Correspondance de Louis HAUVESPRE, soldat au 130e régiment d'infanterie, durant 14-18

Trois lettres de Louis HAUVESPRE

Soldat au 130ème d’infanterie

3ème bataillon, 11ème Compagnie

 

 

« J’effectue des recherches sur 2 frères de mon grand-père; le premier, Louis Hauvespre appartenait au 130è régiment d'infanterie. Il est tombé lors de la bataille de Virton le 22 aout 1914.

Je m'intéresse particulièrement à lui, car ma mère m'a confié 3 lettres écrites entre le 02 et le 16 aout 1914 et la lecture de celles-ci m'a fortement émue. Lettres qui évoquent si bien ce départ pour le front la fleur au fusil et en toute insouciance.

J’ai donc confié à Didier, (alias « le Chtimiste ») ces 3 lettres pour les publier sur son site.

Son frère Eugène, dont il parle dans ces lettres, était sergent dans le 410è. Il est mort le 17 avril 1917. »

Cécile, mars 2011

 

Merci à Cécile pour l’accord de mise en ligne des 3 lettres et à Christophe pour la recopie.

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Mayenne le 2 août 1914

Chers parents,

Ayant un petit moment ce soir j’en profite pour vous donner de mes nouvelles. Je suis toujours en bonne santé et j’espère bien qu’il en soit de même pour vous. Je pense beaucoup à vous depuis voilà quelques jours et je vois de Mayenne (*) les tracas que vous devez avoir et pourtant ce n’est pas la peine encore.

1Il faut attendre à voir, nous ne sommes pas encore morts et on y pense même pas. Je sais que vous allez être bien inquiet, et moi je ne pense pas dans la guerre, on rit, on chante, en attendant avec impatience le départ pour la frontière ; c’est vrai étant nombreux on s’encourage on en ri de la guerre nous autre et puis on ne reste pas tout.

Les balles n’atteignent pas toutes et j’ai bon espoir de vous revoir et puis on ne part que mercredi l’après midi de Mayenne. Alors ça demande encore bien huit jours avant d’aller au feu, le plus fort sera déjà fait.

Je vous assure que c’est heureux que tout est bien préparé d’avance car il y a du travail c’est incroyable.

 

Depuis 5 heures du matin jusqu’à 5 heures du soir on a travaillé tout le temps ; on ne s’est pas beaucoup aperçu que c’était Dimanche, les chevaux sont arrivés, tout est près. On a préparé l’équipement pour les réservistes qui arrivent demain et mardi.

Et toi Eugène tu seras bien aimable de m’écrire souvent car cela me fera bien plaisir de recevoir de vos nouvelles et puis tu voudras bien me dire si Jules, Pierre et Constant sont aussi appelés, car pour Albert je pense qu’il doit y être et je compte sur toi pour recevoir des nouvelles du pays le plus souvent possible tous les jours si tu veux et puis maintenant on a pas besoin d’affranchir les lettres : elles voyagent pour rien.

Faisant d’assez beau temps depuis quelques jours, vous allez être avancé dans votre récolte et vous êtes heureux d’avoir assez de mondes car ces jours ça va se dégarnir encore.

Chers parents, frères et sœurs, je vais terminer ma lettre en vous embrassant tous de grand cœur et surtout ne vous faites pas de bile pour moi, car moi je ne m’en fait pas du tout : je vais vous donner mon adresse comme il faut que vous adressiez mes lettres alors bonsoir.

 

Louis HAUVESPRE

Soldat au 130è d’infanterie

3è bataillon – 11è Compagnie

Par Mayenne

MAYENNE

 

Et puis je vous assure que je suis prêt à mourir, j’ai même été confessé hier soir, je vous l’assure.

 

(*) Il s’agit de Mayenne, dans l’Orne. Le 130e régiment était cantonné à Mayenne et à Domfront (à 30 km plus au nord)

 

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Le 7 août 1914

Chers parents, frères et sœurs,

Je suis toujours en parfaite santé. J’espère que pour vous il en soit de même. J’attends toujours de vos nouvelles avec impatience et je trouve même très drôle de ne pas en recevoir.

Je sais que les lettres ont été embrouillées un petit moment, mais j’espère en avoir reçu avant que vous ne receviez cette lettre-là. Je ne peux vous dire où je me trouve car cela est défendu de crainte que les lettres soient entreprises et cela ferait savoir notre emplacement qui doit toujours être ignoré, mais je peux vous dire que je suis loin de vous : on a marché 36 heures dans le chemin de fer, presque sans arrêter. (*)

1On y a passé deux nuits toute entières.

On a embarqué à 6 heures de Mayenne mercredi soir et on est débarqué ce matin vendredi  à 8h ½ ; tout le long de notre voyage, on a eu des acclamations et notre train était bien fleuri : partout on nous jetait des fleurs au passage, des fruits, dans certains arrêts on nous a même donné jusqu’à du lait ; où que l’on a été bien c’est en passant à Paris ; on a fait le tour, on n’est pas passé par la ville.

On a été environ deux heures à en faire un demi-tour ; de toutes parts se rendait sur notre passage des gens de toutes sortes, des enfants, des femmes, des hommes se précipitent au passage avec des fleurs, des litres de vin, des fruits, et même jusqu’à du pain. On a été pendant toute la journée d’hier à la fenêtre des wagons occupés à saluer de nos mains tous ces gens qui nous apercevaient jusqu’à 200 et 300 mètres on voyait des mouchoirs s’agiter en signe d’adieu.

Allons chers parents, je vous termine ma lettre en vous disant bonjour à tous, peut-être adieu et pourtant j’espère toujours vous revoir.

Enfin, je n’ai rien à dire je n’ai pas à me plaindre et ne me fais pas de bile jusqu’ici mais je pense plutôt à tous mes frères qui pour eux cela va même être très dur surtout Jules, Constant et Pierre, car je sais qu’ils doivent tous être appelés ; enfin je termine en vous embrassant tous de grand cœur.

Louis Hauvespre

 

(*) C’est exact, Le régiment arrive à Verdun le 7 août, en 3 fois, par voie ferrée.

 

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Dimanche 16 août 1914

Chers parents,

1Je m’empresse de faire réponse à la lettre d’Eugène que je viens de recevoir et qui m’a fait bien plaisir. Je suis heureux de vous savoir toujours en bonne santé, et tant qu’à moi il en est de même.

Je vois dans votre lettre que vous vous tracassez pour moi, mais je vous prie de ne pas vous chagriner pour 1cela car vous voyez que tout le monde n’est pas tué à la guerre.

Vous croyez peut-être que nous on se fait de la bile, mais pas du tout, on n’y pense même pas. Même dans un combat qui a été acharné par les deux premiers bataillons. Avant même le commandement des chefs, ils partaient à l’assaut sous une grêle de balles des mitrailleuses ennemies, nous autres étant en réserve en arrière, on n’a pas assisté à ce combat. (*)

HODEYER, lui qui était au deuxième bataillon y était, puis je l’ai vu les jours suivants, il n’a même pas été blessé du tout.

Je ne peux vous donner beaucoup de détails parce que c’est interdit.

Les lettres sont lues par le Capitaine.

On ne les cachète pas.

 

J’espère que tout va aller pour le mieux chez Jules car il va probablement se tracasser beaucoup de ce temps là, mais il va quand même être content d’avoir un petit gars et il va trouver le temps long en attendant le plaisir de voir sa famille ainsi que Constant.

Alors, n’ayant plus pas beaucoup de temps je vais terminer ma lettre.

Et puis toi Eugène, tu me demandes mon avis à propos de ton engagement ; cela te regarde, tu travailles pour toi, je ne veux te décourager. Comme tu as l’instruction voulue, il n’y aura que les premiers mois que tu trouveras durs car tu monteras en grade assez vite (**) et comme tu es déjà habitué à une petite discipline, tu ne trouveras pas cela si dur comme beaucoup.

Je termine en vous souhaitant à tous bien du courage, et surtout ne vous tracassez pas davantage.

Votre fils et frère qui vous aime et pense toujours à vous.

Louis Hauvespre

 

(*) : C’est exact. Le 10 août, le régiment perdit de nombreux hommes sous le feu des mitrailleuses allemandes secteur Billy-sous-Mangiennes, en attaquant à la baïonnette, devant le feu des mitrailleuses allemandes.

(**) : Eugène se fera tué le 17 avril 1917, au nord de Reims. Il était sergent, à 21 ans…Il est inhumé au cimetière militaire de Sillery (Marne)

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Louis Hauvespre est tué à Virton, le 22 août 1914. Son corps n’a pas été retrouvé.

 

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Extrait du journal de marches et opérations du 130e RI:

22 août 1914 :

« …Trois fois les nôtres refluent ; trois fois ils reviennent à la charge (…) Pris de front et de flanc, les nôtres refluent définitivement vers Virton, laissant de nombreux morts sur le terrain et des prisonniers. Le colonel est tué… »

Le régiment perd 1400 hommes durant ces heures terribles…

 

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