Carnet de guerre de Jean AVEL

 du 101ème régiment d’infanterie territorial

 

Mise à jour : août 2013

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" Je vous envoie le carnet de mon arrière-grand-père Jean Avel. Il y a quelques mots que je n'ai pu transcrire, bien que nous ayons relu à deux. Ma cousine a pris des cours de paléographie pourtant, mais ce n'est pas toujours facile de traduire la pensée d'un homme pris dans cette tourmente.

Vous pouvez donc le mettre sur votre site ainsi que les photos. "

 

" Son nom est Jean AVEL, originaire de Cébazat (63), où il est né le 6 décembre 1872. Il est de la classe 1892. Il est cultivateur, vigneron, planteur de tabac quand la guerre éclate."

" Il est marié avec Léontine Broche et a trois enfants. Alice 14 ans (ma grand-mère), Eugène 13 ans et Maurice 8 ans.

J'ai du mal à lire le début du carnet, beaucoup de doigts ont effleuré et effacé le crayon. "

 

Annie, juin 2005

 

Avant-propos

 

Le 101e régiment d'infanterie territoriale est formé au Puy (63). Il est composé en août 1914 de 3 bataillons, pour un effectif de 3000 hommes. Le 7 août le régiment arrive à Nice. Le 3e bataillon est détaché à Marseille.

Après formation et reconstitution (des soldats trop âgés ou physiquement trop justes, partent pour divers dépôts), le régiment est constitué à 2 bataillons (23 officiers, 1373 soldats, 115 chevaux, 42 voitures hippomobiles.) les 6 et 7 octobre.

Il part pour la région de Montdidier (Oise), où le rejoint le 3e bataillon qui était resté à Marseille.

Le régiment fait partie de la 28e division d'infanterie, 56e brigade d'infanterie.

Le bataillon (3ème) de Jean AVEL est "accolé" au 99e régiment d'infanterie, et part en premières lignes…

 

 

Jean AVEL a 42 ans

 

Garde des voies et communications 1er août au 5 septembre

 

Permissionnaire du 5 septembre au 30 septembre

30 octobre 1914

Départ de Riom à 5h du matin, arrivé à Guyencourt (Somme) le 1er novembre.

Le canon tonne.

Départ pour le front, arrivé à Chuignes le 2 novembre.

Le canon tonne, la fusillade crépite, nous sommes à 1 km ou 2 des Boches.

Repos jusqu’au 5 novembre. Toujours la même musique. Canons et fusils font rage. Visite du champ de bataille de Chuignes à côté du cantonnement.

5 novembre

Soir.

Départ avec la compagnie dans les tranchées, les balles sifflent et tombent sur les tranchées, on les entend tomber sur la feuille des tranchées.                                                                                                                                                                             

6 novembre

Journée assez tranquille pour nous occuper un jour aux cartes. Visite du champ de bataille de Fontaine-Cappy.

7 novembre

Mauvaise journée. Attaque des Boches sur les 1ères lignes.

4 attaques le même jour.

7 novembre.

Soir.

Départ des tranchées pour le cantonnement.

Arrivée 10h du soir sous une véritable pluie de balles, pas de blessés.

 

 

 

Extrait du JMO (Journal du régiment).

Jean AVEL fait donc parti de la 12e compagnie du 101e territorial

8 novembre

Repos.

9 novembre

Repos.

10 novembre.

Soir.

Départ pour les tranchées.

11 novembre

Mauvaise journée.

Pluie.

12 novembre

Mauvaise journée.

Pluie et gelée, la nuit le froid quitte les souliers pour prendre les pieds.

13 novembre

Mauvaise journée.

Pluie et gelée.

14 novembre 

Mauvaise journée.

Pluie et gelée et musique par les marmites.

15 novembre

Départ pour Fontaine-Cappy, pluie et gelée.

16 novembre

Tranchée toute la journée, les boches nous embêtent avec leurs marmites.

17 novembre

Très mauvais temps, pluie, vent, neige et gelée.

La nuit nous sommes sales comme des cochons. Où nous sommes, c’est du terrain rouge.

18 novembre

Avec un camarade on va à la recherche dans le bois.

19 novembre

Mauvais temps.

Repos.

20 novembre

Nettoyage

Repos

21 novembre

Départ pour les tranchées de 1ère ligne.

Allons ! On fait des progrès, de 3ème on saute en 1ère ligne. Nous voilà en face des boches pour 3 jours.

22 novembre

Même temps.

Travail, canonnade et fusillade, pas un sale boche en vue.

23 novembre

Même temps.

On fait les boyaux.

24 novembre

On rentre au cantonnement.

Pas de vin. Repos.

25 novembre

Exercice. Pas de vin.

Visite du champ de bataille de Chuignes à côté de la 2e compagnie.

26 novembre

Exercice. Pas de vin.

Beaucoup de boue, impossible de marcher.

27 novembre

Nous voilà revenu aux tranchées de 1ère ligne. On continue le boyau, notre artillerie tonne avec grand bruit depuis le matin de bonne heure.

On bombarde Dompierre à 1km de notre ligne.

28 novembre

8h je t’écris 2 cartes.

9h commencement du bombardement de Fay à 2 km de notre ligne.

Rentrée de nos troupes à 16h ½.

 

Journée mémorable, je m’en rappellerais toujours, vivrai-je cent ans.

Notre artillerie fait un feu enragé, peut-être 20 ou 30 pièces tonnent à la fois pendant 4h de temps. L’artillerie allemande tonne, les obus tombent.

À 50 m de nous, un tombe dans le boyau de la tranchée.

Un, tombe, passe, signale notre ligne à l’aide de fusées, une tombe, vite on la ramasse, trop tard, l’artillerie allemande l’a aperçue, elle bouge son feu vers nous mais heureusement il est mal repéré à 50 m de nous la sucrerie de Dompierre est son but, les obus tombent, une dizaine l’atteignent.

Je vois tout de qui se passe, je suis sentinelle de 10h à 12h.

 

Accalmie sur les 17h, moins de bruit, à 6h nous apprenons la mort du capitaine Pouille de la 11e compagnie du 101e, ainsi qu’une dizaine de blessés de la même compagnie. Les Allemands bombardent le château de Fontaine-Cappy en même temps, c’est là que le capitaine a trouvé la mort, sa compagnie était en réserve.

La nuit les allemands envoient des projectiles.

Oh ! Quelle journée

 

Le capitaine Pouille (*) et sa compagnie étaient en réserve dans le bois Commun et les transmissions. C’est là qu’il a trouvé la mort ainsi que deux hommes. (**)

C’était un bon homme.

 

(*) : POUILLE Félix Victor, 51 ans, capitaine, mort pour la France à l'ambulance 2/14 de Villers-Bretonneux (Somme), mort de ses blessures. Il était né à Saint-Christophe-sur-Dolaize (Haute-Loire)

(**) : NURLET Victorin, 39 ans, 2ème classe, mort pour la France à Fontaine–les-Cappy, tué à l'ennemi. Il était né à Malvaletti (Haute-Loire) le 4 février 1875.

 

 

Extrait du JMO (Journal du régiment).

 

29 novembre

9h, je crois qu’aujourd’hui ce sera la même chose que hier. Les Allemands bombardent encore la sucrerie, une dizaine d’obus tombent en avant et en arrière de nos tranchées.

Notre artillerie fait du bon travail du côté de Fay, on dit que ce dernier n’est pas encore pris.

Alerte de nuit, à 10 h nous sommes tous aux créneaux nous tirons quelques coups de fusils dans la plaine qui est devant nous et malgré le clair de lune nous ne voyons pas les boches.

À 13h la fusillade est terminée, l’artillerie tire toujours.

30 novembre

L’artillerie bombarde les positions ennemis c’est un bruit assourdissant toute la journée. Les Allemands bombardent toujours Fontaine-Cappy.

Je suis sentinelle de 20 à 22 h. on vient m’avertir qu’un dirigeable doit passer, de ne pas tirer car c’est un des nôtres.

À 23 h tout le monde réveillé et équipé, nous avons reçu du renfort (*), on veut tenter une attaque, nous attendons jusqu’à 4h du matin, rien de nouveau.

 

(*) : Le 24 novembre, 320 hommes ont intégrés le régiment.

1er décembre

Attaque d’artillerie violentent des Allemands, les marmites passent sur nos têtes pour aller tomber à 3 ou 400 mètres de nous, toujours sur Fontaine-Cappy.

 

Nos camarades du 99e, crèvent de faim, il y a 48h qu’ils ne sont pas ravitaillé, à un moment 3 sont venus nous demander si nous avons pas quelques croûtes de pain de reste. On fait le tour de la tranchée et on leur donne ce qu’on a.

 

Demain ou après-demain ce sera peut-être notre tour, à la guerre ça arrive assez souvent, chez nous on a resté 3 jours sans rien toucher.

2 décembre

Attaque des français sur Fay, le 205/6 du 1er bataillon a tonné mais il n’a pu mener l’attaque à bien, une compagnie presque entière est décimée sur tout le bataillon. On parle de 250 morts et 3 ou 400 blessés.

L’artillerie allemande continue de nous envoyer des obus mais sans résultats.

 

La nuit, tentative des allemands pour attaquer notre droite, tout le monde aux créneaux, nous passons la nuit mais l’attaque n’a pas lieu.

3 décembre

Alerte de nuit comme la précédente, tout le monde aux créneaux et nous attendons l’attaque, la nuit se passe comme la précédente avec fusillade continue du côté des allemands, du reste toutes les nuits c’est la même chose.

Le 99e de ligne qui est notre voisin de tranchée à notre gauche s’ennuie également de toujours entendre la fusillade des Allemands et pour surprendre les allemands on arbore le drapeau français.

La nuit les allemands ont tenté de l’enlever mais inutilement.

Le matin au lever du soleil le drapeau flotte toujours au vent et deux Allemands sont au pied dormant leur dernier sommeil.

 

Avec l’adjudant et quatre camarades nous plaçons à 8h du soir des fils de fer barbelés devant notre tranchée, les balles sifflent, pas un n’est touché.

 

4 décembre

Aujourd’hui il fait un vent très froid, nous restons fermés dans nos tranchées, les balles allemandes réussissent à passer par les créneaux.

Un fusil Lebel, le fût est coupé en deux, un sac a été percé par une balle dum-dum, tout le contenu où la balle a passé est déchiqueté.

Un camarade à moi, nommé Rouger, fait sa correspondance sur le bord du créneau pendant sa faction, une balle allemande vient droit aux créneaux, rencontre de la terre et vient tomber à 30 centimètres de lui, il la ramasse et la met dans son porte-monnaie.

C’est un souvenir de garde.

La nuit a été assez calme car il fait mauvais temps, la pluie et le vent font rage mais les Allemands tirent quand même moins que les autres nuits.

5 décembre

On va faire un autre boyau pour la liaison de la droite de la compagnie, nous commençons avec Bonjean de Manson, un cousin à Bonjean de Durtol, à prendre la pioche et la pelle après mais il ne fait pas beau et ce n’est pas prudent, les balles sifflent, une tombe à nos pieds, Bonjean la ramasse et nous voilà reparti pour la cagna, un autre nous remplace.

6 décembre

À mon tour, les deux camarades sont manqués, ils ont ramassé chacun la balle qui leur est destinée, probablement la même passée à un ½ centimètre de ma tête.

Elle rencontre un morceau de fer et tombe à 0,50 m de moi.

Je la conserve en souvenir.

C’est en honneur de mon 42e anniversaire, 4h du soir.

 

Croquis du carnet

" Tranchées de 3e ligne de Fontaine-Cappy, occupée 15 jours par la 9e compagnie 101e territoriale. "

 

Très mauvaise, on ne peut qu’y rentrer à quatre pattes, il y pleut comme dehors.

Toute la nuit les balles sifflent dans les betteraves, le terrain où nous sommes.

La guerre de tranchée est faite par les hommes et non par les gradés.

Je n’ai pas encore vu le capitaine ou le lieutenant dans les tranchées, c’est pourtant le 36e jour.

 

          

 

Croquis du carnet

" Les tranchées de Dompierre sans être mauvaises ne sont pas très bonnes. "

 

Je commence la première en souterrain le 10 décembre 1914, mon nom est écrit à droite en rentrant à 1,20 m du sol.

Ici nous sommes avec le 99e, le 22e, le 30e etc.…

 

Croquis du carnet

" Les tranchées de Foucaucourt sont solides et en bon état. "

 

Elles peuvent supporter les grosses marmites boches, ça ne risque rien et les boches peuvent y venir ils seront bien reçu.

Ici nous sommes avec le 140e, le 75e, le 22e  etc.…

 

Croquis du carnet

" Les tranchées d'Herleville sont excellentes, en bon état,

confortables et supporterons n’importe quel obus boche. "

 

 

Le jour que nous sommes descendus de service, 2 compagnies boches ont été mises hors de combat, pas un ne s’est sauvé, tout ce qui a resté, 75 prisonniers.

 

Croquis du carnet

" Tranchées d'Estelfay "

 

Les tranchées de repos sont assez bonnes, un peu à l’abri mais pas suffisamment couvertes et trop d’hommes dans chaque tranchées, on est à l’abri des balles mais pas des obus.

 

Toujours pas d’officier dans les tranchées, ils se terrent comme des renards.

Ça ne va pas, je suis éreinté.

Dans le bois au poste d’observation de la compagnie, des mauvais abris, y a de quoi y attraper la maladie. J’ai rendu tripes et boyaux, je te l’ai écrit et j’ai passé la nuit dehors malgré la fraîcheur de la nuit, il a même gelé dans la matinée.

 

Les jambes fléchissent.

 

Entre mi-décembre 1914 et mai 1915, il manque des pages.

Dommage, car le 99e régiment d'infanterie, qui se trouve dans les mêmes tranchées que 101e territorial a connu des scènes de fraternisations entre soldats Français et Allemands durant noël 1914.

Peut-être que Jean AVEL a connu ces moments exceptionnels…

Les faits sont même relatés dans le journal du régiment (écrits assez rare sur un document officiel !)

 

Vous pouvez consulter les documents officiels qui relate les fraternisations à la 28e division d’infanterie >>> ici <<<

 

 

Les compagnies du 101e territorial sont intercalées avec celles du 92e RI (JMO du 101e RI à la date du 5 avril) entre les villages de Tilloloy et Beuvraignes

Mai-juin 1915

1er mai 15

À l’Échelle aujourd’hui, il fait beau, je ramasse des morilles et des escargots dans les bois. Il passe bien quelques balles mais ça ne me dérange guère. Des morilles, je vais en ramasser pour en manger au repos à Etelfay.

Je suis toujours fatigué.

 

Croquis du carnet

" Boyau de l'échelle "

 

2 mai 15

Il fait beau, je suis de garde, il est 3h je finirais à 5h, donc s’il n’y a pas de dérangement je pourrais me reposer une partie de la nuit.

Je suis toujours fatigué et pourtant avec le nouveau sergent qui vient de la légion, nous voulons cette nuit, allé faire une tournée en reconnaissance volontaire vers la ligne boche. Ça me désennuiera.

Ici nous sommes la 4e section en avant, tous sont dans un ravin ligne intermédiaire.

3 mai

Il a plu, impossible de sortir, on ne pourrait marcher dans les boyaux et même en plein terrain, il y a trop de boue.

Les boches nous cassent la tête, ils veulent attaquer dans la direction entre Roye et Lassigny. Dans la nuit tout le monde aux créneaux, nous passons la moitié de la nuit dehors.

On rentre, l’ordre est donné d’aller se coucher sans se déséquiper.

 

À 5h du matin la musique recommence, tout le monde, sac au dos et aux créneaux.

L’attaque se fait dans la direction de Lassigny, en direction de Roye à notre droite. J’apprends que les boches ont attrapé une bonne trifouillée et que leur attaque n’a pas réussi. Ce n’est pas étonnant car il est presque sûr que celui qui attaque, soit les boches soit nous, on est forcé d’avoir de grandes pertes. Avec ce système de tranchées et de fils de fer il est impossible d’amener une attaque à bien sans avoir de grosses pertes.

Il faudrait voir les tranchées, voir ce système de fortification pour s’en rendre compte. Il est impossible de l’écrire.

15 au 22 mai

De retour aux tranchées 1ère ligne, nous sommes avec les Tirailleurs.

Le lieutenant m’envoi avec un de la classe 90, arranger un éboulement dans le boyau entre nous et le 121e de ligne. C’est dans un bas fond, je n’aperçois pas la 1ère ligne boche, elle est cachée dans les arbres, leur grande ligne est entre deux bois sur la route de Roye.

 

Si on veut nous faire prendre cette ligne, ce sera difficile car nous sommes forcés de charger tout à découvert en côte et à 500m au moins, mais le 105 est mieux placé, il peut les prendre de flanc et n’est pas à plus de 80 à 150m.

Je suis en chemise et cogne avec un maillet pour enfoncer des piquets pour maintenir le terrain de l’éboulement. Je suis au deuxième piquet, pan, une balle puis deux et la troisième se loge à 0,20m de mon nez dans la terre.

Je suis vu par les boches.

Je saute dans le boyau, zut, mon pied tourne, pas moyen de me tenir debout, enfin tant bien que mal, j’arrive au gourbi.

Ce ne sera rien, des nerfs qui se sont déplacés probablement.

Ma cheville n’est pas grosse, j’y fais un massage, ce n’est pas la peine d’aller voir le major, demain ça sera guéri.

Allons bon, Babotte et un autre camarade ainsi que le cabot Lacombas vont finir le travail ce soir.

Lacombas coupe des branches dans le petit bois, c’est à couvert pourtant, pas moyen d’y rester, les boches lui tirent dessus. Babotte qui a pris ma place est forcé de déguerpir.

Les balles tombent, enfin le travail est fini, il est 4h du soir. J’ai fait le contremaître, j’ai visité les travaux avec mon pied et ma canne, allons à la soupe.

Démerdez-vous, alerte, ramassez tout le fourbi et aux créneaux !

Me voilà frais avec ma patte, s’il y a attaque je ne peux guère marcher et pourtant sûrement, il se pourrait qu’il faudra courir.

 

Allons ! J’ai ramassé tout mon fourbi et Babotte et un autre camarade l’apporte à mon créneau. Moi j’y vais me servant de mon fusil comme d’une canne. J’y suis, je peux me tenir debout face au créneau sans trop de fatigue.

Qu’ils viennent, on les attend.

 

Après 2h d’attente nous rejoignons le gourbi. C'était une fausse alerte.

 

Le lendemain, allons ça va mieux, je commence à marcher sans mon bâton.

2 jours après c’est guéri ou à peu près.

C’est véritablement ennuyeux, pas moyen de montrer son nez nulle part.

Lacombas est vu.

Pan un 77, pan un autre, le 3e tombe à 3m de moi dans la tête du talus, pas un éclat, rien que de la terre.

En un mot pas de dégât grave, décidemment leur 77 est un pistolet.

 

Croquis du carnet

" Les tranchées de l’échelle-Saint-Aurin "

 

Les tranchées de l’échelle-Saint-Aurin sont en général très bonnes comme solidité mais comme confort laissent à désirer. On y est trop pressé.

Celles qui sont dans le bas à côté du ruisseau sont mauvaises car il faut continuellement puiser l’eau dedans. Étant plus basses que le ruisseau, l’eau y pénètre. Beaucoup de service très pénible, elles sont sous bois.

Ici nous sommes avec le 8e Tirailleurs.

1er juin

De retour aux tranchées 3e ligne (en réserve mon peloton).

Les tranchées sont assez bonnes mais pas des plus solides, elles sont sur la lisière de deux boqueteaux.

6 juin

À 8h du soir, ordre de ramasser tout le fourbi, il y aura attaque dans la nuit, probablement de la part de nos troupes, dans quelle direction, très difficile à le savoir.

Les 125 et les 75 font rage sur un front peut-être de 20 ou 30km, où se fera l’attaque, impossible de le savoir.

À 12h rentrée dans les gourbis sans se déséquiper ni défaire les sacs.

7 juin

À 3h rechau……. d’attaque du côté d’Andechy, c’est une diversion, c’est à notre gauche et à notre droite y commence une formidable canonnade et fusillade, c’est l’attaque, ce n’est pas long.

Nous ne sommes pas appelés en renfort, c’est que l’attaque a été menée vivement et que ça n’a pas traîné.

7 juin 6h du soir

 Les boches ont reçu la raclée et nos troupes ont pris 800m environ de tranchées et fait environ 100 prisonniers.

Nous ne sommes pas relevés des tranchées pourtant on doit partir ce matin.

Nous ne rentrerons que le 10.

Probablement qu’il y aura encore du nouveau d’ici là, ça cogne toujours, principalement à droite direction en arrière de Lassigny.

Le 15

Départ d’Etelfay, pour Le Monchel, en passant, nous voyons les auvergnates à Montorcry (?), aussitôt le drapeau remis, en route pour Montdidier, coûte que coûte nous voulons causer et rester un instant avec nos payses.

 

En 20 minutes nous sommes à destination, tout le monde est content de se revoir, dommage que tu n’y sois pas ma chère brune.

Départ de Monchel le 19, arrivée à Bray-sur-Somme le 19, arrivée à Suzanne le 19, arrivée aux tranchées de Maricourt le 20 à 1h du matin.

 

Croquis du carnet

" Les tranchées de Maricourt "

 

Les tranchées de Méricourt grande ligne sont assez confortables mais peu solides.

En revanche celles des officiers sont de véritables chambres, du reste c’est partout la même chose, il n’y en a que pour eux, tant pour la nourriture que pour le confort.

 

Ligne avancée, solides tranchées mais très humides et sans paille, beaucoup de service et de travail. Environ 18 à 20 toutes les 24h.

Nous sommes relevés, ce n’est pas trop tôt, car le jour que nous sommes arrivés nous avons pris le service à 2h du matin, après avoir fait dans la journée ou la nuit, 30km en auto et 22 à pieds.

Pour nous refaire nous restons 48h sans ravitaillement.

Nous faisons tranchées avec le 99e et le 22e de ligne.

 

Juillet-août 1915

À Bray, beaucoup de régiments, le 403e, le 412e, le 413e, le 99e, le 22e.

Environ 6 à 8 000 hommes. 

 

Nous restons au repos à Bray-sur-Somme jusqu’au 2.

Départ le 3 pour Le Quesnoy.

Nous nous appuyons 24km à pied avec une terrible chaleur.

 

Le 8, départ pour les tranchées, toujours en 1ère ligne.

Il est bon le 101e territorial pour barder!

 Je parie qu’il n’y a aucun autre régiment pour barder et être mené comme celui-là. Du reste les régiments d’actions qui sont avec nous ne le croiraient s’ils ne le voyaient tous les jours.

Nous sommes astreints à beaucoup plus de service et de travail que l’active ou la réserve de l’action. Aussi si on a de la chance de partir, il faudra que certains gros bonnets nous disent pourquoi ce régiment, en partie de vieux, doit davantage barder que les jeunes.

 

Ici y a le 135 territorial, il n’a jamais tenu les tranchées, il a fait le pionnier.

 

Départ pour les tranchées 1ères ligne à midi le 3, arrivée le soir au Quesnoy.

Nos tranchées sont en avant du Quesnoy environ 800m à 1000m.

Les tranchées ne sont pas trop mauvaises mais il y a trop de service, environ 9h toutes les 24h.

Rien que pour la garde de la 1ère ligne ou pour le petit poste. Pour aller chercher la soupe il y a 12km aller et retour.

3h de marche

3 alertes par nuits

3h à poireauter.

Sans compter les corvées d’eau et de nettoyage des boyaux.

Aussi c’est sur on n'engraissera pas ici. Heureusement qu’il ne fait pas trop chaud.

Nous avons le 307e de réserve d’active à notre droite, il y a 8 mois qu’ils sont là. En voilà qui ont de la chance car ils n’ont jamais tant travaillé ni marché comme nous.

17 juillet

9e compagnie : 1 lieutenant, 2 sergent, 1 caporal, 1 homme

Ils sont permissionnaires. Tout pour les gradés. Gare, ça chiera un jour.

 

Croquis du carnet

" Les tranchées du Quesnoy, 1ère lignes "

18 juillet, tranchées du Quesnoy

De nouveau aux mêmes tranchées du Quesnoy.

Du Quesnoy, il ne reste rien, pas une maison n’est debout, l’église, il en reste que deux tronçons de murailles. Le Bouchoir est démoli aussi mais moins que Le Quesnoy.

L’église il ne reste presque rien, l’horloge est à terre, pas un civil dans les 2 villages.

J’ai visité l’église, les obus l’on percée de toute part, le chemin de la croix, il ne reste rien de toutes les statues.

Il ne reste que celle de l’Immaculée Conception, on dirait qu’elle a été véritablement épargnée.

Les obus ont passé et passent encore juste au-dessus de la tête, tout autour c’est criblé de balles, elle n’a pas encore été touchée. Dans le clocher qui est démoli à ras des cloches, celles-ci n’ont aucun mal à la date du 27 août.

Le 28 août

Nous voilà reparti encore une autre fois pour une destination inconnue, nous prenons le train à Montdidier jusqu’à Fère-en-Tardenois. Je couche deux nuits dehors. Départ le surlendemain à pattes jusqu’à un château brûlé.

 

J’ai encore couché dehors.

Parti de nouveau pour Unchair, nous y restons deux jours.

 

Départ pour Cuiry, nous arrivons avec l’eau sur le dos, après avoir fait 27km, nous arrivons à 2h du matin.

Le soir nous partons pour les bois du Beau-Marais.

Nous y arrivons à 11h.

 

Nous laissons nos sacs dans des gourbis et en route avec nos fusils et équipements. 15 paquets de cartouches, l’un une pelle l’autre une pioche pour faire une tranchée en avant de la 1ère ligne à 500m.

Nous voilà au travail, chacun fait son trou sans qu’on nous dise pourquoi, on nous amène là et pourquoi.

Les boches nous entendent, les mitrailleuses sont en branle et nous on se couche, alors je vois de quoi il retourne.

 

Sur ce plateau, j’apprends que c’est celui de Craonne, je t’assure que c’est le plus mauvais endroit que j’ai vu jusqu’à ce jour.

Enfin le feu cesse, on se remet au travail, on se débrouille le plus qu’on peut, zut maintenant c’est le tour des obus.

 

Les boches nous arrosent copieusement, heureusement qu’ils dirigent mal leur tir, enfin il est 5h du matin, nous partons pour le bois sans avoir eu un officier avec nous pendant tout le travail.

Septembre-décembre 1915

Le lendemain, on repart de nouveau à 7h du bois pour le même travail.

Arrivé vers la sortie d’un petit mamelon couvert, nous sommes repérés, des rafales d’obus boches tant qu’on en veut, après le feu nous nous débrouillons pour prendre le boyau.

À peine entrés, même musique : mitrailleuses et obus.

Enfin nous arrivons au travail après plusieurs alternatives de feu, nous prenons le chemin du bois.

Pour aujourd’hui encore pas de blessés.

 

Le lendemain de nouveau au travail.

Départ 7h, ce coup là c’est mieux, après notre sortie de Pontavert, la musique commence mais lentement mais une fois qu’on a été à environ 500m du boyau, alors ma chère, les boches  n’épargnent rien, mitrailleuses, obus de tous calibres.

Enfin nous voilà au travail, quand même plusieurs canonnades pendant les 7h que nous y restons.

Mais pas un n’a eu de mal de ma compagnie. À la 13e, 2 blessés.

 

Mon escouade a été séparée de la compagnie par les rafales boches. Nous travaillons avec la 10e.

 

4e jour, départ à 7h toujours au même endroit.

Ce soir nous y arrivons sans trop de musique, mais une fois au travail ça commence par un doux et après par rafale les obus passent si près (nous sommes couchés dans le boyau, il a environ 0,50m de profondeur) que nous en sentons la chaleur par moment, ils nous couvrent de terre. Certain tombent à 4 ou 5m de nous, enfin encore pas mal pour ce coup.

Le capitaine au commencement est à côté de moi, le temps lui dure probablement, il me dit faites circuler, moi je lui dis de passer. Il est couché au fond du boyau, il est aplati le nez dans la terre.

 

Enfin ce soir pas de mal, décidément on a de la veine, nous voilà arrivé au bois.

 

Aujourd’hui, départ pour Cuiry-les-Chaudardes. Nous voilà, mon escouade désignée pour la garde du pont de l’Aisne. Nous y restons 8 jours.

Relève, départ pour Roucy.

 

Allons, l’affaire se corse, le 12e est équipé pour l’attaque qui va se produire probablement cette nuit ou la nuit prochaine. Revolvers, couteaux, musettes de grenades, enfin de quoi zigouiller le plus de boches.

 

L’attaque n’a pas lieu, c’est dommage.

Nous le 101e territorial, nous étions en troisième vague, le colon avait réussi ce coup là à nous y faire prendre part. Les officiers ne rigoleront pas, enfin c’est manqué pour ce coup.

 

Départ pour le bois Beau Marais, le bois Savard, le bois Marteau, le bois de la Mine, c’est celui que nous avons embouteillé. Les boches l’ont évacué sans qu’on les attaque.

 

Départ pour Pontavert, on va travailler toute la journée, on doit nous apporter la soupe. Allons les boches nous bombardent.

Il y a plusieurs tués parmi le génie et le 6e de ligne, plusieurs blessés aussi. Enfin nous prenons le chemin de nos baraquements du bois Savard.

Bon la saucisse boche nous observe.

 

Arrivé dans la plaine à découvert, les boches nous lancent un obus pour régler leur tir, il tombe sur le parapet du pont du canal de l’Aisne. Alors ils raccourcissent et nous arrosent copieusement.

Impossible de s’abriter, nous sommes dans une plaine où il n’y a aucun fossé par batterie entière. 77 et 88 font un vacarme épouvantable.

Notre artillerie se met de la partie, alors les boches se taisent et nous prenons le chemin du bois. Nous avons eu quelques blessés mais pas de mort. Je me demande comment on a pu réussir à ne pas être écrasé. Les obus sont tombés en rafale de 4 à 5m de moi.

Heureusement qu’ils ont tiré un peu en avant.

Enfin encore sauvé pour ce coup.

 

Départ pour les bois de Muscourt, là nous faisons l’exercice de grenades.

Départ pour le bois des Couleuvres.

Allons ! Il faut que je remplace le bicycliste qui part en permission.

Je partirai à mon tour, quand il sera rentré.

 

Tiens, ça va pas mal, ma première sortie c’est pour le colon à Cuiry, deux fois le même jour.

Aujourd’hui ravitaillement pour les officiers. Il faut partir à 8h du soir apporter un ordre à la brigade.

Allons ! Ce n'est pas trop noir, mais quel chemin.

Aujourd’hui il faut se débrouiller, il est 7h et il faut qu’à 6h je sois à Beaurieux 6km, mais il est fou le colon, il me donne un ordre et il devrait y avoir 1h que je devrais être parti.

14 octobre

Allons me voilà arrivé, j’ai déjeuné à Beaurieux et me voilà de retour à 8h.

À 9h départ pour Cuiry.

 

A 11h départ pour Roucy.

Allons il se figure que je vais courir toute la journée sans manger. Attends.

Il faut encore repartir pour Roucy. Tout le courrier et un pli à apporter.

Il est 7h du soir et ce n’est clair.

 

Enfin il faut partir, j’y arrive à 8h. Il est 9h quand j’ai fait la distribution et je rentre au bois des Couleuvres.

À 500m de Concevreux, bon je suis pris par une auto qui vient en arrière et frôle un sac que je porte sur la roue arrière de ma machine et me voilà parti, une belle pelle ma fois !

La figure emportée, un genou et un doigt de démolis.

15 octobre

Évacué sur Romain

28 octobre

Évacué sur Jonchery et à l’hôpital d’Alembert (?), puis de Lagny en Seine-et-Marne.

 

Un beau voyage.

J’y arrive à 8h du soir, depuis 8h du matin que j’étais parti sans rien dans le ventre. Allons je vois que la guerre est fini pour moi. J’ai un embarras gastrique, c’est la quatrième purge que je vais prendre.

Adieu les tranchées cet hiver.

 

Il y en a dans les ambulances aux hôpitaux qui devraient être aux tranchées.

Ce qui m’étonne c’est qu’il y est tant de prêtres à l’ambulance de Romain. Ils sont au moins de 15 à 20.

La moitié c’est des hommes passablement vigoureux et généralement jeunes.

 

Allons à continuer, je pense que je ne ramasserai pas le gros ventre, en 10 jours, 3 purges, j’arrive à Alembert, 4e purge. Je crois qu’avec ça, j’aurai des jambes, c’est vrai qu’elles ne me font pas grand-chose.

La 1ère, 4 fois. La 2e rien. La 3e, 2 fois, la 4e…

Allons, décidément, impossible de rester tranquille et d’être soigné par le même major.

 

Il pleut et il faut déguerpir, changer de logement. Les jambes ne sont pas fortes mais il faut marcher. Quand même c’est étonnant, je me serais cru bien plus fort, à peine si je peux me traîner.

Un infirmier m’accompagne.

 

Annotation sans date à la fin du carnet:

" Chatard de Pontgibaud a été tué par un obus. "

 

 

 

 

« Son récit s’arrête là. J’ignore à quelle date il est rentré à Cébazat. D’après la chronique familiale la guerre était finie pour lui après cet accident.

 

Il est mort le 8 mars 1937. Il circulait à vélo (aussi !) et venait de rendre visite à un copain à l’hôpital Sabourin où l’on soignait les personnes atteintes de maladies pulmonaires (entre autre des gazés de la Grande Guerre). Il a été renversé par une auto à un carrefour entouré de vignobles.

C’est curieux comme parfois l’histoire se répète.

 

À la fin du carnet, je trouve aussi ce plan, sur lequel il explique à « sa chère brune », comment labourer et cultiver une de leur parcelle de terre.

 

 

 Pour comprendre sa réaction face aux prêtres, il faut savoir qu’il était libre penseur et lorsqu’il est rentré dans les ruines de l’église du Bouchoir, ce devait être la 3e fois qu’il pénétrait dans une église. La 1ère pour son baptême et la 2e pour son mariage et pourtant on dirait bien qu’il croit à un miracle. »

Annie, juin 2005

 

 

Fin du carnet

 

  

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