Réception du carnet :
2008
Publication : décembre
2023
Mise à jour : février
2024
En février 2006, Michel V. (sous le pseudonyme « Mirabelle ») m’a
envoyé de larges extraits du carnet de guerre de son arrière-grand-oncle Paul
VIRIOT concernant des combats en Artois. Il m’a ensuite, après quelques
échanges de mails (je les possède toujours), envoyé la totalité des écrits de
ce soldat. Mais depuis mi-2006, son ancien mail ne fonctionne plus, j’ai donc
décidé de publier ce carnet.
Michel, si vous lisez ses
lignes, contactez-moi ; j’ai des questions à vous poser. Merci.
Michel cherchait à
l’époque des descendants du fameux adjudant Numa Martin VINCENT du 224éme
d'infanterie.
Paul VIRIOT écrit ceci :
‘’
(..) J'ai respecté scrupuleusement mes notes prises au jour le jour. Dès mon
arrivée à l’hôpital j'ai recopié dans ce petit livre mes trois carnets de
route. Ce petit bouquin obtenu dans des circonstances tragiques, avec comme
préface une belle page de gloire, méritait d’être complété, pourquoi pas un
jour publié. J'aurais eu l'impression de trahir son glorieux propriétaire
si j'avais développé ailleurs ces journées de souffrance.
Ces
pages sont succinctes, manquent de style, mais elles sont sincères et
vécues. »
Début du
carnet
L'heure a sonnée je suis mobilisé ce jour a
onze heure du soir. Adieu touchant à la famille et aux amis. Partons à pieds
avec d'autres camarades pour Nancy.
2h du matin rencontrons sur la
route de nombreux mobilisés. L'ambiance est joyeuse, tout le monde chante à
tue-tête. Arrivons à la caserne vers trois heures du matin. Sommes habillés et
équipés aussitôt.
Des détachements de réservistes
doivent nous rejoindre plus tard. Suis affecté à la voiture de la compagnie (*), j'essaie
mes chevaux aussitôt.
Une grande animation règne à la
caserne, on s'attend à une déclaration de guerre imminente.
(*) : La voiture de compagnie fait partie du train régimentaire.
10 heures, toutes les voitures
quittent la caserne en direction de la frontière. Maxeville,
Bouxières-aux-Dames puis Custines.
Partout des réservistes
embrassent femmes et enfants, tableau pénible et émouvant à la fois.
En gare de Champigneulles une
commission reçoit le bétail qui pâture dans les prés environnant Custines. Montons la grande côte de Morey
par une chaleur torride, arrivé à 17 heures.
A la nuit les habitants nous
montrent les forts de Metz qui se font des signaux. La gare est brillamment
illuminée. Ma compagnie occupe les tranchées toute la nuit.
A minuit alerte, attelons et
partons dans les bois à 500 mètres des lignes ennemies.
Rentré au cantonnement au petit matin, la
maison d'école est transformée en ambulance. Des patrouilles de hussards
reviennent de la ligne de front. Ils nous font parts que de nombreux
détachements de uhlans sont présents sur les crêtes voisines. Ils sont entrés à
Nomeny et ont lancés sur Champenoux, Remereville et la forêt Saint-Paul de nombreux raids de
cavalerie
Partons sur Morey
et allons dans les bois de Faulx, il pleut des
cordes.
Nous apprenons par un agent de
liaison qu'un engagement s'est produit hier à Remereville.
Une patrouille de dragons français a engagé une patrouille d’Uhlans boches.
Bilan 2 uhlans tués et deux
dragons blessés légèrement.
Toujours dans le bois de Faulx, sommes restés 36 h sans boire ni manger, nos chevaux
sont dans le même cas.
Vers 17h descendons
ravitailler, il est grand temps. Bêtes et gens meurent de soif et sont affamés.
Nous apprenons la déclaration de guerre ce soir
Partons à Eulmont,
j'ai la chance de loger chez Hureaux
cultivateur. Ses quatre fils sont mobilisés, il me traite comme un prince.
(*) : Il s’agit de Jean Joseph « Léon » HURAUX, propriétaire
terrien, seul de ce nom habitant Eulmont au
recensement de 1911 (5 rue du Thème), qui a eu une fille et effectivement 4 fils
dont 2 habitaient encore avec lui. Un seul survivra à la guerre. L’un d’eux,
brigadier au 12e Dragons, sera tué quelques jours plus tard (le 20 août) à
Bellange, les autres décèderont en janvier 1915 (typhoïde) et mars 1916
(hôpital de Verdun sur blessure). Plus
d’info ici.
Toujours à Eulmont,
le soir du 8, des voitures venant de Nomeny ramènent un équipement complet
d’Uhlan boche. Nombreux sont les visiteurs venant l'admirer.
Départ 4 h du matin pour Faulx, Bratte, Sivry. En cours de
route tirons sur deux aéroplanes boches qui surveillent nos mouvements.
L'arrivée à Sivry vers 14 h se
fait sous une chaleur torride, notre barda se fait de plus en plus lourd
A Sivry, je me rends chez
Marcelle et prends un verre avec le pauvre Raison
(*). Elle me donne du chocolat et des pommes.
Arrivée d'un chevau-léger dans
le bureau du colonel De Lobbit (*), j'assiste à l'interrogatoire à travers la
porte. Des hussards rapportent des lances de boches, grand intérêt général.
(*) : Il s’agit du sergent Charles Lucien RAISON, natif aussi du
même village que Paul, qui est mort pour la France le 25 septembre 1914 à Chignolles (Somme). Avec l’adjectif « pauvre », on
comprend de suite que ce récit a été écrit à posteriori. Voir
sa fiche.
(**) : Le colonel DE LOBBIT est le commandant du 37e régiment d’infanterie.
Le chevau-léger allemand se nomme MULBAÜER et est blessé (JMO).
Pour info, les chevau-légers (cavalerie légère) ont été dissous
en Allemagne au XIXe siècle et remplacés par les Uhlans, sauf en Bavière. Il
était donc bien Bavarois, du 7e régiment comme l’indique le JMO (le 7e régiment
de chevau-légers royal bavarois « Prince Alphonse » appartenait à la 5e
Division d’infanterie bavaroise, 3e Corps d’Armée, 6e Armée « Kronprinz Rupprecht de Bavière »).
Départ vers Bratte,
Faulx, Lay-Saint-Christophe, nous croisons le 4éme
corps.
Passons par Agincourt
et Seichamps ou nous arrivons exténués. Je couche chez…
5 h du matin départ pour
Cercueil (*) ou nous dînons chez Ferry avec Louis Gellenoncourt d' Hoeville. (**)
(*) : S’appelle maintenant Cerville.
(**) : Une seule famille Ferry
apparait au recencement 1911 de Cercueil (19 rue de Velaine) avec 3 fils (qui ont tous survécus à la guerre) :
Jules, classe 1897, au 41e RIT alors sur Gondreville/Sexey, Théophile classe 1900 au 20e ETEM arrivé dans la
région à cette date (JMO) et Henri, classe 1910 mais sa
FM, reconstituée, ne donne aucune affectation. Il pourrait peut-être s’agir
de Théophile.
(***) : Le seul portant ces nom/prénom et mobilisé en
Meurthe-et-Moselle des classes 1900 à 1914 (ceux d’avant 1900 étaient dans la
territoriale) est Louis jean Antoine GELLENONCOURT classe 1903 (comme Paul Viriot), mais était né et résidait à Lenoncourt. Sa
FM (page97/518) ne mentionnant aucune affectation, il n’est pas possible de
confirmer que c’est lui.
Par ailleurs, les recensements de 1886 à 1911 d’Hoeville n’identifient aucun habitant du nom de Gellenoncourt. Cependant, celui de 1872
identifie un Joseph Gellenoncourt
ayant 20 ans. Peut-être un lointain parent … (je n’ai pas trouvé de lien en
comparant les différents arbres disponibles de Généanet).
Alerte à 3h du matin, en route
pour Remereville, 1er combat.
Entendons le canon vers Arracourt, les premiers blessés arrivent en voitures. Nous
découvrons les premières horreurs de la guerre.
En route pour Hoeville,
Serres, du haut de la côte assistons au combat. Les deux artilleries se
prennent violemment à partie, des combats se déroulent à Arracourt.
Continuons sur Athienville et Arracourt
ou nous arrivons de nuit sous un déluge. Nous couchons sous nos voitures garées
dans un bois de sapin.
Partons pour la Lorraine
allemande, nous sommes très heureux.
A Rechicourt
le moulin est détruit. Voyons les premiers morts et blessés, beaucoup de
chevaux d'artillerie gisent morts, nous faisons une halte à Bezange-la-Petite.
Joli coup d’œil sur nos troupes qui avancent vers Morhange.
Aperçois le premier tué boche
dans un champ de pommes de terre. Nous cantonnons à Lezey.
De Lezey
progressons jusque Ley. Tous nos soldats récupèrent
des trucs boches abandonnés dans leur retraite. Nous sommes à leur poursuite et
l’allégresse est générale
Retournons à Lezey, Moyenvic et la ferme de Salival. Le drapeau tricolore est présent partout l'émotion
nous prend aux tripes.
Arrivons à 10 h du soir dans
cette ferme immense et la quittons vers minuit.
Moyenvic, Morville, Hampont et Chateau-Voué à 10h du
soir. Il se passe une terrible bataille.
Nous sommes près de la côte
bombardée et voyons le feu ennemi, il est impressionnant
Retraite...... (*)
Il a du se passer de terribles
choses ….
Nous repartons sur Vic et Moyenvic ou nous arrivons à 17h. Les routes sont engorgées
par des tas de troupes et véhicules de toutes sortes. Le moral est en berne ….
(*) : Donc, il n’a pas participé au combat de son régiment du
secteur de Morhange-Metzing-Pévange
où les pertes sont d’environ 800 hommes durant 3 jours (hist. Du 37e RI). C’est
logique car le train régimentaire était toujours stationné en arrière des
troupes combattantes.
Repartons pour Arracourt, Athienville, Serres, Hoeville où nous faisons une grande halte.
Le 26e RI est présent qui
enterre les chargeurs boches pris à Morhange, quelle tristesse d'en arriver
là....
Continuons sur Courbessaux, Haraucourt puis Varangeville, il est minuit.
Le régiment a subi de lourdes
pertes ces derniers jours
Saint Nicolas, Lupcourt, Azelot, Flavigny, Richardmenil. Nous traversons la Moselle sur un pont de
bateau construit par le génie. Arrêt à Mereville au
bord de l’eau.
Notre 1ére compagnie a été
violemment attaqué à Crévic et a dû se replier.
Nous reculons toujours, le moral est à
zéro, on ne comprend plus rien aux derniers événements. Messein,
Neuves-Maisons, Pont-Saint-Vincent et Bainville. Le projecteur du fort ne cesse
d'illuminer le plateau du Vermois.
Nous voici à Laneuveville, de nombreux bateaux transportent des blessés
boches. Le canon fait rage sur Maixe où notre
régiment s'est réorganisé. La bataille pour Maixe,
pris et repris durera jusqu'au 11 septembre.
Puis ce sera la retraite de
l'ennemi grâce à la victoire de la Marne (*). Le grand couronné est dégagé, Nancy
sauvé.
(*) : Par ces mots, on se rend bien compte bien que le texte a
été écrit à postériori au moins après la bataille de la Marne (mi-septembre 14)
Nous embarquons le 19
septembre, nous quittons notre chère Lorraine. (*)
Partons par Royaumeix,
Lagny, Baraques d' Ecrouves et Choloy ou nous
arrivons à minuit.
Embarquement par le train à Barisey.
Débarquement à Poix dans la
Somme.
Notre colonel De Lobbit est nommé à la tête de la
77éme brigade (**). Il est remplacé par le lieutenant-colonel Lacapelle.
(*) : Le régiment était alors à Minorville
(**) : le 22 septembre
Attelons à 7 h, nous sommes à 2km de la
Belgique. Le premier village est Locre remplis de
Belges et d’Anglais. Grand halte à Vlameretingue,
repartons à 1h. Passons à Poperingue et Watou ou nous
cantonnons. J’achète du tabac 20 sous la livre et un jeu de cartes pour 4 sous.
A midi en route pour Poperingue,
belle ville, nous n'arrivons qu'à 8h du soir. Des embouteillages monstres sur
plus de 5km obstruent la route. On sent que la situation est critique, les
boches ont réussis à percer nos lignes entre Langemarck
et Bixschoote.
A Poperingue,
divers travaux le temps est exécrable. Le parc est recouvert de 30cm de boue
collante. Mes chevaux pour se désaltérer n'ont droits qu'a une mare infecte. (*)
(*) : Rappel : il est affecté à la voiture de la compagnie.
Toutes les voitures (hippomobile) de toutes les compagnies, ainsi que d’autres,
se regroupe ensemble ; cet ensemble est nommé le parc.
Allons ravitailler à Boesinghe sur l’Yser, rentrons à 2h du matin. De nombreux
obus tombent sur le village, le temps est toujours aussi abominable. J'ai vu
passer le corps du lieutenant Panot
d'Eulmont tué la veille lors de l’attaque. (*)
Parti à l'assaut en tête de sa
compagnie il est mortellement frappé. Ses hommes s'empressent de le secourir,
il se redresse et leur crie :
« En avant ! Vive la France » puis il retombe, mort.
(*) : Sous-lieutenant Victor Édouard PANOT. Voir
sa fiche.
Pluie et tempête, nous
retournons avec quatre voitures à Boesinghe. Il nous
est impossible de passer, le canon gronde comme un tonnerre.
Nous rentrons à 11h du soir
complètement gelés.
Le froid est de plus en plus
intense. De plus nous avons droit à une tempête de neige et sommes dans la boue
jusqu'aux genoux.
Pendant ce temps-là, le
régiment renforcé de deux bataillons de zouaves essaye de reprendre le petit
bois.
Celui-là même ou le lieutenant Panot est mort au cours des attaques
précédentes.
Partons de Poperinghe
pour Crombecque, les jeunes recrues de la classe 14 arrivent. Les pauvres ne
savent pas encore ce qui les attend. La pluie redouble d'intensité.
A Leeuwerk
cab (*),
on ne peut plus circuler tant les troupes sont nombreuses.
(*) : « Leeuwerk cab. » comme les
nombreux repérés sur la carte ne sont pas des cabarets au sens qu’on l’entend
aujourd’hui, mais des auberges « bon marché » (caberet
en flamand, qui est l’origine du mot cabaret).
Réveil a trois heures et demie
par un froid polaire.
Il nous faut ravitailler le
régiment qui est au repos à Woesten. Un aéroplane
boche balance une bombe sur le village, heureusement personne n'est blessé.
Toujours Woesten,
le canon est assourdissant. Les boches tirent sur un ballon captif qui se
trouve un peu en arrière. Visite du cimetière, 64 soldats y sont enterrés. Tout
à côté une grande fosse commune attend ….
Départ 5h pour Boesinghe avec le régiment qui regagne les tranchées. Nous
stoppons à l'entrée du patelin entre 2 batteries de campagne et 3 de 120 et 95
de forteresse. Soudain les obus boches arrivent presque sur nos batteries.
C'est miracle que personne ne soit touché.
Dans le parc voisin du nôtre,
13 chevaux du ravitaillement d'artillerie ont été tués la veille. Le génie et
des paysans voisins les enterrent. Je fais boire mes chevaux dans une mare
quand éclate un obus à cinquante mètres. Mes chevaux s'enfuient apeurés.
Heureusement la nuit sera calme et ils reviendront d'eux même au parc.
Le temps est toujours mauvais,
il neige.
Toujours la neige et froid de
chien, le départ est prévu pour 11h.
A dix, j’attelle pour pouvoir
manger la soupe, j'ai fini le premier. Je vais donc à la cuisine pour manger
mon steak les pieds tout près du feu. Soudain un obus me passe à 20cm et éclate
devant moi à 1 mètre. Heureusement pas de mal, ni pour moi, ni pour les 2
sergents Michel et (Charles) Toussaint de notre train de combat. (*)
Ces 2 derniers devaient être
tués glorieusement à Neuville Saint-Vaast.
Nous étions en train de causer gentiment
des événements de la veille. Je leur disais ma chance de partir sans être
dérangé par les obus. Ma phrase à peine achevé un obus éclatait à 50 mètres
mais nous étions en pleine ligne de tir.
En plaisantant les sergents
firent remarquer que j'avais parlé un peu trop vite. Je les rassurai, ce n'est
pas pour nous et continuai mon repas en leur tournant le dos.
C'est alors que survint ce
sifflement sinistre connu de tous. L'explosion fut immédiate et si violente que
nous fûmes tout trois culbutés. J'avais senti qu'il était pour nous a son
passage et tout en me couchant je criai attention ….ça y est …c'est mon heure
Une fois la fumée dissipée et
notre émotion calmée, nous fîmes le compte des dégâts.
Seul mon talon de chaussure
manquait à l’appel. Mais O miracle j'étais indemne ….
L'obus avait éclaté tout près
et si dans un mouvement malheureux j'avais tourné la tête, j'aurai été
décapité. Pendant plus de 2 mois j'eus d'épouvantables sifflements dans les
oreilles ce qui était un moindre mal vu les circonstances. Il nous fallait
réagir très vite, nous avions droit à un bombardement en règle sous une pluie
de shrapnels. Tout le monde court aux abris. Delabarre
est blessé. Nous pouvons gagner une meule distante de 150 mètre et nous mettre
à couvert.
Les boches tirent toujours, mes
chevaux se sont enfuis éparpillant le contenu des voitures.
La maison ou nous logions à son
toit emporté et bientôt s’enflamme. Une accalmie survient enfin et nous en
profitons pour récupérer nos chevaux. Nos voitures par contre sont dans un sale
état, toutes trouées et leur contenu éparpillé. Nous nous sauvons à fond de
train jusqu’à Elverdinghe où nous serons plus
protégés, puis à 2h vers Crombecque.
Premier rendez-vous avec la
mort, on verra plus loin que ce ne sera pas le dernier...
(*) : Le sergent Charles TOUSSAINT sera tué le 16 mai 1915 à
Neuville-Saint-Vaast. Voir
sa fiche.
(**) : Selon les fiches MdH, le seul sergent de ce nom au
37e RI est Louis Jules Michel
mais décédé à Cerisy le 9 juin 1916. J’ai retrouvé sa
FM après quelques recherches car elle se retrouve aux archives de Moselle :
Louis Michel FM
Moselle 2R227 p124/630 (cette fiche comporte aussi une erreur car affecté
au 37e RI, elle indique décédé au 37e RA, mais le livre d’or 14/18 de Pont-St-Vincent
indique bien décédé au 37e RI).
Par contre un autre sergent mais indiqué sur la fiche MdH au
148e RI a été tué à Neuville-Saint-Vaast le 12 mai 1915. Cependant, sa FM très
succincte indique seulement qu’étant de la classe 1901, il s’était engagé pour
4 ans au 37e RI … Auguste Julien Marie MICHEL. Impossible donc
de savoir si c’est une erreur sur la fiche MdH ou s’il avait été rappelé à la
mobilisation au 148e puis repassé au 37e RI mais il doit plus probablement
s’agir de lui.
Il fait toujours aussi froid, la glace
porte bien, la canonnade au loin fait rage.
A Crombecque refaisons vivres
de réserves, l’après-midi je sors avec Horel
me faire raser.
En sortant nous buvons deux
cafés et deux sérieux, je lui joue le tout au billard. Il perd et en est pour
la modique somme de 0f40, 1 sou la barbe, 1 sou le café et 2 sous le sérieux. (*)
(*) : Un sérieux désignait 50cl de bière (= pinte ; terme
utilisé entre-autres à Nancy comme affiché sur des anciennes photos de cafés).
C'est le dégel, avec verglas le
matin heureusement le temps s'est radouci.
Le soir c'est la fête, un
aviateur anglais nous offre un concert d’accordéon. Très rigolo il me rappelle
de bons souvenirs. En sa compagnie nous avalons treize sérieux (?), le retour se fait dans un épais
brouillard.
C'est la pluie nous montons une écurie pour
nos pauvres chevaux. Ces pauvres bêtes couchaient dehors. Nous apprenons une
grande victoire russe, le soir faisons la fête chez Madeleine.
Le temps s'est remis au froid,
grosse canonnade. Réveil à 2h30.
Nous rejoignons le régiment
logé dans une ferme sur la route de Poperinge. Nous apprenons avec tristesse la
mort du lieutenant Bureau et de
l'adjudant Darnault tués au
combat. (*)
(*) : Jean Eugène Henri BUREAU mort pour la France le 27
novembre 1914. Voir
sa fiche.
Albert Émile DARNAULT mort pour la France le 27 novembre 1914. Voir
sa fiche.
Passons toute la journée avec
la compagnie. Les aeros boches balancent des bombes
sur Poperinghe. Toujours avec la compagnie partons à
16 h. Nous avons un nouveau lieutenant Margot,
passons à Poperinghe.
Muller écrase une roue
A Crombecque sous la pluie avec
un orage épouvantable.
Visitons un moulin à vent qui
produit 40 sacs de farine par jour. Il se paye à raison de huit pour cent sur
la marchandise apportée.
Grand beau temps, il a gelé
très fort. Je vais à la messe accompagné du sergent (Charles) TOUSSAINT.
Lorsque le curé prêche, il
suscite la curiosité générale.
Faut dire qu'il y a de quoi, il
a récupéré un couvre-chef boche et s'en est coiffé pour dire sa messe. C'est
rigolo, mais le suisse est méchant et nous interdit de causer.
A la sortie 6 aéroplanes
évoluent dans la compagne.
Lever 2h pour rejoindre le
régiment, nous dirigeons vers le fameux Boesinghe. Ma
compagnie est dans les fermes et il fait un temps de chien. Nouvelles arrivées
de bleus, de la chair tendre à offrir aux boches.
Le commandant Dusseau est revenu. Notre ferme est
recouverte de boue et par la même occasion nous aussi. Heureusement nous la
quittons pour revenir à Boesinghe près de la gare
La hauteur de boue atteint 40
cm et toute circulation est devenue très difficile.
On part à 4h, passons à Elverdinghe ou nous attendons 2 h tant la route est
défoncée. Les unes après les autres les voitures se renversent, la mienne a la
chance de passer sans accroc.
Continuons sur Poperinghe et Crombecque et notre arrivée se fait à minuit,
nous sommes trempés comme des soupes.
Il fait très froid, nous mangeons des
frites et du lapin pour 0f50. La pluie est revenue, le deuxième bataillon part
au ravitaillement. Le sergent Toussaint
rentre à la 2éme compagnie. 2 nouveaux sergents tringlots nous sont affectés.
Arrivée d'un troisième sergent,
vais à Roosbruge le soir avec Horel et FORCHTMANN. Nous
faisons diverses emplettes et buvons du vin bouché à 1f25, retour à 10h30.
Réveil à 4 h pour rejoindre le
régiment.
Sommes obligé de changer
d’itinéraire vu le mauvais état des routes. A Woesten
je rencontre Baraban de
Bouxiéres-aux-Chênes qui revient du dépôt.
Passons à Boesinghe
et arrivons à Pilkem vers 10h. Nous sommes à 3 km des boches et notre
artillerie de campagne 1km derrière nous.
Nuit relativement tranquille,
mais réveil dans un fracas épouvantable. Toutes nos batteries tirent et on ne s'entend
plus. Pour mieux me rendre compte je grimpe au premier étage de la maison. Le
coup d’œil est féerique, partout où le regard porte ce n'est que flammes, fumée
et explosion. Les hommes de la compagnie ont fait une belle découverte, un
petit trésor enfoui dans le jardin. 30 livres de beurre et un fût de pétrole.
La canonnade dure toute la
journée, le soir sur Ypres le spectacle est dantesque, le
compagnie est totalement embrasé
Nous sommes à Pilkem et
l'artillerie a tonné toute la nuit.
Vers 5 h ce sont les boches qui
répondent dans en duel épouvantable, les murs en tremblent.
Heureusement pas de bobos, nous
attelons et rentrons àC ou nous mangeons des frites
Crombecque où nous refaisons
des vivres, changeons les bâches de nos voitures qui en avaient bien besoin. Le
1er bataillon est part ravitailler à 6h, on dirait qu'il se prépare quelque
chose
Vers 9 h un aéro boche passe
au-dessus de nous et lâche 2 bombes sur un ravitaillement à 150 m de nous. Nous
tirons tous dessus lors de son retour, apparemment sans résultats
Pour la première fois nos chevaux ont une
écurie à eux. Avec des paillassons nous bouchons les trous pour leur éviter des
courants d’air. Nous sommes à côté d'un faux ruisseau qui est rempli de poules
d’eau, une envie irrésistible de braconner me saisit.
Toujours à Grombecque,
il fait très froid. Nos chevaux sont heureux comme des rois dans leur écurie. A
peine fini de boire ils rentrent se mettre au chaud. Des gars du 2éme bataillon
ont réussi à attraper un faisan, on le mange le soir chez Martha. C'est plein
de gibier par ici, les lièvres pullulent. Quand nous allons faire de la paille
pour nos chevaux il n'est pas rare d'en lever 4 ou 5.
Toute la nuit il a plu à seaux,
ce matin par contre grand beau temps.
Notre cycliste a eu de la
chance hier. Sa bécane a été pulvérise par un obus, lui n’a que quelques
égratignures.
Le train de combat No 1 du
37ème a eu 13 chevaux tués et 13 hommes blessés à Pilken
qui est toujours ravagé par les obus.
Je viens de trouver mes
premiers poux ça promet des beaux jours.
A 3 h attelons et partons pour Boesinghe ou nous arrivons à 10h, nous couchons dans une
ferme en attendant que le jour se lève
Je suis garde d'écurie pour la
nuit, il a fait très froid.
A 7h, mon bataillon part
retrouver les hommes à Pilkem. On nous impose une distance de 50m entre les
voitures, car la route est sévèrement bombardée. Dès notre arrivée au patelin
les premiers obus rappliquent.
A 10h, ils sont à 100m de ma
voiture. Au loin un observateur boche règle le tir à merveille de son
cerf-volant. Soudain le tir s'allonge et les obus arrivent sur le village ; les
tuiles volent en tous sens. Je me couche sous ma voiture, les explosions se
succèdent et m'empêchent de fermer l’œil.
A 10 h, appel du fourrier pour
avoir des vivres de réserve. Il me dit que 2 bataillons du 37éme vont faire
l'attaque du bois de Bixchoote vers 2 h du matin
Réveil
à 2h, j’attelle mes
chevaux et ils sautent en l'air car un 77 vient
d'enlever la cheminée de la maison.
Le capitaine prend son fusil et
son sac, les hommes essayent leur baïonnette au bout du fusil. Ambiance très lourde.J'ai mal au cœur de les voir et combien vont en
revenir. Je vais au poste de commandement qui me fait rentrer à la compagnie.
En attendant le jour je me
réfugie dans une ferme tenue par la 10éme (compagnie), elle est beaucoup moins exposée.
D'énormes marmites tombent près
des batteries qui nous entourent. Elles préparent l'attaque en faisant un raffut
épouvantable, ce n'est que sifflements et explosion à devenir fou.
A
6h40, l'attaque commence
par une violente fusillade.
10
h, retour des premiers
blessés, triste spectacle … Un en particulier me frappe, il n'a plus de nez et
un trou sanglant au milieu du visage, quel pitié !
Les obus sifflent toujours, un
percutant vient éclater derrière mes 2 chevaux. Mon noir affolé se sauve à fond
de train vers Boesinghe. Je courre après,
heureusement un groupe d'artilleur le stoppe sur le pont. Je le ramène difficilement
car il est affolé, 2 fois il m'échappera des mains. Je parvins enfin à le
brider et à le ramener, je récupère aussi ma blanche et les abritent derrière
un petit hangar.
Il fait nuit noire, la neige et
la pluie soufflent en tempête. Je peux enfin manger avec les cuistots. Toute la
nuit sera ponctuée d’explosion, impossible de dormir.
A 5 h le sergent vient me voir
et me demande où sont mes chevaux. Je vais pour lui montrer, mais ils ont
disparus. Je cours en direction de Boesinghe, fais
les fermes alentour, mais aucune trace. Dans le village des soldats de garde
m'informent qu'ils ont vu passer hier soir 2 chevaux fous se dirigeants vers Bixshoote.
Je suis la route et les
retrouve dans la ferme ou nous avions logés avant-hier. Je les ramène et les
entravent avec des chaînes. Ils font pitiés, tout tremblant et terrorisés par
les obus qui explosent sans discontinuer.
Les blessés qui reviennent me
disent que près de 500 hommes sont restés sur le terrain lors de l'attaque. (*)
(*) : Le JMO précise les pertes : 33 tués, 101 blessés et
248 disparus.
Le jour levé je vais voir ma
compagnie qui est revenue de l’attaque. Énormément de vide dans les rangs, les
hommes sont prostrés et je ne sais quoi leur dire. L'attaque a échouée, les
boches bien retranchés n'ont pu être délogés.
Quatre officiers ont été tués,
triste veillée de Noël.
Toujours à Pilken,
à 10h, le sergent nous prévient de nous mettre en tenue de campagne. Des
artilleurs territoriaux nous remplacent aux voitures, nous sommes versés dans une unité de combat.
Pour moi ce sera la 8éme
compagnie. Cette compagnie ainsi que la 6éme ont été décimées pendant
l’attaque, il faut donc combler les vides. Je suis sous le commandement de
l'adjudant Collier.
Le soir le cœur lourd nous
partons aux tranchées. (*)
Il fait très froid et sommes en
réserve près du moulin de Langemarck.
(*) : Il a vu les combats de loin, dorénavant, il est en
premières lignes…
Extrait du
JMO du 37e régiment d’infanterie
Il précise bien que les renforts viennent de soldats de l’armée
territoriale
Toute la nuit et la journée des
obus arrosent les abords de notre guitoune. Des shrapnels viennent frapper la
toiture, heureusement sans faire de dégâts
Ne bougeons pas de la journée
de notre trou ça tire de partout. En fin de journée (Paul) Fessard
(*) du train
régimentaire est blessé grièvement par une grenade en chahutant avec des
copains. Comme si les boches ne suffisaient pas !
(*) : Il mourra de ses blessures le lendemain. Paul FESSARD mort
pour la France le 29 décembre 1914. Voir
sa fiche.
Toujours sans sortir de nos
trous.
Il pleut à verse maintenant,
les gouttières nous trempent dans les abris, sommes recouverts de boue.
Le soir allons à Langemarck chercher des outils. Un adjudant d'artillerie
vient d'y être tué cet après-midi, nous sommes enfin relevés à 11 h du soir.
Tout le régiment part pour le Lion Belge (*) où nous arrivons vers 6 h du matin.
Nettoyage des armes et des
effets. Revue par le général du corps d’armée et remise de décorations par un
froid de canard.
(*) : Le ‘’ Lion Belge ‘’ est un lieu-dit sur la rive gauche de
l’Yser.
A Steentraate
une maison s'est écroulée par les bombardements sur des soldats du 5éme
Hussards. Notre 1ére et 4éme section vont pour déblayer à 7h du matin.
Après la soupe du soir nous
allons les remplacer. Spectacle affreux, 50 morts et 20 blessés, en abandonnons
un à son triste sort et rentrons à une heure du matin.
Voici le récit :
Nous étions en réserve dans une
ferme démolie a environ 2klm des lignes ce 4 janvier. Le froid est terrible,
pas de paille, aucune fenêtres et toiture écroulée. Néanmoins on est heureux,
car on peut bouger, remuer, s'allonger ce qui n'est pas le cas en première
ligne. Nous sortons de boire le jus, quand un agent de liaison arrive comme un
fou et dit aux premières et quatrième section de s'équiper au galop. Il s'agit
de déblayer une maison qui s'est écroulée sur le 2éme escadron du 5éme Hussard.
Le poste de secours est à 100m, des équipes de brancardiers ramènent les
premiers blessés. C'est affreux, le premier a la mâchoire brisée, un bras
arraché et le côté ouvert.
Le second dont le visage est
réduit à une bouillie informe ne cesse de crier :
« C'est
pour la France …..C'est pour la France »
Nous nous demandons comment nos
camarades peuvent les dégager étant tout près des lignes. Après la soupe c'est
au tour de ma section d'aller relever nos camarades qui continuent à retirer des
cadavres. Il fait nuit noire, en file indienne, nous progressons, butant à
chaque pas dans les decauville et les trous d'obus.
Enfin nous arrivons au funeste
endroit. Traversons le couloir, dans une petite chambre une dizaine de cadavres
sont alignés
Nous contournons la maison et
là une odeur cadavérique nous prend à la gorge. Il nous faire vite, des hommes
sont encore vivants et espèrent notre aide. Il nous faut travailler en silence
et dans une obscurité complète. Le pire ce sont les débris humains que nous
ramenons avec nos outils. Ils sont mélangés à la terre et déchiquetés par le
bombardement.
Sinistre besogne et funeste
mémoire.
Un dénommé Fleury nous dit de faire vite, sa jambe
est brisée et il étouffe. Aux prix de grandes difficultés nous parvenons à
l'extraire des décombres. Ses remerciements nous touchent, à ses côtés 2 de ses
copains sont morts broyés par l’éboulement. Nous croyons avoir fini le
déblaiement ….soudain une voix caverneuse, comme sortie d'outre-tombe nous
supplie :
« … et moi ….. Vous n'allez pas me laisser là ….. » (*)
Pauvre malheureux qui depuis 24
h attend avec résignation un hypothétique sauvetage.
Nous nous dirigeons vers le
lieu de l'appel au secours. Sous un amas de poutres, planches, briques nous
parvenons a le localise.Par
contre il étouffe par manque d’air. Le déblaiement commence, ses appels se font
de plus en plus pressants :
« Sauvez-moi
les gars ….. Sauvez-moi les gars ….. »
Nous sommes bientôt à un mètre
de lui car sa voix se fait plus distincte. Un événement imprévu va cependant
décourager les plus hardis. Un mur de 3 mètre de haut penche dangereusement du
fait de notre déblaiement à sa base. Arriverons-nous à temps????
« Dépêchez-vous »
crie ce pauvre garçon,
j'étouffe de plus en plus …. Soudain un ordre inhumain arrive !!
« Cessez
le travail, c'est beaucoup trop dangereux. »
Nous avons les larmes aux yeux,
silencieusement nous ramassons nos outils et l'abandonnons a
son triste sort ….
Partir comme ça, comme des
voleurs de peur qu'il nous entende nous plonge dans une grande tristesse. A
peine sorti de la maison, le mur s’effondrait, engloutissant notre malheureux
camarade. Pour lui c'est fini maintenant …il faut mourir …
Le cœur lourd nous regagnons
notre tranchée …r. Il nous dit que ses voisins sont tués mais que lui par
miracle est indemne.
(*) : Le JMO du 5 janvier du 37ème régiment d’infanterie
précise :
« Steenstraat et en particulier la fabrique de chicorée
furent bombardés. La fabrique de chicorée s’écroule sur un peloton de Hussards.
Il y eu 45 hommes tués et 30 blessés. »
Un Hussard nommé Georges
Victor FLEURY est dans la liste des tués. C’est peut-être le même homme.
Le JMO
du 5ème hussard relate l’épisode de l’éboulement les 4 et 5 janvier 1915
avec la liste des victimes.
A 4h allons occuper la tranchée
de première ligne que les hussards occupaient. La progression dans 0m50 de boue
est très pénible. 2 hussards morts sont encore dans la tranchée, devant des
fusiliers marins victimes des jours précédents ne sont toujours pas enterrés.
Paysage morbide, le soir grosse
fusillade, un peureux a cru voir des boches s'avancer vers nos lignes.
Il pleut des cordes et nous
sommes trempés. 30 cm d'eau dans la tranchée, on patauge dans la boue.
Le soir, nouvelle alerte,
toujours par le même peureux, nous sommes enfin relevés par le 79éme. Nous
partons au repos près de Boesinghe
Occupons les tranchées près du
canal.
Nous sommes en première ligne à
100m des boches. La terre est constellée d'eau et de cadavres, on finit par s'y
habituer.
Jamais je n'ai eu aussi froid.
Revenons sur l'Yser à 6h du
matin.
L’après-midi remplissons des
sacs de terre sous de nombreuses rafales.
A 5 h nous retournons a la
tranchée de la tête de pont de Steentraate. Le 79éme
a eu 13 hommes tués dans cette même tranchée. Je suis de garde de nuit en
liaison avec des territoriaux.
……
Sommes à 60 m des boches, avons
un tué et deux blessés, nous tirons comme des fous.
L’après-midi l'artillerie boche
nous bombarde, dans mon abri un sac de terre se répand sur moi. La veille
j'avais été fortement incommodé par une odeur pestilentielle. Je comprends
maintenant pourquoi, c'est un macchabée boche. Il est fortement passé, le
parapet est monté dessus, on lui voit les fesses et un talon. Quelques
pelletées de terre dessus et on y pense plus. Ensuite on remplit des sacs de
terre pour renforcer le parapet.
(*) : le 37e RI est alors à St Julien
J’ai mieux dormi rapport à mon
macchabée qui ne sentait plus si fort. Les camarades d'ailleurs évitent de
venir me voir rapport à l'odeur …
La deuxième section a encore un
tué, la sixième qui nous remplace 1 tué et 2 blessés. Devant nous un boche est
enterrés jusqu'au cou, ne dépasse que la tête c'est rigolo.
Les boches sur lesquels on ne
cesse de tirer nous répondent par des rigodons.
Dans la nuit avons encore 1 tué
et 2 blessés.
Il a gelé et le vent souffle
fort.
A midi on s'interpelle avec les
boches sur un ton amical. Nous montons même sur le parapet, eux aussi, on chante
et on s'invite à venir. Les officiers interviennent et nous ordonnent de
reprendre nos places. Malgré cela le soir ça recommence. Notre quatrième
section chante la tyrolienne en chœur et un boche reprend le refrain.
Pour une fois, pas un coup de
fusil de la nuit. Nous travaillons à notre parapet sous l’œil d'une sentinelle
boche située à 30m. Elle nous voit puisque nous même la voyons, pas de réaction
guerrière ….
Nous avons travaillés jusqu'à
1h du matin sans un coup de fusil.
A 2h notre artillerie leur tire
dessus. Ils nous foutent des coups de fusil et nous revoilà en rogne.
Puis ils nous bombardent,
heureusement les obus n'arrivent pas dans notre tranchée.
A 9h sommes enfin relevés.
Paroles de chanson écrites par
Paul Viriot le 28-12 1914 dans
les tranchées près de Langemarck suite à l'attaque
ratée du 22 décembre.
Dédier au petit soldat de
France. L'air est Sur la Riviera
1er
couplet : La Tranchée
P'tit
soldat de France
Tu
peines et tu souffres en paix
Dans
ces vastes landes
Aux
bocages clairsemés
Dans
ces marécages
Ou
tu enfonces jusqu'aux genoux
Il
t'faut du courage
Pour
résister dans cette boue
Mais
bientôt tu seras remplacé
Pour
rentrer au pays aimé
Refrain
Sur
les bords du canal de L’Yser
Ou
souffle une bise glaciale
Tu
iras pendant cet hiver
Dans
les tranchées qui longent le canal
Sous
la pluie, le vent et la neige
Tristement
tu penses au pays
A
ta femme, au logis, à tes gosses chéris
Qui
attendent amoureusement ton retour
Soldat
…..Patience !!
Pour
la délivrance
2éme
couplet : L’Attaque
Un
matin de décembre
On
t'a réveillé de bonne heure
Ton
jus dans le ventre
Et
te voilà plein d'ardeur
Vers
un petit bois sombre
Devant
toi, tu rampes sans bruit
Tu
glisses comme une ombre
Vers
ses sinistres bandits
Mais
bientôt tu te lèves et d'un bond
L'fusil
haut, tu cours comme un lion
2éme
refrain
Sur
les bords du canal d' Lyser
Ou
souffle une bise glaciale
Méprisant
l’acier, le fer
Qui
rougissent bien souvent ce canal
Sous
la pluie, le vent et la neige
Qui
t’aveugle, te transperce, te saisit
Mais
le cri, en avant !
Poussé
par le commandant
Font
de toi un homme en furie
Soldats,
Soldats …
A
genoux devant le petit gars
3éme
couplet : La Mort
Les
fusils crépitent
Les
mitrailleuses font rages
Les
obus qui sifflent
Rien
n'altère ton courage
La
tranchée approche
Quand
une balle de boche
Te
terrasse et te raidit
Tu
te relèves et râlant tu t'écris...
Vive
la France …
C'est
pour ma patrie
3éme
refrain
Sur
les bords de canal d'Lyser
Ou
souffle une bise glaciale
Tu
auras pendant cet hiver
Une
tombe sur les bords du canal
Sous
la pluie, le vent, la neige
Gravement
tu seras déposé
Par
tes frères plus heureux
Et
qui se sont échappés
Du
charnier ou tant d'autres sont restés
Soldats
!!! Debout ….
Et
tous au garde-à-vous
Nous débarquons à Wormhout et
poussons des hourras en revoyant des inscriptions françaises.
Nous faisons la bombe avec des
Canadiens. C'est eux qui paient, ils gagnent 5 fr par
jour, le vin est à 15 sous.
Le matin avec mon grand copain Verrier allons admirer l'artillerie
canadienne. Sont tous envieux de mon ceinturon boche. Ils ne sont pas toujours facile à comprendre avec leur accent très prononcé.
Service à Wormhout pour les
morts du 37éme. Le doyen nous fait un beau sermon très touchant en évoquant
leur mémoire.
L’après-midi, revue de
cantonnement en tenue de campagne par le commandant.
Partons en autobus pour Arras, la route est
remplie de troupes. Allons cantonner à Maroeuil dans
une ancienne filature. 2 bataillons logent dans l'usine.
Nous nous attendons à une
attaque. Le matin exercice de prise de tranchée et le soir constructions de
boyaux devant les tranchées de première ligne. Les balles nous sifflent aux
oreilles.
Retour à 5h du matin, 4km de
boyaux pour rentrer à Maroeuil.
Exercice d’attaque,
l’après-midi Maroeuil est sévèrement bombardé. Le
premier obus tombe à 100m de nous, le second à 30m. Nous étions de corvée
d'épluchage de patates, sommes recouverts de débris divers. En vitesse nous
nous replions vers la ligne de chemin de fer.
Il en tombe encore 4 sur le
village faisant plusieurs morts et blessés. Le cheval de notre capitaine est tué, nous évacuons l'usine et logeons en plein champ.
Le soir reboyaux, notre tâche
est 4m de long, 1m40 de profondeur sur 1m30 de large pour une équipe de deux.
Les aéroplanes nous ont surveillé toute la nuit.
Préparons la tranchée d'attaque munis de
trois escaliers. C'est de là que partirons les nôtres le grand jour de
l’attaque. Sommes obligés de revenir plus tôt tellement il pleut. Sommes
dégoûtants.
Changeons de secteur.
Nous faisons 8km pour y aller
et nous nous perdons dans le dédale de boyaux. Arrivons enfin à minuit, fourbus
et harassés. Notre caporal Coquerel
est tué par une balle. (*)
Les boyaux sont remplis d’eau.
(*) : Léon Pierre Victor COQUERELLE, 21 ans, caporal au 37ème
régiment d’infanterie, mort pour la France à Maroeuil
(62) le 4 mai 1915. Voir
sa fiche.
Changeons de cantonnement.
En préparation de l'attaque
nous touchons 300 cartouches de l'eau de chaux pour les gaz. Sommes prêts pour
le grand jour.
Nous sommes en alerte,
l'attaque prévue pour 2 h du matin est reportée à demain.
Maroeuil subit un gigantesque embouteillage de
voitures et de troupes diverses
L'attaque est finalement pour demain,
l'enthousiasme est général.
Le soir sac au dos, notre
compagnie, ayant fait la dernière attaque sur Bixshoote,
est en réserve. Nous allons nous poster près de la gare et creusons des
tranchées pour nous abriter en cas de bombardement.
Plan des
travaux d’approche avant l’attaque du 9 mai 1915 - Paul VIRIOT du 37e régiment
d’infanterie.
Journée d'attaque.
A
5 h du matin, la grosse
artillerie (105, 120, 155, 197 sur train blindé et 220) ouvre le feu.
Neuville-Saint-Vaast, La Targette voir plus à l’arrière sont noyés sous un
déluge d’explosions. Détonation formidables qui nous mettent
en confiance, ils doivent déguster en face.
A
8h, nous quittons la gare,
passons à côté des batteries du 60éme. Leur adjudant nous dit qu'ils ont 350
coups à tirer par pièce de 9h20 à 10 h (heure fixée pour l'attaque de
l’infanterie). Dans une tranchée 200m devant les batteries nous nous abritons
en attendons que l'engagement commence.
A
9h20 précise, le plus beau
et terrifiant spectacle que l'on puisse imaginer nous est donnée par ces 850
pièces d’artillerie. Elles vomissent le feu à une cadence infernale, impossible
de parler à son voisin. Les oreilles me font atrocement souffrir, nous sommes
rendus fous par ce vacarme.
Devant nous à 2km la ligne
allemande est en feu, la fumée tellement dense que l'on ne voit plus rien.
Devant nous cet immense nuage noir et derrière ce feu meurtrier qui augmente
encore. Nos valeureux 75 soutiennent un feu roulant, puis à 10h comme par
enchantement tout s’arrête. Nous apercevons nos premières lignes courir à
l’ennemi, notre cœur bat bien fort. Mais pas le temps de s’apitoyer, un coup de
sifflet retentit, sac au dos nous nous dirigeons vers la fournaise.
Au bout de 20m un téléphoniste
nous dit que la première ligne est enlevée.
Des hourras sont poussés en
l'honneur du 79ème et des artilleurs. Le canon se remet à tonner, les 2éme et
3éme lignes boches sont visées.
En arrivant aux abris aménagés
pour les blessés de l'attaque nous croisons une batterie qui arrive de la côte
où elle tirait tout à l’heure. Elle déboule à fond de train, se positionne en
vitesse et recommence son feu d’enfer. Nous approchons de notre tranchée
primitive, de nombreux blessés reviennent du front plus ou moins touchés.
Triste spectacle, des hommes défigurés, amputés d'un ou plusieurs membres, les
visages ravagés par la douleur et la peur.
Vers
4h, nous quittons nos
positions et sautons dans celles des boches. Quelques cadavres gisent çà et là,
nous avançons toujours.
A
5h30, sortons des boyaux
pour attaquer vers le fortin et le moulin (*). Les 25 premiers mètres se passent bien,
mais bientôt l'artillerie nous a repérés et déclenche sur nous un feu
meurtrier.
En une demi-heure trente hommes
de la compagnie sont hors de combat. Moi-même je reçois un shrapnel,
heureusement que j'ai ma calotte en tôle (**) ramassée quelques instants plus tôt sur un
de nos soldats morts.
L'éclat glisse sur mon képi,
mon sergent (Paul Justin) Chalet n’a pas la même chance, il a le crâne
défoncé. (Arthur) Tutoy mon voisin à le côté ouvert et meurt
aussi, etc. etc. (***)
Heureusement la nuit arrive et
fait cesser ce carnage. Le capitaine nous fait porter en avant et nous
organisons une petite tranchée. La nuit est très froide et nous grelottons
jusqu'au petit matin.
Le JMO dit que les
soldats restent toute la nuit pour la plupart allongé dans des cratères d’obus,
dans le froid et la boue entre les 2 lignes et attendent le jour pour relancer
l’attaque.
(*) : Il s’agit très certainement du moulin TOPART.
(**) : La cervelière a été distribuée en mars 1915 pour
éviter les nombreuses blessures à la tête. Mise théoriquement sous le képi mais
peu pratique, elle sera remplacée par le casque dès septembre 1915
(***) : Paul Justin CHALET, sergent, mort pour la France, le 10
mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Voir
sa fiche.
Arthur TUTOY, 22 ans, mort pour la
France à quelques km de chez lui, le 10 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Voir
sa fiche.
Paul VIRIOT
(37e régiment d’infanterie) explique son coup de chance
Complément et détails
supplémentaires de l'attaque du 9 mai. Rédigé plus tard dans un hôpital nantais
où il fut hospitalisé.
Déployés dans le Chemin Creux, nous
attendons l'ordre du commandant Pernot
de nous engager. Nous avons comme direction le fameux moulin et le non moins
fameux fortin avec son labyrinthe. Tous les hommes sont absorbées et recueillis
par je ne sais quelles pensées, la peur nous noue les
tripes. Les cigarettes se succèdent, l'une derrière l’autre.
La
fameuse gouaillerie française est toujours présente et des réflexions fusent.
Allons Messieurs !
Il
est temps de faire votre testament ! A qui le premier numéro pour le grand
voyage ? Un petit cabot Parisien (tué une heure plus tard) Ceux qui
mangeront des betteraves sont priés d’en laisser à leurs petits camarades
(manger des betteraves se disait la veille d'une attaque, car généralement les
morts sont faces contre terre et donc mangent les betteraves). Moi-même je fais
remarquer à Verrier (mon meilleur
camarade de combat) irons-nous jusqu'à ce petit bouquet de coquelicots aperçus
depuis notre talus. Ou peut-être plus loin jusqu'à ce squelette abandonné. Le
moral est bon y a pas de doutes !
Mais
bientôt le coup de sifflet retentit, aux plaisanteries succède un silence
glacial. Baïonnettes aux canons !
Seuls
ceux qui ont entendus ces mots peuvent en mesurer le sens, rétrospectivement
j'en ai encore la chair de poule ….
Des
milliers de pensées traversent alors votre esprit.
Puis
nouveau coup de sifflet et on grimpe le talus. Les premiers bonds se font sans
mal, car l'ennemi ne nous as pas encore aperçu. Pour les suivants c'est autre
chose, shrapnels, mitrailleuses, obus font un bruit assourdissant. Ca y est
nous sommes en pleine fournaise. A mon troisième bond je passe à côté d'un
soldat du 79éme tué. Il porte sous son képi une calotte en tôle. Lui enlever
son képi, prendre sa calotte et l'ajuster au mien ne prend qu'un instant.
Je
rejoins alors mes camarades sous une canonnade intense qui ne cesse
d’augmenter.
Des
fameux 130 aux explosions dévastatrices qui nous rendent sourds et à moitié
fous. Mon sergent de section est tué par un éclat en pleine tête, d'autres
subissent le même sort. De nombreux blessés se dirigent en arrière vers le
Chemin Creux cahin-caha. Avec Verrier
pas un mot, couché dans l’herbe, côte à côte nous attendons anxieusement notre
tour.
Tout
à coup une détonation formidable 20 m au-dessus de nos têtes et un choc violent
sur mon crâne.
Je
me crois touché et l'avoue à Verrier, il me crie alors de ne pas l'abandonner dans cet
enfer. J’enlève mon képi et me dit que j'ai une sacré chance. L'éclat a
rencontré la partie sphérique de la calotte et glissé dessus, je retrouverai le
morceau dans mon sac. Sans ce malheureux soldat tué, j'étais cloué sur place.
La chance ou ma bonne étoile continuait de veiller sur moi.
Au petit jour l'artillerie
allemande reprend son bombardement intensif. Une compagnie du 79éme trop
fortement bombardée par les obus et les bombes évacuent leur tranchée. Ils
courent vers nous.
Notre capitaine (*) est
furieux, il les traite de lâches et nous fait mettre baïonnette au canon pour
la réoccuper avant les boches. Nous courons, puis il nous faut ramper car les
balles pleuvent drues. Plusieurs d'entre nous en font la funeste expérience.
Enfin nous y sommes, mais il
faut creuser car le parapet fait à peine 30cm.
Vite les pelles-bêches,
nous travaillons dans une position inconfortable à moitié couché.
(*) : Capitaine Auguste Raymond JOLYOT.
Je
relate ici des faits pénibles (rédigé quelques années plus tard) que je n'avais
jamais osé mentionner dans mes carnets :
Notre capitaine (Auguste Raymond) JOLYOT
leur ordonne de s’arrêter en les traitant de lâches, mais ils sont si paniqués
qu'ils continuent à se replier.
Il donne alors cet ordre
incroyable … :
« Tirer
leur dessus »
Nous croyons avoir mal entendu. Mais il
insiste :
« Soldats,
tirez sur ces lâches. »
Plusieurs
ont tirés, moi j'ai fait le geste sans appuyer sur la gâchette.
Mais je maintiens, et affirme,
que le caporal-fourrier en a tué un devant moi à bout portant.
Nous sommes devenus des chiens,
tuer ses propres camarades.
Vers
5h, on peut enfin
s’installer, on ne craint plus les balles. Mais voilà que leur artillerie nous
prend en enfilade. Elle commence un feu roulant qui ne s’arrêtera
qu'à 6 h le soir. Le sac sur la tête on se remet à creuser. Des plaintes
s’élèvent d'un bout à l'autre de la tranchée. Barthelemy,
MASSON, GAUTHIER, DUVAL (*), PAOLI, Steimetz de mon escouade sont plus ou moins grièvement
blessés. Ils se traînent comme ils peuvent et essaient de gagner un poste de
secours.
Vers
22h, un 105 arrive dans la
tranchée près de moi, il arrache un bras à Catelin
et broient les reins de GERARD (**). Ses débris me
passent au-dessus et vont toucher à la tête un pauvre garçon du 79éme. Le
malheureux crâne défoncé n'expirera que le soir émettant des râles affreux.
Ce n'est pas fini, au même
instant un second 105 arrive derrière mon trou et O
miracle n'éclate pas. Si cela avait été le cas, c'était fini pour moi. Je suis
quand même à moitié enterré et j'ai beaucoup de mal à me dégager.
La folie nous guette, c'est
l'enfer ou ça lui ressemble beaucoup.
Enfin le feu diminue
d’intensité, mais ils nous lancent toujours des bombes. En réplique nous leur
envoyons plusieurs feux de salve, ça soulage même si l'efficacité n'est pas
garantie.
Impossible dans ces conditions
de se ravitailler, nous mourons de soif. Les abords de notre tranchée sont
jonchés de cadavres. Il nous faut veiller (funèbre) car nous craignons une
contre-attaque.
(*) : Parmi ces noms, seul un soldat est décédé en mai/juin :
Charles Auguste DUVAL mort le 23 mai des suites de blessure, mais la fiche MdH
indique 4e Cie alors que Paul était à la 8e.
(**) : Un soldat Charles GERARD est décédé des suites de
blessures le 16 mai à l’hôpital n°201 de St Brieuc (22). Il pourrait s’agir de
lui : Ch. Gerard mais sa FM,
reconstituée (recrutement de Toul et non Nancy), ne donne aucune information et
ne permet donc pas de connaître la date de sa blessure. Deux autres soldats de
ce nom sont morts en mai/juin 1915, mais tués à l’ennemi fin mai et en juin, il
ne peut s’agir de l’un d’eux.
Ordre pour le 37ème régiment d’infanterie :
Attaquer et prendre le cimetière de Neuville-Saint-Vaast.
Toujours dans notre position
inconfortable avec le même bombardement. Notre compagnie est réduite à l'état
de squelette, tant d'hommes sont tombés. J'ai passé la nuit à veiller
l'aspirant et GERARD. Ils
souffrent atrocement et les brancardiers ne peuvent venir les chercher.
Le soir, assistons à la folle
charge du 224éme, c'est là que nous sauvons un adjudant grièvement blessé (Numa Martin Vincent).
Ce petit livre lui appartient et il me la légué en récompense de nos efforts
pour le sauver.
Toujours pas de ravitaillement,
c'est horrible d'avoir soif comme ça. Comme nous sommes au milieu d'un champ de
betteraves à sucre, nous en consommons pour tromper notre faim et notre soif.
L'aspirant (Emmanuel) Lemaire vient de mourir après d'atroces
souffrances. (*)
A la brume, le capitaine vient
voir Gerard et l'encourage à
tenir. Il ne peut autoriser de corvée de ravitaillement car nous ne sommes plus
assez nombreux. Il s'en retourne en rampant, je le suis machinalement des yeux,
soudain il s'affaisse et ne bouge plus, une balle vient de le frapper en plein
cœur. (**)
Comme cadres nous n'avons plus
que le sous-lieutenant Goin et
l'adjudant DUMAZAINE. La nuit sera
encore longue plusieurs alertes sérieuses nous tiendrons sur nos gardes.
(**) : Aspirant Emmanuel
LEMAIRE, 22 ans, mort pour la France le 11 (le 15 ?) mai 1915 à
Neuville-Saint-Vaast. Il était arrivé au 37ème régiment d’infanterie le 1er
janvier 1915. Voir
sa fiche.
(***) : Capitaine Auguste Raymond JOLYOT, 51 ans, mort pour
la France le 10 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Il était arrivé au 37ème
régiment d’infanterie le 1er février 1915. Engagé volontaire en 1882, l’école
militaire d’infanterie en 1887, finalement capitaine en 1899 au 145ème régiment
d’infanterie. Dégagé de ses obligations militaires en 1907 et décoré de la
légion d’honneur, il reprend du service en 1915. Voir
sa fiche.
Complément et détails supplémentaires de
l'attaque du 11 mai. Rédigé plus tard dans un hôpital Nantais où il fut
hospitalisé.
‘’ Charge du 224e d'infanterie à Neuville-Saint-Vaast
le 11 mai 1915.’’
Vers
quatre heures, je suis des yeux les blessés qui peuvent encore se traîner vers
l’arrière toujours arrosés par les boches.
Du
fait de notre position, j’aperçois soudain une compagnie déployée sur deux
rangs qui s'avance vers nous. Le colonel en tête, sabre au côté et en gants
blancs marche tranquillement devant ses hommes alignés comme pour une revue.
Ils ont le fusil sur l'épaule avec baïonnette au canon. Ils débouchent d'une
petite crête en contre-bas et sont maintenant en pleine vue des boches.
Les
malheureux ! De la façon dont ils s'avancent, je juge qu'un drame épouvantable
va se produire.
Je
leur crie de toutes mes forces qu'ils courent un grand danger. Hélas mes cris
se perdent dans les explosions des marmites. Pendant ce temps, les marmites
découvrant ces nouvelles cibles écrasent de leurs feux cette vaillante phalange
qui inconscience ou bravoure s'avance toujours. Les files s'écrasent une contre
l'autre. Les hommes sont fauchés comme fétus de paille. Une rafale de 130
fusant éclate au-dessus d'eux et fait un vide terrible…
Pourtant
ils avancent toujours …. Colonel toujours en tête …
Je
ne peux m’empêcher de crier mon admiration pour ce spectacle (- que le mot soit
bien compris -) digne des grands peintres de l'épopée napoléonienne …
Les
premiers hommes du 224e s'engagent entre nous et les boches. Je leur fais signe
de venir à nous car ils sont tirés de flanc et pas un ne va en réchapper. Je ne
suis pas compris ou entendu, car ces malheureux continuent. Une violente
fusillade en abat les trois quart. Les survivants se rabattent enfin sur nous,
presque tous sont touchés avant de trouver l'abri de notre tranchée. Un maître
d’hôtel de Paris vient à tomber près de moi. Un peu plus et il s'embrochait sur
ma baïonnette. Le petit cri plaintif qu'il pousse me fait penser (cruelle
illusion) à un lapin qu'on saigne.
A
peu de distance, un adjudant est grièvement blessé, il
nous demande de l'aide. Deux survivants du 224e sont à mes côtés et cherchent
de la ficelle dans leur sac pour lui jeter et le tirer à nous … La ficelle est
jetée, mais hélas elle est trop courte ….il ne peut l'attraper.... A ce moment
je remarque un homme à côté de nous affligé d'une horrible blessure à la tête.
Sa capote et sa veste sont ouvertes pour se donner de l'air. Je remarque qu'il
porte une ceinture bleue de flanelle. J'en fais part à mes compagnons
d'occasion et nous lui enlevons en un tour de main. Nous sommes outillés, le
tout est de pouvoir s'en servir. A voir les nombreuses balles qui sifflent à
nos oreilles, nous sommes surveillés et les boches épient le moindre mouvement.
L'adjudant
est toujours là, faisant le mort, car quiconque bouge est assuré de recevoir
une balle. Nous lui faisons part de notre désir de lui envoyer une ceinture et
de le tirer vers nous. Nous la lui lançons et il parvient à s'en emparer. A
genoux tous les trois dans notre tranchée de 20cm nous nous agrippons et d'une
bonne détente l'avançons sur notre talus. Malheureusement au cours de cette
opération les boches ont repéré notre action et il est touché d'une nouvelle
balle dans le flanc. C'est un miracle que nous n'ayons pas été touchés car pour
le tirer à nous il nous a fallu sortir le buste au milieu des balles. Le
malheureux vomit le sang, ses yeux deviennent vitreux, sa chemise est teintée
de rouge à trois ou quatre endroits. A la brume ses hommes l'emportent et me
laisse en remerciement son équipement dont ce petit livre qui me servira à
noter mes campagnes.
Rajout
supplémentaire. Rédigé de longues années plus tard.
« Cet adjudant Numa, qui m’a donné son carnet, avait commencé à écrire une
page au crayon. Elle décrivait la bravoure d'un sergent nommé Chammerond du 224e. J'ignore si cet
adjudant a survécu à ses graves blessures. Il ne figure pas dans les morts
officiels de 14-18. Son régiment fut formé au dépôt de Bernay en
Normandie. »
Paul VÉRIOT se trompe : Il a fait des recherche sur l’adjudant
‘’ NUMA Vincent ’’ est en vérité l’adjudant ‘’ VINCENT Numa Victor ’’.
Numa Martin Benjamin Bayle VINCENT a eu un parcours militaire
vraiment atypique ! C’est un militaire de carrière. Engagé à 18 ans,
caporal puis sergent et adjudant en septembre 1914, il sera donc blessé par
balle durant cette journée du 11 mai 1915 au genou. Rétabli, il sera intégré
dans plusieurs régiments, puis à l’armée du Levant et sera déclaré ‘’ disparu
‘’ puis ‘’ mort pour la France ‘’ ‘durant des combats en Syrie en 1921. Voir
sa fiche matriculaire.
Sommes toujours au même
emplacement avec obus, victimes et souffrances !
Dans la nuit j'ai réussi à
ramper près des cadavres à la recherche de miettes de nourriture resté dans
leur sac. Nous sommes dans un extrême état de faiblesse, fatigués après ses
nuits sans sommeil, au bout du rouleau …
Le soir, nous touchons enfin un
demi-bidon d'eau pour quatre, mais pas de nourriture. On retourne à nos
betteraves, enfin à 4 h du matin une corvée nous ramène quelques boites de
singe et une boule de pain. Nous nous jetons comme des vautours sur cette
nourriture providentielle.
Enfin la relève tant espéré
arrive par une compagnie du 26e à 6h du matin. Notre soulagement de sortir
vivant de ce trou est intense, à notre retour les boches nous arrosent
copieusement.
Nous sommes mis en réserve à
Maison Blanche. Les obus y arrivent encore vu les nombreux cratères qui
parsèment le coin. Lors de l’arrêt Verrier
et moi nous affalons dans un trou sans même enlever notre sac. Mais ce lieu
m’inquiète car il est situé au carrefour de 2 boyaux.
Curieux de nature j'allume mon
briquet pour inspecter l’endroit. Je m’aperçois que notre trou est tout récent,
l'odeur caractéristique de poudre est encore présente. Pour moi, les choses
sont claires, il faut partir et vite, car le coin est repéré.
Je réveille Verrier et lui fait part de mes
intentions de changer de coin. Pour toute réponse … un grognement rageur …
visiblement il n'est pas convaincu.
Je cherche ailleurs un boyau
pour me coucher mais les meilleures places sont déjà prises par les plus
débrouillards. Ma place précédente est de suite occupée, force est de me
reposer assis. Je commence à peine à m’endormir, que Verrier constatant mon absence arrive et grogne de plus.
Assis inconfortablement sur nos
sacs et dormant depuis 10mn, un éclatement tout proche nous réveille en
sursaut. Mon intuition était bonne, je vais voir ce qui s'était passé, un obus
est arrivé en plein dans notre ancien trou. Nos camarades, Schneider de Nancy (*) est
déchiqueté, Sénécal si grièvement
blessé qu'il décédera avant d'arriver au poste de secours. (**)
Le jour venu notre chance
paraît encore plus incroyable, partout des monceaux de chair, du sang …
Devant ce spectacle Verrier éclate en sanglots et me
remercie en me congratulant !
(*) : Martin Frédéric Eugène Marcel SCHNEIDER, 23 ans, mort pour
la France le 9 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Il est bien du recrutement de
Nancy. Voir
sa fiche.
(**) : Henri Raoul SÉNÉCAL, 23 ans, mort pour la France le 11
mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Voir
sa fiche.
Les dates de décès ne correspondent pas aux fiches officielles
de décès. Cela peut se comprendre, les corps étant certainement restés sur
place, l’enregistrement des tués demandant des témoins, et il devait plus avoir
beaucoup de témoins…
A
3 h du matin nous reculons
un peu car le bombardement est toujours intense. Nous marchons malheureusement
sur des cadavres horriblement mutilés qui sentent déjà très forts. Somment
vraiment peu de choses sur terre !
Dans un boyau près de la
Targette je fais fonction de caporal.
Il nous manque après ces
journées 6 sergents, 3 officiers et une quarantaine d’hommes.
Nous avons creusé des trous
pour nous abriter, dormons sous la pluie.
A
midi, sac au dos, une
attaque est prévue sur Neuville, le fortin et le moulin. Ma compagnie en fait
partie, rude journée en perspective !
Nous sortons des boyaux à 4h,
tout de suite plusieurs hommes sont tués. Nous nous abritons alors dans le
Chemin Creux. Notre lieutenant Goin
nous recommande de ne pas faire de bonds de plus de 20 pas. Le talus est
escaladé, à l'assaut !
Les mitrailleuses ennemies sont
en éveils et déclenchent aussitôt un feu nourri. Il faut vite se coucher et
ramper, les balles fauchent l'herbe devant nous. Une d’elle arrive dans ma
musette, mais ne me blesse pas, je la garderai en souvenir.
De nombreux camarades sont
touchés, l'artillerie se met alors de la partie et règle ses grosses pièces sur
nous. Bientôt une avalanche de feu nous entoure le cri des blesses, le râle des
mourants ! Des 210 font sauter les corps et enterrent les vivants, l'odeur de
poudre est omniprésente, c'est l'enfer !
Impossible de progresser, notre
lieutenant Goin crie ;
« En
avant ! »
3 balles l'étendent à jamais
dans l'herbe.
Une compagnie du 79éme à notre
droite est obligée de reculer, nous voyons distinctement les leurs sauter en l'air
sous les obus. On s’attend à mourir d'un instant à l’autre, chaque rafale
passée est un moment de vie gagnée. Nous sommes totalement impuissants devant
des événements pareils. L'obscurité tant espéré arrive enfin et nous pouvons
enfin nous réfugier derrière notre talus protecteur.
On se compte, 44 présents sur
137 deux heures avant, pas besoin de commentaires....
Nous passons donc la nuit sur
notre talus, sans manger ni boire, impossible d'aller au ravitaillement.
Dès le lever du jour les tirs reprennent.
160, 210 à profusion et une autre journée infernale commence.
Sur les coups de 6h du soir
repartons dans le boyau près de la Targette. Ils sont pleins de cadavres des
derniers jours. Enfin nous sommes ravitaillés à 2h du matin, 27 hommes arrivent
en renfort à la compagnie qui sont pour le presbytère.
Les boches le connaissent bien pour l'avoir occupé avant nous. Ils savent les
murs solides, nous aurons maintes fois la preuve de leur résistance.
Une
ombre s'avance vers nous,
c'est l'adjudant de bataillon qui vient s’enquérir des hommes de corvée. Il
nous emmène vers un dépôt de sac de terre et nous en distribue dix. Il nous
donne comme objectif des instructions si rudimentaires que nous sommes obligés
de prendre des initiatives. Le petit bleu a très peur, il est là depuis
seulement 4 jours et comme début, il est gâté. Il tremble comme une feuille et
me demande où je vais l’emmener. Je lui montre les sacs, lui dit de les
remplir, on verra la suite. Le bombardement est toujours intense, plus d'une fois
nous devons abandonner notre tâche pour nous abriter. Enfin nos sacs sont
plein, je dis au petit de m'attendre car je dois repérer le lieu ou porter nos
sacs.
Comme des bruits sourds se font
entendre tout près, je m'y rends. Ce sont des sapeurs du génie qui font des
boyaux sous les fondations, pour relier les maisons entre elles. Je m'enquiers
auprès d'eux de l'endroit ou déposer nos sacs (ici une observation, on envoie 2
hommes faire un barrage urgent, sans directives, ni gradés pour vous accompagner).
Le sapeur auquel je m’adresse,
tout d’abord, ne me réponds pas. Devant mon insistance il finit par me désigner
un carrefour ou aboutit la rue en question. Il ajoute que pour placer mes sacs,
il me faudra ramper sur une dizaine de mètres, car les boches occupent les
fenêtres surplombant la rue. Comme conclusion il m'avoue que tous ceux qui ont
essayé ne sont pas revenus. Ensuite tranquillement il se remet à piocher.
Je m'en retourne muni de ces
précieux et encourageants renseignements.
Anxieux entre le devoir à
accomplir et l'effroyable danger qui nous guette …..
Il nous faut choisir …. ( il nous étais facile de
rentrer sans avoir accompli notre mission, car personne ne serait venu vérifier
si nos sacs étaient en place).
Mais ma raison me dicte mon
devoir d'autant plus qu'il est volontaire. Je vais voir mon petit bleu ….que je
ne retrouve plus ….J’appelle, enfin il revient, courbé, tremblant et me dit
qu'il a failli être tué. Nous prenons chacun un sac sur nos épaules et nous
dirigeons vers le carrefour.
Après plusieurs voyages nos
sacs sont à pieds d’œuvre. Mais il faut les placer.!
Paul VIRIOT
du 37e régiment d’infanterie place ses sacs dans Neuville-Saint-Vaast…
Le
clair de lune est magnifique,
retenant notre respiration, nous entendons les boches jargonner tout près. Je
risque un regard sur la ruelle, et aussitôt une sueur froide perle à mon front.
Six hommes sont étendus morts, leurs sacs devant eux. Nous ne sommes pas les
premiers !
Un frisson bien naturel nous
agite et restons cloués sur place, sans savoir quelle attitude adoptée … Le
petit bleu à voix basse me supplie de ne pas tenter l'aventure et se remet à
pleurer …. Que faire ? La fuite ? Elle est facile … Mais le devoir ?
Cruel dilemme qui nous place
entre l'ordre à obéir et la mort !
C'en est fait ! Ma décision est
prise. Résigné je me couche, un sac devant moi pour me protéger des balles qui
risquent de pleuvoir … Il est entendu que le petit m'avancera les sacs à
mi-parcours et je les placerai.
A
ce moment la providence veille,
un nuage opaque vient masquer le clair de lune. S’ils n'y avaient pas ces
maudites fusées, la nuit serait presque complète. J'avance lentement retenant
ma respiration, la sueur me coule le long du dos. Mon cœur bat tellement fort
que j'ai peur qu'il ne me trahisse aux allemands tout proche
Je parviens aux premiers
cadavres et fait le mort parmi eux. J'arrive enfin au barrage qui n'existe qu'a
l'état d'embryon et place mon sac (7ou 8 sont déjà en place) Les boches
continuent à causer et vue l'heure avancée, la surveillance s'est un peu
relâchée.
Lentement je recule 0m50 la
minute, je retrouve mon petit et vais placer le deuxième sac. Six sont ainsi
placé en presque 2 h, j'ai totalement perdu la notion de temps et suis éreinté,
fourbu, brisé..... Il m'en reste 4 mais je me demande
si je pourrai aller au bout tant je suis exténué …
A ce moment le nuage protecteur
s'efface et fait place à un merveilleux clair de lune. Je reviens au coin de la
rue pour reprendre mon souffle.
Après
un quart d'heure de repos,
j'annonce au bleu qu'il reste 4 sacs à porter et qu'il est urgent de finir la
besogne si on ne veut pas finir la nuit dans ce coin sinistre. Je recommence à
ramper, mais sois je fais trop de bruit, soit les boches m'ont repéré. Je suis
éventé et les balles commencent à siffler clac clac
…. En une seconde je lâche mon sac et tel un ressort je fais demi-tour.
Heureusement que je n'étais pas trop avancé ou j'y laissai ma peau. J'aurais
fini avec ces malheureux tués pour quelques sacs de terre.
Croyant à une attaque de notre
part, un mouvement se fait entendre dans la ruelle. Les boches sortent et se
dirigent vers le carrefour. En trois sauts nous traversons la route et nous
jetons dans un trou d'obus dans le verger en face. De notre trou nous les
voyons s'avancer prudemment au coin de la rue, ils sont cinq. Ils montrent juste
le bout du nez pour voir ce qu'il en est. Ne voyant rien d’insolite, ils font
demi-tour, contents de s'en tirer à bon compte. J'aurai eu mon fusil à ce
moment, quel beau carton j'aurai fait à cette courte distance. Mais j'ai laissé
mon Lebel dans la cave pour ne pas m’encombrer.
Après
cette chaude alerte plus
question de continuer, les boches sont sur leurs gardes. Il nous faut rentrer
avec la satisfaction d'avoir placé 6 sacs et d'être rentré vivant. Pour
repartir, nous suivons un boyau à moitié comblé par les torpilles, il est
interminable et nous ramènes à notre point de départ.
Nous sommes perdus.
Heureusement des fusées
françaises sont tirées non loin de là et nous nous dirigeons vers elles. Des
camarades de la 2éme compagnie nous signalent que nous nous dirigeons droit sur
les boches. Après examen de la situation nous décidons de refaire le chemin
inverse. La rue que nous avons pris avec nos sacs est-elle sure ?
Sautant d'un trou à l'autre
nous l’abordons, rien de suspect, nous dévalons alors en quatrième vitesse
Le
jour commence à poindre
lorsque nous regagnons notre cave. Le sergent nous croyait mort et l'agent de
liaison revenu chercher d'autres volontaires. On lui avait signalé que ses deux
soldats étaient portés disparus.
Si après ses événements
mémorables, nous avions eus un bon lit, une soupe chaude, des vêtements propres
et un calme relatif. Nous aurions recommencé tous les jours !
Mais hélas, comme lit :
une cave obscure sentant le cadavre et la poudre. Comme soupe : poussière
et fumée et comme calme : un bombardement continue.
Cependant il était écrit que
cette journée ne serait pas comme les autres. Une torpille mieux ajustée, et
notre maison s'écroulerait et nous enterrerais vivants.
La journée la plus terrible au
fond de notre cave, continuellement les obus nous arrivent dessus. Chaque
explosion voit notre hantise d’être enterrés vivants, nous sommes dans le noir
complet, toute lumière est aussitôt soufflée.
Un obus tombe près de la
lucarne, son souffle nous renverse tous. Les petits bleus sont paniqués et
veulent sortir, nous avons toutes les peines du monde à les retenir.
Soudain
vers 16 h, notre boite
s'écroule comme un château de carte. En entendant cet écroulement, je pense,
cette fois mon compte est bon …
Mais la cave est solide, elle a
bien résisté, mais nous sommes emmurés et prisonnier des décombres...Une seule
chose à faire déblayer et vite …L'escalier est rempli de matériaux divers,
poutres, pierres et objets divers.
Nous sommes hagards, la
respiration difficile, rapport à la poussière et au manque d'air.
Après
2 h d'effort, le jour
apparaît enfin, l'étendue des dégâts aussi...Plus de maison …Un tas de
décombres fumant et la certitude que nous l'avions encore une fois échappé
belle …
Voici 15 jours que nous sommes
partis, avons mangé 5 ou 6 fois, picorant de droite et de gauche. Nous sommes
méconnaissable, dégoûtants, couverts de poudre, sueurs, poussière, boue,
plâtre, bref à faire peur …De plus j'ai un frayon
terrible. (*)
A
16 h, je pars avec le
sergent Gray, il nous faut
souvent nous abriter en route. Maroeuil, nous voit
arriver esquintés, hâves, fourbus et hébétés après ces quinze jours d'agonie.
Je suis évacué et bien content de fuir ces lieux maudits. Je vais enfin pouvoir
me reposer et changer de linge (**).
Pendant 5 jours je me repose à Hermaville et je soigne mon frayon.
Le canon tonne toujours à Neuville, bientôt je demande à partir pour rejoindre
mes camarades en repos à Tilloy.
(*) : Extrémité des entrailles (chez les bêtes d'abattoir).
Comme ce mot désigne aussi une irritation/inflammation de
l’intérieur des cuisses, du fessier et/ou de certaines zones sensibles,
notamment chez les cavaliers, je pense que pour lui, il doit plutôt s’agir de
cela.
(**) : Du 27 mai au 4 juin, le régiment est au repos à Tilloy. Le JMO fait le décompte des pertes du 9 au 27 mai
1915 : 29 officiers et 1049 hommes tués, blessés et disparus.
Revue d'armes, lavage des effets
personnels, marche militaire et grand nettoyage. Nous voyons passer 150
prisonniers boches, le lendemain 400, puis encore 2 détachements le 3 juin.
Le matin, touchons 250 cartouches, départ
pour les tranchées à 18 h. Le temps est orageux et sommes chargés comme des
mulets, la sueur nous inonde.
Bombardement intense par de
grosses pièces d'artillerie, des éclats énormes volent au-dessus de nos têtes.
Un sergent de la territoriale est tué à côté de nous.
Vers 18 h, faisons des boyaux
près de la Targette, les nombreux shrapnels qui balaient la route nous obligent
à rester tapis au fond du boyau.
Rentrons à 3h du matin
Chaleur épouvantable, on cuit dans nos
trous. Rentrons à 3h pour manger froid, fayots, viande et jus. C'est dégoûtant,
un repas par 24h, à ce rythme on finira par engraisser
Bombardement épouvantable, impossible de
fermer l’œil, la chaleur toujours étouffante, le soir travaillons prés de
Neuville. Deux obus éclatent a moins de 2 mètres, des 88 autrichiens, sommes
couverts de terre et de matières phosphorescentes. Rentrons à une heure du
matin, mon caporal Voisin est
blessé en rentrant de corvée d'eau.
Toute la nuit vacarme infernal, la terre
est en feu, la journée sera pareille, un incendie gigantesque s'est développé.
Comme si cela ne suffisait pas, un orage éclate, très violent qui ajoute encore
à la confusion. Par contre la pluie nous fait du bien, de plus elle nous
procure une eau abondante que nous buvons avidement.
Toujours le canon.
Ce matin visite pour mon frayon, le major me rassure et me dit que tout va bien. Verrier mon grand copain est évacué,
c'est un rescapé du 9 mai et il me laisse bien seul.
Toute la journée canonnade sans
interruption.
Le soir au travail, les balles
sont si nombreuses qu'on est sans arrêt obligé de se coucher dans le boyau. Le drame
est qu’après cet orage, la terre est gorgée d'eau, nous rentrons à 2h du matin
couvert de boue des pieds à la tête
Toute la nuit et la journée, ce
canon qui n’arrête pas. Cela ne finira donc jamais, sommes-nous condamnés aux
obus à perpétuité ?
Ce matin en revenant des
cabinets, une marmite éclate à proximité de la route. J'entends siffler les
éclats, je me baisse, il était temps, un morceau d'un kilo s’écrase sur un
madrier à ma gauche. Ses débris me rasent la tête, mais un morceau vient me frapper
violemment le bout du pied.
Je me crois blessé, car le choc est brutal et j'ai beaucoup
de peine à marcher. Finalement ce ne sera qu'une grosse ecchymose sur les
doigts de pied. La chaleur a nettement baissée, une petite pluie fine nous
rafraîchit, le soir serons au repos
Temps toujours couvert,
l'artillerie continue son martelage.
Vers 4h quittons notre
emplacement pour occuper prés de Neuville, une tranchée en vue de la prochaine
attaque. A peine arrivé un shrapnel blessé Gentil
juste devant moi.
Nous travaillons dans le boyau
toute la nuit. Impossible de faire des abris dans la tranchée, car la terre est
trop meuble. La 7éme compagnie a eu un lieutenant et 8 hommes ensevelis la
veille. On dort donc assis en plein air, d'autres restent carrément debout.
Toujours ces obus qui sifflent
sans interruption au-dessus de notre tranchée.
Dans
l’après-midi, 4 ou 5
explosent dans le chemin qui nous sert de tranchée. Heureusement que nous
sommes bien aplatis contre le talus. Le soir ravitaillement à Maroeuil, les canons boches ne cessent de tirer sur Écurie
et nos boyaux. Le passage est très délicat pour gagner nos emplacements
En revenant j'apprends que 3
nancéiens viennent d’être tués. Ce sont le caporal LagRANGE, Vaisse
et Mazoyer, Louis et Charles sont
blessés. C'est affreux car j'aurais dus être à leur place. (*)
En effet dans ce Chemin Creux,
impossible de creuser un abri, la terre est trop friable et s'effondre
lorsqu’explose un obus. Passer une journée comme ça n'est pas des plus
avantageux mais il faut s'y soumettre.
Vers
10h du soir, au moment où
la compagnie va partir en travaux, on appelle les hommes pour la corvée de
soupe. D'habitude il y a de nombreux volontaires, c'est l'occasion de quitter
la tranchée et la perspective d'une ration supplémentaire qui les incitent à se
présenter. Cette fois ci, personne ! Probablement par ce que nos batteries
préparent l'attaque et que les boches répondent furieusement.
Le fourrier s'impatiente de ne
pas trouver ses volontaires habituels. Je ne sais pourquoi, un pressentiment
peut être, me pousse à faire cette corvée. Le fourrier en est tout étonné car
c'est ma première fois. Nous partons et non sans mal nous parvenons aux
cuisines. Le retour est aussi difficile vu le bombardement, ce n'est qu'à 2h du
matin que nous regagnons notre Chemin Creux au moment où la compagnie rentre de
ses travaux.
Ma section rentre la première.
Les premiers camarades qui m’aperçoivent, me disent que j'ai eu un sacré nez de
partir en corvée, sans quoi j'étais faisandé …
Comme zonard je suivais
toujours le caporal, prêt à le remplacer en cas de malheur. Ce jour-là, le seul
depuis huit jours où j'étais absent. Un obus de gros calibre explose sur la
section. Vaisse qui avait pris ma
place est tué, ainsi que 5 camarades, joli tableau et pour moi un petit miracle
de plus …L'intuition d'un malheur m'avait décidé à faire cette corvée de soupe
….
Et ce bizarre pressentiment,
une fois de plus m'avait sauvé la vie !!!
(*) :
Pierre François LAGRANGE, 23 ans, mort
pour la France le 13 juin 1915 à Neuville-Saint-Vaast (62). Voir
sa fiche.
Lucien Émile VAISSE, 27 ans, mort pour
la France le 13 juin 1915 à Neuville-Saint-Vaast (62). Voir
sa fiche.
Julien MAZOYET, 18 ans, mort pour la
France le 13 juin 1915 à Neuville-Saint-Vaast (62). Voir
sa fiche.
Matinée relativement calme,
mais l’après-midi les tirs recommencent. Ils arrivent en plein sur notre talus,
Belleville est blessé à la tête,
2 hommes de la 4ème section sont tués.
Vers
4h, je vois Camu mon ami, il me dit qu'ayant
entendu parler que 2 vaguemestres étaient recherchés, il avait proposé mon nom
pour le poste.
Une hâte fébrile règne sur le bataillon,
nous attaquons demain matin, ma compagnie en tête. Nous recevons une ample
distribution de grenades, cartouches et fusées. Nous rangeons le tout, à 20h
nous allons prendre place dans les loges qui nous sont réservées en premières
lignes à l'ouest du village.
Mon sac est monté, ma musette
garnie et les cartouchières pleines. Je songe avec inquiétude à ce nouveau
combat qui va se dérouler demain ….Avachi par tant de privations et d’émotions
éprouvées depuis un mois. Je suis assis la tête entre les jambes, immobile et
perdu dans mes pensées ….Tel un condamné à mort qui vient d'apprendre que sa
sentence sera exécuté le lendemain...
Quelles est terrible cette
appréhension ! Toute une nuit à ruminer ….Le criminel, lui n'est prévenu qu'une
heure avant !!
Mais qu'avons-nous fait pour
mériter une chose pareille !!
Quelles fautes devons-nous
expier en ce bas monde !
Pauvres petits rien, perdus au
milieu de si grandes choses qui déferlent sur nous de tout côté. Nous sommes
broyés, cisaillés, pantelants et sanguinolents au milieu de la mitraille.
Abandonné à nous même, sans secours ni consolation …
Comme prière les bruits de la
bataille qui vous chantent un Miséréré d'occasion !!
Une tape sur l'épaule me ramène
aux réalités. Camu l'ordonnance
du colonel que j'ai connu à mes débuts de conducteur me signale que l'adjudant
vaguemestre cherche 2 hommes supplémentaires pour le service en ligne. Il m'a
désigné au capitaine adjudant-major comme capable d'assumer le poste. Je suis
ahuri d'une telle proposition, voire perplexe. Il est impossible qu'on relève 2
hommes juste avant une attaque importante....demain …
peut-être...Je le remercie chaleureusement de ce geste à mon égard et lui dit
au revoir. Les heures passent, pesantes, angoissantes …huit heures moins dix
…toujours pas de nouvelles.
L'officier
arrive, s'assure que tout
le monde a son barda au complet et commande sac au dos pour le départ. Je suis
en train de boucler mon sac, désespérant a jamais de l'aubaine entrevue. Les
premiers hommes s'ébranlent, lorsque le fourrier de la compagnie arrive comme
un fou et demande des renseignements un peu plus loin. Soudain il se rapproche,
m'appelle et m'ordonne de partir vers Maroeuil à la
disposition de l'adjudant vaguemestre. Rivé sur place à cette annonce, je ne
peux articuler un mot pour le remercier … Mes camarades me serrent les mains et
me traitent de veinard …Voisin,
mon caporal a les larmes aux yeux ….
Je me sens coupable et lâche
vis à vis d'eux ….
Vite
je m'échappe, car un
contre ordre est si vite arrivé …
J'enjambe le boyau et cours
comme un fou sans penser au danger qui m'entoure. Je traverse les batteries
sans m’arrêter et coupe tout droit en direction de Maroeuil.
J'y arrive en nage à 23 h et cours voir mes cuistots. Tout est endormi chez nos
marmitons, avisant un cul de four je m'y engage. La fatigue et la joie font que
je m'endors aussitôt.
De bonne heure, suis réveillé
par un va et vient continue. Oh stupeur je suis entouré par plus de 150 rats,
reculant pour sortir, ces bêtes infâmes me passent sur le corps ….
J'aurais pu être dévoré dans
mon sommeil, échappé aux boches et finir bouffé par les rats, drôle de
destinée. Les cuisiniers rient à gorge déployée, ils m'expliquent qu'ils
jettent là leur détritus, ce qui attirent tous les rats du coin …
A
midi je suis avec les
vaguemestres, au retour de l'un d'eux en soirée, j'apprends que ma compagnie
est anéantie …. Lieutenants, sergents, caporaux, soldats ….Tous morts ….
Les boches les attendaient
derrière leurs barbelés intacts, ils les ont laissés s'approcher, puis
mitraillés à bout portant ….Une hécatombe... (*)
Ceux qui se jetaient dans les
trous d'obus étaient assaillis de grenades ….Un vrai massacre …
D'ailleurs Baraban de Bouxières-aux-Chênes
qui est conducteur a écrit chez lui, disant que j'étais mort. Je pense
honnêtement avoir eu une sacré veine, malheureusement mes camarades n'ont pas
eus cette chance. Je n'ai jamais revu, ayant fait presque 3 ans au 37éme de
survivants de cette funeste journée.
Un seul rescapé, la main droite
coupée par une balle dès le début de l'attaque en est revenu. Il s'est jeté
dans un trou, y est resté pendant 12 h sans bouger et m'a certifié que pas un
n'en était sorti vivant.
(*) : Confirmé par le JMO mais l’attaque a eu lieu le 16 juin et
non le 14 (selon MdH, seulement 2 tués au 37e RI le 14 juin mais 247 le 16
juin). Son caporal VOISIN semble avoir échappé au massacre.
Je vais voir le vaguemestre et pars en
voiture à Hautes-Avesnes ou je dors comme un loir. Les derniers évènements me reviennent
sans cesse et je n'en reviens toujours pas de ma chance.
J'entre en fonction pour le tri du
courrier. Vers Neuville, le canon fait rage, ce sont les nôtres qui attaquent.
Le régiment revient au repos.
À mon ancienne compagnie, plus
personnes. Je reste seul rescapé des combats du 9 mai, c'est horrible. J'ai un
sentiment de culpabilité vis à vis de mes camarades disparus, je n’arrête pas
d'y penser …
Le régiment réoccupe les
tranchées de Neuville. Je porte le courrier au médecin-major, puis
au lieutenant Clement des
transmissions et de la musique. Ils se trouvent à la côte 84 entre Maroeuil et Neuville.
De là, je continue au colonel Michel qui est stationné dans le Chemin
Creux. Le trajet est dangereux car constamment arrosé par l'artillerie. Il faut
vraiment être à la coule du métier pour franchir les passages dangereux.
Surtout en quittant la côte 84 pour passer derrière les batteries de 75 qui
sont constamment prises pour cible. Plusieurs fois je dois courir pour passer
entre les gouttes des rafales de 210 et de 305
Suis particulièrement sonné à
l'aller comme au retour, reviens quand même sans bobo
Aujourd'hui je ne peux utiliser
le boyau de la veille, tant il est zingué. Je reviens donc par le profond val,
mais pas de chance il est arrosé aussi. Plusieurs obus éclatent à 20 mètres, en
arrivant à la côte 84, d'énormes marmites y tombent. Je me demande comment
passer, je baisse la tête et fonce.
En arrivant au bout du boyau,
je tombe sur un étrange spectacle. Un 210 vient d'arriver en plein sur l'abri
de deux territoriaux qui jouaient aux cartes. Le premier est pulvérisé, le
second pas une égratignure …
J'arrive juste pour voir
ramasser les morceaux, il est décapité net, une jambe sectionnée et un bras
arraché. Son copain est hébété et très choqué. Je continue ma route et retourne
à Maroeuil sous les obus.
Temps abominable, les boyaux sont gorgés
d'eau. Pour porter le courrier au colonel, j'ai de l'eau jusqu'aux genoux, la
progression est pénible. Le poste duc est sévèrement arrosé et je suis obligé
de m'abriter dans un poste téléphonique. En revenant il me faut prendre le pas
de gymnastique. Entre l'aller et le retour de nombreux trous d'obus
supplémentaires, preuve que les obus n’arrêtent pas. Encore une fois je passe
sans encombre.
Encore plus difficile que les
autres jours, n'arrive chez le Colonel qu'à 18 h. J'ai dû faire de nombreuses
pauses dans différents abris.
Le lendemain, journée plus
calme, on s'abrite et on attend que ça passe. Heureusement le régiment part au
repos en autobus à Ivergny.
Voici plusieurs jours que je ne
me sens pas bien, mes jambes sont enflées et le moindre effort me fatigue. Je
vais à la visite, le major diagnostique de l'albumine et m'évacue à l'ambulance.
Arrivée vers 10h, je reçois un
quart de lait et c'est tout. Le soir pareil, je meurs de faim. Le major vient
confirmer la présence d'albumine dans mes urines, les autres malades envient
mon sort.
Je vais être évacué, à midi, un
demi litre de lait, et départ en auto pour Doullens, distant
de 7km.
A l’hôpital d’évacuation, de
nouvelles analyses confirment la présence d'albumine. Le soir nous sommes une
cinquantaine à visiter le musée puis nous passons la nuit dans les caves.
Embarquons a la gare et
quittons le front, sommes très heureux et soulagés. Avons une pensée pour tous
les camarades restés en ligne. En gare de Frévent, nous complétons le train
sanitaire chargés de blessés et de malades
On ne pouvait rêver meilleure
date pour arriver à Paris. Des dames charitables nous offrent toutes sortes de
friandises. Le contraste avec le front est saisissant ….
Après un an de campagne, on est
comme hébété de revoir la vie civile. La vraie vie d'avant-guerre, comme si
rien ne s'était passé. Les gens sortent, rient, vont au restaurant.
Un autre monde quoi !!
Puis nous passons par Orléans,
Tours, Anger, Blois, Nantes et Fontenay-le-Vicomte en Vendée où nous arrivons
le 15 à 3 h de l’après-midi.
Nouvelle analyse, la fatigue du
voyage a aggravé mon état, il faut me porter au lit. Je passe 2 mois au régime
avec du lait tous les jours.
Le
20 septembre, on m'envoie
à Nantes pour 4 mois avant de me réformer temporairement. Je rentre au pays le
15 janvier 1916 après 17 mois et demi d'absence.
La guerre devait me reprendre
ensuite.
le
8 août 1916, je me
retrouvais à Maurepas dans la Somme. J'aurais aimé vous décrire cette bataille,
mais dans l'action, j'ai perdu mon carnet de route. En résumé, partant à
l'attaque, un obus éclate devant moi et me fiche un coup si violent que je
crois en être perforé. Le choc est si violent que l'éclat brise ma boite de
masque à gaz ; arrache ma cartouchière, sectionne des balles de cuivre,
traverse ma capote, ma veste et réduit en poussière une petite glace de poche
pour s’arrêter enfin dans la doublure de ma tunique...Un petit peu plus à
droite de 2 cm, je ne serai plus là à vous raconter
Toujours cette providence qui
veille sur ma vie. Elle devait me sauver une dernière fois dans ma bonne
Lorraine à quelques kilomètres de chez moi.
Qui ne se rappelle en Lorraine,
les bombardements par avions et grosses pièces d'artillerie à longues portées.
Pompey peut se classer sans crainte parmi les villes martyres, et Dieu seul
sait ce qui est tombé dans les 2 mois que nous y avons passé. Par une froide
matinée de janvier vers les 8h, un sifflement aigu, suivi d'une explosion se
fait entendre en direction des ponts. Ce premier obus sera suivi de 101 autres
coups tirés ce jour-là sur Pompey.
Tout d'abord cela ne m'inquiète
pas, je ne dois franchir le pont qu'a dix heures, la sérénade sera sûrement
finie. A dix heures moins le quart, j'attelle, mais les obus tombent toujours.
L'adjudant me dit de patienter afin de ne pas m'exposer inutilement.
Dix heures sonnent et le
bombardement continue toujours, je m'énerve car ma tournée est longue. Je dois
aller à Jeandelaincourt, d'habitude je ne rentre qu'à
22h, si je pars trop tard à quelle heure vais-je rentrer ?
Coûte que coûte je décide de
partir quand même, je passerai entre 2 rafales...J'annonce ma décision a
L'adjudant et lui demande un sous-officier pour m'accompagner à la sortie de
Pompey en cas de malheur.
Allons ! En route...d'un
vigoureux coup de fouet, je lance mon cheval vers le pont de chemin de fer.
Pour cacher ma peur, je plaisante avec le sous-off, le bruit de ma voiture
étouffe les bruits suspects. Encore trente mètres et nous sommes sauvés.
Soudain une explosion
formidable nous renverse brutalement dans le fond de la voiture !
J'ai très mal la tête, ayant
reçu un choc près de l’oreille. Mon plus grand souci est de me dépêtrer de tous
les arceaux et de la bâche qui pendent lamentablement. Ensuite maîtriser et
calmer mon cheval qui rue, cherche à se dételer et s’emballe. Ces détails
régler nous ne nous éternisons pas car le coin est vraiment malsain. Nous
filons le long de l’usine, des trous récents signalent que la route est
dangereuse. Encore cent mètres de trot, et nous voici sur la route de Custines, où nous faisons halte pour constater les dégâts.
La tension est retombée, nous nous regardons en chien de faïence sans pouvoir
articuler un mot.
Le sergent n'a rien car l'obus
est tombé à ma droite, le souffle m'a renversé sur lui et il en est quitte pour
une bonne culbute...Pour moi, ma chance est que ayant pris la précaution de
m'envelopper dans des couvertures, cela m'a protégé. Quant à la voiture, elle
est dans un état misérable, avec des saules et de la ficelle, nous la
rafistolons du mieux possible. Quatre éclats l'ont traversé de part en part,
dont un pratiquement à la hauteur de ma tête.
La vie tient quand même à peu
de choses.
Position
exacte où est tombé l’obus à Pompey. (Paul VIRIOT du 37e régiment d’infanterie)
Photo
aérienne de cet endroit 3ans ½ après (01/11/1920)
« J'aurais
aimé donné plus de détails sur les premiers événements de ce début de guerre.
J'ai
respecté scrupuleusement mes notes prises au jour le jour. Dès mon arrivée à
l’hôpital j'ai recopié dans ce petit livre mes trois carnets de route. Ce petit
bouquin obtenu dans des circonstances tragiques, avec comme préface une belle
page de gloire, méritait d’être complété, pourquoi
pas un jour publié. J'aurais eu l'impression de trahir son glorieux
propriétaire si j'avais développé ailleurs ces journées de souffrance.
Ces
pages sont succinctes, manquent de style, mais elles sont sincères et
vécues. »
Je désire
contacter le propriétaire du carnet de Paul VIRIOT
Michel votre mail ne fonctionne
plus ! Contactez-moi. Merci
Voir
des photos du 37ème régiment d’infanterie
Suivre sur Twitter la publication en instantané de photos de
soldats 14/18
Vers d’autres
témoignages de guerre 14/18