Carnet de guerre de Jean EMMANUELLI, sergent au 132e et 173e régiment d'infanterie durant 14 18

Carnet de guerre 1918 de Jean EMMANUELLI

Engagé volontaire, soldat, sergent au 173e puis 132e RI

 

 

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Jean Emmanuelli s’est engagé volontaire le 19 septembre 1914 (à 18 ans), caporal le 30/11/1914, sergent le 19/07/1915, blessé en avril 1916,

Après la 1ère guerre, il reste dans l’armée jusqu’en 1956.

Il n’est traité sur cette page que sa période durant la grande guerre.

 

Durant la seconde guerre mondiale, capitaine des subsistances, il participera à la résistance en cachant et détournant du matériel à l’insu de l’occupant puis il sera arrêté et interrogé par la gestapo.

Il finira sa carrière sous le grade de commandant et officier de la légion d’honneur en 1957.

 

 

« Tout dans ce carnet n'est pas forcement intéressant car une grande part concerne l'amour naissant de mon grand-père pour sa marraine de guerre qui deviendra ma grand mère. Cependant les combats du 132ème dans la somme l'été 18 y sont relatés »

Didier, son petit-fils, mars 2011

Si vous voulez plus amples renseignements sur la totalité de sa carrière militaire, contactez son petit-fils : >>> ici <<<

 

 

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Sommaire :

Chapitre 1 : Les Vosges, la permission

Ø      Janvier 1918 : Les Vosges

Ø      Février 1918 : La permission, le retour

Ø      Retour dans le régiment

Ø      Mars 1918 - Oëlleville

Ø      Avril 1918- Oëlleville, puis départ pour le 132e RI

Chapitre 2 : 132 ème REGIMENT D’INFANTERIE

Ø      Avril 1918-secteur de Lunéville

Ø      Mai, juin 1918 – Einvaux – Einville - Dombasle

Ø      Juillet 1918 - secteurs de Dombasle, Einville

Chapitre 3 : LES COMBATS

Ø      Juillet 1918 : le coup de main, secteur d’Einville

Ø      Août 1918 – Oise – Somme – bataille de Montdidier – Le Plessier – St Aurin – St Mard

Ø      Septembre 1918

Chapitre4 : PERMISSION. ARMISTICE. ALLEMAGNE

Ø      Septembre- décembre 1918

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Chapitre 1 : Les Vosges, la permission

Janvier 1918 : Les Vosges

La nouvelle année se présente à nous toute blanche. Pour la recevoir hermine avait fait une nouvelle toilette, elle s’était recouverte de son plus beau manteau blanc.

Le ciel peu nuageux encore, s’adonnant aux giboulées, laissait de temps à autre paraitre sur ce village de GRANS, où éternellement reposera un de mes meilleurs souvenirs, un rayon de soleil à la fois chaud et égayant.

Le soleil de midi bien différent de celui que nous allions voir sous peu, c’était la veille du départ, la veille de l’entrée en campagne. Toute la journée se passe en préparations, distribution de vivres de toutes sortes, mise en état de tout ce qui allait nous suivre, de tout ce que nous laissions. J’eus malgré tout le temps d’aller à la messe dans cette belle église de GRANS qui a bénit nos bleuets.

Belle cette journée du 1er janvier, quoi qu’elle fut comme le temps aux giboulées; la joie du jour était mélangée à la tristesse. La joie être près de ma marraine, la tristesse l’idée du départ le lendemain

 Le charme n’en était pas moins grand.

Nous fûmes retenus l’après midi pour le service et je n’eus entière liberté qu’à 20 heures. Mes premiers pas furent d’aller voir, et en même temps, de dire au revoir à ma marraine et à sa famille.

Je retiens de GRANS une très bonne impression pour la gentillesse et la franche amitié que donnèrent les habitants à cette dernière entrevue. Des amis de celle qui était ma marraine étaient venus me dire au revoir. Gentillesse exquise. Causeries, projet de retour et enfin départ.

Cette nuit du 1er au 2 ne fut pas la mère d’un doux sommeil ou de quelques beaux rêves mais bien la complice d’un cauchemar.

 

Le jour ou plutôt le matin réveil à 3h30

Préparation, cris et nous voila lancés vers l’inconnu.

A la gare le train se faisait attendre à 7h10 nous étions en marche. Nous eûmes pour compagnie à Salon (Salon-de-Provence) les bleus du 112ème.

Lentement comme si la charge fut trop forte le train s’ébranla de nouveau. Sa marche paraissait pénible.

Nous arrivâmes à 10h45 à AVIGNON.

Halte

Repos.

Je prends la garde. Nous partons à 11h30.

La machine changée nous tirait avec une autre vigueur que la première. Ca ne faisait pas notre joie chaque minute nous éloignant de GRANS, nous éloignant de ce midi qui nous était si cher.

La neige tombait, celle déjà tombée se relevait poussée par le mistral.

Le train devenu express avançait avec plus de lenteur. La neige se faisait plus épaisse.

Le froid revenait, très très vif. S’arrêtant à plusieurs reprises.

La marche continuait et nous passâmes MONTELIMAR à 18 heures.

A 20 heures nous étions en gare de SAULCE-SUR-RHONE le train s’arrêta, la neige devenait trop épaisse.

Des amoncellements empêchaient tout trafic.

La moyenne était de 7,5 centimètres mais en beaucoup d’endroits elle atteignait 2 mètres. Les express étaient garés en avant. Nous fûmes obligés de nous garer aussi. Nous étions dans des compartiments de 1eres, presque tous les sous officiers de la compagnie (DELDON, COSTANTINI, MANDOLINI, MERLOZ, BERAUT et moi) mais le train n’étant pas chauffé, nous étions transis.

 

 

Jean à l’hôpital de Toulouse, en juin 1916, après sa blessure à la tête.

 

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      Le jour vint, la neige tombait de plus belle, le mistral soufflait en tempête et le train ne bougeait pas. En beaucoup d’endroits elle était à hauteur des portières. Malgré cela nous allions nous égayer avec le jour.

        Ma gaîté enfantine allait réjouir tous nos camarades et dès lors nos occupations furent manger, chanter, rire et quand quelques uns étaient saisis de monotonie je me régalais à leur faire des misères auxquelles ils répondaient par des menaces d’abord, par des coups ensuite.

C’était où je voulais en venir et des batailles commençaient; quelques uns se rangeaient de mon coté.des coups, des farces et des rires, la journée se continua ainsi.

 

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Mais vers le soir les vivres était finies. Nous en avions pour 2 jours seulement. Quelques boites de viande furent le diner du 3 au soir et le train ne bougeait pas….Nous ne pouvions avoir de ravitaillement

 Un peu fatigués des combats du jour qui ne furent pas très sanglants, et pour compléter notre diner qui était loin d’être celui que nous faisions d’habitude. Nous devions nous borner à écouter le proverbe « qui dort dine. »

Pour nous réchauffer nous avions pris les couvre-pieds des sacs. Nous mettions les pieds enchevêtrés les uns les autres sans soulier bien entendu. On les roulait après dans les couvre-pieds.

Tous nous fumions, cette fumée, notre haleine aidant, nos couvre-pieds et nos capotes nous préservèrent du froid terrible de la nuit.

 

Le jour vint, la neige avait cessé de tomber des chasse neige étaient venus de Valence. On avait pu dégager la voie descendante, le train recula et pu partir par l’autre voie à 8 heures.

A 14 heures nous arrivions à Valence, la gare était bondée de monde. Les voies étaient toutes occupées par des trains garés par la neige.

Nous pûmes au moins nous ravitailler.

Le train se remit en marche vers 17 heures à la nuit tombante. Mon souci n’était pas de dormir et je guettais par la portière l’endroit ou se trouvait TAIN, j’allais lui dire bonsoir pour Clairette. Je ne puis la voir elle, mais celui qu’on appelait le petit de TOURNON me dit où était la région. Je dis bonsoir au vent en ouvrant la portière.

J’avais fait une carte, mais le train ne s’arrêtant pas je ne puis la déposer qu’à la gare suivante d’une plus grande importance, la gare de ST RAMBERT D’ALBON

Je tranquillisai mes camarades en fermant la portière et comme la veille au soir nous nous couvrîmes pour dormir.

A minuit nous étions en gare de LYON.

Nous dormions quand les cris du capitaine nous réveillèrent: il appelait tous ses sergents (ah ces pauvres sergents, en voyage comme ils sont souvent en bombe !)

Habitué à être obéi à la seconde. Nous ne devions pas tarder. Et tous les souliers délacés…

Nous voila au garde à vous devant le capitaine.

Il nous fallait distribuer du café au rhum par section, ce qui fut fait en quelques minutes. Et après l’autorité militaire avait fait porter des bottes de paille pour mettre dans les wagons.

Dix minutes et tout est fini.

J’avais perdu mon soulier dans la précipitation. Je le retrouvais par hasard, mais mon pauvre pied gauche était bien près de d’être gelé. La paille répartie mise sous les pieds. Les portières refermées.

Le train repartit.

Malgré la paille le froid se faisait sentir de plus en plus fort. La neige au contraire avait cessé de tomber, à la neige succédait le brouillard.

        Les bleus n’avaient jamais assisté à pareil fête, engourdis, se laissant mourir plutôt que de se secourir entre eux. N’en ayant pas la force ni la volonté. Nous en laissâmes un à CHALONS-SUR-SAONE qui avait les pieds gelés. Le train fit une grande halte dans cette gare, et pour nous réchauffer (c’était le 5 a 10 heures) le capitaine nous ordonna de descendre de voiture et de faire un quart d’heure de pas de gymnastique.

En effet pendant 15 minutes nous fîmes sur les quais des tours et des détours et après nous rentrions réchauffés. Les vrais poilus avaient de la glace sur la barbe ou la moustache.

Tant bien que mal, nous arrivâmes à TOUL le 6 à 10 heures.

 

La neige atteignait seulement 50cm de haut.

Sac au dos et en route. Nous fîmes 4 kilomètres pour arriver aux CASERNES JANGOU.4 kilomètres sur le verglas où à chaque pas on risquait de tomber.

Nous rencontrâmes là les camarades partis au mois de septembre. Tous nous faisaient la haie tandis que nous entrions dans la cour. Un peu de bouillon chaud fut le déjeuner et ce ne fut pas une joie quand ils nous annoncèrent que nous ne devions pas caserner là, mais que nous devions aller en avant de 1800 mètres  pour occuper le FORT DU VIEUX CANTON.

 

A 16 heures sac au dos et en route.

Il parait que ces 1800 mètres étaient des plus longs, puisque nous marchâmes une heure à travers bois. Il faisait nuit noire quand nous fumes au fort.

Nous nous engageâmes dans les couloirs souterrains, et une heure après la classe 18 du 173eme était logée dans des places d’armes (chambres souterraines à 8 mètres du sol  superficiel. Les murailles quoiqu’en ciment suintaient de l’eau. Une mauvaise odeur s’exhalait des bas flancs inoccupés depuis tout ce temps, mais ce ne fut pas ce qui nous empêcha de dormir.

 

Le froid nous réveilla de bonne heure. J’étais de jour et il me fallait songer à tous les besoins de la compagnie. Avec 8 hommes, je partis au bois pour la soupe et ce n’était pas facile, il neigeait et la couche avait déjà 75 cm. Mais nous en trouvâmes sur ces grands arbres où moi-même je grimpais. 

Les bleus n’ayant encore repris leurs sens depuis le départ de GRANS. Ce fut en rentrant la distribution des effets chauds touchés à IS-SUR-TILLE: Tricots en laine, chaussettes en laine, cache nez, gants.

La journée fut mouvementée.

Un même travail se faisait, se défaisait, se refaisait. Des ordres exécutables à la seconde arrivaient de JANGOU où le capitaine était resté.

Par téléphone des messages que l’aspirant DELDON  copiait au poste et qu’il s’empressait de transmettre au sergent Emmanuelli

5 mn après un 2eme message ordonnait le contraire et ainsi jusqu’au soir, sans pourtant que ma patience fut a bout car j’avais promis à ce même aspirant qu’il n’aurait à compter sur moi qu’après avoir dépassé LYON, mais qu’après je ne serais plus qu’au service.

La nuit vint, le froid n’allait pas en diminuant mais le contraire.

Les sources gelées ne coulaient plus.

 

Le canon grondait car nous étions à 13 km des 1eres lignes ou des attaques partielles se succédaient à FLIREY .Le vacarme du jour faisait porter l’attention sur autres choses.

Mais à présent que tout rentrait dans le calme toute l’attention était là.

Les souterrains du fort tremblaient tellement la canonnade était forte. Si on montait sur les tourelles ou les remparts du fort, on pouvait malgré la neige voir les éclairs. Un brasier qui ne s’éteignait pas.

Les bleus surtout étaient inquiets croyant déjà les boches près de nous. Nous allions, disait-on, partir le lendemain à 3 heures pour une destination inconnue.

Savoir disait quelques uns si nous n’allons pas en ligne. Les préparatifs furent faits mais nous eûmes encore un jour pour emballer toutes les couvertures qu’on avait distribuées.

 

La journée du lendemain ressembla beaucoup à celle de la veille, mais elle fut plus calme sans doute parce qu’un autre était de jour.

Distribution de vivres de toutes sortes, vivres de chemin de fer et le 9 à 3 heures nous voila en route.

Il faisait nuit noire mais la neige nous éclairait. Adieu au fort du vieux canton et en route. La neige tombait de plus belle, elle atteignait presque un mètre. La marche était pénible, le froid insupportable.

A 6 heures seulement nous étions à JANGOU, là le bataillon se réunit et de nouveau en route.

 

Le trafic sur la route était continu et sans fin la neige était battue. C’était alors le verglas plus fatiguant que la neige. Que de bleus tombaient et même que de chefs.

A TOUL nous fîmes la 1ere pause et on cassa la croute. Ce n’était pas pour ceux qui n’avaient plus de dents. Le pain était gelé. On en fit tout de même descendre un morceau avec quelques barres de chocolat et de nouveau la colonne se remit en route.

 

Nous arrivâmes à DOMGERMAIN à midi et la colonne avait fait 1 kilomètre sous un froid glacial où si l’homme s’arrêtait 10 minutes sans bouger, il restait gelé comme un marbre.

Que d’encouragements pour ces gosses de la cote d’azur n’ayant jamais rien vu de semblable. Mais la peur de la mort par le froid les tenait.

Il nous fallu attendre une heure sur les quais, le train n’y étant pas, et à 13 heures nous embarquions sur des wagons à bestiaux.

Toute la journée dans ce maudit train. On voulait manger mais tout avait fini par geler, on voulut boire mais le café et le vin n’étaient qu’un morceau de glace dans le bidon. Que faire pour se réchauffer?

On faisait bien sauter des écailles de glace rouge du bidon, mais pouvaient elles suffire pour réchauffer un corps engourdi par le terrible gel. Contraints à jeuner par force, ce furent pour se réchauffer des sautillements sur place alternatifs de l’un et l’autre pied.

 

 Le train s’arrêta à 17 heures à FRENELLE-LA-GRANDE dans les Vosges tout le monde en bas, sac au dos, en avant marche. Un froid plus terrible que le jour, et la neige tombait sur la route.

Elle était d’une épaisseur de 1 mètre alors que le trafic était important.

A chaque kilomètre une section remplaçait celle de tête qui naturellement avait toute la fatigue pour fouler toute la neige. Cette dernière tombait poussée par le vent du nord.

Oh cette nuit du 9 au 10 qu’elle fut mémorable.

 

A 21 heures malgré la neige le bataillon fut à OELLEVILLE les cantonnements étaient préparés et nous logions chez l’habitant.

Ma section était partagée en trois, le plus gros élément était celui dont je m’occupais en particulier. Ces hommes morts de froid de faim et de fatigue se jetèrent sur le plancher.

Recevant secours si on leur portait, mais ne le cherchant point.

Pour voir là la mort, si jeunes encore arrachés inopinément du sein de leur famille et lancés dans des fatigues et des privations énormes. Je me demande ou ils puisèrent leurs forces pour tenir jusqu’au bout car on peut leur faire cet éloge, en un jour et on peut dire sans manger, avec une charge de 30 à 35 kg sur le dos, ils firent vingt cinq km.

Ceux qui tombèrent dans de bonnes maisons l’eurent belle. Les miens n’eurent pas cette chance.

 

Une vieille fille, sale, dégoutante, impolie à l’excès, criarde et ayant peur qu’on volât la maison, voilà le plus modeste portrait de notre hôtesse, pour nom MARIE FRANCOIS que j’appelle toujours MARIE BOCHE.

Après une telle fatigue arrivant dans une maison habitée il me semblait que c’était un devoir obligatoire pour un civil de nous aider un peu, de nous restaurer de son mieux.

Oui beaucoup le firent dans d’autres maisons, mais la mienne, à notre arrivée ferma portes et fenêtres, monta dans le grenier qu’elle avait cédé par ordre du maire, et là une lampe à la main elle attendait.

Quelques minutes s’écoulèrent sans que trop je fasse attention à la demoiselle. Nous avions allumé des bougies et cette lumière suffisait pour nous coucher par terre.

« Madame, lui dis je vous remercie infiniment de votre gentillesse, mais puisque nous avons des bougies pour la lumière, nous nous suffirons. »

« Ah, mais dit elle, ce n’est pas pour cela que je suis ici. »

Je me demandais ce qu’elle voulait et pourquoi donc ?

«J’ai peur que les soldats me volent tout.»

 

Nous prenions tout parait il, et si nous montions au grenier, là pouvions escamoter des choses.

Un plancher en effet séparait notre grenier du toit. Une ouverture pratiquée dans le plancher donnait accès à ce recoin reliée au grenier par une échelle.

Le nom de voleur ne m’avait guère plu, mais j’eu la curiosité de voir ce qu’elle devait avoir. Là je montais l’échelle et je vis sur le plancher des bouteilles vides, des débris de persiennes, de petite lattes, des vases en terre la plupart cassés.

       « -C’est tout ce que vous y avez madame? 

        -Oui  

        -alors soyez tranquille mes bleus ne vous voleront rien »

Elle partit mais pas trop rassurée.

 

Je descends les escaliers et voyant la cuisine ouverte, je m’introduisis et lui demandais de me faire chauffer sur sa cuisinière un morceau de viande gelée, un morceau de pain, un peu de café gelés de même.

Non, répondit elle, je ne veux pas, demain on dirait dans le village qu’un soldat est venu à 23h dans ma cuisine, on n’en finirait pas. Et puis les soldats étions des voleurs parait il.

Pour la deuxième fois on m’affublait du beau nom de voleur. Je me contins pourtant, habitué à cette sorte de quolibets, courants dans les régions de l’est.

Les soldats sont beaucoup mieux que vous, lui dis je, ce ne sont pas des voleurs. Et quand a votre pudeur, elle s’étend trop. Les gens d’OELLEVILLE peuvent se taire, mon jugement est fait et vous pourriez me laisser entrer à votre cuisine sans crainte « vous êtes un remède contre l’amour.»

 

Je devenais impoli, moi un excès de patience, mais qui aurait pu résister surtout après de telles fatigues, de telles privations?

La nuit se passa.

La neige poussée par le vent tombait toujours, mais malgré cela nous nous reposâmes sans penser au froid. Au jour nous pûmes faire chauffer quelque chose, ce qui nous restait. Nous ne trouvions rien dans le pays et le ravitaillement ne pouvait se faire.

 

Le 11 enfin nous reçûmes du pain et autre ravitaillement.

Tout le travail fut installation. Nous passâmes les journées de mauvais temps dedans. Les théories seules nous occupaient pendant des heures. Le ravitaillement dès lors se fit bien et les bleus n’eurent plus à redouter la faim. Il neigea jusque vers le 15 janvier.

Pas continuellement mais une journée ne se passa sans que des flocons ne vinssent épaissir la couche déjà fameuse.

Puis ce fût le dégel, la boue immense, l’écoulement du purin dans toutes les rues du village car devant chaque maison, un gros tas de fumier ornait la porte d’entrée.

Indispensable parait il pour la santé des habitants. L’odeur de la bête est saine pour l’homme.

Des légendes sur ces tas de fumier.

 

Un jour, voulant demander des explications à un homme sur ces même tas de fumier. Il me répondit:

« Ah nous n’étions pas intelligents du tout, nous ne comprenions pas que les tas de fumier devant la porte indiquaient la valeur de l’habitant, et là pouvions dire que là où il y avait un grand tas de fumier, la fille à marier avait une bonne dot »

Juste la réponse de cet homme.

En effet où le tas de fumier est grand, il doit y avoir beaucoup de bêtes à l’écurie et le bétail était dans cette région une des plus grandes ressources. Je me tus car de quoi m’aurait on traité si j’avais cherché à comprendre.

Mais je ne sais encore par quelle expérience on sait que l’odeur de la bête est bonne pour l’homme.

 

Le temps à la pluie n’en revenait pas, juste la nuit le temps se faisait beau, le ciel était peuplé d’étoiles. Il gelait fort et le matin une pluie fine venait rendre plus glissant encore le verglas des rues. Le 18, j’eus une surprise voyant apparaitre mon cousin ANGE à la popote des sous officiers moi qui le croyais au front encore.

Nous passâmes la soirée ensemble et je l’accompagnais jusqu’à REPEL.

 

Il revint le dimanche 20.

 Nous fîmes ensemble un repas chez une brave femme madame ETIENNE qui nous avait préparé un lapin.

Le temps avait commencé à se faire beau, le soleil devenait presque chaud, seul le brouillard très intense venait le matin nous geler encore aux rassemblements quotidiens de 7h. Les moustachus voyaient leurs barbes se hérisser, se raidir, devenir de la glace.

Vers 10h seulement le brouillard partait et le froid avec.

Le travail n’était pas intense.

Réveil à 6h30.

Rassemblement 7h.

Départ 7h30 et rentrée 9h30. Des petites promenades plutôt que du service. Nécessaires quand même pour que l’on ne s’ennuyât point.

On repartait à 14 h, on rentrait à 15h45 et repos.

Nous dinions à 17h30 nous sortions de table à 18h30.

Nous allions à 4 jouer dans une maison trois litres de lait chaud que l’on buvait après une partie et à 20h chacun dans la chambre car nous avions réussi à nous procurer une chambre et un lit.

Nous allions lire, écrire ou nous coucher.

Les nouvelles arrivèrent, la vie redevenait supportable.

 

Quand un jour le capitaine m’appelle et me dit:

« Tu peux écrire que l’on prépare le café chez toi, tu vas bientôt y aller »

Je n’avais pas eu en effet de permissions avant de partir du dépôt et je devais partir le premier du front.

 

Je partis en effet le 30 janvier pour quinze jours. Dans l’après midi nous allions nous embarquer à ROUVRES BAUDRICOURT à 18 heures nous étions à NEUFCHATEAU

 

Dans le train une idée me travaillait, devais-je aller à GRANS voir ma marraine?

Oui mon idée était arrêtée, et depuis longtemps, mais précisément quelques jours avant, son frère m’annonçait son départ de cette dernière pour un voyage de savoir quelle durée.

Elle était rentrée peut être mais si ce n’était pas le cas, quelle tête allais je faire alors que toute mon idée était de la voir. Elle entre toutes. Elle n’avait daigné m’annoncer son départ, j’étais à demi vexé de cela. Non pas que je  n‘eus vu tout ce monde si brave de GRANS volontiers, non mais arriver et ne point trouver CLAIRETTE ça m’aurait trop fait souffrir.

 

Et dans le doute je préférais partir dans une autre direction, écrire pour annoncer mon départ en permission, donner mon adresse à MARSEILLE, provoquer là une réponse et pour éviter l’ennui d’attendre une réponse à MARSEILLE, je décidais de ne point y aller et de prolonger ma route et filer sur TOULOUSE.

 

Jusqu’à NEUFCHATEAU j’étais encore indécis, penchant tantôt d’un coté tantôt de l’autre.

Mais en gare quand je vis le train qui filait vers TOULOUSE alors que le notre demeurait là et ne partait que le 31 à 4h, je résolu de partir et je changeais de train.

 

A 2h du matin j’étais à JESSAIN (?) à 11h à ORLEANS je repartais à 12h55 et arrivai à TOULOUSE  à 4h44 le 1er février.

Février 1918 : La permission, le retour

Je pus réveiller mes parents rue Valenciennes.

Accueil des plus chaleureux. Heureuse surprise.

Je passai les journées du 1er et 2 février à TOULOUSE et repartis ce dernier jours à 23h35 par le train. A 8h j’étais a TARASCON ou il me fallut attendre pendant 4h le train des permissionnaires.

Je repartais à midi. Je lançais en passant dans la région de GRANS des baisers au vent à l’adresse bien entendu de ma chère marraine et à 14 h j’arrive à MARSEILLE.

 

Directement je vais chez mes parents et ma 1ere question fut: 

« N’ai-je point de lettres à la maison? »

« Quoi avant d’arriver à MARSEILLE des lettres ?

Mais alors quoi, tu n’y es plus ? »

Je vais de là à l’American York qui est le rassemblement général des permissionnaires partants pour la Corse on (illisible) et je reviens à la maison.

 

Le 4 je reviens à l’American York même chose mais en rentrant j’avais à la maison 2 cartes m’annonçant le retour de ma marraine et je ne voyais plus la probabilité d’y aller car on causait de faire partir tous les permissionnaires le mardi soir pour NICE.

Tout resta entre les deux.

Je tremblais quand je songeais que je n’aurais pu aller à GRANS. J’acquis pourtant la conviction que je pourrai manquer le courrier de NICE pour lequel on partait le 7 au soir.

J’eus et c’est déjà beaucoup la bonté (?) jusqu’à la gare saint Charles et de là ne me présentant que lorsque le train démarrait, je fus inscrit pour le courrier MARSEILLE-BASTIA qui allait partir le dimanche laissant mon cousin ANGE à MARSEILLE pour les renseignements.

A 5h31 je prends le train pour GRANS où je fus rendu 9h

Et là je cesse tout car comment faire pour en exprimer la joie, pour en exprimer les bontés, la gentillesse, les soins qu’on prit de moi. J’en suis incapable.mon carnet de route cesse pour ma permission car le continuer serait trop. D’ailleurs ne rappellent elles pas absolument le passé et il ne devrait être que pour la campagne.

Je m’arrête.

Quelques mots résument ma permission de mon arrivée en corse à mon départ. Une idée fixe que j’aimais caresser fut en moi……ma marraine…..ses amis et GRANS.

Le reste n’est pas à noter puisque tout mon idéal est là.

 

Me voila de retour.

Me voila à GRANS au départ du train, car comme un  mois auparavant je suis incapable de décrire l’accueil.

Oui me voila à la dernière poignée de main de CLAIRETTE et en route pour le front.

Je ne croyais pas encore au départ.

Chose étrange le permissionnaire ou tout soldat partant pour le front n’a l’impression d’y allé qu’après avoir dépassé LYON. Jusque là on croit toujours être prêt à s’en revenir et moi tout rêveur je ne croyais pas avoir quitté CLAIRETTE.

Elle était présente à mes yeux.

Je ne voyais qu’elle.

Je fis brièvement à mon cousin qui m’attendait dans un wagon de 2eme le résumé de mon séjour à GRANS.

Nous arrivâmes à AVIGNON à 12h.

L’express ne passait qu’à 15h30. Nous sortîmes et dans un restaurant prîmes notre déjeuner

A 15h en route. Chacun connait les voyages en chemin de fer pour que je ne cite ici les impressions. Les miennes d’ailleurs ne s’étendent qu’à une léthargie complète.ne voyant qu’une chose…..

Comme à mon départ avec les jeunes, je ne me réanimais qu’après être parti de VALENCE.

Je voulais à présent que nous y fassions séjour voir TAIN de CLAIRETTE  et je le vis c’était beau.

Les coteaux recouverts de vignobles, les ceps de vignes perchés, accrochés à la pente faisait contraste sérieux avec la vallée du Rhône, avec la terre pleines des … (illisible) où chacun a sa portion ou la voudrait.

Léthargique après jusqu’à DIJON et là nous descendîmes mon cousin et moi. Il nous fallait attendre 16h pour la direction de NEUFCHATEAU.

 

 Nous passâmes la nuit au « poilu palace » cantine militaire admirable pour son organisation. Nous visitâmes la ville très jolie et très propre. Et nous étions prêts au départ à 14h23.

A 23h nous étions à NEUFCHATEAU où il fallu encore attendre 8 h.

A 7h le 14 nous reprenions le train. Mon cousin descendit à GIRONCOURT et moi à ROUVRES BAUDRICOURT à 10h.

Je regagnais ma compagnie à OELLEVILLE.

Retour dans le régiment

Tout le monde en colère, parlant d’arrêts rigueur, de cassation …etc …etc…

Heureusement que tous les tampons des gares correspondaient et n’indiquaient aucun retard; quand on a fait aucun mal on n’a pas à encourir des punitions.

Immédiatement je repris service à ma section avec une certaine joie de retrouver mes bleus; et pour eux se fut un cri de soulagement: 

« Ah enfin notre sergent arrive! »

 

Petite famille habituée à la douceur d’un jeune père et ne pouvant supporter la douceur d’un autre serait elle meilleure. Quoique avec le même fond, quelle différence on trouve entre un maitre et un autre.

Tous souriaient et ne cessait de dire:

« Nous ne sommes pas fâchés que vous soyez revenu, vous savez les autres c’est bien les autres. »

Je n’applaudissais pas à leurs pensées.

 

L’autre qui m’avait remplacé ne leur disait il pas dans le même ordre d’idée, de bien faire, d’être disciplinés. Je ne m’attribuais pas des qualités supérieures à n’importe lequel des sergents, au contraire je me suis toujours jugé le plus petit. Ne suis-je pas en effet le plus jeune et de là le moins expérimenté.

Qu’importe aujourd’hui j’en étais flatté, j’étais content de voir que l’affection que je portai à mes soldats était réciproque.

 

Je repris ma section mais après quelques jours je pensais à ma permission, à certains passages, les jours alors me parurent longs. Je voulais des nouvelles et quand en aurais je eu ?

Dis donc BONOU, pas de lettres…?

Non, mon vieux. C’est le coup de massue pour moi, et je n’en attends point.

Après deux jours, des lettres !

Mais qui pouvait m’écrire. Je le comprends mais mon idée, mon cœur plus puissant que mon cerveau en aurait voulu. Je relis celles se trouvant ici, elles me paraissent toutes nouvelles, elles sont gentilles, mais celles d’à présent sont certes meilleures, elles contiennent une autre affection puisqu’elle me connait mieux CLAIRETTE.

Je voudrais coucher cette pensée, elle s’apaise. Mais le moindre mouvement la fait embraser tout. J’écris, je fais énigmatique mes phrases, elles sont quelques fois expliquées.

Hélas seront-elles lues ?

Je me le demande. Si un cœur aimant les lisait, certes elles seraient devinées, mais dans le doute…Et le doute persistera car chaque jour je me promets d’être assez fort pour le déclarer, chaque jour je reste là muet.

Et là bas on ne peut me comprendre, on ne veut pas d’ailleurs, un cœur indifférent à l’amour ne peut comprendre une lettre en renfermant..Et pourtant encore je ne puis.

Que sais-je.

L’affection que je voudrais est peut être impossible en la demandant ne froisserai-je pas cette amitié si belle? Ne la ferai-je pas tomber complètement au lieu de l’accroitre.

Oh cette idée me fera souffrir, mais il me fera rester muet, je préfère l’adorer ainsi toute ma vie, que la perdre en voulant trop. L’amour recherche l’amour. Si cela est, le sien me poursuivra un jour.

Ah ma joie serait si grande si C…en ce moment pensait à moi comme je le fais avec le même amour, l’amour franc, le premier amour.

Et les journées se passent, voila un dimanche encore plus triste qu’un jour de semaine.

Mars 1918 - Oëlleville

Le 17 mars.

Lundi, mardi, mercredi, le mercredi je reprends le service de semaine avec plaisir.

Pour me distraire de cette idée fixe que j’ai ,service de semaine occupation constante, je suis tout au service ,je crois oublier le reste, mais quand je rentre dans ma chambre tout seul, toutes mes idées sont plus fortes encore.

Mon occupation me distrait .Et les heures les plus critiques sont entre 16 et 17h l’arrivée des lettres

Ah cette attente. Oh les déceptions qui ne devraient pas être pourtant. Mais je ne puis me raisonner quelque chose en moi cause plus fort c’est mon …       

Mercredi, jeudi, vendredi.

On parle d’un convoi de 280 jeunes passants au 6eme d’infanterie tous d’une autre compagnie.

Je voudrais comme eux partir, ils s’en vont demain samedi. Je fais la demande, (au moins au front, l’idée de sauver la vie de mes camarades, celle d’être utile à mon pays, me ferait oublier cette idée qui sans doute n’a aucune réciprocité).

Mais le capitaine quoique ne s’opposant pas, me fait comprendre que ma demande avait l’air d’être vexante pour lui. Que ce devait être pour ne plus servir sous ses ordres et que j’en avais assez de lui.

Que je demandais à le quitter. Il cru tellement à son humiliation que sur le coup je retirai ma demande sans songer que je pouvais porter au capitaine des raisons capitales pour qu’il ait la conviction que ce n’était pour le quitter. Mais pour un devoir plus sérieux.

 

Le samedi le fameux départ et le dimanche je devrais finir ma semaine, le dimanche soir.

La journée se passe dans un profond ennui.

A 16 h je vais voir les lettres; un cri de joie en apercevant l’écriture tant attendue, voici la lettre de C….,je la lis, je la relis et ne m’en lasse point et pourtant elle est innocente, elle est tout simplement affectueuse, bonne. Mais c’est beaucoup car si je ne vais avoir autre chose, si je pouvais avoir son …..j’aurai toujours cette douce amitié.

 

Lundi me voila au repos, quelques écriture et l’intrigue à présent est l’offensive allemande: les boches que vont-ils faire, perceront-ils?

Que d’opinions que de discours. Toute l’attente est dans les communiqués. Cependant mon idée se détourne même de là pour regarder encore plus profondément vers C…….

 

 Mardi 26 la situation s’aggrave, toutes les troupes sont alertées.

Revue de mobilisation, opinions diverses encore du travail jusqu’à tard pour le complément à donner aux hommes, pour un départ inopiné.

Et sur les rangs même je reçois une jolie carte avec quelques mots seulement, mais renfermant je ne sais quoi de beau: renfermant C……avec son sourire son expression moqueuse et énigmatique, mais douce. Oh bien douce.

Et de la guerre des nouvelles pas trop rassurantes, luttes horribles des masses et des masses lancées contre nos tranchées, nos fortification.

Une émotion envahit tous les cœurs. Une peur monte à tous les cerveaux. Une indignation nous  maitrise. Mais espoir, confiance en attendant notre part.

Mercredi nouvelles sirènes, propos alarmants. La bataille continue avec une violence extrême.

Journée dans le calme, le repos.

 

La musique à OELLEVILLE pendant que tant de camarades, de frères tombent sous la mitraille. Mais quoi s’en faire, s’attrister, non !

On ne désespère pas de la Patrie.

On est joyeux

La gaité rend les cœurs plus courageux. Et ce courage est nécessaire aux troupes qui s’engagent dans la mêlée.

Le soir, une lettre, une jolie lettre, une lettre mignonne comme C……faisant à certain moments oublier jusque la bataille ce jeudi Saint. Calme dans la matinée.

 

Les nouvelles reviennent alarmante: la ruée s’étend, elle a trouvée une fissure, elle l’a enfoncée, la lutte à la vie à la mort. Les boches sont à MONTDIDIER.

Ils avancent.

La trouée est faite la lutte est en rase campagne. Ah que d’opinions qui changèrent demain encore. Les uns disent que la prise de MONTDIDIER est une déroute certaine d’autres sont plus confiants.

Ils prévoient une bataille de la Marne.

La confiance est pourtant générale et tout le monde qui connait pourtant la guerre, qui se figure l’effroyable carnage. Tous voudraient y être.

Oui mettre leur énergie pour ce dernier coup qui certes est le final, les repousser, regagner le terrain perdu. Voila une victoire, voila les boches à jamais par terre.

 

Le vendredi Saint la pluie vient attrister les cœurs.

La pensée revient vers les champs de bataille. C’est plus terrible encore dans la boue pour se battre. Nous seuls le comprenons.

Mais peut être le mauvais temps est il pire pour eux que pour nous

Ils ont engagé leurs pièces lourdes, si elles s’embourbaient comme à la Marne en 1914.Un communiqué annonce un recul de 2km sur un front de 10.

Si c’était l’arrêt, la contre offensive ?

 

Le samedi saint le temps revient au beau, rien d’intéressant ne nous arrive pour pouvoir noter.

Voyons mes impressions de Pâques quelles sont-elles?

Plutôt triste, pourquoi le cafard, pourquoi ces idées noires incrustées en moi ?

La pluie continuelle depuis hier en est peut être cause, mais non, puisqu’en voyant en moi-même je vois que c’est autre chose. Je ne sais quoi.je ne puis l’expliquer, ou je ne veux l’expliquer.

Non je ne voudrais pas me plier à cette idée souveraine, à la volonté de mon cœur. Ainsi en moi-même j’essaye de croire que c’est la pensée de la guerre, l’idée que tant de camarades tombent ou sinon que c’est la pluie ou sinon que c’est une indisposition quelconque.je voudrais croire à tout cela mais au fond je n’en pense rien.

Je sais que c’est mon cœur qui me tourmente. Ces jours de fêtes sont pour moi funestes, en effet je suis comme fou.

Je souffre sans savoir où je vais. Aussi à l’heure ou tous mes camarades sont au concert théâtral je suis dans ma chambre seul, rêvant la musique me ferait mal au cœur.

Je ne veux point l’entendre.

Je ne veux pas non plus voir la représentation, je n’y porterai aucun intérêt.

 

Une visite, mon cousin ANGE qui part faire un stage de GRIMAOUT (?) à BLEMEREY pour changer ma vie j’ai été l’accompagner jusque BLEMEREY 4km à d’ici. Je reviens seulement et il est 18h même la promenade, mon passe temps préféré ne m’intéresse plus.

Une promenade à la campagne, moi adorateur de la nature devrait me charmer.

Une promenade de 8km, sous la pluie, je suis arrivé mouillé. Mais je le voulais, ma tête a perdu en route un peu de cette chaleur qui la brulait au départ.

Avril 1918- Oëlleville, puis départ pour le 132e RI

1er avril

Rien je ne puis rien dire sur cette journée car toutes mes pensées seraient un jour contraire.

1er avril: rien n’est sérieux

 

2 avril

Journée de pluie, journée triste encore égayée pourtant par les interrogations du 1er avril. Et puis quoi pas à noter la réception de ce joli paquet, de ce bon paquet envoyé par ma marraine. Certes oui c’est d’elle seule.

Ce qu’il a pu me faire plaisir. Ils sont si doux les bonbons le chocolat et tout parce que ça vient d’elle.

 

3 avril

Belle journée encore boueuse.

Idée fixe encore, ne pouvant s’apaiser, pourtant pour moi-même toujours j’aime en secret et comment sera-t-il reçu un jour cet amour pour ma C…..Car tôt ou tard il le sera.

Quand je ne puis le dire moi-même à présent je voudrais que ce ne soit pas par mes écrits qu’elle le sache,  mais avoué par ma propre bouche pour pouvoir observer l’impression produite.

Je saurai lire la réponse sans qu’elle la prononce. Je saurai cultiver cet amour, de suite, s’il est comme le mien, ou je saurai me faire pardonner si je me suis trompé, si j’ai été trop loin. C’est cependant une attente si longue, une agonie pour moi.

Pourra-t-elle tenir ?

 

J’aurai du courage encore et peut être réussirai-je à aboutir.une chose qui me retient aussi; quand je serai en ligne je serai au danger, à chaque minute je puis tomber au champ d’Honneur, ou sinon être gravement blessé, être amputé.

Et alors si déjà elle m’avait donné son cœur elle le maintiendrait peut être, et ce serait mal, ce serait la priver du bonheur qu’elle mérite.

Pendant ma campagne elle saura donc que je l’aime mais elle comprendra un amour tout autre que celui qui remplit mon cœur.

Mon amour, tout mon amour, mon cœur est à elle depuis quelques moi, depuis ma permission, l’inspiration y fut depuis le jour ou je la demandais pour marraine. Ne serai-je pas trop expansif ou ne l’aurai-je été pour qu’elle le comprenne avant ma pensée. N’est elle pas plus forte que tout, quelque fois ?

Mais peut être le comprend elle, peut être est elle comme moi.

 

Si c’était, et que plus tard elle me le dise; elle me le prouve. Chaque jour je viendrai noter mes impressions, mes pensées ou le résumé d’elles.

Quel contraste avec les journées de guerre. Je pourrai mettre comme titre « la guerre et l’amour »le titre du carnet de route de Bonaparte pour la campagne d’Italie.

Je pèche en faisant la comparaison car toute la bravoure que je puis avoir pourra-t-elle égaler une ligne des pages de gloire de Bonaparte, mais ambitieux comme tous mes frère corses je ne connais point de modestie.

Cependant mon ambition là n’est point de mettre mon amour comme le mit Bonaparte sur une Joséphine à un si grand guerrier. Mais le nom en qui je veux mettre, poser mon amour est plus beau, est plus clair, en effet C……

 

4 avril

Beau temps ; L’après midi marche militaire.

Nous allons à TOTAINVILLE où nous passons 2h musique de la 36eme(ou 38eme) et bal obligatoire pour les soldats. Les sous officiers ouvrent le bal nous rentrons à 15h45 à OELLEVILLE.

 

5 avril

Ce qui marque le plus ce jour pour moi est la fin de la 22eme année depuis ce matin j’ai 23 ans. (*) Je ne suis plus un petit enfant comme on me dit quelques fois et je défends de le dire.

(*) Surprenante erreur, né en 1896 il a 22 ans ! Possible qu’il se soit vieilli pour Clairette

 

Ce n’est point la fête quand même. Tout est tranquille, la fête oui, à ZALANA.

Et en fin de journée, ce qui la marque surtout c’est une jolie lettre bleue colombe. Celle qui seule m’apporte la joie. Comme elle est lue et relue.

Chacune d’elle me plait plus que la précédente. Aussi donc où en irais je…? Ah comme je voudrais en être au but..Ma joie semble revenir, mais ce n’est que pour ses lettres et après monotonie. Idées diverses penchant successivement du bon et du mauvais coté. Et cette idée n’est pas comprise là bas.

« Tu ne te doutes pas C…….que tu es aimé comme tu l’es ? »

Non car peut être vois tu un abime entre toi et ton p…..JEAN.

Et ces idées sont sérieuses puisqu’elles au moment même ou je me proclame sérieux.

 

Le 6

On nous fait lever à 5 h, certes, une des plus dures corvées à faire, rien ne me tourmente plus que ce réveil, toujours, toujours à la même heure, un exercice sur le terrain et la rentrée à 8h30, enfin repos toute l’après midi.

 

Le 7

Lever à 8 h avec l’idée d’aller à la messe. Je tins parole et m’y voila; Journée triste encore, mauvais temps.

A 10h je pars invité à déjeuner par mon cousin à BLEMEREY où il accomplit un stage de grenadier.

J’arrive à midi.

Le déjeuner préparé chez une demoiselle de 40 ans, assez  varié, mais préparation mauvaise, que peut-on savoir faire dans ces régions. Joyeusement le repas se termine et pour revenir à OELLEVILLE nous voulons allonger la promenade nous passons par FRENELLE-LA-PETITE, nous parce que mon cousin et un sergent m’accompagnent.

Et nous rentrons tout presser d’arriver à OELLEVILLE où certes des lettres m’attendraient. En effet la bleue colombe est la sur la table à popote.

D’autres l’accompagnent car il y a du courrier de Corse, mais à part les nouvelles de ma famille puis je trouver un intérêt ailleurs dans d’autres lettres?

Avec les idées que j’ai.

J’attends les lettres de C…..Comme on attend, comme sans doute on doit attendre la lettre de l’aimée. Mais les miennes ne sont pas à pareille réception. Certes avec beaucoup de douceur car elle n’est pas capable de moins, mais loin de celle que je désire.

 

Et le lundi 8 peu de travail, musique, défilé, parade…Cependant la soirée se marque, nous pensons la chauffer et c’est ainsi que dans un café pour la 1ere fois que nous y stationnons nous buvons du vin blanc.

C’est presque la chambre et quelques uns bridés pas la puissance du vin n’obéissent plus qu’à lui parmi lesquels BERNARDINI, BERRAUD……

 

Et le 9 voilà ce que j’attendais avec une certaine impatience, voila la preuve certaine du départ.

Je vais au 132eme régiment d’infanterie, régiment de REIMS transféré en Bretagne, le départ est proche  et certain.je sais à présent que je vais être un guerrier de la grande bataille.

Avec joie j’accueille la nouvelle, cependant un regret: tant d’amis qui étaient avec moi depuis tant de mois ne seront plus pour moi, je pars seul comme sergent avec des hommes d’une autre compagnie, des vieux.

 

Le mauvais de la vie militaire en guerre. On est aujourd’hui avec des hommes, on se fait des amis et un beau jour on se quitte pour ne plus jamais se revoir.

C’est triste et pourtant on se fait à tout. Je serai seul, dans ce nouveau régiment.je n’aurai aucun de ceux qui furent avec moi. Hommes ou gradés, enfin je ne me désespère point.

C’est le métier et je ne perds pas mes amitiés sincères et lointaines. Ainsi C……restera mon amie, j’aurai là aussi de ses nouvelles et je serai heureux alors.

 

Le capitaine nous exempte de tout service et en effet sous peu nous allons nous servir des forces que nous avons acquises dans ces parages d’arrière.

 

Le 10

Ho mais nous avions repos absolu et précisément pour cela à 6h 30 on vient me réveiller. »

Malheureux lève toi, mets toi vite en tenue, le capitaine appelle !

Et il faut me lever. Sans hâte je m’habille et j’arrive sur les rangs.

La compagnie allait partir pour l’exercice, on laisse beaucoup de gradés pour une théorie du cadre(?) et je suis du nombre, mais décidé à ne rien faire, je dis que j’ai mal à la tête et je m’en vais dans la chambre, mais je ne puis point m’esquiver le soir de l’exercice général; opinion du capitaine.

Certes ce n’est point la mienne mais pour ne pas le contredire pour les derniers jours je vais à l’exercice en spectateur.

 

Le 11 au matin juste quelques occupations et l’après midi exercice du bataillon. Nous y assistons sans doute parce que nous étions au repos complet.

Nous sommes passés en revue par le général BRESSE(?); nous rentrons à 17h30.

A table à 18h nous sommes au milieu du repas quand on frappe à la porte!

« Pan..Pan !

Entrez! »

« Bonsoir messieurs, le sergent EMMANUELLI se tiendra prêt pour rassembler demain à 6h le renfort de la 36ème partant pour le 132ème »

 

C’est les cris et les chants excités par moi-même.

Le départ est là.il nous fallu la soirée pour avoir le complément nécessaire au départ, à minuit seulement je me couche. Il est à noter la séparation avec les bleus.

A 21 h sûr de les trouver dans leur chambre je vais faire mes adieux.

Je ne puis cacher mon émotion en serrant la main pour la dernière fois peut être à ces hommes que j’ai éduqués à ma façon et avec lesquels je vis depuis un an.

Tous me parlent de regrets de me voir partir et je cherche au fond de leurs cœurs si aucun ne ment. Je sais y lire, aucun ne me ment.

Ils regrettent de voir partir, celui qui fut pendant un an, non leur chef, mais leur camarade. C’est toute la récompense que j’attendais d’eux et je l’ai. Et à deux reprises différentes je ne puis retenir mes larmes.

je sens que je les aime ces enfants de 20 ans et ils m’aiment aussi.

 

    …Au revoir à quelques civils que j’ai connu…Et là aussi on ne me maudit pas, on a vu ma conduite en dehors du service de semaine et on a jugé que le « bon gros » était bon réellement.

Hélas mauvaise opinion de moi-même…Mais au fond chacun est pareil.                                                                 

Chapitre 2 : 132 ème REGIMENT D’INFANTERIE

Avril 1918-secteur de Lunéville

 En route, nous sortons du village à 6h nous passons à BLEMEREY ou je vois mon cousin ANGE.

Le sac se fait lourd, mais on le supporte bien, car il le faut dorénavant.

A 7h19 nous passons la frontière qui sépare les Vosges de la Meurthe et Moselle.

Nous traversons FRAISNE-EN-SAINTOIS, BOUZANVILLE, DIARVILLE, XIROCOURT, AFFRACOURT.

La marche est lente, pénible par la chaleur d’avril qui est déjà assez forte.

Les trainards jalonnent toute la route. Nous nous arrêtons pour cantonner à HAROUE joli petit chef lieu de canton. Nous sommes cantonnés dans un orphelinat où nous sommes l’attention constante des sœurs. La population est gentille.

Une fillette que j’avais interpelé pour lui demander de me renseigner pour trouver une chambre, a fait avec moi 6 maisons pour m’en trouver une et elle y a réussi en effet.

Et je couchai le soir dans une chambre bien garnie.

 

Nous repartons le lendemain à 6h50 nous passons par CRANDENOY BAYON petite ville ou nous faisons une petite pause.

Nous arrivons a EINVAUX à 18 h là c’est la mauvaise réception, impolitesse des habitants, cris d’épouvante contre les soldats fatigués.

Nous couchons dans des granges sur du foin à qui mieux mieux.

 

Le 14

Repos tout le jour désignation du renfort partant pour le régiment de ligne :142 partent de la 8ème compagnie.

La journée se passe dans un grand énervement, en effet l’arrivée dans un corps que l’on ne connait pas, le manque de camarades, on se voit dépaysé, on a le cafard.

 

Le dimanche se passe sans que j’ai l’idée de ce que je suis, où je suis.. Et le lundi je vais réveiller les hommes du renfort et je les mets en route. Journée des plus calme. Je reviens à ma vie ordinaire, avec elle, reprennent mes pensées si profondes, mes idées quelques fois tristes, mais joyeuse souvent.

 

Mardi 16

Nous nous préparons pour l’exercice.

Il pleut.

La journée n’est point triste comme les précédente car j’aime mieux rester là pour écrire. Je pourrai faire des lettres à peu près. Je suis heureux et pourtant je n’ai point lieu de l’être pour longtemps.

Certes je ne puis avoir de lettres, pas avant le 25 avril. Et à voir encore car des changements vont se produire encore, on va rejoindre les tranchées, mais après j’en aurai car je serai fixe à ce régiment le 132ème.

Je lirai régulièrement ses nouvelles, bonnes toujours. Jusqu’à ce qu’un étrange destin me ramène auprès d’elle. Ah que ne puis je y être en ce moment.

Je serai si bien lui expliquer cette passion qui à chaque minute augmente.

De loin peut-elle me comprendre. Non, elle ne voit pas mes regards, elle ne croirait pas que je l’aime.

 

Mercredi 17

Je ne puis par une journée peu mouvementée garnir mon carnet de route, il resterait peu de place pour mes journées de guerre qui vont suivre.

Le temps se remet au beau dans l’après midi et nous allons à l’exercice.

Rentrés a 16h on fait une partie, quelques cartes et la nuit va venir. J’aurai pourtant en dehors de la guerre à noter des impressions qui viennent à chaque instant à mon esprit, elles seraient trop nombreuses et chacune d’elle ne veut signifier qu’un seul fond.

Toutes se résument à mon amour pour C….

Il pourrait remplir des pages mais je me contente d’en faire paraître les résumés qui seront lus et commentés plus tard avec le sujet de mon idéal.

Le sujet et l’auteur.

Dire que j’écris, que je ne laisse rien paraître sur mes lettres me décelant et mon idée y est toute entière aussi mes idées sont peu étendues, mes lettres doivent devenir monotones. Comment me juge-t-elle? Quelle est son impression générale? Inutile je ne puis la pénétrer.

Peut être n’y voit elle rien, et pourtant mes regards étaient souvent significatifs. N’a-t-elle pas vu et apprécié ce regard, vertigineux et plein d’amour. Non car elle m’aurait demandé quelque chose, et pourtant son regard quelques fois semblait répondre au mien.

Comme je souffre…ce doute va persister en moi longtemps, au moins jusqu’à ma prochaine permission. Ma souffrance grandira avec mes peines physiques. Est-ce une vie pour un poilu?

Ah, vite qu’un événement arrive et que je parte, que je revienne à GRANS où je serai au moins rassuré, ou déçu complètement.

 Dorénavant, tout doucement je songe à mon bonheur, si mes prévisions s’achevaient, j’en goûte la douceur et je ne songe pas au reste ,non si c’est le contraire j’aurai le temps de caresser une tristesse trop grande. Ainsi tout me fait rêver, les champs, les élevages les fleurs, les jeunes bourgeons et je compare tout à un bel amour qui est le nôtre.

 

18 avril, à  signaler une représentation cinématographique en plein air à 18 h jusqu’à 22 h.

C’est excentrique, mais l’odeur du purin me fait songer trop souvent que je suis non sur un fauteuil mais sur un tas de fumier.

Il fait froid mais attirés par les exploits de Max Linder je reste jusqu’à la fin sur mon tas de fumier.

 

19 avril

Je suis (illisible) journée très froide, il tombe un peu de neige dans la matinée.

Attente des lettres car tous en ont reçu hier, moi excepté. Et pourtant à la compagnie je dois en avoir. On parle d’une prochaine montée en ligne dans la foret de PAROY.

Et les lettres vinrent en effet, plusieurs lettres de toute part, mais mes yeux ont déjà parcouru les adresses. Déjà un petit cri de joie m’a échappé: j’ai deux lettres de C…..la seule m’intéressant évidemment.

Elles sont ouvertes les premières et dévorées.

Elles sont si bonnes ces lettres combien de fois les ai-je lues, je ne puis le dire. J’en suis encore à ce travail et c’est le lendemain.

Dans une je deviens son confident, je lui avais fait cette demande dernièrement, elle m’est accordée. C’était pour avoir sa permission et alors dans les confidences y glisser mon amour.

Mais encore une fois en aurai-je la force le moment venu?

Aussi le grade de confident ne me servira pas à grand-chose, d’ailleurs déjà celui de filleul comprend cela.

Je voudrais me retenir, ne pas faire comprendre ma passion jusqu’à mon retour, mais tiendrais je ?

Alors que chaque jour ma passion grandit .Quand je prononce ce nom, j’ai le vertige et je ne vois plus rien qu’elle, qu’elle, si belle, si douce et sans doute si amoureuse et caressante…

Comme je l’aime sans qu’elle s’en doute !

 

21 avril

Je vais à la messe de 10h et en sortant, je prends la garde.

Nous partons demain pour ANTHELUPT patelin entre LUNEVILLE et DOMBASLE.

Des marches, des fatigues et des changements tant agaçants pour le poilu. Dès qu’on est installé, allez en route.

Le départ est fixé à 7h30 au lieu de 3h comme avant annoncé.

 

22 avril la marche annoncée à eu lieu, et au réveil il pleuvait averse. Un bon chargement et sous la pluie nous traversons les villages de CHARMOIS de DAMELEVIERES de BLAINVILLE région ou se battait le 173eme en 1914 le 25 septembre à 10h à l’heure ou nous y passons aujourd’hui le 173ème dégageait à la baïonnette les boches qui s’y étaient installés.

Après BLAINVILLE HUDIVILLER et ANTHELUPT nous nous arrêtons là, nous sommes arrivés.

Le CID s’installe, la moitié du village est détruite par les obus et les incendies des boches lors de leur passage.

Je reçois une lettre que je n’attendais pas encore, une lettre de CLAIRETTE ; Elle seule suffit pour me faire oublier les fatigues de la marche.

Je la lis et la relis plusieurs fois, et le soir, couché dans un grenier, une bougie à coté, avant de m’endormir je la relis encore.je l’embrasse, elle en a bien le mérite, si vite elle me porte la consolation, le courage de vaincre mes fatigues.

Elle est placée après dans une poche de ma veste qui me sert d’oreiller. Il me paraitra doux, le sommeil me sera meilleur.et en effet paisiblement je me suis endormi.

Le sommeil m’a été doux, j’ai rêvé à une jolie petite amie. J’ai dormi comme dans un lit.je suis le matin frais et dispos, content de moi et content de tous.

J’ai raison de l’être puisqu’on part, beaucoup pour me contenter C….. y est pour la plus grande part.

 

23 avril et la pluie continue, on s’en va à l’exercice malgré la pluie.

Nous rentrons mouillés mais on n’y prend garde .C’est la campagne qui à commencé et le contraire ne se comprendrait pas. L’après midi théorie diverse et revue par le capitaine.

 

24 avril

Il pleut toujours, nous nous arrêtons sur les théories.

Mr VITROLLE s’en va. Je reste ainsi seul méridional, enfin je n’en suis pas moins content; je ne me crée pas d’amis. Ils restent pour la plupart loin de nous. Ils savent que je suis corse.

Et je ne sais ce qu’ils s’imaginent sur mon compte. Ma physionomie n’est pourtant pas redoutable. Toujours est-il que je reste à ma place.

Je fais mes devoirs de soldat et voila. Ma gaité sans que je puisse moi-même le comprendre augmente chaque jour; sans doute Est-ce l’apparition dans ma correspondance de cette jolie lettre colombe aujourd’hui encore, une carte d’une date antérieure à celles déjà reçues, mais que m’importe, sa mains a tracé ces lignes…

 

Le 25 tout ce qui est à noter c’est que c’est le 2eme anniversaire de ma blessure.

Il y a deux ans en champagne, RAVIN DE LA GOUTTE (*) en face la tranchée des « kamarads » je reçois une balle à la tête.

 

 

Extrait du Journal des Marches et Opérations du 173e RI, le 24/04/1916

Jean Emmanuelli a été blessé dans la tranchée Martineau

 

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Carte d’époque indiquant précisément la position de la tranchée Martineau, au nord de Mesnil-lès-Hurlus (village aujourd’hui disparu)

 

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Carte actuelle du secteur, certaines tranchées existent encore

 

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Heureuse blessure qui m’a fait passer de bons moments à l’arrière.

Sans elle que serais je aujourd’hui ?

Grace à elle, j’ai pu arriver à GRANS que je n’aurai peut être jamais connu. C……..qui fera peut être si elle pense comme moi le bonheur de ma vie future.

La pluie à cessé mais les nuages chargés de vapeurs voguent encore, le soleil semble honteux de reparaître. Ou est le doux midi ?

Il est vrai que le mauvais temps est général. A GRANS ne pleut il pas

 

25 avril

Journée très belle, petites promenades jusqu’à la ferme LEOMONT détruite par les allemands.  Une jolie carte à CLAIRETTE; je suis content, content.

 

27

Journée magnifique, repos absolu.

Je m’en vais à la campagne, dans l’herbe, lire.

J’y passe tout l’après midi je rentre à 17h.

Une jolie carte de ma marraine, qu’elle est gentille, je revis. La vue de cette écriture me fait trembler, je voudrais tout le temps les lire ces belles lignes, une douceur insinueuse m’envahit.

Comme je l’aime.je me contient pourtant, je tache quelques fois de repousser cette pensée qui sans cesse m’obstrue, mais en vain, aussi à l’exercice, je fais reposer les gradés, je commande tout pour que le temps me paraisse moins long.

 Je me torture en restant sans rien faire. je songe trop à elle, tout est rêve pour moi. Je souffre et pourtant ma volonté est de ne rien dire avant que je revienne.

Je souffrirai de mon silence, mais je veux l’aveu sous mes yeux.

Je veux payer l’aveu par une caresse. je veux le voir de mes yeux et mon écrit sur du papier. Pourrai-je résister ou pendant ce temps ne fera-t-elle pas d’autres rencontres ?

 

28

Je pars à 7h avec le caporal CALVET pour aller à ST NICOLAS-LE-PORT.

Nous passons à HUDIVILLER, DOMBASLE, VARANGEVILLE et ST-NICOLAS chef lieu de canton de 5000 habitants, assez joli ,assez propre, la journée est mauvaise, il pleut.

Nous allons la journée à ST NICOLAS, nous repartons à 21h la pluie avait cessé nous arrivons à ANTHELUPT à 23h.La journée s’est à peu près bien passée, ennui. Pourtant je n’ai pu éloigner mon idée de cette idée fixe C……toujours là, je ne pense qu’à elle.

Je m’en veux à moi-même parfois d’être si faible alors que ca va peut être me faire souffrir toute la vie. Puis je souffrir ses pensées et quand je le saurai, en serai content?

 

29 Journée pluvieuse.

Nous allons à la théorie de la mitrailleuse. L’après midi je me repose.

 

30 Pluie tout le jour (illisible) de grenades. J’ai le cafard.

Mai, juin 1918 – Einvaux – Einville - Dombasle

1er mai journée de pluie.

Théorie sur le fusil mitrailleur.

 

2 mai

Beau temps, théorie sur les mitrailleuses. Nous avons eu ce matin la visite d’un avion boche, il survole ANTHELUPT, quelques obus, aucun mal.

La journée se passe joyeusement, le beau temps en est cause. Tout se réjouit avec le soleil, la campagne devient une merveille pour un admirateur. Les cœurs rayonnent de joie, joie instinctive que l’on ne comprend pas. Puisse t il durer quelques jours.

La boue s’en va. Est-ce bien, est-ce mal pour nos armées de la Somme, qui peut prévoir?

Les opinions quand même : il y a un mois ma seule idée était de partir, je souffrais horriblement d’être à l’arrière. Je n’attendais qu’un départ pour aller dans la Somme. Et voila, je tombe dans un régiment qui en vient, ainsi la grande bataille va rester inconnue pour moi, franchement parler j’en ai du regret.

Pour ici, je me fiche de monter en ligne, le secteur est d’un calme parfait. C’est juste pour les combattants qui reviennent, mais ca ne m’ (illisible)  pas. Et puis des conseils de C……, des désirs et ses désirs, je voudrais qu’elle voit avec quelle grâce je les exécute, elle ne voudrait pas en effet…

 

3 mai

École de grenade à la ferme LEOMONT.

Beau temps.

 

4 mai

École du fusil automatique. La soirée est employée au nettoyage général.

Très beau temps.

 

5 mai

La pluie recommence, elle tombe depuis cette nuit à flot.

Visite de santé et à la messe. Je prends le service surveillance à la tenue et comme service je ne m’y acharne pas trop. Il fait si mauvais que tout le monde est au café. Mon meilleur service est là.

Le soir cinéma mais comme le charme de cette soirée ne va pas valoir celui d’EINVAUX (?) je n’y vais pas. Le cinéma dans une baraque en bois ce n’est pas intéressant.

La salle d’EINVAUX  existe ici aussi, mais le toit est effondré, sans doute il y pleut.

Et lentement la journée s’achève.

 

Dimanche jour d’ennui en  général, aucune distraction, toujours cette monotonie.

Aussi l’après midi je m’adonne à la lecture de toutes les lettres de C……Elles sont si gentilles toutes, et comme il me plait mon résumé, je voudrais dans ses lignes lire le fond de sa pensée, peut être y a-t-il de l’amour comme dans la mienne. si c’était…

 

Une idée me tourmente, celle de mon retour à GRANS, quand y reviendrai-je ?

Je pense plus souvent à GRANS qu’à ZALANA, que suis-je devenu ? Et toi Mère tu ne m’en voudras pas ?

Je songe à des choses qui ne peuvent arriver. Je songe à demander une permission pour GRANS, je pourrai l’avoir sous peu. Mais que pense t elle, que pense sa famille, le leur dire, jamais, ils me croiraient sans cœur, sans affection. Le leur faire comprendre, mais comment?

Et pourtant je le voudrais, oui, Je pourrai partir au mois de juin, y aller la voir, lui déclarer mon amour si longtemps caché, retenu pendant des jours entiers.

Je vois cette belle musique devant mes yeux, dans tout ce que je fais, dans tout ce que je dis, je ne vois qu’elle.

Je ne vis plus que par cette pensée, j’en suis heureux ou malheureux selon les versions. Aller à GRANS passer 10 jours quel beau rêve. Je ne puis sans doute que je caresser.

 

Ce serait un bonheur infini. Même refuserait elle mon amour je serais heureux, car je l’aime. Je l’aime follement et je sens bien que si mon amour échoue là, je ne causerai jamais plus d’amour.

Je resterai quand même un ami et je l’adorerai malgré elle. « Un ruisseau d’amour » je l’ai ouvert depuis que j’ai franchis le seuil de ta porte CLAIRETTE.

Il se fermera avec toi pour ne plus jamais se rouvrir.

 

Telle est ma volonté. Mais peut être le fermerons nous ensemble et alors la lecture en aura été si belle. Tu ne sais certes donner que du bonheur, et je jure moi de ne te faire connaitre autre chose. Le liras-tu jamais ce carnet de route? Ces impressions de campagne…

Oui si je reviens car si j’ai un amour, il te plaira de voir que je t’aime depuis longtemps. Si tu ne peux me le donner, tu le liras quand même.

Tu trouveras un amour sincère et tu sauras qu’il est éternel sur toi. Si tes idées sont contraires tant pis j’irai me perdre dans une colonie lointaine, emportant ton image et le laissant dans mon cœur.

Et le roman sera fermé à jamais.

Sur que j’ai toujours détesté les (illisible) à ce point de vue. J’aime la femme comme on aime un camarade. J’ai eu toujours horreur des relations sexuelles et elles demeurent en moi.

Je suis ferme dans cette idée.ma volonté est au dessus des volontés masculines. Oui des relations sexuelles avec toi, ou jamais je  n’en aurai.

ROGNONAS est il beau ?

S’y plaira-t-elle, est surtout, surtout pensera-t-elle à moi? Pourquoi une inspiration ne me le dit pas, je voudrais connaitre sa pensée et elle fait tout pour me la dissimuler.

Si pendant qu’elle est à ROGNONAS, je lui déclarai mon amour ?….

Je suis indécis, mais non si ma volonté est assez forte, je peux attendre mon retour. Et si mon retour ne pouvait venir, alors elle ne saurait jamais que je l’ai adorée jusqu’à ma dernière minute. A moins que ce carnet lui soit expédié comme je le prévois en tête, à l’adresse de CLAIRETTE.

Des pensées tristes, qu’ils n’en viennent pas, du beau, du bonheur, au moins dans l’ignorance, peut être ne le gouterai-je que là.je caresse mon rêve et quand de fausses idées ne viennent pas l’interrompre, je suis si heureux.

 

 

Lentement les jours s’écoulent, des renforts partent du CID. Mon tour ne peut être loin, quelle va être la vie qui va suivre? Plus terrible que celle-ci, car ça n’est pas la vie de campagne que je mène.

Mais je ne demande pour tout qu’un travail plus dur, plus assidu, plus intéressant.

Et certes le travail des tranchées quoique triste présente un tout autre intérêt. Ici c’est des bêtises renouvelées 20 fois par jour, on apprend à l’homme à ne plus s’intéresser à rien.

Pendant 3 h on répète les choses qui sont résumées et dites ou faites en 20 mn. Tout l’intérêt par tout le monde est ennuyé et le résultat est nul.je cherche pourtant à varier ces différentes choses, mais comment s’opposer aux gradés supérieurs…?

La journée est finie.je me suis ennuyé moins que les autres dimanches. Tout pour la même idée, je suis content de ma journée; J’ai été tout à elle et je me (illisible) être en l’adorant.

 

Lundi

Tir à la mitrailleuse à DOMBASLE. Temps pluvieux.

 

Mardi

Assez beau temps, lancement de grenades

 

Mercredi

Nous allons au tir fusil mitrailleur et fusil automatique, invention de 1917 tirant très bien. Il pleut et nous arrivons trempés.et l’après midi exercice, je n’y vais pas.

Je suis désigné pour aller à la police : NANCY-PARIS, je suis content d’y aller. C’est certes une distraction mais aussi rester 9 jours sans lettres ! Le départ est fixé à demain 5h.

Préparatifs divers.

Nous partons à l’heure fixée nous arrivons à la gare de ROSIERE-AUX-SALINES à 6h40.

Nous embarquons à 7h25.DOMBASLE VARANGEVILLE JARVILLE et NANCY nous sommes en subsistance aux casernes STE CATHERINE et nous commençons notre service demain à 15h30.

Malheureusement ce n’est pas PARIS que nous faisons mais une gare environnante, CORBEIL.

Enfin repos complet jusqu’à demain. Mon après midi se passe assez bien, je fais le tour de la ville, visite le jardin des plantes.

Quelques excursions en tramway. Jolie ville quelques peu dévastée par les avions boches; elle est dépeuplée. Sur une population de 140 000 habitants il reste  30 à 35 000 habitants.

Les belles rues, les jardins sont déserts.

On y sent presque la guerre.

 

Le 10 quelques tours encore avant de partir, je vais me faire photographier expressément pour tenir une promesse que j’avais faite à GRANS et j’enverrai ainsi la photo à C…

 

Tranquillement on s’équipe et à 16h30 nous partons pour VAIRES, TOREY (?), NANCY, TOUL, BAR-LE-DUC, VITRY-LE-FRANCOIS, EPERNAY, CHALONS-SUR-MARNE, MEAUX, VAIRES à 4 h.

Au jour comme on s’ennuyait j’ai résolu de partir en promenade et je pars pour CHELLE à 800 mètre de la gare de CHELLES un tramway va à PARIS.

Pour tuer le temps je prends le tram et à 9h j’étais à PARIS. Quelques tours et retour à 11h38.A 14h10 nous repartons, même itinéraire en commençant par la fin.

Nous débarquons à JARVILLE à 4 h. On se couche en arrivant aux casernes.

Oui, je tue le temps excepté le parcours en train je ne me suis pas ennuyé. Là alors ma seule distraction était à penser. Et je pensais toujours et sans cesse à ma petite C…….Oh comme je la caresse souvent cette pensée. Si douce, si elle pouvait m’aimer. M’aimer comme je le fais.

Quel bonheur.

L’après midi promenade en dehors de la ville. Les faubourgs sont intéressants, et surtout au coucher du soleil le paysage était magnifique et je soupirais du regret de jouir seul de ces beautés qui me rendaient rêveur. Absorbé dans ma douce rêverie je me voyais là avec C…

Avec elle seule contemplant toutes ces beautés, les commentant ensemble. Comme se serait beau.

Tout seul à quoi bon en définir le charme. Qu’est-ce qui peut me plaire, m’enivrer en dehors de mon amie? Rien! Rien !! Mes meilleurs moments sont dans le sommeil.

Je rêve quelques fois, souvent même de ma marraine et je suis heureux quelques fois comme je le désire mais…..Ce n’est qu’un rêve.

Je me couche il est 22h. Je pense à toi si fort….si fort….trop sans doute.

 

La journée du 13 ressemble en tout et pour tout à celle du 12...Un réveil attardé.

Une toilette longue, le déjeuner et promenade.

 

Le 14

Nous partons à 16h30 pour VAIRES TOROY nous arrivons à 4 h.

Cette fois je ne veux pas aller à PARIS car quoi y faire.je pars à la campagne elle seule est mon meilleur passe temps. Je me promène pendant plus d’une heure sur le canal de la Marne au Rhin. Je m’amuse à voir l’eau qui coule…un bock dans un petit café et ainsi 14h arrive, nous repartons et nous arrivons à NANCY à 3 h du matin.

La relève arrive, nous devons être relevés demain 17 au lieu du 18.

Je reçois une longue lettre de ROGNONAS, mais elle me semble froide, si froide que je ne puis me résoudre à faire une lettre.je la ferai si triste à ROGNONAS le monde change avec le monde les idées, oui car aucun lien ne l’attache ailleurs, liberté est sa devise.

 

18 avril 1918 (erreur de date : 18 mai)

Je suis attristé par une lettre de REBECCA m’annonçant la mort de mon cousin FRANCOIS, pauvre famille, il a suivit sa sœur de 4 mois. Il est enterré le 10 mai, mort la veille.

Pauvre cousin, élevé dans la même maison jusqu’à l’âge de 5 ans pour moi, de 14 pour lui .en qui j’avais placé mon affection favorite étant petit. Il meurt laissant deux petits orphelins dans les bras d’une femme sans ressource aucune, après une maladie de plus d’un an.

Que mes prières l’accompagnent, que mes larmes abondantes le bénissent.

 

Nous pouvons ici être alerte ce soir et être dans la bataille dans une heure. Mais au (illisible) vu tant de morts que la mort naturelle ne compte plus.

Ainsi un dimanche se passe assez bien même pour ne pas être pris d’ennui, je vais avec les camarades jouer à la manille.

                                                                                                                                                                                                                                                                    Malgré le jeu, malgré la boisson, malgré tout, si je veux m’amuser un peu c’est de venir parler à mon amour, il occupe toute ma pensée. C ‘est par lui que je vis.

Et les jours se déroulent. Je vais moins souvent à l’exercice et quand j’y vais, c’est pour m’amuser. Adieu la théorie.

Si, pourtant j’en faisais une l’autre jour sur les papillons (*)

Rien ne remplit ma vie, comme je la trouve vide. Des pensées seules la remplissent mais peut être seront-elles toutes en vain ces  pensées quelques fois bien tendres.

(*) Mine à effet de souffle dont la forme rappelle un papillon

      

Une promenade s’offre, je vais à EINVILLE conduire deux poilus au régiment.

Par la fraicheur du matin l’aller est très beau, point de poussière, et la mission terminée je rentre à AUTHELUPT. Oh, mais attends un peu, à environ 3km de EINVILLE comme je voulais intéresser le chauffeur sur le paysage et en particulier sur une ferme qui était à notre droite.

Il oublie un moment son volant .Il parait que ce volant devait être méchant, car dès qu’il ne le surveilla plus et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il nous entraina en dehors de la route. Elle était en déblaie du coté droit et ca faisait une hauteur.

Nous fîmes la culbute tout les deux. Heureusement sans nous faire une égratignure.

Et le moteur ne marche plus. Il veut retourner à EINVILLE et je me dirige à travers champs sur ANTHELUPT.J’y arrive à onze heure et le soir, un petit événement; il y a cinéma.

J’assiste parce que c’est en plein air et je veux tuer le temps, pour être à l’aise et pour que les têtes ne me gênent pas je monte dans un arbre.

En effet j’étais très bien, je goutais la fraicheur du soir, ce qui me plaisait le plus.

 

Quand tout à coup. Paoum ! Paoum !!

Des coups de canons qui éclatent au dessus de nous.

Des moteurs, des projecteurs qui fouillent. Ca y est voilà les boches qui nous survolent. Des éclats tombent, mais il ne faudrait pas que ce soit les bombes qui suivent. En cinq sept, tout est balayé.

Tout le monde aux caves car ils lancent des bombes, pas sur nous mais elles pourraient nous atteindre par erreur. Je m’en vais tranquillement dans ma chambre, bien heureux d’en avoir trouvé une. Je raconte l’histoire à CLAIRETTE qui va bien rire et voilà, je serai content.

 

Quand aux journées qui suivent elles méritent peu leur inscription.

Je prends la garde et comme d’habitude, je fais le nécessaire pour avoir à lire toute la nuit. Je pense à elle. Je l’adore entre une ligne et l’autre.je l’aime à en venir fou.que de fois je viens ici le lui dire ne le pouvant ailleurs et même ici je voudrais lui dire ce que je ressens,  mais adieu.

Je vois de belles choses qui portent le nom d’amour .elles tournent, retournent, se choquent, s’entrecroisent et je suis perdu. Je ne sais plus ce que c’est. Je puis dire simplement que c’est beau et que c’est l’amour.

 

Tiens un orage qui se déclenche, terrible. Terrible, tout est terrible avec moi. Pluie, vent, tonnerre, tout s’en mêle avec rage. La sentinelle qui est dans la guérite se croit à l’abri et veut attendre la fin de l’averse. Quand un coup de vent plus fort que les autres emporte la guérite.

Et le voir là à présent qu’il a mal à un genou, je me tords de rire. Dire qu’il se croyait à l’abri.il avait du courage le bonhomme, il faudrait que je le fasse citer, le pauvre.

Et ainsi le temps passe.

En quittant la garde, j’ai encore une demi-journée de repos. On n’en fait pas lourd. Et demain je ne ferai pas grand-chose non plus, je vais faire conduire le fumier aux champs avec des prisonniers.

 

En effet la journée n’est pas chaude, et je vais faire un tour aux champs. Je lis, j’essaie de tuer le temps qui me pèse.

Mon ennui grandit chaque jour. Point de lettres  que ces simples cartes presque froides. Non ça ne me console pas, je voudrais des lettres, des longues lettres, de douces lettres de toi mon aimée.

Tu ne vois pas la puissance de cet amour. Tu devrais la sentir en toi quoique bien loin, elle est si forte et si continue. Je ne puis éloigner ta photo de devant mes yeux quand je suis seul; Et au milieu des autres je te vois en personne devant moi. Tu me fais cruellement souffrir, est-ce aussi l’amour, je te veux pourtant. Je ne travaille pour rien plus.

 

Écris moi, pense à moi comme je le fais et tu ne seras qu’heureuse.

 

Encore un dimanche.

Les dimanches me font peur, et cependant non, le dimanche presque toujours j’ai une lettre, celle que j’attends comme d’habitude, donc j’en ai eu une; je ne m’ennuierai pas tant.

Le matin je me lève à 7h; je procède à une courte toilette jusqu’à 9 h et à la messe. J’ai trouvé moyen d’employer mon temps jusqu’au déjeuner.

Et l’après midi pour ne pas recommencer l’éternelle chanson, enfermé dans un café; Je décide de partir à EINVILLE à travers les champs.

En étudiant sur le terrain ma carte, sans m’apercevoir je fais 9 km et je reviens par une autre route par DEUXVILLE. J’arrive à 18h30. La promenade m’intéressait car elle avait un but, et d’autant plus qu’il ne faisait pas chaud.

Après diner promenade encore jusqu’à HUDEVILLER, je rentre à 22 h.

 

Lundi je reprends le service pour la tenue en ville.

La vie ne paraissait pas en guerre.

Elle en était même loin et cependant tout n’est pas sur une quiétude, les choses sont vite changées. Lundi voila une journée de repos sans aucun embêtement.

Voila 9h. Voila minuit. Les clairons sonnent « la générale ».

Quel effet dans la nuit alors que tout dort, et vite de se lever car à cette sonnerie on doit se lever, monter son sac, s’équiper pour partir au premier signal. Tout ne me réveille pas et le clairon n’y a pas réussi non plus. Ce n’est que quelques minutes après que le sergent de jour vient dans ma chambre :

« EMMANUELLI, alerte aux gaz, monte ton sac, en tenue et rassemblement. Oui tout. »

 

Et c’est fait en 5 mn et à présent nous voilà prêts. Nous attendons ce signal qui ne viendra probablement pas cette nuit,  je suis revenu dans ma chambre, je vais me reposer, un  peu habillé.

 

La canonnade est intermittente dans le secteur. Le vent vient de l’est. Les boches ont lancé des gaz. C’est le renouvellement de leur offensive, ou va-t-elle se faire. On comprend que dans peu des nouvelles choses vont venir.

Oui bientôt nous serons les soldats de la plus grande bataille du monde entier. Le départ ne sera pas cette nuit, mais il sera demain, après demain, sous peu.

De telles idées ne me troublent pas.

Je veux moi voir la bataille puisque je suis au front, et au milieu d’elle; je verrai mon idole sacrée, vous C… Je me battrai en bon français, pour vous.

Je ne verrai que vous au milieu de la bataille, vous me sauverez, je le sais. Vous êtes  maitresse de ma vie entière, vous pouvez seul en disposer. Oh je vous aime si fort. J’aurai encore assez de force pour ne pas vous l’avouer mon amour, car quoi, malgré tout  un malheur peut venir et alors, peut être votre cœur se briserait.

Oui j’aurai la force de me taire. Ce ne sera que le jour où je rentrerai de nouveau vous voir que je vous l’avouerai. Quel accueil aura-t-il

Mais il sera bon. S’il devait y en avoir un mauvais en aurait on ? L’inspiration d’un amour de la sorte se rendrait il si fort. Je ne crois pas.

Ah tout mon idéal est là, le reste est peu de chose à présent pour moi.

 

La bataille est commencée, et à présent chaque jour nous apprendra les résultats. On se bat à CRAONNE où je me battais en 1915.

On se bat jusqu’à la région (illisible).

L’avance indiscutable se produit mais arrêtera-t-on à temps. Oui la confiance est générale parmi les poilus. Tous les esprits sont maintenant tournés vers la bataille.

Les boches avancent. Ils ont réalisé une avance de 20 km.

Et savoir si elle restera là ?

Les permissions sont suspendues.

Tous y comptaient, on ne peut pas songer aux plaisirs de l’arrière quand l’heure devient grave. La situation me parait grave mais pas critique pour le moment. Espérons qu’elle ne le deviendra pas.

 

Mercredi soir

Cinéma en plein air pendant que nos poilus plus loin en font un d’horrible, mais il ne faut pas se désespérer pour rien. Dans quelques jours ne serons nous pas comme eux?

 

Jeudi je prends le service à la tenue. Très beau temps, vent de l’est, tout pour favoriser les boches. Les nouvelles deviennent de plus en plus alarmantes: l’avance se produit assez rapide. Les boches ont coupé la grande ligne PARIS-NANCY à CHÂTEAU-THIERRY. Dire qu’il y a quelques jours je faisais tranquillement cette route, tout était gai et verdoyant. Et aujourd’hui c’est le désordre et la dévastation……La guerre!

       Je suis étonné de plus en plus qu’on ne nous fasses pas partir. Je sens le besoin de prendre part à une affaire, et celle là est la grande qui me plairait le plus.

       Je pense souvent à une demande pour partir volontaire, mais n’en ai-je pas eu la défense. N’ai-je pas  l’ordre de suivre mon destin. Oui ma volonté se courbe devant celle la, oui j’aurai la force d’attendre, de suivre mon destin. Tes conseils ne peuvent être que bons.

        Toutes les idées demeurent là: la bataille. Les miennes ne s’écartent d’elle que pour revenir à quelque chose de plus précieux »le seul but de ma vie: CLAIRETTE ». Dire que je me maintiens dans une cruelle incertitude qui fera peut être mon malheur.

       Je n’ai pas pourtant le courage de confier à des feuilles de papier la grandeur d’une telle déclaration, la douceur n’en est pas comprise. Moins encore l’expression; j’aurai la force de me taire encore et toujours jusqu’au retour vers l’arrière. Oh là alors je ne me retiendrai pas, je lui dirai mes pensées, mon amour, mes souffrances pour elle.

       Nous sommes sur le qui vive. L’opinion générale est que nous allons sans doute partir vers la bataille on parle de la période entre le 5 et le 10 du mois. Tout le monde est en alerte, nous sommes prêts.

       Et puis les idées changent, les bruits courent autrement, des relèves par ci, des marches par là. Si fait que les opinions sont toutes nulles. On sait uns chose pour sure quand elle est faite. Pour être commencée on ne peut pas l’affirmer encore, on suit l’accalmie.

Que va-t-il en suivre ?

 

Les idées tournent, retournent, et s’arrêtent à chaque fois sur le plus intéressant des sujets que je développe: mon amour pour CLAIRETTE. Ses lettres ont plus de douceur, elles me plaisent énormément (illisible) une petite jolie qui me plait beaucoup.

Allons, elle certainement un peu d’amour pour son filleul qui l’adore. Oh juste ciel pourquoi ma pensée ne peut elle envahir comme elle envahit l’espace, les pensées les plus secrètes de CLAIRETTE.

J’aurai alors ma vie devant moi. Je serai heureux ou malheureux suivant ses pensées. Il faut qu’il soit né cet amour, sinon il ne pourra plus naitre, son appréciation est certainement faite.

Et pourtant qu’est-ce qu’elle à (illisible) en moi ma douceur est restée fermée, mes paroles ont été trop brèves avec elle, je suis si mauvais parleur, puis si timide quand on ne m’a pas donné toute sa confiance.

Ce que je suis ne peut se comprendre qu’après; mes lettres sont nulles, elles expriment des pensées toutes enfantines. On ne peut y juger aucun sérieux, elles sont monotones car elles reviennent souvent, toujours aux mêmes mots; avec un vocabulaire si restreint comment plaire à une intellectuelle qu’est CLAIRETTE.

Mes pensées sont si grande et mon verbe est si restreint. Pourtant ayant acquis une entière confiance de quelqu’un je sais définir ma pensée réelle, sinon malgré moi je suis obligé de me retrancher devant la timidité.

 

Comment le faire comprendre mon amour si grand ?

Oui dans certains moments, je me dis quand je reviendrais auprès d’elle, je serai le plus fort, j’aurai le courage de dire toute ma pensée et de tout décrire. Puis je savoir à mon retour si au moment d’un aveu je ne retomberai pas sur ce mutisme qui me fait faire l’effet d’un homme qui s’ennuie alors que je ne rêve presque pas à un plus grand bonheur.

Toute ma vie s’étend sur cet amour.

Je serai bien forcé d’y arriver; mon sort, ma vie, mon avenir, CLAIRETTE, est entre vos mains qu’en ferez-vous ?

Serez-vous inaccessible à un jeune homme aimant de la plus grande force amoureuse.

Oh ce doute. Ce doute, lui il me contrarie plus que la guerre. J’ai des journées de souffrances terribles ma tête semble éclater; je veux savoir et je me tais.

Je suis ennuyé ce soir, le journal viens de m’apprendre une nouvelle qui n’est peut être rien, mais qui me fait peur: une explosion entre ARLES et MARSEILLE.

Ne serait ce point ST CHAMAS ? Non car quoi, le journal le dirait; ce sera une petite poudrière sans trop d’intérêt. Les carreaux en sont tombés à MARSEILLE, mais c’est grave. Et c’est à 70km GRANS qu’a-t-il fait, il n’en a pas souffert, non !

Oh je suis en souci quand même et il me faut vite des lettres. Et en avoir aussi de ma marraine.

Si ST CHAMAS venait à faire à faire explosion GRANS sauterait avec (illisible) de fausses idées les dommages ne vont pas loin.

 

Dimanche de garde aux Cerises. Journée de solitude mais belle quand même.

Et enfin une lettre me rassurant. Seulement une frayeur. Je suis content.

Une très jolie lettre, une lettre qui me rassure au moins sur une chose: mes lettres sont lues avec grand plaisir par ma marraine.

Je passe aux grenadiers comme instructeur, depuis lundi le travail diffère. Les promenades quotidienne jusqu’à la ferme LEOMONT me plaisent, elles sont une distraction pour mon esprit prit autre part. Et là haut, ayant chaque jour de nouveaux hommes, on en revient aux mêmes théories et aux mêmes exercices.

 

Le matin lancement de grenades inertes (illisible) étude de grenades allemandes, remblais tactique……le soir lancement de fusées, éclatement de fougasses (*) et étude des canons lance grenades.

Je prends du gout sur certaines choses. J’aime étudier les explosifs. Et ma semaine est une de celle où la diversion a le mieux réussi. Peut être Est-ce seulement le début d’une nouvelle application.

Quand je serai au courant de tous les explosifs ils ne m’inquièteront plus.. Je retomberai sur mon fatal ennui qui me pèse. Une pensée l’éloigne bien une peu, celle de CLAIRETTE. Mais cette même pensée n’est elle pas complice pour me faire souffrir car là je trouve la douceur; en songeant à elle comme filleul mais quand j’y songe comme amant, ah là alors quelle souffrance. Que pense t elle.

(*) Mines projetant des éclats dans une direction déterminée

 

Rien d’extraordinaire ne se produit et il n’est pas utile de noter les événements. Ils sont les même toutes les semaines.

Un dimanche pourtant je dois citer pour noter l’opinion des hommes; opinion bien basse dénotant la pauvreté de leurs esprits;

       Je ne me suis occupé que rarement des hommes que je commandais. Des hommes raisonnables et après lesquels on n’aurait pas besoin d’implorer les règlements.

Plutôt pour les faciliter et pour ne pas leur montrer toute la dureté du métier. Je m’ingéniais comme toujours, à être avec tous non un chef, mais un camarade ou un bon ami, ils ont sans doute pris cette faveur pour un manque de fermeté et un relâchement sur tout tendait à se produire.

Voila qu’on forme les sections uniformément et on rend responsable les gradés, les sergents en tête.

Je dis a mes hommes que je ne veux nullement les embêter mais qu’ils y mettent un peu de volonté           

Nous partons à l’exercice et aucun des hommes n’avait nettoyé sa place, toutes les saletés restaient là. Le cantonnement donnait plutôt l’impression d’une écurie que d’un logement d’hommes.

Naturellement tout tombe sur moi, et à la fin ca me révolte; l’adjudant me donne ordre demain dimanche de me lever à 6h pour les faire manœuvrer pendant une heure, alors que tous les autres se reposent. Ils semblent vouloir jeter un défi aux gradés. Tant qu’on me laisse tranquille je suis le plus pacifiste des gradés, mais quand on me lance un défi, je sais réagir, mon caractère le veut.

Je vais donc à l’exercice mais au lieu d’une heure je les garde une ½ h mais pendant laquelle les repos étaient courts et rares. Je les fais rentrer et la journée se passe à peu près.

Cependant les esprit fomentent « c’est un corse » qui commandait l’exercice..

Et cette haine pour ceux qu’on appelle les sauvages nait. Une alerte à 14h, nous nous réassemblons, elle finit à 15 h. Et chacun part pour une promenade à son idée.

 

La journée se passe.

Voilà 21h

Voilà 22h.

Je rentre. Un caporal qui avait bu plus que son compte faisait un vacarme du diable. Bon je rentre et je commence une lettre, j’avais beaucoup de réponses à faire ayant reçu des lettres à midi.

Des voix au dehors, un sergent se bute au caporal et las de lui parler pour ne pas en venir aux mains, il rentre et voila que l’autre le poursuit jusqu’à sa couchette.

C’était un vieux qui ne voulait pas se heurter à un jeune homme qu’était le caporal.

Ne pouvant supporter un pareil scandale, je me lève et vais sommer le caporal de se taire et d’aller se coucher.

Alors tous se tournent contre moi en faisant revivre les moments d’exercice du matin.

Et naturellement comme il arrive dans tous les esprits faibles on commence à parler des sales corses, des sauvages etc. etc. ……..je n’y tint plus…  …………………………………………...........................................................................................................................................................................................

Le texte présente 2 lignes de pointillés qui laisse penser à un règlement « viril » de l’affaire

 

 

Et après pour faire dormir les poilus qui n’auraient pas eu la paix de la nuit, j’envoie chercher la garde et je le fais conduire au poste de police. Et pour la 2eme fois depuis que je suis gradé je porte une punition.

Presque à regret, mais alors que deviendrait la discipline si on tolérait un tas de choses.

Les commentaires s’étendent, aujourd’hui lundi, on ne cause plus que du « corse ».

Ce n’est que lorsqu’il apparait que tout le monde se tait.

Ils le voudraient eux même, les opinions persistent et moi je deviendrai plus fort encore car je ne tolérerai jamais une insulte pour mon pays.

La Corse vaut un autre département français malgré les misères faites, elle conserve le patriotisme qui l’animait en 1914.

 

 

Je fais un rapport sur les événements du soir et le capitaine en rend compte à la division. Et voilà que mercredi la punition revient: le caporal est cassé et envoyé à la 12eme compagnie.

Les journées passent, la semaine est très occupée. Les permissions reprennent. Là encore une pensée de plus, vais-je en prendre une pour le continent ou pour la Corse. Je ne sais quoi faire, nous verrons le moment venu ce qui va se décider. Je voudrais bien passer beaucoup de jours au continent à GRANS.

Oh, les parents d’ailleurs m’intéressent peu, qu’y faire, m’ennuyer. Cependant je ne puis songer à demander une permission pour GRANS car je ne sais pas les pensées de là.

Ils me voient volontiers mais n’est-ce pas abuser de leur bonté…?

En prenant une permission pour la Corse savoir si je pourrai comme avant, rester plusieurs jours à MARSEILLE et de là revenir à GRANS. Toutes les fois ce n’est pas pareil.

Attendons.

 

Toutes les idées me viennent en tête, demander deux destinations, GRANS et TOULOUSE. GRANS et MARSEILLE. GRANS et RIVEL(?). J’en aurai des destinations, je vais étudier ça.

J’irai dans tous les cas d’abord à GRANS et là si mes pensées s’affirment, j’y passerai 10 j. que de rêves, pourvu qu’ils ne soient pas fait en vain.

 

Samedi

Théâtre à DOMBASLE départ 17h rentrée 23h et dimanche le matin se passe au lit jusqu’à 8h. Toilette. La messe. Le déjeuner et exercice l’après midi. Les cours recommencent lundi. Mais quels mauvais jours, quel cafard. Ne sachant trop pourquoi. Je passe de tristes moments n’osant presque plus aborder la plus forte de mes pensées: vous. Pourtant vos lettres deviennent de plus en plus douces; je vois que souvent ces pensées s’acheminent vers moi, de belles lettres, de belles cartes. Tout gentil.

Arrive le samedi ordre de départ. Nous nous mettons en route à 7h.

Nous arrivons à BLAINVILLE à 8h30 nous sommes cantonnés dans des baraques … (illisible) au milieu du bois de VITREMONT plus tranquille que dans le village ou le dévergondage est complet. Dans le teint des femmes de toute la belle jeunesse féminine  on voit la maladie. Les ravages se peignent sur la majorité des femmes.

Quelle corruption.

 

Le dimanche promenade dans le bois vers la route d’ANTHELUPT.

Juillet 1918 - secteurs de Dombasle, Einville

Lundi

Le cours des grenadiers recommence.

On ne sait encore les causes de ce recul du CID. Peut être Est-ce la relève de la DI. Des avions et un canon bombardent DOMBASLE. On entend très bien le départ et l’arrivée des obus. L’activité dans le secteur devient de plus en plus grande. Que craint-on ici?

Des belles lettres, de petites choses qui me font plaisir arrivent de là bas; je suis heureux on pense à moi assez souvent.

Je suis bien pour penser à ce que je veux. Sortant le soir après le diner, je pars dans le bois seul. Sans veste ni coiffure, je prends l’air et pense à tous.

Ma …… (illisible) je ne pense qu’à vous.

Je vous aime.

Je parle avec vous en secret, sans que vous le sachiez. Je suis heureux par moments, mes rêves sont doux.

Si bien que j’oublie parfois que je suis seul dans un bois et que tout n’est qu’un rêve qui je reviens à le dire en souffrant ne se réalisera peut être jamais.

 

Mardi 2 juillet

Le bombardement de DOMBASLE continue. Nous allons à l’exercice sur les bords de la Meurthe. Il fait chaud. Il y a beaucoup de moustiques, je suis piqué partout.

La vie se déroule pourtant bonne les 1ers jours;

Il me prend de revenir à ANTHELUPT en traversant directement la forêt.

Je pars après le diner. Lentement, plus pour étudier ma carte sur le terrain que pour aller à ANTHELUPT. Je traverse la forêt pour aller, mais pour revenir il fait sombre, on ne voit plus à deux pas dans le sous bois. Je tombe dans des trous puis je me trompe de layon et je tombe dans des arbres sans aucun sentier.

La pluie s’en mêle, me voilà beau sans lumière au milieu de la forêt. Heureusement que je me trouve avoir des allumettes et je me dirige d’après la boussole vers le sud, marchand droit et ne m’arrêtant que lorsque je tombais par terre pour regarder si je marchais bien dans l’angle voulu.

J’étais parti à 21h j’arrive au cantonnement à 1h30 tout mouillé, boueux.

Ah je m’en souviendrai de la marche sous bois.

 

5 juillet

Je suis au repos ce matin depuis 10mn. J’ai une feuille de papier sous la main et je ne puis me décider à le noircir.

J’ai ces idées noires ce matin. Je voudrais avoir la volonté d’écrire à ma marraine, cette feuille est là pour ça, mais je ne pourrai pas la remplir de belles choses, quoi faire?

Je vais me promener, je vais penser à elle. Rien qu’à elle et peut être en revenant j’aurai de meilleures idées. Je réussi cependant à passer ma journée tant bien que mal.

 

Dimanche ca va bien, je passe une belle journée, je fais de longues lettres de toutes part; il y a 1ere communion  à BLAINVILLE.

Je prends la garde de 8h à 10h. Je suis désigné pour partir en renfort. Nous partons lundi à 16h, il fait une chaleur insupportable, nous faisons une marche de 15km.

Je suis dérangé, je ruisselle de sueur par moment je crois tomber vers 20h30 alors que le soleil a perdu sa chaleur je me ravive.

Nous arrivons à EINVILLE à 21h30 et je suis affecté à la 5eme compagnie qui descend au repos le soir même.

L’ennui habituel quand on quitte une unité pour en rejoindre une autre me gagne. Il se continue pendant toute la journée de mardi. Je suis dépaysé, content cependant de me retrouver dans une unité combattante.

 

Mercredi il pleut, c’est-ce qui rend peut être triste.

Réveil à 4h.

La matinée rassemblement des sous officiers par le commandant du bataillon DUFOUR, chef produisant une bonne impression parlant très bien.

La soirée se limite à quelques revues et échange d’effets.

 

Les journées qui suivent qui suivent ressemblent aux 1eres, je prends contact avec mes hommes; le moral ne semble pas élevé, mon travail à moi est de le rehausser, je m’y appliquerai de tout mon cœur; j’essaierai de faire comprendre mes idées qui sont justes et raisonnables.

Quelques tours dans le village me donnent une idée juste de ce qu’est EINVILLE.

La corruption augmente à mesure qu’on approche du front. Jeunes filles et femme mariées courent dans les rues, dans les cafés, elles arrêtent les hommes; souvent même tenant un gosse à la main.

Elles font des manières, c’est une horreur;

Certes elles sont d’une grande faute dans leur prostitution, mais les hommes n’ont-ils pas une grande responsabilité de tous ces crimes.

Je les déteste presque autant.

La femme il faut qu’elle ait du caractère pour résister à tant de propos et entre tous les hommes qui passent il y en a un qui leur plait. Elles leur accordent trop de confiance et l’homme qui généralement pour assouvir des désirs qu’il excite par tous les moyens, cherche l’occasion, tombe sur sa victime.

Il promet tout jusqu’à la relève, et après seulement la femme s’aperçoit de son erreur; trop tard, hélas, elle se laisse aller à cette vie, elle-même va chercher l’occasion. C’est la corruption, le dévergondage et où pour tout et quoiqu’on dise est le grand responsable;

Comme le monde est bas et comme énormes sont les malheur de la guerre. Ces femmes ne méritent plus ce beau nom; c’est des choses et même pas, des cocottes, de la chair à soldats.

 

À notre popote hier une jeune fille de 17 ans arrive.

Elle prend avec les sous officiers une familiarité inconvenante, tous répondent et la voilà assise entre deux sergents qui naturellement selon la mode la manient à leur façon.

Elle adresse à tous ses boniments, et comme si elle avait compris que je l’ai condamnée, elle baisse les yeux, elle ne me dit aucun mot. Je lève la séance en sortant le 1er de table. Et je rentre en passant par les limites du village.

J’ai horreur de voir les scènes des rues car EINVILLE est assez grand et il reste à peu près toute la population civile.

 

À 21h nous montons relever à BARTHELEMONT la relève se finit à 23h nous gardons les positions de soutien. Le secteur est calme.

 

Ce matin 13 juillet une visite d’un avion boche à 5 h ; il vole à 100m de hauteur et va mitrailler les corvées qui partent. la journée me parait longue, je m’amuse à copier des chansons pour que le temps passe.

La seule attente est le courrier, il arrivera parait il ce soir à 4h. Aurai-je des lettres, depuis 8jours  je n’en ai plus……

Je puis tourner et retourner sur tous les sujets il faudra encore et toujours que je revienne ici à CLAIRETTE, dans mes fatigues, dans mes pensées je ne pense qu’à elle partout, et plus encore dans mes amusements, mes joies.

Ils sont hélas limités ces derniers.

 

Je suis pourtant à l’aise.

Une certaine souffrance physique car depuis 27 mois c’était une belle vie; et la mauvaise commence, la nourriture change. Il y a une différence entre eux et nous. L’ordinaire ne peut s’améliorer.

Oh, je m’y fais vite.

Je suis avec mes poilus.

Je couche avec eux.

Je mange avec eux et je me battrai avec eux quand il le faudra.

Oui au front je suis content.

Puis je pense si doucement, si doucement à ma petite CLAIRE. Je l’aime si tendrement que je suis heureux. Elle doit mériter mon amour. Elle est seule capable de m’aimer comme je l’aime. Seule capable de me donner un bonheur que je rêve depuis longtemps. Dans le calme et un peu d’ennui la journée s’écoule.

Le soir enfin des lettres arrivent, comme toujours la 1ere lue est celle de CLAIRETTE.

 

Est-ce le changement et l’ennui qui me font mal apprécier les mots que m’écrit ma marraine, cette lettres me parait froide,  désintéressée. Puis ce mot à la fin : grand gosse……..à quel propos et dans quel ton l’a-t-elle prononcé. Je mérite des reproches sur une phrase trop pressante, elle ne m’en fait pas.

Mais qui sait elle ne prend pas à point mes paroles. Elles les dédaignent peut être et se contente de me voir « grand gosse ». Tout me fait penser au plus mal quand mes idées ne sont pas solides sur quelque chose, cette incertitude sera donc éternelle. Ma volonté forte pour tout est encore forte pour soutenir mon amour; je souffre.

Je voudrai savoir.

Je ne puis la comprendre sur des lettres toutes innocente d’amour, elle pourtant doit me comprendre, je ne puis sur certaines lettres m’empêcher de laisser glisser quelque peu de mon amour qui ne se contient plus, tout bout en moi.

Elle part encore en voyage, sera-t-elle comme la dernière fois, souvent occupée, souvent amusée au point de ne plus m’écrire? Elle recevra peut être beaucoup de mes lettres en même temps, car ces dernier temps, j’ai encore assez écrit. Elle va peut être comme l’autre fois se dire quand elle reçoit mes lettres.

 

…………..je ne sais pas, car elle ne me l’a pas dit……… Elle dira ce qu’elle veut, je veux écrire, je veux l’aimer et si elle ne m’aime pas tant pis, je l’aimerai quand même et ma vie lui sera vouée. Quoi toutes mes idées retombent là…..tout mon bonheur est de l’aimer, de lui écrire?

Mais alors quoi, ma confiance pourrait me tromper à ce point. Elle est faite pour m’aimer, elle peut m’aimer, elle m’aimera. Rien ne pourra m’enlever ce cœur, car il est né pour moi. Je le veux et je passerai sur bien des choses pour que ma volonté soit accomplie.

Non, si elle ne pouvait m’aimer, jamais une inspiration d’amour ne serait venue à mon esprit. Je l’aurai affectionnée comme une amie, comme on aime un camarade et c’est tout.

Son sexe m’a toujours peu intrigué, le caractère de la femme est parfois, et sur beaucoup de femmes, mesquin. Or songer à m’associer avec un caractère qui ne me vaut pas et qui ne saurait jamais me comprendre, non, jamais non plus et que d’exemples n’ai-je pas eu depuis la guerre surtout sur les agissements de certaines, de plusieurs femmes.

Quelle bassesse n’ai-je pas vu sur des esprits que je croyais intelligents…?

Pour cela même le sexe féminin me fait le détester.

J’ai eu l’inspiration d’aimer une femme, j’ai aimé CLAIRETTE, je l’aime de toute mon âme, et il faut qu’elle mérite mon amour, sinon elle ne serait jamais présente à mon esprit.

« Je l’aime, je la veux »………. Je me couche à 1h du matin ;

 

14 juillet

Fête nationale. On remarque  une amélioration sur l’ordinaire des hommes. Au menu s’ajoute pour la journée: un litre de vin en plus, des confitures, du beurre, un litre de champagne à 4, un cigare par homme et du café.

Quelques travaux de renforcement des lignes viennent mettre un terme à notre journée. Pose de fil de fer et creusement de tranchée. Je pars en excursion vers les 1eres lignes.

Je me couche à 22h.

 

Le 15 même journées, un peu trop d’occupation, je me couche à 2 h du matin.

 

Le 16 dans la journée quelques rafales viennent nous rappeler que nous sommes toujours en guerre. Je me couche également au matin du 17 à 2 h.

Chapitre 3 : LES COMBATS

Juillet 1918 : le coup de main, secteur d’Einville

Dans une heure nous partons faire un coup de main, une incursion sur les lignes boches pour ramener quelques prisonniers. Tout est prêt.

Nous laissons nos sacs aux abris que nous occupons. Qu’en sera est il ? Beaucoup d’entre nous sans doute ne vont pas revenir car le feu dans la nuit sera terrible. Je pars avec confiance, je pars content.

Je ne connais pourtant pas le secteur, mais je m’efforcerai de faire ce qu’il faudra.

Mes pensées une heure avant l’attaque: je pense encore à vous petite CLAIRETTE. Pendant le combat de cette nuit je penserai encore à vous.

Vers vous seule et en tout moment mes idées filent. Je vous les consacre CLAIRETTE « je vous aime ». J’adoucis ce mot chaque fois un peu plus. Il est dit qu’on ne peut pas en trouver un plus beau, de plus doux, on ne peut l’adoucir qu’en le répétant plusieurs fois. Je ne m’en lasserai jamais.

Puissiez-vous le dire un jour aussi doux.

Mes poilus sont bons quoique ne valant pas ceux du midi. Ils ne me connaissent pas encore, et pour cela ils hésitent à accorder leur confiance.

Ce soir peut être auront-ils l’occasion de me remarquer. Nous partons à 21 h½ l’attaque va se déclencher à 24 h. Nous reviendrons ici après reprendre nos sacs. D’ici un jour de repos à BAUZEMONT et demain soir repos à EINVILLE.

 

À 21h30 la compagnie se met en marche; le rassemblement est à MARNE Tous les dispositifs sont prêts. Les hommes ont des cartouches et des grenades. J’ai pris mon pistolet et c’est tout, nous arrivâmes aux premières lignes.

Nous les dépassons puis nous attendons le barrage d’artillerie. Il commence à 0h30 pour finir à 1h30. Nous nous lançons à l’attaque des positions allemandes.

Mais prudents les boches quand ils ont vu le barrage se déclencher ont prévenu leurs troupes d’avant poste par une fusée verte et ils ont reculé en arrière de leur position habituelles.

 

Nous arrivâmes à leur lignes, nous y penchons, mais aucune résistance. Nous ne pouvons songer à aller plus loin, car notre artillerie fait un barrage infranchissable; nous passons une heure, puis nous songeons à rentrer; la lune était couchée. La nuit devenait noire.

Et au lieu de rentrer par les brèches pratiquées, nous abordons le réseau de fils barbelés. Presque tous s’y trouvent pris. Notre artillerie avait cessé le feu, c’était les boches qui avec un projecteur électrique et des fusées éclairantes avaient surpris nos poilus. Alors à leur tour de commencer leur barrage. Il en tombait partout, partout. Je ne sais comment toute la compagnie n’y est pas restée.

Avec ma section, je réussi à trouver une brèche faite par les obus. Les autres sections me suivent, nous arrivons dans nos lignes à 3h.

 

Le jour commençait à poindre, le feu boche avait ralenti. Nous fîmes l’appel des hommes. La 1ere section a perdu 7 hommes 3 morts 4 blessés. La 2eme 2 blessés. La 3eme 1 blessé. La 4eme est revenue intacte. J’en suis ravi avec tous mes poilus.

Nous revenons aux abris quittés la veille, puis toute la compagnie est relevée et va à BAUZEMONT. Nous y passons la journée et sommes relevés le soir.

Nous allons en réserve devant EINVILLE.

 

Le 19

Nous allons à l’enterrement des 3 soldats. Ils sont enterrés au cimetière militaire. Très bien arrangé et entretenu. Trois monuments s’y élèvent, un est fait par la 56eme division à ses soldats morts au champ d’honneur. Nous finissons  notre journée, on parle de relève prochaine.

 

Le 20 au matin nous descendons au repos; je vais voir HUGO à CRION. Nous passons la soirée ensemble;

 

La journée du 21

Messe pour les soldats morts au champ d’honneur.

Journée monotone et préparatifs de départ. Je m’en vais à la campagne tout seul et là m’orientant faisant face au midi, je cherche  percer tout ce qui me sépare de C….

Je ne puis que par la pensée, par elle j’y suis tout entier.

Je voudrais toujours rester ainsi, la vie me paraitrait douce. Comme peu m’importe la guerre quand je songe à vous. Elle ne peut je crois m’atteindre.

Mes pensées y sont-elles un peu, oui à beaucoup de moments de la journée vous devez le faire, lui le fait incessamment tous les soirs.

 

À 21 h la Cie sort.

Nous sommes relevés par le 414e RI.

Nous marchons un peu le long du canal et repos. Nous restons là jusqu’à minuit. Puis des camions arrivent, nous voilà embarqués à 1h.

Nous passons par LUNEVILLE

VITRIMONT, AUTHELUPT, HUDIVILLER, DOMBASLE, ST NICOLAS-DU-PORT, LA NEUVILLE-SUR-MEURTHE, JARVILLE, nous descendons à HOUDIMONT à 5 h tous couverts de poussière.

La journée se passe à dormir. HOUDEMONT faubourg de NANCY un joli petit village, très propre, très coquet. Les gens très gentil nous avons un très bon accueil presque toute la région aussi.

 

Le 23 nous avons exercice, nous rentrons à 9h étant parti à 6h.

Le soir toute la compagnie se réunit dans un café et nous faisons concert.

Tous le monde monte successivement sur la scène improvisée sur un comptoir. Nous sommes maitres de la maison. Les chants se succèdent, après les chanteurs, les oiseurs (? ou diseurs) après eux les comiques. Il s’en trouve de tous. Mais la boisson excite et bientôt la salle est un fourneau.

Puis l’heure approche et il faut partir.

Nous sortons dans la rue, et l’adjudant, bien pris pour sa part, ordonne aux poilus de chercher une grosse voiture à fumier pour le promener dans HOUDEMONT. Tous s’y précipitent en un clin d’œil l’adjudant coiffé d’un chapeau de femme ou pendent quelques grelots et clochette, est sur le char, le voilà trainé par les poilus.

Tous les habitants  sont dehors croyant voir des comédiens ou mieux.

La soirée fut réellement amusante ou plutôt gaie    puis le calme renait jusqu’au 26 au soir.

Le jour quelques exercices et quelques jeux.

 

Le 26

À 20h un ordre arrive que le bataillon se tienne prêt pour le lendemain à 5h.

Pour les préparatifs on nous tient jusqu’à 22 h, puis il faut porter les sacs à munitions à VANDOEUVRE Où est le reste du bataillon. Je suis désigné pour y aller.

Je rentre à minuit, à 3h le clairon nous réveille; j’avais juste eu le temps de m’assoupir tout habillé.

On se lève. Il pleut mais il faut partir.

A 5h sac au dos et en route. Nous sommes de garde au drapeau. Pendant la marche nous faisons 18 km et arrivons à FERRIERES à 10h30.

Je déjeune puis un ordre arrive, il faut que je me rende à ANTHELUPT pour des renseignements à donner à un major de cantonnement sur des engins laissés par le 132eme (CID) sous la pluie toujours je pars.

J’y arrive à 15h30. Je suis tenu jusqu’à 23h.

Je repars toujours sous la pluie. J’arrive le matin à FERRIERES, là je commence à en avoir assez. Je me couche mais bientôt le réveil vient et tous les cris me réveillent; je me lève alors et on me remet mon courrier d’hier. Une lettre m’égaye celle de CLAIRETTE, j’oublie toutes les fatigues, je ne pense plus qu’à elle et pour réponse je lui raconte mes fatigues. Je m’épanche. Ma fatigue je ne la ressens pas, elle est partagée un peu par ma marraine.

 

Et oui c’est mon meilleur réconfort moral. Ses lettres arrivent assez souvent, je suis heureux quand je les lis. Je ne me lasse pas de les relire.

Ce bonheur n’est certes pas compris, j’en suis quelques fois malheureux, mon caractère a de la force pourtant.

Oui je souffre encore, mais j’arriverai s’il plait à Dieu, à lui déclarer mon amour de vive voix, la chance en sera meilleure si elle veut m’aimer. Je n’aurai pas le regret d’avoir attendu, comme je l’attends ce moment. Et peut être serai-je bien déçu. Eh bien, je saurai quand même la faire rester une amie.

Mais si son cœur est pris, alors je ne tenterai rien, j’ai trop de respect pour l’amour. Ou sinon elle sera à moi, c’est moi qui aura son cœur.

Mon après midi se passe à dormir, je me repose bien.

 

Le 29

Exercice à 5h, nous rentrons à 10h.

Je prends le service à la tenue;

Nous allons partir demain, nous embarquerons à EINVAUX à 8 h, direction sans doute la Marne.

Non, la direction n’était pas la Marne quoiqu’on l’ai cru jusqu’hier midi.

Nous allâmes d’EINVAUX à NANCY TOUL puis adieu la Lorraine.

TOUL, NEUFCHATEAU, JESSAINS, TROYES, PARIS et de PARIS nous partîmes vers le nord, nous étions à 17h à BEAUVAIS. Nous débarquons à CREVECOEUR à 18h; on mange la soupe puis nous traversons le village au pas cadencé. Rude cette marche qui nous conduisit de CREVECOEUR à LUCHY.

À deux reprises il fallu présenter les armes à des légions russes qui nous rendaient les honneurs. Nous sommes rendus à 22h.

J’ai bien dormi la nuit écoulée, à mon sommeil s’ajoute un beau rêve; j’étais arrivé à GRANS…

Août 1918 – Oise – Somme – bataille de Montdidier – Le Plessier – St Aurin – St Mard

Durant les journées des 28 au 31 juillet, le régiment est transporté dans l’Oise dans 4 trains et cantonne à Luchy et Aulchy-la-Montagne. (JMO)

 

Je me lève à 8h, un tour dans le pays; les maisons sont presque toutes en terre et couvertes de chaume.

Je n’ai encore eu l’occasion de parler à un civil.

La région  m’est complètement inconnue.

De ce coté j’ai connu l’Oise (illisible) à 100 km d’ici. Ce sera une étude encore, c’est intéressant les premiers temps. Le pays ne vaut pas certainement la Lorraine, pas bien fertile.

Les denrées très chères.

La (illisible) qui valait en lorraine 0,70 se paye 1,25, le vin 2,80 et on en trouve rarement. Les villes et villages sont rouges. Toutes les maisons à peu près sont en briques rouges, les autres sont en chaume. Et si bien que le matin, jouant avec un camarade, nous avons frappé contre une maisonnette qui s’est écroulée…

Si on n’a pas ri !!

A midi je prends la garde et me voilà; nous sommes dans la mairie de LUCHY jusque demain midi. J’aurai le temps de faire des lettres.

CLAIRETTE ne sera pas oubliée. Mais (dans) ce livre n’est-ce pas à elle que je cause, puisqu’elle seule le lira? Chaque mot est un roman d’amour et je voudrai le souligner par ce doux mot « CLAIRETTE je t’aime ». Je vais donc écrire ce qui sera lu bientôt, une lettre à CLAIRETTE…

J’y vais.

 

Et non je commençai pas de suite la lettre à CLAIRETTE, car juste avant que j’écrive on a annoncé le courrier.il est peut être volumineux depuis 3 jours, pensai-je et une lettre de CLAIRETTE le fera beau; il était volumineux en effet.

Il y avait courrier de Corse, j’avais 10 lettres, et la plus belle y était; je ne puis lui faire d’autre honneur que celui de la lire la première, et souvent, souvent, je réponds avant de lire mon courrier. Ainsi la soirée d’hier c’est bien passée. J’ai couché cette nuit sur le trottoir qui borde la mairie.

J’avais comme oreiller le seuil de la porte, ça ne m’a pas empêché de bien dormir.

Je me suis réveillé à 4h, j’avais froid, pas étonnant il pleuvait, mon couvre pied était mouillé. Ma tête et mes souliers trempés. J’ai un peu grelotté, mais à présent ça va, je suis presque sec.

Je n’en suis ni plus malade, ni plus malheureux, j’en ris. Il pleut, et lorsqu’il pleut il fait froid comme en hiver dans ces régions.

Quand il fait soleil la chaleur est suffocante, drôle de pays. À l’abri, à l’école quoi, je vais écrire un peu.

A qui ?

A CLAIRETTE, elle a de la veine celle là ; je suis dans une crise où je n’ai plus envie d’écrire, et je ne me lasserais pas de le faire pour elle.

J’ai l’idée pourtant en ce moment qu’elle est presque indifférente. Mais je ne puis nourrir que de bonnes pensées pour elle; et je me borne à croire que son indifférence est de l’amour.

 

Journée du 2 (aout), ma foi, elle se passe à peu près dans le calme.

 

Le 3 pareil, lorsque rien d’extraordinaire ne vient troubler, réjouir ou tout au moins distraire ma vie, je n’ai guère à écrire, ou du moins si, je pourrai écrire des heures sur un sujet, toujours le même, qui me trouble, me réjouit, et me hante incessamment au cœur.

Mais je voudrais que les pages de mon livre me portent jusqu’à la fin du mois de décembre. J’aurai peut être à enregistrer des notes réelles et bien plus ahurissantes que celles-ci.

Car en connaissance d’idées, oui,  à ma permission j’aurai là la force, le courage d’exprimer mon amour, de l’avouer qu’à CLAIRETTE.

 

Jusqu’au 5 quelques manœuvres nous indiquent à peu près la suite, on parle sérieusement d’une attaque entre AMIENS et MONTDIDIER.

Oui je voudrais qu'elle se produise

 

Le 6

La compagnie manœuvre devant les colonels PERRET, HAMELIN et le général DEMETZ. Nous sommes félicités.

 

Le 7

Repos ou plutôt travail plus que d'habitude, préparation au départ. On nous fait alléger les sacs. On laisse le couvre pieds et dans un paquet toutes les affaires personnelles.

Cela veut dire que l'offensive va commencer, tout est prêt pour.

21 heures.

Les hommes sont complétés à 200 cartouches. Nous avons beaucoup d'artificiers.

 

Le 8 à 4 heures

Réveil départ à 5 heures.

Nous embarquons en camion-autos à 1 kilomètre de LUCHY nous passons par BREVECOURT, ESQUENNOY, BRETEUIL nous Débarquons à ...

A pied on repart nous voyons à quelques kilomètres gros canons qui crachent la mitraille. L'attaque c'est déclenchée ce matin. De brèches droites françaises à ……armée anglaise.

       Il fait une chaleur insupportable, nous marchons quand même il faut que nous rattrapions les troupes d'attaque afin de les relever ce soir ou dans la nuit près de… ……nous recevons des lettres.

J’en ai une de CLAIRETTE.

Je la lis en marchant, je suis heureux sa lettre est gentille. Et à présent que je sais que je vais être engagé, je la trouve plus douce, oui je suis heureux de marcher en avant pour la France d'abord mais aussi pour pouvoir montrer à CLAIRETTE que le désir de me battre n'est pas seulement quand j'étais a l'arrière.

Nous traversons les villages de .... complètement détruits par le bombardement. Il n'est point difficile de détruire des habitations pareilles, construites en terre un obus démoli le village entier. Aussi voit on des maisons squelettes tenir debout par leurs charpentes.

Nous nous arrêtons à THORY, nous couchons à coté du cimetière.

 

Nous partons le 9 et prenons contact avec l'ennemi.

Les boches ont laissé un matériel important.

Le terrain est ravagé nous avons quelques difficultés à grimper sur le plateau qui se prolonge de PLESSIER jusqu'à la Somme.

Notre route à suivre est le bord du plateau. Sur la rive droite de l'Avre: difficultés à franchir après la 2eme attaque la résistance s'apaise seulement vers le 10 au matin.

Nous marchons disposés en échelon et en profondeur.

On se (illisible) à droite et a perte de vue on voit des troupes, à gauche pareil et les boches se sauvent. On se dirait aux grandes manœuvres. Nous prenons ........dans un verger dominant un village et le défendant les boches

Nous ont opposé une grande résistance. Nous avons pris la une 15aine de mitrailleuses qui toutes crachent la mort. Elles n'ont pas réussit quand même à causer des pertes dans nos rangs peu vulnérables.

 

Là tout se trouve, ils ont couché sous les arbres, le village a été dépouillé, que de vêtements civils d'homme ou femme sont répandus par terre. Ils ont été jusqu'à profaner l'église et on voit des vêtements de cérémonie religieuse qu'ils avaient apporté, soit pour se couvrir, soit pour en faire matelas.

 

Enfin ils se replient sur la plaine, à perte de vue on voit les troupes fuir en descente, nos mitrailleuses et nos 75 font du bel ouvrage.

De temps en temps nous rencontrons des boches tués sur leurs pièces. Ce que nous faisons c'est de la vraie manœuvre. Il fait chaud mais personne ne se plaint plus.

On marche, on court, le ravitaillement ne peut nous suivre encore et nous n'avons plus que les vivres de réserve. Heureusement que vers 3 heures nous arrivons à une gare de ravitaillement que les boches ont du abandonner(*)

Nous trouvons de vivres pour nous ravitailler.

Nous nous arrêtons le soir à GUERBIGNY. On mange, on boit et on ne songe a autre chose que partir de l'avant.

 

(*) Edouard MATTLINGER, un autre soldat du 132e décrit la même scène, sur son carnet de guerre, publié sur mon site : <<< ici <<<

 

Le 11 au matin nous attaquons de nouveau les boches se replient mais la lutte s'intensifie, des boches résistent, nous commençons à avoir des pertes.

Quelques blessés sont vite évacués. Nous progressons pas à pas car nous luttons dans les ravins de l'Avre presque partout boisés et où commencent les éléments de tranchées de 1917.

Apres 4 kilomètres d'avance nous avons fait de nombreux prisonniers. Nous sommes arrêtés devant l’ECHELLE-SAINT-AURIN.

La nuit se passe calme.

Le 11 août, le régiment a eu 39 tués et 99 blessés. (JMO)

 

Le matin nouvelle attaque, les mitrailleuses crachent partout. Impossible de progresser sans une nouvelle préparation d'artillerie, les boches se sont terrés.

Un peu fatigués nous passons en réserve à 100 mètres en arrière.

Là nous subissons les horreurs du bombardement j'ai à la 1/2section une escouade anéantie: la 8ème, le caporal en tête. Nous sommes dans une tranchée de 1 mètre tout le corps dépasse et nous recevons tous les obus.

Un pauvre vieux de la classe 98 BAPPOIN (?) est tué par un éclat. Le caporal blessé à la tête.

BLANC un jeune de la classe 18 venu du 112eme est gravement blessé.

Il reçoit quelques heures après la médaille militaire.

La belle vie commence, le ravitaillement arrive enfin, il ne peut se faire que la nuit.

A 23 heures nous mangeons, les obus tombent toujours, il nous abrutissent.il est dangereux de se grouper. Aussi d'un bout de la tranchée à l'autre on est obligé de tout se faire passer de la main à la main, ce qui est beau, mais après avoir rampé partout, après tant de sueurs et n'ayant eu une goutte d'eau, les mains sont noires.

J'ai les miennes rouges de sang des pansements que je viens de faire aux blessés.

Ca ne fait rien, on m'envoie ma ration de viande et pour l'avoir elle a passée dans les 35 mains des poilus.

Je l'ai c'est l'essentiel car j'ai faim.

      

 

Je reçois des nouvelles, une lettre de CLAIRETTE qui me fait oublier toutes mes fatigues, mais il ne me reste plus de papier pour écrire ou presque. Je n’ai point prévu cela.

On nous donne ordre de ne plus fermer les enveloppes.

C’est défendu, on ne veut pas sans doute qu’on parle de cet arrêt de l’offensive.

Nous restons dans ces éléments de tranchée jusqu'au 13 le soir. Comme la position devient intenable tout est démoli autour de nous, les éclats pleuvent de tous cotés, nous revenons en arrière à 100 mètres ou nous avons des abris : des sapes-russes (*) là le moral est meilleur que de se voir sans abris sous les bombardements car que peut on contre les obus?

 

Le 14 la journée se passe en alerte nous prenons les instructions nous devons contre attaquer l'ECHELLE-SAINT-AURIN après une courte préparation d'artillerie.

Mais nous n'attaquons pas. Toute ma journée sans rien faire, que d’idées. Je  pense à CLAIRETTE, j’y pense si doucement. Je me sens plus aimant à présent que je suis en danger.

Que pense t elle à présent?

Elle me sait certes déjà à la bataille. Je ne peux pas lui écrire à mon aise, tout le temps en alerte, et puis il faut souvent dompter sa volonté. Je commande des hommes, mon devoir et de tout prévoir pour leur sauve garde.

Et le devoir avant tout. Je suis embarrassé pour prononcer cette phrase, car ce qui me tient le plus au cœur c’est CLAIRETTE et si j’avais deux choses à choisir entre le devoir et…….. Non je ne me prononce pas. Je l’aime, oui je l’aime à la folie CLAIRETTE.

 

Journée d'alerte nous recevons des gaz asphyxiants. C'est terrible les alertes ne finissent pas. Je lis mes lettres avec un masque à gaz.

Nous recevons de nouvelles instructions pour le lendemain.

 

Le 16 à 8 heures d'un coup un ordre arrive : l’attaque.

Nous nous portons en avant, nous arrivons à coté de l‘ECHELLE-SAINT-AURIN. Je pars en patrouille avec ma ½ section.

En plaine des mitrailleuses allemandes nous arrosent, mais les vagues d'assaut commencent à sortir. Je parcours en quelques minutes le chemin, j'arrive au village de ST AURIN où attaque le 106eme.

C’était pour établir la liaison avec nous ....Et la voila ! Je rentre à la section, les hommes ont eu peine à me suivre mais la mission est accomplie et la vitesse est peut être ce qui nous a sauvé.

A peine arrivé  que voila onze avions déployés en ligne a 100 mètres l'un de l'autre. Nous croyons d'abord à des français .Tout a coup nous entendons les mitrailleuses qui nous tirent dessus et les balles arrivent dans les trous où nous sommes.

Pas d'erreur c'est les avions, en effet nous commençons à distinguer la fameuse croix de fer sur les ailes. Mais un feu nourri de nos mitrailleuses anti aériennes et nos canons les font rebrousser chemin.

L'attaque se prolonge nous avançons de 4 kilomètres jusqu'avant ST MARD-LES-TRIOTS (**) toujours dans la vallée de l'Avre notre lieutenant est nommé capitaine.

(*) Espèce de sous terrain

(**) La conduite du régiment durant les terrible combats de st Mard lui vaudra d’être cité et de pouvoir inscrire le nom du village sur son drapeau

 

Nous sommes relevés le soir du 17 et on couche dans des abris en arrière. Des abris très profonds faits par les boches. Ou on meurt de froid, ou l'air manque.

Ah ces instants passés dans l'obscurité complète ayant presque des idées aussi sombres.

Mais non, mes idées, qui n’en résume qu’une, celle de vous aimer CLAIRETTE, mes idées qui ne voient que vous ne peuvent s’assombrir, il fait jour dans mon abri, j’y vois clair en même temps que CLAIRE, et alors je me sens heureux.

Vous me remontez facilement le moral qui s’abaisse pendant ces heures de mauvaise vie. Pendant ces heures d’inaction. L'inaction surtout ne me plait pas.

Je voudrais qu'on attaque encore et toujours s’il le faut, puis que la relève prenne, qu’elle nous laisse un peu raproprir.

Nous sommes si sales, aucun moyen de se laver. Pas d'eau, même pas pour boire.

Mais cette vie va donc durer.

Voila que rien ne nous est dit et nous persistons à rester

Dans ces froids abris. Chaque jour la canonnade y est intense, chaque nuit il nous faut dormir avec le masque et il est si dur de le faire.

 

Si au moins on pouvait à son aise écrire.

Premièrement je n’ai point de papier, et puis…Nous avons aucune lumière en dehors de l’abri il est expressément défendu de sortir.

Quelques instants malgré les ordres, je sors jusque sur la porte écrire un peu.

Vider un peu ma tête pleine de choses sur mon carnet mais ils sont si courts ces instants. Un officier passe il faut que je me sauve. Je voudrais tant écrire pourtant, c’est une vraie condamnation pour moi.

Je pense tant dans ces abris où je ne puis dormir. CLAIRETTE venez à mon secours, envoyez moi des pensées aussi douces, aussi sincères que les miennes et je deviendrai plus fort, plus heureux. Vos lettres arrivent, je ne sais parfois les comprendre. Je voudrais tant y voir si vous pouvez m’aimer.

 

Et en pensées pareilles se résument ma vie jusqu’au 23.

 

Le 23 nous montons à ST-MARD remplacer le 106eme qui par plusieurs fois a essayé d'attaquer mais tout à avorté. Nous faisons la relève à 23h.

La nuit se passe dans le calme il fait clair de lune. Je rêve encore car je ne puis songer à dormir, nous sommes à 30 mètres des boches et à chaque instant une surprise peut arriver.

Or je ne veux pas être surpris. Là encore tout en ayant l’œil sur l’ennemi, je tourne mes pensées vers une chose qui fait contraste, je m’en vais vers l’être que j’aime, sans savoir s’il m’aime.

Ah comme je suis contrarié parfois.

 

Il fait un clair de lune superbe, on peut y lire les lettres et en effet j’en ai.

On m’en a porté à 3h le 24. Je les lis au clair de lune.

Oui celle de CLAIRETTE y est et je suis heureux. Mais ma joie encore là, un nouveau  arrive  à 4heures le bataillon attaque, il faut se préparer, tout prévoir.

Nous sommes devant ST-MARD mais entre nous et le village est une plaine.

Un billard  peut on dire qui semble si beau sous la lune. A gauche il y a l'Avre et sa vallée boisée et marécageuse.

Ici tout est découvert. Avec quelle impatience n'attend on pas cette heure. Moi, il en est ainsi tant que nous sommes calmes je m’ennuie. Quand je sais une heure précise d'attaque l'attente m'énerve.

Il ne reste que 4 minutes.

Ce silence qui est à présent parfait, rien ne bouge, pas même une feuille sur l’arbre, ce silence va d'un coup se rompre, les baïonnettes au vent, les grenades prêtes à être amorcées, les fusils mitrailleurs en batterie, marchants, nous allons partir.  Certes les boches vont mêler leur musique à la notre.

Voila la minute critique dans peu de temps une voix prononcera "en avant!"

Et le billard va s'incendier.

 

"En avant !!"

En effet tout tremble, les mitrailleuses tirent mais ne nous ont pas trouvé encore. On dirait que le temps a obscurci pour nous favoriser. Et nous avançons.

Quelques petits postes boches fuient devant notre bruit.et lorsqu'ils ont rejoint leurs lignes de résistance tous s'arrêtent  et font usage de leur terribles armes. Nous avons quelques blessés. Nous sommes à 50 mètres et aller plus loin c'est notre destruction.

On se couche et du poste de commandement ordre arrive d'occuper le terrain conquis mais de ne plus pousser.

Et le jour nous surprend.

Un petit talus de terre nous protège la tête, et encore faut il bien s'aplatir contre le sol. On vaudrait creuser mais celui qui lève le bras pour jeter de la terre est blessé par une balle de mitrailleuse.

Le matin passe encore mais vers 8 heures le soleil commence à chauffer.

Aucun abri.

Quelle terrible journée que celle du 24.

Qu'elle fut longue et chaude, aucune nourriture nous parvient. Je ne sais comment nous ne sommes pas étouffés        .

Alors mes pensées comme toujours…. J’oubliais de longs moments que j’étais à telle peine, mais le soleil me chauffait tellement que j’étais obligé d’en revenir à la réalité, pour changer de coté et avec précautions. CLAIRETTE eu sa part de mes pensées.

Ah comme elle les occupe ces belles pensées.

Le soir vint quel soulagement….Nous pûmes nous lever, aller chercher des outils et entre une fusée et l’autre, creuser des abris pour le jour qui allait venir. J’avais des crampes partout, mais enfin tout passait.

4 hommes volontaires partirent à la recherche de cuisines et arrivèrent avant le jour avec le ravitaillement de deux jours. Je ne le trouvais pas de trop.

 

J'avais souffert le 24 de la chaleur, de la position et de la faim et la nuit se passa. Nous avions le matin des trous suffisants pour pouvoir nous blottir un peu plus à l'aise que la veille.

 

La journée du 25 fut pourtant chaude aussi, quelques patrouilles le soir et suit un grand bombardement des nôtres.

 

Point d’attaque le 26.

Un peu de pluie le matin mais elle fait bientôt place au soleil.

Et enfin l'ordre d'attaque arrive.

Nous devons prendre ST MARD que de nombreuses attaques n'ont pu faire tomber jusqu'ici. Un grand bombardement commence.

Les boches comme à celui de la veille s'étaient terrés dans leurs abris

Attendant la fin pour s'assurer qu'aucune attaque ne se produirait. Et comme nous pensons pareillement, nous partons avant que le barrage  soit fini.

Quelques blessés, un mort par le 75 qui fait merveille. Un pas ne se fait sans trouver un de ses éclats. Nous tombons par surprise sur un abri boche.

Devant se trouvent cinq mitrailleuses braquées sur nous et les mitrailleurs sont dans les escaliers pour sortir au dernier obus du barrage.

Ils se sont trouvés pris.

En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire les revolvers sont braqués sur eux. Les grenadiers allument quelques grenades et les lancent dans les abris profonds. Et alors tous se …(illisible)  du fond de l'abri ne sort plus qu'un chaos de voix criant: "kamarad franzous pas kaputt!!"

On leur crie de sortir un à un sans rien sur le dos, les bras en l'air. Et les voila ils étaient à 32.

Nous les fouillons à mesure qu'ils sortent. Et une fois prêts un officier allemand les fait mettre par quatre et en route vers l'arrière. Ahuris par le bombardement dont quelques uns en tremblent encore, puis par la surprise. Ils n'en partent pas moins contents vers l'arrière.

La guerre pour eux est finie.

 

Mais le réveil est donné, il a fallu 5 minutes pour balayer l'abri.

L'artillerie allonge à présent son tir et tout le monde sort. Les boches sortent aussi. Ils se lancent  sur leurs mitrailleuses. D'un seul coup le ravin de l'Avre est un amas de mitrailleuses et toutes tirent sur nous. Le combat se prolonge pendant une heure.

C'est la progression de trou d'obus en trou d'obus. Mais les grenadiers arrivent aux abris de résistance: les mitrailleurs sont tués sur place et les autres ne sortent plus des abris pour les remplacer.

C'est le moment.

Le clairon sonne la charge et d'un seul élan tout le bataillon se lance vers l'ennemi. Nous vidons les abris les boches sont effrayés. Le ravin de l'Avre est à présent plein de prisonniers. Plein du bruit de leurs voix. Ce mot sonne à tous les échos: "kamarad, kamarad".

 

Là c’était nos poilus, ayant vu le sang couler, ahuris aussi par le tir des mitrailleuses boches sont partis, ils poussent en avant sans même plus prendre de précautions, on ne peut plus les retenir.

A un abri un fait remarquable se produit: deux officiers boches sont seuls, sommés de se rendre par un officier de chez nous, le sous lieutenant MARE, ils refusent de sortir.

Nous descendons avec précaution le revolver braqué en avant. A quelques mètres de la dernière marche nous entendons deux détonations. Nous crûmes d'abord qu'on eu tiré sur nous, puis des râlements survinrent. Nous descendîmes alors et les deux officiers étaient par terre noyés dans leur sang.

Un était mort sur le coup et le deuxième râlait encore.

Il y avait de belles choses dans l'abri mais ayant vu ce fait si méritoire et noble, je n'eus pas le courage de prendre soit une jumelle soit un revolver.

 

Et le mouvement en avant continue, les boches se rendent mais déjà on n'y voit plus.

il faut songer a s'organiser pour ne pas tomber sur un piège. Nous mettons nos hommes de manière à se protéger les uns les autres par leurs propres feux et on attend.

Nuit très calme.

Nous dormons sans trop savoir où est l'ennemi et ce qu'il pense.

 

Au jour le 106eme passe devant, à son tour d'attaquer.

Il prend Roye ou il n'y a plus de résistance et nous autres nous suivons en réserve. Nous reprenons contact avec l'ennemi le 28 au matin en avant de Roye et nous attaquons CARREPUIS, BALATRE, SOLENTE.

Là épuisés par la poursuite, les chasseurs passent devant.ils poussent les boches jusqu'à MOYENCOURT.

Là la résistance recommençait, les boches veulent gagner du temps pour pouvoir évacuer et partir sur le canal du nord. Ils contre attaquent MOYENCOURT et prennent la moitié du village.

 

Nous ne repassons devant que le 31 août au soir, nous trouvons beaucoup de chasseurs tombés aux combats de la journée; les boches ont brulés leurs dernières cartouches puis ont repassé le canal. Ils sont puissamment retranchés derrière. Nous passons 4 jours presque inactifs.

Quelques patrouilles et c'est tout.

Septembre 1918

Le 4 septembre à 18 heures un ordre arrive : il faut attaquer le canal du nord.

Nous sommes derrière un talus protégés des balles. Il reste entre le talus et le canal 500 mètres de plaine. C’est un billard à traverser sous le feu des mitrailleuses.

Pour voir si l'ennemi est toujours en force devant, on m'envoie avec ma section. (*)

Avec un fusil mitrailleur, un grenadier et le caporal, je saute sur le talus. D'un seul bond nous le franchissons espacés de 10 pas l'un de l'autre.

Tranquillement nous nous engageons sur le billard. Quelques balles sifflent au dessus de nous mais elles semblent ne pas nous être destinées. Nous arrivons au talus du canal juste quand il peut nous abriter, les balles ne peuvent plus nous atteindre.

L'autre demi section me suit a 200 mètres. J'ai peur seulement pour eux. Dieu merci ils arrivent tous sains et saufs. Le canal est plein d‘eau, par une fusée blanche je le signale au commandant de compagnie.qui par un agent de liaison m'envoie l'ordre d'organiser défensivement la position en attendant que le génie vienne faire une passerelle. me voila avec neuf poilus à tenir le front face à une compagnie entière.

Mais ça va bien. Le génie arrive une passerelle est improvisée et je reçois un autre ordre disant:

« Passez le canal avec la 2eme section. »

 

(*) Pour les combats de ces journées, il recevra une citation à l’ordre de la brigade.

 

2

 

Allez fouiller le bois et le château (*) à 500 mètres sur la rive nord en avant garde pendant que la compagnie se portera a votre emplacement. »

 

 

C'en est trop !!

Parce qu'une balle n'est pas venue me blesser un seul poilu je suis obligé de recommencer.

Je leur avais certifié qu’ils n’iraient qu’au canal. Je rassemble tout le monde.

Je lis l'ordre et je dis :

"L’ordre est pour que je l'exécute. Je le ferai. Je ne vous force pas à vous exposer de nouveau .Je ne vous commande rien. Seulement je fais ce qu'on me demande. Je me porte en avant. J'irai au bois si un projectile ne me barre la route. »

 

Et tous:

"Nous  vous suivrons sergent!!"

 

Alors content, réellement content de la confiance que me donnent les petits braves, je saute sur la passerelle, je franchis le canal. Je me porte sur le talus nord, et avant que mes hommes me rejoigne je sors mes jumelles et j'observe ce qui va nous arriver de ce bois.

Rien ne me protège. Mes jumelles aux yeux, je sens battre mon cœur, et je pense en moi même que d'un moment à l'autre une balle pourrait m'atteindre.

J’aperçois du mouvement: c'est des boches à la corne nord ouest du bois qui fuient en débandade.

Les poilus arrivaient et sans avoir besoin de nous le communiquer, instinctivement, nous nous lançons comme des fous à la poursuite. Nous encerclons le bois ou au moins nous l'abordons à plusieurs endroits.

Nous ne pouvons, hélas, arriver à temps, les boches ont fui, il reste un blessé qu'un éclat a blessé et qu'ils ont abandonné sur le terrain.

 

Plus loin c'est des cadavres et partout c'est du matériel laissé dans leur fuite précipitée.

Nous prenons le petit bois, le château et comme nous sommes en trop petit nombre nous allons nous organiser en avant poste en attendant la compagnie.

 

La nuit vient, nous devons être relevé cette nuit a 23 heures en effet des chasseurs du 65eme passent devant nous, ils poursuivent l'attaque.

Nous repassons le canal, nous revenons à MOYENCOURT. Puis nous appuyons à droite. Nous passons sur un pont fait par le génie dans la nuit. Nous sommes à présent en réserve de la division.

Nous traversons ERCHEU et LIBERMONT pour nous arrêter à 300 mètres de ce village.

La journée se passe joyeusement sans rien faire.

Je reçois des nouvelles. Je puis me borner dans mes amusements réels à penser à CLAIRETTE. Comment fait elle à être présente partout et toujours.

Ah je l’aime tant.

Des heures entières se passent tenant ma tête entre mes mains songeant, songeant à elle. Mais toujours dans mon bonheur il y a une souffrance terrible. Je la vois.

Je l’aime doucement et il me semble parfois qu’elle ne peut pas m’aimer, qu’elle est toute indifférente, et peut être st-ce la vérité. Je voudrais alors détruire ma pensée, l’amour que je lui porte.

Mais plus j’y songe plus je suis envahit par ce même amour.

Non !

L’homme devrait être plus fort; moi-même je ne me reconnais plus. Pourquoi ne pas pouvoir me raisonner, dire: tu lui avoueras ton amour quand tu y seras et tu sauras alors ce que tu peux espérer.

Non, non, ma passion domine ma raison et je suis forcé par une force mystérieuse à venir souvent dire mon amour à ce livre.

Je m’épanche un peu, c’est l’effet d’un entretien avec elle.

Mais pourquoi l’amour si fort, si elle ne m’aime pas que deviendrai-je ?

Je sens bien que mon amour est immortel et éternellement pour elle. Je souffrirai si elle ne peut m’aimer.

je l’aimerai seul toute ma vie. Et pour que cette vie ne me devienne pas atroce, si CLAIRETTE se donne à un autre, je l’abrégerai.

J’en aurai bien le courage.

 

Le 6 même journée que le 5 nous passons la journée auprès d'une haie près de la ferme de l'hôpital.

Nous ne faisons rien.

J'aimerai mieux avoir un travail assidu, avoir peu de moments d'inaction, ainsi mes pensées seraient plus au travail; sans rien faire je me martyrise à mon éternelle chanson: C…..Chaque jour une force nouvelle nait de cet amour.

Qu'en serait il si elle m'aimait aussi et que je le susse...J'en ai peur parfois, que me réserve encore l'avenir?

Que peut-il me réserver ?

Certes personne ni rien ne peut m'éloigner de mon amour. Je mourrai avec lui, je le sens chaque jour davantage.

 

Voici l'alerte,  nous allons de nouveau nous porter en avant, nous partons a 18 heures.

Marche en profondeur pour nous défiler des vues de l'ennemi.

Nous passons par ESMERY, HALLON, la ferme BONNEUIL l'ennemi recule nous les attaquons. La fatigue est extrême. Les poilus ne peuvent plus tenir, quiconque songe à les contrarier perd toute confiance. Je remarque au (illisible) tout le long de la route.

 

La journée se passe à faire des compte rendus, nous sommes à présent réserve et nous seront relevés ici. Le soir nous formons la tente et tranquillement nous nous endormons.

 

Le matin à 6 heures réveil.

On demande d'être tout prêt à partir et on attend.je m'en vais au talus de la route ou passent tous les convois.il fait du vent et c'est un nuage incessant.

Là commence une lettre pour C…….

Tout à coup un camarade m'appelle :

« Veux tu que nous allions à la messe a la ferme Bouvreuil ? "

« Certainement »

Depuis longtemps on n'a assisté à la messe, puis ca doit être beau au milieu des ruines le saint office. Oui c'était imposant, dans une chambre au rez-de-chaussée qui avait encore conservé sa forme, quoique transpercée en plusieurs endroits par de puissants éclats.

La messe me paraissait plus belle là. Nous sortons, il avait commencé a pleuvoir pendant le saint office. Nous revenons a notre bivouac tout est mouillés, heureusement qu'un de mes poilu a songé à couvrir de ma capote tous les autres effets, nous ne pouvons songer à nous mouiller.

Et ordre arrive d'aller occuper la ferme et un hangar.

La pluie tombe de plus belle jusqu'au moment ou nous sommes installés. La pluie cesse, je songe alors à finir la lettre de CLAIRETTE. Les sièges ne sont pas nombreux; par bonheur il y à une voiture d’artillerie dételée, je monte à la place du cocher et je suis bien pour finir ma lettre.

 

On parle de nous relever ce soir.

Nous partons en effet à 14 h, nous repassons par ESMERY et d'autres communes où embarrassé par mon fourbi je ne puis écrire les noms.

Et après on oublie si facilement...tout ce que je me souviens est que nous avons passés nos position du canal nord et que nous avons cantonné le soir à BREUIL.

Toutes les précautions sont prises : personne n'y a cantonné encore et les barbares y sont passés. Dans chaque abri, dans chaque cave restée intacte, il y a des couchettes aménagées.

Dans une il y en à trente.

Un sergent du génie nous précède pour reconnaitre qu'aucun piège n'est tendu; il y en a un en effet, sous chaque couchette il y a un obus de 210mm correspondant avec les autres par un cordeau détonant, un détonateur appuyé à la paillasse.

Et l'homme qui se serait couché aurait produit l'explosion générale.

 

Nous dormons du mieux que nous pouvons, il fait du vent, les nuits sont froides, l'hiver commence dans les régions nord, nord est. Nous passons par maintes localités déjà citées à la marche en avant.

Les souvenirs se renouvellent, ici, ce sont les fatigues, là, les souffrances pour gagner du terrain.

Là c'est la mort subite d'un camarade. On y songe plus qu'avant, on frémit et malgré le sac, malgré la fatigue, on rectifie la tenue, on lève son casque pour  dire adieu à des êtres mort glorieusement pour libérer le sol sacré de la patrie.

 

Nous repassons CARREPUITS, ROYE, VILLERS-LES-ROYE, et nous cantonnons le soir à ANDECHY. Le pays est rasé, et pour savoir si il y en a eu un il faut entrer dans les trous qu'on voit par ci par la.

On reconnait les restes d'une cave.....ils se sont attachés a tout.

Dans la soirée je suis allé au cimetière. C'est mon ancien régiment qui se battait par ici, je voudrais rendre hommage à l'unité qui a gardé mon cœur en son absence, à ceux qui sont tombés faisant honneur à notre glorieux drapeau.

Et là le spectacle est terrifiant, tous les caveaux sont ouverts. (*)

Ils ont eu le courage de déterrer les morts pour s'abriter dans les caveaux où certes l'artillerie française ne penserait pas à tirer.

 

(*) Edouard MATTLINGER, un autre soldat du 132e décrit la même scène, sur son carnet de guerre, publié sur mon site : <<< ici <<<

 

Nous sommes logés dans une baraque recouverte en papier huilé mais le toit est éclaboussé par les balles ou les shrapnels. Et on ne songe pas qu'il pourrait pleuvoir.

Avec KERDRAIS (?) nous allons chercher une couchette et par bonheur dans une cave nous trouvons un large matelas.

Nous le prenons et après les fatigues du jour nous nous endormons facilement.

Mais vers minuit il commence à pleuvoir

Les gouttières commencent elles à nous envoyer de l'eau. Nous nous réveillons mais nous sommes déjà mouillés. Nous sommes obligés de déserter le matelas.

Le reste de la nuit se passe assez mal, on trotte pour trouver un coin qui n'a pas de gouttières.

 

Le jour vint, c'est le 11 septembre.

Nous sommes ici loin des boches.

Il fait beau.

Durant la matinée à 10 heures il y a douche et nous allons tous commencer la toilette délaissée depuis le 7 août. Nous recevons les ballots individuels que nous avions laissés à LUCHY.

 

Je jette pour mon compte chemise, caleçon. C'est avec une brosse que j'attaque les saletés accumulées sur mon corps.

40 minutes sous la douche savonné et lavé plusieurs fois. Je remets une chemise propre, un caleçon.je garde une salopette et ma capote et je fais bouillir ma veste qui pourrait malgré la chasse quotidienne contenir encore quelques totos (des poux).

On se sent mieux. Je songe à me raser car ma barbe me rend méconnaissable.

Mes cheveux sont trop longs et je les veux arrangés. Le coiffeur de la compagnie me les a mal taillé malheureusement. Simple détail.

Une fois propre je vois que je peux encore présenter devant des civils. Je songe alors à partir en perme. Je fais une demande au colonel qui est transmise avec avis favorable.

J'en ai la réponse le 12 au matin

 

La journée du 11 passe sous la pluie.

 

Le 12 à midi nous allons repartir. Nous irons cantonner dans un village moins dévasté à ARVILLERS.

Nous arrivons a 14 heures on n’est pas trop mal.

Nuit calme, nous recevons un renfort.

Chapitre4 : PERMISSION. ARMISTICE. ALLEMAGNE

     Septembre- décembre 1918

13 septembre, à 5 heures arrive l’agent de liaison avec mon titre de permission revenu signé du colonel pour partir immédiatement, mais le train ne peut être pris aujourd’hui à ROYE il y a 12 km et il part à 7 heures.

Je n’ai rien de préparé, bon je partirai demain.

Ah cette journée du 13 qu’elle me parut longue.

 

J’allais partir dans deux jours je serai à MARSEILLE, à GRANS plutôt.

Que d’idées. Mais ma joie domina tout. Je voudrais écrire et je ne peux point; ma seule idée est que je vais revoir CLAIRETTE; mon rêve aura une fin.

Oui je lui dirai que je l’aime cette fois. Je me sens assez fort et j’aurai la réponse de sa propre bouche, de son cœur; je l’aime, le peu de cet amour me brule; comme je suis énervé.

Je voudrais déjà être auprès d’elle, le lui avoir dit, connaitre mon sort. Je pourrai l’appeler au lieu de ma marraine ma bien aimée.

Oui sinon…

Même qu’elle n’y consente je veux demeurer son ami. Car j’ai assez de force et d’amour, pour si je n’ai peut être son amour, me conserver son adorateur quoique elle me conserve simplement comme un filleul. Mais elle m’aimera j’en ai l’inspiration; vite, vite à GRANS.

 

Cette nuit du 13 au 14 ne connait pas mon sommeil. Mes idées s’envolèrent, mon cœur en émoi fut à GRANS où est CLAIRETTE qui peut être pense à moi aussi.

Mon seul idéal c’est l’aimer et être aimé d’elle. Elle me plait tant

 

14

Départ à 4 h je vais prendre le train à LABOISSIERE, gare démolie.

Nous passons par MONTDIDIER, faisant pitié à voir et je m’endors après. Je me réveille à DURVILLERS (?) gare régulatrice où se trient toutes les directions.

Je repars de là à 14h, nous passons à PARIS vers 17h.

J’arrive à AVIGNON le 15 à 16h mais mon calcul est fait, je vais descendre à AVIGNON, je prendrai à 17h la ligne de CAVAILLON et je serai rendu à 20 ou 21h près de CLAIRETTE.

Une promenade dans la ville…

Je songe à aller à ROGNONAS où va souvent CLAIRETTE simplement pour voir le village qui souvent la voit et pour connaitre les amusements qu’elle peut connaitre.

Puis je ne suis pas rasé et il faut que je sois propre pour voir CLAIRETTE à GRANS qui seule m’intéresse. L’après midi quoique un peu long se passe bien.

A 17h je vais à la gare, le train est bondé, qu’importe ma place y sera, en route pour GRANS

J’arrive à GRANS à 20h50, je suis bien; je trouve la porte close puis grand-mère m’annonce que CLAIRETTE est absente. Oh que j’ai souffert en quelques minutes…

 

Les quatre pages suivantes sont déchirées, détachées de la souche du carnet. L’explication est donnée plus loin.

 

Puis RAPHAEL arrive et nous rentrons.

Quelle surprise après ma déception, CLAIRETTE est là.

Elle arrive de ROGNONAS. Nous avons fait route ensemble sans nous voir.

Je m’en veux. Je ne sais qui maudire de ne pas l’avoir rencontrée à AVIGNON.

J’interromps mon livre, décrire l’accueil qui me fut fait est impossible. Je reprendrai mon carnet quand au retour de permission je quitterai GRANS.

 

9 octobre

Voila mes feuilles volantes sont recopiées, mes pensées de guerre transcrites.

Me voilà à MARSEILLE après maintes journées passées auprès de CLAIRETTE.

Je ne voulais pas écrire avant mon retour de Corse; mon livre se finira, tant pis, mais il faut que j’écrive mes impressions et les reproches que j’ai à me faire.

       J’avais la ferme intention d’avouer mon amour à CLAIRETTE une fois que je serai revenu à GRANS. Oui je me sentais fort pour le faire, une force en moi le voulait…

Et pourtant…

Pourtant je n’en ai pas eu le courage.

Des occasions propices sont venues, de nombreux tête à tête avec CLAIRETTE se sont présentés sans que j’ai eu le courage de le faire alors que j’en brulais au cœur.

Et je brule incessamment de cet amour.

Il me meurtrit, il à détruit en moi toute pensée et je n’ai pas eu le courage de lui dire que je l’aime; si elle veut consentir à m’aimer pour être un jour ma femme :

Qu’est-ce donc qui m’a retenu, pourquoi ?

L’amour n’a-t-il pas su se faire comprendre ?

Je désespère à présent. Je ne peux pas me vanter de le lui avouer car ce sera pareil une autre fois, sous son regard, je ne saurai que dire des bêtises et elle me répétera à mes paroles ne rimant à rien :

« Comme vous êtes gosse ».

Que pense t elle ?

N’est-ce pas un instinct  qui me défend de lui dire, ce que veut mon cœur peut être ne dois je pas lui avouer ?

Elle me donne aucun (illisible), aucune parole, aucun geste pour voir si elle désire m’aimer d’amour. Sans doute a-t-elle son cœur pris….ou sinon espère t elle plus haut et elle aura raison.

Je réfléchis un peu. Ma situation est nulle car je ne puis songer à porter CLAIRETTE à ZALANA. Ce n’est pas sa vie, et ce n’est pas la mienne. ZALANA oui, mais pour une promenade en été.

Aucune situation ailleurs.

 

Et nous sommes en guerre, peut on songer à en préparer une, le seul intérêt est la guerre, à sa fin je déciderai bien.

Je n’abandonne pas l’idée de posséder l’amour de CLAIRETTE, au contraire chaque jour davantage elle s’ (illisible) dans mon cerveau; j’aimerai CLAIRETTE toute ma vie.

Elle sera mon épouse ou je ne connaitrai point la femme. En elle j’ai entrevu  un modèle, en elle seule peut être mon bonheur.

Elle ou jamais je ne me marierai.

 

Je voudrais qu’elle voit l’amour que je lui ai voué. Mais y croit elle, ne se moque-t-elle pas de l’amour comme de toute autre chose. J’en ai peur parfois. Et il me semble qu’elle ne rêve, comme beaucoup de femmes que de richesse.

Je ne suis point riche.

Mieux vaut alors que je calme cet amour, que je ne détruise pas cette belle amitié. Et si après la guerre je puis avoir une situation à la rendre heureuse, faire alors la démarche que je rêvais depuis 7 mois.

Pourtant ce n’est pas ainsi que je la voudrais pour mon bonheur. Je voudrais qu’elle ait de l’amour pour moi, pour moi seulement, le bonheur n’est que là. Comment sont ses idées réelles?

 

Ah j’ai bien mal à la tête.

Je n’ai que cette idée, je ne sais plus penser à autre chose et peut être vais-je bien souffrir pour cet amour.

Tant pis, je me sacrifie, je ne veux aimer qu’elle et si elle n’y consent pas je mourrai, mais en l’aimant. Comme elle m’est dure la vie à MARSEILLE. Quels cauchemars m’assaillent jour et nuit pour elle.

Vraiment je ne saurai jamais le lui dire…? Non elle m’a compris, j’en suis certain et peut être m’aime-t-elle aussi, mais sans le savoir, sous une autre forme que d’habitude.

Je répète ma phrase vraie cette fois: « comme je suis malheureux »

 

10 octobre

Ma vie est réellement mauvaise. Je me couche meurtri par cette idée qui seule travaille en moi, je me lève et mes idées sont là bas. J’en veux à ce pauvre cerveau, fort pour beaucoup de choses et se laissant dominer par une femme.

L’amour est mauvais, il est seulement pour faire souffrir.

Ce n’est qu’à tord encore que je me plains car savoir si elle n’a pas mes pensées mais que m’importe je souffre par lui, alors que ma vie serait si tranquille, si belle.

Tout m’amusait jadis et tout m’ennuie à présent je voudrais parler à elle ou d’elle seulement. Je perds la tête, jr nr sais plus converser avec d’autres car je suis tenté à certains moments de dire mon amour, comme pour m’épancher du cauchemar qui me torture. Je ne puis avoir de confident,

Je suis condamné, moi un guerrier à me renfermer dans un silence qui me tue.

Condamné à souffrir par le manque de courage, où est-t-il donc passé.

Je me suis cru supérieur à la femme. Je l’ai toujours regardée au dessous de moi; je n’ai jamais cru l’aimer car j’avais peur qu’elle ne puisse me comprendre et je ne croyais pas à l’amour.

 

Aujourd’hui il m’enchaine, il fait de moi ce qu’il veut.

Ma raison est une nullité auprès de ma passion amoureuse. Je braverai tout pour cette dernière.

Et je n’ai pas le courage de l’avouer.

Que pense t elle de moi?

Mais que pense t elle donc?

Une torture pour moi est aussi ce séjour à MARSEILLE à présent qu’elle est malade. Mon cœur souffre à l’idée qu’elle doit souffrir. J’aurai voulu ne pas la quitter d’un moment. Être son seul garde malade. Mais j’aurai voulu, et j’en mourrai de désir, lui prodiguer des caresses, lui donner mon cœur dans un baiser.

Lui faire oublier ses fièvres.

Mais pour tout cela, il faut qu’elle pense comme moi, sinon les caresses ne valent rien. Que seraient pour moi les caresses d’une autre femme? Du dégout, et le plus profond… que je ne permettrai pour rien au cœur.

Son amour et ses caresses pas plus.

 

Les heures passées à son chevet, comme elles m’étaient douces. Comment étaient-elles pour CLAIRETTE.

Ah je voudrais bien le savoir. Par moments ses yeux semblaient recouvrir un éclat d’amour, puis tout disparaissait.

Mais dans les miens ne savait-elle pas lire ma passion. J’avais à certains moments le délire, mes nerfs tremblaient, mon cœur semblait s’arrêter de battre. Je jouissais d’un bonheur infini et souffrais une torture mortelle de ne point lui dire mon amour. Certes elle l’a compris, ou elle n’a pas de cœur. A d’autres moments mes pensées s’envolaient, je n’avais plus la force de penser.

J’étais dans un bonheur infini et me plaisais à le gouter et le conserver, tenant sa main dans la mienne. Cette main que j’adore et que je désire tant.

Elle est encore malade. Je tremble et voudrais aller avant dimanche car dimanche est trop loin. Les journées sont si longues et mon amour est si grand; puis je suis si énervé : en se moquant de moi, elle me demande si j’ai le cafard.

Ah si elle savait comme je souffre pour elle…peut être ne songerait elle plus aux plaisirs mondains, aux richesses et à tous leurs accessoires. Mais comme moi verrait-elle le bonheur dans l’amour.

Pauvre vie comme tu es triste en ce moment pour moi et quelle en sera la fin… je n’ose y penser.

 

Troublé, mon cœur entier en convulsion je vais aller me coucher; je n’ai ni faim ni soif.

Je l’aime.

Je l’aime trop.

 

12 octobre

Encore 24h et je serai de nouveau auprès d’elle ; elle est encore malade et savoir si les journées de dimanche et lundi ne seront pas passées à son chevet. Mais le mal m’inquiète.

Qu’a-t-elle ?

Pourquoi ne puis je rien à sa guérison… qui sait si cette fois je ne vais pas lui avouer mon amour, je ne veux plus dire, je veux le faire, car ma résolution tombe sous son regard. Alors je lui dirais si j’ai plus de force, mais je ne me vante de rien; ah pourquoi ne pas venir au devant de mon amour CLAIRETTE.

Vous voyez bien que je vous aime.

Oui elle le sait, elle m’aime peut être aussi et par respect elle reste indifférente, elle cache ses pensées. Elle ne veut pas qu’un geste, un regard me dise qu’elle m’aime. Je crois en son amour.

Car sinon pourquoi aurai-je une passion si forte. L’amour cherche l’amour et attire l’amour.

J’ai d’autres amitiés sincères et belles, mais jamais je n’ai eu l’inspiration de pouvoir les aimer d’amour. Je ne croyais pas à l’existence de l’amour et je suis arrivé à dans un regard cette passion, depuis qu’accoudé au comptoir je l’ai prié d’être ma marraine.

Depuis, oui j’ai senti un changement dans ma vie, mon cœur à battu autrement. Je sentais que ce n’était plus la même amitié que j’accordais à tous mes amis antérieurs et je me suis aperçu que petit à petit l’amour était né en moi.

 

J’aime et je suis heureux d’aimer CLAIRETTE. Je l’aime elle seule, toutes les autres affections ne me prêtent plus qu’un petit intérêt.

Je n’aime qu’elle et de toute mon âme;

Que me réserve l’avenir, je n’ose quelques fois y penser. La déception serait ma ruine, l’accomplissement de mes rêves ma seule fortune.

CLAIRETTE vous allez en décider; je tremble à l’idée qu’elle peut repousser mon amour. Quand lui dirai-je ? Je devrais tout surmonter pour savoir car si elle voit mon silence se prolonger peut être pensera-t-elle que tous mes sous entendus veulent dire un mauvais amour et pourrait songer à s’en créer un car elle est plue par beaucoup certainement. La jalousie me ronge à la pensée qu’elle pourrait appartenir à un autre.

Si elle était inspirée du même amour que moi elle attendrait certes longtemps, toujours, puis je dire, car elle ne pourrait porter son amour sur un autre. Elle a de la volonté, mais savoir si elle veut l’employer là-dessus.

 

Ce qui me fait hésiter c’est aussi la pensée que je ne puis lui offrir, dans une belle situation, une vie heureuse.

Que sais-je de ce qui peut m’attendre…. Et alors je voudrais qu’elle reste heureuse, qu’elle ait du bonheur comme elle en mérite. Dussé-je mourir de jalousie; ma mort serait pour son amour.

Je l’aime, je l’aime de toute mon âme. Je sens que c’est désormais à la vie à la mort donc aucun raisonnement pour m’en éloigner.

« Advienne que pourra »

feather

 

Les lignes suivantes qui sont les dernières des 4 pages arrachées éclairent sur les causes de leur séparation de la souche. Contrairement à celles écrites tout au long du carnet elles sont rédigées avec plus d’application et Jean saute une ligne sur deux dans le carnet pour bien marquer la différence.

 

Pages écrites à MARSEILLE et déchirées sur votre ordre à GRANS (comment voulez vous que je crois à ce que vous dites, vous aviez dit que vous n’écririez sur votre carnet rien de tout ce qui se rapportait à votre permission.)

Laissées à la fin de mon carnet. Je les y laisse aussi.

 

Effectivement la toute dernière page du carnet, celle avant la couverture cartonnée et qui ne comporte pas de ligne tracées pour l’écriture, présente dans le coin supérieur droit 4 lignes d’écriture qui on été dissimulées à la compréhension par un gribouillage.

Il apparait possible qu’elles soient bien le texte cité plus haut entre parenthèses.

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26 novembre

Est-ce encore des pages de campagne que j’écris aujourd’hui.

Je ne sais car la guerre n’est plus; qu’importe c’est la campagne quand même car je ne suis en dehors de chez moi.

Mes pages auraient été plus belles en permission, avec tant d’ennui. J’aurai pu relater mes pensées avec un style meilleur que celui que l’on écrit étant au corps. Certes j’ai le temps aussi mais rien que l’idée qu’a telle ou telle heure on me parlera de service, je ne puis avoir une même douceur.

 

Ainsi il ne m’est pas permis de parler de mes impressions de permission.

Une défense formelle et à laquelle je ne saurai désobéir m’a été faite par CLAIRETTE.

C’est beau (bon?) je ne commence qu’à mon retour.

Toute ma permission se résume en ceci : je n’ai pensé rien qu’à CLAIRETTE, je n’ai fait que l’aimer sans le lui dire. Oui me voici à la CROIX DE CALLEMAND, un baiser d’adieu, une étreinte de main voulant exprimer une simple amitié ou de l’amour.

 

De là  à MIRAMAS je me suis (illisible) du voyage tellement mes idées étaient absentes de l’endroit ou j’étais, certes j’étais revenu avec CLAIRETTE. Je ne puis éloigner de beaucoup mes pensées, vite elles reviennent sur elle, sur mon amour et sur l’incertitude du sien; le train arriva presque aussitôt, s’arrêta 20mn et je me lassai de cet attente comme un gosse je me suis amusé avec un petit chien à courir devant lui.

Le train part.

J’arrive à ARLES où une nouvelle attente m’énerve complètement et enfin me voilà dans le train des permissionnaires. Le paysage m’intéresse peu, je l’ai d’ailleurs souvent vu. J’ai toutefois essayé de voir ROGNONAS où CLAIRETTE va souvent.

Mes pensées ne la quittent plus.

Tout et tous m’énervaient. Nous étions au BOURGET le 27 à 9h. J’essayais d’avoir des nouvelles de ma division, mais je ne pus trouver un poilu qui me renseigne. Je décidais alors de poursuivre jusqu’à la gare régulatrice qui était pour la somme ORRY-LA-VILLE et j’y arrivais à midi. Je tardais pas à savoir que la division était partie de la Somme et qu’elle devait probablement être en Alsace.

 

Une attente de 5h dans la gare d’ORRY et nous voilà en route pour VAIRES-TORCY où on devait me donner l’emplacement exact de ma division; nous arrivons à 21h.

La nuit se passe en promenades puisqu’il ne faut pas se laisser assaillir par le froid.

Nous repartons de VAIRES le 28 à 15h.

Nous passons par CHÂTEAU-THIERRY où on pouvait voir les ruines qu’ont fait et laissé les boches après leur passage. Cette région si belle il y à 8 mois encore n’est plus qu’un aspect de désolation. Le chemin de fer longe la Marne sur un très long parcours et on peut remarquer les ponts détruits qui reliaient les deux rives; tout à sauté et des ponts provisoires en bois les remplacent.

 

La nuit.

Avec elle on laisse le paysage tranquille, on essaye de dormir.

Nous sommes encore bien, dans un compartiment de 1ere. Nous arrivons à FAVERESSE, VITRY LE FRANCOIS et BAR-LE-DUC.

Là une attente de quelques heures pendant laquelle nous allons visiter la cantine américaine qui est si bien aménagée, ici c’est des comptoirs du vin, là l’épicerie, plus loin là charcuterie, ailleurs les boissons chaudes, puis les dortoirs, les lavabos, les salles à manger, les salles de correspondances, le cinéma gratuit.

 

Nous partons à 1h le 29. BAR LE DUC  TOUL  NANCY et BLAINVILLE, là nous changeons pour LUNEVILLE et BOUARAT(?) où se trouve le centre de ralliement. Nous arrivons seulement le 30 à 8h.

 

Au centre de ralliement se trouvaient 1500 permissionnaires qui depuis 15 jours attendaient pour avoir des nouvelles officielles sur la situation de leurs compagnies respectives. Je retrouvais bons nombre de camarades et suis rassuré sur les retards.

Qui pourrait s’en apercevoir?

Mais 11h viennent et de deux popotes qu’il y avait aucune ne se décidait à me prendre:

« Mon vieux il n’y a pas de place »

J’allai à un camion qui déchargeait du pain et m ‘emparai d’une boule. C’était déjà quelque chose; puis tout simplement je vais à la 1ere popote et je dis aux sous officiers attablés de me faire une place.

Mon intonation n’admettait pas de réplique et il n’y en eu pas. Et nous n’étions pas mal.

Mais vint le soir et pour coucher tout était pris et je désespérais de trouver une chambre ou un local où je ne serais pas mort de froid; à 20h je n’avais encore rien et il faisait un froid terrible.

Quand un de mes camarades « «corses » SPINOSI me dit: »dans la chambre où je suis avec un sergent major, j’ai remarqué un canapé, nous demanderons à la patronne si elle permet que tu y passe la nuit… Si elle veut…? Mais je veux moi alors c’est pareil.

La femme était gentille, elle me chercha des draps, un édredon et ma nuit se passa bien.

 

Le lendemain le sergent major reçu l’ordre de rejoindre le régiment et je pris son lit. Depuis je devais être bien la patronne me prie de venir me chauffer à sa salle à manger ou si j’avais besoin d’écrire à n’importe quelle heure.

Je suis allé à la messe à BERTRICHAMPS à la sortie de la messe tout le monde, hommes et femmes se dirigeait vers le cimetière pour aller selon l’usage de la région prier sur les tombes des trépassées.

Drôle d’usage.

Je suivis comme tout le monde et j’allai prier aussi pour les soldats morts pour la France;

L’après midi de dimanche se passe en une promenade à RAON-L’ETAPE encore quelque peu dévasté par le passage des barbares en 1914.

 

La journée du 2 décembre est un travail analogue à celle du 1er.

Le soir une promenade champêtre et voilà. Mais j’ai su que mon ami MARTIN est à LUNEVILLE et je veux le voir. Je demande une permission et pars le 3 au matin. Je le trouve en effet.

Oh c’est un peu la bombe. Nous ne nous sommes vu depuis longtemps, la journée se passe à tourner dans LUNEVILLE.

Le soir nous allons au théâtre municipal où jouent des artistes du grand théâtre français de PARIS.

Ce n’est pas mal; nous en sommes deux amateurs.

 

Le 4

Nous partons à cheval. Il est bien dans sa section et à pu en obtenir un pour moi.

Nous allons passer un moment à AUTHELUPT où nous sommes invités à déjeuner par mon ancienne hôtesse.

Nous repartons dans l’après midi pour NANCY; là je m’y connais, c’est moi qui dirige; nous allons le soir à la taverne grand théâtre de NANCY.

Nous reprenons la route vers LUNEVILLE où nous arrivons un peu avant le jour; une route encore (illisible) LUNEVILLE et je prends le train pour BACCARAT.

 

En arrivant on m’annonce le départ pour le lendemain; allons c’est de la (illisible) en effet départ le 6 à 14h;

Nous étions à LUNEVILLE encore à 22h puis le train démarra.

Nommer les villages que nous traversâmes me serait impossible car c’était la nuit, il faisait noir, puis nous étions tous dans des wagons à bestiaux et au nombre de 43 hommes par wagon; nous passâmes au jour à DAVERUE(?) puis à HAGUENAU; à 8h à BISCHWILLER nous débarquons à HOERDT à 10h.

Je réussi à prendre une auto pour STRASBOURG, il y avait 25km à faire et ce n’était pas agréable de les faire à pied.

 

Nous sommes cantonnés pour quelques jours à ECKBOISHEIM faubourg de STRASBOURG. Là aussi je tombe bien.

J’arrive avant le bataillon et je me dirige vers une des meilleures maisons où je demande une chambre; elle me fut donnée sur le champ. Une très belle chambre richement garnie. Je suis invité à diner avec la famille.

Une vieille femme comprend seule le français.

Mais tout me fait comprendre qu’ils sont heureux de voir des français et d’en cantonner chez eux.

Et le bataillon arriva. Me voilà de nouveau dans ma compagnie; je suis heureux de retrouver quelques camarades. Ma section, malheureusement a eu le plus mauvais coup, il reste seulement un caporal qui a passé à une autre section.

Avec les permissionnaires rentrants je reconstitue la 2eme section. Elle a eu peu de chance en mon absence, les deux sergents qui m’ont succédé sont morts glorieusement et beaucoup, beaucoup de mes poilus.

J’ai passé une triste soirée quand au cantonnement j’ai fait l’appel, les places des manquants étaient là; et mon cœur se serrait, j’étais cruellement ému à trop de réponses… Un tel…

 

« MORT AU CHAMP D’HONNEUR !! »

J’en deviens encore le petit chef; mais la section est si petite aussi. Mais on ne peut s’en désoler étant soldats.

Mes soldats, mes frères de combats sont morts honorablement, glorieusement pour la France.

 

Le 8

Nous avons travail à remettre tout en état pour la fameuse revue du lendemain; défilé devant le président de la république, CLEMENCEAU, FOCH,  JOFFRE,  PETAIN,  DE CASTELNAU  etc.. etc…

Elle se passe très bien.

Le défilé est long mais magnifique. Après les troupes qui défilent dans un ordre parfait devant l’estrade et la tribune présidentielle sur la place du kaiser (place de la république) viennent les alsaciennes avec leurs éclatante parure régionales aujourd’hui aux trois couleurs françaises. Elles dansent en marchant.

Partout ce n’est que des bouquets de drapeaux, des applaudissements sans fin. « vive la France!! Vive l’armée!! vive les poilus!! vive le 132eme!!! »

Nous rentrons à 16h mais il y a ce soir fête à STRASBOURG et il faut que l’on voit un peu.

 

Oui elle était belle la fête du soir.

L’illumination d’abord: toutes les ampoules électriques étaient tricolores, tout, tout français.

À 19h commencèrent les retraites aux flambeaux, parties de la place Kleber; quel monde ce soir du 9.

Je me lasse à décrire ce qui est fête, tout m’a plût, certes j’ai été content  et en deux jours, j’ai comme différentes émotions. Mais ces passages me rappelleront les moindres moments de STRASBOURG.

Et je passe en portant mon intérêt sur ce que j’ai de plus cher au cœur, même dans mes meilleurs moments de plaisirs les meilleurs.

 

Le 10 repos. Je vais alors visiter les monuments de STRASBOURG

 

Le 11

Nous partons pour un cantonnement loin de STRASBOURG, une marche de 27 à 30km, sans sac heureusement.

Nous arrivons à SCHWINDRATZHEIM, petit village assez gentil. Je suis logé dans une maison assez bien. Gens très chics.

Au fond que m’intéresse le coucher et la gentillesse des habitants…? Ne suis-je pas habitué aux plus cruels des maux que l’homme peut supporter…? Ce qui m’intéresse, ce qui me plait et ce qui réellement est le seul bien de mon cœur est CLAIRETTE. CLAIRETTE qui ne m’a pas encore écrit.

Rien d’elle depuis le 26 que je l’ai quitté.

Elle est cruelle de me laisser ainsi sans ses nouvelles, elle sait qu’elles me plaisent tant..tant.

Que sont donc ses pensées après mon départ? Je l’aime; je l’aime à la folie. Mais je ne lui ai pas déclaré mon amour. Elle est peut être lasse d’une amitié pareille, amitié douce. Pourtant elle m’avait promis de m’écrire et elle ne le fait pas. Elle a pourtant reçu mes lettres et cartes.

Ah quel cafard !

Non CLAIRETTE ne m’aime pas et je lui ai voué mon cœur; je n’ai plus la force de me reprendre. Je ne suis et ne serai qu’à elle. Je le sens.

Pourquoi n’ai-je pas parlé de mon amour ouvertement, franchement.

Le demander après à mère CELINIA(?) si brave, me recouvrant d’un amour (illisible) maternel; peut être tout aurait bien été. Mais encore et toujours la peur de perdre une belle amitié pour en vouloir une trop belle.

Et je m’en suis tenu là.

Elle sait pourtant que je l’aime d’amour car mes yeux, mes gestes, mes baisers le disaient. Mes paroles en tête à tête n’étaient que des aveux. Elle est demeurée sans réponse à ce que je montrais.

Car si un peu elle s’était ouverte, j’aurai été heureux de le lui avouer entièrement mon amour. Elle ne sait pas comme il est car elle y aurait cédé.

Je souffre en songeant à ma vie. Elle est mauvaise. Je ne vois que machinalement ce qui m’entoure.

Je fais tout par habitude; mais je n’ai idée à rien de ce que je fais. Je ne pense qu’à vous CLAIRE, qu’à vous.

Et vous m’oubliez.

 

Une carte, enfin. Une petite carte, presque froide.

Mais enfin je suis heureux, elle a pensé à moi. Elle me promet une lettre plus longue qui arrivera quand? Oh mon Dieu, cette carte comme elle me parait froide. Je n’ai plus le courage de penser.

 

12/13/14

Mes idées ont changé plusieurs fois, mais les mauvaises ont dominé et j’ai passé de tristes moments.

Une 2eme carte vient presque me consterner.

 

Dimanche à ROGNONAS elle n’a pu aller à AVIGNON. Elle a donc eu le temps d’écrire et elle me fait une carte qui m’a fait mal au cœur. Oh je n’ai plus le courage d’écrire sur mon livre. Mes impressions sont mauvaises.

Oh je m’arrête tant que je n’aurais pas une lettre. Je ne veux plus écrire.

Comme j’ai le cafard!!

 

17

Point de lettre de CLAIRETTE. Je calcule ce qu’elle peut bien avoir à ne pas m’écrire.

Qu’ai-je fait qui ai pu lui déplaire…?

Oh si j’avais manqué, je serais prêt à lui demander pardon. Mais je ne me souviens avoir manqué à aucun respect. Alors pourquoi ne m’écrit elle pas…? Quelles sont donc ses idées. Oh je ne puis supporter ma vie. Je suis malheureux, elle ne pense pas à moi ou rarement pour sans doute…

Oh non !

Comme je me sens mal, et mon amour me semble plus fort que jamais…

Qu’il est pénible d’aimer comme moi, je ne peux plus continuer, j’ai la tête lourde.

 

Une courte lettre vint enfin me dire sa rentrée à GRANS; là encore elle m’écrit pour mon plaisir car elle sait que je souffre de ses nouvelles. Mais un autre plaisir pour elle prime le mien.

Elle va être pour le concert.

Le concert qui déjà a du se jouer. Comme j’ai mal au cœur de cela.

Ma marraine jouer un rôle dans une pièce, se laisser métamorphoser par d’autres, permettre que d’autres touchent son visage pour mettre une beauté artificielle alors que la naturelle est au dessus de toutes.

Enfin être dans un milieu où on l’appelle une artiste… Car on le lui a fait comprendre.

Quelle horreur j’ai de ce nom là appliqué à CLAIRETTE. Comme je voudrais qu’elle sache ma pensée. Mais la saurait elle qu’elle ne serait pas arrêtée peut être car n’est elle pas libre de ses actes…?  Même que cela froisse un peu.

J’aurai voulu avoir la force de le lui dire, non elle est plus, bien plus que cela, elle ne doit pas paraitre sur une scène.

Même aurait elle le plus grand succès.

 

J’ai été dansé.

Je n’ai pas joui de l’amusement qui cependant à toujours primé les autres. Je ne suis pas danseur, mais mon plaisir est énorme quand j’entends l’harmonie du bal. Je pensais trop à elle.

En ces même moments elle était en train de déclamer ou de danser avec d’autres.

Je fis pourtant danser deux jeunes filles, mais j’étais loin de penser à celles que j’avais dans les bras; je pensais à elle rien qu’à elle. Je fermais parfois les yeux et me figurais tenir CLAIRETTE par la taille.

Je les rouvrais….. Oh quelle illusion…..Et ainsi ma vie se continue monotone.

Rien ne m’intéresse, je voudrais une gentille lettre de CLAIRETTE, voilà ma seule pensée.

 

Toutes les journées se suivent et se ressemblent ici.

De rares nouvelles. Oh je m’en fais un peu. A quoi bon forcer la nature. Si elle n’a pas idée à m’écrire tant pis puisqu’une lettre écrite contre son idée ne me plairait pas. Je croirai avoir quelque chose de mal en moi, elle serait brulée à son coté.

Ses lettres me plairont quand elles arriveront c’est tout.

Elle ne se figurera jamais ce que je souffre  pour elle. Parfois j’ai peur de me lasser d’aimer. Mais quand je sonde cette pensée je vois qu’elle est infondée puisque je sens une ardeur inlassable et infinie, un amour éternel pour elle…

Oh refuserait-elle mon amour qu’il sera à jamais pour elle. Je l’aime trop…trop …et je ne sais pourquoi je sens mon amour augmenter. Je sens que j’ai besoin d’aimer davantage, d’aimer plus fort.

Ah bonheur une lettre, une grande et belle lettre de mon aimée sans qu’elle le sache. Cette lettre m’a plu, elle est la douce expression de son caractère ordinaire, elle est justement venue couronner une journée de plaisir, ainsi la soirée me plaira. J’irai au bal car il y aura bal ce soir. Je serai certes heureux car je tiendrai dans cette poche là sur mon cœur, sa lettre chérie.

 

Un ordre nous dit de nous tenir prêts à embarquer ce soir. Nous partirons en camions pour aller dans le WURTEMBERG (?) je suis content de penser que nous serons en pays ennemi.

Les vaincus auront à subir notre volonté, quoique le vainqueur soit très indulgent.

 

27

Tous les voyages militaires se ressemblent et je ne veux retracer que les points qui plus tard me rappelleront les moments reçus dans un peu d’ennui.

Nous sommes partis de SCHWINDRATZHEIM à 8h ½ le 24 nous étions au pont de BISHVEILLER (?) à 10h mais le pont en bateau était coupé par le courant impétueux du Rhin.

Nous allâmes à KHEL devant STRASBOURG, mais la zone neutre derrière on ne pouvait traverser la nuit du 24 à STRASBOURG départ de la gare le 25. Quelle fête passée en attente sur les quais (illisible) dans des wagons à bestiaux quand le train parti.

Nous traversions le Rhin à 16h10.

À 17h nous arrivions à RASTATT (?) petite ville de 19000 habitants ou nous sommes un objet de curiosité; mais enfin je crois que les boches ne nous en veulent pas trop. « Bonjour » par ci, « vive la France » par là.

Allons ça va.

 

Les journées se suivent et se ressemblent.

On ne reçoit pas de lettres et on travaille du matin au soir à l’installation pour recevoir les prisonniers civils et militaires. Chaque soir on va faire une partie de carte à un café et voilà les distractions.

Quoique dans les casernes on est logés très bien chauffés et éclairés à souhait.

La guerre ainsi n’est pas bien mauvaise.

Je crois que nous avons mérité beaucoup de ce bien être pendant ces quatre années. Moi moins que les autres car j’ai déjà eu pendant la guerre beaucoup de ce bien être . Toutefois je n’ai pas sur la conscience de ne pas mériter ce qui vient.

J’ai subi ma destinée qui a voulu ce que ma vie a été.

Mon sacrifice était tout pour moi, même je suis debout encore, tant mieux.

 

 

1

Liste des décorations

 

1er janvier rien d’extraordinaire n’est venu illustrer nos journées depuis le 27.

 

Je reprends la plume aujourd’hui pour terminer mon livre.

Je voudrais passablement clore ce qui pendant une année juste à exprimé mes pensées. Un peu d’elles de temps à autre ,car toutes et tous les jours un plus grand manuscrit n’aurait pas suffit.

 

Il n’y aura pas d’orthographe, pas de ponctuation régulière dans tout le cours de mes pages, mais il y aura ce qui est plus haut que tout: mon cœur et ses expressions de divers moments.

Avec lui je pourrai reproduire les différentes visions que j’ai eues au cours d’une année de campagne car il n’y a de pensées que pour les heures passées en dehors du vrai plaisir qui est celui de la vie à l’intérieur;

 

Je l’avais commencé plus innocent qu’il n’a eu suite, destiné à recueillir mes impressions de passage et exclusivement guerrières; puis un parleur plus fort que ma volonté, que mon raisonnement est venu diriger dans mes écrits, dans mes impressions. Ce facteur est l’amour (*) l’amour dont jamais je n’avais cru à l’existence et qui tout naturellement est venu me détromper.

Il était né en moi et il a fallu depuis subir non la mienne mais sa volonté.

J’ai écrit souvent les impressions de mon cœur et non celles de mon cerveau, de mon raisonnement.

Une force invincible m’y a poussé.

(*) Souligné dans le texte

 

Mon titre de route destiné à lire mes impressions au milieu d’un public quelconque si la guerre si la guerre n’avait pas voulu de moi a changé.

Il ne pourra être lu désormais que par moi  ou par une personne qui a seule un peu d’intérêt à cette lecture, ma marraine CLAIRETTE peut être pourra-t-elle comprendre ce qu’est l’amour d’un jeune homme en voyant les écrits de quelques fois, les moments les plus critiques.

Oui seule elle lira mes impressions.

Elle aura connaissance de mes pensées réelles.

Elle connaitra ma timidité, mais mon amour dans une grandeur que seul on connait à ce dernier, dans la vraie acceptation du mot. J’ai eu du bonheur, elle le verra car j’en ai relaté quelques résumés. J’ai eu de la peine et beaucoup d’heures malheureuses à cause d’elle, à cause de cet amour pendant une année, car depuis un an je l’ai aimé. J’ai vécu avec un souci constant.

Aurait elle de l’amour pour moi ou une simple amitié belle et sincère, et un an après j’en suis encore à la même demande: m’aime t elle et désire t elle mon amour…?

Je m’en suis vanté dans les pages même de mon livre de lui avouer à telle ou telle époque. Epoque de mes permissions, je partais avec la certitude de faire une démarche sérieuse et officielle puis je me trahissais moi-même.

Devant elle mon courage s’évanouissait et je demeurais dans cette incertitude qui me torturait et me torture sans cesse le cœur;

Oui, lui parler d’amour… Mais aucun geste, aucune de ses paroles n’était un indice disant qu’elle l’accepterait. Je n’ai rien remarqué qui (illisible) un penchant comme je le désirais. Lui parler d’amour alors que franchement, elle pouvait ne nourrir que de l’amitié, pouvait paraitre une insulte, pouvait tout détruire. Et pour rien au monde je n’aurai voulu voir s’éteindre cette amitié déjà existante.

Perdre tout pour vouloir tout avoir, non je ne le veux pas; je ne l’ai pas voulu et je continue à vivre la même vie, celle de l’incertain.

Tant de passages ont relaté ce que je résume aujourd’hui.

Ainsi je finirai toutes ces pages sans avoir la satisfaction que je désire, savoir si elle m’aime, et si elle sera non ma marraine , non mon amie, mais ma femme; je le saurai quand, peut être ce sera trop tard, car si quelques fois elle attendait sur une demande claire et précise, ne l’ayant pas eue; elle peut se lasser de ses espoirs, de son attente, et recevant d’autres demandes en mariage y agréer non peut être par amour, mais par un intérêt quelconque.

 

Ces raisonnements sont venus mille fois à mon esprit et c’est alors qu’a beaucoup de reprises surtout pendant mon séjour à MARSEILLE je partais vers elle avec la ferme conviction de lui avouer.

      

Je n’ai eu que la force de le lui faire comprendre.

Car quoi !

Ou être insensé ou (illisible) on voyait à tous mes dires en tête à tête, à mes baisers qu’ils n’étaient qu’un élan d’amour irrésistible. Pourquoi alors avec des baisers de même force n’avoir répondu ….

Pourquoi à mes questions qui décelaient pourtant un amour ardent ne pas avoir répondu par des sentiments analogues. Car quoi au fond la femme et l’homme n’est-ce pas la même chose.

 

Une dernière fois avant de partir pour la Corse, j’étais revenu à GRANS.

Au moment de partir elle m’avait dit qu’elle comprenait à peu près mes pensées, et quand je lui demandais si je pouvais persévérer dans cas pensées si belles, elle se contenta de répondre par les mots vagues de: »je ne sais pas »

Je n’ai osé demander de conseils à personne car en pareille matière, il faut agir soi même, selon son cœur; moi selon mon cœur, on le comprendra dans mon carnet de route, une peur dont elle est l’auteur m’a toujours retenue et me retiens.

J’ai encore à souffrir.

Qui sait si une année ne s’écoulera pas de nouveau sans des souffrances morales qui me feront perdre la tête.

Déjà je suis incapable d’un travail sérieux, je néglige tout. J’oublie ce qu’on me confie de faire et n’ai que cette simple excuse à répondre: j’ai oublié.

Je n’ai qu’une idée en tête; aimer.

Le reste ne m’intéresse pas, à présent surtout.

Quels jours me réservent l’avenir ?

 

Ceux que je passais dans l’armée ne seront pas les meilleurs, quoique je n’ai qu’à commander; car je n’ai pas l’idée au service, comme je le disais j’oublie tout. Et puis ma nationalité quoique purement française, peut être plus sincère que beaucoup de ceux qui m’entourent est détestée.

On n’aime pas les corses, je ne sais pourquoi et qui a donné cette fâcheuse renommée.

 

Mais le plus dur du travail est pour nous, le plus mauvais est confié à notre responsabilité. Je suis certain que pour les mois de service d’après guerre, je n’aurai pas un plan (?). Comme on a tenu compte du beau geste que beaucoup de mes compatriotes ont eu à la mobilisation, s’engager avant l’appel de leur classe pour défendre la patrie en danger.

Il est engagé celui là, nous dit on, on peut lui faire faire du service…

C’est juste si on ne nous punit pas de l’avoir fait.

 

Enfin tout cela est au dessous de moi; je juge trop bas tous ces gens qui pensent la renommée d’une contrée pour pouvoir m’en humilier; je lève la tête et je regarde franchement dans les yeux.

 

Je suis heureux d’avoir fait ce que j’ai fait et d’être ce que je suis.

J’ai le plaisir d’avoir dans mon livre, pendant le cours de mon livre vu la fin de la guerre par la victoire de la France; et j’en ai la satisfaction d’avoir accompli mon devoir pendant des moments quelques fois au dessus des forces physique et morales de l’homme.

J’ai été non un chef mais un camarade.

J’ai été un réconfort pour ceux qui m’entouraient avec ma joie enfantine toujours existante au moins apparemment.

e la communiquais aussi à d’autres. Je n’ai aucun reproche à me faire au sujet de mon devoir sur le front; et les poilus qui ont été sous mes ordres, dans leur cœur ne pourront que garder un bon souvenir.

N’est-ce pas la plus belle récompense….Oui je n’en attendais pas d’autre et toutes les contrariétés d’à présent et celles qui viendront ne pourront me tourmenter (contrariétés militaires)

Il m’en restera une au cœur, c’est l’éternelle chanson. C’est mon cœur. C’en est une qui est au dessus de moi. Qui me rend tour à tour heureux ou malheureux. Mais cependant je n’arrive pas à l’éloigner de moi; au contraire tous les essais n’ont fait que l’inculquer davantage dans mon cœur.

Je finis en faisant sincèrement et de tout mon cœur les souhaits :

Ceux de connaitre les idées de CLAIRETTE.

Ceux qu’elle soit un jour ma femme, ou si elle n’a aucune intentions sur moi que j’ai le courage de le lui dire, d’entendre son refus sans la voir fâchée de ma démarche, et avoir son amitié aussi sincère qu’avant.

Pour moi, mon idéal ne peut aller plus loin ni se renouveler.

Je l’aime et c’est pour toute la vie.

 

1er janvier 1919

Jean Emmanuelli.

 

      

 

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Jean se marie avec Claire, après la guerre, en avril 1921

 

 

 

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Ils fêtent leurs noces d’or, en 1971.

 

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