Carnets de guerre, souvenirs de Paul Marie VIRIOT

Soldat au 37e régiment d’infanterie

août 1914 – juillet 1915

 

 

Réception du carnet : 2008

Publication : décembre 2023

Mise à jour : février 2024

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En février 2006, Michel  V. (sous le pseudonyme « Mirabelle ») m’a envoyé de larges extraits du carnet de guerre de son arrière-grand-oncle Paul VIRIOT concernant des combats en Artois. Il m’a ensuite, après quelques échanges de mails (je les possède toujours), envoyé la totalité des écrits de ce soldat. Mais depuis mi-2006, son ancien mail ne fonctionne plus, j’ai donc décidé de publier ce carnet.

Michel, si vous lisez ses lignes, contactez-moi ; j’ai des questions à vous poser. Merci.

Michel cherchait à l’époque des descendants du fameux adjudant Numa Martin VINCENT du 224éme d'infanterie.

 

Paul VIRIOT écrit ceci :

‘’ (..) J'ai respecté scrupuleusement mes notes prises au jour le jour. Dès mon arrivée à l’hôpital j'ai recopié dans ce petit livre mes trois carnets de route. Ce petit bouquin obtenu dans des circonstances tragiques, avec comme préface une belle page de gloire, méritait d’être complété, pourquoi pas un jour publié. J'aurais eu l'impression de trahir son glorieux propriétaire si j'avais développé ailleurs ces journées de souffrance.

Ces pages sont succinctes, manquent de style, mais elles sont sincères et vécues. »

 

 

 

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Début du carnet

31 juillet 1914

L'heure a sonnée je suis mobilisé ce jour a onze heure du soir. Adieu touchant à la famille et aux amis. Partons à pieds avec d'autres camarades pour Nancy.

1er août

2h du matin rencontrons sur la route de nombreux mobilisés. L'ambiance est joyeuse, tout le monde chante à tue-tête. Arrivons à la caserne vers trois heures du matin. Sommes habillés et équipés aussitôt.

Des détachements de réservistes doivent nous rejoindre plus tard. Suis affecté à la voiture de la compagnie (*), j'essaie mes chevaux aussitôt.

Une grande animation règne à la caserne, on s'attend à une déclaration de guerre imminente.

 

(*) : La voiture de compagnie fait partie du train régimentaire.

2 août

10 heures, toutes les voitures quittent la caserne en direction de la frontière. Maxeville, Bouxières-aux-Dames puis Custines.

Partout des réservistes embrassent femmes et enfants, tableau pénible et émouvant à la fois.

En gare de Champigneulles une commission reçoit le bétail qui pâture dans les prés environnant Custines. Montons la grande côte de Morey par une chaleur torride, arrivé à 17 heures.

A la nuit les habitants nous montrent les forts de Metz qui se font des signaux. La gare est brillamment illuminée. Ma compagnie occupe les tranchées toute la nuit.

A minuit alerte, attelons et partons dans les bois à 500 mètres des lignes ennemies.

3 août

Rentré au cantonnement au petit matin, la maison d'école est transformée en ambulance. Des patrouilles de hussards reviennent de la ligne de front. Ils nous font parts que de nombreux détachements de uhlans sont présents sur les crêtes voisines. Ils sont entrés à Nomeny et ont lancés sur Champenoux, Remereville et la forêt Saint-Paul de nombreux raids de cavalerie

4 août

Partons sur Morey et allons dans les bois de Faulx, il pleut des cordes.

Nous apprenons par un agent de liaison qu'un engagement s'est produit hier à Remereville. Une patrouille de dragons français a engagé une patrouille d’Uhlans boches.

Bilan 2 uhlans tués et deux dragons blessés légèrement.

5 août

Toujours dans le bois de Faulx, sommes restés 36 h sans boire ni manger, nos chevaux sont dans le même cas.

Vers 17h descendons ravitailler, il est grand temps. Bêtes et gens meurent de soif et sont affamés. Nous apprenons la déclaration de guerre ce soir

6 août

Partons à Eulmont, j'ai la chance de loger chez Hureaux cultivateur. Ses quatre fils sont mobilisés, il me traite comme un prince.

 

(*) : Il s’agit de Jean Joseph « Léon » HURAUX, propriétaire terrien, seul de ce nom habitant Eulmont au recensement de 1911 (5 rue du Thème), qui a eu une fille et effectivement 4 fils dont 2 habitaient encore avec lui. Un seul survivra à la guerre. L’un d’eux, brigadier au 12e Dragons, sera tué quelques jours plus tard (le 20 août) à Bellange, les autres décèderont en janvier 1915 (typhoïde) et mars 1916 (hôpital de Verdun sur blessure). Plus d’info ici.

7 et 8 août

Toujours à Eulmont, le soir du 8, des voitures venant de Nomeny ramènent un équipement complet d’Uhlan boche. Nombreux sont les visiteurs venant l'admirer.

9 août

Départ 4 h du matin pour Faulx, Bratte, Sivry. En cours de route tirons sur deux aéroplanes boches qui surveillent nos mouvements.

L'arrivée à Sivry vers 14 h se fait sous une chaleur torride, notre barda se fait de plus en plus lourd

10 et 11 août

A Sivry, je me rends chez Marcelle et prends un verre avec le pauvre Raison (*). Elle me donne du chocolat et des pommes.

Arrivée d'un chevau-léger dans le bureau du colonel De Lobbit (*), j'assiste à l'interrogatoire à travers la porte. Des hussards rapportent des lances de boches, grand intérêt général.

 

(*) : Il s’agit du sergent Charles Lucien RAISON, natif aussi du même village que Paul, qui est mort pour la France le 25 septembre 1914 à Chignolles (Somme). Avec l’adjectif « pauvre », on comprend de suite que ce récit a été écrit à posteriori. Voir sa fiche.

(**) : Le colonel DE LOBBIT est le commandant du 37e régiment d’infanterie. Le chevau-léger allemand se nomme MULBAÜER et est blessé (JMO).

Pour info, les chevau-légers (cavalerie légère) ont été dissous en Allemagne au XIXe siècle et remplacés par les Uhlans, sauf en Bavière. Il était donc bien Bavarois, du 7e régiment comme l’indique le JMO (le 7e régiment de chevau-légers royal bavarois « Prince Alphonse » appartenait à la 5e Division d’infanterie bavaroise, 3e Corps d’Armée, 6e Armée « Kronprinz Rupprecht de Bavière »).

12 août

Départ vers Bratte, Faulx, Lay-Saint-Christophe, nous croisons le 4éme corps.

Passons par Agincourt et Seichamps ou nous arrivons exténués. Je couche chez…

13 août

5 h du matin départ pour Cercueil (*) ou nous dînons chez Ferry avec Louis Gellenoncourt d' Hoeville. (**)

 

(*) : S’appelle maintenant Cerville.

(**) : Une seule famille Ferry apparait au recencement 1911 de Cercueil (19 rue de Velaine) avec 3 fils (qui ont tous survécus à la guerre) : Jules, classe 1897, au 41e RIT alors sur Gondreville/Sexey, Théophile classe 1900 au 20e ETEM arrivé dans la région à cette date (JMO) et Henri, classe 1910 mais sa FM, reconstituée, ne donne aucune affectation. Il pourrait peut-être s’agir de Théophile.

(***) : Le seul portant ces nom/prénom et mobilisé en Meurthe-et-Moselle des classes 1900 à 1914 (ceux d’avant 1900 étaient dans la territoriale) est Louis jean Antoine GELLENONCOURT classe 1903 (comme Paul Viriot), mais était né et résidait à Lenoncourt. Sa FM (page97/518) ne mentionnant aucune affectation, il n’est pas possible de confirmer que c’est lui.

Par ailleurs, les recensements de 1886 à 1911 d’Hoeville n’identifient aucun habitant du nom de Gellenoncourt. Cependant, celui de 1872 identifie un Joseph Gellenoncourt ayant 20 ans. Peut-être un lointain parent … (je n’ai pas trouvé de lien en comparant les différents arbres disponibles de Généanet).

14 août

Alerte à 3h du matin, en route pour Remereville, 1er combat.

Entendons le canon vers Arracourt, les premiers blessés arrivent en voitures. Nous découvrons les premières horreurs de la guerre.

15 août

En route pour Hoeville, Serres, du haut de la côte assistons au combat. Les deux artilleries se prennent violemment à partie, des combats se déroulent à Arracourt. Continuons sur Athienville et Arracourt ou nous arrivons de nuit sous un déluge. Nous couchons sous nos voitures garées dans un bois de sapin.

16 août

Partons pour la Lorraine allemande, nous sommes très heureux.

A Rechicourt le moulin est détruit. Voyons les premiers morts et blessés, beaucoup de chevaux d'artillerie gisent morts, nous faisons une halte à Bezange-la-Petite. Joli coup d’œil sur nos troupes qui avancent vers Morhange.

Aperçois le premier tué boche dans un champ de pommes de terre. Nous cantonnons à Lezey.

17 août

De Lezey progressons jusque Ley. Tous nos soldats récupèrent des trucs boches abandonnés dans leur retraite. Nous sommes à leur poursuite et l’allégresse est générale

18 août

Retournons à Lezey, Moyenvic et la ferme de Salival. Le drapeau tricolore est présent partout l'émotion nous prend aux tripes.

Arrivons à 10 h du soir dans cette ferme immense et la quittons vers minuit.

19 août

Moyenvic, Morville, Hampont et Chateau-Voué à 10h du soir. Il se passe une terrible bataille.

Nous sommes près de la côte bombardée et voyons le feu ennemi, il est impressionnant

20 août

Retraite...... (*)

Il a du se passer de terribles choses ….

Nous repartons sur Vic et Moyenvic ou nous arrivons à 17h. Les routes sont engorgées par des tas de troupes et véhicules de toutes sortes. Le moral est en berne ….

 

(*) : Donc, il n’a pas participé au combat de son régiment du secteur de Morhange-Metzing-Pévange où les pertes sont d’environ 800 hommes durant 3 jours (hist. Du 37e RI). C’est logique car le train régimentaire était toujours stationné en arrière des troupes combattantes.

21 août

Repartons pour Arracourt, Athienville, Serres, Hoeville où nous faisons une grande halte.

Le 26e RI est présent qui enterre les chargeurs boches pris à Morhange, quelle tristesse d'en arriver là....

Continuons sur Courbessaux, Haraucourt puis Varangeville, il est minuit.

Le régiment a subi de lourdes pertes ces derniers jours

22 et 23 août

Saint Nicolas, Lupcourt, Azelot, Flavigny, Richardmenil. Nous traversons la Moselle sur un pont de bateau construit par le génie. Arrêt à Mereville au bord de l’eau.

Notre 1ére compagnie a été violemment attaqué à Crévic et a dû se replier.

24 août

Nous reculons toujours, le moral est à zéro, on ne comprend plus rien aux derniers événements. Messein, Neuves-Maisons, Pont-Saint-Vincent et Bainville. Le projecteur du fort ne cesse d'illuminer le plateau du Vermois.

28 août

Nous voici à Laneuveville, de nombreux bateaux transportent des blessés boches. Le canon fait rage sur Maixe où notre régiment s'est réorganisé. La bataille pour Maixe, pris et repris durera jusqu'au 11 septembre.

Puis ce sera la retraite de l'ennemi grâce à la victoire de la Marne (*). Le grand couronné est dégagé, Nancy sauvé.

 

(*) : Par ces mots, on se rend bien compte bien que le texte a été écrit à postériori au moins après la bataille de la Marne (mi-septembre 14)

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Campagne de Belgique 8 novembre-13 avril 1915

Nous embarquons le 19 septembre, nous quittons notre chère Lorraine. (*)

Partons par Royaumeix, Lagny, Baraques d' Ecrouves et Choloy ou nous arrivons à minuit.

Embarquement par le train à Barisey.

Débarquement à Poix dans la Somme.

Notre colonel De Lobbit est nommé à la tête de la 77éme brigade (**). Il est remplacé par le lieutenant-colonel Lacapelle.

 

(*) : Le régiment était alors à Minorville

(**) : le 22 septembre

8 novembre

Attelons à 7 h, nous sommes à 2km de la Belgique. Le premier village est Locre remplis de Belges et d’Anglais. Grand halte à Vlameretingue, repartons à 1h. Passons à Poperingue et Watou ou nous cantonnons. J’achète du tabac 20 sous la livre et un jeu de cartes pour 4 sous.

10 novembre

A midi en route pour Poperingue, belle ville, nous n'arrivons qu'à 8h du soir. Des embouteillages monstres sur plus de 5km obstruent la route. On sent que la situation est critique, les boches ont réussis à percer nos lignes entre Langemarck et Bixschoote.

11 et 12 novembre

A Poperingue, divers travaux le temps est exécrable. Le parc est recouvert de 30cm de boue collante. Mes chevaux pour se désaltérer n'ont droits qu'a une mare infecte. (*)

 

(*) : Rappel : il est affecté à la voiture de la compagnie. Toutes les voitures (hippomobile) de toutes les compagnies, ainsi que d’autres, se regroupe ensemble ; cet ensemble est nommé le parc.

13 novembre

Allons ravitailler à Boesinghe sur l’Yser, rentrons à 2h du matin. De nombreux obus tombent sur le village, le temps est toujours aussi abominable. J'ai vu passer le corps du lieutenant Panot d'Eulmont tué la veille lors de l’attaque. (*)

Parti à l'assaut en tête de sa compagnie il est mortellement frappé. Ses hommes s'empressent de le secourir, il se redresse et leur crie :

« En avant ! Vive la France » puis il retombe, mort.

 

(*) : Sous-lieutenant Victor Édouard PANOT. Voir sa fiche.

14 novembre

Pluie et tempête, nous retournons avec quatre voitures à Boesinghe. Il nous est impossible de passer, le canon gronde comme un tonnerre.

Nous rentrons à 11h du soir complètement gelés.

15 novembre

Le froid est de plus en plus intense. De plus nous avons droit à une tempête de neige et sommes dans la boue jusqu'aux genoux.

Pendant ce temps-là, le régiment renforcé de deux bataillons de zouaves essaye de reprendre le petit bois.

Celui-là même ou le lieutenant Panot est mort au cours des attaques précédentes.

16 novembre

Partons de Poperinghe pour Crombecque, les jeunes recrues de la classe 14 arrivent. Les pauvres ne savent pas encore ce qui les attend. La pluie redouble d'intensité.

A Leeuwerk cab (*), on ne peut plus circuler tant les troupes sont nombreuses.

 

(*) : « Leeuwerk cab. » comme les nombreux repérés sur la carte ne sont pas des cabarets au sens qu’on l’entend aujourd’hui, mais des auberges « bon marché » (caberet en flamand, qui est l’origine du mot cabaret).

17 novembre

Réveil a trois heures et demie par un froid polaire.

Il nous faut ravitailler le régiment qui est au repos à Woesten. Un aéroplane boche balance une bombe sur le village, heureusement personne n'est blessé.

19 novembre

Toujours Woesten, le canon est assourdissant. Les boches tirent sur un ballon captif qui se trouve un peu en arrière. Visite du cimetière, 64 soldats y sont enterrés. Tout à côté une grande fosse commune attend ….

20 novembre

Départ 5h pour Boesinghe avec le régiment qui regagne les tranchées. Nous stoppons à l'entrée du patelin entre 2 batteries de campagne et 3 de 120 et 95 de forteresse. Soudain les obus boches arrivent presque sur nos batteries. C'est miracle que personne ne soit touché.

Dans le parc voisin du nôtre, 13 chevaux du ravitaillement d'artillerie ont été tués la veille. Le génie et des paysans voisins les enterrent. Je fais boire mes chevaux dans une mare quand éclate un obus à cinquante mètres. Mes chevaux s'enfuient apeurés. Heureusement la nuit sera calme et ils reviendront d'eux même au parc.

Le temps est toujours mauvais, il neige.

21 novembre

Toujours la neige et froid de chien, le départ est prévu pour 11h.

A dix, j’attelle pour pouvoir manger la soupe, j'ai fini le premier. Je vais donc à la cuisine pour manger mon steak les pieds tout près du feu. Soudain un obus me passe à 20cm et éclate devant moi à 1 mètre. Heureusement pas de mal, ni pour moi, ni pour les 2 sergents Michel et (Charles) Toussaint de notre train de combat. (*)

Ces 2 derniers devaient être tués glorieusement à Neuville Saint-Vaast.

 

Nous étions en train de causer gentiment des événements de la veille. Je leur disais ma chance de partir sans être dérangé par les obus. Ma phrase à peine achevé un obus éclatait à 50 mètres mais nous étions en pleine ligne de tir.

En plaisantant les sergents firent remarquer que j'avais parlé un peu trop vite. Je les rassurai, ce n'est pas pour nous et continuai mon repas en leur tournant le dos.

 

C'est alors que survint ce sifflement sinistre connu de tous. L'explosion fut immédiate et si violente que nous fûmes tout trois culbutés. J'avais senti qu'il était pour nous a son passage et tout en me couchant je criai attention ….ça y est …c'est mon heure

Une fois la fumée dissipée et notre émotion calmée, nous fîmes le compte des dégâts.

Seul mon talon de chaussure manquait à l’appel. Mais O miracle j'étais indemne ….

L'obus avait éclaté tout près et si dans un mouvement malheureux j'avais tourné la tête, j'aurai été décapité. Pendant plus de 2 mois j'eus d'épouvantables sifflements dans les oreilles ce qui était un moindre mal vu les circonstances. Il nous fallait réagir très vite, nous avions droit à un bombardement en règle sous une pluie de shrapnels. Tout le monde court aux abris. Delabarre est blessé. Nous pouvons gagner une meule distante de 150 mètre et nous mettre à couvert.

Les boches tirent toujours, mes chevaux se sont enfuis éparpillant le contenu des voitures.

La maison ou nous logions à son toit emporté et bientôt s’enflamme. Une accalmie survient enfin et nous en profitons pour récupérer nos chevaux. Nos voitures par contre sont dans un sale état, toutes trouées et leur contenu éparpillé. Nous nous sauvons à fond de train jusqu’à Elverdinghe où nous serons plus protégés, puis à 2h vers Crombecque.

Premier rendez-vous avec la mort, on verra plus loin que ce ne sera pas le dernier...

 

(*) : Le sergent Charles TOUSSAINT sera tué le 16 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Voir sa fiche.

(**) : Selon les fiches MdH, le seul sergent de ce nom au 37e RI est Louis Jules Michel mais décédé à Cerisy le 9 juin 1916. J’ai retrouvé sa FM après quelques recherches car elle se retrouve aux archives de Moselle : Louis Michel FM Moselle 2R227 p124/630 (cette fiche comporte aussi une erreur car affecté au 37e RI, elle indique décédé au 37e RA, mais le livre d’or 14/18 de Pont-St-Vincent indique bien décédé au 37e RI).

Par contre un autre sergent mais indiqué sur la fiche MdH au 148e RI a été tué à Neuville-Saint-Vaast le 12 mai 1915. Cependant, sa FM très succincte indique seulement qu’étant de la classe 1901, il s’était engagé pour 4 ans au 37e RI … Auguste Julien Marie MICHEL. Impossible donc de savoir si c’est une erreur sur la fiche MdH ou s’il avait été rappelé à la mobilisation au 148e puis repassé au 37e RI mais il doit plus probablement s’agir de lui.

22 novembre

Il fait toujours aussi froid, la glace porte bien, la canonnade au loin fait rage.

23 novembre

A Crombecque refaisons vivres de réserves, l’après-midi je sors avec Horel me faire raser.

En sortant nous buvons deux cafés et deux sérieux, je lui joue le tout au billard. Il perd et en est pour la modique somme de 0f40, 1 sou la barbe, 1 sou le café et 2 sous le sérieux. (*)

 

(*) : Un sérieux désignait 50cl de bière (= pinte ; terme utilisé entre-autres à Nancy comme affiché sur des anciennes photos de cafés).

24 novembre

C'est le dégel, avec verglas le matin heureusement le temps s'est radouci.

Le soir c'est la fête, un aviateur anglais nous offre un concert d’accordéon. Très rigolo il me rappelle de bons souvenirs. En sa compagnie nous avalons treize sérieux (?), le retour se fait dans un épais brouillard.

25 et 26 novembre

C'est la pluie nous montons une écurie pour nos pauvres chevaux. Ces pauvres bêtes couchaient dehors. Nous apprenons une grande victoire russe, le soir faisons la fête chez Madeleine.

27 et 28 novembre

Le temps s'est remis au froid, grosse canonnade. Réveil à 2h30.

Nous rejoignons le régiment logé dans une ferme sur la route de Poperinge. Nous apprenons avec tristesse la mort du lieutenant Bureau et de l'adjudant Darnault tués au combat. (*)

 

(*) : Jean Eugène Henri BUREAU mort pour la France le 27 novembre 1914. Voir sa fiche.

Albert Émile DARNAULT mort pour la France le 27 novembre 1914. Voir sa fiche.

29 et 30 novembre

Passons toute la journée avec la compagnie. Les aeros boches balancent des bombes sur Poperinghe. Toujours avec la compagnie partons à 16 h. Nous avons un nouveau lieutenant Margot, passons à Poperinghe.

Muller écrase une roue

5 décembre

A Crombecque sous la pluie avec un orage épouvantable.

Visitons un moulin à vent qui produit 40 sacs de farine par jour. Il se paye à raison de huit pour cent sur la marchandise apportée.

6 décembre

Grand beau temps, il a gelé très fort. Je vais à la messe accompagné du sergent (Charles) TOUSSAINT.

Lorsque le curé prêche, il suscite la curiosité générale.

Faut dire qu'il y a de quoi, il a récupéré un couvre-chef boche et s'en est coiffé pour dire sa messe. C'est rigolo, mais le suisse est méchant et nous interdit de causer.

A la sortie 6 aéroplanes évoluent dans la compagne.

7 décembre

Lever 2h pour rejoindre le régiment, nous dirigeons vers le fameux Boesinghe. Ma compagnie est dans les fermes et il fait un temps de chien. Nouvelles arrivées de bleus, de la chair tendre à offrir aux boches.

Le commandant Dusseau est revenu. Notre ferme est recouverte de boue et par la même occasion nous aussi. Heureusement nous la quittons pour revenir à Boesinghe près de la gare

9 décembre

La hauteur de boue atteint 40 cm et toute circulation est devenue très difficile.

On part à 4h, passons à Elverdinghe ou nous attendons 2 h tant la route est défoncée. Les unes après les autres les voitures se renversent, la mienne a la chance de passer sans accroc.

Continuons sur Poperinghe et Crombecque et notre arrivée se fait à minuit, nous sommes trempés comme des soupes.

10 et 11 décembre

Il fait très froid, nous mangeons des frites et du lapin pour 0f50. La pluie est revenue, le deuxième bataillon part au ravitaillement. Le sergent Toussaint rentre à la 2éme compagnie. 2 nouveaux sergents tringlots nous sont affectés.

12 et 13 décembre

Arrivée d'un troisième sergent, vais à Roosbruge le soir avec Horel et FORCHTMANN. Nous faisons diverses emplettes et buvons du vin bouché à 1f25, retour à 10h30.

 

Réveil à 4 h pour rejoindre le régiment.

Sommes obligé de changer d’itinéraire vu le mauvais état des routes. A Woesten je rencontre Baraban de Bouxiéres-aux-Chênes qui revient du dépôt.

Passons à Boesinghe et arrivons à Pilkem vers 10h. Nous sommes à 3 km des boches et notre artillerie de campagne 1km derrière nous.

14 décembre

Nuit relativement tranquille, mais réveil dans un fracas épouvantable. Toutes nos batteries tirent et on ne s'entend plus. Pour mieux me rendre compte je grimpe au premier étage de la maison. Le coup d’œil est féerique, partout où le regard porte ce n'est que flammes, fumée et explosion. Les hommes de la compagnie ont fait une belle découverte, un petit trésor enfoui dans le jardin. 30 livres de beurre et un fût de pétrole.

La canonnade dure toute la journée, le soir sur Ypres le spectacle est dantesque, le compagnie est totalement embrasé

15 décembre

Nous sommes à Pilkem et l'artillerie a tonné toute la nuit.

Vers 5 h ce sont les boches qui répondent dans en duel épouvantable, les murs en tremblent.

Heureusement pas de bobos, nous attelons et rentrons àC ou nous mangeons des frites

16 et 17 décembre

Crombecque où nous refaisons des vivres, changeons les bâches de nos voitures qui en avaient bien besoin. Le 1er bataillon est part ravitailler à 6h, on dirait qu'il se prépare quelque chose

Vers 9 h un aéro boche passe au-dessus de nous et lâche 2 bombes sur un ravitaillement à 150 m de nous. Nous tirons tous dessus lors de son retour, apparemment sans résultats

18 décembre

Pour la première fois nos chevaux ont une écurie à eux. Avec des paillassons nous bouchons les trous pour leur éviter des courants d’air. Nous sommes à côté d'un faux ruisseau qui est rempli de poules d’eau, une envie irrésistible de braconner me saisit.

19 décembre

Toujours à Grombecque, il fait très froid. Nos chevaux sont heureux comme des rois dans leur écurie. A peine fini de boire ils rentrent se mettre au chaud. Des gars du 2éme bataillon ont réussi à attraper un faisan, on le mange le soir chez Martha. C'est plein de gibier par ici, les lièvres pullulent. Quand nous allons faire de la paille pour nos chevaux il n'est pas rare d'en lever 4 ou 5.

20 décembre

Toute la nuit il a plu à seaux, ce matin par contre grand beau temps.

Notre cycliste a eu de la chance hier. Sa bécane a été pulvérise par un obus, lui n’a que quelques égratignures.

Le train de combat No 1 du 37ème a eu 13 chevaux tués et 13 hommes blessés à Pilken qui est toujours ravagé par les obus.

Je viens de trouver mes premiers poux ça promet des beaux jours.

A 3 h attelons et partons pour Boesinghe ou nous arrivons à 10h, nous couchons dans une ferme en attendant que le jour se lève

21 décembre

Je suis garde d'écurie pour la nuit, il a fait très froid.

A 7h, mon bataillon part retrouver les hommes à Pilkem. On nous impose une distance de 50m entre les voitures, car la route est sévèrement bombardée. Dès notre arrivée au patelin les premiers obus rappliquent.

A 10h, ils sont à 100m de ma voiture. Au loin un observateur boche règle le tir à merveille de son cerf-volant. Soudain le tir s'allonge et les obus arrivent sur le village ; les tuiles volent en tous sens. Je me couche sous ma voiture, les explosions se succèdent et m'empêchent de fermer l’œil.

A 10 h, appel du fourrier pour avoir des vivres de réserve. Il me dit que 2 bataillons du 37éme vont faire l'attaque du bois de Bixchoote vers 2 h du matin

22 décembre

Réveil à 2h, j’attelle mes chevaux et ils sautent en l'air car un 77 vient d'enlever la cheminée de la maison.

Le capitaine prend son fusil et son sac, les hommes essayent leur baïonnette au bout du fusil. Ambiance très lourde.J'ai mal au cœur de les voir et combien vont en revenir. Je vais au poste de commandement qui me fait rentrer à la compagnie.

En attendant le jour je me réfugie dans une ferme tenue par la 10éme (compagnie), elle est beaucoup moins exposée.

D'énormes marmites tombent près des batteries qui nous entourent. Elles préparent l'attaque en faisant un raffut épouvantable, ce n'est que sifflements et explosion à devenir fou.

 

A 6h40, l'attaque commence par une violente fusillade.

 

10 h, retour des premiers blessés, triste spectacle … Un en particulier me frappe, il n'a plus de nez et un trou sanglant au milieu du visage, quel pitié !

Les obus sifflent toujours, un percutant vient éclater derrière mes 2 chevaux. Mon noir affolé se sauve à fond de train vers Boesinghe. Je courre après, heureusement un groupe d'artilleur le stoppe sur le pont. Je le ramène difficilement car il est affolé, 2 fois il m'échappera des mains. Je parvins enfin à le brider et à le ramener, je récupère aussi ma blanche et les abritent derrière un petit hangar.

Il fait nuit noire, la neige et la pluie soufflent en tempête. Je peux enfin manger avec les cuistots. Toute la nuit sera ponctuée d’explosion, impossible de dormir.

23 décembre

A 5 h le sergent vient me voir et me demande où sont mes chevaux. Je vais pour lui montrer, mais ils ont disparus. Je cours en direction de Boesinghe, fais les fermes alentour, mais aucune trace. Dans le village des soldats de garde m'informent qu'ils ont vu passer hier soir 2 chevaux fous se dirigeants vers Bixshoote.

Je suis la route et les retrouve dans la ferme ou nous avions logés avant-hier. Je les ramène et les entravent avec des chaînes. Ils font pitiés, tout tremblant et terrorisés par les obus qui explosent sans discontinuer.

Les blessés qui reviennent me disent que près de 500 hommes sont restés sur le terrain lors de l'attaque. (*)

 

(*) : Le JMO précise les pertes : 33 tués, 101 blessés et 248 disparus.

24 décembre

Le jour levé je vais voir ma compagnie qui est revenue de l’attaque. Énormément de vide dans les rangs, les hommes sont prostrés et je ne sais quoi leur dire. L'attaque a échouée, les boches bien retranchés n'ont pu être délogés.

Quatre officiers ont été tués, triste veillée de Noël.

26 décembre

Toujours à Pilken, à 10h, le sergent nous prévient de nous mettre en tenue de campagne. Des artilleurs territoriaux nous remplacent aux voitures, nous sommes versés dans une unité de combat. Pour moi ce sera la 8éme compagnie. Cette compagnie ainsi que la 6éme ont été décimées pendant l’attaque, il faut donc combler les vides. Je suis sous le commandement de l'adjudant Collier.

Le soir le cœur lourd nous partons aux tranchées. (*)

Il fait très froid et sommes en réserve près du moulin de Langemarck.

 

(*) : Il a vu les combats de loin, dorénavant, il est en premières lignes…

 

 

Extrait du JMO du 37e régiment d’infanterie

Il précise bien que les renforts viennent de soldats de l’armée territoriale

 

27 et 28 décembre

Toute la nuit et la journée des obus arrosent les abords de notre guitoune. Des shrapnels viennent frapper la toiture, heureusement sans faire de dégâts

Ne bougeons pas de la journée de notre trou ça tire de partout. En fin de journée (Paul) Fessard (*) du train régimentaire est blessé grièvement par une grenade en chahutant avec des copains. Comme si les boches ne suffisaient pas  !

 

(*) : Il mourra de ses blessures le lendemain. Paul FESSARD mort pour la France le 29 décembre 1914. Voir sa fiche.

29 et 30 décembre

Toujours sans sortir de nos trous.

Il pleut à verse maintenant, les gouttières nous trempent dans les abris, sommes recouverts de boue.

Le soir allons à Langemarck chercher des outils. Un adjudant d'artillerie vient d'y être tué cet après-midi, nous sommes enfin relevés à 11 h du soir. Tout le régiment part pour le Lion Belge (*) où nous arrivons vers 6 h du matin.

Nettoyage des armes et des effets. Revue par le général du corps d’armée et remise de décorations par un froid de canard.

 

(*) : Le ‘’ Lion Belge ‘’ est un lieu-dit sur la rive gauche de l’Yser.

4 janvier 1915

A Steentraate une maison s'est écroulée par les bombardements sur des soldats du 5éme Hussards. Notre 1ére et 4éme section vont pour déblayer à 7h du matin.

Après la soupe du soir nous allons les remplacer. Spectacle affreux, 50 morts et 20 blessés, en abandonnons un à son triste sort et rentrons à une heure du matin.

 

Voici le récit :

Nous étions en réserve dans une ferme démolie a environ 2klm des lignes ce 4 janvier. Le froid est terrible, pas de paille, aucune fenêtres et toiture écroulée. Néanmoins on est heureux, car on peut bouger, remuer, s'allonger ce qui n'est pas le cas en première ligne. Nous sortons de boire le jus, quand un agent de liaison arrive comme un fou et dit aux premières et quatrième section de s'équiper au galop. Il s'agit de déblayer une maison qui s'est écroulée sur le 2éme escadron du 5éme Hussard. Le poste de secours est à 100m, des équipes de brancardiers ramènent les premiers blessés. C'est affreux, le premier a la mâchoire brisée, un bras arraché et le côté ouvert.

Le second dont le visage est réduit à une bouillie informe ne cesse de crier :

« C'est pour la France …..C'est pour la France »

 

Nous nous demandons comment nos camarades peuvent les dégager étant tout près des lignes. Après la soupe c'est au tour de ma section d'aller relever nos camarades qui continuent à retirer des cadavres. Il fait nuit noire, en file indienne, nous progressons, butant à chaque pas dans les decauville et les trous d'obus.

Enfin nous arrivons au funeste endroit. Traversons le couloir, dans une petite chambre une dizaine de cadavres sont alignés

Nous contournons la maison et là une odeur cadavérique nous prend à la gorge. Il nous faire vite, des hommes sont encore vivants et espèrent notre aide. Il nous faut travailler en silence et dans une obscurité complète. Le pire ce sont les débris humains que nous ramenons avec nos outils. Ils sont mélangés à la terre et déchiquetés par le bombardement.

Sinistre besogne et funeste mémoire.

 

Un dénommé Fleury nous dit de faire vite, sa jambe est brisée et il étouffe. Aux prix de grandes difficultés nous parvenons à l'extraire des décombres. Ses remerciements nous touchent, à ses côtés 2 de ses copains sont morts broyés par l’éboulement. Nous croyons avoir fini le déblaiement ….soudain une voix caverneuse, comme sortie d'outre-tombe nous supplie :

«  … et moi ….. Vous n'allez pas me laisser là ….. » (*)

 

Pauvre malheureux qui depuis 24 h attend avec résignation un hypothétique sauvetage.

Nous nous dirigeons vers le lieu de l'appel au secours. Sous un amas de poutres, planches, briques nous parvenons a le localise.Par contre il étouffe par manque d’air. Le déblaiement commence, ses appels se font de plus en plus pressants :

« Sauvez-moi les gars ….. Sauvez-moi les gars ….. »

 

Nous sommes bientôt à un mètre de lui car sa voix se fait plus distincte. Un événement imprévu va cependant décourager les plus hardis. Un mur de 3 mètre de haut penche dangereusement du fait de notre déblaiement à sa base. Arriverons-nous à temps????

« Dépêchez-vous »

crie ce pauvre garçon, j'étouffe de plus en plus …. Soudain un ordre inhumain arrive  !!

« Cessez le travail, c'est beaucoup trop dangereux. »

 

Nous avons les larmes aux yeux, silencieusement nous ramassons nos outils et l'abandonnons a son triste sort ….

Partir comme ça, comme des voleurs de peur qu'il nous entende nous plonge dans une grande tristesse. A peine sorti de la maison, le mur s’effondrait, engloutissant notre malheureux camarade. Pour lui c'est fini maintenant …il faut mourir …

Le cœur lourd nous regagnons notre tranchée …r. Il nous dit que ses voisins sont tués mais que lui par miracle est indemne.

 

(*) : Le JMO du 5 janvier du 37ème régiment d’infanterie précise :

« Steenstraat et en particulier la fabrique de chicorée furent bombardés. La fabrique de chicorée s’écroule sur un peloton de Hussards. Il y eu 45 hommes tués et 30 blessés. »

Un Hussard nommé Georges Victor FLEURY est dans la liste des tués. C’est peut-être le même homme.

Le JMO du 5ème hussard relate l’épisode de l’éboulement les 4 et 5 janvier 1915 avec la liste des victimes.

5 janvier

A 4h allons occuper la tranchée de première ligne que les hussards occupaient. La progression dans 0m50 de boue est très pénible. 2 hussards morts sont encore dans la tranchée, devant des fusiliers marins victimes des jours précédents ne sont toujours pas enterrés.

Paysage morbide, le soir grosse fusillade, un peureux a cru voir des boches s'avancer vers nos lignes.

6 janvier

Il pleut des cordes et nous sommes trempés. 30 cm d'eau dans la tranchée, on patauge dans la boue.

Le soir, nouvelle alerte, toujours par le même peureux, nous sommes enfin relevés par le 79éme. Nous partons au repos près de Boesinghe

11 janvier

Occupons les tranchées près du canal.

Nous sommes en première ligne à 100m des boches. La terre est constellée d'eau et de cadavres, on finit par s'y habituer.

Jamais je n'ai eu aussi froid.

12 janvier

Revenons sur l'Yser à 6h du matin.

L’après-midi remplissons des sacs de terre sous de nombreuses rafales.

A 5 h nous retournons a la tranchée de la tête de pont de Steentraate. Le 79éme a eu 13 hommes tués dans cette même tranchée. Je suis de garde de nuit en liaison avec des territoriaux.

 

……

 

17 mars (*)

Sommes à 60 m des boches, avons un tué et deux blessés, nous tirons comme des fous.

L’après-midi l'artillerie boche nous bombarde, dans mon abri un sac de terre se répand sur moi. La veille j'avais été fortement incommodé par une odeur pestilentielle. Je comprends maintenant pourquoi, c'est un macchabée boche. Il est fortement passé, le parapet est monté dessus, on lui voit les fesses et un talon. Quelques pelletées de terre dessus et on y pense plus. Ensuite on remplit des sacs de terre pour renforcer le parapet.

 

(*) : le 37e RI est alors à St Julien

18 mars

J’ai mieux dormi rapport à mon macchabée qui ne sentait plus si fort. Les camarades d'ailleurs évitent de venir me voir rapport à l'odeur …

La deuxième section a encore un tué, la sixième qui nous remplace 1 tué et 2 blessés. Devant nous un boche est enterrés jusqu'au cou, ne dépasse que la tête c'est rigolo.

Les boches sur lesquels on ne cesse de tirer nous répondent par des rigodons.

Dans la nuit avons encore 1 tué et 2 blessés.

26 mars

Il a gelé et le vent souffle fort.

A midi on s'interpelle avec les boches sur un ton amical. Nous montons même sur le parapet, eux aussi, on chante et on s'invite à venir. Les officiers interviennent et nous ordonnent de reprendre nos places. Malgré cela le soir ça recommence. Notre quatrième section chante la tyrolienne en chœur et un boche reprend le refrain.

Pour une fois, pas un coup de fusil de la nuit. Nous travaillons à notre parapet sous l’œil d'une sentinelle boche située à 30m. Elle nous voit puisque nous même la voyons, pas de réaction guerrière ….

27 mars

Nous avons travaillés jusqu'à 1h du matin sans un coup de fusil.

A 2h notre artillerie leur tire dessus. Ils nous foutent des coups de fusil et nous revoilà en rogne.

Puis ils nous bombardent, heureusement les obus n'arrivent pas dans notre tranchée.

A 9h sommes enfin relevés.

 

Paroles de chanson écrites par Paul Viriot le 28-12 1914 dans les tranchées près de Langemarck suite à l'attaque ratée du 22 décembre.

Dédier au petit soldat de France. L'air est Sur la Riviera

 

1er couplet : La Tranchée

P'tit soldat de France

Tu peines et tu souffres en paix

Dans ces vastes landes

Aux bocages clairsemés

Dans ces marécages

Ou tu enfonces jusqu'aux genoux

Il t'faut du courage

Pour résister dans cette boue

Mais bientôt tu seras remplacé

Pour rentrer au pays aimé

 

Refrain

Sur les bords du canal de L’Yser

Ou souffle une bise glaciale

Tu iras pendant cet hiver

Dans les tranchées qui longent le canal

Sous la pluie, le vent et la neige

Tristement tu penses au pays

A ta femme, au logis, à tes gosses chéris

Qui attendent amoureusement ton retour

Soldat …..Patience !!

Pour la délivrance

 

2éme couplet : L’Attaque

Un matin de décembre

On t'a réveillé de bonne heure

Ton jus dans le ventre

Et te voilà plein d'ardeur

Vers un petit bois sombre

Devant toi, tu rampes sans bruit

Tu glisses comme une ombre

Vers ses sinistres bandits

Mais bientôt tu te lèves et d'un bond

L'fusil haut, tu cours comme un lion

 

2éme refrain

Sur les bords du canal d' Lyser

Ou souffle une bise glaciale

Méprisant l’acier, le fer

Qui rougissent bien souvent ce canal

Sous la pluie, le vent et la neige

Qui t’aveugle, te transperce, te saisit

Mais le cri, en avant !

Poussé par le commandant

Font de toi un homme en furie

Soldats, Soldats …

A genoux devant le petit gars

 

3éme couplet : La Mort

Les fusils crépitent

Les mitrailleuses font rages

Les obus qui sifflent

Rien n'altère ton courage

La tranchée approche

Quand une balle de boche

Te terrasse et te raidit

Tu te relèves et râlant tu t'écris...

Vive la France …

C'est pour ma patrie

 

3éme refrain

Sur les bords de canal d'Lyser

Ou souffle une bise glaciale

Tu auras pendant cet hiver

Une tombe sur les bords du canal

Sous la pluie, le vent, la neige

Gravement tu seras déposé

Par tes frères plus heureux

Et qui se sont échappés

Du charnier ou tant d'autres sont restés

Soldats !!! Debout ….

Et tous au garde-à-vous

 

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Campagne de Picardie 1915

14 avril

Nous débarquons à Wormhout et poussons des hourras en revoyant des inscriptions françaises.

Nous faisons la bombe avec des Canadiens. C'est eux qui paient, ils gagnent 5 fr par jour, le vin est à 15 sous.

15 et 16 avril

Le matin avec mon grand copain Verrier allons admirer l'artillerie canadienne. Sont tous envieux de mon ceinturon boche. Ils ne sont pas toujours facile à comprendre avec leur accent très prononcé.

Service à Wormhout pour les morts du 37éme. Le doyen nous fait un beau sermon très touchant en évoquant leur mémoire.

L’après-midi, revue de cantonnement en tenue de campagne par le commandant.

21 avril

Partons en autobus pour Arras, la route est remplie de troupes. Allons cantonner à Maroeuil dans une ancienne filature. 2 bataillons logent dans l'usine.

24 avril

Nous nous attendons à une attaque. Le matin exercice de prise de tranchée et le soir constructions de boyaux devant les tranchées de première ligne. Les balles nous sifflent aux oreilles.

Retour à 5h du matin, 4km de boyaux pour rentrer à Maroeuil.

28 avril

Exercice d’attaque, l’après-midi Maroeuil est sévèrement bombardé. Le premier obus tombe à 100m de nous, le second à 30m. Nous étions de corvée d'épluchage de patates, sommes recouverts de débris divers. En vitesse nous nous replions vers la ligne de chemin de fer.

Il en tombe encore 4 sur le village faisant plusieurs morts et blessés. Le cheval de notre capitaine est tué, nous évacuons l'usine et logeons en plein champ.

Le soir reboyaux, notre tâche est 4m de long, 1m40 de profondeur sur 1m30 de large pour une équipe de deux. Les aéroplanes nous ont surveillé toute la nuit.

3 mai

Préparons la tranchée d'attaque munis de trois escaliers. C'est de là que partirons les nôtres le grand jour de l’attaque. Sommes obligés de revenir plus tôt tellement il pleut. Sommes dégoûtants.

4 mai

Changeons de secteur.

Nous faisons 8km pour y aller et nous nous perdons dans le dédale de boyaux. Arrivons enfin à minuit, fourbus et harassés. Notre caporal Coquerel est tué par une balle. (*)

Les boyaux sont remplis d’eau.

 

(*) : Léon Pierre Victor COQUERELLE, 21 ans, caporal au 37ème régiment d’infanterie, mort pour la France à Maroeuil (62) le 4 mai 1915. Voir sa fiche.

5 mai

Changeons de cantonnement.

En préparation de l'attaque nous touchons 300 cartouches de l'eau de chaux pour les gaz. Sommes prêts pour le grand jour.

6 et 7 mai.

Nous sommes en alerte, l'attaque prévue pour 2 h du matin est reportée à demain.

Maroeuil subit un gigantesque embouteillage de voitures et de troupes diverses

8 mai

L'attaque est finalement pour demain, l'enthousiasme est général.

Le soir sac au dos, notre compagnie, ayant fait la dernière attaque sur Bixshoote, est en réserve. Nous allons nous poster près de la gare et creusons des tranchées pour nous abriter en cas de bombardement.

 

 

Plan des travaux d’approche avant l’attaque du 9 mai 1915 - Paul VIRIOT du 37e régiment d’infanterie.

 

9 mai

Journée d'attaque.

A 5 h du matin, la grosse artillerie (105, 120, 155, 197 sur train blindé et 220) ouvre le feu. Neuville-Saint-Vaast, La Targette voir plus à l’arrière sont noyés sous un déluge d’explosions. Détonation formidables qui nous mettent en confiance, ils doivent déguster en face.

 

A 8h, nous quittons la gare, passons à côté des batteries du 60éme. Leur adjudant nous dit qu'ils ont 350 coups à tirer par pièce de 9h20 à 10 h (heure fixée pour l'attaque de l’infanterie). Dans une tranchée 200m devant les batteries nous nous abritons en attendons que l'engagement commence.

 

A 9h20 précise, le plus beau et terrifiant spectacle que l'on puisse imaginer nous est donnée par ces 850 pièces d’artillerie. Elles vomissent le feu à une cadence infernale, impossible de parler à son voisin. Les oreilles me font atrocement souffrir, nous sommes rendus fous par ce vacarme.

Devant nous à 2km la ligne allemande est en feu, la fumée tellement dense que l'on ne voit plus rien. Devant nous cet immense nuage noir et derrière ce feu meurtrier qui augmente encore. Nos valeureux 75 soutiennent un feu roulant, puis à 10h comme par enchantement tout s’arrête. Nous apercevons nos premières lignes courir à l’ennemi, notre cœur bat bien fort. Mais pas le temps de s’apitoyer, un coup de sifflet retentit, sac au dos nous nous dirigeons vers la fournaise.

Au bout de 20m un téléphoniste nous dit que la première ligne est enlevée.

Des hourras sont poussés en l'honneur du 79ème et des artilleurs. Le canon se remet à tonner, les 2éme et 3éme lignes boches sont visées.

En arrivant aux abris aménagés pour les blessés de l'attaque nous croisons une batterie qui arrive de la côte où elle tirait tout à l’heure. Elle déboule à fond de train, se positionne en vitesse et recommence son feu d’enfer. Nous approchons de notre tranchée primitive, de nombreux blessés reviennent du front plus ou moins touchés. Triste spectacle, des hommes défigurés, amputés d'un ou plusieurs membres, les visages ravagés par la douleur et la peur.

 

Vers 4h, nous quittons nos positions et sautons dans celles des boches. Quelques cadavres gisent çà et là, nous avançons toujours.

 

A 5h30, sortons des boyaux pour attaquer vers le fortin et le moulin (*). Les 25 premiers mètres se passent bien, mais bientôt l'artillerie nous a repérés et déclenche sur nous un feu meurtrier.

En une demi-heure trente hommes de la compagnie sont hors de combat. Moi-même je reçois un shrapnel, heureusement que j'ai ma calotte en tôle (**) ramassée quelques instants plus tôt sur un de nos soldats morts.

L'éclat glisse sur mon képi, mon sergent (Paul Justin) Chalet n’a pas la même chance, il a le crâne défoncé. (Arthur) Tutoy mon voisin à le côté ouvert et meurt aussi, etc. etc. (***)

Heureusement la nuit arrive et fait cesser ce carnage. Le capitaine nous fait porter en avant et nous organisons une petite tranchée. La nuit est très froide et nous grelottons jusqu'au petit matin.

 

Le JMO dit que les soldats restent toute la nuit pour la plupart allongé dans des cratères d’obus, dans le froid et la boue entre les 2 lignes et attendent le jour pour relancer l’attaque.

(*) : Il s’agit très certainement du moulin TOPART.

(**) : La cervelière a été distribuée en mars 1915 pour éviter les nombreuses blessures à la tête. Mise théoriquement sous le képi mais peu pratique, elle sera remplacée par le casque dès septembre 1915

(***) : Paul Justin CHALET, sergent, mort pour la France, le 10 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Voir sa fiche.

Arthur TUTOY, 22 ans, mort pour la France à quelques km de chez lui, le 10 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Voir sa fiche.

 

 

Paul VIRIOT (37e régiment d’infanterie) explique son coup de chance

 

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Complément et détails supplémentaires de l'attaque du 9 mai. Rédigé plus tard dans un hôpital nantais où il fut hospitalisé.


Déployés dans le Chemin Creux, nous attendons l'ordre du commandant Pernot de nous engager. Nous avons comme direction le fameux moulin et le non moins fameux fortin avec son labyrinthe. Tous les hommes sont absorbées et recueillis par je ne sais quelles pensées, la peur nous noue les tripes. Les cigarettes se succèdent, l'une derrière l’autre.

La fameuse gouaillerie française est toujours présente et des réflexions fusent. Allons Messieurs !

Il est temps de faire votre testament ! A qui le premier numéro pour le grand voyage ? Un petit cabot Parisien (tué une heure plus tard) Ceux qui mangeront des betteraves sont priés d’en laisser à leurs petits camarades (manger des betteraves se disait la veille d'une attaque, car généralement les morts sont faces contre terre et donc mangent les betteraves). Moi-même je fais remarquer à Verrier (mon meilleur camarade de combat) irons-nous jusqu'à ce petit bouquet de coquelicots aperçus depuis notre talus. Ou peut-être plus loin jusqu'à ce squelette abandonné. Le moral est bon y a pas de doutes !

 

Mais bientôt le coup de sifflet retentit, aux plaisanteries succède un silence glacial. Baïonnettes aux canons !

Seuls ceux qui ont entendus ces mots peuvent en mesurer le sens, rétrospectivement j'en ai encore la chair de poule ….

Des milliers de pensées traversent alors votre esprit.

Puis nouveau coup de sifflet et on grimpe le talus. Les premiers bonds se font sans mal, car l'ennemi ne nous as pas encore aperçu. Pour les suivants c'est autre chose, shrapnels, mitrailleuses, obus font un bruit assourdissant. Ca y est nous sommes en pleine fournaise. A mon troisième bond je passe à côté d'un soldat du 79éme tué. Il porte sous son képi une calotte en tôle. Lui enlever son képi, prendre sa calotte et l'ajuster au mien ne prend qu'un instant.

Je rejoins alors mes camarades sous une canonnade intense qui ne cesse d’augmenter.

 

Des fameux 130 aux explosions dévastatrices qui nous rendent sourds et à moitié fous. Mon sergent de section est tué par un éclat en pleine tête, d'autres subissent le même sort. De nombreux blessés se dirigent en arrière vers le Chemin Creux cahin-caha. Avec Verrier pas un mot, couché dans l’herbe, côte à côte nous attendons anxieusement notre tour.

Tout à coup une détonation formidable 20 m au-dessus de nos têtes et un choc violent sur mon crâne.

Je me crois touché et l'avoue à Verrier, il me crie alors de ne pas l'abandonner dans cet enfer. J’enlève mon képi et me dit que j'ai une sacré chance. L'éclat a rencontré la partie sphérique de la calotte et glissé dessus, je retrouverai le morceau dans mon sac. Sans ce malheureux soldat tué, j'étais cloué sur place. La chance ou ma bonne étoile continuait de veiller sur moi.

 

 

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Lundi 10 mai

Au petit jour l'artillerie allemande reprend son bombardement intensif. Une compagnie du 79éme trop fortement bombardée par les obus et les bombes évacuent leur tranchée. Ils courent vers nous.

Notre capitaine (*) est furieux, il les traite de lâches et nous fait mettre baïonnette au canon pour la réoccuper avant les boches. Nous courons, puis il nous faut ramper car les balles pleuvent drues. Plusieurs d'entre nous en font la funeste expérience.

Enfin nous y sommes, mais il faut creuser car le parapet fait à peine 30cm.

Vite les pelles-bêches, nous travaillons dans une position inconfortable à moitié couché.

 

(*) : Capitaine Auguste Raymond JOLYOT.

 

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Je relate ici des faits pénibles (rédigé quelques années plus tard) que je n'avais jamais osé mentionner dans mes carnets :

Notre capitaine (Auguste Raymond) JOLYOT leur ordonne de s’arrêter en les traitant de lâches, mais ils sont si paniqués qu'ils continuent à se replier.

Il donne alors cet ordre incroyable … :

« Tirer leur dessus »

Nous croyons avoir mal entendu. Mais il insiste :

« Soldats, tirez sur ces lâches. »

Plusieurs ont tirés, moi j'ai fait le geste sans appuyer sur la gâchette.

 

Mais je maintiens, et affirme, que le caporal-fourrier en a tué un devant moi à bout portant.

Nous sommes devenus des chiens, tuer ses propres camarades.

 

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Vers 5h, on peut enfin s’installer, on ne craint plus les balles. Mais voilà que leur artillerie nous prend en enfilade. Elle commence un feu roulant qui ne s’arrêtera qu'à 6 h le soir. Le sac sur la tête on se remet à creuser. Des plaintes s’élèvent d'un bout à l'autre de la tranchée. Barthelemy, MASSON, GAUTHIER, DUVAL (*), PAOLI, Steimetz de mon escouade sont plus ou moins grièvement blessés. Ils se traînent comme ils peuvent et essaient de gagner un poste de secours.

 

Vers 22h, un 105 arrive dans la tranchée près de moi, il arrache un bras à Catelin et broient les reins de GERARD (**). Ses débris me passent au-dessus et vont toucher à la tête un pauvre garçon du 79éme. Le malheureux crâne défoncé n'expirera que le soir émettant des râles affreux.

Ce n'est pas fini, au même instant un second 105 arrive derrière mon trou et O miracle n'éclate pas. Si cela avait été le cas, c'était fini pour moi. Je suis quand même à moitié enterré et j'ai beaucoup de mal à me dégager.

La folie nous guette, c'est l'enfer ou ça lui ressemble beaucoup.

 

Enfin le feu diminue d’intensité, mais ils nous lancent toujours des bombes. En réplique nous leur envoyons plusieurs feux de salve, ça soulage même si l'efficacité n'est pas garantie.

Impossible dans ces conditions de se ravitailler, nous mourons de soif. Les abords de notre tranchée sont jonchés de cadavres. Il nous faut veiller (funèbre) car nous craignons une contre-attaque.

 

(*) : Parmi ces noms, seul un soldat est décédé en mai/juin : Charles Auguste DUVAL mort le 23 mai des suites de blessure, mais la fiche MdH indique 4e Cie alors que Paul était à la 8e.

(**) : Un soldat Charles GERARD est décédé des suites de blessures le 16 mai à l’hôpital n°201 de St Brieuc (22). Il pourrait s’agir de lui : Ch. Gerard mais sa FM, reconstituée (recrutement de Toul et non Nancy), ne donne aucune information et ne permet donc pas de connaître la date de sa blessure. Deux autres soldats de ce nom sont morts en mai/juin 1915, mais tués à l’ennemi fin mai et en juin, il ne peut s’agir de l’un d’eux.

 

 

 

 

Ordre pour le 37ème régiment d’infanterie :

Attaquer et prendre le cimetière de Neuville-Saint-Vaast.

 

 

 

11 mai

Toujours dans notre position inconfortable avec le même bombardement. Notre compagnie est réduite à l'état de squelette, tant d'hommes sont tombés. J'ai passé la nuit à veiller l'aspirant et GERARD. Ils souffrent atrocement et les brancardiers ne peuvent venir les chercher.

 

Le soir, assistons à la folle charge du 224éme, c'est là que nous sauvons un adjudant grièvement blessé (Numa Martin Vincent). Ce petit livre lui appartient et il me la légué en récompense de nos efforts pour le sauver.

Toujours pas de ravitaillement, c'est horrible d'avoir soif comme ça. Comme nous sommes au milieu d'un champ de betteraves à sucre, nous en consommons pour tromper notre faim et notre soif. L'aspirant (Emmanuel) Lemaire vient de mourir après d'atroces souffrances. (*)

 

A la brume, le capitaine vient voir Gerard et l'encourage à tenir. Il ne peut autoriser de corvée de ravitaillement car nous ne sommes plus assez nombreux. Il s'en retourne en rampant, je le suis machinalement des yeux, soudain il s'affaisse et ne bouge plus, une balle vient de le frapper en plein cœur. (**)

Comme cadres nous n'avons plus que le sous-lieutenant Goin et l'adjudant DUMAZAINE. La nuit sera encore longue plusieurs alertes sérieuses nous tiendrons sur nos gardes.

 

 (**) : Aspirant Emmanuel LEMAIRE, 22 ans, mort pour la France le 11 (le 15 ?) mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Il était arrivé au 37ème régiment d’infanterie le 1er janvier 1915. Voir sa fiche.

(***) : Capitaine Auguste Raymond JOLYOT, 51 ans, mort pour la France le 10 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Il était arrivé au 37ème régiment d’infanterie le 1er février 1915. Engagé volontaire en 1882, l’école militaire d’infanterie en 1887, finalement capitaine en 1899 au 145ème régiment d’infanterie. Dégagé de ses obligations militaires en 1907 et décoré de la légion d’honneur, il reprend du service en 1915. Voir sa fiche.

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Complément et détails supplémentaires de l'attaque du 11 mai. Rédigé plus tard dans un hôpital Nantais où il fut hospitalisé.

 

‘’ Charge du 224e d'infanterie à Neuville-Saint-Vaast le 11 mai 1915.’’

 

Vers quatre heures, je suis des yeux les blessés qui peuvent encore se traîner vers l’arrière toujours arrosés par les boches.

Du fait de notre position, j’aperçois soudain une compagnie déployée sur deux rangs qui s'avance vers nous. Le colonel en tête, sabre au côté et en gants blancs marche tranquillement devant ses hommes alignés comme pour une revue. Ils ont le fusil sur l'épaule avec baïonnette au canon. Ils débouchent d'une petite crête en contre-bas et sont maintenant en pleine vue des boches.

Les malheureux ! De la façon dont ils s'avancent, je juge qu'un drame épouvantable va se produire.

 

Je leur crie de toutes mes forces qu'ils courent un grand danger. Hélas mes cris se perdent dans les explosions des marmites. Pendant ce temps, les marmites découvrant ces nouvelles cibles écrasent de leurs feux cette vaillante phalange qui inconscience ou bravoure s'avance toujours. Les files s'écrasent une contre l'autre. Les hommes sont fauchés comme fétus de paille. Une rafale de 130 fusant éclate au-dessus d'eux et fait un vide terrible…

Pourtant ils avancent toujours …. Colonel toujours en tête …

 

Je ne peux m’empêcher de crier mon admiration pour ce spectacle (- que le mot soit bien compris -) digne des grands peintres de l'épopée napoléonienne …

Les premiers hommes du 224e s'engagent entre nous et les boches. Je leur fais signe de venir à nous car ils sont tirés de flanc et pas un ne va en réchapper. Je ne suis pas compris ou entendu, car ces malheureux continuent. Une violente fusillade en abat les trois quart. Les survivants se rabattent enfin sur nous, presque tous sont touchés avant de trouver l'abri de notre tranchée. Un maître d’hôtel de Paris vient à tomber près de moi. Un peu plus et il s'embrochait sur ma baïonnette. Le petit cri plaintif qu'il pousse me fait penser (cruelle illusion) à un lapin qu'on saigne.

A peu de distance, un adjudant est grièvement blessé, il nous demande de l'aide. Deux survivants du 224e sont à mes côtés et cherchent de la ficelle dans leur sac pour lui jeter et le tirer à nous … La ficelle est jetée, mais hélas elle est trop courte ….il ne peut l'attraper.... A ce moment je remarque un homme à côté de nous affligé d'une horrible blessure à la tête. Sa capote et sa veste sont ouvertes pour se donner de l'air. Je remarque qu'il porte une ceinture bleue de flanelle. J'en fais part à mes compagnons d'occasion et nous lui enlevons en un tour de main. Nous sommes outillés, le tout est de pouvoir s'en servir. A voir les nombreuses balles qui sifflent à nos oreilles, nous sommes surveillés et les boches épient le moindre mouvement.

L'adjudant est toujours là, faisant le mort, car quiconque bouge est assuré de recevoir une balle. Nous lui faisons part de notre désir de lui envoyer une ceinture et de le tirer vers nous. Nous la lui lançons et il parvient à s'en emparer. A genoux tous les trois dans notre tranchée de 20cm nous nous agrippons et d'une bonne détente l'avançons sur notre talus. Malheureusement au cours de cette opération les boches ont repéré notre action et il est touché d'une nouvelle balle dans le flanc. C'est un miracle que nous n'ayons pas été touchés car pour le tirer à nous il nous a fallu sortir le buste au milieu des balles. Le malheureux vomit le sang, ses yeux deviennent vitreux, sa chemise est teintée de rouge à trois ou quatre endroits. A la brume ses hommes l'emportent et me laisse en remerciement son équipement dont ce petit livre qui me servira à noter mes campagnes.

 

Rajout supplémentaire. Rédigé de longues années plus tard.

 

« Cet adjudant Numa, qui m’a donné son carnet, avait commencé à écrire une page au crayon. Elle décrivait la bravoure d'un sergent nommé Chammerond du 224e. J'ignore si cet adjudant a survécu à ses graves blessures. Il ne figure pas dans les morts officiels de 14-18. Son régiment fut formé au dépôt de Bernay en Normandie. »

 

Paul VÉRIOT se trompe : Il a fait des recherche sur l’adjudant ‘’ NUMA Vincent ’’ est en vérité l’adjudant ‘’ VINCENT Numa Victor ’’.

Numa Martin Benjamin Bayle VINCENT a eu un parcours militaire vraiment atypique ! C’est un militaire de carrière. Engagé à 18 ans, caporal puis sergent et adjudant en septembre 1914, il sera donc blessé par balle durant cette journée du 11 mai 1915 au genou. Rétabli, il sera intégré dans plusieurs régiments, puis à l’armée du Levant et sera déclaré ‘’ disparu ‘’ puis ‘’ mort pour la France ‘’ ‘durant des combats en Syrie en 1921. Voir sa fiche matriculaire.

 

12 mai

Sommes toujours au même emplacement avec obus, victimes et souffrances !

Dans la nuit j'ai réussi à ramper près des cadavres à la recherche de miettes de nourriture resté dans leur sac. Nous sommes dans un extrême état de faiblesse, fatigués après ses nuits sans sommeil, au bout du rouleau …

 

Le soir, nous touchons enfin un demi-bidon d'eau pour quatre, mais pas de nourriture. On retourne à nos betteraves, enfin à 4 h du matin une corvée nous ramène quelques boites de singe et une boule de pain. Nous nous jetons comme des vautours sur cette nourriture providentielle.

13 mai

Enfin la relève tant espéré arrive par une compagnie du 26e à 6h du matin. Notre soulagement de sortir vivant de ce trou est intense, à notre retour les boches nous arrosent copieusement.

Nous sommes mis en réserve à Maison Blanche. Les obus y arrivent encore vu les nombreux cratères qui parsèment le coin. Lors de l’arrêt Verrier et moi nous affalons dans un trou sans même enlever notre sac. Mais ce lieu m’inquiète car il est situé au carrefour de 2 boyaux.

Curieux de nature j'allume mon briquet pour inspecter l’endroit. Je m’aperçois que notre trou est tout récent, l'odeur caractéristique de poudre est encore présente. Pour moi, les choses sont claires, il faut partir et vite, car le coin est repéré.

 

Je réveille Verrier et lui fait part de mes intentions de changer de coin. Pour toute réponse … un grognement rageur … visiblement il n'est pas convaincu.

Je cherche ailleurs un boyau pour me coucher mais les meilleures places sont déjà prises par les plus débrouillards. Ma place précédente est de suite occupée, force est de me reposer assis. Je commence à peine à m’endormir, que Verrier constatant mon absence arrive et grogne de plus.

Assis inconfortablement sur nos sacs et dormant depuis 10mn, un éclatement tout proche nous réveille en sursaut. Mon intuition était bonne, je vais voir ce qui s'était passé, un obus est arrivé en plein dans notre ancien trou. Nos camarades, Schneider de Nancy (*) est déchiqueté, Sénécal si grièvement blessé qu'il décédera avant d'arriver au poste de secours. (**)

Le jour venu notre chance paraît encore plus incroyable, partout des monceaux de chair, du sang …

Devant ce spectacle Verrier éclate en sanglots et me remercie en me congratulant !

 

(*) : Martin Frédéric Eugène Marcel SCHNEIDER, 23 ans, mort pour la France le 9 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Il est bien du recrutement de Nancy. Voir sa fiche.

(**) : Henri Raoul SÉNÉCAL, 23 ans, mort pour la France le 11 mai 1915 à Neuville-Saint-Vaast. Voir sa fiche.

Les dates de décès ne correspondent pas aux fiches officielles de décès. Cela peut se comprendre, les corps étant certainement restés sur place, l’enregistrement des tués demandant des témoins, et il devait plus avoir beaucoup de témoins…

14 mai

A 3 h du matin nous reculons un peu car le bombardement est toujours intense. Nous marchons malheureusement sur des cadavres horriblement mutilés qui sentent déjà très forts. Somment vraiment peu de choses sur terre !

Dans un boyau près de la Targette je fais fonction de caporal.

Il nous manque après ces journées 6 sergents, 3 officiers et une quarantaine d’hommes.

15 mai

Nous avons creusé des trous pour nous abriter, dormons sous la pluie.

A midi, sac au dos, une attaque est prévue sur Neuville, le fortin et le moulin. Ma compagnie en fait partie, rude journée en perspective !

 

Nous sortons des boyaux à 4h, tout de suite plusieurs hommes sont tués. Nous nous abritons alors dans le Chemin Creux. Notre lieutenant Goin nous recommande de ne pas faire de bonds de plus de 20 pas. Le talus est escaladé, à l'assaut !

Les mitrailleuses ennemies sont en éveils et déclenchent aussitôt un feu nourri. Il faut vite se coucher et ramper, les balles fauchent l'herbe devant nous. Une d’elle arrive dans ma musette, mais ne me blesse pas, je la garderai en souvenir.

De nombreux camarades sont touchés, l'artillerie se met alors de la partie et règle ses grosses pièces sur nous. Bientôt une avalanche de feu nous entoure le cri des blesses, le râle des mourants ! Des 210 font sauter les corps et enterrent les vivants, l'odeur de poudre est omniprésente, c'est l'enfer !

Impossible de progresser, notre lieutenant Goin crie ;

« En avant ! »

3 balles l'étendent à jamais dans l'herbe.

 

Une compagnie du 79éme à notre droite est obligée de reculer, nous voyons distinctement les leurs sauter en l'air sous les obus. On s’attend à mourir d'un instant à l’autre, chaque rafale passée est un moment de vie gagnée. Nous sommes totalement impuissants devant des événements pareils. L'obscurité tant espéré arrive enfin et nous pouvons enfin nous réfugier derrière notre talus protecteur.

On se compte, 44 présents sur 137 deux heures avant, pas besoin de commentaires....

Nous passons donc la nuit sur notre talus, sans manger ni boire, impossible d'aller au ravitaillement.

16 mai

Dès le lever du jour les tirs reprennent. 160, 210 à profusion et une autre journée infernale commence.

Sur les coups de 6h du soir repartons dans le boyau près de la Targette. Ils sont pleins de cadavres des derniers jours. Enfin nous sommes ravitaillés à 2h du matin, 27 hommes arrivent en renfort à la compagnie qui sont pour le presbytère. Les boches le connaissent bien pour l'avoir occupé avant nous. Ils savent les murs solides, nous aurons maintes fois la preuve de leur résistance.

 

Une ombre s'avance vers nous, c'est l'adjudant de bataillon qui vient s’enquérir des hommes de corvée. Il nous emmène vers un dépôt de sac de terre et nous en distribue dix. Il nous donne comme objectif des instructions si rudimentaires que nous sommes obligés de prendre des initiatives. Le petit bleu a très peur, il est là depuis seulement 4 jours et comme début, il est gâté. Il tremble comme une feuille et me demande où je vais l’emmener. Je lui montre les sacs, lui dit de les remplir, on verra la suite. Le bombardement est toujours intense, plus d'une fois nous devons abandonner notre tâche pour nous abriter. Enfin nos sacs sont plein, je dis au petit de m'attendre car je dois repérer le lieu ou porter nos sacs.

 

Comme des bruits sourds se font entendre tout près, je m'y rends. Ce sont des sapeurs du génie qui font des boyaux sous les fondations, pour relier les maisons entre elles. Je m'enquiers auprès d'eux de l'endroit ou déposer nos sacs (ici une observation, on envoie 2 hommes faire un barrage urgent, sans directives, ni gradés pour vous accompagner).

Le sapeur auquel je m’adresse, tout d’abord, ne me réponds pas. Devant mon insistance il finit par me désigner un carrefour ou aboutit la rue en question. Il ajoute que pour placer mes sacs, il me faudra ramper sur une dizaine de mètres, car les boches occupent les fenêtres surplombant la rue. Comme conclusion il m'avoue que tous ceux qui ont essayé ne sont pas revenus. Ensuite tranquillement il se remet à piocher.

Je m'en retourne muni de ces précieux et encourageants renseignements.

 

Anxieux entre le devoir à accomplir et l'effroyable danger qui nous guette ….. Il nous faut choisir …. ( il nous étais facile de rentrer sans avoir accompli notre mission, car personne ne serait venu vérifier si nos sacs étaient en place).

Mais ma raison me dicte mon devoir d'autant plus qu'il est volontaire. Je vais voir mon petit bleu ….que je ne retrouve plus ….J’appelle, enfin il revient, courbé, tremblant et me dit qu'il a failli être tué. Nous prenons chacun un sac sur nos épaules et nous dirigeons vers le carrefour.

Après plusieurs voyages nos sacs sont à pieds d’œuvre. Mais il faut les placer.!

 

 

Paul VIRIOT du 37e régiment d’infanterie place ses sacs dans Neuville-Saint-Vaast…

 

 

Le clair de lune est magnifique, retenant notre respiration, nous entendons les boches jargonner tout près. Je risque un regard sur la ruelle, et aussitôt une sueur froide perle à mon front. Six hommes sont étendus morts, leurs sacs devant eux. Nous ne sommes pas les premiers !

Un frisson bien naturel nous agite et restons cloués sur place, sans savoir quelle attitude adoptée … Le petit bleu à voix basse me supplie de ne pas tenter l'aventure et se remet à pleurer …. Que faire ? La fuite ? Elle est facile … Mais le devoir ?

Cruel dilemme qui nous place entre l'ordre à obéir et la mort !

C'en est fait ! Ma décision est prise. Résigné je me couche, un sac devant moi pour me protéger des balles qui risquent de pleuvoir … Il est entendu que le petit m'avancera les sacs à mi-parcours et je les placerai.

 

A ce moment la providence veille, un nuage opaque vient masquer le clair de lune. S’ils n'y avaient pas ces maudites fusées, la nuit serait presque complète. J'avance lentement retenant ma respiration, la sueur me coule le long du dos. Mon cœur bat tellement fort que j'ai peur qu'il ne me trahisse aux allemands tout proche

Je parviens aux premiers cadavres et fait le mort parmi eux. J'arrive enfin au barrage qui n'existe qu'a l'état d'embryon et place mon sac (7ou 8 sont déjà en place) Les boches continuent à causer et vue l'heure avancée, la surveillance s'est un peu relâchée.

Lentement je recule 0m50 la minute, je retrouve mon petit et vais placer le deuxième sac. Six sont ainsi placé en presque 2 h, j'ai totalement perdu la notion de temps et suis éreinté, fourbu, brisé..... Il m'en reste 4 mais je me demande si je pourrai aller au bout tant je suis exténué …

A ce moment le nuage protecteur s'efface et fait place à un merveilleux clair de lune. Je reviens au coin de la rue pour reprendre mon souffle.

 

Après un quart d'heure de repos, j'annonce au bleu qu'il reste 4 sacs à porter et qu'il est urgent de finir la besogne si on ne veut pas finir la nuit dans ce coin sinistre. Je recommence à ramper, mais sois je fais trop de bruit, soit les boches m'ont repéré. Je suis éventé et les balles commencent à siffler clac clac …. En une seconde je lâche mon sac et tel un ressort je fais demi-tour. Heureusement que je n'étais pas trop avancé ou j'y laissai ma peau. J'aurais fini avec ces malheureux tués pour quelques sacs de terre.

Croyant à une attaque de notre part, un mouvement se fait entendre dans la ruelle. Les boches sortent et se dirigent vers le carrefour. En trois sauts nous traversons la route et nous jetons dans un trou d'obus dans le verger en face. De notre trou nous les voyons s'avancer prudemment au coin de la rue, ils sont cinq. Ils montrent juste le bout du nez pour voir ce qu'il en est. Ne voyant rien d’insolite, ils font demi-tour, contents de s'en tirer à bon compte. J'aurai eu mon fusil à ce moment, quel beau carton j'aurai fait à cette courte distance. Mais j'ai laissé mon Lebel dans la cave pour ne pas m’encombrer.

 

Après cette chaude alerte plus question de continuer, les boches sont sur leurs gardes. Il nous faut rentrer avec la satisfaction d'avoir placé 6 sacs et d'être rentré vivant. Pour repartir, nous suivons un boyau à moitié comblé par les torpilles, il est interminable et nous ramènes à notre point de départ.

Nous sommes perdus.

Heureusement des fusées françaises sont tirées non loin de là et nous nous dirigeons vers elles. Des camarades de la 2éme compagnie nous signalent que nous nous dirigeons droit sur les boches. Après examen de la situation nous décidons de refaire le chemin inverse. La rue que nous avons pris avec nos sacs est-elle sure ?

Sautant d'un trou à l'autre nous l’abordons, rien de suspect, nous dévalons alors en quatrième vitesse

 

Le jour commence à poindre lorsque nous regagnons notre cave. Le sergent nous croyait mort et l'agent de liaison revenu chercher d'autres volontaires. On lui avait signalé que ses deux soldats étaient portés disparus.

Si après ses événements mémorables, nous avions eus un bon lit, une soupe chaude, des vêtements propres et un calme relatif. Nous aurions recommencé tous les jours !

Mais hélas, comme lit : une cave obscure sentant le cadavre et la poudre. Comme soupe : poussière et fumée et comme calme : un bombardement continue.

Cependant il était écrit que cette journée ne serait pas comme les autres. Une torpille mieux ajustée, et notre maison s'écroulerait et nous enterrerais vivants.

21 mai

La journée la plus terrible au fond de notre cave, continuellement les obus nous arrivent dessus. Chaque explosion voit notre hantise d’être enterrés vivants, nous sommes dans le noir complet, toute lumière est aussitôt soufflée.

Un obus tombe près de la lucarne, son souffle nous renverse tous. Les petits bleus sont paniqués et veulent sortir, nous avons toutes les peines du monde à les retenir.

 

Soudain vers 16 h, notre boite s'écroule comme un château de carte. En entendant cet écroulement, je pense, cette fois mon compte est bon …

Mais la cave est solide, elle a bien résisté, mais nous sommes emmurés et prisonnier des décombres...Une seule chose à faire déblayer et vite …L'escalier est rempli de matériaux divers, poutres, pierres et objets divers.

Nous sommes hagards, la respiration difficile, rapport à la poussière et au manque d'air.

 

Après 2 h d'effort, le jour apparaît enfin, l'étendue des dégâts aussi...Plus de maison …Un tas de décombres fumant et la certitude que nous l'avions encore une fois échappé belle …

22 mai

Voici 15 jours que nous sommes partis, avons mangé 5 ou 6 fois, picorant de droite et de gauche. Nous sommes méconnaissable, dégoûtants, couverts de poudre, sueurs, poussière, boue, plâtre, bref à faire peur …De plus j'ai un frayon terrible. (*)

 

A 16 h, je pars avec le sergent Gray, il nous faut souvent nous abriter en route. Maroeuil, nous voit arriver esquintés, hâves, fourbus et hébétés après ces quinze jours d'agonie. Je suis évacué et bien content de fuir ces lieux maudits. Je vais enfin pouvoir me reposer et changer de linge (**).

 

Pendant 5 jours je me repose à Hermaville et je soigne mon frayon. Le canon tonne toujours à Neuville, bientôt je demande à partir pour rejoindre mes camarades en repos à Tilloy.

 

(*) : Extrémité des entrailles (chez les bêtes d'abattoir). Comme ce mot désigne aussi une irritation/inflammation de l’intérieur des cuisses, du fessier et/ou de certaines zones sensibles, notamment chez les cavaliers, je pense que pour lui, il doit plutôt s’agir de cela.

(**) : Du 27 mai au 4 juin, le régiment est au repos à Tilloy. Le JMO fait le décompte des pertes du 9 au 27 mai 1915 : 29 officiers et 1049 hommes tués, blessés et disparus.

Début juin

Revue d'armes, lavage des effets personnels, marche militaire et grand nettoyage. Nous voyons passer 150 prisonniers boches, le lendemain 400, puis encore 2 détachements le 3 juin.

5 juin

Le matin, touchons 250 cartouches, départ pour les tranchées à 18 h. Le temps est orageux et sommes chargés comme des mulets, la sueur nous inonde.

6 juin

Bombardement intense par de grosses pièces d'artillerie, des éclats énormes volent au-dessus de nos têtes. Un sergent de la territoriale est tué à côté de nous.

Vers 18 h, faisons des boyaux près de la Targette, les nombreux shrapnels qui balaient la route nous obligent à rester tapis au fond du boyau.

Rentrons à 3h du matin

7 juin

Chaleur épouvantable, on cuit dans nos trous. Rentrons à 3h pour manger froid, fayots, viande et jus. C'est dégoûtant, un repas par 24h, à ce rythme on finira par engraisser

8 juin

Bombardement épouvantable, impossible de fermer l’œil, la chaleur toujours étouffante, le soir travaillons prés de Neuville. Deux obus éclatent a moins de 2 mètres, des 88 autrichiens, sommes couverts de terre et de matières phosphorescentes. Rentrons à une heure du matin, mon caporal Voisin est blessé en rentrant de corvée d'eau.

9 juin

Toute la nuit vacarme infernal, la terre est en feu, la journée sera pareille, un incendie gigantesque s'est développé. Comme si cela ne suffisait pas, un orage éclate, très violent qui ajoute encore à la confusion. Par contre la pluie nous fait du bien, de plus elle nous procure une eau abondante que nous buvons avidement.

10 juin

Toujours le canon.

Ce matin visite pour mon frayon, le major me rassure et me dit que tout va bien. Verrier mon grand copain est évacué, c'est un rescapé du 9 mai et il me laisse bien seul.

Toute la journée canonnade sans interruption.

Le soir au travail, les balles sont si nombreuses qu'on est sans arrêt obligé de se coucher dans le boyau. Le drame est qu’après cet orage, la terre est gorgée d'eau, nous rentrons à 2h du matin couvert de boue des pieds à la tête

11 juin

Toute la nuit et la journée, ce canon qui n’arrête pas. Cela ne finira donc jamais, sommes-nous condamnés aux obus à perpétuité ?

Ce matin en revenant des cabinets, une marmite éclate à proximité de la route. J'entends siffler les éclats, je me baisse, il était temps, un morceau d'un kilo s’écrase sur un madrier à ma gauche. Ses débris me rasent la tête, mais un morceau vient me frapper violemment le bout du pied.

Je me crois blessé, car le choc est brutal et j'ai beaucoup de peine à marcher. Finalement ce ne sera qu'une grosse ecchymose sur les doigts de pied. La chaleur a nettement baissée, une petite pluie fine nous rafraîchit, le soir serons au repos

12 juin

Temps toujours couvert, l'artillerie continue son martelage.

Vers 4h quittons notre emplacement pour occuper prés de Neuville, une tranchée en vue de la prochaine attaque. A peine arrivé un shrapnel blessé Gentil juste devant moi.

Nous travaillons dans le boyau toute la nuit. Impossible de faire des abris dans la tranchée, car la terre est trop meuble. La 7éme compagnie a eu un lieutenant et 8 hommes ensevelis la veille. On dort donc assis en plein air, d'autres restent carrément debout.

13 juin

Toujours ces obus qui sifflent sans interruption au-dessus de notre tranchée.

Dans l’après-midi, 4 ou 5 explosent dans le chemin qui nous sert de tranchée. Heureusement que nous sommes bien aplatis contre le talus. Le soir ravitaillement à Maroeuil, les canons boches ne cessent de tirer sur Écurie et nos boyaux. Le passage est très délicat pour gagner nos emplacements

En revenant j'apprends que 3 nancéiens viennent d’être tués. Ce sont le caporal LagRANGE, Vaisse et Mazoyer, Louis et Charles sont blessés. C'est affreux car j'aurais dus être à leur place. (*)

En effet dans ce Chemin Creux, impossible de creuser un abri, la terre est trop friable et s'effondre lorsqu’explose un obus. Passer une journée comme ça n'est pas des plus avantageux mais il faut s'y soumettre.

 

Vers 10h du soir, au moment où la compagnie va partir en travaux, on appelle les hommes pour la corvée de soupe. D'habitude il y a de nombreux volontaires, c'est l'occasion de quitter la tranchée et la perspective d'une ration supplémentaire qui les incitent à se présenter. Cette fois ci, personne ! Probablement par ce que nos batteries préparent l'attaque et que les boches répondent furieusement.

Le fourrier s'impatiente de ne pas trouver ses volontaires habituels. Je ne sais pourquoi, un pressentiment peut être, me pousse à faire cette corvée. Le fourrier en est tout étonné car c'est ma première fois. Nous partons et non sans mal nous parvenons aux cuisines. Le retour est aussi difficile vu le bombardement, ce n'est qu'à 2h du matin que nous regagnons notre Chemin Creux au moment où la compagnie rentre de ses travaux.

Ma section rentre la première. Les premiers camarades qui m’aperçoivent, me disent que j'ai eu un sacré nez de partir en corvée, sans quoi j'étais faisandé …

Comme zonard je suivais toujours le caporal, prêt à le remplacer en cas de malheur. Ce jour-là, le seul depuis huit jours où j'étais absent. Un obus de gros calibre explose sur la section. Vaisse qui avait pris ma place est tué, ainsi que 5 camarades, joli tableau et pour moi un petit miracle de plus …L'intuition d'un malheur m'avait décidé à faire cette corvée de soupe ….

Et ce bizarre pressentiment, une fois de plus m'avait sauvé la vie !!!

 

(*) :

Pierre François LAGRANGE, 23 ans, mort pour la France le 13 juin 1915 à Neuville-Saint-Vaast (62). Voir sa fiche.

Lucien Émile VAISSE, 27 ans, mort pour la France le 13 juin 1915 à Neuville-Saint-Vaast (62). Voir sa fiche.

Julien MAZOYET, 18 ans, mort pour la France le 13 juin 1915 à Neuville-Saint-Vaast (62). Voir sa fiche.

14 juin

Matinée relativement calme, mais l’après-midi les tirs recommencent. Ils arrivent en plein sur notre talus, Belleville est blessé à la tête, 2 hommes de la 4ème section sont tués.

 

Vers 4h, je vois Camu mon ami, il me dit qu'ayant entendu parler que 2 vaguemestres étaient recherchés, il avait proposé mon nom pour le poste.

Une hâte fébrile règne sur le bataillon, nous attaquons demain matin, ma compagnie en tête. Nous recevons une ample distribution de grenades, cartouches et fusées. Nous rangeons le tout, à 20h nous allons prendre place dans les loges qui nous sont réservées en premières lignes à l'ouest du village.

Mon sac est monté, ma musette garnie et les cartouchières pleines. Je songe avec inquiétude à ce nouveau combat qui va se dérouler demain ….Avachi par tant de privations et d’émotions éprouvées depuis un mois. Je suis assis la tête entre les jambes, immobile et perdu dans mes pensées ….Tel un condamné à mort qui vient d'apprendre que sa sentence sera exécuté le lendemain...

Quelles est terrible cette appréhension ! Toute une nuit à ruminer ….Le criminel, lui n'est prévenu qu'une heure avant !!

Mais qu'avons-nous fait pour mériter une chose pareille !!

Quelles fautes devons-nous expier en ce bas monde !

Pauvres petits rien, perdus au milieu de si grandes choses qui déferlent sur nous de tout côté. Nous sommes broyés, cisaillés, pantelants et sanguinolents au milieu de la mitraille. Abandonné à nous même, sans secours ni consolation …

Comme prière les bruits de la bataille qui vous chantent un Miséréré d'occasion !!

 

Une tape sur l'épaule me ramène aux réalités. Camu l'ordonnance du colonel que j'ai connu à mes débuts de conducteur me signale que l'adjudant vaguemestre cherche 2 hommes supplémentaires pour le service en ligne. Il m'a désigné au capitaine adjudant-major comme capable d'assumer le poste. Je suis ahuri d'une telle proposition, voire perplexe. Il est impossible qu'on relève 2 hommes juste avant une attaque importante....demain … peut-être...Je le remercie chaleureusement de ce geste à mon égard et lui dit au revoir. Les heures passent, pesantes, angoissantes …huit heures moins dix …toujours pas de nouvelles.

 

L'officier arrive, s'assure que tout le monde a son barda au complet et commande sac au dos pour le départ. Je suis en train de boucler mon sac, désespérant a jamais de l'aubaine entrevue. Les premiers hommes s'ébranlent, lorsque le fourrier de la compagnie arrive comme un fou et demande des renseignements un peu plus loin. Soudain il se rapproche, m'appelle et m'ordonne de partir vers Maroeuil à la disposition de l'adjudant vaguemestre. Rivé sur place à cette annonce, je ne peux articuler un mot pour le remercier … Mes camarades me serrent les mains et me traitent de veinard …Voisin, mon caporal a les larmes aux yeux ….

Je me sens coupable et lâche vis à vis d'eux ….

 

Vite je m'échappe, car un contre ordre est si vite arrivé …

J'enjambe le boyau et cours comme un fou sans penser au danger qui m'entoure. Je traverse les batteries sans m’arrêter et coupe tout droit en direction de Maroeuil. J'y arrive en nage à 23 h et cours voir mes cuistots. Tout est endormi chez nos marmitons, avisant un cul de four je m'y engage. La fatigue et la joie font que je m'endors aussitôt.

De bonne heure, suis réveillé par un va et vient continue. Oh stupeur je suis entouré par plus de 150 rats, reculant pour sortir, ces bêtes infâmes me passent sur le corps ….

J'aurais pu être dévoré dans mon sommeil, échappé aux boches et finir bouffé par les rats, drôle de destinée. Les cuisiniers rient à gorge déployée, ils m'expliquent qu'ils jettent là leur détritus, ce qui attirent tous les rats du coin …

 

A midi je suis avec les vaguemestres, au retour de l'un d'eux en soirée, j'apprends que ma compagnie est anéantie …. Lieutenants, sergents, caporaux, soldats ….Tous morts ….

Les boches les attendaient derrière leurs barbelés intacts, ils les ont laissés s'approcher, puis mitraillés à bout portant ….Une hécatombe... (*)

Ceux qui se jetaient dans les trous d'obus étaient assaillis de grenades ….Un vrai massacre …

D'ailleurs Baraban de Bouxières-aux-Chênes qui est conducteur a écrit chez lui, disant que j'étais mort. Je pense honnêtement avoir eu une sacré veine, malheureusement mes camarades n'ont pas eus cette chance. Je n'ai jamais revu, ayant fait presque 3 ans au 37éme de survivants de cette funeste journée.

Un seul rescapé, la main droite coupée par une balle dès le début de l'attaque en est revenu. Il s'est jeté dans un trou, y est resté pendant 12 h sans bouger et m'a certifié que pas un n'en était sorti vivant.

 

(*) : Confirmé par le JMO mais l’attaque a eu lieu le 16 juin et non le 14 (selon MdH, seulement 2 tués au 37e RI le 14 juin mais 247 le 16 juin). Son caporal VOISIN semble avoir échappé au massacre.

15 juin

Je vais voir le vaguemestre et pars en voiture à Hautes-Avesnes ou je dors comme un loir. Les derniers évènements me reviennent sans cesse et je n'en reviens toujours pas de ma chance.

16 au 20 juin

J'entre en fonction pour le tri du courrier. Vers Neuville, le canon fait rage, ce sont les nôtres qui attaquent.

20 juin

Le régiment revient au repos.

À mon ancienne compagnie, plus personnes. Je reste seul rescapé des combats du 9 mai, c'est horrible. J'ai un sentiment de culpabilité vis à vis de mes camarades disparus, je n’arrête pas d'y penser …

27 juin

Le régiment réoccupe les tranchées de Neuville. Je porte le courrier au médecin-major, puis au lieutenant Clement des transmissions et de la musique. Ils se trouvent à la côte 84 entre Maroeuil et Neuville.

De là, je continue au colonel Michel qui est stationné dans le Chemin Creux. Le trajet est dangereux car constamment arrosé par l'artillerie. Il faut vraiment être à la coule du métier pour franchir les passages dangereux. Surtout en quittant la côte 84 pour passer derrière les batteries de 75 qui sont constamment prises pour cible. Plusieurs fois je dois courir pour passer entre les gouttes des rafales de 210 et de 305

28 et 29 juin

Suis particulièrement sonné à l'aller comme au retour, reviens quand même sans bobo

Aujourd'hui je ne peux utiliser le boyau de la veille, tant il est zingué. Je reviens donc par le profond val, mais pas de chance il est arrosé aussi. Plusieurs obus éclatent à 20 mètres, en arrivant à la côte 84, d'énormes marmites y tombent. Je me demande comment passer, je baisse la tête et fonce.

En arrivant au bout du boyau, je tombe sur un étrange spectacle. Un 210 vient d'arriver en plein sur l'abri de deux territoriaux qui jouaient aux cartes. Le premier est pulvérisé, le second pas une égratignure …

J'arrive juste pour voir ramasser les morceaux, il est décapité net, une jambe sectionnée et un bras arraché. Son copain est hébété et très choqué. Je continue ma route et retourne à Maroeuil sous les obus.

30 juin

Temps abominable, les boyaux sont gorgés d'eau. Pour porter le courrier au colonel, j'ai de l'eau jusqu'aux genoux, la progression est pénible. Le poste duc est sévèrement arrosé et je suis obligé de m'abriter dans un poste téléphonique. En revenant il me faut prendre le pas de gymnastique. Entre l'aller et le retour de nombreux trous d'obus supplémentaires, preuve que les obus n’arrêtent pas. Encore une fois je passe sans encombre.

1er et 2 juillet

Encore plus difficile que les autres jours, n'arrive chez le Colonel qu'à 18 h. J'ai dû faire de nombreuses pauses dans différents abris.

Le lendemain, journée plus calme, on s'abrite et on attend que ça passe. Heureusement le régiment part au repos en autobus à Ivergny.

11 juillet

Voici plusieurs jours que je ne me sens pas bien, mes jambes sont enflées et le moindre effort me fatigue. Je vais à la visite, le major diagnostique de l'albumine et m'évacue à l'ambulance.

Arrivée vers 10h, je reçois un quart de lait et c'est tout. Le soir pareil, je meurs de faim. Le major vient confirmer la présence d'albumine dans mes urines, les autres malades envient mon sort.

12 et 13 juillet

Je vais être évacué, à midi, un demi litre de lait, et départ en auto pour Doullens, distant de 7km.

A l’hôpital d’évacuation, de nouvelles analyses confirment la présence d'albumine. Le soir nous sommes une cinquantaine à visiter le musée puis nous passons la nuit dans les caves.

Embarquons a la gare et quittons le front, sommes très heureux et soulagés. Avons une pensée pour tous les camarades restés en ligne. En gare de Frévent, nous complétons le train sanitaire chargés de blessés et de malades

14 juillet

On ne pouvait rêver meilleure date pour arriver à Paris. Des dames charitables nous offrent toutes sortes de friandises. Le contraste avec le front est saisissant ….

Après un an de campagne, on est comme hébété de revoir la vie civile. La vraie vie d'avant-guerre, comme si rien ne s'était passé. Les gens sortent, rient, vont au restaurant.

Un autre monde quoi !!

 

Puis nous passons par Orléans, Tours, Anger, Blois, Nantes et Fontenay-le-Vicomte en Vendée où nous arrivons le 15 à 3 h de l’après-midi.

Nouvelle analyse, la fatigue du voyage a aggravé mon état, il faut me porter au lit. Je passe 2 mois au régime avec du lait tous les jours.

 

Le 20 septembre, on m'envoie à Nantes pour 4 mois avant de me réformer temporairement. Je rentre au pays le 15 janvier 1916 après 17 mois et demi d'absence.

 

La guerre devait me reprendre ensuite.

le 8 août 1916, je me retrouvais à Maurepas dans la Somme. J'aurais aimé vous décrire cette bataille, mais dans l'action, j'ai perdu mon carnet de route. En résumé, partant à l'attaque, un obus éclate devant moi et me fiche un coup si violent que je crois en être perforé. Le choc est si violent que l'éclat brise ma boite de masque à gaz ; arrache ma cartouchière, sectionne des balles de cuivre, traverse ma capote, ma veste et réduit en poussière une petite glace de poche pour s’arrêter enfin dans la doublure de ma tunique...Un petit peu plus à droite de 2 cm, je ne serai plus là à vous raconter

Toujours cette providence qui veille sur ma vie. Elle devait me sauver une dernière fois dans ma bonne Lorraine à quelques kilomètres de chez moi.

Pompey Lorraine 1917

Qui ne se rappelle en Lorraine, les bombardements par avions et grosses pièces d'artillerie à longues portées. Pompey peut se classer sans crainte parmi les villes martyres, et Dieu seul sait ce qui est tombé dans les 2 mois que nous y avons passé. Par une froide matinée de janvier vers les 8h, un sifflement aigu, suivi d'une explosion se fait entendre en direction des ponts. Ce premier obus sera suivi de 101 autres coups tirés ce jour-là sur Pompey.

Tout d'abord cela ne m'inquiète pas, je ne dois franchir le pont qu'a dix heures, la sérénade sera sûrement finie. A dix heures moins le quart, j'attelle, mais les obus tombent toujours. L'adjudant me dit de patienter afin de ne pas m'exposer inutilement.

 

Dix heures sonnent et le bombardement continue toujours, je m'énerve car ma tournée est longue. Je dois aller à Jeandelaincourt, d'habitude je ne rentre qu'à 22h, si je pars trop tard à quelle heure vais-je rentrer ?

Coûte que coûte je décide de partir quand même, je passerai entre 2 rafales...J'annonce ma décision a L'adjudant et lui demande un sous-officier pour m'accompagner à la sortie de Pompey en cas de malheur.

Allons ! En route...d'un vigoureux coup de fouet, je lance mon cheval vers le pont de chemin de fer. Pour cacher ma peur, je plaisante avec le sous-off, le bruit de ma voiture étouffe les bruits suspects. Encore trente mètres et nous sommes sauvés.

 

Soudain une explosion formidable nous renverse brutalement dans le fond de la voiture !

J'ai très mal la tête, ayant reçu un choc près de l’oreille. Mon plus grand souci est de me dépêtrer de tous les arceaux et de la bâche qui pendent lamentablement. Ensuite maîtriser et calmer mon cheval qui rue, cherche à se dételer et s’emballe. Ces détails régler nous ne nous éternisons pas car le coin est vraiment malsain. Nous filons le long de l’usine, des trous récents signalent que la route est dangereuse. Encore cent mètres de trot, et nous voici sur la route de Custines, où nous faisons halte pour constater les dégâts. La tension est retombée, nous nous regardons en chien de faïence sans pouvoir articuler un mot.

Le sergent n'a rien car l'obus est tombé à ma droite, le souffle m'a renversé sur lui et il en est quitte pour une bonne culbute...Pour moi, ma chance est que ayant pris la précaution de m'envelopper dans des couvertures, cela m'a protégé. Quant à la voiture, elle est dans un état misérable, avec des saules et de la ficelle, nous la rafistolons du mieux possible. Quatre éclats l'ont traversé de part en part, dont un pratiquement à la hauteur de ma tête.

La vie tient quand même à peu de choses.

 

 

Position exacte où est tombé l’obus à Pompey. (Paul VIRIOT du 37e régiment d’infanterie)

 

 

Photo aérienne de cet endroit 3ans ½ après (01/11/1920)

 

 

 

« J'aurais aimé donné plus de détails sur les premiers événements de ce début de guerre.

J'ai respecté scrupuleusement mes notes prises au jour le jour. Dès mon arrivée à l’hôpital j'ai recopié dans ce petit livre mes trois carnets de route. Ce petit bouquin obtenu dans des circonstances tragiques, avec comme préface une belle page de gloire, méritait d’être complété, pourquoi pas un jour publié. J'aurais eu l'impression de trahir son glorieux propriétaire si j'avais développé ailleurs ces journées de souffrance.

Ces pages sont succinctes, manquent de style, mais elles sont sincères et vécues. »

 

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