Carnet de route d’Étienne Ernest

du 4ème puis 3ème régiment de Zouaves

« Souvenirs de Belgique et d’Allemagne, guerre 1914 – 15 – 16

 

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Publication : Février 2023

Mise à jour : Mars 2023

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Jean-Jacques me dit en 2021 :

« Je vous autorise à publier une partie du carnet (vous choisissez le meilleur passage / objectif) sur votre site « Chtimiste » puis merci d’aiguiller les internautes vers mon site.

Je n’ai pas retrouvé sa fiche de prisonnier sur le site, ne sachant où chercher. Mon objectif étant de retrouver la famille...

Ce carnet je l'ai eu en 1964, à la fin de la traditionnelle fête de la Saint PANSARD de Trélon que mon parrain Gaston PETIT me tendit inopinément pour que je poursuive ses recherches.

Je veux respecter la charte que mon parrain m'avait enseignée : " la mémoire se partage et celui qui trouve transmet " (c'est de Bertrand Bouret).

Ce fut ma motivation pour créer un site espérant le miracle d'internet...qui n'est jamais arrivé à ce jour.

Je cherche à trouver les liens familiaux, car si mon parrain (et parents) avait ce carnet, il y a certainement une raison. Cela depuis plus de cinquante ans.

 

Depuis sa publication sur mon site en 2001, j’ai surtout eu des contacts pour me demander une autorisation d’utilisation partielle du texte.

Il y a quelque temps, j’ai eu un contact d’un internaute pour le moins original :

« Je ne pense pas que le zouave Ernest ETIENNE avait un niveau mental et social pour écrire un texte aussi "lisible" en y intéressant le lecteur.

Je pense qu'Ernest ETIENNE a raconté son histoire de l'époque à un lettré qui s'en est brillamment acquitté en y incluant quelques détails tels que "tartine au beurre", "bonnes poires, bonne chère" qui me font sourire. Quand on est dans la situation de clandestin recherché par l'ennemi on néglige ces détails. Cette publication me semble romancée pour faire plaisir au lecteur et de ce côté c'est une réussite ».

 

Jean-Jacques nous réitère :

« Je tiens à affirmer haut et fort que je n’ai fait que retranscrire le carnet de route, sans en changer un mot et une phrase. »

 

 

 

Les recherches pour retrouver ce soldat et sa famille :

 

Beaucoup de personnes se sont « cassé le nez » sur des recherches infructueuses :

ÉTIENNE Ernest ou ERNEST Étienne ?

Est-il mort à la guerre ? :

---> Non, dit la recherche sur MDH. Pas de Zouaves de ce nom. Pas l’âge cherché (19-22 ans).

 

A-t-il été prisonnier comme il l’écrit ? :

---> Non, me dit la recherche sur le site qui répertorie les prisonniers. Pas de zouave de ce nom…

 

Le Journal des Marches et Opérations (JMO) du 3ème Zouaves donne– t-il la liste des disparus ou des prisonniers ? :

---> Non, le JMO de cette date n’existe plus.

 

 

Ce qui est certain :

Il est Zouaves de la classe 1911 ou 1912 - Il a un frère : Jacques – un neveu André – il sera prisonnier et malade.

 

Moi (le chtimiste), après 15 jours de recherches (plus une de perdue suite à une erreur dans l’état-civil de son village de naissance), je l’ai retrouvé.

Je vais vous prouver que cet homme (mystérieux) a pu effectivement rédiger ce carnet de souvenirs puis de route. Et j’ai retrouvé sa trace…Et quelles traces !

En mettant en page son récit, je me suis concentré sur des détails, ceux qui passent inaperçus à la première lecture.

J’ai ajouté de couleur bleue des annotations qui permettent de clarifier certains lieux, certaines situations et la progression de mon « enquête ».

 

En seconde page du carnet, il est noté :

 

Étienne  Ernest

N° 6332 Kie  3ème Zouaves à Tunis. (*)

 

 

(*) : Le 3ème ne tient pas garnison en Tunisie, mais en Algérie, c’est le 4ème Zouaves qui se situe en Tunisie.

 

 

 

 

 

 

On remarque sur ces 2 pages « guerre 1914-15-16 ». Le « 16 » est écrit différemment. Nous verrons par la suite que les premières années sont des souvenirs relatés 1 an à 1 an et demi après, puis viennent ensuite des notes au jour le jour.

A un moment de son récit, on peut avoir le doute sur son nom : est-ce Étienne ou ERNEST ??

 

Merci à Jean-Jacques pour m’avoir « drogué » dans cette recherche palpitante

Merci à Philippe S. pour la vérification du récit et le temps passé sur certaines recherches.

Nous avons ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.

 

 

Début des écrits

 

A mon frère Jacques, (*)

A mon neveu,

A mes sœurs,

A mes parents,

A Pierre CordÉ,

A Jean, Louis, Adolphe…et beaucoup d’autres encore…

A la famille Guyaux,

A Octave,

A tous ces braves gens de Vitrival, qui m’ont abrité dans leur ferme au péril de leur vie, je vous dois une éternelle reconnaissance.

 

(*) : Jacques ÉTIENNE ou Jacques ERNEST ?

4 octobre 1913 : le service militaire au 4ème Zouaves

Incorporé le 4 octobre 1913 (*) au 4ème zouaves à Tunis (Afrique), j’ai endossé l’uniforme avec tant soit peu de fierté. L’éloignement de mes parents ainsi que les exigences du service joints au climat tunisien, me causaient par moments de réels malaises.

Malgré cela, tout heureux de servir dans un régiment d’élite, je patientais et tachais de me bien conduire afin d’obtenir la faveur de permuter du 4ème bataillon au 3ème.

Et ceci parce que ce dernier allait en détachement à Bizerte, ville où se trouvait mon frère, commis des finances tunisiennes. (**)

 

Grâce à l’appui du sergent Lods, garde magasin du corps, ma permutation a été facile, et le 4 novembre 1913, je passais de la 14ème compagnie à la 9ème compagnie. Ce changement prématuré, mais voulu, m’a permis d’aller ainsi à Bizerte avec tout le bataillon.

Au quai de la gare, mon frère m’a reconnu entre 2 passants, et au soir même est venu me chercher au quartier. La ville de Bizerte étant fort restreinte et essentiellement mre(***), je n’ai pas longtemps resté à en connaître les moindres recoins, piloté en partie par mon frère et ses amis et en partie par mes camarades d’armes, anciens ou engagés volontaires.

 

Il est vrai que le service m’absorbait un peu car j’étais soucieux de me bien conduire, d’être bien vu du capitaine et du chef ainsi que du fourrier, lesquels me demandaient pour travailler au bureau de la compagnie le soir après la soupe et jusqu’à 9 heures, heure de l’appel.

J’étais assez fier d’être de ce côté-là, un peu plus que mes copains vu que j’avais bien des chances d’être définitivement embusqué pour ma 2ème et dernière année de service et surtout pour obtenir une permission d’un mois.

Je me promettais d’avance de bien passer mes trente jours de liberté et l’idée de revoir mes parents dans un temps peu éloigné me hantait jour et nuit et me procurait un grand plaisir et une réelle consolation.

Vous devinez facilement l’ardeur que je mettais dans mon service et à la section et au bureau.

 

(*) : C’est un samedi. Curieux qu’il se présente un samedi. Il semblerait que ce soit plutôt le jeudi 2 octobre…Mais son récit est écrit 1,5 à 2 ans plus tard.

(**) : Son frère Jacques dont nous ne savons rien et nous ne saurons rien au travers de son récit. Mais on peut lever un peu le voile en disant est âgé de 31 ans et est militaire de carrière depuis ses 20 ans. Sergent au 8ème régiment d’infanterie colonial, il vient de finir une campagne à Madagascar et à Brazzaville. Nous n’en dirons pas plus pour maintenant.

(***) : « mre » : « militaire », « morte » ?

12 juillet 1914 : ma première permission.

Bref, grâce à tout cela et à mes relations amicales et bien sincères avec les sergents Lods et Neslias, tous deux du magasin du corps, le 12 juillet 1914, je prenais l’omnibus Bizerte–Tunis, pour m’embarquer ensuite dans cette dernière ville. Mais le mauvais sort en était déjà jeté et il n’y avait de départ pour Marseille que dans 3 jours de là, mais par contre, un départ de Bône (Algérie) devait avoir lieu le lendemain soir à 11 h de la nuit.

L’amour du voyage et surtout le souci de ne pas trop prolonger mon séjour comme permissionnaire en ce pays de soleil, me décidèrent à grimper sur un train où pendant une journée entière, j’ai enduré les cahotements du train-charrette et les rigueurs de la chaleur.

 

Six heures du soir, le train arrive en gare, le conducteur d’une voix rauque crie « Bône, tout le monde descend ». Le dernier choc d’arrêt m’ayant un peu réveillé de mon assoupissement, je descends alertement sur le quai, et je prends en compagnie d’autres civils, une charrette qui devait nous conduire, nous et nos bagages, au quai d’embarquement.

Au détour d’une rue, j’aperçois tout à coup la cheminée fumante d’un vapeur. Ma joie s’exprimait alors sur mon visage et je bourdonnais une chansonnette avec le meilleur entrain. Ce qui causa alors la répétition du refrain de la part des civils, apparemment gais et contents comme moi.

On arrive enfin, je fais rapidement enregistrer ma petite malle de voyage, après quoi, je déambule dans une rue de Bône à la recherche du bureau de l’intendance où je devais nécessairement faire signer mon passage et mon embarquement dans ce port.

Gracieusement accueilli malgré mon arrivée tardive, je fus assez vite en règle pour avoir mon ticket de passage au bureau de la compagnie de navigation. Mais, craignant la fermeture de ce dernier bureau, je prends le pas forcé et ne tarde pas à me voir délivré ledit ticket contre la modique somme de 17. 00 francs.

 

Il était 8 heures du soir et le bateau ne partant qu’à 11 heures, je profitai de ce laps de temps pour m’aventurer un peu au chœur de cette ville. Les rues bien propres et bien éclairées, garnies d’un fourmillement de gens me donnaient déjà l’impression d’une ville où il doit faire bon d’y vivre. Les étalages des magasins et les bureaux de tabacs arrêtaient souvent mon attention. Ceux-ci me fournissaient l’occasion d’acheter cartes-vue et souvenirs de Bône et ceux-là, faisaient naître en moi le désir, vite satisfait d’ailleurs, d’acheter des bibelots et autres lingeries pour mes chères sœurs et mes chers parents.

Le premier cri strident du vapeur lancé à 10 heures m’attire près du quai où d’ailleurs, la foule compacte se dirige aussi.

Dans cette foule d’inconnus, il me semblait pourtant que je n’étais point seul. C’est qu’en effet, je pensais à celui que j’avais quitté, auquel j’envoyais un souvenir de Bône, et surtout à ceux que j’allais revoir dans deux ou trois jours. Je les voyais déjà sourire devant mes présents et accueillir mon arrivée inopinée comme le messie.

 

11 heures moins le quart, deuxième appel, suivi bientôt du dernier sifflement à 11 heures moins une. J’étais un des premiers à bord de la « Ville de Tunis » et me suis guère occupé des autres passagers. J’entendais bien les « au revoir » de ceux qui restaient, mais je ne voyais rien, vu que j’étais occupé dans la cale à changer de tenue, c’est-à-dire me mettre en treillis et à plier soigneusement mes effets de drap dans ma petite malle.

Cette besogne terminée, je remontai vivement sur le pont, mais le bateau appareillait et malgré le ronflement des machines, on entendait les souhaits de bon voyage et même on voyait les agitements des mains et des mouchoirs. Le silence se fait petit à petit, chacun songe à regagner son poste de repos. A mon tour, je redescends à la cale et choisis une place pour tâcher de m’endormir enveloppé dans une chaude couverture.

Le temps était beau et la mer fort calme.

 

Au matin, on était bien au large et le soleil inondait le pont de ses chauds et étincelants rayons.

La plupart des passagers se promenaient tranquillement en attendant l’heure du repas. Pour ma part, j’avais fort appétit et je me promettais de « boulotter (*) convenablement ».

Mais comme souvent, il arrive que l’état de la mer change en quelques minutes. Le bateau dansait comme une coquille au milieu des flots. Le mal de mer gagnait tous les passagers et même une partie de l’équipage. La mer était de plus en plus mauvaise et les flots embarquaient parfois si terriblement à bord, qu’un gros « paquet de mer » immobilisa le vapeur et fit craquer son mat avant. La panique était générale et indescriptible. On n’entendait de tous côtés que cris de lamentations. Je restais assombri dans mon « coin », et j’eus alors pour la première fois de ma vie la sensation de la fin de mon existence.

Je pensais attendri, à mes plus chers et souhaitais de tout cœur une issue heureuse. L’équipage était à dure épreuve et par mesure de prévoyance avait hissé les signaux de détresse pendant que le capitaine décidait de faire route sur l’île de Sardaigne pour nous abriter et attendre le calme dans une petite baie.

Je ne sais le nom de ce petit abri, mais toujours est-il que nous y arrivâmes à la tombée de la nuit, et que nous y passâmes tranquillement toute la nuit ainsi que la moitié de la journée du lendemain. Cinq autres bateaux avaient jugé à propos de s’abriter et étaient ancrés pareillement.

 

Enfin vers midi, le temps était meilleur car il n’y avait plus de vent, on décida de partir malgré la forte houle.

 

A minuit, le vapeur signalait son arrivée par un sifflement long comme un message plein d’espérance.

 

A deux heures du matin, il s’amarra insensiblement au quai de la Joliette. (**)

 

Le mouvement est de tout temps intense dans ce port, mais il me paraissait encore plus animé par le fait que je ne l’avais plus vu depuis plus de dix mois.

J’y ai pu voir quelques camarades, et après quelques serrements de mains, et le visa de ma « perm », je pris fiévreusement la route du pays natal (***), ne voyant plus sur mon parcours que paysages et gens qu’ils me semblaient reconnaître et que je saluais fièrement en agitant ma chéchia.

J’arrive enfin et surprends toute ma famille en train de souper, après maintes embrassades et l’apparition des larmes de joie, je m’assois à leurs côtés et fais comme eux.

Je trouvais tout succulent et on m’aurait dit affamé de 3 jours. Je regardais surtout avec attendrissement le petit André (***), c’est-à-dire mon petit neveu dans les bras de sa maman. Je l’aurais bien voulu dans mes bras, et le caresser de bien près, mais mon costume coloré le rendait un peu sauvage envers moi. Petit peu de temps après, il m’aimait bien et je passais mon loisir à le cajoler.

Tout allait si bien me semblait-il, qu’on ne pouvait espérer mieux.

 

Quatre jours après mon arrivée, mon frère Jacques faisait aussi la sienne avec la même surprise. Mais hélas !, la guerre couvait en Europe, et elle devait bientôt éclater et faire serrer tous les cœurs.

 

(*) : Boulotter : expression du vieux français voulant dire manger.

(**) : Le quai de la Joliette est le quai à Marseille où s’amarre les navires venant d’Afrique et aussi ceux de Corse, Sardaigne...

(***) : Un village dans le Gard…

(****) : André SOAVI, le fils de sa sœur Marie (36 ans). André SOAVI est né en Tunisie, à Bizerte, en 1913. Nous le saurons plus loin dans les recherches. Cette famille habite dans le Gard.

31 juillet 1914 : ordre de mobilisation. (*)

 

Le 31 juillet au matin, je dormais encore tranquillement quand tout à coup, ma sœur entre dans ma chambre et sur un ton de surprise, me dit que les gendarmes venaient de me prier de partir au plus tôt pour rejoindre mon régiment.

Tant pour calmer ma famille que pour me donner du courage à moi-même, mon frère prétextait que c’était simplement pour un essai de mobilisation ou tout au plus pour l’affaire Caillaux (**), qui semblait fort sérieuse. Je fus vite prêt à partir, mais comme il n’y avait de départ pour Tunis que le lendemain, j’eus encore toute la journée à moi et pus ainsi dire bonjour (quel bonjour !) à la plupart des parents et amis.

 

(*) : Pour info : la mobilisation a été décrétée le 1er août 1914 et proclamée le 2 août.

(**) : L’affaire Joseph Caillaux est l’actualité du moment : c’est l’inventeur de l’impôt sur le revenu qui est surtout connu grâce à sa femme qui assassina le directeur du Figaro.

 

Et le samedi 31 à midi (*), je prenais l’ « Eugène Péreire », à bord duquel je trouvais bien des camarades qui ne m’égayèrent qu’à moitié, car j’avais encore présent à l’esprit la séparation des miens avec pleurs et larmes.

Il fallut faire trêve à sa tendresse et s’armer au contraire de tout son courage. Nous étions sur l’eau et beaucoup souffraient du mal de mer, mais moi je n’y pensais pas, car j’étais à mon troisième voyage je m’étais bien trempé.

La nuit approchait et on se préparait à bien dormir pour être bien disponible le lendemain à Tunis. Mais déception, ce lendemain matin, on revoyait de nouveau les côtes de France, et bientôt on reconnut le fort Saint-Jean. Sans nul doute, on revenait à Marseille.

Aussi, après renseignements et dissertation, on eut la certitude que la mobilisation générale était déclarée en France, et que la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France allait suivre, car elle l’avait fait pour la Russie.

L’émotion se peignait sur tous les visages, et en demandant la cause de notre retour, on nous répondit qu’un sans-fil (**) avait envoyé cet ordre au vapeur. On ne savait ce qu’on allait devenir, mais au quai, on sut nous ramasser et nous diriger provisoirement au fort Saint-Jean qu’on appelle aussi le ‘Dépôt des Isolés’.

 

(*) : Le 31 juillet 1914 n’est pas un samedi, mais un vendredi. Erreur de date.

(**) : Message radio.

 

On ne savait ce qu’on allait faire de nous lorsqu’après la soupe de midi, on inscrit nos noms sur une liste et en nous donnant un papier, on nous dit de nous rendre au plus vite par les premiers trains au camp de Sathonay, près de Lyon, pour y être affecté au 3ème Zouaves.

Par petits groupes de trois ou quatre, nous allons à la gare Saint-Charles, non sans accrocher de part et d’autre quelques rafraîchissements offerts par les gens aux militaires. Des régiments d’infanterie filaient çà et là en tenue de campagne, et on criait de tout côté sur leur passage « bonne chance », ce à quoi ils répondaient formidablement par : « merci…à Berlin ».

A la gare Saint-Charles, les autorités militaires compétentes s’occupèrent de nous embarquer convenablement et tous ensemble dans des wagons de voyageurs. Le train partit à onze heures et nous ne pûmes presque rien voir, car il faisait sombre, et le train marchait à toute vitesse.

 

Mais au matin (deux ou trois août ??), vers huit heures, nous arrivons à Valence, puis nous étions à Vienne, villes dans lesquelles le train s’arrêtait assez longtemps pour recevoir et amener à Lyon l’afflux de réservistes de presque toute l’opulente vallée du Rhône.

 

Enfin, à onze heures et demie, on arrive à Lyon, en gare Perrache.

On prend séparément et à ses frais un petit déjeuner (fort salé quant au prix), et on se promène ensuite dans les rues de la ville de soie. Au bout d’une rue on voit un tram : Croix-Rousse-Sathonay. On se hâte de monter dessus pour se rendre à notre nouveau dépôt.

Après un quart d’heure de trajet, nous arrivons à l’entrée du camp, toute indiquée d’ailleurs par une sentinelle, et plus loin un poste de Zouaves du 3ème.

On rentre et on exhibe chacun son papier dans le bureau d’affectation. Un tel à la 17ème, un tel idem, un tel à la 18ème.

ÉTIENNE (*), matricule 10171 (**), à la 19ème compagnie (***) en possession d’un nouveau papier.

Je vais pour information à la 19ème compagnie où d’autres camarades me rejoignirent.

On nous fait coucher tant bien que mal, et la journée du lendemain fut employée à nous rhabiller et à reconnaître nos sections, ainsi que nos escouades.

 

Trois jours après (cinq – six août ??), nous touchions nos fusils et nous devions depuis aller à l’exercice.

Entre temps, j’écrivais tous les jours à mes parents, et même je leur ai télégraphié, mais jamais, jamais, je n’en ai eu de réponse. Je ne sais même pas, à présent à quoi attribuer ce silence. Il est vrai qu’il y avait des correspondances qui se perdaient en ce moment-là.

 

(*) : Notez bien qu’il écrit qu’il donne bien son nom : ÉTIENNE (pas ERNEST), mais plus loin nous aurons le doute…

(**) : 10171 : C’est le n° de corps (N° d’immatriculation au 3ème Zouaves), numéro qui est réglementairement indiqué sur sa fiche matriculaire, que l’on a jamais retrouvée (ou pas encore) et sur sa fiche de décès de mort pour la France (que l’on ne retrouve pas non plus). Ce n° sera une information capitale pour la suite.

(***) : Encore une information capitale pour les recherches, nous le verrons aussi plus loin.

15 août 1915 : en route pour la bataille de Charleroi.

Le 15 août, on partait à notre tour pour une destination inconnue et nuitamment. Givors, Le Monial, Gien, Cosne, Dordives, Nemours, Fontainebleau, belles sont les localités qu’on passait tour à tour, viennent ensuite Laon, et Soissons, avec comme gare terminus Tournes.

Ce trajet en chemin de fer avait duré deux jours.

De Tournes, nous fîmes sac au dos et par temps pluvieux la route jusqu’à Rocroy, où on nous coucha sur le plancher.

 

A six heures du matin : réveil, pas de café, mais départ vers la Belgique.

On passe la frontière à Gué d’Hossu, on est très fatigué et on a soif. On voit au passage des ponts des Belges armés de bâtons, souriant et criant : « Vive la France ». Plus loin, à la sortie de la grande forêt que nous venions de traverser, nous aperçûmes beaucoup plus de civils qui s’approchaient et nous faisaient, tout le long du chemin, une longue escorte.

Couvin est la première ville belge où nous avons fait halte repas. Les habitants nous donnaient à boire et nous faisaient beaucoup fête. Ce qu’on voulait nous était donné pour rien, et en un mot, on ne savait quoi faire pour nous faire plaisir.

 

Deux heures du soir, départ de Couvin pour Marienbourg, où nous arrivons à 5 heures.

On nous désigne une ferme pour y loger notre compagnie. On prend place et bientôt après nous nous débarbouillons tous dans le ruisseau qui coule à côté, et sans faire attention aux belges femmes et jeunes filles qui nous regardaient faire notre toilette. En même temps, on préparait notre cuisine et un bon bouillon nous fut bientôt servi. Des conversations s’engageaient entre femmes et Zouaves, et, s’étant vus si peu, on se connaissait bien.

Pour ma part, je m’en fus me promener un peu en ville, et là, les jeunes filles nous dérobaient nos glands de chéchias et nous donnaient en récompense : rubans, médailles et autres choses, etc.…

On coucha fort bien la nuit, car il faisait bon et il y avait beaucoup de paille.

 

Le lendemain, tout se déroulait en silence, et on vaquait à nos petites corvées : toilettes, cuisine, nettoyage d’effets, etc.… On voyait passer de temps en temps des officiers d’état-major en automobile. Et toujours les curieux mariembourgeois qui nous entourent et nous comblent de présents de toute sorte.

Le rassemblement de la compagnie avait pour cause notre départ à onze heures pour Philippeville.

Plein d’entrain, nous nous mettons en route, et après trois pauses nous arrivons à Philippeville.

Comme à Mariembourg, nous fûmes bien reçus, et nous logeâmes au soir dans une ferme à proximité de la voie ferrée. Même accueil à Vodecée, où en revenant de l’exercice, nous tirâmes sur un aéroplane allemand. On nous dit plus tard, que celui-ci avait été forcé d’atterrir, et naturellement avait été capturé. (*)

On soupe, on chante, on se couche enfin tranquillement pour prendre un peu de repos, lorsque tout à coup on crie en bas. On va partir, car l’ennemi tente de forcer la Sambre à Tamines, et nous sommes désignés pour aller renforcer la ligne de feu qui résiste victorieusement. Vite prêts, car nous l’étions à moitié, on se rassemble, on fait l’appel, personne ne manque. On commence la marche de nuit qui se continua par un grand nombre de marches détournées pendant le tout le lendemain.

 

(*) : C’est exact, l’évènement est signalé aussi dans l’historique du 3ème zouaves

 

On arrive à Arcimont, on attend, l’arme à la main, et disposés en tirailleurs. La voiture de compagnie nous apporte le maximum de cartouches, et on attend encore. Un ordre nous arrive de revenir sur Vitrival, mais avec de grandes précautions. C’est ce qu’on fit. Le bataillon était pour ainsi dire arrière garde de la retraite.

Les mitrailleuses, les fusils, les canons faisaient entendre un bruit infernal.

 

On était au soir, ma demi-section qui était tout à fait derrière dut faire face à une patrouille allemande de 30 à 40 hommes.

A 4 pas en tirailleurs, on avançait en tirant. A deux reprises différentes, j'entendis les balles siffler bien près de moi. On avança malgré la riposte et l’apparente résistance de l’ennemi. Celui-ci se replia dans une maisonnette située sur une petite colline que nous résolûmes de cerner.

C’est ce que nous fîmes, et nous voilà à son assaut, baïonnette au canon. Pris de peur, les Allemands s’étaient réfugiés dedans, et demandaient à se rendre, mais il n’en fut rien, car ils faisaient feu en même temps sur nous. On enfonça la porte, et partie dehors, partie dedans, il ne resta plus de cette patrouille que morts et blessés grièvement. De notre côté, nous avions quatre ou cinq blessés aux jambes, et notre sergent qui ne donnait plus signe de vie.

On fit immédiatement marche arrière et nous retrouvâmes la compagnie à Vitrival attendant son passage sur la grand route Namur-Charleroi. Beaucoup de nos blessés gisaient çà et là et apparemment abandonnés à eux-mêmes. Je compris alors seulement que c’était la retraite qu’on faisait.

 

Vers sept heures et demie, la marche reprit vers la route, on croisait des blessés de tous côtés.

En montant la rude côte qui sépare Vitrival de Le Roux, nous fûmes sérieusement canonnés par l’artillerie ennemie en position à Aisemont. Ordre fut donné de regagner le bois (*) afin de se rassembler à l’abri, pendant que les shrapnels et les obus meurtriers pleuvaient comme la grêle.

Etant dans les fossés du chemin, j’en profitais pour me soulager de mon sac, et ce, à l’imitation de tous les autres.

Après quoi, par bonds de 30 ou 40 mètres, on tachait de rejoindre le bois sus-désigné. Ce fut inutile car un obus passa si près qu’il me coucha inanimé dans les pommes de terre. Je fus depuis lors séparé de ma compagnie de mon bataillon et de mon régiment.

 

(*) : Le bois entre ces 2 commune abrite de nos jours un paint-ball…

25 août 1914 : la vie du juif errant.

La nuit tombée revenue, je pensai préférable de regagner le bois et m’abriter jusqu’au lendemain.

Ce que je fis la nuit se passa dans les transes et toujours en éveil.

 

Le lendemain, je me dirigeai avec précautions sur la lisière dudit bois, et oh surprise ! J’aperçus des ennemis qui surveillaient les abords pendant que de très fortes masses d’hommes allaient sur Devant-les-Bois, Biesme et Mettet. La situation était très critique, et à moins de se faire tuer inutilement, il fallait encore attendre dans le bois plus de calme. C’est ce que je fis.

 

Je restai dans mon terrier deux jours, puis terrassé par la faim, je me dirigeai où j’entendais des aboiements de chiens et du caquètement des poules. Croyant trouver des gens, je ne vis que les bêtes dont j’entendis de loin les cris. Vaches à l’établi, chiens affamés tuant des poules. Je m’approchais doucement avec précautions, je vis des bonnes poires au pignon de la ferme, et j’en fis bonne chère. Elles me semblaient si bonnes que j’avalais les pépins.

Ma faim apaisée, je fis le tour de la ferme, et vit sur une route beaucoup de troupes ennemies en marche sur Namur. Je remarquai aussi le pavillon allemand sur le clocher de l’église du Roux. Par moment, je dirigeai mon regard à travers la fenêtre de cette ferme. J’y voyais tout le mobilier d’une cuisinière, mais pas âme qui vive. Le soleil semblait seul donner un peu de vie par ses chauds rayons qui passaient au travers du haut de la porte.

 

Puis, tournant le regard vers la route, j’aperçois comme des formes humaines, mais grises, bouger insensiblement et se diriger vers moi avec les armes que je distinguais bien au milieu des avoines et des blés. Du côté du bois, j’entendis en même temps des gens qui criaient et s’appelaient probablement les uns les autres. J’entendais aussi le bruit d’un chariot ne comprenant rien à ce qu’ils disaient, je crus réellement à l’arrivée des Allemands et à la fin de nos jours.

Pour faire face de mon mieux, je me mis dans une petite construction inachevée éclairée par une petite fenêtre, et je m’apprêtai à faire feu sur le premier soldat ennemi que j’apercevrai à la porte ou à la fenêtre.

 

Heureusement que tout arrivai pour le mieux, car c’étaient les gens de la ferme qui, s’étant sauvés pour éviter le front de bataille revenaient chez eux. Je me montre à eux en leur demandant ce qu’il y avait. Ils me disent de me cacher, car les Allemands allaient arriver aussitôt.

Je fis selon leur désir, et montai précipitamment dans la grange sur le foin. J’y fis un trou avec le jeune homme de la ferme. Il fit passer du foin sur moi, et j’attendis alors qu’il descendait pour aller soigner les vaches.

D’autres ordres et cris semblables aux premiers parvinrent jusqu’à ma cachette. C’était bien alors des Allemands qui arrivaient pour visiter la maison, et pour chercher aussi après des Français. Je restais toujours caché et bien silencieux. Les Allemands furent bien accueillis par la fermière et contents de cela, ils partirent après avoir demandé des œufs qu’ils payèrent en monnaie allemande.

On pensa à moi aussitôt après leur départ. Octave, le fils du fermier m’apporta du café et deux bonnes tartines au beurre. Je fus alors bien rassasié.

 

Comme la nuit approchait, je descendis en bas sur l’invitation du patron. Je mis d’autres effets civils et on cacha mes effets militaires. Comme eux, j’avais besoin de repos, et après quelques petites conversations, on se dit bonsoir.

Quant à moi, j’étais le bienvenu, car malgré le danger, on me fit coucher avec Octave même dans un lit bien chaud et bien doux. Dès lors, je jurais à moi-même une éternelle reconnaissance à ces braves gens.

 

Le lendemain matin et les deux jours suivants, tout allait comme si j’étais de la maison. Je faisais de petites besognes tout en me tenant à l’écart des gens qui pouvaient passer. Malgré ces précautions, je fus aperçu par des jeunes gens de Vitrival, qui dirent à la patronne de me faire partir, sinon le patelin en souffrirait tout entier si j’étais pris. Les Allemands brûlent tout, et le mieux c’est de le faire partir.

Sans y rien comprendre, j’entendis moi-même ces propos.

Aussi, je ne fus pas étonné quand on me dit qu’on ne pouvait plus me garder. On m’indiquait une ferme où il y avait d’autres Français qui y restaient pour soigner le bétail et qui se trouvaient dans les mêmes conditions que moi. J’acceptais.

 

Me voilà parti avec Octave pour cette ferme. Il me la montre de loin. J’y vais.

Là on me donne du lait et on m’indique pour coucher. Il ne fallait pas se montrer, et c’est pour ça qu’il fallait aller se coucher de bonne heure. Je monte dans le foin, et là en compagnie d’un autre soldat blessé, je passais deux jours et deux nuits.

Les soi-disant fermiers s’occupaient peu de nous. On a eu du lait pour tout repas. Le camarade blessé avait en outre eu deux œufs, mais il paraissait tout dédaignait, car il souffrait beaucoup, et il n’était guère soigné. Heureusement qu’à mon premier refuge j’avais eu du pain, et bien que fort aride il me semblait bon.

 

Le troisième jour, on me dit qu’il fallait partir, qu’on ne savait plus me garder.

Un camarade m’attendait plus loin, et au matin de bonne heure, à la faveur du brouillard, on se met en route l’un vers l’autre. En effet, on se rencontra et en se causant, on se reconnut pour les deux qui se cherchaient. Nous ne savions quoi faire ainsi. Après réflexions, nous allons à la maison où il avait couché (J. Cerfaux).

 

Là, nous y passâmes toute la matinée, mais les gens de Le Roux nous firent encore partir, prétextant les atrocités des Allemands en cas de découverte.

N’en pouvant rien, et ne voulant pas causer de malheurs de notre faute, nous partîmes pour de bon, voulant tacher de regagner si c’était possible. Mais il était blessé aussi et il ne savait pas beaucoup marcher.

On arrive à la ferme Jassogne (*), où on demande à manger et à loger. On nous reçoit de leur mieux, puis on va coucher dans le foin.

 

(*) : Il existe une ferme Jassogne du XVIIème siècle à Crupet, à ~30 km à l’est de Vitrival. Peut-être celle-là bien que bien éloignée ? Cependant, on apprendra en janvier 1916 qu’il a reçu une lettre de Melle Jassogne à Gilly : peut-être parlait-il de la ferme de la famille Jassogne (Gilly, à 2km au nord-est de Charleroi, est à ~15 km  de Vitrival)

 

Au lendemain, on demande de rester ; on travaillerait à la moisson. On allait ainsi lier les gerbes quand le jour suivant mon camarade voulut aller se faire soigner à la Croix Rouge à Vitrival. Il y allait mais ne tarda pas à être expédié en Allemagne, vu la légèreté de sa blessure.

Quant à moi je restai tout seul et restai à la ferme où je travaillais à la maison avec les ouvriers belges.

 

Après la moisson, et les autres travaux des champs, je restais encore toute la saison d’hiver pour soigner et nettoyer tout le bétail (oh ! les bêtes à cornes). Je travaillais de mon mieux et j’étais assez bien vu des patrons.

Je passai donc l’hiver jusqu’au mois de février. J’étais bien tranquille et les ouvriers de la ferme venaient me voir le dimanche.

 

Mais le 4 février, on apprit à la ferme qu’on avait traqué d’autres français à Evrement (*) et que les gens qui les gardaient avaient été condamnés à 10 ans par les conseils de guerre allemands.

 

(*) : Evrement n’existe pas. Proche de Vitrival, il ne peut s’agir que de Nèvremont

 

On décida de ne plus me garder et je partis le 6 février au Devant-les-Bois chez Léon Denis, un ouvrier de la ferme. Sa mère s’offrit pour me laver mon linge et je me décidai à voyager de part et d’autre chez des connaissances. C’était la vie du juif errant.

L’accueil que je reçus de tous les côtés est inoubliable pour moi. De toutes parts on trouvait que je ne venais pas assez souvent chez eux. Les travaux du jardinage et les fenaisons commençaient.

Aussi tant pour me rendre utile que pour sortir de mon désœuvrement, je travaillais tantôt par ici, tantôt par là. J’appris à bêcher, à planter les patates et à faner. Plus tard je liais les gerbes de froment et d’avoine dans les champs, et le dimanche sans prendre de précautions, j’allais à bicyclette dire bonjour à mes amis de plus en plus nombreux.

 

Je voyais souvent de mes camarades : Pierre C. (*), Jean Louis Adolphe et Pierre L. (**). De leur côté, ils jouissaient aussi d’une vie douce et facile. On était au 25 octobre (1915), lorsqu’un décret du gouverneur général en Belgique (Von Bissing) stipulait que toute personne ayant appartenance à une armée ennemie et se cachant en Belgique serait fusillée si elle ne se rendait pas volontairement dans les 24 h., sinon les gens qui secourraient ces militaires seraient fusillés avec eux. Et même il les sommait de dévoiler la présence de ces militaires sous peine de mort.

Vu ce décret et sur les conseils de braves gens qui nous avaient fait tant de bien, on décida de se rendre tous ensemble.

 

(*) : Pierre CORDÉ. Son nom sera mentionné plus loin dans les souvenirs.

(**) : Pierre LEVENÉ, aussi mentionné plus loin.

28 octobre 1915 : en route vers la captivité.

On apprêta mon ballot et le 28 octobre après avoir dit bonjour à tous mes amis, je prenais le tram à Vitrival (chemin de Walcourt) en compagnie des copains précités pour se rendre à Fosses (la-Ville).

L’autorité allemande nous reçoit assez bien, elle inscrit nos noms et nous dit que nous serions prisonniers de guerre. On couche le soir à la gendarmerie de Fosses.

On y reste encore tout le lundi matin.

Les gens de Vitrival apprenant que nous étions encore à Fosses, vinrent nombreux nous voir et nous apporter toutes sortes de victuailles : vin, pain d’épices, pommes fruits et confitures etc…On se dit au revoir une dernière fois, mais on ne savait encore si on partait au soir. Il n’en fut rien car on y passa encore la nuit.

 

Le 30, de bon matin, départ pour Tamines à pied, on passe par Vitrival, à Tamines on prend le train pour Namur. On fait aussi deux autres connaissances Hays et Ernest Ja.

On passa à Auvelais, Jemeppe, Moustier, Franière, Floreffe, Flawinne, Ronet. On arriva à Namur à 11 heures. De la gare à la commandanture, les Namurois sont fort intrigués de voir ce défilé.

On nous introduit pendant dix minutes à la commandanture, du bout desquels on repasse par la gare pour aller en prison.

Aux préaux, on nous sert du café, puis au soir on nous rassemble car ici on était nombreux (près 500). On nous fait mettre par groupe, et on en appelle presque la moitié. Le restant fut remis en cellule par 5 hommes dans chacune.

C’était étroit et se voir enfermer ainsi me paraissait fort triste. J’étais encore avec mes amis : P.C Adolphe Louis et Jean. La vie nous paraissait fort désagréable à tout point de vue. La nourriture était insuffisante et mal préparée. Malgré cela on s’habituait petit à petit.

 

Le 31, on resta toute la journée enfermé.

 

Le 1er jour de la Toussaint, on demanda pour aller à messe, naturellement on s’empressa d’accepter, rien que pour sortir du trou N°110.

A la messe, chacun est dans une petite case où l’on peut à peine se bouger. Le plus grand silence règne, il y a quelques communiants. On vient nous ouvrir, car la messe est vite dite.

On rentre de nouveau dans la cellule. Les camarades jouent aux cartes pour passer leur temps. Moi je lis des livres de voyage du Congo. On apporte un seau d’eau et un torchon pour nettoyer un peu la cellule. Je fais le valet de chambre et ça me distrait un peu.

Le soir, on nous laisse enfermer et le lendemain un nouveau prisonnier vient. Puis deux jours un autre, ce qui monte les locataires de la cellule 110 à 7. Ils ont 5 paillasses et 2 couvertures chacun.

A 7 heures réveil puis distribution de café et de pain ½ heure après.

Entre 11 heures et midi, soupe tantôt au riz et tantôt aux haricots.

A 2 heures : promenade dans les préaux jusqu’à 4 h. On rentre et à 6 ½ - 7 heures, on nous distribue une faible ration de pommes de terre cuites à l’eau.

 

Jusqu’au 13, il en a été ainsi, on commençait à s’habituer à cette claustration. L’aumônier de la prison avait obtenu la permission de nous vendre tout ce dont on pouvait avoir besoin en prévision du départ en Allemagne. C’est ainsi que j’ai acheté des sardines, du pain d’épices, du chocolat et une valise (sac de voyage) pour mettre mes petites affaires dedans.

Comme on nous avait dit : le 13 à 3 heures du matin, on nous rassemble, on va à la gare et on embarque dans des wagons aménagés par groupe de 30 hommes.

A 3 ½ on filait vers l’Allemagne en passant nuitamment par Huy et Liège. Je reconnais à l’aurore Ensival et à Verviers. Il fait bien jour. A Herbestal, c’est la frontière germano-belge.

Dans cette gare, on nous fait descendre, et on nous sert de la soupe aux choux bien réchauffante. Cette cantine vendait du papier à lettre et des cartes de vues. J’en achète et à la hâte j’en écris une en Belgique, je la remets avec les deux sous à un soldat allemand qui m’affirme qu’elle parviendra, mais j’en doute.

Il était 10 heures lorsqu’on remonte sur le train, on file toujours vers l’est en passant par : Ronheide, Aix-la-Chapelle, Stolberg, Eschweiler, Neuss, Dusseldorf, Elberfeld, Bologne (*), Barmen.

 

(*) : ( Bologne ?? entre Elberfeld et Barmen, la seule gare est Unterbarmen)

 

On arrive enfin au camp de Sennclagerb le 14, c’est-à-dire dimanche matin à 5 heures.

L’aspect était fort triste et le vent froid du nord sifflait. On nous abrite tous dans une grande tente en attendant de passer à l’inspection de nos colis et notre linge.

On y passe en effet, on nous fouille à tour de rôle, notre argent est pris contre reçu. Un coiffeur nous coupe les cheveux à ras, on passe aux douches et pendant ce temps nos effets d’habillement passent à la désinfection à la vapeur.

C’était 2 heures, on nous conduit au bureau du camp pour nous marquer d’un Z (civil) sur le pantalon, le veston et le pardessus. (*)

Cette opération terminée, on va à la cuisine où l’on nous sert de la soupe chacun dans une gamelle. En prévision du coucher, on nous donne 2 couvertures chacun et des paillasses en raison de 2 pour 3 hommes.

Bref on couche, tant bien que mal dans le grenier d’un bâtiment déjà occupé par d’autres prisonniers plus vieux. Pas de feu, on sentait la bise.

 

(*) : Voilà donc l’information clef du récit. Curieux, alors qu’il est militaire, on le déclare civil ! A-t-il voulu cacher son identité ? Erreur de l’administration allemande ?

 

Le lendemain, lundi, on déménage dans une baraque qui nous est destinée. On s’installe par groupe de 24 à 25 hommes. C’est ici que nous serons définitivement installés.

La lumière a fait défaut les 2 ou 3 premiers jours, mais à présent il y a deux lampes qui éclairent convenablement bien. On a deux appels par jour, le matin à huit heures et le soir à 6 heures dans la chambre même, car il fait trop froid dehors. L’alimentation comprend : le café au matin, soupe à midi, soupe au soir. On touche environ 200 gr de pain par jour ainsi qu’un morceau de saucisse.

 

Le samedi, on touche ration double mais pour deux jours. A peu près une fois par semaine on va faire semblant de travailler. Tantôt on va à la gare pour l’embarquement ou le débarquement des colis, tantôt on fait les terrassiers. Mais des deux côtés on n’en fait pas lourd. On peut aussi aller à messe tous les jours à 7 heures. La cantine nous vend assez cher il est vrai, des produits assez bons, tels que saucisson, chocolat, confiture, miel, sucre, tabac et cigares.

En un mot, on est pour ainsi dire, comme au régiment, mais pas aussi libres en étant de l’autre côté plus en repos.

 

Fin des écrits qui constitue un récit

 

Ensuite, il adopte un style plus télégraphique (nous le lirons plus loin) et fait quotidiennement l’inventaire avec quelques noms de ses envois et réception de lettres et colis jusque 1916. Mais aucune adresse, aucune… Mais :

Il écrit de nouveau fin 1916 :

 

Rentré à l’infirmerie pour bronchite le 9 mars 1916.

 

Conduit à l’hôpital le 11 mars avec diagnostic : broncho-pneumonie.

Après visite : reconnu une pleurésie côté gauche.

Ponctionné le 12 : 1,500 litre d’eau jaunâtre.

 

Le 18 mars ponctionné une 2ème fois, retiré encore du même côté 1,800 litre.

Je vais assez bien le 21 mars 1916.

Reçu 1 colis de Louis Grivault le 28 mars qui m’a fait plaisir.

 

Le 23 avril 1916

Ponction exploratrice annonçant un peu de liquide.

 

Le 24, ponction ; pas de liquide, mais un peu de sang. Ponction exploratrice sans succès.

Je me sens assez bien. 24-4-16.

Notes.

Reçu ma valise le 15 ct . (*)

 

(*) : Ct : peut-être mis pour « courant ». Il est intéressant de noter que cette valise n’est pas dans l’inventaire mensuel, mais bien noté ici à la suite des notes sur son hospitalisation. Faut-il y voir les prémisses d’un départ ? Voici certainement l’étiquette de la valise :

 

 

Zivilgefangenen-Lager

Sennelager

Et. Ernest (*)

E Comp, Senne III

 

Laisser en blanc

Monsieur ……………………………..

Rue :                   

 

A ………………………………………………….

Pays : Belgique ou France

3 quai de la Joliette (**)

Modèle adresse du prisonnier

Etienne Ernest

Zivil-Lager Senne III

 

Laisser en blanc

Via Suisse

Monsieur   x.

Rue :                  

 

A

Pays :

 

 

 

(*) : Curieux qu’il indique son nom par “ Et.”. Son prénom étant entièrement écrit. Doute sur son patronyme ? ÉTIENNE ou ERNEST ??

 

(**) : Adresse située sur l’embarcadère à Marseille, quai de la Joliette. Est-ce la sienne ?

Gaston PETIT, le parrain de Jean-Jacques qui lui avait confié le carnet, était le correspondant de l'entraide française, il avait entrepris les démarches suivantes :

Il a écrit le 21 mai 1949 (cachet de la poste) à Etienne Ernest, 9 quai de la Joliette MARSEILLE : sa lettre lui a été retournée " RETOUR A L'ENVOYEUR ".

Il a écrit le 2 juin 1949 à la police administrative de Marseille (Hôtel de Ville), une réponse lui fut donnée par écrit en date du 11 juin 1949 :

" Faisant suite à votre lettre en date du 2 juin courant, par laquelle vous me demandez des renseignements sur Monsieur ETIENNE Ernest, j'ai le regret de vous faire connaître que ce dernier, inconnu, 3, quai de la Joliette à MARSEILLE, a été vainement recherché en tous lieux utiles de notre ville, par les soins de notre service d'enquêtes ".

 

 

 

APRÈS PLUS RIEN !!

AUCUNE info pour essayer de résoudre ce mystère.

MAIS

 

Depuis longtemps, les recherches sont effectuées sur ce moteur de recherches des prisonniers de guerre avec la mention « militaire »…Grossière erreur.

Il suffisait de choisir « civil » et on retrouve sa fiche assez facilement :

 

 

 

On peut y lire son nom et sa date de naissance que l’on ne connaissait pas ; 1892 (donc classe 1912).

Il est donc finalement évacué sur un hôpital en Suisse à Saanen pour pleurésie

A Saanen (aussi appelée Gessenay en français), il existe un sanatorium qui soigne ce type de pathologie. Transformé en hôtel de nos jours, il existe toujours.

 

Mais que ce passe-t-il ensuite ?

Il décède sur place ? Son nom n’est pas répertorié sur MDH, ni en France, ni en Suisse…

Il rentre en France ? Comme civil…

Où se trouve sa fiche matriculaire ? Il est né en 1892, où ?

A-t-il une famille ?? Une descendance à qui confier le carnet ?

 

 

Résolution de l’énigme (voir ici), là où cette recherche bascule avec plus de questions…

 

Suite

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Voir sa fiche matriculaire

 

Voir sa fiche de décès

 

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