir en emportant tout ce qu’ils ont de précieux.

 

Hier nous avons eu un brigadier de tué et deux hommes blessés. J’en ai déshabillé un, mais ce sont les pierres d’une maison touchée par un obus qui l’ont atteint.

J’ai trouvé dans la rue un petit chat, je l’ai emmené coucher avec moi toute la nuit et lui ai donné ce matin un peu de ma soupe. J’en ai fait cadeau à une femme du village qui a en a déjà deux, car on peut partir d’un moment à l’autre.

Ma santé est bonne mais je n’ai pas d’appétit.

4 octobre 1914

J’ai beaucoup négligé mon journal, car depuis le 12 septembre que de changement.

Nous avons repris l’offensive car les boches ont dû reculer en Lorraine, mais il parait que dans le Nord la situation n’est pas brillante car il nous faut embarquer en vitesse.

C’est à Barisey-la-Côte près de Toul que nous embarquons à 6 heures du matin et j’en suis bien content car en Lorraine et dans l’Est nous avons toujours de l’eau de plus les habitants sont désagréables à souhait puis nous aurions fini par y laisser tous notre peau car les hommes et les chevaux tombent comme des mouches.

 

Nous avons eu deux jours et deux nuits de chemin de fer et nous sommes repassés près de chez nous.

Combien nous avons souffert en passant à Melun, Juvisy, Versailles avec nos bécanes nous aurions été vivement chez nous, nous passions à Neufchâteau, Bologne, Bricon, Marainville, Messigny, Romilly-sur-Seine, Pont-sur-Seine, Nogent-sur-Seine, Montereau, Hericy, Melun, Juvisy, Versailles, Mantes, Solerville, Serqueux, Abancourt, Poix où nous débarquons.

Je pars en avant avec deux autres cyclistes, les gens nous offrent à boire et à manger. Une femme nous emmène chez elle et nous fait une omelette et chose que nous n’avions pas eu le bonheur d’avoir depuis le départ, une salade de cresson ! Quel changement d’accueil avec la population de l’Est qui nous recevait comme des chiens.

Depuis que nous sommes dans ce pays, il fait très beau. Nous avons repris contact avec les Allemands et depuis huit jours que le XX corps a pris le secteur, les boches ont reculés de 40 km.

Nous avons repris Warfusée et Bray-sur-Somme, mais quelle désolation.

Tout est brulé, tout est saccagé. Nous faisons chaque jour de nombreux prisonniers et le corps d’armée vient d’être cité à l’ordre du jour de l’armée. Les civils nous acclament au passage et se disent tranquilles tant que le secteur sera tenu par le XX corps.

Je suis très bien chez de brave gens qui me soignent.

25 septembre 1914

Nous sommes à Moreuil dans la Somme.       

26, 27, 28  septembre

Nous sommes à Hangest.

29 septembre 1914

Nous sommes à Dermain.

Le 30 septembre 1914

Nous sommes à Warfusée.

Octobre 1914 : Somme

2 octobre 1914

Départ de Warfusée avec regret.

Nous marchons la nuit et arrivons à Fouilloy où je suis logé chez le curé. Bien, un matelas dans une chambre pays relativement peu éprouvé, pour la première fois depuis un mois et demie je peux acheter et manger du fromage.

3 octobre 1914

Je peux aussi acheter du beurre et des confitures. La cuisine est chez une brave femme dont le mari est parti.

Nous sommes très biens. Je peux changer de linge et laver celui qui est sale.

Nous sommes enfin ravitaillés par les chariots car les ponts de chemin de fer ont sautés. Le Commandant m’envoie voir à la gare de Corbie si le ravitaillement arrive.

En effet il arrive et nous avons même chaque jour des journaux. C’est très Chic !

4 octobre 1914

Repos complet, reçu une carte postale de ma petite femme. Le temps est beau.

Les Anglais arrivent à Amiens.

Du 5 au 8 octobre 1914

Séjour à Corbie, Fouilloy. J’ai lavé mon linge sale. J’ai acheté une paire de gants de laine et ai pu avoir des cigarettes du Levant (*) aussi je ne cesse de fumer.

 

(*) : Tabac finement découpé en lanières (selon un procédé unique) qui permet de le rouler dans une feuille de papier. Pratique  ancienne qui proviendrait de régions orientales.

9 octobre 1914

Notre ami Pennequin nous a fait aujourd’hui à déjeuner des Beignets.

A 3 heures du matin Alerte ! Mais ce n’est rien.

J’ai fait faire à Corbie un petit sac en toile où je mets mes papiers et mes cartes. Voici bientôt 3 heures de l’après-midi et nous attendons des journaux.

10 octobre 1914

Journée calme toujours à Fouilloy, il est venu ce matin des avions boches au-dessus de nous et ils ont lancés deux bombes qui sont tombées dans le par cet sur la toiture d’une grange.

A défoncé un chariot qui se trouvait dedans et a éclaté. Mais personne n’a été touché.

Le soir, je reçois mission d’aller porter un ordre au commandant LAGOSSE à Cerisy Gailly.

Je pars donc mais sans lanterne et c’est extrêmement pénible de faire ces 15 km au milieu des marais. J’arrive enfin à l’état-major du 1er échelon où les cyclistes CANERI et HACHE me donnent une lanterne pour revenir et à 10 heures je suis rentré sans incident.

12 octobre 1914

Il est 2 heures 30 minutes. Je n’ai pas travaillé aujourd’hui.

J’ai eu le matin pour 0,10 centimes un journal car ils vont chercher le journal à Amiens.

Je vais le lire tranquillement et auparavant récapituler les localités traversées, car je n’ai pas tout noté et grâce au journal de serre je vais contrôler mes notes.

 

Récapitulation :

9 août Dongermain.

1 août idem.

12 août Jarville.

14 août La Neuville.

15 août Courbessaux.

16 août Serres.

19 Vic.

20 août Morhange.

21 août Ville-en-Ternois.

22 août Falvigny.

13 septembre Gondreville.

22 septembre Barisy-la-Côte.

23 septembre Flers.

25 septembre Hangest-en-Santerre.

30 septembre Dermmi.

1er octobre Warfusée.

5 octobre Le Hamel.

6 octobre Fouilloy.

14 octobre 1914

Toujours en séjour à Fouilloy. Toujours bien, je dois aller à Cerisy mais cette fois il fait jour et c’est moins dur.

15 octobre 1914

Nous recevons l’ordre de partir et c’est dommage, nous partons à 5 heures du matin, le commandant, LALLEMANT, DUFAILLY et moi rendez-vous à la cote 80.

Une fois arrivé le commandant m’envoie à Bray ou je dois rester de planton au téléphone.

Je suis chez une bonne femme, je serai encore bien aujourd’hui je crois. Il pleut mais je suis à l’abri, la journée est calme. Je suis avec le lieutenant et nous jouons aux cartes.

Les boches bombardent mais pas de danger pour nous.

16 octobre 1914

C’est ma fête !!

Toujours planton au téléphone de Bray.

Je suis très bien. Le lieutenant LECLERC est un homme charmant et nous continuons à jouer aux cartes. On nous apporte de la cuisine de l’état-major exactement le même repas aussi je suis bien nourri.

De temps en temps un obus arrive mais ils tirent trop long et tout éclate dans la campagne derrière nous.

17 octobre 1914

Aujourd’hui obligé de partir à Cerisy cette nuit.

Ce n’est pas drôle car il a plu. Il est 10 heures du soir et cette route qui longe les marais de la Somme n’est qu’une boue. J’ai revu Marcel SUCHOT il n’est pas loin de moi au 49ème Colonial.

18 octobre 1914

J’ai eu de la chance hier, j’ai rencontré en revenant de Cerisy un train et j’ai reconnu dans le conducteur de domestique de Madame MORLAIN, fermière à Bray-sur-Somme.

Je suis donc monté dans sa voiture et je les ai éclairés avec ma lanterne ; Heureusement car la nuit était si noire que nous avons failli nous jeter dans une batterie de 75 qui revenait du feu.

19 octobre 1914

Très calme, peu de canon, toujours très bien, mais pas de nouvelle donc mauvais moral.

20 octobre 1914

Mauvaise nouvelle, j’apprends que le lieutenant doit partir à Toul.

Je vais donc être renvoyé à mon corps. J’apprends par la suite que c’est GORCE (94 rue d’Aboukir à Paris) qui m’a monté le coup pour me faire enrager car il sait que cela m’ennuie de m’en aller. Je suis content et je pars laver un mouchoir.

21 octobre 1914

Malheureusement aujourd’hui la nouvelle est réelle et l’état-major doit rentrer sur Toul sous la direction du général BERTRONELLY et moi je dois rester à l’état-major du 20ème C.A. et je suis obligé de quitter le lieutenant et le vieux GORCE.

Pour pouvoir déjeuner encore une fois tous les trois.

 

A midi, nous quittons Bray ensemble, le commandant du génie, le lieutenant LECLERCQ, GORCE et moi, par la route de Corbie pendant 8 km puis Wiencourt-l’Abbé, nous traversons la ligne de chemin de fer et la rivière de l’Ancre.

Nous sommes en plein pays du Nord avec les maisons en briques et les routes toutes noires et boueuses ensuite Ribermont, Baisieux, Warloy, Varennes, c’est là le point où nous devons nous séparer moi à gauche et mes trois amis, je puis les appeler ainsi, à droite.

Le commandant et le lieutenant descendent de cheval on se dirige vers une auberge, mais les Allemands sont passés et il n’y a plus rien. On trouve cependant deux saucisses qu’on nous fait cuire il est 3 heures et demi pas de vin naturellement.

On boit le café et le commandant tient à payer. On se serre une dernière fois la main et les voilà parti au trot. Je reste le cœur serré les regardant Gorce agite son mouchoir. Je prends ma route à gauche.

 

La nuit commence à tomber je traverse des villages boueux Hallivillers, Arquèves, Ramcheval, Beauquesne, Terramesuit. Il fait nuit noire et j’allume ma lanterne.

La pluie tombe !

Je m’arrête sous un arbre pour consulter ma carte. Je suis dans le bon chemin.

En effet quelques centaines de mètres plus loin.

« Halte là !

« Qui vive ? »

« État-major d’artillerie avance au ralliement »

Je donne le mot de passe c’est ‘ Arras ‘.

« Ça va, passe » me dit le factionnaire.

Je m’enquière du commandant. Je vais le voir.

« Ah vous voilà avez-vous diné »

Je réponds oui car je n’ai pas faim.

 

Mon camarade est content de me voir revenu. Il s’est occupé d’avoir un lit, heureusement car je suis bien mal fichu .J’ai mangé en route un morceau de pain que j’avais mis dans la sacoche de mon vélo sans m’apercevoir que le pain était à côté du carbure que j’ai en réserve pour ma lanterne et j’ai maintenant des coliques terribles.

Je vais me coucher mais ne dors pas de la nuit décidément les lits ne me réussissent pas.

22 octobre 1914

Le lendemain, départ pour Thièves pas trop mal, dans la paille mais avec 50 chevaux qui se battent toute la nuit et nous empêchent de dormir. Dans la nuit deux plis arrivent obligé de me lever et je ne puis me rendormir.

23 octobre 1914

Le matin départ pour Hernu c’est de cette étape que j’écris.

Il est 2 heures nous n’entendons absolument rien. Je vais mieux. J’ai mangé un peu, je crois que je suis recalé de plus il fait beau, je vais écrire à ma Mie car j’ai eu une lettre et aussi à M RENARD.

24 octobre 1914

Toujours à Thièves dans une grande ferme.

On est très mal tous les matins à 4 heures on monte à un pays qui s’appelle Hernu et on reste la toute la journée.

28 octobre 1914

On va de temps en temps porter des projectiles aux batteries car le canon n’arrête pas.

29 octobre 1914

On fait la popote chez deux vielles femmes et on s’arrange comme on le peut.

J’ai vu Lebon un bon camarade qui a été élève vétérinaire à l’école d’Alfort et comme on manque de vétérinaires on l’a nommé d’emblée adjudant-veto au 26 régiment d’infanterie.

Décidément les galons se donnent vite et pour peu qu’on sache un peu faire le courtisan on est vite gradé.

Mais je préfère ma tranquillité qui ne m’oblige à nulle courbette tout en étant bon copain de tous, car chacun à plus ou moins besoin d’un l’agent de liaison.

Nous couchons, Serré, Dufailly dit Didy, Schump et moi dans une salle de réserves pour les betteraves ou nous avons apporté de la paille mais cela sent fort.

Novembre 1914 : Flandres belges

2 novembre 1914

Le temps devient de plus en plus mauvais, nous allons encore remonter plus au nord.

Nous nous dirigeons vers la Belgique, mais mes varices me font male et je vais être obligé de voir le major.

Serré offre de prendre ma place de cycliste comme il conduit la voiture médicale je pourrais si le commandant le veut, le remplacer car je commence à ne plus en pouvoir de rouler jour et nuit.

4 novembre 1914

Le commandant accepte. Je conduirai les deux chevaux et Serré fera la liaison.

5 novembre 1914

Aujourd’hui départ pour la Belgique.

J’attelle mes deux chevaux Guillaume, un grand cheval brun très courageux mais très mauvais, et Bijou, un petit cheval blanc tout rond joueur.

Serré m’a averti de me défier de Guillaume qui mord, rue. Nous serons le long des murs avec Bijou nous sommes tout de suite desa. Il me suit et au milieu des camarades qui font exprès de m’entourer il veut directement me retrouver.

8 novembre 1914

Mais je les soigne également tous les deux et à force de les étriller de les brosser ; ils deviennent beaux. Nous arrivons aujourd’hui à Poperinghe en Belgique. Tout est abimé. Puis nous poussons jusqu’à Westvletteren où nous logeons deux jours chez les Pères trappistes ou nous sommes traités comme des coqs en pâte. Puis nous repartons sur Abeele où nous sommes cantonnés en plein vent avec cela il fait un temps de chien.

Mais heureusement j’ai reçu des caleçons chauds et des gants. De plus j’ai acheté aux Anglais des pots de confiture.

12 novembre 1914

Je ne mange plus que ces confitures. Nous ne sommes pas trop mal.

Logés dans une petite grange.

13 novembre 1914

Aujourd’hui nous changeons de logement, la porte de la grange a été arrachée sous la poussée du vent.

14 novembre 1914

Il pleut toujours, le canon tonne sans cesse sur Ypres.

15 novembre 1914

J’ai vu passer ce matin un convoi d’une centaine de prisonniers Allemands et j’ai vu des femmes flamandes agiter à leur passage des bâtons car ils ont commis des horreurs ici, ils ont pillés d’abord puis brulé ensuite. Aussi nous sommes obligés de les protéger.

16 et 17 novembre

J’ai reçu une carte postale de chez nous, elle représente nos trois généraux et tout le monde veut les voir car on a ici un culte pour le général JOFFRE.

18 novembre

Toujours ici le froid et la neige commencent à se faire sentir j’ai reçu des colis de chez nous.

Je fume avec délice des Levant.

19 novembre 1914

Cette pauvre Belgique est dans un bien triste état.

Nous sommes aujourd’hui à Proven. On nous a dit que nous allions nous reposer quelques jours. Mon cochon de Guillaume ne m’a pas raté. Aujourd’hui il m’a lancé un coup de pied qui me fait bien souffrir et on dit que le cheval est intelligent ce qui est faux !

Je me suis regardé dans une glace avec ma barbe et moustache, je ne suis vraiment pas beau.

21 novembre 1914

Il fait froid. J’ose à peine me débarbouiller, alors me raser ?

Non tout est couvert de neige ce n’est pas gai.

22 novembre 1914

Toujours à Proven rien de nouveau.

23 novembre 1914

Toujours à Proven.

J’ai eu aujourd’hui un ennui. Un de mes bons camarades Dufailly qui était cycliste de l’état-Major avec moi a été relevé et envoyé aux batteries de tir. Encore un bon camarade qui s’en va.

Quand nous reverrons nous ?

24 novembre 1914

Nous avons acheté un lapin à une brave femme qui nous le fait cuire. Il dégèle un peu.

25 novembre 1914

Il dégèle toujours. Nous restons à Proven. Le temps est moins froid.

26 novembre 1914

Les bonnes gens où je suis sont très gentils. Ils ont su que je m’appelai Léopold comme le roi et maintenant c’est pour tout le monde Léopold. J’ai reçu aujourd’hui un mandat de ma Marthe de 50F.

Toujours temps doux. Bonnes nouvelles du côté russe, nous avons aussi avancé et il va nous falloir quitter probablement ce cantonnement. J’ai mangé pour la première fois du bœuf d’Amérique. Ce n’est pas mauvais du tout.

27, 28, 29,30 novembre 1914

Toujours à Proven. Rien de neuf.

Décembre 1914 : Belgique

31 novembre 1er, 2 et 3 décembre 1914

Idem.

4 décembre 1914

Départ de Proven. Cela nous ennuie de quitté car nous avons pris nos habitudes, avec ces braves gens.

Ils s’appellent DEMOREL et m’appelaient Léo. Nous étions bons amis. Enfin !

La pluie tombe, il fait un temps de chien et nous voilà à nouveau en route. Ces chemins de Belgique avec leur centre pavé font que les bas cotés deviennent rapidement avec ce charroi des ornières néfastes à la voiture. Quand j’y tombe les chevaux ne peuvent plus en sortir. Justement à deux kilomètres de Proven nous croisons les autobus du ravitaillement en viande et comme il n’y en a pas de place pour deux voitures l’autobus voulant doubler a glissé au fossé et voilà la route barrée.

Les caissons peu larges avec leurs 6 chevaux chacun passent mais moi je dois rester là deux heures sous la pluie battante et attendre le passage.

 

La nuit tombe et depuis le matin mes pauvres bêtes n’ont rien mangé. Moi non plus du reste mais j’ai pour moi ce qu’il faut dans la voiture.

Je demande du pain à un tringlot qui passe et je casse la croute. Mais la nuit est venue et l’autobus est enfin sorti de l’ornière. Où sont les autres ?

Maintenant je pars au trot en pleine nuit, je devine plutôt que je distingue la route et les deux fossés qui la bordent.

Enfin après quelques kilomètres je vois des ombres sur la route. J’entends des bruits de chevaux et des voix :

« Léo !!!Léo !!! »

Ce sont mes fidèles amis, Didy, Legendre et Meyan qui m’attendent. En un rien de temps on m’aide à dételer. Je me débarrasse de mes vêtements trempés, il est huit heures. Je vais mettre mes chevaux au parc !

Quel parc !!!

On s’enfonce dans la boue jusqu’aux genoux. Les chevaux sont mauvais. Ils ont faim. Je leur donne à manger et vais retrouver Legendre qui s’est occupé de ma soupe et aussi ce qui est plus intéressant de mon lit.

Nous allons dans une ferme où on vend de la bière, c’est la seule maison. Comme nous avons du café et du sucre on nous fait du café et nous allons nous coucher. C’est dans un petit réduit dont les murs sont percés de trous de part-en part je me sers des couvertures de mes chevaux pour boucher les trous.

La pluie tombe toujours et je m’endors en entendant des troupeaux de rats courir. Quelle salle journée !!!

5 décembre 1914

Je me réveille à 7 heures il fait à peine jour.

Il pleut toujours je vais voir comment mes bêtes ont passé la nuit. Bijou à la lèvre inférieure arrachée il s’est battu avec un autre et s’est fait mordre et maintenant il essai de mordre aussi. Je remarque que mes bêtes deviennent méchantes. Guillaume en particulier est réellement dangereux et s’il ne me casse pas quelque chose avant la fin de la guerre j’aurai de la chance.

Ce soir nous couchons encore là !

6 décembre 1914

Réveil à 6 heures.

Nous partons. J’attelle ce grand fou, ma grande carne de Guillaume ne veut pas rester tranquille. Nous faisons des kilomètres !

Combien ? Je ne sais pas. Nous arrivons à Crombeke.

Rien de particulier.

7 Décembre 1914

Nous partons à nouveau. Arrivons le soir à Straveele. Nous sommes logés dans une brasserie. Mes chevaux sont au fond.

Nous nous couchons.

8 décembre 1914

Bien dormi. Nous allons prendre le café à un petit estaminet ou on nous fait à déjeuner côtelettes frites.

Il y a du vin c’est fête.

9 décembre 1914

Toujours à Strazeele

10 et 11 décembre 1914

Je conduis deux religieuses et le curé du pays à l’Abbaye de saint Sixte. Mais après avoir fait 20 kilomètres dans des routes impossibles, nous ne pouvons arriver à l’Abbaye.

Le curé part courageusement à pieds à Poperinghe ou il a affaire et moi je reviens avec les deux sœurs à mon point de départ.

Elles ont reconnu qu’il était imprudent d’avancer plus loin.

Elles voulaient aller à leur ancien couvent à Langemark que les Boches avaient pris, mais on leur avait raconté que les Boches avaient dû reculer et elles voulaient aller chercher m’ont-elles dit une boite qu’elles avaient enterré et qui contenait 10000 f de dentelles.

Je m’offrais alors à les y mener et elles me promettent qu’elles me récompenseraient en me donnant de la dentelle. Nous voici donc repartis mais je vois bien que les obus bombardent en avant et en effet un commandant d’infanterie me dit que si je continuai nous allions surement recevoir des marmites.

Bien désolé tous les trois nous sommes revenus et les religieuses m’ont offert de l’argent que, ma foi, j’ai accepté.

12 décembre 1914

Toujours à Steenverck on est bien.

Trop bon.

Parce que je mange des frites et je bois du vin au café tous les jours et cela coute, aussi je vais arrêter.

13 décembre 1914

J’ai été raisonnable et j’ai mangé le bœuf de l’ordinaire, mais je n’ai pas résisté aux frites, j’en ai mangé pour 7 sous et bu de la bière au lieu du vin.

Je me suis transformé en atelier de couture j’ai acheté des aiguilles et du fils et j’ai recousu le fond de mon caleçon et de la tresse avec laquelle j’ai brodé les manches de mon chandail qui s’effilochaient.

J’ai bien travaillé. Ce soir tout le monde a eu des lettres mais pas moi !

Rien ne m’est plus pénible que cela.

Comment cela se fait-il ? Vais je vais me coucher bien triste car je n’ai pas eu ma part de bonheur aujourd’hui. J’écris ce soir à ma femme, elle ne le mérite pas car elle ne m’a pas écrit, elle !

Janvier-avril 1915 : Belgique, puis Pas-de-Calais

13 janvier 1915

Rien de neuf ! Toujours à Steenverck une vie de brute. On mange, on boit, on dort.

Il parait que c’est pour nous reposer !

Alors on aurait pu nous mettre dans un pays plus gai.

2 février au 8 mars 1915

Rien à signaler toujours à Steenverck.

Vie écœurante d’inaction.

Quelques voyages à Poperinghe pour mener des malades mais les boches viennent nous lancer des bombes d’avion tous les jours. Grace à Maurice ROCHER j’ai eu non pas un lit car il y a peu d’habitants mais un abri plus confortable que la grange.

Il était chez de braves gens Mr et Mme DEWICK rue de Gambecke desquels je ne dois pas perdre le souvenir.

Ils n’avaient pas de lit disponible mais avec des sacs et de la balle d’avoine nous avons confectionné chacun une paillasse et avec mon sac et mes couvertures j’ai passé là de bonnes nuits, à l’abri ce qui est le plus appréciable.

Quand on m’a piqué contre la fièvre typhoïde j’ai pu me reposer chez eux et ils ont été très agréables et très gentils car j’ai bien failli y passer et aujourd’hui encore je ne suis pas très bien. J’ai toujours des coliques et hier je suis venu me chauffer et ils m’ont fait du thé.

Aussi j’ai grand regret de les quitter car qui sait ce que j’aurais demain soir pour dormir ?

9 mars 1915

Je comptais partir à 9 heures et le maréchal-des-logis est venu à 6 heures 30 me réveiller.

« Leo on part ! »

Je me levai vivement.

 

Je fais mes préparatifs et à 7 heures.

J’attelle !

Quel remue-ménage dans le village !

Tous les gens étaient sur les portes, beaucoup avaient les larmes aux yeux.

Enfin ! C’est notre vie !

Temps superbe. Tout va bien au bout de quelques temps la pluie fait sa réapparition, le vent fraichit et on est obligé de mettre les manteaux .On marche aussi jusqu’à midi environ enfin on s’arrête pour faire boire et manger les chevaux et manger nous même avec Bernard et Legendre nous mangeons de la charcuterie dans un petit café puis a une heure on se remet en route. Nous passons à Beveren puis enfin notre cœur bat, c’est la frontière française !

Nous rentrons en France.

 

Voilà près de cinq mois que nous l’avons quittée cela nous fait du bien. Malheureusement on parle encore le patois flamand, c’est Ostcapel, Rexmude, Westcappel, Whyler, Esquelbecq, Bollezelle, Merkeghein, puis nous arrivons dans un petit pays qui s’appelle Millam.

C’est là parait-il que nous allons coucher. Enfin !

Une belle grange nous est réservée. Je rentre ma voiture. Les chevaux sont éreintés. Je dételle mes deux as puis je vais à un petit café à coté avec Bernard et on nous fait des œufs. On prend du café et on reste à causer avec le patron.

Différentes personnes se présentent demandant un lit.

Réponse négative du patron.

Cependant au bout d’un moment Bernard se lève me fait signe de l’œil de ne pas bouger. Le patron se lève derrière lui et ils sortent et rentrent au bout d’un instant et Bernard me tend un papier sur lequel je lis que le patron a un lit pour nous deux mais il ne veut pas le dire devant les autres.

Quel chantier. Nous attendons avec impatience que les autres s’en aillent, mais comme un fait exprès ils trainent.

Enfin ils partent tous.

10 mars 1915

Nous sommes assez bien dans ce pays, nous couchons dans un lit au grenier, nous ne sommes pas mal et passons là de bonnes heures.

11 mars

Toujours à Vilain.

12 mars 1915

Nous trouvons un ruisseau où il y a du poisson aussi je me promets de revenir le lendemain.

13 mars 1915

En fait de pêche, je dois aller à la gare voisine chercher du fourrage à Wellen avec Dacelnay, Benjamin et Pretu, pendant que les camarades chargent le fourrage, nous allons Dacelnay et moi à la pêche.

On en a pris quelques-uns et le temps est passé tranquillement.

14, 15, 16 mars 1915

On a du abattre 6 chevaux atteints de la morve (*) et les vétérinaires les ont autopsiés, ce n’est pas beau à voir.

 

(*) : La morve est une maladie infectieuse, hautement contagieuse, d’origine bactérienne, qui affecte les équidés. Elle peut se transmettre à l’homme et provoquer une maladie fréquemment mortelle

17 mars 1915

Départ à 4 heures 30.On passe à Watters, Wyzernes, bien reçu par les habitants nous trouvons un matelas par terre avec des draps.

Dans un fournil chez une femme dont le mari est mobilisé.

Je vais au café en face écrire mon journal.

18 mars 1915

Départ 6 heures du matin nous faisons une très longue étape et mon pauvre Guillaume est esquinté.

Et en route je demande un cheval de renfort car cet abruti tire comme un fou et se fera crever.

Nous sommes à Maisoncelle (*) un tout petit pays. On n’est pas mal dans la paille.

On me redonne Bijou il est un peu décalé depuis qu’il m’a quitté. Aussi je le gave de foin et il se rattrape à vue d’œil. Je passe mes journées dans une grande ferme. Je me couche sur l’herbe et j’ai écrit, mais en ce moment on n’a pas la poste et je ne sais si ma lettre partira aujourd’hui.

 

(*) : Nord d’Hesdin, Pas de Calais

19,20 mars 1915

Toujours à Maisoncelle, il fait beau heureusement car nous sommes sans courrier et c’est terriblement triste.

Aujourd’hui nous avons été à la chasse dans les champs voisins. Il y a énormément de gibier étant donné que personne ne chasse. Nous avons tué trois lièvres que nous mangerons ce soir. Mais malgré cela personne n’est gai, pas de lettre !

21 et 22 mars 1915

Toujours à Maisoncelle, mais des lettres enfin !!! Je suis heureux tout va bien, j’ai eu sept lettres de ma chérie aussi moral excellent.

 

A 7 heures, ordre de partir. Vivement on harnache les chevaux, on attelle, un camarade fait cuire 12 œufs durs pendant ce temps et à 7 heures 30 du soir on part.

Nous marchons toute la nuit, il fait un vent froid qui nous coupe la figure, vers 1 heure du matin je dors littéralement sur mon siège. Il faits noir que je distingue à peine les deux taches noire et blanche qui sont mes chevaux.

 

Enfin à 2 heures du matin nous arrivons à un petit hameau qui s’appelle Ternas. (*)

On forme le parc dans un grand champ.

Je dételle mes bêtes et les attachent à un arbre pendant que Legendre est dans le pays à la recherche d’une grange où je me jette tout habillé et m’endors aussitôt pour ne me réveiller qu’à 6 heures du matin.

Encore la grange ! Je m’aperçois que j’ai perdu mon couteau ! Je n’ai vraiment pas de chance.

 

Le lendemain, on cherche un cantonnement et je suis dans une ferme avec des Chasseurs d’Afrique. Mais le lendemain ils s’en vont et nous sommes plus à l’aise. Mais les eaux sont polluées et il nous faut aller faire boire les chevaux à 6 km de là !

J’emprunte une selle et me voilà partie avec mes deux oiseaux. Je leur fais prendre un long bain jusqu’au ventre dans la rivière et je reviens tranquillement sur Guillaume.

Bijou trottine à côté de moi et ne trouve pas mieux que de mordiller quand je ne le regarde pas le bout de mes souliers. En arrivant je m’installe dans un pré bien tranquillement et j’écris à ma femme.

 

(*) : Est de Saint-Pol-sur-Ternoise, Pas-de-Calais

23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31 mars 1915 et 1er, 2 et 3 avril 1915

Toujours à Ternas.

On a recruté des hommes pour partir aux mortiers de 80 et lance bombes, j’ai craint d’être désigné mais non je reste jusqu’à nouvel ordre.

Mai 1915 : les tranchées comme artilleur-crapouillot au nord d’Arras, Artois

10 Mai 1915

L’ordre est arrivé de partir à 2 heures 30 de l’après-midi ; Nous attelons encore une fois, les gens du pays sont désolés, car ils savent ce qu’ils quittent et ne savent pas ce qu’ils vont recevoir.

Pour nous pas de regret quand nous n’avons plus de lit, car un cantonnement en vaut bien un autre.

Nous marchons tout l’après-midi et arrivons à un petit pays pas loin des batteries de tir qui tonnent sans répit. Les avions passent au-dessus de nous, nous sommes dans une belle ferme. Les Boches ne sont pas venus, mais les joyeux y sont cantonnés et c’est à peu près le même dégât

Tout est abimé, une odeur insupportable de viande putréfiée règne, car il y a un peu partout des chevaux enterrés et les ordures laissées par nos prédécesseurs. C’est Hermaville (*), près d’Aubigny-en-Artois.

 

(*) 15 km à l’ouest d’Arras, Pas-de-Calais

11 mai 1975

Toujours à Hermaville.

Nous avons été à la gare d’Aubigny et avons vu des quantités de blessés français et allemands

13,14 mai 1915

Toujours à Hermaville, nous avons encore été à Aubigny mais on ne trouve plus rien chez les commerçants, quelques pommes de terre quelques carottes quelques camemberts acheté pour la cuisine. J’ai vu pour la première fois un train blindé avec un canon de 194.

Il pleut et fait froid.

15 mai 1915

J’ai eu aujourd’hui une grosse émotion. Je suis désigné comme le plus jeune pour aller servir au canons de tranchées dit crapouillot, je sais que c’est très dangereux et que de ceux qui y sont partis peu sont revenus et encore dans quel état. Le commandant m’a serré la main hier soir, j’ai peur qu’il ne sache déjà ce qu’il en est.

Je m’ennuie horriblement, non pas que j’ai peur, mais voici 9 mois que je vis avec mes amis et j’ai un chagrin fou à la pensée de les quitter ainsi que mes pauvres chevaux.

19 mai 1915

Ça y est !!!... Ce que je craignais est arrivé, à minuit on est venu me réveiller pour me dire de me tenir prêt à partir à 4 heures du matin avec un repas froid. Pour aller apprendre le maniement d’un nouveau lance bombe de tranchée canon de 58.

Certes je ne crois pas être peureux, mais cela m’a donné un coup au cœur car je sais combien sont partis et ce qu’il en est advenu.

Ce canon est destiné à démolir les tranchées allemandes de première ligne, les abris mitrailleuses avant les attaques et on est forcément en ligne avancée devant les premières lignes, même quelquefois, car ce canon ne tire pas loin, c’est un mortier qui lance une torpille munie d’ailettes.

21 mai 1915

4 heures, je n’ai pas besoin de me faire éveiller car je n’ai pas dormi de la nuit.

Que j’ai pensé !

Mes bons copains Bernard, Legendre, Pennequin sont désolés, ils m’ont préparé un repas froid, ils ont tous les larmes aux yeux.

Bernard me dit qu’il va faire une dernière démarche auprès du Major. Je pars en voiture, nous sommes une dizaine tous du même âge. Nous faisons une quinzaine de kilomètres et arrivons à Roëllecourt.

Dans un champ une tranchée est faite, mais une tranchée simulée car l’ennemi n’est pas là.

Nous sommes toujours derrière les lignes.

On nous montre un petit mortier au fond de la tranchée puis au bout d’un moment arrive un capitaine d’artillerie, qui nous explique ce que l’on attend de nous. Il s’efforce de nous rassurer, mais nous nous rendons bien compte de ce que cela dit être dangereux.

Enfin ! Voilà dix mois que j’étais tranquille. Cela ne pouvait pas durer toute la guerre. Je n’ai jamais eu de veine, cela continue !

 

Nous tirons ce canon, le projectile pèse 103 kg mais il est monté sur une tige de 5 cm, 8 de diamètre que seule rentre dans la pièce. Le projectile restant dehors, il est muni de 3 ailettes d’acier qui l’obligent à retomber sur la pointe. Je crois que c’est aussi dangereux pour ceux qui tirent que pour ceux qui le reçoivent, car on a si peu confiance que pour mettre le feu on allume une mèche et on se sauve vite derrière un abri de terre.

Je suis désigné comme pointeur c’est naturellement moi qui mettra le feu après avoir pointé la pièce et qui reste le dernier, les autres ayant été se mettre à l’abri en cas d’éclatement prématuré, ou encore une des ailes peut parait il se détacher au départ.

C’est gai ! Et comme elle est plate elle peut en tourbillonnant vous couper la tête aussi nettement qu’avec un coupe chou.

 

Après avoir tiré, nous allons dans un café voisin, chacun cache ses craintes sous une allure joyeuse et je suis très mal à l’aise car je ne sais rire lorsque je n’en ai pas envie et je n’en ai vraiment pas envie.

Enfin on rentre, ils ont tous bu bien plus que de raison, pour se donner comme on dit « du cœur » et c’est miracle que le conducteur complètement gris ne nous ait pas tués en route, ma foi ! Un peu plus tôt,  un peu plus tard !!!

 

En arrivant Bernard me dit que le major a fait une tentative pour moi auprès du capitaine et qu’elle a réussi.

Nous serons deux de remplacés par deux hommes qui auraient insultés un officier durant la journée. Celui qui doit rester avec moi a été choisi par le capitaine et s’appelle PAYER et il est bien content. Aussi nous nous installons pour diner auprès de la tente que nous avons aménagée et je renais à la vie. Je remets en place mon paquetage, je retourne embrasser mes chevaux que j’avais tant de chagrin de quitter, c’est la joie !!!

J’apprends que ceux qui doivent partir sont déjà prêts à être expédiés quand tout à coup un cycliste arrive et me dit de me préparer de suite à partir avec les autres car le commandant du 58e ne veut pas que je sois remplacé par des hommes punis, qu’il ne voit pas pourquoi on enverrait à un poste d’honneur de mauvais soldats, des gens qui ont fauté, que dans l’armée d’élite qu’il formait, il voulait de bons éléments qu’enfin je ferai son affaire etc…

Le capitaine se dérangea expliquant au commandant que je faisais aussi « son affaire »

Rien à faire !

 

Une auto est là, il est 4 heures.

Quel moment terrible pour moi ! Mes amis me font mon paquetage ils mettent tout ce qu’ils ont du pain, des conserves, Pennequin me donne sa musette, du vin, je laisse faire, je suis anéanti. Nous grimpons dans l’auto.

Je serre la main à tous, leur recommandant surtout de me faire suivre mes lettres car je ne veux pas donner mon adresse au crapouillot de crainte qu’on sache à la maison ce que c’est, je trouverai ensuite une histoire à inventer mais je ne dirai rien !

Nous arrivons dans un village dévasté, maisons éventrées, une ligne de chemin de fer avec sa gare toute démantelée, le canon sonne tout près.

Nous déchargeons nos sacs, nos fusils et nous partons avec un jeune sous-lieutenant qui parait être sorti de terre, plus nous marchons, plus le bruit de la bataille devient distinct c’est Maroeuil.

Peu après Madagascar près d’Arras, nous avons fait 15 km à pied avec nos charges sur les reins. Nous ne tenons plus debout et nous n’avons plus rien à manger.

 

La nuit est tombée, j’entends le lieutenant demander :

« Où est l’entrée du souterrain, qui conduit aux tranchées ? »

On le lui montre, c’est un étroit boyau sombre où un seul homme peut se tenir baissé. Nous voici partis l’un derrière l’autre nos sacs, nos fusils, nos musettes raclant les parois de terre.

Nous marchons 1km environ, nous nous accrochons dans des fils électriques qui courent tout le long des parois. La terre tremble de temps en temps un lugubre sifflement nous avertit qu’un obus boche arrive à la surface, instinctivement tout le monde se baisse, le coup arrive nous couvrant quelquefois de terre puis nous arrivons aux troisièmes lignes.

Des fantassins sont là immobiles dans la nuit, c’est peine si on les distinguait.

La cartouchière bourrée, le fusil au créneau d’autres ont taille des trous dans la paroi du couloir et là comme des bêtes, ils sont couchés. Personne ne cause c’est effrayant. Et moi qui croyais que depuis près d’un an, je faisais la guerre !!! Et combien se sont freinés cela.

Le lieutenant nous dit de nous assoir dans ce couloir en attendant qu’il aille prendre les ordres du colonel du régiment d’infanterie avec lequel nous marchons. Nous avons attendu là combien de temps ? Je ne sais, dans ce couloir où nous ne pouvons restés couchés car il passe continuellement des fantassins.

 

C’est seulement le lendemain vers 10h qu’il est revenu. Nous n’avions rien à manger, rien bu et pas dormi. Nous étions tous comme fou.

Enfin le lieutenant est revenu bien frais et bien tranquille comme s’il venait de nous quitter. J’ai compris plus tard qu’il avait été diné et passer une bonne nuit dans le poste de commandement d’un officier d’infanterie. Nous laissant là comme des chiens, et encore des chiens, il aurait craint de les perdre, mais des hommes ! On ne peut les perdre ! Cela n’a aucune importance.

Nous repartons donc accompagné cette fois ci d’un officier d’infanterie. Nous faisons 1500 mètres environ. Nous sommes avec le 236ème d’infanterie.

On nous recommande expressément de ne pas regarder par-dessus la tranchée car les Boches sont à 60 mètres et on entend à chaque minute un petit claquement sec, c’est un Boche qui salue d’une balle tout mouvement qu’il peut entrevoir. Nous entendons des sifflements au-dessus de nos têtes, c’est du 77.

Nous baissons tous instinctivement la tête, l’obus éclate à quelques mètres et nous recevons souvent de la terre, des pierres et même quelques éclats, sans force heureusement.

Ah ! Comme notre vie des sections (*) est loin déjà et comme nous avions tort de croire que nous faisions la guerre qu’étais ce cela auprès de ce qui se passe ici ?

Un peu d’enfer.

 

Nous couchons PAYER et moi dans une petite cabane abandonnée par les fantassins, le dos de notre maison fait face aux Boches On entend même des bruits de leur tranchée.

Je me jette à terre et dors malgré tout comme une brute à même la terre malgré le fracas du canon et les sifflements des obus au-dessus de nos têtes. Nous entendions les départs des Boches, les nôtres, et les arrivées, les tranchées sont bouchées en certains endroits et il faut faire bien attention, lorsque l’on est sorti de la cagua, de ne pas relever la tête car tout ce qui dépasse du boyau est infailliblement visé et souvent atteint.

On nous a distribué pour nous protéger des calottes en fer que nous mettons par-dessus le bonnet.

 

(*) : Sections de munitions d’artillerie (SMA). Elles font partie du parc d’artillerie. Léopold devait êtres rattaché à l’une de ces sections.

30 mai 1915

Le 30 mai, le 205e régiment d’infanterie attaque le « labyrinthe », au nord d’Arras. Le labyrinthe est un ensemble allemand complexe et très bien défendu de tranchées, boyaux, fortins au nord d’Arras.

 

Description : Description : Description : Description : Description : 1

 

Extrait du Journal du 205e RI

On y lit « … et le canon de 58… », qui est peut-être la batterie de crapouillot de Léopold ?

 

 

Hier il y a eu une attaque, c’est une chose que l’on ne peut décrire. C’est fou !!!

C’est l’enfer, il pleut de la mitraille partout, chacun cherche un trou pour s’y cacher !

La tête, la tête surtout, la terre, les pierres tout voltige autour de vous et on ne voit même pas à deux pas devant soi tellement la poussière est soulevée. Et il faut aller chercher la soupe à 4 km de là à Anzin-Saint-Aubin. Chaque matin et chaque soir et faire 8 km avec des seaux en toile, pleins d’eau, de vin ou de café. On mange un morceau de viande qui est froid naturellement, on doit se cacher dans un trou qu’on a préalablement creusé, quelle vie !

Après un duel d’artillerie qui a duré trois heures tout est effondré, de temps en temps d’un tas de terre éboulée on voit un pied ou un bras.

C’est un malheureux qui a été enterré vivant dans sa cagna. On le sortira quand on pourra, mais pour le moment rien à faire car ça tombe de tous cotés. Enfin, les fantassins s’élancent sur le parapet, mais les premiers sont fauchés comme des fétus.

Ils courent vers le fortin en s’abritant derrière des troncs d’arbres, dans des trous, la grenade commence à cracher, mais au bout d’un instant, ils reviennent ou du moins une partie de ceux qui sont partis reviennent. Le tiers à peu près, et le fortin n’est toujours pas pris.

Mais seulement un petit bout de tranchée a été pris et gardé par ces braves gars !!! C’est le 205 d’infanterie.

Mais sur le coté droit et le milieu des Boches sont toujours là.

Les hommes qui sont partis ne sont heureusement pas tous tombés comme je le craignais. Une partie occupe l’élément de tranchée qu’ils ont pris et ils nous font signe avec un petit drapeau, que ce sont eux qui sont là afin que nous leur tirions pas dessus.

Mais le soir, il fallait voir les pauvres copains se chercher et entendre :

Où il est un tel ?, Tué un tel ? Blessé un tel ? Je l’ai vu tomber etc.…

Ces choses ne peuvent se raconter.

31 mai 1915

Toute la nuit les Boches ont tiré.

On se voit du reste la nuit comme en plein jour car les Allemands lancent des fusées éclairantes qui planent au-dessus de nous, suspendu en l’air par un petit parachute. Ceci pour voir si nous ne préparons pas une attaque.

De temps en temps un 77 arrive, mais celui-là on l’entend heureusement siffler avant son arrivée et on se cache, mais lorsque c’est le 105, c’est plus difficile de se protéger car on l’entend trop tard pour pouvoir se garer et les éclats volent beaucoup plus loin. Quand au 240 on ne cherche même pas à s’y soustraire et on attend son arrivée en se remettant au destin. Il fait un bruit épouvantable projette des masses de pierre et de feu et je tremble qu’il ne tombe même un morceau sur notre cagua car nous serions surement enterrés vivants.

Nous tirons encore cette après-midi car les fantassins vont attaquer ce soir et je prépare mon paquet car nous avons ordre de nous retirer dans la tranchée d’arrière avec nos pièces au cas où les nôtres ne pourraient tenir.

Par précaution je me suis gravé une plaque avec mon nom que j’ai fixé à mon poignet au cas où mon tour viendrait, d’être touché pour qu’on me reconnaisse, car j’ai vu ce qu’il reste d’un corps humain lorsqu’il est atteint et comment il peut être déchiqueté. Je passe en ce moment des heures que je n’oublierai pas de sitôt ! Si je vis ??

J’ai écrit encore aujourd’hui à ma Mie, j’ai dû confier ma lettre à un fantassin qui lui, doit la remettre à un vaguemestre, quand ? Comment ?

Je n’ai toujours pas de lettre car je n’ai pas voulu dire chez nous, ma nouvelle adresse. J’aurais été obligé de mettre canon de tranchées et cela les aurait affolés. J’attends donc que ma section puisse me les faire parvenir. Ceux qui étaient avant nous sont restés un mois, et voilà seulement 6 jours que nous y sommes encore 24 jours à risquer sa peau cinquante fois par jour !

Alors ? Arriverai-je au bout ??

Et après il faudra tout de même recommencer le mois suivant.

Juin 1915 : les tranchées en Artois

1er juin 1915

Les Boches nous font subir depuis hier un bombardement intense, celui qui n’a pas subi cela, ne peut même avec la plus belle imagination du monde s’en faire une idée.

D’abord la mitrailleuse d’en face, Chopart comme nous l’appelons n’arrête pas de tirer de jour comme de nuit sans arrêt même lorsque personne ne se montre, c’est le système allemand de la surveillance et jour et nuit on entend le tac tac tac des balles qui frappent la terre de notre abri avec un bruit mat.

 

Hier j’ai reçu ma première blessure, j’ai eu plus de peur que de mal et je crois que décidément la Providence ne veut pas m’abandonner.

Depuis ce matin les Fritz, soit qu’ils méditent une attaque, soit qu’ils en craignent une de nous-mêmes, se livrent à une véritable débauche de projectiles. Il en tombe sur notre secteur un par seconde, 77, 105 grosses marmites, ces derniers les plus dangereuses.

La terre voltige de tous côtés et on ne se voit pas à deux mètres avec la fumée et la poussière que tout cela dégage. On voit les uns et les autres courir affolés de ce bouleversement indescriptible, comment sommes-nous pas tous réduits en bouilli, Dieu seul le sait !

Nous restons tous dans nos abris, bien précaire cependant, faits de nos mains qui les ont creusé dans la terre, non étayés et sur lesquels le moindre obus arrivant aurait tôt fait de nous enterrer vivants.

J’entends de la cagua voisine un sous-officier me crier :

« Les lettres sont arrivées mais les nôtres ont été envoyées par erreur à une autre batterie de 58 ».

Laquelle ? Personne ne le sait.

 

Pour le savoir, il faudrait aller demander au lieutenant, mais il est bien loin à 1 km 500 d’ici dans une bonne cagua et comment se reconnaitre dans le fouillis de ces boyaux bouleversés.

Tant pis je pars encouragé par tous les copains, mais PAYER auquel je découvre chaque jour des qualités sous ses dehors brusques ne veut pas que j’aille seul. Il tient à m’accompagner ce qui n’est pas sans mérite d’autant plus que seul au monde il n’attend pas de courrier. Enfin j’accepte, et nous partons.

 

On s’arrête à chaque moment devant un boyau comblé, il s’agit alors de franchir à découvert le passage effondré, on s’élance en courant un saut ça y est, mais aussitôt la mitrailleuse tac, tac, tac, tac, trop tard nous sommes passés. Mais il ne faut jamais se suivre, la balle tirée trop tard sur le premier étant susceptible d’atteindre le second donc le premier passe attend le second dans un endroit abrité et on repart l’un derrière l’autre dans le boyau abrité qui n’a que là la largeur nécessaire au passage d’un seul homme.

Enfin nous arrivons au lieutenant qui gite au fond d’une véritable cave, il commence par nous engueuler, nous demandant si nous sommes fous de venir ainsi en plus des bombardements, risquer notre peau mais notre sacrifice est vain car il n’a pas les lettres.

Cependant il nous promet que dès qu’il les aura il nous les fera parvenir aussitôt.

 

Et nous repartons par le même calvaire, mais que de dégâts depuis nôtre passage cependant récent, dans les trous qui restent des cagnas éboulées, les brancardiers ont en vitesse étendu un blessé en attendant que les Boches se calment et qu’ils puissent l’emporter aux postes de secours, mais les malheureux souffrent et errent !

« Oh ma tête ! Oh mes jambes ! Quelques-uns Maman ! »

Des pieds des mains des têtes déchiquetés, des linges sanglants, c’est terrible et le pauvre blessé est là seul, à gémir, sans un mot de réconfort, sans rien, attendant quand il le peut encore raisonner le second obus qui éclatera auprès de lui et l’ensevelira vivant !

 

 

 

Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : Description : feather

 

Je désire contacter le propriétaire du carnet de Léopold REY

Voir sa fiche matriculaire

Voir des photos de soldats du 8e régiment d’artillerie

Vers d’autres témoignages de guerre 14/18

Suivre sur Twitter la publication en instantané de photos de soldats 14/18

Retour accueil