Mise
à jour : novembre 2014
Gérard
Soyez durant son service militaire
« 109 » étant le nombre de jours avant la fin théorique du service.
Préambule
Chantal m’écrit de Belgique
en octobre 2014 :
« Je suis arrière-petite-fille du sergent-fourrier Gérard Soyez du 127ème régiment d’infanterie.
J’ai retrouvé dans la maison le carnet de campagne de mon arrière-grand-père, un récit qu’il commence le 26 juillet 1914 et se termine le 9 janvier 1915, car il a été touché d’une balle dans l’épaule et est parti en convalescence à Menton.
Le récit est au crayon et un voisin m’a aidé pour retranscrire ce récit mais il y a des hésitations concernant des noms de famille et des noms de lieux. Je viens aussi de retrouver une photo avec 12 hommes qui ont le chiffre 127 sur le col de leur uniforme et le chiffre 109 sur leur poitrine.
Mon arrière-grand-père est sur la photo. Mon arrière-grand-père était français et habitait Wasnes-au-Bac.
Merci à vous pour votre aide »
Merci à Chantal pour l’envoi du récit de son arrière-grand-père et à Jean-Rémy pour la recopie partielle qu’il a effectué.
Début du récit
Prologue : Jean JAURES est assassiné le 31 juillet 1914 par Raoul VILLAIN qui lui tira des balles de revolver dans la tête
Toutes les opinions s’inclinèrent, un sentiment d'indignation souleva tous les honnêtes gens
JAURES avait fait comprendre aux gens la gravité de l'heure
JAURES est né à Castres, et il était un des chefs du parti socialiste
Le dimanche 26 juillet 1914 l’ordre arrive de ne plus donner de permissions et de faire rentrer immédiatement les permissionnaires. Je suis à la caserne et j'en profite immédiatement pour partir dans la direction de Blanc Misseron où il m'est possible d'aller à Quiévrain et Eugies saluer ma femme Marthe et ma petite fille Gérardine, que je quitte le soir avec un gros chagrin, sans savoir si je les verrai encore.
Il y a des bruits de guerre en l’air, tout va au plus mal.
La semaine du 26 au 2 août 1914 sera pénible dans l’attente.
Nous préparons la mobilisation générale et écrivons nos dernières correspondances avec nos familles.
Mobilisation générale le dimanche 2 août 1914.
L'ordre est affiché le 1er vers 3 heures de l'après- midi. La mobilisation commence à minuit.
Photo de
groupe du 127e RI avant la guerre.
Cliquer sur la
photo pour agrandissement.
Pas trop de turbin, nous touchons notre collection de guerre, confectionnons notre ballot individuel et réintégrons nos vieux effets en magasin.
Vers 10h, arrive ma nomination de sergent-fourrier. J'en suis flatté, au courant de mes fonctions, il ne reste plus qu'à les accomplir.
Je verse au magasin du corps tout ce que la compagnie a en compte et qui n'est pas emporté en campagne. Je profite de ces petites sorties de la caserne pour faire mes adieux aux amis et boire encore ensemble quelques bonnes pintes chez le maréchal Poruniaux !
Notre estaminet habituel ou tous les matins nous canalisons avec le sergent-major Leblanc et mon ami Trupin boire notre café. Nous préparons les listes pour recevoir les réservistes qui doivent arriver le 3.
J'écris une petite lettre à ma femme et à ma petite fille leur disant qu'il est dur de partir à la guerre sans pouvoir les embrasser.
Réveil à 5 heures du matin.
J'installe mon bureau pour la réception des réservistes. Je me charge avec mon ami Van Mullem Auguste de faire tout le travail car mon caporal-fourrier réserviste n'est au courant de rien.
De 6 heures du matin à 3 heures de l'après-midi, les réservistes ne font qu’affluer, les derniers sont particulièrement éméchés. Arrivent également tous nos vieux déserteurs très repentant de leur faute, qui ne demandent qu'à sauver la France.
À 17 heures, une note du commandant nous apprend que le quartier est déconsigné à 18 heures. Je m’empresse à tout replier et à remettre au lendemain tout le travail qu'il reste à faire.
J’enfile la capote d'un troupier de la classe, la mienne étant au tailleur et je fais une petite sortie avec mes camarades.
Nous buvons quelques bonnes pintes, nous avons fait une bonne danse au piano automatique, puis nous avons été faire nos adieux au doyen Dienne qui nous a remis une médaille scapulaire qui nous portera bonheur toute la durée de la guerre.
Nous rentrons à 21 heures après avoir pris une dernière pinte à l'estaminet de la garnison. Les hommes sont gais et éméchés, on a grand peine à les faire rentrer.
À la caserne c'est un chahut épouvantable, personne ne veut se coucher. Le camarade Pierre LEROY, caporal, est particulièrement très ému.
Enfin vers 23 heures, les bruits cessent et on peut dormir tranquille.
Réveil à 5 heures du matin, les hommes continuent à se préparer, on passe des revues, pendant ce temps je m'empresse de terminer ma comptabilité de campagne.
De temps en temps, je m'esquive en qualité de fourrier pour aller prendre quelques rafraîchissements.
Pendant ces journées de mobilisation les 2-3-4 août, c'est une affluence considérable de pères, mères, femmes et enfants qui veulent adresser un dernier adieu au leurs. Que de larmes se sont versées ces jours près de la grille du quartier.
À 18 heures, le quartier est encore déconsigné, la même séance que la veille se renouvelle, mais avec plus d'intensité encore.
Réveil à 4 heures du matin, nous, nous préparons au départ. Je vais faire mes adieux à la vieille boulangère chez qui je percevais journellement le pain de la compagnie.
Elle m'offre une bonne tasse de café, car j'arrive trop tard pour déguster la tarte.
À 6 heures, rassemblement dans la cour du quartier, une dernière théorie nous est faite sur le paquet de pansement. Quelques hommes en deviennent malades. Puis on se ballade encore quelques instant en jetant un dernier coup d’œil sur la caserne Nesle que nous allons bientôt quitter.
À 7 heures, nous quittons la caserne, la porte est envahie, les rues sont bondées de Condéens (*) et habitants des environs, la plupart, parents et femmes de soldats qui versent leurs larmes et disent un dernier adieu à ceux qui partent défendre notre chère patrie.
Nous traversons Condé au pas cadencé, l'arme sur l’épaule, au son des clairons et des tambours. Tous les pauvres gars retiennent leurs larmes, tous ont le cœur gros, mais sont content d'aller détruire l'empire germanique.
Nous traversons Fresne-Thierson les mêmes scènes se reproduisent, mais les hommes entonne sur toute la route des chansons patriotiques pour diminuer la douleur des pauvres parents.
Nous passons à Bruay-sur-l’Escaut.
À l'entrée du village, de nombreux hommes faisaient la chaîne, un seau de bière à la main, cela offert par la brasserie Bauly qui ne nous oubliait jamais chaque fois que nous passions lors des marches manœuvres. Tous y puisent et se rafraîchissent on ne peut mieux.
Là je rencontre la mère de Paul à qui je serre la main, puis c'est son frère Gaston qui exempt du service militaire est resté à Bruay. Ce sont les seules connaissances que j'ai pu rencontrer.
Nous passons ensuite devant chez le marchand de vin Wahin-Clique ou se fait une grande distribution de bouteilles. Pour mon compte j'en ai deux, le capitaine n'est pas très content car les hommes commencent à l’énerver.
Nous arrivons enfin à la croix d'Anzin où nous stationnons une bonne heure avant l’embarquement en chemin de fer.
On nous apporte à volonté du vin, des tartines et des cigares. Pour ma part, je touche un bon cigare belge avec une bague à l’effigie du roi Albert. Puis préparation à l’embarquement.
Nous nous rendons à la gare où un train de marchandises est aménagé. Nous y penons place à midi.
Direction inconnue.
Passons à Le Quesnoy-Avesnes, Anor.
Ici de gentilles demoiselles nous apportent des boissons rafraîchissantes, nous en gardons bon souvenir.
Passons à Hirson, puis arrivons à Auvillers-les-Forges, gare de débarquement.
Je pars immédiatement avec les fourriers pour faire le cantonnement. Le capitaine s'aperçoit que nous avons oublié 1 jour de pain sur la voiture et me recommande d'en acheter en arrivant, ce que je fais.
Quant au cantonnement il est ardu et restreint, j'arrive quand même à loger tous mes hommes. Ils doivent se résigner, c'est la guerre.
Pour la première fois je couche dans un lit chez Mr……… ?,douanier retraité qui est très gentil, je me couche très tard.
À peine avais-je eu le temps de manger. Avant d'aller dormir le patron nous a offert un bon verre d'eau-de-vie de prunes.
(*) : Habitant de Condé (Nord)
Jeudi 6 août 1914
Réveil à 4 heures du matin.
À 5 heures ¼, rassemblement du campement dont je fais partie et départ pour Bossus-lès-Rumigny, à 12 km d'Auvillers. Nous y arrivons vers 9 heures 1/2 du matin.
Le long de la route nous nous acharnons vers les pommiers qui la longe et mangeons les fruits qui quoique peu murs, nous rafraîchissent quand même
À l'entrée du village, une bonne vieille était occupée à traire en prairie.
« Tenez, mes enfants »
Dit-elle en nous présentant 2 seaux de lait.
« Prenez à votre
aise ».
Nous étions une dizaine traînaillant à l’arrière du détachement ce que nous fîmes en prenant chacun un litre de lait. Puis nous sommes arrivés à la mairie où le maire et les conseillers nous attendaient pour faire le cantonnement.
Le nôtre était sur la route d’Aubenton et avions de la place pour nous loger à notre aise.
J'ai beaucoup de difficulté pour avoir une paillasse chez une vieille institutrice. Elle me la donne quand même. Je m'installe chez mademoiselle Gransart, une gentille personne, chemin de la papeterie.
Nous y restons trois jours.
On y vit très bien. On mange du poulet du lapin que cette demoiselle nous arrange. On y boit du bon vieux cidre et de l'eau-de-vie de prune dont une bouteille est mise à notre disposition.
Malheureusement des maraudeurs d'autres compagnies lui dérobent quelques poules. Elle n'est pas très contente, mais conserve quand même un grain d'estime pour ses bons sous-officiers.
Nous y étions 4 : Adjudant Dubois – sergent Manche – caporal fourrier Vanbecke et moi, sergent-fourrier.
Nous passons ainsi à Bossus-les-Rumigny les journées des 6-7-8-9 août.
Pendant ce temps, ce sont des revues, on va à l’exercice et nettoyons notre linge.
Nous assistons à la messe. Le curé ne nous dit que quelques paroles, il n'est pas sympathique.
À 16heures ½, nous apprenons la bonne nouvelle. Les Français sont entrés à Mulhouse.
C'est un beau succès et nous l'arrosons. En compagnie du sergent major Leblanc, le sergent Eggemont, le major Manche, on va boire maintes bouteilles chez un vieil aubergiste qui tient café route d'Aubenton.
On boit et on chante des chants patriotiques qui rappellent de vieux souvenirs d'Alsace.
Nous nous quittons vers 9 h1/2, il y avait une heure que l'appel était sonné.
Au retour on avait cru apercevoir un dirigeable qui survolait la région, de suite nous allons réveiller l'adjudant pour avoir ses jumelles. Il ouvrira sa fenêtre et lui aussi regarda. On était convaincu que c'était un Zeppelin.
On fixa des heures, la lumière restait toujours à la même place. Il fallut en conclure que c'était une étoile dont l'intensité lumineuse apparaissait et disparaissait.
Quand nous nous couchions, il était minuit.
Nous quittons Bossus pour aller cantonner à Sécheval, nous traversons les villages de Antheny – Foulzy – Girondelle – Marby – Blombay - Laval-Morency – Rimogne – et Renwez.
La route est très longues, 35km, la journée excessivement chaude. Les peu habitués à la chaleur tombent sur la route, mais peu sont atteint gravement.
Ce sont les plus faibles qui lâchent pied, interdiction absolue de boire de l’eau, car beaucoup en boivent à profusion, c'est ce qui les malades.
Le commandant fait renverser tous les récipients qui bordent la route quel que soit leur contenu.
Grande halte à Laval-Morency. Nous traversons Rimogne où on nous encore eau – café etc … .
Souhaits de bonne chance de jeunes filles, distributions de fleurs.
Peu après le campement on se détache pour prendre de l’avance. Grande difficulté la route, tous tombent de fatigue.
A la traversée de Renwez, une bonne boisson me soulage, c'est du rhum mélangé d'eau sucrée. Je le bois à bonne gorgée, tombe à pic sur le Général qui fait un sale œil, alors je faisais semblant de cracher l'eau, lui faisait voir que je rinçais tout simplement la bouche.
Arrivons à Sécheval, après une longue traversée sous-bois, à 18 heures. Un brave me soulage en me donnant un bon verre de bière que j'avale d'un trait.
Puis c'est la répartition du cantonnement, que diable, je n'ai pas de chance, une rangée d'une dizaine de maisons avec grenier peu solides, la plupart sans foin et il faut y loger 250 hommes.
Les malheureux étaient bien entassés.
Ils arrivent éreintés à 19 heures 1/4 et n'ont pas l'air content de leur logement. Les distributions se font normalement, on mange très peu puis l'on se couche.
Toute la nuit on se gratte. Il y a des petites bêtes.
Réveil à 6 heures.
À 7 heures, manœuvre de bataillon vers les Mazures, attaque du village et prise d'assaut. Quelle purge ! Si encore on trouvait du rafraîchissement.
Plus rien nulle part, les
estaminets ne vendent plus que de l’eau. Autant en boire aux pompes.
J'oubliais de reparler des petites bêtes, la moitié des hommes et moi-même en
étions remplis, on les avait récoltées dans le foin, je ne sais pas ce que
c'était.
Pour desserrer le cantonnement une section déménage et nous allons loger dans
une ferme à l'entrée du village. Nous faisons cuire une poule, elle était
tellement mal arrangée qu'on s’écœure en l’ébouillantant.
Puis après un bon lavage des pieds à la tête pour se débarrasser des bestioles, nous partons à la maraude de pommes.
Ni vus ni connus.
Sécheval.
Réveil à 6 heures 30, repos toute la journée.
Je reçois une lettre de ma femme. Quelle joie !
Nous quittons Sécheval à 1 heure du matin après un léger sommeil de 4 heures.
Les premières heures de marche sont dures, elles se font en sommeillant. Mais voici l'aurore et à nos yeux se dessine la merveilleuse vallée de la Meuse avec ses collines boisées et d'un pittoresque inoubliable. Nous apercevons la Meuse après une descente assez brusque, les jolis panoramas nous font oublier nos fatigues.
On oublie la guerre, et se croyant touriste voyageur, on contemple avec bonheur cette belle vallée de la Meuse. Nous avions traversé les villages de Deville – les Mazures et arrivons ainsi à Revin après avoir longé un peu de Meuse.
Dans la jolie petite ville de Revin nous posons 3/4 d'heures, à cause d’un vieux pont suspendu que l’on ne peut traverser que par petits paquets.
Nous longeons toujours la Meuse, traversons Fumay très remarquable par ses jolies carrières d’ardoises. Un peu au-dessus, nous y faisons la grande halte sous un soleil des plus chauds.
Le campement se détache après ¾ heures, nous partons pour Montigny-sur Meuse, où nous arrivons vers 4 heures.
Le cantonnement est vite fait, une pâture. La compagnie va bivouaquer. Ce qui m’ennuie le plus ce sont les distributions.
Les hommes arrivent à 17 heures et j’en ai jusque 19 heures. Je n’ai pas le temps de manger la soupe.
Heureusement que le capitaine avait du rabiot, c’est avec plaisir que j’ai mangé de sa popote. Le capitaine me recommande d’acheter de l’alcool pour les hommes, nous en profitons pour boire une bonne bistouille (*) avant de nous coucher.
Je m’arrange pour coucher dans un grenier sur un tas de foin où j’y ai bien chaud.
(*) : Café mêlé d’eau-de-vie
Vendredi 14 août 1914
Réveil à minuit, départ à 1 heure, c’est encore la marche de nuit.
Longeant toujours la vallée de la Meuse, nous traversons Vireux, Ham-sur –Meuse et Givet à 5 heures ½.
Un chaland allemand est coulé dans la Meuse.
Nous apprenons que la veille, un espion allemand a été arrêté. Il était déguisé en major, malheureusement pour lui, il portait ses décorations à droite.
Nous quittons le sol français à 7 heures. Le reverrai- je ? Je l’espère ? Dieu en qui j’ai mis toute ma confiance me gardera.
Nous arrivons en Belgique où nous empruntons la grand-route de Philippeville.
Traversons Agimont, puis arrivons à Gochenée.
Grande halte à l’entrée du village, nous sommes reçus à bras ouverts. Les bonnes femmes du village arrivaient avec des hottes pleines de tartines, des fruits de toutes espèces, des seaux de café au lait.
Nous avons à manger à volonté. Dans toutes les maisons où je vais faire mon cantonnement, on m’offre à déjeuner, j’accepte partout et je déjeune 4 fois. J ‘avais un appétit féroce.
Il était 10 heures et depuis minuit nous étions en marche. Nous sentions que nous étions en pays ami. On m’offre de plus une magnifique chambre à coucher où je vais, ma toilette terminée, me reposer quelques heures.
Et puis ce sont des gentillesses extrêmes, on nous fait une omelette au jambon, nous sommes aux anges.
La demoiselle est très gentille, seulement, je dois me tenir sous réserve car je suis marié. Je profite de mon arrivée en Belgique pour écrire une lettre rapide à ma femme et à ma petite fille, car nous ne sommes qu’à 60 km de Mons. Je leur promets de leur donner de mes nouvelles. Nous sommes chez Mr Rousseau, cultivateur à Gochenée.
À 5 heures, signal de départ, on apprend que les boches sont de l’autre côté de la Meuse et nous allons nous établir en petit poste à la ferme Hermeton-sur-Meuse. Encore une belle réception, les fermiers nous donnent des tartines, du lait et des œufs à volontés.
La compagnie part en petit poste, moi je reste à la ferme.
Le matin je déjeune à la ferme avec du café au lait, puis je pars avec 4 hommes pour arracher des pommes de terre. Durant cette besogne, l’ordre de départ arrive.
Le 43ème nous remplace, c’était malheureux, le patron venait de nous donner un cochon gras que nous avons dû abandonner à nos camarades.
Depuis 6 heures, le canon tonnait, nous l’entendions très distinctement, on se battait à Dinant à 10 km à notre gauche.
Vers 13 heures, la canonnade et la fusillade assez nourries cessent. Que se passe-t-il ?
Les Allemands cherchent sans doute à passer la Meuse. Nous voyons nos batteries faire feu de toutes pièces.
Le 43ème d’infanterie nous releva à 6 heures du soir.
On partit dans la direction de Merville où nous étions à 20 heures 30.
Il faisait noir, le village était désert. Les habitants avaient fui en entendant la bataille. Nous allons cantonner à Anthée où nous arrivons à 21 heures.
Là, nous rencontrons des débris du 33ème régiment d’infanterie et du 148ème qui se replient de la bataille de Dinant qui fut terrible pour eux, car ils étaient 1 contre 10.
Nous cantonnons dans un grenier serrés comme des harengs.
À minuit fausse alerte.
Réveil à 4 heures, nous partons au rassemblement de la brigade à 8 km de Dinant et faisons la soupe.
Nous voyons passer à dos de mulet et en voiture des blessés revenant du champ de bataille. C’est triste !
Plus loin nous rencontrons des prisonniers allemands sous escortes. C’est la première fois que nous voyons des boches. Cela fait quelque chose. Ils paraissent tous jeunes, en général peu sympathiques.
Puis passe une voiture avec 6 blessés (3 Français, 3 Allemands) à l’arrière est assis un capitaine allemand blessé, tête énorme et l’air féroce. Il roule des yeux méchants et semble vouloir nous fusiller de son regard.
Nous apprenons que blessé sur le champ de bataille, il tua d’un coup de révolver un major français qui venait le soulager. Triste mentalité qui dénote la haine, la sauvagerie et la barbarie.
Nous arrivons à Sommières à peu de distance du champ de bataille de Dinant. Un château brûle encore.
Réveil à 2 heures du matin.
Départ à 3 heures. Nous pataugeons dans la boue, il pleut et nous sommes percés.
Nous arrivons à Maurenne-Hastière vers 8 heures où nous cantonnons (Fuite des populations terrorisées, exodes lamentables).
À 10 heures ¾, passe un taube (*) faisant partie d’une escadrille d’avions se portant sur Liège, nous tirons par 2 fois dessus et sommes très heureux de le voir tomber dans nos lignes. Il était monté par 2 officiers. Le pilote a la cuisse traversée par une balle. J’ai eu le bonheur d’avoir un morceau de toile de cet aéro.
Vers midi, une canonnade assez vive recommence. Ce serait notre artillerie qui détruit un pont de bateaux construit par les allemands sur la Meuse.
Nous avons de bonnes nouvelles de l’Est, Liège et Namur résistent toujours.
(*) : Avion allemand monoplan
dont la forme générale rappelle celle d’un oiseau en plein vol
Les 18-18-20-21 août 1914
Nous organisons défensivement Maurenne, c’est la vie de manœuvres avec revues et exercices. J’en profite pour aller faire quelques achats à Hastière-sur-Meuse, village où sont nos avant-gardes. Après le pont c’est l’ennemi.
Il se produit quelques escarmouches entre uhlans et chasseurs à cheval.
Pendant ces quelques jours nous nettoyons nos effets et soignons notre cuisine.
Tous les jours j’écris à ma femme et envoie des lettres par le facteur d’Hastière. Il me dit qu’en 3 jours mes correspondances peuvent parvenir à Mons.
Je reçois une carte de mon frère et une lettre de ma femme datée du 12 août.
Ça me fait un énorme plaisir.
L’ordinaire est amélioré, le capitaine nous paye un cochon dont la fin fut tragique. On l’avait sorti de son étable, lié à la patte avec une corde peu solide, la corde casse et l’animal se sauve dans une maison, il y fait un fracas épouvantable, renverse tout ce qui est sur son passage, table, assiettes, cuisinière où cuisait la popote d’une escouade, il attrape tout sur le dos.
Après tout cela on le reprend, on l’abat et rapidement il est découpé.
Nous quittons Maurenne à 1 heure du matin.
Après une assez longue marche nous arrivons au cantonnement à Rosée assez tard. Quatre maisons et une école de sœurs pour loger la compagnie. On y est très serrés.
En chemin nous rencontrons beaucoup d’habitants terrorisés qui cherchent un refuge, nous en sommes très touchés.
Une automitrailleuse belge roule à toute allure vers l’ennemi, elle est montée par un officier. Le ravitaillement arrive très tard, à 22 heures. IL faut cuire la viande de suite. Les cuisiniers y passent la nuit.
On dit que les Allemands sont à Fosses-la-Ville.
Départ à 2 heures du matin. Nous arrivons de très bonne heure à Saint-Gérard (Abbaye de Maredsous) où nous choisissons nos emplacements de combat.
L’ennemi est à Fosses.
Le 2ème bataillon est en avant de nous à 500 mètres. Nous sommes, le 1er bataillon en seconde ligne. On se terre dans des tranchées que l’on creuse avec des outils de campagne.
Toute la journée de 10 à 16 heures, les obus éclatent devant nous, à droite, à gauche, sans ne nous faire aucun mal, on en rit. Agents de liaison nous sommes, les fourriers, pas du commandant Vincent. Il est assez gai.
Une batterie du 27ème d’artillerie de notre division, repérée par des aéros allemands, un peu en avant de nous subit quelques avaries.
À 16 heures, ordre de replier.
Le 2ème bataillon commence son mouvement, à peine est-il arrivé à notre hauteur que l’ennemi est à la crête devant nous. Nous sommes alors en 1ère ligne, 500 mètres nous séparent de l’ennemi.
On leur envoie des balles à profusion, on en dégringole quelques-uns. Ils sont en force, nos gradés et soldats ont un courage héroïque. Ils veulent pousser l’assaut, mais devant le nombre, il faut refuser.
Et puis nous sommes encerclés. Le commandant Vincent tombe à mes côtés, frappé d’une balle au ventre. Il me dictait un ordre pour la 4ème compagnie.
J’appelle des hommes pour le transporter, personne ne m’entend tellement la fusillade est forte. Je suis seul près de lui, je lui demande s’il n’a rien à me dire :
« Ma femme et mes enfants »
Me répondit-il, puis, il cesse de parler, il était bien touché et agonisait.
Le sergent major Leblanc et le sergent Tant ? Henri le transportèrent à l’arrière.
Cela me fit du mal de quitter ce
brave officier. Un « sauve qui peut » retentit, il faut partir en
l’emmenant. (*)
Est également tué le sous-lieutenant Mercier de notre 4ème compagnie, balle au cœur.
Ses dernières paroles furent :
« Au revoir mes enfants ».
L’adjudant Dubois est atteint au genou, il est transporté dans un hôpital puis reste prisonnier. Mon ami Louis Delbecq, caporal de Flers-Lille est aussi atteint grièvement. Le soldat Puchois est tué.
Regnier d’Abscon est atteint de plusieurs balles, il est disparu.
Dans notre retraite nous sommes poursuivis par l’artillerie. Les obus éclatent au-dessus de nous et en blessent plusieurs. Pour un baptême du feu, ça compte.
Nous marchons toute la nuit, nous sommes entourés de villages en feu. Tout est désert, on rencontre quelques soldats belges, des voitures d’approvisionnement et de l’artillerie. Ils nous disent qu’ils viennent de Namur.
Vers minuit, on s’arrête un instant dans un bois, puis on crie, demi-tour.
Les éclaireurs s’étaient heurtés sur des avant-postes ennemis, on revient sur ses pas pendant une dizaine de km. On se dirige plus à gauche, où nous rencontrons enfin le premier bataillon, qui se replie.
Il faisait jour. C’était le 24.
(*) : Le JMO signale des moments
de panique générale. Le régiment a perdu près de 200 hommes durant cette
journée.
Lundi 24 août 1914
Anniversaire de Gérardine (2 ans).
Le matin nous nous reposons quelques heures dans une prairie. On fait le café et nous reprenons notre marche, protégés par d’autres troupes, nous arrivons le soir à Matagne-la-Grande. Triste cantonnement.
Toute la nuit, il passe des troupes et ambulances remplies qui se replient.
Réveil à 4 heures, après un faible repos, nous nous replions vers la frontière française, sur la route nous rencontrons de nombreux civils éperdus qui cherchent un refuge et fuyaient devant les Allemands.
À 10 heures, après 20 kms de marche, nous recevons l’ordre de défendre Mariembourg. Nous nous portons sur la ligne de chemin de fer et presque aussitôt l’ennemi nous est signalé par une patrouille de chasseurs à cheval.
Alors la danse commence, les balles sifflent et les obus commencèrent à éclater.
Tout le bataillon se replie dans la ville. On barricade les rues et baïonnette au canon nous attendons l’ennemi. Nous sommes cachés derrière les murs. Nos mitrailleuses sont bien dissimulées, le silence règne un instant. Les Allemands croient que nous avons évacués la ville, ils quittent les bois et s’amènent tranquillement en colonnes par quatre.
On les aperçoit à 1 km, on les laisse approcher un peu, nos mitrailleuses donnent ensuite sans relâchent, elles fauchent la colonne. (Nous avons mitraillé une colonne de 600 mètres, nous sommes derrière la barricade, le sergent fourrier Bal et moi avec le commandant Leydis, le lieutenant Ducauchie et les mitrailleurs).
C’est malheureux que nous soyons entourés.
Tout le monde se sauve, je me demandais ce qu’il y avait. Bal le commandant et moi nous nous sauvons à toutes jambes dans les prairies, puis traversons la rivière, le lieutenant Ducauchie n’est pas arrivé, les mitrailleuses sont jetées dans la rivière.
Extrait du JMO
Les Allemands entraient dans le village par une autre route. Les balles sifflaient dans les rues, je me comptais tué ou prisonnier.
Je ne perds pas un instant et me sauve à toute vitesse à travers les jardins et pâtures, escaladant toutes les clôtures, puis c’est une rivière profonde de un mètre 50 (l’eau blanche). Une ligne de chemin de fer passe au-dessus, mais le pont est battu par les mitrailleuses ennemies.
Un soldat qui veut y passer tombe raide de suite. Il faut traverser la rivière habillé. C’est ce que nous faisons, j’ai de l’eau jusqu’aux seins et on en sort difficilement alourdis de 10 kilos. Le talus du chemin de fer est occupé par nos troupes en réserve qui protègent notre retraite.
Le talus nous abrite un moment, puis c’est la plaine qui est battue entièrement de milliers de balles qui passent au-dessus, à gauche, à droite, me frôlent mais heureusement sans me toucher. De nombreux copains sont tués et blessés.
Le colonel de Fonclare et le médecin-major Bar ont un sang-froid admirable. Ce dernier est gravement blessé au poignet. C’est une grande perte pour le régiment.
Après la plaine nous arrivons au sommet d’une colline battue par les obus. On la traverse d’un bond rapide, puis essoufflé je me repose deux minutes pour reprendre ma course.
Nous apercevons le village de Couvin, je me dirige et emmène le petit groupe qui s’était rallié à moi à droite de ce village. C’était la bonne direction, que de malheureux sont partis sur la gauche et sont maintenant prisonniers.
Nous rencontrons le 1er d’infanterie.
Je suis essoufflé, en sueur, à bout de force. Je rencontre mon ami Warin qui me console et me donne de l’alcool de menthe pour me rafraichir. Je me renseigne sur les copains de Mons et serre la main d’Alexandre Tondeur.
Après la bataille de Mariembourg nous enregistrons à
la compagnie 56 tués, blessés ou disparus. Le camarade Jules Legue, caporal de Bruay est tué.
Le général de division nous félicite pour notre belle
conduite au feu, car nous avons fait plus que notre devoir. Après le combat
nous tirons encore 18 km pour aller cantonner à Cul-des-Sarts.
Je loge chez un douanier, dans son sac de campagne. Aussi
je me mets à mon aise.
(*) : Le régiment a perdu près de
120 hommes durant cette journée.
Mercredi 26 août 1914
Départ à 5 heures, je fais mes provisions de
tabac, puis nous rentrons en France. Nous arrivons dans l’après-midi à Wassigny
(Aisne). On y trouve de la bonne bière et passons un bonne nuit.
Départ à 5
heures,
c’est la pluie, nous sommes percés, nous arrivons à Louvry
vers 2 heures. Nous commençons à nous
reposer. Nous apprenons que l’ennemi est signalé vers Lille – Roubaix-
Valenciennes.
Mais ce ne sont que des divisions de cavalerie et cela n’a
pas d’importance. Notre moral est bon.
Nous cantonnons à Ally
près de Marle.
Nous prenons l’offensive, nous passons à Marle, nous
y rencontrons de nombreux défilés d’habitants de la région de Maubeuge –
Fourmies.
C’est bien triste de voir ces gens fuyant devant les
barbares. Nous nous dirigeons sur le Hérie-la-Viéville et en avant de ce
village, nous livrons la bataille de Guise.
Nous repoussons l’ennemi et allons occuper le soir, la ferme
de Grandlieu dont les meules qui l’environnent
sont incendiées. La ferme est déserte, les Allemands avaient déjà remontés les
bouteilles de vieux vins, mais surpris n’ont pas eu le temps de l’emporter.
Nous buvons à leur santé et passons la nuit près des meules
en feu pour ne pas avoir froid. Un petit lit de paille, une botte pour
l’oreiller, Melle Lebel (fusil à répétition) à notre côté, on sommeille un peu.
Vers 3 heures
du matin,
réveil en fantaisie, les mitrailleuses ennemies donnent dans notre direction,
on s’abrite derrière les meules, quelques hommes sont blessés.
Vivement nous allons prendre une solide position sur une crête
en arrière avant le lever du jour, sinon nous serions fauchés. Agent de
liaison, fourrier, je me rallie au commandant Leydis
et nous allons nous installer dans un bois un peu en arrière.
Les obus tombent à volonté et ne nous font aucun mal. Nous
n’avons pas à manger, heureusement que nous avons fait provisions de vieux
vins, ça et quelques biscuits suffisent.
À 15 heures, c’est le silence absolu,
quelques obus éclatent mais loin en arrière de nous. Que se passe-t-il ?
Le commandant envoie l’adjudant Cabaret, il ne revient plus, une heure après, il m’envoie à
mon tour, je traverse le bois et je n’aperçois plus personne.
Notre bataillon s’est retiré
depuis 2 heures, nous filons à toutes jambes et traversons la zone battue par
les obus. Un peu plus tard et nous étions prisonniers.
Quelle fuite !
Nous sommes le Commandant Leydis,
moi et le fourrier Bal à bout de
force. La zone battue traversée nous nous reposons 2 minutes, pas moyen de boire
une goutte d’eau pour apaiser notre soif. Sur la route trainent quelques
éclopés que des voitures enlèvent en hâte.
Nous repassons à Marle, (le 30 : retraite des alliés). On nous dit que le régiment cantonne à Pargny-les-Bois.
Bal et moi profitons d’une
batterie d’artillerie qui part dans cette direction et arrivons là-bas à 20 heures.
Ma compagnie n’est pas encore arrivée. Rapidement je fais
le cantonnement, je rallie quelques hommes de la compagnie qui sont égarés,
tous sont à bout de force et j’ai grand peine pour leur faire toucher
l’ordinaire. Nous nous installons dans une maison abandonnée, on fait cuire
quelques biftecks en attendant l’arrivée de la compagnie qui s’amène à 11 heures la nuit. Distribution
rapide, cuisson extra rapide, on mange, puis signal de départ vers 2 heures du matin.
À quand le repos ?
Nous allons cantonner à Dizy, on se nettoie un peu
puis on se couche sur l’herbe, on maraude quelques prunes. C’est un fruit défendu car le capitaine le
défend. Quelques hommes récoltent de la prison.
Notre sergent major Leblanc
Louis est nommé adjudant, on se réconforte un peu car depuis 3 jours, on n’a
rien mangé, le pain est moisi, on le mange quand même, on dort quelques heures
car on part dans la soirée à 21 heures.
On marche toute la nuit à travers bois et villages.
Notre marche continue toute la journée, c’est une marche
forcée, il faut la faire, la route est dure, il fait très chaud, les côtes sont
fameuses.
Nous arrivons le soir à
19 heures à Concevreux après avoir tiré plus de 50 km, que c’est
dur.
J’ai un petit lit pour me reposer. Le patron nous paye
quelques litres de vin et de l’eau-de-vie. C’est sans refus car il y a encore
des kilomètres à tirer.
Réveil à 5 heures,
départ à 6 heures.
Journée très chaude, nous marchons jusqu’aux environs de Lhéry
où nous cantonnons, les étapes sont toujours très dures et le terrain
accidenté. Notre ami van Mullem
Auguste égaré depuis Mariembourg nous rejoint en civil après avoir
réussi à traverser les lignes allemandes.
C’est le seul parmi tous les disparus qui tente de
rejoindre le régiment et y réussit.
Réveil à 2 heures du
matin, suite de la marche. Nous passons la Marne, sur un pont de bateaux
construit par le génie, à Rueil. Le résultat cherché est obtenu.
Nous avons battu en retraite en très bon ordre sans perdre
de matériel, ni de munitions. Nous sommes éreintés, mais pas à bout de nos
forces. Nous occupons un petit bois à proximité de la ferme (Cense Carrée)
où nous passons la nuit. Les obus tombent très près.
Il fait du brouillard temps froid, nuit glacée.
Réveil à 1 heure,
nous marchons sous bois pendant 4 heures, puis nous arrivons à la Ville-sous-Orbais. La brigade est rassemblée, les dispositions de
combat sont données et nous filons vers Corribert.
Nous sommes en avant-postes dans les bois en arrière du
village. Nous attendons de fortes patrouilles d’uhlans qui nous sont signalés
venant du Nord.
Journée calme, ce soir, petite distribution d’obus, aucun
mal. Nous installons notre petit lit de camp et dormons d’un œil.
Vers 23 heures, nous sommes réveillés par
nos mitrailleuses et nos fusils. C’est une colonne d’infanterie qui veut traverser
nos lignes. Elle est arrêtée nette.
Nous nous retirons dans le plus grand silence, il est 1 heure, nous marchons sous bois
car il fait grand clair de lune, nous ne subissons aucune perte, seulement
serré de très près il faut marcher. C’est alors que toute la journée nous
couvrons la fameuse et dernière étape, Corribert-le-Forestière,
pour aller cantonner à Les Essarts-le-Vicomte.
Nous sommes à bout.
Arrivons à 21 heures
après 20 heures de marche, peu de nourriture. Arrivés dans un village sans eau,
nous touchons 3 biscuits par homme pour toute la journée du lendemain.
Nous ne demandons qu’une seule chose, du repos.
Nous aménageons nos couchettes près d’une meule, puis nous
ronflons. Dormirons-nous tranquilles, espérons-le. Nos boyaux grouillent.
Réveil à 4
heures, pas
d’eau, pas de café. C’est alors que nous puisons dans une mare de purin, on
fait bouillir, on met du sucre et du café, nous avons ainsi une petite boisson.
On en prend un quart, on met un quart dans le bidon.
Il était 5 heures 30.
Rassemblement. « Un ordre est
arrivé » : c’est l’offensive générale, quel bonheur depuis longtemps
nous l’attendions, nous nous demandions si on allait laisser pénétrer les
Allemands dans toute la France.
Ce texte a certainement été rajouté à
postériori, car JOFFRE a été promu maréchal en décembre 1916.
Proclamation du maréchal Joffre : Au moment où
s’engage une bataille d’où dépend le salut du pays, il importe de rappeler à
tous que le moment n’est plus de regarder en arrière.
Tous les efforts devant être employés à attaquer et à
refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer, devra, coûte que coûte,
garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer.
Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne
peut être tolérée.
L’énergie de nos troupes était relevée. Décidés jusqu’à la
mort, on en avait assez de reculer.
Il fallait vaincre.
La 5ème armée française devait avancer du Sud au Nord,
1 .275.000 Allemands contre 1.125.000 Anglo-Français.
Notre 1er bataillon est en réserve, les 3ème et 2ème en
1ère ligne. Tout est en place, infanterie et artillerie. L’action commence vers
8 heures. Tout s’annonce bien car l’artillerie allemande qui prenait place à la
côte 200 (Esternay) est immédiatement repérée et détruite par nos 75. Nous n’avançons,
ni ne reculons.
La journée nous est avantageuse, car nous avons infligés
des pertes énormes à l’ennemi. Nous passons la nuit sous bois.
La 4ème compagnie est à la lisière d’un bois, dès l’aube une
salve d’obus de gros calibre l’atteint. Ce sont des cris de douleurs de tous
côtés. Je suis derrière un arbre, implorant l’éternel et ne bouge pas.
Sur 180 que nous étions on reste à 113. Les autres sont
tués ou blessés.
Le bombardement dura peu de temps, 20 minutes près de la
mort, c’est terrible. Je reçois un éclat imperceptible à l’oreille droite (un
petit morceau est enlevé) et des éclats aux mains. Un peu de sang coule mais ce
n’est rien.
Tous se sauvent, je me trouve seul au milieu des gravement blessés
qui ne peuvent se remuer, et des tués.
Quelques-uns m’ont reconnu et c’est Gérard de partout. Coûte que coûte il faut que je débarrasse
et aide ces malheureux. Je coupe leurs équipements et les dégagent du mieux que
je peux, puis je vais prévenir les brancardiers.
Spectacles horribles : crânes défoncés, hommes
éventrés, ainsi étaient arrangés ces braves tombés au champ d’honneur : Deschildt, Petit Louis, sergent Eggremont,
Eckout, Cuvelier Auguste, Cuvelier
Albert (deux frères) Lequerme, Lesertisseur….
Vers 10 heures, l’ennemi bat en retraite,
nous les poursuivons, ventre creux.
À Esternay les habitants nous donnent de la goutte,
du vin, ça nous rend gais. Puis un régiment de réserve, (le 284ème) nous donne
en passant quelques biscuits, de cette façon nous pouvons croûter un peu.
Esternay est un désastre. Les Allemands ont tout pillés, ils ont bu
énormément de vin et de champagne. Ils ont tués un patron de restaurant. Leur
retraite est aussi désastreuse, ils laissent du matériel, des munitions, des dépôts
de farine.
Nous les poursuivons (les soldats attaquent avec un élan
passionné, combattent avec une foi sacrée et sont vainqueurs. Les soldats qui
ont combattu les 1ères troupes de l’Allemagne comptent parmi les plus fiers
héros de notre histoire) jusque 21 heures, puis cantonnons.
(*) : Le régiment a perdu près de
250 hommes durant cette journée.
Mardi 8 – mercredi 9 – jeudi 10 – vendredi 11 septembre 1914
Nous continuons la poursuite sans relâche, les étapes sont
dures. Nous livrons les combats de Montmirail –Vauxchamps
et faisons des prisonniers. Le lieutenant Canivey,
beau-frère de Maroquier est
blessé à Montmirail d’un éclat d’obus à la poitrine.
Alex Tondeur
est prisonnier avec sa compagnie.
Nous repassons la Marne. Le vendredi la pluie se met de la
partie et nous sommes percés, nous nous reposons dans une grange à Ormes
près de Reims. Le feu est partout.
Ce texte a certainement été rajouté à postériori, car JOFFRE a
été promu maréchal en décembre 1916.
Proclamation lancée par le maréchal Joffre le 11 septembre.
« La
bataille qui se livre depuis 5 jours s’achève en victoire incontestable. La
retraite des 2ème et 3ème armées allemandes s’accentue devant notre gauche et
notre centre. À son tour, la 4ème armée ennemie commence à se replier au nord
de Vitry et de Sermaize.
Partout
l’ennemi laisse sur place de nombreux blessés et des quantités de minutions.
Partout on fait des prisonniers en gagnant du terrain, nos troupes combattent
les forces de l’intensité de la lutte et l’importance des moyens mis en œuvre
par les allemands pour essayer de résister à notre élan. La reprise vigoureuse
de l’offensive a déterminé le succès. Tous les officiers et soldats vous avez
répondu à mon appel. Vous avez bien mérité de la patrie. »
Signé Joffre
C’est la victoire de la Marne et une poursuite sans exemple.
Nous entrons dans Reims à 6 heures du matin, avec le
1er bataillon nous gardons les ponts pendant que les deux autres traversent la
ville et font des prisonniers. Des compagnies ennemies entières passent.
Quelle réjouissance pour nous.
Pour se moquer d’eux, on crie « à Parisse »,
ceux-là vont certainement en prendre la direction et sans mal.
À Reims, nous recevons un accueil des plus
chaleureux, on nous apporte des fleurs, du chocolat, du vin, des cigares et du
pain d’épices. Le drapeau français flotte partout. Les dégourdis vont chercher
du vin dans les caves abandonnées.
Le soir, nous allons prendre nos
emplacements de combat.
La bataille de
la Marne a sauvé la France – Paris était délivré de la menace étrangère.
La victoire de
la Marne fit beaucoup de bien à la France en opérant un complet revirement
d’opinion chez les Winies ?
Le maréchal Joffre est né à Rivesaltes
(Pyrénées-Orientales) en 1852, il est mort en 1931.
L’artillerie joua
un très grand rôle à la bataille de la Marne en imposant le silence à
l’artillerie ennemie. Le canon de 75 rendit d’énormes services.
Les généraux Mangin – Franchet d’Esperey – Langle
de Cary – Sarrail – Maud’huy –Foch – Dubail
étaient les grands chefs de la victoire.
L’ennemi occupe la ligne des forts, positions superbes qui
dominent toute la plaine au nord de Reims. Positions solidement
préparées au sommet des hauteurs naturelles où s’élevaient les forts français
désarmés.
L’armée allemande y trouve abri et sécurité. Tout était
repéré par elle. Des forts, les Allemands ne cessent de bombarder la ville de
Reims. La guerre souterraine commence.
Positions imprenables défendues à la mitrailleuse. Les
Allemands occupent les forts de Brimont – La Pompelle – Nogent-l’Abbesse – Witry-lès-Reims
– Fresnes – Berru.
La compagnie occupe la ferme de la Neuvillette à la
sortie de Reims.
Là, il y a encore 80 bêtes à cornes et des vachers. Nous y
sommes repérés, nos moindres mouvements sont soumis au bombardement des forts.
Nous soupçonnons les habitants de la ferme. En les surveillants et en visitant
la ferme, nous découvrons dans les sous-caves, des espions raccordés par
téléphone au fort de Brimont. Ils sont arrêtés immédiatement et remis
aux autorités militaires.
De ce fait les bombardements ont cessé.
Nous ne restons que peu de temps aux environs de Reims,
nous sommes désignés pour faire partie d’une brigade volante, dont le secteur
désigné va de Reims à Soissons et dont le but est de défendre et
d’attaquer les fortes positions de l’Aisne.
Jusqu’au 1er
novembre,
nous allons en reconnaissance et nous cantonnons dans les villages de Cormicy
– Bouffignereux – Roucy – Gernicourt et Berry-au-Bac.
Nous entendons le bombardement de Reims et de la cathédrale
dont nous apprenons l’incendie.
Dans Berry-au-Bac nous organisons des côtes 91 et
108.
Le caporal Trupin
Louis monte sur un arbre pour fournir des renseignements à nos officiers
d’artillerie. Il en recevra la médaille militaire. Notre capitaine d’Argel d’Aumont est blessé le 15
octobre d’une balle au pied à la côte 91.
Nous sommes allés de suite à son secours et avons procédés
à son évacuation tout en recevant ses consignes et l’argent de la compagnie en
caisse. Le lieutenant Delattre
prend le commandement de la compagnie.
Nos lieux de repos sont Fismes, d’anciennes
carrières et Braine.
A Braine la popote est bonne, on touche de la belle
viande et on se retape. Le ravitaillement est normal. On touche du linge et du
vin ; Durant cette période nous avons reçu les premiers renforts venus de
la région du Nord. Réservistes et jeunes classes.
Nous sommes dans le secteur de Soupir. L’ennemi
occupe les hauteurs surmontant le village. Nous sommes dans le village que nous
avons atteint en contournant le château et nous devons nous protéger à l’aide
des bâtiments et de tranchées.
Nous veillons dans les caves. Les ouvertures sont protégées
par des plaques perforées.
Nous recevons parfois des obus de gros calibres lancées par
des minenwerfers.
Il faut suivre leur trajectoire pour les éviter. Ils créent
des éboulements de maison. Plusieurs camarades en ont été les victimes pris
sous les éboulements, ou ont été tués en circulant dans des endroits
vulnérables.
Nous allons en repos à Saint-Mard.
Pas d’attaques importantes durant ce séjour.
Nous sommes à Vailly-sur-Aisne, nous occupons la
rive droite de l’Aisne et y sommes repérés. Nous avons subi quelques pertes en
hommes et avons fait la connaissance de balles explosibles.
Le sergent Nicolle
de Paris est blessé mortellement d’une balle explosive. Il a été enterré à Braine. (*)
Boulanger Alex et Boulanger Henri de Marquette et Wavrechain ont eu leur sac et leur gamelle
traversée par des balles explosives mais eux n’ont rien eu).
Nous sommes repassés par Braine.
(*) : NICOLLE Henri
Édouard, adjudant, mort pour la France le 10 novembre 1914 à Braine
(Aisne), par blessure de guerre. Il était né à Paris, le 2 février 1883.
Nous assistons dans l’église de cette commune à une messe
pour nos braves camarades tués au champ d’honneur.
Nous y étions encore le 2 décembre quand le général de
division est venu nous y féliciter.
« Le 127ème est le 1er régiment de la division, jamais
il n’a failli, espérons qu’il ne faillira jamais ! »
Puis de là nous sommes allés en repos à Treslon par Gueux
(Aisne).
Après 15 jours
de repos,
nous sommes retapés, moralement et physiquement, et préparés pour les attaques
futures. Nous voyons nos généraux et nos aumôniers.
Les offices du dimanche sont très suivis, nous prions pour nos morts et écoutons la bonne parole de notre aumônier de division le chanoine Pejart. Nous faisons également connaissance de gens du pays. Nous cantonnons chez Mr Lemaire, maire du pays, sa maman est très dévouée et nous aide beaucoup. On fait des propositions pour le complément des cadres car nos évacués ne reviennent pas vite.
Cette fois, je suis proposé pour
sous-lieutenant avec un camarade
instituteur.
Le repos
terminé,
nous sommes partis sur le parc d’embarquement de Fismes (Marne).
Voyageant la nuit, nous sommes descendus en gare de Châlons-sur-Marne
où nous sommes restés quelques jours cantonnés dans des granges, puis nous
sommes partis sur Bussy-le-Château.
C’était au
début de l’année,
nous sommes restés dans les bois, on a creusé des petits abris de 2m.x 2m.
X0.50m le long de la route, couverts avec nos toiles
individuelles de tente, on y a passé plusieurs nuits, puis nous nous sommes
rendus par la route à Minaucourt où nous avons occupés des abris
enterrés.
On y avait moins froid car il faisait froid.
Nous avons été désignés pour l’attaque des fortins de
Beauséjour.
La 1er compagnie du 127ème d’infanterie
fit la première attaque et elle prit le fortin (Notre ami Armand Granart y fut blessé assez
sérieusement).
Mais, il fut réoccupé à la suite d’une contre-attaque
ennemie.
Entre-temps, nous nous sommes installés dans des abris et
tranchées nouvellement conquises.
La nuit du 8 au 9 janvier, nous étions en tranchée face à l’ennemi. Le lieutenant Delattre commandant la compagnie avait
été emmené pour maladie, le sous-lieutenant de réserve Bulteau avait été affecté au 2ème peloton et le
sous-lieutenant BARTHÉLÉMY Verraut
de la 3ème compagnie prenait momentanément le commandement de la compagnie.
Au matin après un violent bombardement, la 1ere compagnie
attaquait et reprenait de nouveau le fortin.
Toute la matinée, nous avons occupés les tranchées et les
avons mises en état de défenses en construisant
des parapets d’arrières en avants et en creusant dans les parois
avants des emplacements pour 2 personnes
avec banquettes dans lesquels nous nous sommes serrés durant les bombardements.
La nuit, j’étais resté à l’abri
avec le sous-lieutenant Bulteau
et mon fourrier van Mullem
Auguste.
De la journée, j’avais occupé le secteur réservé à ma
section, j’occupais une tranchée. Le sergent Dutreille
occupait avec moi une partie de tranchée. Nous avons été bombardés tout
l’après-midi, mais aucun des nôtres n’a été touché.
Le soir, nous avons veillés en
attendant la contre-attaque qui s’annonçait.
Baïonnette au canon, à l’attaque de bataillon, nous avons
fait 30 prisonniers, les plus vieux avaient 42 ans.
Comme tués : 1 commandant, 2 lieutenants, 3 adjudants
et plusieurs sergents. Blessés : 2 adjudants, 1 sergent major, 6 sergents.
À 14 heures 30, j’écrivais à mon épouse
que nous étions à l’attaque depuis 9 heures et qu’elle était presque terminée.
Nous attendons pour repasser contre-attaque, si elle avait
lieu.
Les obus tombaient drus.
La contre-attaque a eu lieu vers minuit. Nous allons
repousser l’ennemi à la baïonnette et partons à l’assaut avec ma section.
Lorsque je fus
touché d’une balle à l’épaule gauche, je suis tombé au sol et mis à l’abri par mes hommes.
Entré ensuite en syncope, je ne me rappelle plus la fin de la bataille.
Je me suis retrouvé au poste de secours avec mes vêtements découpés
et pansements effectués.
De là je suis partis vers Minaucourt, puis expédié
en ambulance sur Valmy gare d’embarquement.
Nous partîmes dans un train de voyageurs avec un
compartiment pour 2 allongés. Vers Menehould – Troyes – Dijon
– Chalon-sur-Saône – Mâcon - Lyon – Valence – Orange
– Marseille – Toulon – Nice – Monaco – Menton.
On nous a placés dans un hôtel boche réquisitionné et
transformé en hôpital « Hôtel Leubner » -
Hôpital Douine.
Les infirmières étaient des bonnes sœurs de 40 à 60 ans, on
ne peut plus dévouées. Docteur Mallibran
Paul.
Nourriture exquise, climat chaud, les bons lits, nous
étions quatre dans ma chambre.
L’adjudant Jean Lemaire
du 127ème, un soldat de la Somme, un de la Nièvre (tous deux pieds gelés) et
moi sergent-major du 127ème.
Nos infirmières étaient Mrs Delrue de Menton et Herman
de Chelles (Seine-et-Marne)
Je
désire contacter le propriétaire
Vers d’autres
témoignages de guerre 14/18