Carnets de guerre 14-18 et 39/40 de Ferdinand GILLETTE

aspirant au 158e régiment d’infanterie

Carnet N° 3 : Année 1917

Mise à jour : décembre 2014

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INTRODUCTION

Chaque carnet (7 au total) détaille avec la plus grande précision, la vie de Ferdinand Gillette - au jour le jour - sur plus de 1.800 pages :

 

Liste et matricules de tous ses camarades et supérieurs, compte individuel, liste de sa correspondance, combats (attaques, contre-attaques, replis), détail individuel des pertes, vie de groupe, moral de la troupe et des officiers, prémices de fraternisation, les mutins de son régiment, amour de la famille, l’alcool chez les soldats (tous grades), convalescence dans les hôpitaux, permissions, vie de prisonnier….

Tel est ce récit extraordinaire et émotionnel, vrai « mine d’or » pour comprendre cette période…

 

L’écriture est très lisible, très déliée, bien que très resserrée et peu aérée, ce qui rend une lecture de plusieurs pages d’un coup un peu « difficile ».

Pour une meilleure compréhension des carnets et pour « adapter » le récit aux facilités d’internet, j’ai volontairement :

1)     Ajouter un sommaire

2)     Ajouter des commentaires (en bleu), pour expliquer certains termes d’époque ou situations.

3)     Ajouter des photos et cartes des combats.

4)     Les carnets sont des agendas, et parfois le récit d’une journée est écrit sur plusieurs journées de l’agenda. J’ai donc logiquement regroupé ces journées sur la même date.

5)     J’ai indiqué en face de chaque date, le lieu où se déroule la journée, et parfois un événement important.

 

Bonne lecture, et vivez des émotions fortes comme nous les avons vécus, Marie-Thérèse, Antoinette, Annie, Philippe, Serge, Christophe N., Patrick et surtout Catherine, Françoise, Dominique, Christophe R. et Nicolas, qui à eux cinq ont retranscrit plus de huit cent pages des carnets !

 

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Retour sur l’année 1916

 

Depuis fin décembre 1916, le régiment est au repos au camp de Villersexel (Haute-Saône), après leurs combats meurtriers dans la Somme.

 

Le 1e bataillon dont fait parti Ferdinand est cantonné à Oppenans, le second et l’état-major à Borey, le 3e bataillon à Oricourt, Le 158e RI fait partie de la 43e division d’infanterie avec le 149e RI et les 1e et 31e bataillons de Chasseurs.

 

La rancœur, voir la haine, envers les officiers, continue à se faire ressentir de plus en plus, au travers de ses écrits.

L’année 1917 sera marquée par les mutineries. Il semble ne pas y participer, mais il en est le témoin direct dans son unité, mais aussi celles de sa division. Il cite quelques noms d’agitateurs.

Il sera blessé.

L’amour pour sa femme et sa fille est de plus plus fort. Tiendra-t-il ?

 

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Le sommaire ne fait pas parti de ses écrits, mais il est rajouté pour le confort de navigation. Il se veut détaillé, car beaucoup d’événements sont décrits. Ferdinand est prolixe…et c’est tant mieux pour nous et pour l’histoire de cette époque.

Sommaire :

 

ü  1915

ü  1916

ü  1917

Ø  Janvier 1917 : Oppenans (Haute-Saône), camp de Villersexel – Liste nominatives de la 2e section – Réflexion sur la région de Haute-Saône - Les exercices – Les poux - La neige.

Ø  Février 1917 : La permission – Les embusqués - St Ulrich (Haut-Rhin) - Réflexions sur l’Alsace-Lorraine - Quelques mots au sujet des Alsaciens - La maladie.

Ø  Mars 1917 : Secteur de St Ulrich, Altenach – Hindlingen – Fulleren - L’attribution des croix de guerre – Delle - Autrey-le-Vay - L’instruction des masques à gaz - Les permissions exceptionnelles - Réflexions sur les militaires mis à la disposition des cultivateurs.

Ø  Avril 1917 : Secteur de Vesoul - Réflexion sur les cultivateurs - 40 par wagon à bestiaux, alors que les officiers…-Les tombes de la bataille de la Marne – Verdelot (Seine-et-Marne) - Nogent l'Artaud (Aisne) - Le dégout envers les embusqués – Hondevilliers - Les économies sur la nourriture des poilus - Les poilus sont de parfaits idiots – Marigny en Auxois (Aisne) – Le fusil R.S.C.

Ø  Mai 1917 : Domptin (Aisne) – L’attitude des Chasseurs - Grisolles - Hartennes - L’anarchie des permissions - Puiseux-en-Retz – Le prémices des mutineries

Ø  Juin 1917 : Aisne : Ciry-Salsogne  - Les mutineries - Retour aux tranchées, secteur de Vailly - Mutineries au 5ème bataillon du 158e RI - Plateau des Roches - La blessure - Hôpital de Soissons - Hôpital de Laval - La commission de convalescence

Ø  Juillet 1917 : Hôpital auxiliaire n° 19 de Laval - Les nobles - Visite de Berthe.

Ø  Août 1917 : Hôpital de Laval, puis d’Ernée.

Ø  Septembre 1917 : En convalescence dans la Manche - Bréhal - La récolte du varech – La Chapelle - Romagny.

Ø  Octobre 1917 : Fin de la convalescence – Lyon, fort Lamotte - Faire la police des trains de permissionnaires – Valréas (Vaucluse), le dépôt du 158e RI - Le classement des blessés pour retourner au front  - La permission agricole en famille.

Ø  Novembre 1917 : Permission agricole à Romagny  - Retour à Valréas au camp d’instruction du 158e RI.

Ø  Décembre 1917 : Valréas (Vaucluse), camp d’instruction du 158e RI - Permission de 23 jours à Romagny.

ü 1918

ü 1919

ü  1939/1940

 

 

 

 

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Janvier 1917 : Oppenans (Haute-Saône), camp de Villersexel – Liste nominatives de la 2e section – Réflexion sur la région de Haute-Saône - Les exercices – Les poux - La neige

Lundi 1er janvier, Oppenans (Haute-Saône) -Camp de Villersexel

Aujourd’hui, repos toute la journée, l’ordinaire est un peu amélioré, nous touchons une ration de jambon en plus, un cigare par homme avec une bouteille de vin mousseux pour 6.

 

Ce soir, nous faisons un petit gueuleton à la popote et comme certains d’entre nous (Pollet) avaient élaboré un petit programme de réjouissances, le commandant, le capitaine Tallotte avec M. les officiers de notre Cie et de la 1ère C.M. (*) se sont amenés au dessert : ils ont mangé nos gâteaux, bu notre vin, fumé nos cigares, se sont divertis et ils ont eu le culot de rien nous offrir.

Comme toujours, ce qui leur a fait le plus plaisir, ce sont les chansons et monologues grossiers.

J’ai oublié de dire que ce matin, notre capitaine avait réuni tous les sous-offs et nous avait payé 2 bouteilles de vin mousseux, cela ne lui avait pas empêché de donner 8 jours d’arrêts de rigueur au sergent Mourey, hier soir.

 

(*) : C.M. : Compagnie de Mitrailleuses.

 

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Camp de Villersexel, cliquer pour agrandir. Carte du JMO

 

Mardi 2 janvier-Camp de Villersexel

C’est aujourd’hui que commence l’exercice et je crois que pendant ce repos, nous allons « barder » dur.

Aussitôt sortis des tranchées, ces officiers reprennent leur ton hautain et dédaigneux, leur morgue arrogante, près d’eux le poilus n’est plus rien.

 

Cet après-midi, école de section pendant plus de 2 heures dans un terrain où l’on enfonçait jusqu’à la cheville : aussi c’était de la belle manœuvre !!

Pendant tout l’exercice, notre « piston » a barbé l’adjudant Moulinier, lui posant colle sur colle, tant qu’à moi, il m’a fichu la paix.

Le temps est toujours à la pluie et on ne peut sortir sans se faire mouiller.

 

Aujourd’hui, il part 5 permissionnaires à la Cie, mais il parait que les permissions vont être suspendues (il faudrait 3 mois ½ de présence pour pouvoir partir.)

 

CONTROLE DE LÀ 2ème SECTION

5ème ESCOUADE

Classes

Noms

Prénoms

Mul

Rgt (*)

Grades

Recrutement

Profession

Mul

Corps (**) 

Adresses de la famille

Observations

1915

Pernod

Henri &Rgt

1191

Caporal

Belley

Cultivateur

12915

Mr Pernod, 15 rue Neuve,

Tenay, Ain

Passé aviation, Juillet 17

1909

Lescafette Louis

1044

1ère cl

Vesoul

cultivateur

05952

Mr, Vve Lescafette à Marast par Viller­sexel, Hte Saône.

 

1912

Rativet

Jules

679

2ème cl

Rhône Sud

Cultivateur

13198

Mr Rativet, chemin des Lilas, St Rambert-l’île Barbe, Rhône.

Évacué 6.2.17 bronchite

1914

Coste

Elie&Rgt

1272

2ème cl

Privas

cultivateur

16565

Mr Coste Elie à la Cité St Laurent, 21, Vocher, Loire

Médaillé militaire

1916

Dumont

Henri

1887

2ème cl

Le Havre

Boulanger

13555

Mr, Vve Dumont, 28 rue amiral Courbet, Le Hâvre.

Évacué

le 4.2.17 gale

1916

Bonnetti

Ange

1844

2ème cl

Ajaccio

Cultivateur

13669

Me Camiffi Elisabeth à Scolca par Campitello, Corse.

 Blessé

23.10.17

1916

Raccaglia

François

195

2ème cl

Ajaccio

Cultivateur

13653

Mr Raccaglia jean Dominique, à Marignana, Corse.

 

1904

Salagnat

Jean

1091

2ème cl

Limoges

Boulanger

07376

Me Salagnat à Couzon-Au-Mont-d’Or, Rhône

 

1914

Bouzon

Jean

1350

2ème cl

Chambéry

Menuisier

16203

Mme Bouzon à Bonvillard, Savoie

 

1913

Martin

Jean Louis &R

1084

2ème cl

Chambéry

Cultivateur

14748

Mr Martin aux Échelles, Savoie.

 

1916

Dumont

Henri

1887

2ème cl

Le Havre

Boulanger

13555

Mr, Vve Dumont, 28 rue amiral Courbet, Le Havre.

Blessé

23.10.17

1914

Figeac

Bernardin

227

Sergt

Cahors

Cultivateur

10535

Mr Figeac Alphonse à Gindon par Cazals, Lot

 

 

(*) : Matricule au régiment

(**) : Matricule au corps

6ème ESCOUADE

Classes

Noms

Prénoms

Mul

Rgt

Grades

Recrutement

Profession

Mul

corps

Adresses de la famille

Observations

1908

Picard Alphonse&R

316

Caporal

Epinal

Tisserand

06967

Melle Picard, au Val d’Ajol, Vosges.

Passé

Instructeur

18.3.17

1915

Reynaud Joseph&R

327

2ème cl

Bourgoin

cultivateur

9406

Me Vve Etienne Reynaud, Aoste, Isère.

 

1908

Boutier

Eugène&Rt

1906

2ème cl

Tours

Employé

014191

Mr Vacher, 49 rue François Arago, Tours, (I et L)

 

1916

Escoffier

Marcel

355

Caporal

Avignon

Cocher

13548

Mr Escoffier Auguste, Cavaillon, Vaucluse

 

1916

Paris

Antoine

109

2ème cl

Clermt Ferrand

Métallurgiste

13666

Mr paris Fayet, rue Carnot à Thiers, Puy de Dôme

 

1916

Robert  Emile

1381

2ème cl

Le Puy

Cultivateur

13674

Mr  Robert Antoine, à la Besseat, Cme St Jeures (hte Loire)

Évacué 19.5.17

congt.

pulmonaire

1916

Ferrier  Marius

1548

2ème cl

Montpellier

Cultivateur

13673

Mr, Vve, Ferrier, Paichauroux par Clarette, Hérault.

Évacué 5.3.17

angine

1907

Graner  Ernest

2344

2ème cl

Epinal

Cultivateur

0366

Me Graner, à Barançon sous Plainfaing, Vosges.

 

1907

Canty

Jean

457

2ème cl

Tulle

Cordonnier

014424

Mr Canty, garde forestier à Espon Sour, Corrèze.

 

1903

Géhin

Léon

1011

2ème cl

Remiremont

Peintre

Plâtrier

014821

Mme Vve Gehin à Eloys, Vosges.

 

 

7ème ESCOUADE

Classes

Noms

Prénoms

Mul

Rgt

Grades

Recrutement

Profession

Mul

corps

Adresses de la famille

Observations

1911

Thuillier

François&Rt

463

Caporal

Bourgoin

Mécanicien

12710

 

Évacué 3.1.17 gale

1914

Bouchet

Clément

1729

Caporal

Privas

cultivateur

16410

Mme Vve Bouchet à Paillarès Cme de st Félicien, Ardèche.

 

1914

Mollet

Léon&Rgt

139

1ère  cl

Digne

Clicheur

10655

Mr Mollet, maire à St Michel, Basses Alpes.

Passé 21.4.17

téléphoniste C.H.R.

1912

Desmons Albert&Rgt

1500

1ère  cl

Rodez

cultivateur

5467

Mr Desmons à Rauchody par Ste Geneviève, (Aveyron).

Passé ordonnance 7ème Cie 3.3.17

1912

Chauveau

Adolphe

690

2ème cl

Angoulême

cultivateur

6266

Mr Chauveau Jean à Courcôme par Ruffec, Charente.

 

1916

Bertoux

Marcel

588

2ème cl

Vienne

Charcutier

11090

Mr Bertoux, 12 rue Auguste Cabrières, Paris XV

Passé C.H.R. 3.3.17

1916

Rouquette

Gaston

2186

2ème cl

Montpellier

Cultivateur

13636

Mr Rouquette Joseph à St Pierre des Cats, Aveyron.

 

1916

Baragnes Raymond

664

2ème cl

Mirande

Cultivateur

13629

Mr Baragnes à Montestue, Gers.

 

1916

Fave

Louis

935

2ème cl

Romans

Cultivateur

16505

Mr Fave François à Léoncel par Barbières, Drôme.

 

1915

Miquel

Jérôme

778

2ème cl

Perpignan

Cultivateur

15975

Mr Miquel Jean, cultivateur, Perpignan

 

1911

Moinet

Germain

537

1ère  cl

Cholet

Cuisinier

16202

Mr Joseph Chauson, 38 rue Bobillot, Paris

 

1916

Renard

Georges

530

2ème cl

Saintes

Cultivateur

16928

Mr Renard à la Sablière par St George ??

 

1916

Faure

Joseph

29

2ème cl

Bourgoin

Forgeron

13564

Mr Faure Henri à Hurtières-Fure, Isère.

 

1914

Cursoux

Jules

913

2ème cl

Le Puy

Cultivateur

 

Mr Cursoux Jean à Gardaillac Tence Isère

 

1912

Cave

Laurent

1703

2ème cl

marseille

Employé en Ci

12709

Mr Cave François, 61 rue du village, Marseille.

Passé section de discipline 29.4.17

1914

Luminel

Joseph

1557

2ème cl

St Etienne

Limeur

8101

Mr Vernet, 50 rue du Musée, St Etienne, Loire

Armée d’Orient juin 1917

1904

Boudon

Jean (*) 

 

Sergt

 

Employé BM

 

Me Boudon

Passé coopérative division 10.1.17

1900

Brès

Daniel&Rgt

761

Sergt

Avignon

Cultivateur

011161

Mme Brès à St Hippolyte Cume de Carpentras, Vaucluse.

Passé service automobile 2.4.17

 

(*) : BOUDON Jean Joseph, 34 ans, né à Retournac, Haute-Loire, sera tué à Branges, le 29 mai 1918.

.

8ème ESCOUADE

Classes

Noms

Prénoms

Mul

Rgt

Grades

Recrutement

Profession

Mul

corps

Adresses de la famille

Observations

1912

Marguet

Alfred&

790

Capl

Belfort

Cultivateur

 

Mr Marguet, 148 bvd des Vosges, Belfort

 

1900

Leyris

Henri

45

2ème cl

Pt St Esprit

Ms de bois

05907

Me Leyris, Bourg St Andéol, Ardèche

Passé Cie routière 17.4.17

1911

Charton

Marius

47

2ème cl

Grenoble

Cultivateur

 

Mr Charton à Miribel les échelles, Isère

Évacué 8.1.17 (tire au flanc)

1907

Paravy

Pierre

693

1ère  cl

Chambéry

Jardinier

06779

Me Paravy, La Motte Servolex par Chambéry, Savoie

 

1911

Pascual

Antoine

772

2ème cl

Alger

Maçon

16572

Mr Fernand Pascual, 34 rue Bab el oued, Alger

Évacué 10.1.17 (mal aux yeux)

1916

Rescoussié

Paul

975

2ème cl

Montauban

Cultivateur

13686

Mr Rescoussié Paul, Veylats Lalbengue, Lot

 

1916

Chabanon

Marie

474

2ème cl

Mende

Cultivateur

13560

Mr Chabanon Antoine, Monteils par Monstier, Lozère.

 

1916

Vayre

Auguste

402

2ème cl

Perpignan

Limonadier

13660

Mme Vayre, café au …

de St Paul (P-O)

Évacué 7.2.17 entorse

1902

Abonnel

Jean

1175

2ème cl

Rhône central

Journalier

07965

Mme Abonnel, 13 rue Casimir Périer, Lyon, Rhône

Blessé juillet 17

1916

Colletier

Edmond

4067

2ème cl

Seine

Couvreur

16730

 

 

1916

Coudray

André

422

2ème cl

Rhône Sud

Cultivateur

13637

Mr Coudray à Menesqueville, Eure.

 

1905

De Rivoire de la Bâtie

 

2ème cl

Bourgoin

Employé PLM

010964

Lnt de Rivoire de la Bâtie, 11ème Régt d’Infrie, Mamers

Passé C.H.R. juillet 17

1904

Weiler

Emmanuel

198

2ème cl

Paris

Voyeur de Com

016395

Mme Weiler, 88 rue du Faubourg St Martin, Paris.

 

1905

Fournier

Joseph

929

2ème cl

Vienne

Cultivateur

05049

Mme Fournier à Oytier St Oblas, Isère.

 

1912

Lalbat

Mathieu

2ème cl

Bergerac

Cultivateur

6299

Mr Lalbat Pierre à Borrèze par Salignac, Dordogne.

 

1915

Buissières

Fernand

1214

Sergt

Grenoble

Comptable

7376

Mme Vve Buissières, 17 place Grenette, Grenoble.

 

 

 

Mercredi 3 janvier-Camp de Villersexel, exercices

Cette nuit il est tombé un peu de neige mais elle ne tient pas, et la pluie remplace bientôt la neige.

 

Exercice habituel, notre colon a fait paraître une longue tartine à la décision sur la culture physique. Il est partisan des courses, après foot-ball association et rugby.

Aussi le capitaine a fait installer une coure lisse dans le cantonnement de la 3eme section et nous l'étrennons ce matin.

 

Cet après-midi, nous allons sur le terrain d'exercice prendre les formations théoriques d'attaque de la section de la cie. C'est encore une belle idiotie, mais enfin il faut bien trouver quelque chose pour nous occuper.

Jeudi 4 janvier-Camp de Villersexel, exercices physiques, marche du bataillon

Ce matin, exercices physiques, le lieutenant Moris nous fait traverser champs, bois prairies, sauter les haies les ruisseaux au pas de gymnastique si bien que nous avons tous les pieds mouillés.

 

Ce midi, arrive un renfort de la divisionnaire 4 types arrivent à la 1er cie : Favre, Bretagnolles, Campet et Gineste, je vais immédiatement trouver le capitaine et fait revenir Favre à ma section (c'est une très bonne recrue pour moi), Bretagnolles et gineste sont affectés à la 3eme et Campet à la 4eme.

 

Par favre, j'ai des nouvelles de Vernois qui est venu en renfort avec lui mais ne s'étant pas démerdé il a été affecté au 2eme bataillon (6eme cie) et de Chatanion qui n'avait pas donné de ses nouvelles depuis son évacuation il est rentré à la cie divisionnaire voilà 2 jours sa blessure n'étant pas si grave que nous le supposions.

 

Cet après-midi, il y a marche du bataillon (12 km en 3 heures) le renfort d'aujourd'hui doit marcher (on ne leur laisse vraiment pas de repos).

Cette marche est destinée à voir combien de temps un bataillon met à défiler, aussi pendant toute la marche il faut maintenir les intervalles réglementaires ; nous passons par ?, gare de ? Etc.....

 

Nous sommes rentrés à 16h.

Je voudrais qu'il y ait marche tous les jours car rien ne m'ennuie plus que l'exercice !!

Vendredi 5 janvier-Camp de Villersexel, revue

Figeau et Betemps partent en permission (*) 

 

Ce matin, exercices physiques habituels puis théorie sur les marques extérieures de respect.

 

Cet après-midi, revue par le capitaine (capotes, casques, munitions cartouchières, bretelles de suspension, havresac, etc...)

 

À 15h, les hommes passent leur temps à en faire le nettoyage et après la revue, travaux de couture.

À partir de ce matin, les laveries ont été supprimées dans chaque section, ainsi donc maintenant nous ne devons pas salir de linge puisque le blanchissage est supprimé. !!

Encore une belle connerie de notre capitaine.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Samedi 6 janvier-Camp de Villersexel-Réflexion sur la région de Haute-Saône

Ce matin, j'apprends que Piétri qui s'était de nouveau éclipsé à Harbonnières a été repris par les gendarmes et ramené ici, mais étant en prévention de conseil de guerre, il passera son temps à la prison et j'espère bien en être débarrassé à tout jamais.

Ce matin course habituelle à travers les champs et cet après-midi école de section.

Le temps continue d'être toujours à la pluie, le soir il tombe de la neige et le jour c'est de la flotte.

 

Quelques mots sur cette région de Haute-Saône :

Par ici les habitants sont en général assez aisés, les habitations beaucoup plus confortables que dans le nord. Le terrain est très accidenté.

Bien que les collines ne soient pas trop élevées, le long des flancs de ces collines la terre arable est peu épaisse, à peine une dizaine de centimètres et l'on trouve la pierre qui a servie à couvrir les plus anciennes maisons.

Au point de vue mœurs, par ici la population est moins dépravée que dans le nord. Cela tient peut être à ce qu'il y a eu moins de soldats !!....

Dimanche 7 janvier-Camp de Villersexel

Aujourd'hui dimanche, il y a repos toute la journée.

Ce matin, il y a messe en musique (8h) dans le cantonnement de la 3eme section et cet après-midi, à 14h, il y a guignol dans le même cantonnement qui a été choisi pour toute la journée. !!!

Pour moi je passe tranquillement ma journée à écrire.

Lundi 8 janvier-Camp de Villersexel-Cross-country

À la visite de ce matin, Charton à été évacué.

Ce phénomène le plus « tir-au-cul » à la Cie avait été puni de 4 jours de prison par le capitaine pour s'être obstiné à porter le béret au lieu du calot réglementaire, il s'était fait aussitôt porté malade au lit et maintenant à force de simagrée, le voilà évacué.

Quoique je ne le regrette pas car il n'y avait pas plus mauvais soldat aux tranchées, il est tout de même malheureux de constater pareils faits !!!

Voilà un poilu qui n'est presque jamais monté aux tranchées et qui va ainsi se sauver de la guerre alors que les types consciencieux se font tuer à sa place.

Ah ! Après la guerre il y aura une belle société en France !!

 

Ce matin, « cross-country » habituel, le lieutenant Mons veut encore sauté la rivière, mais à cet endroit elle est un peu trop large pour lui si bien qu'il saute dans le milieu et en a jusqu'au cul.

Une fois sur l'autre rive, il voulait que le Cie le suive.

Après maintes réflexions, notre adjudant MIOLI va l'exciter et Mons saute en plein dans la flotte (il en a jusqu'au ventre).

Les 2 expériences sont concluantes le reste de la Cie cherche un endroit plus propice que nous trouvons non sans difficultés.

Un vieux saule nous permet cependant de gagner l'autre berge sans prendre un bain.

 

Cet après-midi, il tombe de l'eau à verse. Il y a théorie dans le cantonnement sur l'appréciation des distances et nous ne sortons que pour l'étalonnage au pas.

Mardi 9 janvier-Camp de Villersexel-Cross-country

Ce matin, exercice ou plutôt « cross-country » habituel.

 

Cet après-midi, il y a service en compagnie. (Cie avant garde d'un Btn) Comme de juste, c'est la 2eme section qui est désigné pour faire la tête de la pointe de l'avant garde.

Ce qui me plait, c'est que le lieutenant Mons qui commandait le gros de l'A.G. s'est fait engueuler par le commandant.

Au cours de l'exercice, nous avons rencontré Couvrat, Créteur et 2 autres soldats du 158eme qui étaient ramenés par les gendarmes.

J'espère bien que Couvrat qui était déserteur va passer en conseil de guerre et ne reviendra plus à la section.

Mercredi 10 janvier-Camp de Villersexel-La vaccination

Hier soir, nous avons appris que le sergent Boudoz a été désigné pour aller comme préposé aux achats à la coopérative divisionnaire, il doit nous quitter demain matin pour se rendre à Vesoul.

Voilà un type qui a attrapé le bon filon, s'il ne fait pas de gaffe et je le crois assez intelligent pour ne pas en faire.

Le voilà garé de la guerre comme les types de l'arrière, et pourra dire : nous les autres, tenions jusqu'au bout.

Il nous quitte ce matin à 7h pour prendre le train à la visite de ce matin.

Pascuale est évacué pour sa maladie d'yeux.

 

Ce midi, Furit et Picard, qui avaient passé le conseil de réforme voilà trois semaines, quittent la compagnie. Furit passe au dépôt de 107eme d'artillerie lourde et picard rejoint, comme auxiliaire, le dépôt de Lyon.

L'effectif de la section diminue rapidement.

De 38 le voilà ramenée à 31.

Le sous-lieutenant Chapron qui était resté au lit depuis le 01 janvier soir, commence à aller mieux et il reprend son service ce matin mais il est loin d'être costaud et je doute qu'il fasse un long séjour à la Cie.

 

Cet après-midi, il y a vaccination anti-typhoïdique et je suis au nombre des vaccinés aussi ce soir ça ne va pas très bien et je me couche de bonne heure.

Jeudi 11 janvier-Camp de Villersexel

Chabanon, Vayre & Abormel viennent à ma section. (*)

 

Bien qu’étant vacciné, je ne suis pas trop malade ; la nuit a été assez bonne et aujourd’hui je bénéficie de la mesure générale qui exempte de service les vaccinés le jour suivant la vaccination.

Pour une fois j’ai assez de veine, car cet après-midi il y a manœuvre de la division (le Bon va être avant-garde du régiment).

Pendant que les poilus se promènent par monts & par vaux, je reste tranquillement à me chauffer au coin d’un bon feu avec les sergents Alphand & Simon vaccinés comme moi.

 

La Cie rentre assez tard (18h) et les types ont bon appétit.

À la décision d’aujourd’hui le lieutenant Mons est désigné pour aller suivre les cours de commandant de Cie ; nous allons ainsi en être débarrassés pendant une vingtaine de jours, mais si jamais ce phénomène arrive à être Ct de Cie, je plains sincèrement les malheureux qui seront sous ses ordres.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Vendredi 12 janvier-Camp de Villersexel-Les poux

Cette nuit, il est tombé pas mal de neige et le temps en est encore plein ; toute la journée elle n’a cessé de tomber, mais le temps étant assez doux, elle fond presque au fur & à mesure.

 

Ce matin, il y a nettoyage des armes & des effets et cet après-midi exercice d’attaque de tranchées avec une Cie à l’effectif complet (165), c’est la 1e Cie qui est chargée de faire l’attaque (son effectif étant complété par les 2 & 3e Cies).

L’exercice ayant assez bien réussi, le commandant Gousseault ne nous fait pas recommencer.

 

Ce soir, j’ai un poilu, Robert, qui part en permission exceptionnelle de 3 jours (il a reçu un télégramme lui annonçant que sa sœur était gravement malade).

Depuis que nous sommes descendus au repos, je suis rongé par les poux ; tous les jours j’en tue plus d’une cinquantaine & le lendemain matin, j’en ai autant : je ne sais vraiment d’où ils viennent mais j’en suis bien embêté, et ce ne sont pas des petits, il y en a 25 « pépères » énormes ; il va falloir que je demande à ma Berthe quelque pommade qui m’aide à m’en débarrasser.

Samedi 13 janvier-Camp de Villersexel-La neige

La neige n’a cessé de tomber toute la nuit et ce matin il y en a bien une quinzaine de cm ; par suite la corvée de tranchées prévue n’a pas lieu & ce matin l’exercice se borne à un peu de pas gymnastique sur la route suivi d’une théorie sur le tir.

 

Cet après-midi, il y a tir à la cible bien que la neige tombe à gros flocons, aussi les résultats sont bien médiocres.

À la décision d’aujourd’hui, nous apprenons que notre adjudant Moulinier part avec le caporal Le Maignan de Kérangat (un breton) partent demain midi pour Belfort où il suivra les cours d’élève chefs de section ; d’après les on-dit ces cours doivent durer 3 mois ; décidemment ce petit gomineux est « verni » la chance continue à lui sourire.

Dimanche 14 janvier-Camp de Villersexel, bataille de boules de neige

Aujourd’hui, repos toute la journée ; comme dimanche dernier le caporal Marquet s’est débiné à Belfort où il habite avec Escoffier ; ce caporal n’est pas le type bileux ; il se « fout » complètement de tout.

 

Aujourd’hui, le temps est assez doux aussi la neige commence à fondre ; comme elle se pelotonne facilement les batailles à coup de boules de neige font rage entre les poilus, à un moment donné tous les poilus s’entendent pour se mettre contre les gradés et nous sommes bientôt submergés par le nombre.

 

Ce soir, un renfort venant de la Cie divisionnaire (7 poilus) arrive à la Cie, 3 d’entre eux sont affectés à la 2e section ; ce sont :

Chabanon : anciennement à la 2e, blessé en même temps que Michel & Machat ;

Abonnel : également ancien de ma section, qui était passé au dépôt divisionnaire en juillet 1916, après le coup de main de Champagne

Vayre qui précédemment était à la 3e section.

 

Chabanon & Vayre sont des jeunes de la classe 1916. (*)

 

Demain matin, Boutier part en permission, si nous restons encore un mois au repos, j’espère aller d’ici trois semaines embrasser ma petite Berthe adorée & ma mignonne petite Fernande.

 

(*) : Environ 20 ans en 1916.

Lundi 15 janvier-Camp de Villersexel

Boutier part en permission (*)

 

Maintenant c’est moi qui dois faire fonction d’adjudant de Cie à la place de Moulinier.

 

Ce matin, la Cie doit fournir une corvée de 30 hommes, 2 capx et un sergent pour aller travailler aux tranchées, le reste de la Cie a gymnastique, courses, sauts etc….

J’ai un nouveau poilu affecté à la section Miquel (**) ancien de la 3e Sn. J’hérite là d’un sale phénomène, aussi nul aux tranchées qu’au repos.

 

Cet après-midi, il y a école de section de Cie, puis appréciation des distances à l’aide du télémètre de la Cie de mitrailleurs.

 

Ce soir, il nous faut faire l’état de tous les hommes & gradés de chaque section qui étaient présents à l’attaque du 4 septembre 1916. Cet état est fait pour distribuer à chacun de ces combattants un extrait de la citation du régiment : citation obtenue à la suite de cette attaque.

Grâce à mon carnet de route cet état est vite fait avec tous les renseignements voulus.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : MIQUEL Jérôme, 22 ans, cultivateur à Perpignan, passera en conseil de guerre en 1918 pour avoir refusé de se faire vacciner et attrapera 5 ans de travaux publics (voir le carnet 1918)

Mardi 16 janvier-Camp de Villersexel-Creusement de tranchées inutiles

Ce matin 3 nouveaux permissionnaires partent à la Cie.

Ah ! vivement mon tour ; j’ai hâte d’aller embrasser mes chéries !!...

 

Ce matin, il y a courses, sauts, pas gymnastiques, exercice à la corde de traction, puis à la corde lisse, nous devons faire ensuite de 9h à 9h ½ une théorie sur la sûreté en station (avants postes) ce qui me donne l’occasion d’en boucher un coin au capitaine.

 

Cet après-midi, toute la Cie, sous la direction du s/s lieutenant Tricot, creuse des tranchées entre Oppenans & Aillevans ; bien que le lieutenant Tricot soit présent, c’est moi qui dois m’appuyer tout le boulot. Ces tranchées sont destinées à des exercices d’attaque ultérieurs.

  Il est tout de même regrettable de constater que ces tranchées sont creusées dans un des seuls coins cultivables de la commune où il y a du blé de semé !

Allez braves cultivateurs labourez les champs pour les voir piétiner, creuser ensuite !!!... Si cela avait encore quelque but stratégique !

Mais non, ces tranchées ne serviront qu’à l’exercice !!..

C’est honteux…

Mercredi 17 janvier-Camp de Villersexel

J’ai reçu hier soir une lettre du camarade Bouchon qui s’estime bien heureux à Villersexel, à la tête de cette coopérative divisionnaire ; le veinard !!..

 

Ce matin, courses & sauts puis théorie. La terre est toujours couverte de neige qui menace de tenir assez longtemps.

 

Ce midi, un maréchal des logis du 29e Dragons arrive à la Cie, ce type qui vient de suivre le cours de chef de section, a été envoyé passer un mois dans un régiment d’infanterie pour se perfectionner, avant d’être nommé s/s lieutenant : voilà une chose qu’on aurait dû faire il y a longtemps !!

Notre nouveau camarade s’appelle Bernard de Lille, il vient des pays envahis (son père est un usinier de Lille)

Pauvre type !

Il va trouver un rude changement dans l’infanterie par rapport à la cavalerie : lui qui avait deux ordonnances, va être obligé de se contenter d’un modeste tampon ; coucher sur la paille, avoir des « poux » va lui paraître également bien dur !!!...

Il faut avoir vraiment la folie des grandeurs pour demander à devenir s/s lieutenant dans l’infie.

Ah ! Si tous ces jeunes amoureux des galons connaissaient le métier du fantassin, je suis certain qu’ils resteraient « pénards » avec leurs cavaliers.

Le capitaine l’affecte à la 2e section, il va me remplacer comme chef de section pendant que Moulinier est absent et que je dois faire fonction d’adjudant.

 

 

Description : Description : Description : Description : Description : Bernard de Lille.JPGDescription : Description : Description : Description : Description : Bernard de Lille2.JPG

Sous-lieutenant Bernard (de Lille), ancien maréchal des logis du 29e Dragons.

La photo, retrouvée dans le carnet, est floue

 

 

Ce soir, il y a théâtre à Gouhenans (9 km d’ici) pour la division ; les types qui désirent y aller mangent la soupe à 15h et partent à 15h30.

Il faut bien aimer le théâtre pour faire 18km par un temps pareil (il gèle assez fort) ; malgré cela il y a plus de 35 amateurs à la Cie.

  Le reste de la Cie va travailler aux tranchées jusqu’à 16 heures sous la direction du sergent Marchand ; aussi je suis tranquille cet après-midi & j’en profite pour écrire un peu.

 

L’écriture du carnet est en diagonale sur les pages du 18 au 20 janvier.

Voir >>> ici <<< les 18 et 19 janvier

Jeudi 18 janvier-Camp de Villersexel

Le temps continu d’être exécrable, il tombe encore de la neige et le froid est toujours aussi vif.

 

Ce matin exercice habituel, courses & jeux le long de la route conduisant à Montjustin ; comme la neige continue à tomber cet après-midi, l’exercice se borne à environ une heure d’école de section & de Cie au terrain d’exercice habituel.

L’hiver décidemment veut se faire sentir cette année et je ne me rappelle pas d’avoir vu d’aussi grand froid.

Vendredi 19 janvier-Manœuvres de division

Aujourd’hui nous avons de nouveau manœuvre de division, le bataillon doit attaquer le Mt Guédy, le plus embêtant c’est qu’il fait excessivement froid, et qu’après les manœuvres nous restons encore plus d’une heure à geler en attendant la fin de la critique.

Ces manœuvres ne me disent pas grand-chose, peut-être servent-elles aux officiers supérieurs !!!

Mais pour nous & les simples soldats elles ne riment à rien et ne sont d’aucune utilité.

Samedi 20 janvier-Revue d’effets & d’armes

Je suis vacciné pour la 2e fois (*)

 

Ce matin, le sergent de jour vient m’avertir que je dois être vacciné pour la 2e fois ce matin & à 9h ½, je reçoit 2 cm3 de vaccin dans l’épaule droite ainsi qu’Alphant.

Ah ! Ils la connaissent sont joliment vache !

Nous sommes vaccinés aujourd’hui tout simplement parce que demain dimanche il y a repos & que ce jour nous comptera comme exempté de service.

 

Cet après-midi il y a très peu de choses pour la Cie, revue d’effets & d’armes. Pour ma part je reste tranquillement toute la soirée auprès du feu en compagnie d’Alphant.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 21 janvier-Camp de Villersexel, soupçons de départ

  Malgré mon vaccin, j’ai passé une bien bonne nuit : ces sacs à couchage sont vraiment épatants & je ferai mon possible pour garder le mien (il est vraiment stupide d’être obligé de les laisser en consigne aux troupes qui nous remplaceront) et j’ai bien peur que cela ne tarde pas beaucoup !!!

 

  Il y a comme tous les dimanches repos toute la journée, malgré les bruits qui circulaient hier soir et selon lesquels nous devions aller travailler aux tranchées.

  Mon travail consiste tout simplement à me chauffer toute la journée en compagnie du sergent Alphant, vacciné comme moi ; les autres sous-off vont se promener à Borey où il y a théâtre organisé par la C.H.R.

 

Dans la soirée le sergent Mouroy, qui est en ce moment au stage des grenadiers, vient nous rendre visite.

Il est à Vy-les-Lures.

 

À la soupe, nous avons maints tuyaux : il paraîtrait que la 43e division serait déplacée et serait allée du côté de Delle (sud de Belfort) creuser des tranchées.

Nous étions en train de manger tranquillement, lorsque le commandant fait appeler le sergent Pernuchot qui, en rentrant nous annonce avec son air mystérieux que le Bon est en alerte et doit se tenir prêt à partir au premier ordre, dans le délai de trois heures.

Décidemment, notre séjour ici s’abrège et je dois renoncer à l’espoir que j’avais d’aller en permission étant au repos. Il me faudra remonter aux tranchées, voir MM. les Boches avant de retourner à Romagny voir mes chéries.  

 

Depuis le départ de notre adjudant Moulinier, je sais que l’attitude de notre capitaine vis-à-vis de moi a un peu changé ; il est devenu beaucoup plus chic !

Quelle en est la raison ! Je l’ignore !!....

Est-ce que ce sont les mauvais conseils de Mons & de Moulinier qui lui font défaut !

Ou bien est-ce notre prochain retour aux tranchées !!.....

Lundi 22 janvier-Camp de Villersexel

La nuit s’est passée sans incident et ce matin 3 nouveaux permissionnaires ont la chance de partir chez eux, ce sont les caporaux Bouillard, Jolivet & le soldat Teillon.

Ah ! Si nous avions la veine de passer encore la semaine ici, mon tour serait bien proche si je n’étais déjà parti !!

Mais hélas d’après les bruits qui circulent nous allons quitter Oppenans d’ici quelques jours ou même quelques heures pour monter probablement en ligne en Alsace et il me faudra aller voir de nouveau MM. les Boches avant de revoir mes chéries.

 

Le midi, nous avons l’explication de l’alarme d’hier soir, le commandant avait reçu l’avis de se tenir prêt à partir dans le délai de 3 heures & cet ordre subsiste toujours aussi nous sommes continuellement sur le qui-vive comme l’oiseau sur la branche.

Le temps reste toujours à la gelée, aussi la neige ne fond pas vite : ce matin, il y a gymnastique, courses, sauts, corde-lisse, puis théorie sur le service dans la tranchée : veilleurs, patrouilles etc….

Le Ct avec notre capitaine sont partis à un exercice de cadres.

 

Cet après-midi, nous allons poser des défenses accessoires : réseaux bruns, fils de fer barbelés en avant du système de tranchées destiné à servir pour l’exercice des troupes qui viendront nous remplacer.

 

Ce soir, nouvelle alerte : nous sommes de plus en plus sur le qui-vive ; la nuit ne se passera peut-être même pas sans incident…il faudra compléter demain matin à la première heure, les vivres de réserve, il faudra également remplacer les masques détériorés.

Bref, il faut de plus en plus s’attendre à quitter précipitamment Oppenans nous ne savons pour quelle destination : certains parlent de la frontière suisse du côté de Delle, d’autres du front d’Alsace reconquise vers Dannemarie.

Enfin il ne faut pas s’en faire. Ce que je demande c’est d’aller en permission avant de remonter aux tranchées, car comme dit Perruchot : je crois que ce ne sera pas la pause !!...

Mardi 23 janvier-Camp de Villersexel

La nuit s’est une fois de plus passée sans incident mais les « canards » circulent de plus en plus. Toujours d’après les « on-dit », nous quitterons Oppenans demain.

 

Cette nuit, il a gelé encore plus fort que de coutume et ce matin le froid est plus vif qu’il n’a jamais été, le vent du Nord soufflant assez fort.

Comme il doit y avoir exercice de cadres cet après-midi, exercice qui va commencer à onze heures ; il n’y a presque rien ce matin.

 

Au rapport, qui a lieu à 9h, il y a revue des masques contre les gaz : tout cela sent la fuite à plein nez.

À l’exercice de cadres assistent les sergents : Pollet, Légé, Marchand & notre maréchal des logis Bernard ; le sergent Lacote va à Villersexel conduire à la prévôté de la division les soldats Créteur & Couvrat, si bien que je reste seul à Oppenans avec les sergents Alphant & Simon

 

À 13h30, il y a revue de la Cie en tenue de départ, puis à 14h30 nous partons par peloton pour Borey prendre des douches.

Je pars avec le 1er peloton en compagnie de Gerini qui va à Borey chercher les fusils qui sont à l’armurerie ; nous y attendons le sergent Alphant qui, lui, vient avec le 2e peloton, & nous faisons ensemble une petite bombe.

Les 2 pelotons sont ramenés à Oppenans, le 1er par le caporal Landré, le 2e par le caporal Lamand.

Par une malchance inouïe le commandant Gousseault vient à Borey & rencontre la Cie plutôt en désordre ; je crois bien même qu’il nous a rencontré Alphant, Perrin & moi, mais comme il faisait déjà sombre, nous n’en sommes pas sûrs ; toujours est-il qu’à peine rentrés à Oppenans, le commandant Gousseault me fait appeler avec le sergent Alphant & après quelques explications nous renvoie avec 8 jours d’arrêts chacun.

  Cette fois-ci, nous n’avons rien à dire, car nous sommes fautifs…

Mercredi 24 janvier-Camp de Villersexel, manœuvre

REYNAUD part en permission. (*)

 

Ce matin, REYNAUD de ma section part en permission.

Ah ! vivement que ce soit mon tour.

 

De huit heures à 9h, il y a théorie par section sur la manœuvre de cet après-midi, puis le s/s lieutenant TRICOT rassemble les chefs de section au bureau et nous donne quelques tuyaux sur l’ensemble de cette manœuvre.

Alors que nous sommes au bureau, l’agent de liaison au commandant vient apporter notre punition au bureau : nous avons chacun 4 jours d’arrêts simples avec le motif suivant :

« Chargé de conduire sa Cie aux douches, s’est acquitté de sa mission avec négligence. »

Somme toute le motif n’est pas trop salé, et je n’espérais pas m’en tirer à si bon compte !!...

 

Rassemblement pour la manœuvre à 11h25 et départ à 11h30.

Cette manœuvre à laquelle prend part toute la division, consiste à attaquer les villages d’Oricourt puis celui d’Oppenans, avec le Mont Quidey.

L’ennemi est figuré par tout le dépôt divisionnaire qui est venu de Vy-lès-Lure (à près de 12km).

N’étant pas chef de section, je n’ai à peu près rien à faire, mon rôle consiste à regarder la manœuvre en spectateur ; ce qui ma foi n’est pas trop pénible, si ce n’était le froid qui devient de plus en plus vif : le vent du Nord qui ne cesse de souffler nous cingle la figure et les mains et plus particulièrement les oreilles qui en voient de dures.

 

Après la manœuvre qui, entre autre a été une véritable pagaille, nous devons rester près de ¾ d’heure à geler en attendant que MM. les officiers aient fini leur critique.

Rentrée à Oppenans, en passant par Velotte à 16h ½.

Le froid aujourd’hui a été glacial et, chose que je n’avais encore jamais vue, le pain que nous touchons est complètement gelé (**) ; le vin est à peine mis dans les bidons, qu’il est gelé ; je plains les malheureux qui sont en ce moment aux tranchées. (***) 

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Souligné dans le carnet.

(***) : Les derniers jours de janvier et la première quinzaine de février 1917 furent très froids, les minima du début de février s'abaissant à - 5° à Narbonne, - 11° à Nantes, - 15° à Paris, - 16° à Besançon, - 20° à Grenoble.

Du 27 janvier au 20 février, la Seine et la Marne charrièrent des glaces.

Jeudi 25 janvier

FAVE et ESCOFFIER partent en permission. COLLETIER rentre. FIGEAC rentre. (*)

 

Ce matin, cinq nouveaux permissionnaires, dont FAVE et ESCOFFIER de ma section quittent la Cie ; mon tour approche à grand pas, je dois être maintenant le 9ème sur la liste ; ce sera probablement pour le début de la semaine prochaine s’il n’arrive rien d’extraordinaire d’ici là.

J’ai un nouveau type à ma section : COLLETIER qui rentre de permission.

La matinée se passe sans trop de peine : théorie morale de 9h à 9h ½ par les chefs de section, puis change d’effets.

 

Cet après-midi, gymnastique, courses, sauts à proximité des cantonnements : ces 4 derniers mots me laissent septique, et je crois bien que notre départ s’approche également à grand pas.

Notre adjudant de bataillon : le sergent BONAMOUR va partir en permission incessamment et hier soir j’étais passablement embêté lorsqu’il m’a annoncé que j’allais être obligé de le remplacer, mais j’ai fait valoir aussitôt 2 cas, 1° je vais partir d’ici peu en permission, 2° n’ayant pas fait de service actif, je n’y connais rien, si bien que c’est le maréchal des logis DUPONT de la Cie de mitrailleuses qui est désigné.

 

Notre capitaine COSTE qui fait en ce moment fonctions de commandant, me fait appeler ce midi au sujet des 4 jours d’arrêts d’avant-hier : je crois que c’est grâce à lui que je n’ai pas attrapé une plus forte punition ; il me remet également une demi-douzaine de photo qu’il avait prises à Sauqueuse sur laquelle se trouvent les décorés après la 1ère période de la Somme : JOLIVET, COndroyer, MOnEY, GRISON, moi, DESMONS, GUILLEMEAU, ROUSSAUD et ROSAIN.

 

 

Description : 1.jpg

 

La photo nous est parvenue 100 ans après.

Heureusement car c’est la seule photo où l’on distingue le visage de Ferdinand.

Cliquer dessus pour agrandir.

 

Cet après-midi, c’est le lieutenant TRICOT qui dirige l’exercice : le capitaine est allé faire une promenade à cheval.

Nous sommes rentrés de l’exercice à 14h20’ ; comme il n’y a plus rien à faire, je vais en compagnie de LEGE et de LACOTE chercher du bois sec pour faire une bonne flambée……

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Vendredi 26 janvier

Le froid continue à sévir, il est certain qu’il fait au moins 12 ou 13 au-dessous de zéro.

Hier soir, le sergent FIGEAC est rentré de permission, nous apportant un bon litre de « gnolle » qui nous a fait plaisir.

 

Ce matin, l’exercice consiste simplement en gymnastique, courses et sauts, corde lisse, puis théorie sur les éclaireurs, et la marche des patrouilles.

 

Cet après-midi, nous allons faire l’exercice sur le terrain, sous la direction du capitaine, cet exercice ne dure pas très longtemps : à peu près deux heures ; il ne fait pas bon non plus rester dehors : le froid devenant de plus en plus vif.

Ah ! Il faut nous estimer heureux de passer cette période de froid au repos, car je plains les malheureux qui sont aux tranchées en ce moment.

Samedi 27 janvier

Aujourd’hui, nous avons encore manœuvre de division ; nous partons d’Oppenans à 10 heures : la manœuvre consiste à prendre Oppenans et à continuer.

Comme je n’ai pas de section à commander, je reste tranquillement pendant toute la manœuvre à la gauche de la 4ème section avec PERRIN. Il fait un froid terrible et pendant une heure que nous restons en tirailleurs dans un champ, au coup du vent nous n’attrapons pas chaud.

Après la manœuvre, il nous faut encore attendre pendant près d’une heure la fin de la critique.

Au cours de la manœuvre, j’ai rencontré mon vieux copain LAVIGNE avec ses canons de 37.

Dimanche 28 janvier

Ce matin, ALPHANT, MOUREY et 2 poilus partent en permission.

J’étais tranquillement resté couché, puisqu’il y a repos aujourd’hui, lorsque CHABERT vient me trouver pour aller faire signer mon titre de permission au major, avec le caporal GUILLAUD et CHABANON de ma section ; s’il n’arrive rien d’extraordinaire j’espère partir pour Romagny après-demain matin et je compte bien embrasser mes chéries le 1er février.

 

Comme il fait toujours très froid, je passe une grande partie de ma journée auprès du feu à écrire.

Le tailleur de la Cie m’a arrangé un pantalon et confectionné un calot.

Lundi 29 janvier

Manœuvre de Corps d’Armée. (*)

 

Aujourd’hui, il y a manœuvre de corps d’armée sous la direction du colonel GUY.

Rassemblement à 7h ¼ et nous allons à 5km d’Oppenans manger la soupe au coin d’un bois.

La manœuvre commence à 10h ¼ ; c’est toujours de la guerre en rase campagne, exploitation des succès obtenus lors des manœuvres précédentes ; nous passons par Arpenans et à 16h ¼ la manœuvre n’était pas encore terminée ; nous rentrons par Montjustin.

Pendant la manœuvre, mon rôle a consisté à être agent de liaison auprès du capitaine BERNAUD ayant le commandement de la 2ème section.

J’espère bien partir en permission demain matin, à moins que le colonel n’ait pas eu le temps de signer nos permissions aujourd’hui.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mardi 30 janvier

Repos. (*)

 

Comme suite à la manœuvre d’hier, il y a repos aujourd’hui.

J’étais tranquillement resté couché lorsque CHABERT vient m’appeler, mais c’est une fausse alerte et je ne pars pas encore en perm’ ce matin : le colonel n’ayant pas signé les permissions hier.

 

Cet après-midi, nos « perms » reviennent signées, aussi s’il n’arrive rien d’extraordinaire nous partons demain matin.

Ah ! vivement que nous partions, car les permissions pourraient bien être suspendues d’un moment à l’autre.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mercredi 31 janvier-La permission

Enfin, c’est ce matin que nous partons, GUILLAUD, CHABANON et moi. Je suis réveillé bien avant l’heure et à 3h ½ nous sommes prêts à quitter Oppenans.

Le temps est de plus en plus froid, et ce matin, la neige se remet à tomber.

 

Nous arrivons à Villersexel une heure avant le départ du train et avons le temps de prendre un café avant de nous embarquer. Le train qui nous emporte est un train de voyageurs aussi j’espère bien qu’il va marcher à peu près régulièrement.

À Montbozon, il faut changer de train ; mais nous ne perdons pas au change, car celui que nous prenons est chauffé, alors que celui que nous venons de quitter ne l’était pas.

 

À 10h ½, nous sommes à Besançon où nous avons juste le temps de changer de train pour prendre la direction de Dijon.

Là, alors que GUILLAUD et CHABANON prennent la direction de Lyon, je me dirige sur Paris et à 18h ¼ je suis rue Rochechouart où j’espérais voir Mme CALME ; pour comble de malchance, je trouve porte close, la concierge me dit que Mme CALME vient de sortir, il ne me reste plus qu’à gagner la gare des Invalides pour le train à destination de Granville.

À la gare, j’achète quelques petits bouquins que je me propose de lire en route et vais aussitôt prendre place dans le train. J’étais assis tranquillement, dans un coin, lorsque je m’entends interpeller tout à coup, et j’aperçois Mme CALME devant moi.

En rentrant chez elle, sa concierge lui avait dit que j’étais venu, alors elle était venue immédiatement à la gare et avait eu la chance de m’y trouver. Nous parlons un bon quart d’heure ensemble et je lui promets de repasser par Paris.

Malgré ma volonté, mes yeux se ferment, et c’est en dormant que je vais jusqu’à Vire.

 

 

Février 1917 : La permission – Les embusqués - St Ulrich (Haut-Rhin) - Réflexions sur l’Alsace-Lorraine - Quelques mots au sujet des Alsaciens - La maladie

Jeudi 1er février-La permission

Après un arrêt de 2 heures à Vire, je m’embarque pour Mortain ; en gare, je saute vivement à contre-voie et me débine à travers champs.

J’arrive à Romagny vers 7h ½ et trouve ma Berthe au lit avec petite Fernande, toute les deux en bonne santé.

Vendredi 2 février-Romagny

Ainsi qu’hier, je reste enfermé toute la journée car je n’irai faire timbrer ma permission que demain, ainsi je rattraperai le jour que j’avais perdu lors de ma dernière permission grâce au sympathique chef de gare de Romagny.

Le temps est toujours très très froid.

Samedi 3 février-La permission

Ce matin, je vais de bonne heure prendre le train à Fontenay-Milly pour Mortain-Neufbourg où je fais timbrer ma permission, je vais ensuite la présenter à la gendarmerie.

Comme c’est jour de marché à Mortain, je rencontre tous nos voisins de Romagny.

 

Ce soir, nous prenons, ma Berthe et moi le train pour Saint-Lô où LENEVEU doit nous attendre.

En allant, nous profitons des 2 heures d’arrêt à Saint-Hilaire pour voir Mr et Mme SILANDRE.

Dimanche 4 février-La permission

Arrivée à Saint-Lô vers 2h. LENEVEU qui nous attendait à la gare nous conduit au bistrot où il nous a trouvé un lit pour la nuit.

Le froid est encore plus rigoureux que de coutume ; la Vire est complètement gelée et il faut remonter à l’hiver 1894-95 pour trouver un froid pareil.

Nous partons à 9h ½ pour La Chapelle où nous arrivons juste pour dîner.

LENEVEU vient passer l’après-midi avec moi.

Lundi 5 février-La permission

Mon père va porter ce matin, 2 porcs gras au marché de Carentan, en ce moment ces animaux se vendent vraiment trop chère (près de 2fs la livre.)

La neige s’est remise à tomber et en 1 heure de temps, il y a une dizaine de cm sur le sol.

André, qui passait la révision samedi, est pris.

Je vais à la chasse cet après-midi, mais ne tue rien.

Mardi 6 février-La permission

Ce mauvais temps m’a empêché d’aller faire un tour au Dézert, ce sera pour ma prochaine permission.

Nous repartons aujourd’hui pour Douville voir les cousins.

En arrivant, nous trouvons porte close et les voisins nous disent que ce midi les cousins sont partis pour Romagny. (Léon ayant obtenu 3 jours de congé.)

Ce n’est vraiment pas de chance et il nous faut reprendre le train à 10h58.

Mercredi 7 février-La permission

Après nous être morfondus pendant 3h ½ en gare de Folligny, 1h ½ en gare d’Avranches, nous arrivons à 7h ½ à Romagny où nous trouvons les cousins au lit.

 

Cet après-midi, nous allons faire un tour à Mortain et revenons par Les Fresnais.

 

Ce soir, nous faisons une partie de Polignac avec Melle Cheunin.

Jeudi 8 février-La permission

Le temps est toujours très froid, aussi nous sortons très peu, nous allons tout juste au bourg

Nous passons l’après-midi en compagnie de Melle Cheunin à jouer aux cartes.

 

Ce soir, ma Berthe verse à cousin Léon ainsi qu’à moi force « gnolle », puis Melle Cheunin, nous en verse ensuite presqu’un grand verre en allant la reconduire, si bien que nous sommes « saouls » tous les deux, et je suis bien malade après m’être couché.

Quelle cuite mes amis !!!

Vendredi 9 février-La permission

Ce matin, c’est cousin Léon qui est le plus malade et c’est à grand peine que cousine parvient à le faire lever.

Je vais reconduire les cousins jusqu’à la gare (Léon doit reprendre son service cet après-midi.)

Toute la journée, j’ai plutôt mal à la tête.

Ce soir, nous allons à Mortain faire les provisions pour dimanche en compagnie de Melle Cheunin qui ne m’épargne pas ses quolibets.

Samedi 10 février-La permission

Il fait aujourd’hui un temps superbe, le soleil commence à avoir de la force et je passe mon temps à écrire au soleil, dans la cour.

Ce soir, je vais rendre visite à Mme Louis, le ciel est superbe et constellé d’étoiles, mais il va encore faire froid, cette période de gelée n’est pas encore terminée ; cela fait près de 5 semaines qu’elle dure.

J’ai reçu ce matin une carte de Fave, ainsi qu’une lettre de Lége et une autre de Coste ; le 158ème est maintenant à Delle (200 m de la frontière suisse.)

Dimanche 11 février-La permission

Le temps aujourd’hui n’est pas aussi beau qu’hier.

Nous avons la visite de Mr et Mme Gouvet accompagnés d’Émilienne Silandre et cet après-midi nous allons faire un tour par Mortain où je rencontre Roulet, nous revenons par le Neufbourg et prenons un café chez Mr Sarel, également en permission, puis nous passons par la petite cascade qui par ce temps de gelée est vraiment merveilleuse

(Il faut qu’il ait fait bien froid pour geler ainsi l’eau qui tombe de roches en roches.)

Lundi 12 février-La permission

Le temps passe de plus en plus vite ; encore vingt quatre heures à passer près de mes chéries et il me faudra une fois de plus quitter Romagny pour me replonger dans l’inconnu !

 

Ce soir, je vais en compagnie de ma Berthe faire un tour à Mortain, où nous rencontrons Roulet et G Saoul.

Le temps a l’air de vouloir changer et je crois que la gelée ne va pas durer bien longtemps !..

Mardi 13 février-La permission

Dernier jour que j’ai à passer près de mes chéries, les heures passent terriblement vite, et l’heure de partir pour prendre le train de 18h30 arrive vite.

Il me faut quitter ma petite Fernande chérie.

Ah ! C’est un dur moment à passer et la venue en permission n’est pas tout rose. Avec ma Berthe adorée et Melle Cheunin qui nous tient compagnie, je prends la direction de Mortain où j’ai encore un dur moment à passer.

Quelle sale guerre qui vous éloigne ainsi de vos êtres chéris !!!...

Mercredi 14 février-Les embusqués

Ah ! Pauvres chéries, combien de temps vais-je rester maintenant sans vous revoir, sans vous embrasser !!

Me voilà replongé dans l’inconnu, il me faut maintenant faire abstraction de tout ce qui m’est cher pour aller me faire trouer la peau pour tous ces richards, ces bourgeois qui tiennent bon à l’arrière.

Ah ! Comme la vue de tous ces embusqués qui pullulent dans toutes les villes, de ces « fils à papa » qui non content de ne pas exposer leur vie et de faire les gommeux, se moquent de nous, me révolte !!

Pour eux, le malheureux poilu des tranchées n’est qu’une poire et un imbécile qui vue sa sottise, ne mérite aucun égard…

 

Après avoir passé la nuit dans le train, j’arrive à 6h ½ à Paris et cette fois j’ai la chance de trouver Mme Calmé chez elle.

Je passe toute la journée en compagnie de Mme Calmé, nous allons d’abord faire un tour à Montmartre d’où on a une vue magnifique sur Paris, puis cet après-midi je vais voir le caporal Machat de ma section qui est soigné à l’hôpital Villemin, rue des Récollets, tout près de la gare de l’Est.

Le malheureux avait été bien touché, la commotion qu’il avait reçue l’avait rendu sourd et il a dû être trépané deux fois de suite (trépanation mastoïdienne), ces 2 opérations ont très bien réussi et les plaies sont bien cicatrisées, malgré cela sa tête reste lourde et il ne peut encore la tourner à droite et à gauche et sa surdité n’est pas complètement guérie.

Pauvre Machat, je doute qu’il s’en guérisse entièrement !...

J’ai été bien content de pouvoir m’entretenir quelques instants avec ce brave garçon et je suis certain de lui avoir fait plaisir.

Après un tour jusqu’à la Seine qui charrie encore de gros glaçons, nous allons souper chez Mme Calmé, qui vient ensuite me reconduire jusqu’à la gare de Lyon (métro) où je prends le train à 21h12 pour Dijon.

Arrivée à St Ulrich.

Jeudi 15 février- retour au 158e RI-St Ulrich (Haut-Rhin)

Après un court arrêt à Dijon au milieu de la nuit, je prends la direction de Besançon-Belfort. Croyant trouver le 158ème à Delle, je descends à Montbéliard, mais par mesure de prudence je vais me renseigner au commissaire militaire de la gare.

Le 158ème n’est plus à Delle et pour le rejoindre je dois continuer jusqu’à Belfort, là prendre le tramway et descendre finalement à Suarce, aussi j’ai juste le temps de remonter dans le train et à 8h ¼ je suis à Belfort.

 

Pour gagner la gare du tram, je dois traverser toute la ville qui est ma foi, pas mal du tout, mais comme le tram pour Suarce est à 9h  je n’ai pas beaucoup de temps à perdre et j’arrive juste pour le prendre.

À Suarce, j’apprends que le 1er bataillon du 158ème est cantonnée à St Ulrich : j’ai encore la chance de les trouver au repos et ainsi la transition ne sera pas aussi brusque que lors de ma dernière permission.

De Suarce à St Ulrich, il y a environ 5km, que je fais en compagnie d’un type de la 1ère Cie de mitrailleuses, qui était parti en permission en même temps que moi.

 

J’arrive à St Ulrich vers 11h, juste pour manger à la popote avec les camarades.

St Ulrich est un assez joli patelin de l’Alsace reconquise, à environ 3km de l’ancienne frontière et à environ autant des lignes. Malgré cela, tous ces patelins n’ont aucun mal et on se croirait à cinquante km des lignes.

 

Voilà 8 jours que le régiment est par ici, les compagnies vont au travail (creuser des tranchées et des boyaux à l’arrière des lignes) 3 jours sur 4. Aujourd’hui, la Cie a repos : repos relatif car il faut aller matin et soir à l’exercice.

Bien qu’ici les cantonnements ne soient pas trop mal, tout le monde regrette les 4 jours passés à Delle où le régiment était très bien, la plupart des poilus avaient un lit à leur disposition et les sous-offs avaient une popote épatante…

Vendredi 16 février-St Ulrich-Réflexions sur l’Alsace-Lorraine 

Bien que couchant sur la paille, j’ai passé une bonne nuit et c’est plutôt pénible de me lever à 6 heures.

Ce matin, il n’y a pas grand-chose : gymnastique de 9h à 10h, cet après-midi nous allons aux douches dans un petit patelin à côté : Altenach.

 

Quelques réflexions au sujet du patelin et de l’Alsace-Lorraine : (*)

Bien que nous soyons tout près des lignes (à environ 4 km en ligne droite), les patelins n’ont aucun mal et sont encore habités à moins de 2km des boches.

Dans ces régions, les secteurs sont toujours très calmes et nous n’entendons que quelques coups de canon par jour, mais il y a fort à présumer que cela ne va pas continuer encore bien longtemps, surtout si comme nous le pensons : il y a attaque par ici.

Depuis les premiers jours d’août 1914, les emplacements de batteries n’ont pas changé et il y a même quelques régiments d’artillerie qui n’ont pas quitté ce secteur depuis ce moment, les veinards !!

Dans ces villages d’Alsace reconquise, les maisons se ressemblent à peu près toutes, avec leurs charpentes en bois peintes en noir, leurs fenêtres aussi larges que hautes, comme écrasées par leurs toits de tuiles.

Le pays ressemble assez à la Haute-Saône, avec ses vallées et se collines, les forêts y sont également nombreuses et  couvrent toutes les hauteurs. Ces forêts renferment surtout des hêtres et des chênes vraiment magnifiques, ceci explique un peu la structure des habitations.

 

À la section, il y a en ce moment bon nombre de permissionnaires : Marguet Cal, Coste, Robert, Ferrier, Baragnes, Rescoussié, Rouquette, Miquel.

Chabanon qui était parti en même temps que moi n’est pas encore rentré, cela m’étonne de lui, car c’est un bon type, un peu simple qui certainement n’aurait pas pris de lui-même l’initiative de déserter.

Le maréchal des logis Bernaud est toujours là, bien que son stage soit terminé, il attend maintenant sa nomination de sous-lieutenant.

 

(*) : Souligné dans le carnet.

Samedi 17 février

Aujourd’hui la Cie va au travail.

 

Départ à 6h 50, c’est moi qui dois la conduire. Nous passons par Mertzen puis par Fulleren, à la sortie duquel je trouve l’agent de liaison Maingas qui me conduit au lieu du travail : travail qui consiste à creuser un boyau.

L’endroit où nous travaillons est à peu près à 1500 m des lignes et c’est vraiment bizarre que, travaillant en terrain découvert comme nous le faisons nous ne soyons pas marmités, il est vrai que les boches travaillent également de leur côté et qu’ils pourraient en nous marmitant s’attirer de leurs répliques.

Chose que je n’aurais jamais crue, c’est qu’il n’y a pas même en 1ère ligne une ligne de tranchée continue : les 1ères lignes sont constituées par des Petits-Postes, (*) espacés de 4 à 500m et tenus par 3 ou 4 poilus, cette disposition est pareille du côté des boches et les lignes sont distantes d’au moins 7 à 800m.

Cette disposition des lignes facilite les coups de main, (*) aussi il n’est pas rare qu’un petit-poste se trouve enlevé la nuit, aussi bien du côté boche que du côté français.

 

De même à l’arrière des lignes, il n’y a que très peu de tranchées, seulement quelques réseaux de fils de fer barbelés, je me demande comment au bout de 2ans ½ de guerre et surtout après la terrible leçon de Verdun, il existe encore certains points du front si peu organisés !

Est-ce (??) ou négligence de la part des chefs ?... En tout cas ces chefs sont bien coupables.

Maintenant, cette façon de tenir les lignes au moyen de P.P. a l’avantage de demander des effectifs beaucoup plus restreints que ne l’exigerait une ligne de tranchée continue.

 

Nous rentrons du travail vers 6h moins le ¼.

Le capitaine Coste par en permission demain matin.

 

(*) : Souligné dans le carnet.

Dimanche 18 février-Quelques mots au sujet des Alsaciens

Miquel rentre de permission. (*)

 

J’avais formé projet hier soir d’aller me promener à Dannemarie, petite ville très gentille à 4km d’ici, mais aujourd’hui cela ne va pas très bien : j’ai un fort mal de tête, aussi je reste tranquillement à St Ulrich. J’aurais pourtant été très heureux de voir Dannemarie avec son viaduc que les boches ont fait sauter.

Le temps aujourd’hui est magnifique : une vraie journée de printemps, ci cela dure quelques jours la terre sera bientôt dégelée.

 

Quelques mots au sujet des Alsaciens ou plutôt des habitants de ces patelins : (*)

Depuis quarante-quatre ans que l’Alsace-Lorraine est séparée de la France, la civilisation boche y a accompli son œuvre et à mon avis et à l’avis de tous, la mentalité des habitants est beaucoup plus boche que française.

Entre eux, ils parlent constamment allemand, jamais français et leurs « ya » me fout mal aux oreilles.

Ah ! Où est donc cette Alsace-Lorraine gémissante sous le joug boche, demandant à redevenir française ?... Dont les livres nous faisaient de si belles descriptions ?... Elle n’existe plus et même les vieux, ceux qui ont pu être français avant 1870 sont boches.

Je comprends maintenant les déceptions éprouvées par les troupes françaises en 1914, lors de leur entrée en Alsace : ces habitants en qui ils mettaient leur confiance leur tiraient dans le dos.

D’ailleurs à une question précise posée par Peirnichot à un habitant : « Aimeriez-vous mieux être allemand que français ? »

Ce type n’ose pas répondre catégoriquement ce qu’il pense, à la fin il dit : « Du temps des Allemands cela marchait bien ! »

Une autre fois, comme un avion survolait le patelin :

« C’est un boche ! » disait un poilu.

« Non » dit une femme du pays « C’est un des vôtres ! » (*)

 

Aussi à mon avis, il est stupide de se faire casser la gueule pour réunir l’Alsace-Lorraine à la France.

 

(*) : Souligné dans le carnet.

Lundi 19 février-Malade

Marguet caporal et Ferrier rentrent de permission.

 

Ce matin, cela ne va pas du tout, j’ai un mal de tête formidable, aussi je demande au major Funck à ne pas être vacciné aujourd’hui, il me fait prendre la température : 38°1 et ne me vaccine pas.

Aussitôt après je vais me coucher et reste ainsi toute la journée.

 

Ce soir, j’ai 39°5 de fièvre et cela ne va pas du tout, ma tête me fait un mal terrible.

Mardi 20 février-Malade

Aujourd’hui, c’est la même chose : 38°2 ce matin et 39°4 ce soir, malgré cela le major ne parle pas de m’évacuer, si seulement j’étais encore couché dans un bon lit, mais non il faut rester à grelotter de fièvre, étendu sur la paille sans soins, (on me donne juste 2 comprimés de quinine par jour) et je bois à peu près la valeur de 2 quarts de lait.

Ah ! Pauvre Berthe adorée !

Si tu savais l’état dans lequel je me trouve en ce moment, quel mauvais sang tu te ferais !!

Mercredi 21 février-Malade

Coste rentre de permission.

 

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.

Ah ! Pendant ces nuits d’insomnie, comme je pense à mes chéries !!

Leur douce image se fixe constamment en mon cerveau brulant : je les vois reposant côte à côte, petite Fernande ayant sa tête sur la poitrine de ma Berthe.

Ce matin, j’ai 38°5 de fièvre et ce soir 39°8.

Bien que la fièvre s’accentue, le major m’a dit : « Nous allons continuer à vous soigner ! »

À mon avis c’est plutôt comique car en fait de soins, c’est néant ! (*) 

 

(*) : Souligné dans le carnet.

Jeudi 22 février-Malade

Mon état reste sensiblement le même : la fièvre dure également. 38°3 ce matin et 39°6 ce soir, je suis persuadé que si le major ne m’évacue pas, certains officiers y sont pour quelque chose, mais il est tout de même triste de constater que comme récompense, on vous laisse crever sur la paille, c’est à vous dégoûter d’être consciencieux !!

Je suis certain, qu’à ma place, n’importe lequel aurait été évacué, tandis que pour me garder, on me laisse trainer ici sans soins et on me prive d’une permission de convalescence.

Vendredi 23 février-Malade

Baragne et Rescoussié rentrent de permission (*)

 

La fièvre commence à baisser : 37°8 ce matin et 38°2 ce soir, mais mon mal de tête persiste toujours.

Ce mal de tête est peut-être causé en partie par un formidable rhume de cerveau que j’ai attrapé, jamais je n’en avais eu un égalant seulement le 1/10 de celui-là.

Je n’ai pas fini de me moucher que je puis recommencer. Surement que depuis 4 jours, ce que j’ai craché et mouché remplirait bien un seau !!

La patronne du cantonnement où je couche sachant que je suis malade, vient m’apporter un bol de lait chaud et rehausse ainsi l’estime que j’ai pour les Alsaciens-Lorrains.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Samedi 24 février-Malade

Roliert rentre de permission.

 

Le major Funck passe à l’intérieur, aussi je change de médecin : dommage que cela ne se soit pas produit plus vite, car j’aurais été certainement évacué.

Enfin tant pis, le principal est que j’aille mieux !!

La fièvre est tombée (36°8 ce matin et 37°2 ce soir) mais j’ai toujours mal à la tête.

Depuis 5 jours, je ne prends qu’un œuf et un peu de lait par jour, aussi je n’ai pas beaucoup de force. La patronne du cantonnement vient encore m’apporter un bol de lait chaud.

À rester ainsi tout le temps couché, les nuits surtout me paraissent épouvantablement longues, car je ne puis dormir.

Dimanche 25 février

Je n’ai toujours plus de fièvre, mais l’appétit manque et les forces ne reviennent pas vite.

Enfin j’espère m’en tirer sans trop de dommage cette fois encore !!...

Voilà 5 jours que je n’ai pas eu le courage d’envoyer un mot à ma Berthe, aussi aujourd’hui tout en lui annonçant mon malaise, j’essaye de la rassurer un peu.

 

Cet après-midi, je me lève de 13 à 17h et ma foi à part la faiblesse et mon mal de tête, cela va assez bien.

Le temps reste toujours au beau et le soleil est déjà chaud, aussi il fait bon sortir un peu.

Lundi 26 février

ROUQUETTE rentre de permission. (*)

 

Mon état reste sensiblement le même : le mieux s’accentuant peut-être un peu. La patronne du cantonnement toujours très aimable vient m’apporter régulièrement un bol de lait tous les matins.

Le secteur est toujours très calme, et ce n’est que rarement que l’on entend un coup de canon : cette après-midi, cependant, un avion boche est venue lancer quelques bombes sur Altenach ; visant la voie ferrée.

 

Ainsi qu’hier, je me lève un peu cet après-midi, mais mon tour de promenade consiste simplement à aller à la popote et à y rester au coin de feu.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mardi 27 février-Le bombardement

Rien de bien changé à mon état de santé ; je suis toujours très faible : mon rhume de cerveau s’obstine à persister et est probablement cause de mon mal de tête : je mouche continuellement, mais je crois cependant qu’il commence à mûrir ;

Vivement que je sois débarrassé de cette saleté-là !!...

 

Pendant le travail, aujourd’hui, il y a eu du nouveau au 2ème bataillon : ce bataillon travail à 500m à peine des lignes ; un avion boche est venu les survoler dans le courant de l’après-midi et à peine 10’ après son départ, arrivait une rafale de 77, faisant 5 victimes (2 tués, 3 blessés, dont un s/s lieutenant de la 5ème Cie)

 

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Extrait du Journal des Marches et Opérations du régiment

Mercredi 28 février

L’accident survenue au cours du travail d’hier va certainement rendre plus prudents ceux qui dirigent les travaux et ce matin, le major part en même temps que le bataillon, alors que d’habitude, il arrivait seulement vers midi sur le terrain !!...

Tant qu’à moi je vais de mieux en mieux et m’en voilà quitte une fois de plus pour la peur ; mais c’est égal : j’ai été bien malade, plus malade que ne l’ont supposé le major et par moment je me suis fait de la bile : Être malade, mal soigné, couché sur de la paille et si loin de ses êtres chéris !

C’est dur tout de même !!

 

 

Mars 1917 : Secteur de St Ulrich, Altenach – Hindlingen – Fulleren - L’attribution des croix de guerre – Delle - Autrey-le-Vay - L’instruction des masques à gaz - Les permissions exceptionnelles - Réflexions sur les militaires mis à la disposition des cultivateurs

Jeudi 1er mars-Secteur de St Ulrich, Altenach

Ainsi que le major me l’avait dit hier, je vais à la visite ce matin : je suis encore exempt de service aujourd’hui et demain, mais il me faudra reprendre mon service après-demain.

Ces majors s’en « foutent » décidemment : je n’ai pas encore recommencé à manger et on me « balance » ainsi ; enfin, tant pis, si je rechute, je serai peut-être évacué !!...

 

Aujourd’hui, la Cie a repos ; repos qui consiste à aller à l’exercice le matin et au tir cet après-midi ; mais, malgré tout, les poilus aiment encore mieux cela que d’aller creuser des tranchées.

 

Ce matin, le sergent MARCHAND est parti faire un stage de grenadier : cette fois il a été désigné par le commandant GOUSSEAULT lui-même, aussi il a eu beau « rouspéter » il n’y a eu rien à faire.

Ce type, peloteur, cauteleux, qui était très, très bien vu à son arrivée à la Cie, commence à être connu pour ce qu’il est en réalité et je crois que le commandant ne l’affectionne guère : Comme MARCHAND « rouspétait » pour que l’on mette une voiture à sa disposition pour le conduire au stage, cela est arrivé aux oreilles de GOUSSEAULT qui a dit :

« Est-ce qu’il lui faudra aussi une voiture pour remporter les notes qu’il obtiendra au stage ?!... »

Faisant ainsi allusion aux plaintes de MARCHAND qui s’est déjà excusé pour le cas où il obtiendrait la mention, inapte.

 

Au travail, avant-hier, MARCHAND avait eu une « pique » sérieuse avec BERNARD au sujet des outils : MARCHAND étant allé moucharder au lieutenant au sujet d’une pioche, soi-disant, abandonnée par la 2ème section.

Le temps aujourd’hui est redevenu très mauvais : il tombe constamment de la neige à moitié fondue qui est très froide.

Ah ! Où sont les beaux jours de la semaine dernière !...

Février va-t-il vouloir se faire regretter ?!!...

Aujourd’hui cela va mieux et je recommence à manger avec les camarades…

Vendredi 2 mars-St Ulrich

BERTHOUX passe à la C.H.R. (*) 

 

Je suis encore exempt de service aujourd’hui, mais demain, je reprends le boulot. La Cie va au travail toute la journée.

Le temps est le même qu’hier : une neige à moitié fondue ne cesse de tomber.

 

Hier soir, le bruit courait que nous allions changer de cantonnement et que nous allions aller dans un patelin à 4km d’ici : en effet, ce matin, les fourriers vont y préparer le cantonnement ; mais il n’y a encore rien de certain et peut-être resterons-nous ici : j’aimerais autant, car rien ne me déplaît plus que de déménager.

J’ai été surpris en voyant dans ces pays quantité de jeunes gens valides qui sont restés chez eux ; mais j’en ai eu l’explication : Ces pays sont en possession depuis les premiers jours d’août 1914 : aussi les Boches n’ont pas eu le temps d’y récupérer les anciens exemptés (et ils étaient nombreux ! les forts contingents que fournissait chaque classe à l’Allemagne leur permettant de prendre seulement les plus costauds pour le service actif). De plus, les jeunes classes 15, 16, 17, 18, n’y ont évidemment pas été levée : C’est ce qui explique l’assez forte proportion d’hommes valides qui se trouvent encore dans ces pays. En tout cas, ces loustics sont des veinards qui ne souffriront pas de la guerre.

 

Depuis 2 ans et ½ que les Français occupent ce pays, la plupart des habitants comprend et parle un peu le français, mais il leur reste un fort accent boche : on entend souvent des phrases comme celle-ci :

« Voilà du fion babier !  - Je tescends – le palai – Vous avez raisson. » Etc…

 

Ce soir, il est officiel que nous changeons de cantonnement demain, nous allons à Hindlingen (4km d’ici).

À dater de ce jour, je perds BERTHOUX de ma section : il passe comme téléphoniste à la compagnie hors rang : c’est encore un bon soldat de moins pour moi ; enfin, tant mieux pour lui, car il dégotte ainsi un riche filon.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Samedi 3 mars-St Ulrich-Le départ

DESMONS quitte la Cie. Arrivée à Hindlingen. (*)

 

Cette nuit, la neige est tombée en abondance et ce matin, il y en a une quinzaine de cm sur le sol.

Nous devons quitter Saint-Ulrich à 14h ; aussi ce matin, il n’y a pas grand-chose : travaux de propreté de 6 à 7 ; puis revue en tenue de campagne complète à 9h ½.

 

Aujourd’hui, je perds un des meilleurs soldats de ma section : DESMONS Albert (**) , qui va passer à la 7ème Cie, comme ordonnance du nouveau capitaine de cette Cie, COUVIN : duquel il avait déjà été ordonnance au début de la guerre et en temps de paix : Cette nouvelle lui est arrivé hier soir ; DESMONS n’en étant pas du tout enchanté, il voulait à tout prix rester à la Cie, et ce matin il est allé voir ce capitaine, mais il n’y a eu rien à faire : le capitaine tenant essentiellement à lui et cet après-midi DESMONS doit rejoindre la 7ème Cie.

Si, d’un côté je regrette de perdre un de mes meilleurs soldats, d’un autre, je suis heureux pour lui, car il sera certainement plus heureux que dans le rang et moins exposé.

 

Bien avant notre départ de Saint-Ulrich, le 20ème bataillon de chasseurs qui nous remplace est arrivé (le 20ème chasseurs, fait partie de la 13ème division qui vient ainsi à nos côtés).

À 14h, la Cie quitte Saint-Ulrich ; nous passons par Strueth et à 14h45’ nous sommes arrivés à Hindlingen ; ce patelin est beaucoup plus près des lignes que Saint-Ulrich ; l’année dernière, il y a eu quelques jours de bombardement, aussi une bonne partie de la population civile a quitté le pays, si bien que nous sommes cantonnés dans des maisons inhabitées.

 

Le reste de l’après-midi se passe à aménager un peu les cantonnements et chose extraordinaire, nous touchons dès ce soir de la paille fraîche.

Pour ma part, je vais être très bien couché : j’ai un lit avec un très bon sommier.

Le commandant GOUSSEAULT part en permission aujourd’hui.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : DESMONS Albert Gervais Clément, né à Graissac (12) le 20 mars 1892, mort à Champigny-sur-Marne en 1962

Dimanche 4 mars-Hindlingen 

CURSOUX et FAURE sont affectés à la section. (*)

 

J’ai passé une très bonne nuit.

Vraiment, je n’avais encore jamais eu la chance de coucher dans un lit, depuis mon arrivé au front : il ne manque que les draps !!...

Les cantonnements pour les hommes sont également très chics : jamais ils n’avaient été aussi bien cantonnés : La 2ème section occupe toute une maison inhabitée où l’on peut faire du feu. Dans la chambre que j’occupe avec BERNARD, FIGEAC et 3 poilus, il y a en plus du lit une jolie table avec 2 chaises.

Ici nous sommes très près des lignes (à moins de 2km) ; nous devons constamment porter le masque contre les gaz, les Boches en envoyant assez souvent.

 

Nous devons rester ici qu’une huitaine de jours, pendant lesquels j’espère que nous serons tranquilles ; nous n’irons pas au travail et comme on doit éviter les rassemblements en terrain découvert, il n’y aura je crois que fort peu d’exercice.

Maintenant, après ces 8 jours où irons-nous ?

C’est l’inconnu…

 

Ce matin, il y a réveil à 7h et repos toute la journée.

Avant le rapport, le s/s lieutenant TRICOT affecte dans les sections les 8 poilus arrivés en renfort hier soir : à la 2ème section j’en ai 2 : CURSOUX et FAURE.

On demande pour le 8 mars l’état des hommes de la Cie ayant été blessés ; c’est pour leur donner l’insigne des blessés de guerre ; de plus, je crois que ceux qui ont été blessés 2 fois ou plus de 4 fois, vont être proposés pour avoir la croix de guerre.

 

Aujourd’hui, il fait très beau temps et à rester ainsi toute la journée dans les cantonnements, on finit par s’ennuyer : on doit en effet éviter autant que possible de circuler dans les rues et il est absolument défendu d’aller se promener dans les patelins avoisinants.

Reçu une lettre de ma Berthe, ainsi qu’une carte de PERNECHOT.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Lundi 5 mars-Hindlingen 

FERRIER évacué. RACCAGLIÀ et BONNETTI partent en permission. (*)

 

Je ne suis pas encore complètement guéri de ma grippe, la tête me faisant toujours mal.

Aujourd’hui, c’est un véritable temps de neige : ce matin, elle tombe en abondance et je puis contempler un village alsacien sous la neige.

Je suis vacciné pour la 3ème et dernière fois ce matin, par suite, je suis exempt de service et j’en profite cet après-midi pour écrire.

À la visite de ce matin, FERRIER est évacué pour angine : 38°6 de fièvre ; ce n’est pas une bien grande perte pour la section.

Aujourd’hui les Corses de la Cie partent en permission : j’en ai 2 à ma section : RACCAGLIÀ et BONNETTI : voilà des types qui ne reviendront pas avant un bon mois (ils partent pour onze jours de perm.) n’ayant droit qu’à 2 permissions par an.

D’après les on-dit nous ne resterions que fort peu de temps à Hindlingen : nous en partirions dans 2 ou 3 jours direction inconnue.

Il est vraiment bizarre que tous ces patelins alsaciens situés à très peu de distance des lignes n’aient aucun mal ; les avions boches qui viennent encore assez souvent ne les bombardent pas, ils se contentent d’essayer de démolir les voies ferrées ; encore hier, un aviateur allemand a laissé tomber 3 bombes sur la voie ferrée à côté de Friesen, alors qu’ils savent certainement que tous ces patelins sont bourrés de troupes. Peut-être qu’espérant que ces pays leur reviendront après la guerre, ils ne veulent pas trop les « esquinter » !!...

 

Ce soir, le capitaine COSTE rentre de permission : il a, je crois, un cafard formidable ; demain le s/s lieutenant TRICOT part en perm. C’est tout de même malheureux, les officiers vont au moins 3 fois en permission pendant que nous y allons 2 fois.

Ce soir, nous touchons sacs de couchage, paillasses et traversins, c’est l’habitude de toucher tout ce fourbi peu de temps avant de partir !!...

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mardi 6 mars-Hindlingen 

Ce matin, étant exempt de service, je reste tranquillement couché jusqu’à 8 heures : la Cie a théorie sur les fusils mitrailleurs et gymnastique.

 

Cet après-midi, il y a tir pour les F.M. ; la 1ère Cie devant essayer les 24 fusils mitrailleurs devant être distribués aux nouvelles équipes du bataillon, lorsque le besoin s’en fera sentir ; car maintenant dans chaque section il y aura toujours les 2 anciennes équipes de F.M., plus 2 nouvelles équipes dont le fusil mitrailleur restera au caisson de munitions et qui ne le prendront que sur ordre, par exemple pour une attaque.

De cette façon, il ne restera que très peu de poilus armés du fusil 1886, d’autant plus que quelques grenadiers seront armés du revolver.

 

Pour le reste de la Cie il y a exercice : école du soldat, puis marche sous bois.

Pendant une bonne demi-heure, je reste à parler avec le capitaine : nous n’allons pas rester longtemps à Hindlingen, nous devons, paraît-il, aller remplacer le 2ème bataillon à Ballersdorf, mais nous n’y resterions que quelques jours. Nous ne sommes destinés, à ce qu’il paraît, à opérer dans cette région, nous devons aller entre Soissons et Reims avec la 10ème armée, mais non pas pour la première offensive.

En tout cas, voilà près de 2 mois ½ que nous sommes au repos et il est de toute justice que nous en mettions un coup.

 

Ce soir, il est presque officiel que nous quittons Hindlingen après-demain matin : le 2ème bataillon doit embarquer en auto, mais nous ne savons pas pour quelle destination.

 

Aujourd’hui, il a fait un temps magnifique et la plus grande partie de la neige est fondue. Le temps clair a favorisé l’observation aérienne, aussi toute la journée, les aviateurs boches aussi bien que les nôtres en ont profité.

Mercredi 7 mars-Hindlingen 

Ce matin, il y a théorie sur les F.M. (anciennes et nouvelles équipes) et gymnastique pour le reste de la Cie ; puis revue d’armes.

Le temps n’est plus le même qu’hier et toute la journée il tombe de la neige à moitié fondue et il ne fait pas chaud.

 

Cet après-midi, il y a tout simplement revue des outils portatifs et des canons V.B. par section.

 

À 14h, le sergent POLLET avec POISSAUT, partent pour Ballersdorf faire les cantonnements de la Cie ; nous devons quitter Hindlingen demain matin ; nous regretterons ces cantonnements, car jamais nous n’avions été si bien cantonnés : il nous faudra laisser ici : sacs de couchage, traversins, paillasses touchés hier : ce n’est vraiment pas de chance.

Le s/s lieutenant CHAPRON va de nouveau nous quitter pour une dizaine de jours pour aller faire un stage de chef de section.

 

Cet après-midi, les ordres pour le départ arrivent : la 1ère Cie doit quitter Hindlingen demain matin à 5h20’, aussi il faudra encore se lever de bonne heure : 4h au plus tard.

Le capitaine rassemble les chefs de section pour la répartition des outils d’après la nouvelle réglementation.

 

Pendant ce temps arrive un ordre de proposition de la Croix de Saint-Georges :

1° Pour la croix de Saint-Georges de 3ème classe : un s/s officier chef de section : c’est moi qui suis proposé.

2° Pour la croix de Saint-Georges de 4ème classe : un s/s officier chef de ½ section : Le sergent LEGE est proposé.

3° Pour la médaille de Saint-Georges de 2ème classe : un caporal et un homme : Le caporal BOUILLARD et le soldat COLOMB sont proposés.

4° Pour la médaille de Saint-Georges de 3ème classe : un homme pour acte de dévouement : Le soldat BARON est proposé.

Maintenant je n’ai pas beaucoup de confiance à ces propositions qui fort probablement seront mises au panier.

 

À 19h45, alors que nous étions tranquillement en train de faire une manille, l’ordre arrive que le départ est annulé et qu’en conséquence l’emploi du temps sera le même demain matin que ce matin.

Nous allons donc pouvoir encore dormir une nuit tranquille.

Le temps est toujours maussade, toute la journée il ne cesse de tomber de la neige à moitié fondue.

Ah ! C’est bien le temps du mois de mars, ces giboulées.

Jeudi 8 mars-Hindlingen 

PARAVY part en permission. (*)

 

Ce matin, de 7h30’ à 8h30’, il y a théorie par le maréchal des logis BERNARD sur le blocus sous-marin, l’attitude des États-Unis.

La gymnastique prévue de 8h45 à 9h30 n’a pas lieu à cause du mauvais temps, à la place il y a répartition des outils distribués hier.

 

Cet après-midi, il y a maniement d’armes dans les cantonnements puis théorie sur le fusil mitrailleur pour toute la compagnie à cause du mauvais temps.

Nous sommes toujours ici sur le qui-vive ; peut-être même allons-nous aller à Ballersdorf comme il était prévu !!...

 

Ce midi, j’ai un nouveau poilu qui part en permission : PARAVY.

À la 2ème Cie, le capitaine TAILLARD a été remplacé par le capitaine GUERARD qui avait été adjoint au lieutenant-colonel GUEDENEY ; ce capitaine doit la trouver plutôt mauvaise de venir maintenant commander une Cie : le capitaine TAILLARD est passé au dépôt divisionnaire.

 

Ce soir, BONAMOUR nous laisse entendre que nous allons quitter Hindlingen très prochainement : il serait de nouveau question de nous envoyer à Ballersdorf ; si nous avions seulement la chance de rester jusqu’à lundi, je pourrais profiter de mon bon lit dimanche matin.

PERRUCHOT rentre de permission : toujours pessimiste, il nous annonce qu’il y a encore au moins pour 2 ans de guerre : les dirigeants français voulant aller jusqu’au bout ; de plus la population française va bientôt la piler : il doit y avoir pénurie de blé : les stocks de blé existants n’étant pas suffisants pour attendre la prochaine récolte : d’où la nécessité d’établir la carte de pain.

À entendre ce brave PERRUCHOT, la situation économique en Allemagne serait meilleure qu’en France, alors que c’est certainement faux ; enfin le plus intéressant c’est qu’il nous apporte une bonne bouteille de rhum !....

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Vendredi 9 mars-Hindlingen 

MOLLET part en permission. DUMONT et FOURNIER rentrent à la section. (*)

 

Ce matin, gymnastique et jeux comme à l’ordinaire.

Au rapport, le capitaine nous lit une longue tartine relative à la discrétion dans la correspondance : ceux qui seront pincés à donner des renseignements seront sévèrement punis, et la prévôté va saisir de nombreux sacs de lettres ; aussi attention !!...

Comme il fait beau cet après-midi, il y a exercice, nous allons à environ 1500m d’ici. L’exercice consiste en marche d’approche de la Cie (terrain découvert et sous-bois)

 

Au bout d’environ 1 heure, le capitaine me passe le commandement de la Cie ; ce qui ne me plait pas trop, et me fait faire un exercice d’attaque.

Cet exercice était à peine terminé que le capitaine rassemble les gradés et nous dit ces termes énigmatiques :

« Nous allons rentrer immédiatement car nous changeons de cantonnement ! »

 

Cela n’est guère plaisant de déménager ce soir, enfin ici il faut se résigner à tout !!...

Le caporal PICARD qui était parti en patrouille en avant de la 2ème section, s’égare, et ne rentre que deux heures après nous, avec ESCOFFIER, ROBERT et GEHIN ; ils sont allés presque jusqu’à Suarce et ont fait ainsi entre 12 et 15 km.

 

En rentrant au cantonnement, il n’y a rien de nouveau ; il y a bien quelques bruits de départ, mais seulement pour demain soir.

À 8h, le capitaine me fait appeler à la popote des officiers et me charge de peser demain matin tout le chargement d’une voiture de Cie……

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Samedi 10 mars-Fulleren

 

Ce matin, je me lève sitôt le réveil, afin de faire le travail qui m’a été fixé hier.

Le caporal PICARD va chercher la bascule chez l’épicier, et nous avons vite fait de peser tout : le total fait, le chargement d’une voiture de Cie est d’environ 1100kg.

J’étais en train de recopier le chargement lorsque le capitaine arrive, il nous annonce que le colonel est là ce matin, qu’il faut vivement faire une situation de prise d’armes et aller à l’exercice.

Pendant que le sergent major établissait sa situation de prise d’armes, le colonel arrive et va voir la Cie à l’exercice. Il me fait appeler presqu’aussitôt et très chic il me dit qu’il m’a proposé pour la croix de Saint-Georges de Russie de 3ème classe, malgré cela je n’y compte guère ; il est fort probable que ces propositions seront mises au panier.

 

Cet après-midi, il n’y a presque rien : revue en tenue de départ à 16h par les chefs de section : c’est moi qui suis chargé de me rendre compte si les cantonnements sont propres ; nous les laissons en très bon état et je serais bien heureux si nous trouvions de pareils à Fulleren.

 

Départ d’Hindlingen à 5h30’, nous passons par Strueth puis par Mertzen, et arrivons vers 6h ½ à Fulleren ; en route, nous rencontrons le 3ème bataillon que nous allons remplacer à Fulleren et qui vient nous remplacer à Hindlingen.

 

Pour les cantonnements c’est encore un véritable fourbi, c’est dégoutant de s’installer ainsi en pleine nuit : je me demande pourquoi le mouvement n’a pas commencé à 15h au lieu de 17h30’ !!...

Malgré que les cantonnements soient loin de valoir ceux d’Hindlingen, nous ne sommes pas trop mal et dans le cantonnement de la 2ème section, nous avons la chance de trouver 3 couchettes où nous nous installons BERNARD, FIGEAC et moi.

Avant de me coucher il me faut régler le travail commandé ; cette nuit 1 caporal et 12 hommes doivent aller travailler de 2h à 10h du matin ; il me faut prévenir les poilus et régler tout ; cette équipe sera remplacée par une 2ème comprenant 1 sergent et 10 poilus, de 10h à 18h et une 3ème équipe de 1 caporal et 12 hommes qui travaillera de 18h à 2h, ce qui fera 1 sergent, 2 caporaux et 40 poilus travaillant à ce chantier ; les hommes travailleront ainsi 8 heures par jour ; le reste de la Cie ira tous les jours enterrer des fils sous plomb.

Dimanche 11 mars-Fulleren-L’alerte

J’étais en train de dormir bien tranquillement lorsqu’à 5 heures, je suis réveillé en sursaut par PERRIN : il y a alerte : depuis minuit les 75 n’ont cessé de cracher et il y a probablement attaque des Boches. Je me lève en vitesse et en allant voir les autres sections, je rencontre le capitaine qui est furieux de voir que la Cie n’est pas encore rassemblée, ceci est de la faute des fourriers qui sont d’abord allés réveiller le capitaine et qui ont même oublié d’avertir la 4ème section.

Les sections sont à peine rassemblées devant leur cantonnement qu’un nouvel ordre arrive : l’alerte est finie et les poilus peuvent rentrer dans leurs cantonnements.

Le capitaine rassemble les sous-off et nous passe un rude savon, menaçant certain de les faire casser.

J’ai plus tard l’explication de la fureur du capitaine : en arrivant au bureau, il a trouvé FIARD, avec MARCHAND et MOUREY encore couchés alors que l’ordre d’alerte leur était arrivé depuis au moins ½ heure.

 

À 8h30’, je vais avec tous les chefs de section du bataillon reconnaître le 2ème chantier où travaillera le reste de la Cie à la pose de fils sous plomb : ces fils dont le mètre revient environ à 3F50 ; comme nous poserons un faisceau de 20 fils, le mètre de ce faisceau revient à 70F.

Ah ! Que de dépenses exige la guerre !!...

Dans ces fils, les fils de cuivre sont recouverts de plomb, d’où leur nom : fils sous plomb.

 

Après le rapport, le capitaine fait appeler MOUREY et MARCHAND, ainsi que FIARD et il leur passe encore un joli savon ; il s’excuse des paroles qu’il leur a dit ce matin (il les avait traités de tas de salauds) ce qui ne l’empêche pas de réprouver leur conduite.

Le capitaine a, à mon avis, parfaitement raison ; il est en effet inadmissible que lorsqu’un ordre d’alerte est donné, des s/s officiers restent tranquillement couchés !!... Et si les Boches étaient arrivés aux portes de Fulleren, ce qui était fort possible puisque nous ne sommes qu’à 3km des lignes ; à la place du capitaine j’aurais été aussi indigné que lui.

Maintenant, ce qui me fait plaisir, c’est que cette bûche tombe sur MARCHAND et FIARD ; ce MARCHAND qui à la nouvelle de l’alerte a encore eu la bêtise de demander :

« Comme je dois partir en permission cet après-midi, est-ce que je dois me lever ? »

Vraiment ce n’est pas très fort.

 

Ce soir, je vais avec MOUREY, ALPHANT, FIGEAC boire un « canon » de vin blanc au café de la gare de Mertzen.

Lundi 12 mars-Fulleren

Il faut se lever de bonne heure : le reste de la Cie qui ne travaille pas au 1er chantier devant partir à 6 heures de Fulleren pour aller poser des fils sous plomb.

 

Le temps ne nous favorise pas, la pluie ne cesse de tomber jusqu’à 10h ; aussi les poilus sont trempés ; de plus le chantier où travaille la Cie est très mauvais, l’eau remplit la tranchée au fur et à mesure que les hommes creusent, et la pompe dont nous disposons ne suffit même pas à enlever l’eau ; par suite, les poilus sont dans la boue jusqu’au genou.

Les hommes ont 2m50 de longueur à faire par équipe de 2 et une fois la tranchée creusée à 2m de profondeur, et les fils posés par le génie, ils doivent recombler cette tranchée.

 

Le travail est fini vers 16 heures et nous sommes rentrés à Fulleren vers 17 heures.

S’il faisait beau temps et surtout si le terrain n’était plein de sources comme il l’est, le travail serait facilement terminé à 14 heures, mais aujourd’hui tout s’est mis contre nous : le temps et le terrain.

Nous travaillons dans un bois à environ 400m de nos premières lignes qui sont à la lisière de ce bois.

En ce moment, beaucoup de travaux s’exécutent de ce côté, et il y a fort à prévoir qu’il y aura une diversion dans cette région.

Au sujet de l’alerte de hier matin, c’est à propos d’un coup de main que les Boches auraient tenté du côté du 50ème territorial, un peu à notre droite.

Nous avons été alertés sur l’ordre du colonel du 250ème territorial.

 

Demain, il y aura encore un nouveau chantier pour la Cie qui doit fournir 2 sergents, 4 caporaux et 50 hommes à la disposition d’un caporal du génie pour enterrer des fils sous plomb à un autre endroit.

Le capitaine m’a appelé à la popote des officiers pour régler le service pour demain.

Mardi 13 mars

BRES, sergent et BOUCHET, caporal affectés 2ème section. (*)

 

Ce matin, il ne reste pas assez de poilus pour constituer le 2ème chantier, je dois compléter l’effectif de 50 avec des caporaux et il reste juste 2 caporaux disponibles ; malgré cela, le capitaine les fait marcher avec ceux qui ont eu consultation motivée à la visite, si bien que ces 2 caporaux et 3 hommes doivent aller à notre chantier d’hier.

Le travail des 50 poilus est terminé avant la soupe, aussi les poilus peuvent se reposer cet après-midi.

 

Il nous est arrivé ce matin un renfort de gradés de la Cie divisionnaire destiné à relever les plus fatigués d’entre nous.

À la Cie viennent 1 adjudant : VALLIN et un sergent : BRES, ce dernier est affecté à la 2ème section, plus deux caporaux dont l’un est aussi affecté à la 2ème section.

Par contre, si nous recevons un renfort de gradés, la Cie doit désigner 1 sergent et 2 caporaux pour aller se reposer au D.D. : la capitaine désigne le sergent SIMON et les caporaux LAMAND et MAISONNIAL.

Ce qui me fait le plus plaisir, c’est que maintenant, je ne vais pas être obligé de faire fonctions d’adjudant de Cie et je vais être ainsi beaucoup plus tranquille.

 

Depuis 2 jours, nous touchons notre ration de gniolle comme si nous étions aux tranchées (1 quart à 4) ; nous sommes donc supposés tenir un secteur et non au repos comme je me le figurais.

 

Ce soir, nous avons un nouveau tuyau, nous devons quitter Fulleren samedi prochain pour aller à Delle et ce serait le 3ème bataillon qui viendrait nous remplacer ici : je souhaite que ce soit vrai, car il paraît qu’à Delle nous serions très bien.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mercredi 14 mars-Fulleren-L’attribution des croix de guerre

Aujourd’hui, c’est le lieutenant MORES qui conduit la Cie au travail, aussi je reste encore tranquillement au cantonnement avec l’adjudant : c’est vraiment le filon.

Le temps continue d’être à la pluie qui tombe sans discontinuer, aussi les pauvres poilus ne sont pas heureux.

 

Cet après-midi, je vais avec l’adjudant, pour lui montrer le chantier où travaille le bataillon ; en allant, nous rencontrons les Cies qui reviennent du travail : aujourd’hui, le chantier n’était pas trop mauvais, aussi les poilus avaient fini leur boulot avant de manger la soupe.

 

Ce soir, le capitaine me fait appeler au bureau pour la liste des types ayant été blessé 2 fois susceptibles d’être proposés pour une citation : à la section il raye MIQUEL et propose les caporaux PICARD et MARGUET, ainsi que COSTE, REYNAUD et MARTIN ; il me charge de libeller leur motif de citation ; l’état devant être remis au bataillon ce soir.

 

À mon avis, il est absurde de donner la croix de guerre à ceux qui ont été blessés 2 fois, car parmi ces blessés il y a de très mauvais soldats et le fait d’avoir reçu 2 blessures ne veut pas dire qu’on a fait tout son devoir ; de plus il s’en trouve dans le nombre qui ont été blessés tout en n’ayant qu’un très court séjour au front (quelques jours).

 

À mon avis, les poilus qui sont depuis très longtemps dans les tranchées sont plus méritants que les blessés, tout au moins que les légers blessés (cas presque général) car alors que celui qui reste au front a les pieds dans la boue et risque d’être tué à chaque instant, celui qui est légèrement blessé passe un bon temps à l’hôpital, où il est bien soigné, ne souffre pas trop et ne risque rien.

D’ailleurs, une bonne preuve de ce que j’avance c’est que tous les poilus souhaitent attraper une légère blessure (ce qu’ils appellent le filon) pour aller passer quelques mois tranquilles à l’intérieur.

 

Hier soir, une note est arrivée à la Cie demandant les noms de 6 poilus connaissant le fusil mitrailleur, et n’appartenant pas aux 8 équipes réglementaires, pour les envoyer au dépôt divisionnaire dans le but de constituer une réserve : à la 2ème section, le capitaine propose FAVE ; je vais donc très probablement perdre mon meilleur soldat, mais d’un autre côté il vaut mieux que ce soit lui plutôt qu’un autre qui attrape ce petit filon.

Jeudi 15 mars-Fulleren

Aujourd’hui, je reste encore tranquillement au cantonnement : c’est l’adjudant VALLIN qui conduit la Cie au travail. Décidemment, aller une journée sur 4 au travail, ce n’est pas de trop et je n’ai pas trop à me plaindre ; maintenant, ce sera certainement mon tour demain.

Le temps est toujours aussi mauvais : il pleut sans discontinuer : c’est le temps habituel du mois de mars.

 

Quelques mots au sujet de l’adjudant VALLIN :

Notre nouvel adjudant ne m’est pas trop sympathique : je souhaite revenir sur cette première impression, mais d’après les dires de ceux qui l’ont connu au dépôt divisionnaire, il n’y a pas de louanges à en faire : il me paraît très autoritaire et voudrait, je crois, que les autres sous-officiers s’abaissent devant lui.

 

Ce soir, nouvelle imprévue : une note télégraphique arrive au bataillon, nous devons faire mouvement demain (étape d’environ 25km) en conséquence, nous ne manquons pas de travail ce soir : il faut rendre les outils que la Cie avait en consigne, préparer tout son fourbi, car il faut s’attendre à partir demain matin de bonne heure.

Décidemment nous ne restons pas longtemps au même endroit !

D’après certains bruits nous irions du côté de Morvillars et paraît-il le 3ème bataillon qui est en ce moment à Delle viendrait nous remplacer lundi pour continuer les travaux.

La 13ème division prend les lignes dans ce secteur, aujourd’hui le 20ème chasseurs a remplacé le 250ème territorial.

Vendredi 16 mars-Delle

Arrivée à Delle. (*)

 

Ce matin, le bataillon reçoit l’ordre de partir seulement à 12h ; nous allons cantonner à Delle ; je vais donc pouvoir également visiter ce chef-lieu de canton situé à 200m de la frontière suisse.

Nous avons revue en tenue de départ à 9h et comme à l’ordinaire les poilus sont obligés de monter deux leur sac, car à 8h ½ le bataillon envoie une note prescrivant la façon dont il doit être monté.

Nous partons par section à 50m de distance à midi, nous passons par Mertzen, Saint-Ulrich et Faverois et après 4 pauses nous arrivons à Delle vers 17h ¼, nous défilons devant le lieutenant-colonel qui après adresse ses félicitations au capitaine TALLOTTE pour son bataillon.

 

Tout le bataillon est cantonné dans une ancienne usine (une compagnie par chambre) assez loin des anciens cantonnements : ce qui est le plus embêtant, c’est que cette usine est assez éloignée de la popote qui se trouve au café Walter ; la salle dont nous disposons est très, très bien avec éclairage électrique, maintenant, je doute que les cuisiniers que nous avons en ce moment (DABLANC est en permission) s’entendent aussi bien avec les patrons que DABLANC et DESMONS.

 

Cette petite ville de Delle est assez coquette et importante pour un chef-lieu de canton, de plus on y trouve tout ce qu’on veut et le 158 a rarement eu l’occasion d’être aussi bien placé. L’ennui, c’est que le cantonnement de la Cie ne soit pas bien épatant et cette usine ressemble vraiment trop à une caserne ce qui nous vaudra certainement moins de liberté.

 

Comme POLLET se trouve en stage en ce moment, je couche avec FIGEAC dans leur ancienne chambre : nous sommes très bien logés et couchons dans un lit alsacien ; ces lits sont assez bizarres, il n’y a pas à proprement parler de draps de dessus : celui-ci est cousu aux couvertures : l’ennui c’est qu’avec ce système il n’y a pas moyen de se border.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Samedi 17 mars

Nous avons passé une très bonne nuit : il ne nous arrive pas non plus souvent la chance de coucher dans un lit lorsqu’on est en campagne, aussi il faut en profiter.

La patronne de notre chambre est épatante : c’est une vieille alsacienne qui, chose bizarre n’aime pas les Alsaciens annexés ; d’après elle, ils ont un caractère tout différent et après 1870 on disait par ici :

« C’est dommage pour le pays, mais bien fait pour les gens. »

 

Ce matin, il y a installation des cantonnements : c’est la véritable vie de caserne, le quartier est consigné sauf de 10h30’ à 13h et de 17h à 20h.

 

Cette nuit, il y a eu un peu de bruit au cantonnement : des poilus ont « engueulé » des gendarmes qui couchent dans le même cantonnement sous le prétexte que les flics couchent dans de bons lits et que les poilus sont obligés de coucher sur les planches.

 

Cet après-midi, il y a douche pour la 1ère Cie et à 14h nous sommes libres.

Le tapage de cette nuit, nous vient une note du bataillon : dorénavant tous les s/s officiers (adjudant compris) devront coucher dans les cantonnements ; malgré cela je vais avec FIGEAC « pieuter » dans notre bon lit.

 

Nous apprenons vers 14h que notre capitaine COSTE va nous quitter : il part à l’instruction de la classe 18 au dépôt à Lyon, ainsi que le caporal PICARD de ma section, l’adjudant MALLET de la 2ème Cie.

Nous n’avons pas de chance ; nous allons perdre un assez bon capitaine qui va être remplacé par le lieutenant MONS avec lequel je ne tiens pas du tout à monter aux tranchées, car alors c’est la Cie qui attraperait toutes les missions périlleuses : les capitaines commandants de Cie rejetant toujours la charge sur les épaules du lieutenant.

Je perds également mon meilleur caporal.

 

Ce soir à 18h, le capitaine vient faire ses adieux aux s/s officiers de la Cie à la popote et nous paye 4 bouteilles de vin. Ces types qui partent ainsi pour l’instruction de la classe 18 sont vraiment vernis et en particulier CHOLEZ de la 3ème Cie qui est resté presque toujours en stage.

Dimanche 18 mars

Revue. Départ du capitaine et du caporal PICARD. (*)

 

FIGEAC est obligé de se lever à 3h (il part par le train de 4h ¼ pour Saint-Hippolyte conduire au 2ème bataillon 2 préventionnaires  dont le petit IMBERT de la classe 17 qui avait appartenu à la 3ème section de notre Cie.

 

Comme il y a prise d’armes ce matin, je me lève également de bonne heure (6h) et à 6h ¼ je suis au cantonnement : il faut faire préparer les types pour la revue et la Cie se rassemble à 7h20’.

La revue du 1er bataillon par le colonel a lieu dans un terrain situé près des cantonnements : le colonel passe cette revue en détail, examinant section par section, il décore ensuite ceux qui ont été cités dernièrement et après le défilé traditionnel, le colonel nous adresse ses compliments :

« Le 1er bataillon s’est bien présenté et a bien défilé. Merci. »

 

Comme le général de division MOLLANDIN (**) vient assister au concert donné par la musique du 158 cet après-midi à 15h, il faut nettoyer à fond le cantonnement, bien arranger les paquetages et il y a revue par le lieutenant MONS à 14h, après quoi, les poilus sont libres.

 

Pour passer le temps je vais assister à un match de football entre l’union sportive Delloise et la musique du 158.

Aujourd’hui, les journaux annoncent de meilleures nouvelles qu’hier : les Anglais ont pris Bapaume (***) et paraît-il nous avons pris Roye et Lassigny ; maintenant le chiffre vraiment minime des prisonniers montre bien que les Allemands ne nous avaient pas attendus.

Le bruit court que nous allons partir d’ici peu pour la région de Reims (ouest).

 

La nouvelle d’hier (abdication du tsar (****)) me laisse plutôt sceptique : cette révolution va-t-elle avoir d’heureuses conséquences pour les alliés ?

Je le souhaite.

Le commandant GOUSSEAULT est rentré de permission ce matin.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Le général MOLLANDIN a commandé la 43e division d’infanterie (dont fait partie le 158E RI) d’octobre 1916 à juillet 1917.

(***) : Le 17 mars 1917. Les allemands se sont repliés en mars sur la ligne Hindenburg, pour raccourcir le front, ce qui explique le peu de prisonniers.

(****) : Nicolas II de Russie gouverne la Russie de 1894 jusqu'à son abdication en 1917.

Il ne réussit pas à mettre fin à l'agitation politique de son pays ni à mener les armées impériales à la victoire pendant la première guerre mondiale. Son règne se termine avec la révolution russe de 1917.

Lundi 19 mars

Départ de Delle. (*)

 

FIGEAC n’est pas rentré cette nuit, aussi étant seul dans un bon lit, j’ai passé une très bonne nuit.

 

Ce matin, il y a travaux de propreté jusqu’à 8h et après instruction sur le tir puis jeux.

Pendant l’exercice l’adjudant passe une revue de cheveux et « engueule » passablement les poilus qui ont le malheur d’avoir des cheveux ayant 1 ou 2 cm ; s’il continue de cette façon je crois qu’il ne sera très bien vu.

 

Les journaux de ce matin annoncent la prise de Roye et Lassigny par les troupes françaises. L’entrée des soldats français à Roye a dû être impressionnante avec les civils français qui se trouvaient encore dans la ville ; vraiment je voudrais bien assister à une pareille scène, mais j’aurai peut-être bien cette occasion.

 

À 13h, alors que la Cie était rassemblée pour aller à l’exercice, l’ordre arrive de rester au cantonnement et les commandants de Cie doivent aller immédiatement au bureau du bataillon et un quart d’heure après 1 nouvel ordre : revue en tenue de départ à 14 heures, nous devons partir ce soir à 22 heures.

Sitôt nos sacs montés je vais avec FIGEAC remercier et payer la propriétaire de notre chambre : cette bonne dame nous paye à chacun un petit verre de gnolle et pour tout paiement elle accepte 2F pour le lavage du linge.

 

Rassemblement du bataillon à 21h45’ : il paraît que l’étape à faire est d’environ 25 à 30km mais nous ne savons où nous allons (allons-nous pour embarquer ou pour aller faire des manœuvres de division du côté de Villersexel ?!...). Ce qui est le plus embêtant c’est qu’il va falloir marcher toute la nuit et Dieu sait si les marches de nuit sont pénibles !!...

Surtout par ces nuits noires.

Les poilus ont profité de leur dernière soirée à Delle pour boire un bon coup et chez certain il y a même du vent dans les voiles. (**)

Nous quittons Delle à 23h ; la marche est très pénible surtout que le chemin par où nous passons est fraîchement empierré.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Expression qui signifie « être éméché »

Mardi 20 mars-Etouvans

Nous cantonnons à Etouvans. (*)

 

Ah ! Je me rappellerai toujours cette maudite marche de nuit, les malheureux poilus en ont « bavé » et les traînards ont été assez nombreux, à la 2ème section, je n’ai eu comme traînards que CURSOUX (poilu qui boite continuellement à la suite d’une balle au genou reçue en Artois) et MIQUEL qui n’est pas très solide et encore n’ont-ils abandonné qu’à l’avant-dernière pause.

Tous ont mis une excellente bonne volonté pour suivre et en particulier FAVE, RENARD.

 

Pendant toute la nuit il a fallu se traîner sur la route ; la plupart des poilus dormaient en marchant, ne se réveillant que lorsqu’ils butaient contre le sac du camarade marchant devant eux.

Nous passons par Fêche-l’église, Dampierre-les-Bois, Montbéliard, Audincourt puis Dampierre-sur-le-Doubs.

 

Pendant un certain temps nous longeons le Doubs et un poilu de la 1ère Cie de mitrailleuses, en dormant tombe dans la rivière, mais ses camarades heureusement peuvent le retirer.

Avant d’arriver à Dampierre-sur-le-Doubs, nous restons au moins 1 heure en plein champs, attendant je ne sais quoi.

Pour comble de malchance la pluie s’est mise à tomber à verse, en même temps qu’un vent glacial pénètre nos habits.

 

Enfin à 7 heures, nous arrivons à Étouvans où cantonne le 1er bataillon.

Dans cette nuit nous avons fait au moins 32 km. (**)

Étouvans est une bourgade assez importante où nous sommes très bien reçus par les habitants. J’ai la bonne fortune de trouver 2 lits où BERNARD, FIGEAC, ALPHANT et moi allons nous reposer de 10h à 14h.

Les propriétaires sont très très gentils.

Le bruit court que nous repartons ce soir à 21h, mais le commandant GOUSSEAULT va trouver le colonel lui disant que sur son bataillon il y aurait au moins la moitié des poilus qui ne pourraient pas suivre ; aussi l’heure de départ est renvoyée à demain matin 6h ; si bien que nous pouvons passer une bonne nuit.

Avant de quitter nos hôtes, nous prenons leur adresse pour leur envoyer un petit mot : GALLECIER Félicien, rue des Écoles, Etouvans, par Colombier-Fontaine.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Le journal du régiment stipule : « Départ 22h30, distance 31 km, Marche pénible, nuit noire, pluie, 10 hommes recueillis par la garde de police, 2 hommes transportés en voiture.

Mercredi 21 mars-Courchaton

Nous cantonnons à Courchaton. (*)

 

Ce matin, il faut se lever bon matin (4h ½), mais nous sommes réveillés à temps par la patronne : vraiment ces gens sont très très chics et c’est bien la 1ère fois que j’en rencontre d’aussi aimables pour les soldats ; quand nous les quittons ils ne veulent rien accepter pour prix de leur dérangement : il est vraiment regrettable que nous ne restions pas plus longtemps dans ce bon patelin d’ étouvans où nous serions très très bien ; en les quittant nous prenons leur adresse pour leur envoyer un petit mot.

 

Rassemblement de la Cie à 6h moins le ¼ et à 6 heures nous quittons étouvans.

Nous passons par Colombier-Fontaine, Longevelle-sur-Doubs, patelin assez important sur les rives du Doubs, puis par La Prétière, Médière, L’Isle-sur-le-Doubs (petite ville industrielle), Geney et à Courchaton où nous cantonnons ; avant d’entrer dans la bourgade la 1ère Cie est désignée pour servir d’escorte au drapeau : en conséquence il faut faire mettre baïonnette au canon et aller jusqu’à l’endroit où le drapeau est logé ; il faut de plus défiler une fois de plus devant le colonel.

À Courchaton, les habitants sont également très chics, et comme à Étouvans ils préfèrent de beaucoup l’infanterie à la cavalerie : ce serait vraiment le filon de cantonner pendant quelques temps dans cette contrée !...

 

Pendant la marche d’aujourd’hui, le temps nous a favorisés et nous avons  eu constamment une belle route, aussi je suis moins fatigué qu’hier ; malgré cela, bon nombre de poilus marchent littéralement sur les genoux ; ayant mis mon sac à la voiture, j’ai pu en soulager 3 en portant leur sac à tour de rôle : FAVE, RENARD et GELIN, aussi à la 2ème section il n’y a pas eu un seul traînard et pour arriver à ce résultat il a fallu beaucoup de bonne volonté de la part des poilus.

 

De midi (heure de notre arrivée) à 17h, le cantonnement est consigné. Nous avons encore la chance de trouver un lit, ainsi nous n’allons pas encore coucher sur la paille cette nuit.

Avant de nous coucher, nous allons boire un rude coup de « gnolle » chez une petite épicière.

 

Cet après-midi, la neige tombe en abondance et à 19h il y en a une dizaine de cm d’épaisseur. Lorsque nous montons nous mettre au lit, la propriétaire, une bonne vieille dame, nous paye encore un bon petit verre de gnolle et ne veut rien accepter pour son dérangement.

 

Dans cette contrée, les habitants sont vraiment très très chics pour les fantassins, mais par contre, ils n’aiment pas les cavaliers qui eux, se croient tout permis (on voit bien que ces loustics n’ont pas souffert de la guerre !!...)

Quelques régiments de dragons et de hussards ont cantonné dans cette contrée et y ont laissé de bien mauvais souvenirs : la bonne dame qui nous loge avait logé quelques s/s off de dragons qui lui avaient laissé sa chambre dans un état de malpropreté repoussante : ils étaient allés jusqu’à y faire des ordures.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Jeudi 22 mars

PARAVY rentre de permission. Arrivée à Autrey-le-Vay. (*)

 

L’étape que nous avons à faire aujourd’hui n’étant que de 14km nous ne quittons Courchaton qu’à 7h.

 

Cette nuit, la neige a continué de tomber et il y en a bien 25cm. Heureusement que la Cie n’est pas en tête, car la marche va être bien pénible pour ceux qui vont être les premiers.

Nous passons par Grammont, Mélecey, Fallon, Les Magny et arrivons à Autrey-le-Vay vers 10h ½ ; nous sommes ici à 3km5 de Villersexel : LESCAFETTE a encore de la veine : nous sommes à 2km5 de chez lui : Marast et dès ce soir il a la permission d’y aller et de rentrer demain matin.

 

À Autrey-le-Vay, nous trouvons très difficilement une popote convenable et cela à cause des cavaliers qui ont cantonné ici et qui s’y sont conduits en dégoûtants.

 

Cet après-midi, il y a aménagement des cantonnements : décidemment on ne laisse guère de repos aux poilus qui viennent de faire en 3 étapes très pénibles plus de 70km.

Le patelin où nous sommes cantonnés est tout petit : environ 200 habitants : il n’y a ni épicerie, ni café.

Ah ! C’est bien toujours les mêmes cantonnements qui nous sont réservés !!

On ne nous aurait pas laissé à Étouvans ou à Courchaton.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Vendredi 23 mars

Nous avons heureusement trouvé une chambre inoccupée où nous pouvons loger à 6 sous-officiers et où nous sommes ma foi assez bien.

 

Ce matin, la visite est passée par un nouveau major du 3ème bataillon qui n’est pas facile : de tous les types qui se sont présentés à la visite, il y en a tout juste eu 2 qui ont été exempts de service, et 3 de la Cie ont eu la mention : non malades, ce qui leur a valu à chacun huit jours de prison de la part de MONS.

 

Cette matinée, il y a revue de vivres de réserve et de cartouches ; cet après-midi, nettoyage des armes ; la revue de cantonnement que le commandant devait passer à 14h est reportée à demain.

J’ai enfin reçu aujourd’hui une lettre des cousins : Marguerite ayant eu une forte grippe et étant restée plus de 3 semaines au lit n’a pu m’écrire plus tôt.

 

Comme c’est demain la Saint-Gabriel (prénom de notre camarade BERNARD) nous lui offrons un superbe bouquet ; à cette occasion notre vieux et joyeux PERRUCHOT a préparé un petit « laïus » très bien tourné ma foi, qu’il débite lorsque nous commençons à manger et BERNARD ne peut s’empêcher de nous payer quelques bonnes bouteilles et nous passons assez agréablement la soirée.

 

Les nouvelles des journaux sont toujours assez bonnes ; on voit cependant que le repli allemand touche à sa fin : ce repli volontaire des Allemands en nous laissant un pays complètement dévasté va forcément retarder notre offensive ; ils vont nous attendre tranquillement sur des positions préparées de longue date et alors malheur aux troupes qui se buteront contre ces positions !!... (*)

J’aurais de beaucoup préféré faire partie des troupes de poursuite qui n’ont pas eu beaucoup de pertes, au lieu d’y aller maintenant.

 

(*) : C’est exactement ce qui c’est passé durant les premiers jours de l’offensive du Chemin des Dames, mi-avril 1917

Samedi 24 mars

FOURNIER et CANTY partent en permission. CAVE revient à la section.

 

Jusqu’à 10 heures, les poilus passent leur temps à faire d’une façon réglementaire le paquetage intérieur de leur sac.

 

Au rapport, nous apprenons que le taux des permissions vient d’être réduit de 13% à 5% ; cette mesure n’est pas de très bon augure et il y a fort à prévoir que nous ne resterons plus longtemps au repos ; nous allons aller nous aussi poursuivre l’offensive – enfin c’est bien à notre tour, car voilà plus de 3 mois que nous ne faisons rien.

 

Cet après-midi, le commandant passe une revue de cantonnement à 14h, et chose bizarre, il ne trouve rien à dire : il est vrai que les cantonnements étaient propres.

Deux types de ma section partent en permission à 15h, ce sont FOURNIER et CANTY.

Le temps continu d’être très mauvais, il est encore tombé de la neige cette nuit, et toute la journée il fait très froid, les poilus ne sont pas très heureux, car dans les vastes granges où ils sont cantonnés et où il est impossible de faire du feu, la température n’est pas très élevée.

 

Demain, le régiment va échanger à Belfort ses vieilles cuisines roulantes contre des nouvelles pour la guerre de mouvement ; décidemment on nous réserve pour ce genre de sport.

 

Ce soir, nous apprenons que le lieutenant MONS quitte la Cie ; il passe à l’état-major comme porte-drapeau : bien que je n’en sois pas fâché, il est tout de même malheureux de voir ces sales loustics s’embusquer les uns après les autres (je ne parle pas de notre ancien capitaine qui lui, par exception était assez chic)

C’est le s/s lieutenant TRICOT qui prend le commandement de la Cie à partir de demain.

Un 3ème s/s lieutenant vient d’arriver à la Cie ; c’est le s/s lieutenant MARINET venu du dépôt divisionnaire.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 25 mars-Autrey-le-Vay

Le mois de mars ne veut décidemment pas se faire regretter et toute la nuit la neige est encore tombée à gros flocons ; ce matin il y en a une dizaine de cm d’épaisseur.

 

Hier soir, il s’est passé une sale affaire en face le poste de police qui pourrait bien attirer des désagréments au sergent de garde BUISSIERES, Voici à peu près l’affaire en question :

Un homme du poste : BARDOLLET a violé une jeune fille d’environ 18 ans en face le poste ; comme cette jeune fille qui, parait-il, est d’esprit assez borné avait sa petite sœur (8 ans) avec elle, cette dernière est allée en pleurant raconter la chose à sa mère qui, immédiatement est allée trouver le capitaine TALLOTTE, aussi je crains fort que BUISSIERES, BARDOLLET et PRATBERNOU qui était sentinelle en ce moment ne soient bouclés.

 

Hier, un joli phénomène : CAVE, venant de la section de discipline est rentré à la section ; j’espère bien qu’il ne va pas tarder à se faire évacuer et qu’il va ainsi nous débarrasser.

À propos de ce loustic, je reviens une fois de plus, sur l’absurdité qu’il y a à mélanger ces syphilitiques aux poilus sains des Cies pour lesquels ils sont un véritable danger. Pourquoi n’en forme-t-on pas des unités spéciales !?......

 

L’affaire d’hier soir paraît s’être arrangée à l’amiable : la jeune fille en question n’étant pas de mœurs très recommandables.

Les habitants d’Autrey-le-Vay sont loin d’être aussi gentils, aussi prévenants pour les militaires que ceux d’Étouvans ou de Courchaton, ils sont plutôt avares, intéressés ; c’est bien le même patelin qu’Oppenans, décidemment nous n’avons pas beaucoup de chance avec les cantonnements qui nous sont affectés !!!

Aujourd’hui, il y a eu repos comme à l’ordinaire.

Lundi 26 mars

Sous la direction du s/s lieutenant TRICOT, nous allons ce matin creuser une tranchée destinée à servir pour l’exercice de lancement de grenades.

 

Cet après-midi, il y a exercice près de la route conduisant à Marast.

Le commandant vient y faire un tour ; sous la direction du s/s lieutenant MARINET la Cie est chargée d’attaquer un bois : la manœuvre est complètement « loupée » et nous devons recommencer en sens inverse.

À la décision d’aujourd’hui paraissent les citations des poilus ayant été blessés 2 fois (il y en a 6 grandes pages pour tout le régiment).

À la section sont cités : COSTE, REYNAUD, MARTIN avec les 2 caporaux PICARD et MARGUET. Les motifs des citations ont été raccourcis au bureau du colonel, mais ce sont ceux de COSTE et de PICARD qui sont les 2 plus élogieux de la Cie.

 

J’ai l’occasion de rencontrer ce soir mon vieux copain du 175ème, BARROUX, toujours caporal-fourrier à la 11ème Cie ; en ce moment à Esprels avec le 3ème bataillon.

 

Nous n’avons toujours pas à la section, de nouvelles du caporal PICARD ; je voudrais pourtant bien connaître son adresse pour envoyer un petit mot au capitaine COSTE que je regrette de plus en plus, car c’est un des rares officiers que j’ai connus qui soit vraiment à la hauteur de sa tâche ; il avait au moins la grande qualité d’essayer d’être juste et d’avoir une conduite irréprochable, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des officiers et je suis bien persuadé que nous perdrons au change.

En tout cas, je ne tiens pas du tout à monter aux tranchées avec un s/s lieutenant comme commandant de Cie, car je suis bien certain qu’alors la Cie trinquerait plus souvent qu’à son tour.

Mardi 27 mars

Le s/s lt Chapon & son ordonnance Salagnad, de Rivoire rentrent de stage (*)

 

Ce matin, il y a un exercice de lancement de grenades (grenades citron) avec le s/s Lt Tricot ; certains poilus comme Renard de ma section, Mazenod & beaucoup d’autres n’en avaient jamais lancé aussi ils n’étaient pas trop rassurés par contre j’ai dans ma section de très bons grenadiers surtout parmi les jeunes de la classe 16, jeunes qui ont le corps souple.

 

Ce midi, tous les stagiaires de la Cie, le s/s lt Chapon, Pollet, de Rivoire etc…rentrent à la Cie ; tous ces types-là ont passé un séjour épatant à Fesches-le-Châtel, où il n’y avait jamais eu de troupe, et où les habitants se faisaient un plaisir d’offrir une chambre aux soldats ; à ce patelin se trouve une émaillerie où sont employées un grand nombre de jeunes filles dont une bonne partie courait derrière les soldats aussi tous ceux qui étaient à ce moment au dépôt divisionnaire ont pu s’amuser, certains ont payé cher ces petits amusements et ont ramassé blennorragies, orchites etc….etc…

 

  Cet après-midi, nous allons au tir, même champ de tir que lorsque nous étions à Oppenans & à 4h nous sommes rentrés à Autrecht-le-Vay (**)

Décidemment le recul des Boches est à peu près terminé : finie notre avance après laquelle les journaux ont fait tant de bruit.

J’ose espérer que nous sommes suffisamment prudents pour résister aux contre-attaques boches qui se font de plus en plus violentes et que nous ne nous sommes pas aventurés sans prendre maintes précautions.

Mais je me représente le pays reconquis dévasté par ces sales boches, (***) et je me demande combien de temps il faudra pour le remettre en valeur.

Pauvres habitants !!!!

Quelle désolation, quelles souffrances autant morales que physiques, ils ont dû endurer !!...

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Autrey-le-Vay

(***) : En se retirant de cette zone, les Allemands avaient même coupé tous les arbres fruitiers, il existe de nombreuses photos sur ce sujet.

Mercredi 28 mars

Mollet rentre de permission (*) 

 

La nuit s’est bien passée, il est vrai que la soirée avait été plutôt orageuse !!..

Le camarade Boudon (**) nous quitte dès le réveil, car il lui faut être rendu de bonne heure à sa coopérative : ce Boudon est toujours le même, il affectionne particulièrement les canons, non pas ceux qui nous balancent des marmites, mais les verres pleins.

Heureusement que l’exercice de ce matin n’est pas trop pénible : nettoyage des armes et un peu d’exercice de 8h ¼  à 9h ½.

 

Ce matin, Mollet rentre de permission.

Maintenant depuis une huitaine de jours, le taux de permissions est à la baisse à 5%, aussi je ne suis pas près d’avoir le bonheur de retourner voir mes chéries, il me faudra attendre encore au moins 2 mois.

Le temps est un peu moins mauvais & cet après-midi le soleil se montre un peu.

Maintenant que l’heure est avancée d’une heure nous devons nous lever à 5h (ancienne heure) mais par contre à 15h ½ (ancienne heure) nous sommes libres, ce qui nous fait une bonne soirée.

 

Cet après-midi, nous allons faire un peu d’école de section sur le terrain d’exercice habituel, suivi d’une marche sous-bois ; pour revenir, nous passons par Moimay.

Je passe une partie de la soirée à faire un petit colis (ballon de foot-ball, chaussettes de laine, caleçon que j’avais emporté de chez moi) pour l’expédier à ma Berthe.

Les 2e & 3e Bon. sont beaucoup mieux cantonnés que nous à Esprels, qui est une bourgade assez importante et où l’on peut trouver tout ce dont on a besoin.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : BOUDON Jean Joseph, 34 ans, né à Retournac, Haute-Loire, sera tué à Branges, le 29 mai 1918. Ferdinand le constatera lui-même. La dépouille du sergent BOUDON ne semble pas avoir été retrouvée.

 

Jeudi 29 mars-L’instruction des masques à gaz-Les permissions exceptionnelles

Cette nuit, il a gelé assez fort et ce matin,  le froid pique assez fort.

 

De 7h ½ à 9h, nous allons aux douches à Estrels.

Au rapport il y a une fois de plus service de masques contre les gaz ; il faut maintenant que tous les types soient munis d’un étui métallique, d’un étui en toile, il faut de plus que les lunettes du masque soient pourvues de fixe-verres destinés à maintenir le caoutchouc sur les plaques de mica. Il est même fort question de donner 2 masques à chaque poilu : les émissions de gaz devenant de plus en plus fréquentes.

 

En haut-lieu, on a la conviction que la guerre de mouvements ne va pas tarder à recommencer, c’est d’ailleurs pour cette raison que nous restons si longtemps au repos, faisant partie de troupes destinées à la guerre en rase campagne.

En prévision de cette guerre nous sommes constamment « emmerdés » par des revues de toutes sortes ; le poilu devra porter dans son sac 3 jours de vivres de réserve et chaque escouade va être dotée de 7 ustensiles de campement.

 

Demain, il y aura manœuvre du bataillon et cet après-midi, les commandants de Cie vont reconnaître le terrain où se déroulera la manœuvre.

 

Cet après-midi, il fait très mauvais, il tombe de la neige à moitié fondue ; malgré cela il y a exercice : le s/s lieutenant Marinet commande la Cie ; à cause de la pluie qui ne cesse de tomber nous rentrons à 3h ½.

 

De 4h moins ¼ à 4h ½, il y a théorie sur le service de sûreté en marche.

 

Ce midi, Robert (2e section) a reçu un télégramme lui apprenant la mort de sa sœur mais il est fort probable que le malheureux ne va pas avoir de permission exceptionnelle, la circulaire relative à ces permissions ne lui en faisant un droit.

Maintenant on n’a droit à une permission exceptionnelle que pour les cas suivants :

1)    Mort de parents (père ou mère), d’un enfant, de l’épouse

2)   Pour un frère tué à l’ennemi

3)   Pour voir des parents rapatriés des régions envahies

4)   Naissance d’un enfant

 

Il est tout de même triste de se voir traité en esclave et de ne pouvoir assister à l’inhumation de sa sœur.

Vendredi 30 mars

Comme il doit y avoir manœuvre cet après-midi, l’exercice de ce matin se borne à un peu de gymnastique & jeux.

Rassemblement de la Cie à 12h, départ à 13h.

La manœuvre doit consister en une marche d’approche du bataillon et à l’attaque de la cote 395.

 

Ah ! Nous ne sommes pas veinards !!!...

La pluie & le vent nous prennent même avant le commencement de la manœuvre & ne nous quittent plus.

La pluie & les grêlons poussés avec une violence inouïe par le vent nous cinglent la figure. Sur une longueur de plus de 4 km. Nous traversons les grands bois et en secouant les branches nous nous trempons encore plus ; en certains endroits ce bois est très touffu et c’est à grand peine que nous parvenons à nous y frayer un chemin.

 

Le bois traversé, nous devons encore attaquer la cote 195, mais le colonel a trouvé que nous étions suffisamment mouillés & il fait sonner le rassemblement, ce que les clairons font de bon cœur.

La pluie tombe toujours à verse et achève de nous traverser pendant le retour à Autrecht.

Le cuir des souliers que nous touchons maintenant ne valant rien, nous avons pris tous un bon bain de pieds & je plains les malheureux poilus qui, n’ayant pas une 2e paire de chaussures sont obligés de sécher leurs souliers sans feux à leurs pieds.

 

Ce soir, on parle fort que demain il y a manœuvre du régiment ; il nous faudra donc recommencer avec des vêtements tout mouillés, c’est vraiment un peu exagéré !!!...

Car comment faire sécher des capotes aussi traversées que si on les avait lavées !!...

Samedi 31 mars-Réflexions sur les militaires mis à la disposition des cultivateurs

Heureusement, ce matin il y a contre-ordres pour la manœuvre prévue pour la raison suivante : le 1er Bon fait mouvement demain, nous allons cantonner soit à Quinsey ou à Frotey, tout près de Vesoul.

Nous sommes destinés à servir pour l’instruction des écoles militaires qui se trouvent à Vesoul et devons y rester ainsi quelques temps.

 

Par suite, aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose, il nous faut combler les tranchées faites pour le lancement des grenades & compléter les hommes en cartouches d’après la nouvelle dotation : grenadiers 64 au lieu de 120, V.B. 48 illisible V.B. 64, équipe de FM 640 et voltigeurs 120.

 

Réflexions au sujet des militaires mis à la disposition des cultivateurs dans cette contrée :

À côté de notre popote se trouve un cultivateur à la disposition duquel on a mis un militaire ; ce militaire lui fait tout son travail agricole de telle sorte que le civil ne s’occupe de rien & passe toutes ses journées à jouer aux cartes avec les poilus auxquels il vend de la gnolle, alors que ce type est très costaud & pourrait très bien travailler.

C’est tout de même malheureux de favoriser de pareils poilus. On devrait faire plus attention pour placer ces militaires.

 

Nous quitterons Autrecht demain matin à 6 heures aussi il faudra se lever de bonne heure, car il est certain que ce soir il va y avoir du vent dans les voiles & que le réveil demain matin sera plutôt pénible.

 

 

Avril 1917 : Secteur de Vesoul - Réflexion sur les cultivateurs - 40 par wagon à bestiaux, alors que les officiers…-Les tombes de la bataille de la Marne – Verdelot (Seine-et-Marne) - Nogent l'Artaud (Aisne) - Le dégout envers les embusqués – Hondevilliers - Les économies sur la nourriture des poilus - Les poilus sont de parfaits idiots – Marigny en Auxois (Aisne) – Le fusil R.S.C.

Dimanche 1er avril-Frotey

Arrivée à Frotey (*)

 

Ce matin réveil à 4h ½

Ah ! Que ces changements continuels de cantonnement me dégoûtent !!!... J’ai horreur du changement et de l’inconnu : on sait ce que l’on quitte et on ignore ce qui nous attend.

 

Rassemblement de la Cie à 6h moins le quart & départ à 6 heures.

Heureusement le temps est assez clair et j’espère bien que nous allons faire la marche sans flotte… nous passons par Esprels & le colonel Blanc qui nous regarde passer vient nous faire un petit pas de conduite pendant 2 ou 3 km, puis par Les Patey, les Belles Baraques, Quincey, & à 11h ½ nous arrivons à Frotey où le 1er bataillon cantonnera en entier.

 

Comme toujours nous trouvons les cantonnements dégoûtants & les poilus doivent passer une bonne partie de leur après-midi à les rendre à peu près propres : ce sont des artilleurs qui nous ont précédés ici et comme les cavaliers lorsqu’ils partent, ils laissent tout en désordre ; nous n’avons pas de chance sous ce rapport, nous laissons toujours nos cantonnements très propres pour en trouver de dégoûtants, aussi on a raison de nous appeler le 158e cantonnier.

 

La marche n’a pas été trop pénible & à la Cie il n’y a eu aucun trainard ; c’est dommage qu’elle ait eu lieu un dimanche, jour de repos, enfin j’espère bien que nous serons tranquilles demain.

Ici, nous sommes à 2 km de Vesoul & je compte bien aller visiter le chef-lieu de la Hte Saône un de ces jours.

 

Cet après-midi, nous avons l’occasion de voir un bon nombre de jeunes & élégantes promeneuses de Vesoul, dont le principal but de promenade est certainement de raccrocher quelqu’un…gare aux imprudents !!

Le sergent Brès va nous quitter demain matin pour aller à Châtillon s/s Marne comme conducteur d’autos ; il a son brevet de pilote d’autos & avait fait sa demande au mois de décembre dernier.

 

Je reçois ce soir une carte du 1er avril de petite Fernande & une lettre de ma chérie.

Les cantonnements ici ne sont pas fameux surtout celui de la 2e section enfin il faut nous estimer heureux, nous, les s/s off d’avoir trouvé une petite chambre où nous aurons au moins le grand avantage d’être seuls.

 

À l’appel de ce soir, 14 poilus sont manquants, dont Cave qui étant complètement ivre ramasse 8 jours de prison, et Azans, le favori de Tricot, qui l’avait fait sortir de prison bien que n’étant pas quitte de sa peine parce qu’Azans lui avait réparé sa cantine.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Lundi 2 avril-Frotey

Brès part pour Châtillon s/s Marne. Raccaglia, Bonetti rentrent de permission.

 

Le lieutenant Tricot est furieux ce matin à cause des manquants à l’appel d’hier soir et leur fait faire lui-même l’exercice de 9h à 10h.

Il y a revue de cantonnements à 10h.

 

La 1e Cie a exercice cet après-midi, elle va pour servir de mannequin aux élèves chefs de section à Vesoul.

Le temps très mauvais ces jours derniers s’est remis au beau & cet après-midi il fait très bon au soleil. Comme il y a à la Cie 4 chefs de section, sans me compter, je suis dispensé de l’exercice de cet après-midi & j’en profite pour écrire.

Vesoul sur la Colombine, affluent de la Saône, est une petite ville située à 3km d’ici, dès hier soir, bon nombre de poilus sont allés y faire un tour mais on y risque fort d’être ramassé par les gendarmes.

Tout près de Vesoul se trouve une petite colline appelée La Motte de Vesoul sur le sommet de laquelle se trouve une chapelle.

À l’est, nous sommes dominés par une falaise à pic, falaise formant un large plateau à son sommet appelé : Camp des Romains.

 

Le sergent Brès nous quitte ce midi, il prend le train de 2h à Vesoul.

Quatre Corses, partis en permission à Hindlingen, rentrent ce midi ce sont : Raccaglia, Bonetti, Chiaramonti & Césarini. Il n’en reste plus qu’un dehors : Cinia.

 

Ce soir, l’ordre suivant arrive au bataillon : demain nous allons cantonner à Borey pour participer à une manœuvre de division qui aura lieu le 4. La 2e Cie seule restera ici pour servir de mannequin aux élèves chefs de section.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mardi 3 avril-Borey

Nous allons cantonner à Borey (*)

 

Les ordres pour le départ arrivent ce matin, nous quittons Frotey à 11h45, les hommes en tenue de campagne complète, sac allégé, comme nous devons laisser dans le cantonnement cartouches, vivres de réserve, petit linge etc…

 

À 10 heures, théorie par le s/s lieutenant Tricot sur l’ordinaire.

Dorénavant, les Cie achèteront au ravitaillement ce dont elles ont besoin, percevant pour chaque homme 2f22 en espèces ; lorsque le boni dépassera 5f par homme, on distribuera la moitié de l’excédent de ces 5f de boni aux poilus en même temps que le prêt, à condition que cette moitié de l’excédent soit égale au moins à 1f.

Ceci est fait pour éviter le gaspillage qui s’est produit jusqu’ici et pour y arriver on intéresse les hommes au boni, de cette façon les Cie au lieu de toucher tant par jour achèteront le strict nécessaire.

 

Rassemblement à 11h30 & à 12h le bataillon prend la route de Borey ; il fait un temps superbe aussi la marche n’est pas trop pénible ; nous passons par Colombe-les-Vesoul, puis Noroy-le-Bourg, patelin assez important, Cerre-les-Noroy & à 4h ½ nous arrivons à Borey, où nous sommes très bien reçus, le 2e bataillon y avant laissé de bons souvenirs !!...

 

Le bureau a fait aujourd’hui un état des s/s officiers avec leur temps de présence au front, ceci pour en envoyer au dépôt divisionnaire.

Au reçu de cet état le commandement Gousseault dit à Tricot :

« Et votre aspirant !! - Il veut rester à la Cie - Qu’est ce qu’il veut donc celui-là ?.. il ne veut ni être s/s lieutenant, ni aller au dépôt divisionnaire, il veut donc se faire casser la gueule ! »

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mercredi 4 avril-Frotey-Manœuvre

Retour à Frotey. (*)

 

Repos jusqu’à 10h. Rassemblement pour la manœuvre à 10h45 et départ à 11h.

Nous allons prendre position près d’Oppenans où nous avons l’occasion de voir les personnes où nous avions la popote. C’est de cet endroit que commence la manœuvre : le bon est avant-garde du régiment, heureusement nous faisons partie du gros de l’avant-garde avec la 1e C.M., la 3e Cie étant en avant de nous.

Direction : cotes 286.425.411

 

Pendant 4 heures, nous arpentons bois & champs & nous sommes bien contents lorsque la sonnerie du rassemblement se fait entendre. J’avais d’abord été préalablement désigné pour être avec une demi-section flanc-garde à gauche, mais cette flanc-garde a été supprimée juste avant la manœuvre.

 

La manœuvre finie nous repassons par Autrecht, Noron-le-Bourg à la sortie duquel nous faisons une grande halte de 45’ (juste le temps de manger la soupe), Colombe-les-Vesoul & à 21h ½ nous sommes de retour à Frotey, ayant fait aujourd’hui plus de 25 km ; aussi nous sommes plutôt fatigués.

 

Au rassemblement de ce midi, Coste était ivre comme un cochon : il ne tenait plus sur ses jambes et c’est à grand’ peine qu’il a suivi la manœuvre : le s/s lt Tricot voulait lui mettre 8 jours de prison mais grâce à moi je crois bien qu’il ne les aura pas : c’est malheureux, voilà un poilu qui est aussi mauvais au repos qu’il est épatant aux tranchées mais à mon avis, il faut avoir quelque considération pour ces types là, sur lesquels on peut compter dans les moments difficiles.

 

Le fameux Cave est de nouveau proposé pour la section de discipline et j’espère bien en être bientôt débarrassé.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Jeudi 5 avril-Frotey

Sgt Pollet part pour le D.D. (*)

Canty rentre de permission (**)

 

Ce matin, il y a repos pour les Cie ayant pris part à la manœuvre d’hier.

 

Le midi, ordre nouveau : le bataillon fera encore mouvement demain ; il parait que nous retournerons rejoindre le régiment du côté d’Esprels où nous resterions 3 ou 4 jours pour remonter ensuite en Hte Alsace faire des travaux.

Ce n’était vraiment pas la peine de nous faire venir ici pour 3 jours sous prétexte de servir de mannequin aux élèves des écoles militaires de Vesoul et de nous faire croire que nous y resterions au moins 2 semaines.

 

Nous allons perdre ce soir notre meilleur camarade de la popote, le sergent Pollet, qui part pour le dépôt divisionnaire, mais c’était bien son tour, car il est au front depuis le début de la campagne.

Décidemment depuis que je suis rentré de permission, nous menons une véritable vie de bohémien ; je vais finir par connaître la Hte Alsace, le territoire de Belfort, le Doubs, la Hte Saône etc….. : 8 jours à St Ulrich, 8 autres à Hindingen puis c’est Fullen, les 5 étapes qui ont amenés à Autrey-le-Vay en passant par Delle, Estrouvans, Courchaton puis c’est notre arrivée ici à Frotey, notre ballade à Borey & retour et demain……

 

À 19 heures, arrive un contre-ordre : le bataillon doit rester à Frotey.

Il faut espérer qu'il n'y aura pas un 2ème contre-ordre et que nous sommes encore pour une quinzaine de jours à Frotey.

 

(*) : D.D. = Dépôt divisionnaire

(**) : Note écrite en haut de la page du carnet

Vendredi 6 avril-Frotey-Réflexion sur les cultivateurs

Ce matin, exercice habituel : courses, jeux, escrime à la baïonnette.

 

Cet après-midi, nous allons manœuvrer au N.E. de Frotey.

Le commandant Gousseault vient nous voir et passe 20 minutes à faire une théorie aux poilus sur l'orientation.

Le temps continu d'être superbe et cet après-midi il fait même chaud.

Le caporal Pernod part en permission ce soir. C'est un veinard car il est certain que d'ici peu de temps les permissions seront suspendues.

 

Ce soir, grande discussion (d'ailleurs toute pacifique) à la popote : quelques-uns d'entre nous, dont le plus acharnés est le camarade Perruchot, crient contre les cultivateurs qui selon eux réalisent en ce moment des bénéfices scandaleux.

Je me suis fait alors le défenseur des agriculteurs et par une seule question leur ait cloué le bec :

« Que trouve-t-on maintenant dans les tranchées ? Si ce n'est des cultivateurs !!... »

 

Sur l'effectif d'une compagnie, il y en a pour le moins 9/10 qui dans le civil travaillent la terre, il y a également quelques petits fonctionnaires ou commerçants, mais bien rares sont les industriels que l'on y trouve.

À mon avis pour tout le monde la vie est plus précieuse que n'importe quelle fortune et il est bien juste que les cultivateurs aient de bien petits avantages de savoir leur famille à l'aise, à l'abri du besoin, lorsqu'ils font eux le sacrifice de leur vie pour protéger tous ces embusqués.

 

Ce soir, nous organisons une équipe de football à la 1ère compagnie et allons nous entraîner avec la 3ème compagnie avec laquelle nous devons faire un match dimanche.

Samedi 7 avril-Frotey

Fournai rentre de permission. (*)

 

Ce matin, pendant que la compagnie est à l'exercice, nous allons tranquillement jouer au football pendant une heure et ½, de 7h30 à 9h avec la 3ème compagnie et cette fois nous les battons par 3 buts à 0.

Demain nous aurons match avec eux (2h de l'après-midi) et j'espère bien que nous nous en tirerons encore à notre honneur !...

 

Le commandant Gousseault me paraît assez bien disposé pour ce jour et peut-être pourrons-nous obtenir de temps en temps la permission de jouer le matin au lieu d'aller à l'exercice.

Fournai rentre de permission ce matin ; à la section il ne reste plus que Lunniel et Pernod permissionnaires à la section.

 

Cet après-midi, nous avons manœuvre, la compagnie en avant-garde du bataillon.

On nous entraîne de plus en plus pour cette fameuse guerre de mouvement qui, d'après les états-majors, ne va pas tarder à se produire.

Après une chaleur lourde cet après-midi, la pluie se met à tomber en abondance à notre retour au cantonnement. Je me demande si le match prévu pour demain (14h) pourra avoir lieu !!!

 

Comme s'est demain la Saint Albert, fête de notre camarade Chabert, le copain Perruchot, cette vieille cloche du train de combat nous balance un de ces petits « laïus » qui suivant son expression favorite « font époques » !!...

Cette fête nous fournit l'occasion de boire quelques bons quarts de pinard. Ce sera le tour de notre camarade Duhamel (normand comme moi) de payer son écot pour la Saint Justin (13 avril)

 

Il y aura demain, jour de Pâques, un an que j'ai quitté Lyon pour venir au front. Le temps passe encore assez vite, malgré tous nos malheurs !!!...

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 8 avril-Frotey

Match avec la 3ème compagnie. (*)

 

Ce matin, réveil en fanfare : à l'occasion de la fête de Pâques, il y a repos toute la journée.

Le temps est très brumeux et incertain et je me demande si nous pourrons jouer cet après-midi. Nous passons la matinée à gonfler le ballon et préparer le terrain.

Heureusement, le temps, tout en restant couvert, ne se met pas à la pluie et à l'heure fixée (2h), nous pouvons commencer le match contre la 3ème compagnie dont l'équipe a recruté pour la circonstance 2 ou 3 poilus de la 2ème compagnie.

Voici la composition de notre équipe :

Aleinaud

Canepet

GilLette

Perrin

Mourey

Faure

Chabert

Bonamour

Fiard

Bernard

Perruchot

 

La partie est assez animée, nous gagnons le match par 5 buts à 2 ; sur les 5 buts, j'en ai marqué 3 pour ma part. À la fin de la partie, je suis plutôt fatigué, d'autant plus qu'à la première mi-temps j'ai reçu un bon coup sur le tibia droit.

L'équipe de notre compagnie est formée en grande partie par les sous-officiers : sur 11 joueurs, il y a 8 sous-officiers.

Cette petite équipe, après un entraînement assez sérieux, ne serait pas mauvaise car il y a d'assez bons éléments : espérons que nous aurons encore de temps à autre l'occasion de jouer une petite partie.

Le commandant est très satisfait et il est venu lui-même assister au match.

 

Ce soir, je vais faire un tour à Vesoul.

Ce chef-lieu de la Haute-Saône est une petite ville n'offrant rien de bien agréable : c'est un vrai petit trou où il y n'y a aucune distraction, de plus la police y est très sévère et à huit heures tout est fermé, aussi nous sommes de retour à Frotey à 8h ½.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Lundi 9 avril-Frotey

Ce matin, la jambe me fait plutôt mal : j'ai reçu un bon coup de pied et j'ai une plaie aussi grande qu'une pièce de cent sous.

Bien que ce soit jour férié, nous n'avons pas repos aujourd'hui.

Ce matin, après une théorie sur le F.M. (Fusil-Mitrailleur), nous avons exercice habituel : courses et jeux avec un peu d'escrime à la baïonnette.

 

Au rapport, le sous-lieutenant Tricot félicite l'équipe de football au nom de la 1ère compagnie et il engage tout le monde à pratiquer ce beau sport !!...

Ainsi donc, nous prenons plein les poches de félicitations !.. Aussitôt après le rapport, les officiers de la compagnie font réunir les équipiers au bureau et nous buvons ensemble 3 bouteilles de vin blanc bouché : c'est toujours autant !!

Décidément, ce petit match à eu l'honneur de plaire à M.M. Les officiers !!...

 

Cet après-midi, la compagnie va servir de mannequin aux élèves du centre d'instruction du C. et A.

Nous allons au sud-ouest de Vesoul, sur une colline d'où nous avons une vue magnifique sur le chef-lieu de la Haute-Saône.

Ces exercices sont une vraie fumisterie et je doute fort qu'ils puissent profiter aux élèves du cours.

Nous rentrons juste à temps pour éviter la pluie qui se met à tomber à verse ; aussi ce soir nous ne pouvons prendre notre entraînement quotidien au football.

 

Tous les jours circulent maintenant des bruits de départ, aussi il est certain que notre séjour ici s'abrège de plus en plus.

En ce moment le régiment est en Alsace du côté de Belfort et il serait fortement question que nous irions cette fois à gauche de Dannemarie.

Enfin il ne faut pas s'en faire et pour ma part j'attends patiemment les événements.

Mardi 10 avril-Frotey

Après une théorie sur le F.M., nous allons passer une heure au terrain d'exercice faire un peu d'escrime à la baïonnette, avec jeux ensuite.

Ce midi, le temps est déplorable : de gros nuages noirs nous fournissent de fortes ondées de grêle, de neige à moitié fondue ; malgré cela nous allons à l'exercice cet après-midi : marche de patrouille aux environs du bois de Frotey et de la ferme Charmont où nous nous abritons pendant une forte averse.

 

Ce soir, en rentrant au cantonnement, nous apprenons une nouvelle plutôt désagréable : il y a de fortes chances que nous quittions Frotey demain.

Le commandant fait appeler Perruchot afin que les voitures soient prêtes à partie demain.

 

Une heure plus tard, nous avons confirmation officielle de ces bruits par la voie du rapport : le régiment fait mouvement demain, nous devons embarquer demain après-midi en gare de Vesoul avec un repas froid. Maintenant, nous ne savons pas du tout de quel côté nous allons porter nos pénates.

 

Certains croient que nous allons aller du côté de Belfort rejoindre le régiment, mais à certains indices, je crois bien deviner que nous irons un peu plus loin :

1- il est assez bizarre que nous embarquions en chemin de fer pour aller à Belfort, la distance n'étant pas très grande, nous prendrions plutôt les camions-autos ; de plus le train de combat embarquant avec nous, je suis convaincu que nous irons plus loin.

2- le cours de C.A. à Vesoul est supprimé, les élèves de ce cours embarqueront avec nous pour rejoindre leurs unités. Si nous n'allions qu'à Belfort, ce cours ne serait certainement pas supprimé.

Enfin, nous verrons bien !!...

Mercredi 11 avril-Frotey

Jusqu'à 10h ce matin, il y a les préparatifs pour le départ qui doit avoir lieu à midi 45 à Frotey.

Le capitaine Tallotte qui, avec le maréchal des logis Duhamel, est allée faire la reconnaissance du train, nous apporte un contre-ordre : il n'y a pas à Vesoul de train disponible, le chef de gare n'en était même pas avisé, par suite notre départ est forcément retardé et paraît-il [que] nous ne quitterons Frotey que demain soir pour embarquer à 20h.

 

Comme je l'avais supposé hier, nous n'allons pas du côté de Belfort, nous irions à l'ouest de Reims et peut-être même du côté de Saint-Quentin ; d'après certains tuyaux, le régiment (2ème et 3ème bataillons) se serait embarqué aujourd'hui et nous irons le rejoindre, ce qu'il y a de certain c'est que nous partirons avec 2 jours de vivres de chemin de fer plus 2 jours de vivres de débarquement.

Cette fois je crois bien que le moment où nous irons revoir M.M. Les Boches n'est plus très éloigné !!...

Comme Duhamel s'appelle Justin et que sa fête est le 13 courant, nous devançons le moment de la lui souhaiter, car le 12 au soir nous n'en aurons pas le loisir et ce midi le camarade Perruchot lui envoie encore un joli petit « layus ». Cette fête nous fournit le plein d'occasions de boire quelques bonnes bouteilles.

 

Cet après-midi, il y a exercice habituel.

Lecafette part ce soir pour Marast sans autorisation mais comme c'est un garçon sérieux et qu'il m'en avait parlé, il n'est pas porté manquant. Avant de partir pour la boucherie, cela fait plaisir de revoir ses parents.

Après soupe, je reste à apprendre le jeu de bridge avec Bernard, Perruchot et Marchand pendant que les autres collègues vont faire la bombe. (*)

 

(*) : La fête

Jeudi 12 avril-Le départ-40 par wagon à bestiaux

Nous quittons Frotey (*)

 

Ce matin, après une théorie sur le fusil-mitrailleur, il y a nettoyage puis revue d'armes.

D'après certains bruits, nous ne quitterions pas encore Frotey aujourd'hui mais malgré tout il faut se préparer pour le départ.

 

Ce midi, le contre-ordre n'est pas encore arrivé, ce qui ne nous empêche pas d'aller à l'exercice (jeux) jusqu'à 4 heures. Ceci est fait pour empêcher les poilus de se saouler.

Le contre-ordre n'étant pas venu, nous quittons Frotey à 6h45.

 

À 20h ½, l'embarquement est complètement terminé.

Nous sommes serrés comme des sardines (40 par wagon à bestiaux). Quelle différence avec M.M. Les officiers qui sont tout juste 2 ou 3 par compartiment de 1ère classe !!...

Mais ce qui me révolte encore plus c'est de voir les ordonnances, cuisiniers, liaisons de ces Messieurs se dandiner à 2 ou 3 par compartiment de 3ème classe : plusieurs compartiments de 3ème classe sont même occupés par les bicyclettes des agents de liaison, n'auraient-on pas pu mettre toutes ces bécanes dans un wagon à bestiaux et desserrer les poilus en en plaçant quelques-uns dans ces wagons de voyageurs !!...

Mais non, il semble qu'il y a un abîme entre ces embusqués et les simples poilus !...

 

Bien qu'embarqués à 20h ½, nous ne quittons Vesoul qu'à 23h45.

Nous (la 2ème section) avons encore eu de la chance de tomber sur un grand wagon, aussi nous pouvons à peu près nous coucher et ainsi la nuit paraît moins longue.

Nous ne savons pas exactement de quel côté nous allons, certains parlent des environs de Soissons, d'autre de l'Oise.

Nous passons par Épinal puis par Bar-le-Duc.

D'après les « on dit », le 20ème corps serait du côté de Berry-au-Bac, aussi il y a de fortes chances pour que nous allions les relever.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Vendredi 13 avril-Les tombes de la bataille de la Marne

Arrivée à la Ferté-Gaucher puis à Saint-Barthélémy (*)

 

De Bar-le-Duc nous prenons la direction de Vitry-le-François. Pendant une halte, le chef de train nous apprend qu'il a l'ordre d'aller à Sézanne, là, il recevra d'autres ordres.

 

À Vitry-le-François, nous entrons dans cette maudite Champagne pouilleuse, où il faut faire plus de 10 km pour aller d'un village à l'autre.

Le terrain est à peu près inculte si ce n'est de nombreux petits bois de pins chétifs où le gibier et particulièrement le lapin abonde. À la lisière d'un de ces bois, nous pouvons voir maints lièvres assis sur leur derrière nous regardant tranquillement passer.

Toute cette contrée est très giboyeuse si elle n'est pas très riche.

 

De Vitry-le-François, nous passons par Sompuis, Sommesous, la Fère-Champenoise.

Entre ces deux villages, de chaque côté de la voie ferrée, il y a une grande quantité de tombes, surtout françaises à gauche de la voie et boches à droite.

 

Là, en effet, la bataille de la Marne a fait rage, les morts ont été enterrés là où ils sont tombés. Français et Allemands, victimes de cette guerre épouvantable reposent maintenant pêle-mêle de leur dernier sommeil.

Les tombes françaises se reconnaissent à la cocarde tricolore du souvenir français qui les orne. La bataille a été particulièrement terrible aux abords des villages, à la lisière des bois, à en juger par le nombre de tombes qui s'y trouvent.

Les villages eux aussi portent la marque de la bataille, de place en place, une maison, victime des obus, s'est écroulée.

 

À La Fère-Champenoise, la gare a été complètement brûlée, il n'en reste que les murs. Autour d'une maisonnette d'une garde-barrière se trouvent six tombes boches, sans doute une patrouille ennemi surprise et anéantie par les nôtres.

La vue de toutes ces tombes nous donne plutôt froid aux os, combien d'entre nous n'auront même pas la chance d'avoir ainsi un petit jardin sur le ventre !!...

 

Cette Fère-Champenoise me rappelle, non sans émotion, mon pauvre cher Alphonse (**) qui y est passé en septembre 1914 et qui a été blessé un peu plus au Nord.

Arrivés à Sézanne vers 18h, nous apprenons que nous allons débarquer à la Ferté-Gaucher (Seine-et-Marne) où nous y arrivons vers 21 heures.

 

Il nous faut attendre plus d'une heure en gare en attendant que toutes les voitures du T.C. (Train de Combat) soient débarquées.

De la Ferté-Gaucher, nous allons à Saint-Barthélémy (6km plus au Nord) où nous devons cantonner la nuit.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Son frère

Samedi 14 avril-Verdelot

Arrivée à Verdelot (*)

 

Nous sommes plutôt mal cantonnés, mais malgré cela tout le monde dort bien.

Le patelin est assez gentil, ce n'est plus par ici la Champagne pouilleuse et le terrain est assez riche. Malheureusement nous quittons ce joli pays ce midi pour aller à Verdelot (tout près du département de l'Aisne).

Distance 7 km.

Il fait un temps magnifique, la plus belle journée de cette année. Heureusement, l'étape n'étant pas longue, nous ne souffrons pas trop.

 

Nous arrivons à Verdelot vers 14h ½, aussi nous avons tout le temps de nous installer. La 2ème section est logée chez une veille fermière qui n'est pas très aimable !!..

Heureusement que nous ne sommes pas destinés à rester très longtemps ici (nous en repartons après-demain matin au lieu de demain comme nous nous y attendions).

D'après les dires des habitants, il y a une grande concentration de troupes par ici.

Avant-hier, c'était la 21ème d'infanterie qui était de passage ici.

Le 10ème corps d'armée est donc par ici et j'aurai peut-être l'occasion de rencontrer un de ces jours des types de ma connaissance.

 

Ce soir, un nouveau capitaine arrive à la compagnie, c'est un nommé Allène venant du 9ème bataillon du 118 (Belfort) et préalablement du 17ème.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 15 avril

Aujourd'hui dimanche, nous avons repos toute la journée. (*)

 

À 9h, notre nouveau capitaine passe une revue des cantonnements.

Après la revue, il fait rassembler tous les gradés (sous-officiers et caporaux) pour nous faire un petit speech, d'ailleurs très court (ce n'est certainement pas un orateur!) et regarde en même temps nos livrets matricules.

Ce capitaine est très jeune (classe 1908) et me fait l'effet d'un assez chic type.

 

L'adjudant Moulinier et le sergent Lemaignan de Réraugat ont rejoint le régiment hier, leur stage étant terminé. L'adjudant Moulinier ayant fait des bêtises n'a pas été nommé sous-lieutenant (il est sorti 74ème du cours) et est affecté à la 2ème compagnie. De Rérangat à la 3ème.

Toute la journée, de nombreux poilus vont à la chasse au fusil Lebel et à tout instant un coup de fusil est tiré.

 

Ce midi, à la 2ème section, 2 lièvres étaient déjà tués et nombres d'autres avaient été manqués.

 

Cet après-midi, je vais assister à un match de football, association entre le 1er et le 3ème bataillon : c'est le 1er qui à été battu par 4 buts à 2 : il est vrai que le 1er bataillon pourrait mettre en ligne une équipe de beaucoup supérieure à celle qu'il avait où comme bons joueurs il y avait seulement Donnadieu (lieutenant), Compas de la 3ème compagnie, et De Castet (sous-lieutenant).

 

Ce soir, les ordres arrivent pour le départ de demain.

Nous devons aller cantonner à Nogent-l'Artaud (à environ 15 km d'ici) et partir demain matin à 6 heures ½. Nous nous acheminons ainsi peu à peu vers le front et je crois bien que d'ici peu nous participerons nous aussi à la grande offensive.

Lundi 16 avril-Nogent l'Artaud (Aisne)-Le dégout envers les embusqués

Arrivée à Nogent-l'Artaud (*)

 

Réveil à 5 h. Les poilus n'ont pas de temps à perdre pour être prêts à 6h15.

Départ du bataillon à 6h ½. Nous passons par Villeneuve-sur-Bellot où était le 2ème bataillon qui lui se met en marche en tête du nôtre.

À la pluie d'hier soir a succédé un vent très froid pour la saison : l'hiver se fait décidément sentir bien longtemps, aussi la végétation est très en retard.

 

Nous arrivons à Nogent-l'Artaud vers midi : c'est une petite ville située au bord de la Marne où nous allons pouvoir trouver tout ce qu'il nous faut ; nous n'avons pas l'habitude d'être aussi bien cantonnés, aussi il est probable que nous n'allons pas rester longtemps ici.

 

L'après-midi, se passe à installer les cantonnements et Gousseault en passe la revue à 16 heures.

À la décision de ce soir, nous apprenons qu'il va être formé dans chaque division, une compagnie routière, destinée à remettre en état les voies de communication lors de notre avance !!...

À cet effet, chaque compagnie doit fournir au bataillon les noms de 21 poilus des classes les plus anciennes ; aussi j'espère bien être débarrassé de Leyris ; pour encadrer cette compagnie, le sous-lieutenant Chapron, qui a 41 ans, est également proposé.

 

Cet après-midi, Weiter éprouve le besoin d'aller faire un tour à Paris, et il prend le train vers 17 h sans avertir personne.

Pauvre type !

Cela va certainement lui coûter cher !!...

 

Le maréchal des logis Bernard partira probablement en permission demain soir, c'est tout de même révoltant !

Voyant que nous allons entrer d'ici peu dans la fournaise, il se débine comme un saligaud, prenant la place d'un poilu de la compagnie qui peut-être se fera casser la gueule au lieu de Bernard.

Cette façon de se conduire est vraiment celle d'un lâche, d'un froussard !!... Ah, la voilà bien cette mentalité de tous ces capitalistes, de ces nobles qui vivent à la sueur du peuple !!... Ah, on n'en voit pas un seul de ces salauds dans les tranchées et lorsque vient le moment critique, ils se débinent prudemment à l'arrière, laissant le peuple se faire trouer la peau pour sauver leurs millions.

 

Ah oui, les malheureux fantassins sont bien des poires et sont considérés comme tels par ces crapules là.

Et ce sont ces gens qui vous parlent de patriotisme qui, sous le prétexte que leur pays est envahi, viennent ?? Bien haut qu'il faut lutter jusqu'au bout, mais qu'au moins ils viennent nous donner un coup de main pour le délivrer leur pays.

Dans ces familles de capitalistes, il n'y aura pas beaucoup de deuils ; Bernard a 8 frères ou beaux-frères sur le front, sur ce nombre, il n'y en a pas un seul qui ait été blessé : ils sont tous embusqués dans des états-majors et je suis persuadé qu'aussitôt sa nomination de sous-lieutenant reçue, Bernard lui aussi sera affecté à un état-major !!...

La vue de ces choses répugnantes n'est pas sans dégoûter profondément les poilus et influence leur moral qui n'est déjà pas bien élevé !!...

Allez donc, braves gens, verser votre sang pour le profit de ces voyous !!....

C'est vraiment écœurant !!...

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mardi 17 avril : Nogent-l'Artaud

Ce matin, la compagnie doit désigner 1 officier, 1 sous-officier et 2 hommes pour aller faire un stage afin d'apprendre le fonctionnement du nouveau fusil automatique dont on va doter le soldat français : ce sont le sous-lieutenant Marinet, le sergent Mourey et les soldats Wurfeld et Faguin qui sont désignés.

 

Comme il ne reste plus de chef de section à la 1ère section, le nouveau capitaine m'y affecte pour la durée de l'absence du sous-lieutenant Marinet. Ceci est loin de me plaire, si je n'ai pas tenu à être nommé sous-lieutenant c'était pour rester à la 2ème section, mais maintenant que je vois que je vais faire la navette d'une section à l'autre, je profiterai de la 1ère occasion pour accepter le galon.

 

Ce matin, il y a simplement revue de vivres de réserve à 9h30 et rapport à 10h30.

Le temps est toujours très mauvais, la pluie ne cesse de tomber. Nous n'avons décidément pas de chance pour poursuivre notre offensive que les journaux ont annoncé ce matin.

Cette fois, les Boches n'ont pas l'air de vouloir reculer comme ils l'ont fait dans la Somme et je crois bien que la partie va être dure. Je suis persuadé également que nous n'allons pas tarder à entrer en ligne !!...

 

Ce midi, le sergent Garçon, dans le civil directeur ou plutôt inspecteur des enfants assistés, arrive à la compagnie et est affecté à la 3ème section.

 

Cet après-midi, il y a théorie pour les F.M.

Et pour les grenadiers, pendant ce temps, je reste tranquillement à écrire.

Le bataillon reçoit l'ordre de se tenir prêt à faire mouvement demain, mais ce soir il n'y a pas encore d'ordre.

Le maréchal des logis Bernard est bien embêté, sa permission n'étant pas arrivée, il va lui même au bureau du colonel pour la chercher, mais elle n'est pas encore signée, cependant il en revient plus rassuré car il sait que demain nous faisons simplement étape !...

Mercredi 18 avril-Hondevilliers

Leyris passe à la compagnie routière.

Arrivée à Hondevilliers (*)

 

Hier soir à 21 h, l'agent de liaison de la section vient avertir que nous partons demain matin (6 h).

Rassemblement de la compagnie à 5h50.

Par suite, il faut se lever de bon matin à 4h ½.

Nous allons à 8 km plus à l'arrière de Hondevilliers (patelin où nous avions passé en venant à Nogent-l'Artaud).

Le temps ne nous favorise pas, il tombe de la neige à moitié fondue et il fait froid.

La compagnie cantonne à Hondevilliers dans une grande ferme inhabitée et ma foi, nous ne sommes pas mal logés.

 

Ce midi, les hommes désignés pour former la compagnie routière quittent la compagnie pour aller à Flagny (1500 m au NE d'ici). Ont été pris pour former cette compagnie tous les hommes des classes antérieures à 1903, aussi à la section, Leyris nous quitte.

Toute la nuit dernière et toute la journée nous ne cessons d'entendre le roulement continuel du canon ; jamais je n'en ai encore entendu de pareil (il est vrai que cela fait plus d'effet au loin qu'auprès !) mais il doit se passer quelque chose de terrible entre Soissons et Reims ! (**)

D'ailleurs d'après les communiqués d'aujourd'hui, nous avons attaqué et fait 10000 prisonniers.

 

La journée se passe à installer le cantonnement mais je suis complètement dégoûté d'être affecté à la 1ère section et je vais parler au capitaine et si besoin au Commandant.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Il s’agit de l’offensive du Chemin des Dames, commencée le 16 avril.

Jeudi 19 avril-Hondevilliers

La matinée se passe à faire une théorie sur le F.M.

 

Cet après-midi, il y a pour les cadres exercice de liaison par avions : la compagnie, pendant ce temps, va simplement faire une petite promenade jusqu'à Sablonnières.

 

Ce midi, le bureau doit fournir un état proposant 1 officier, 3 sous-officiers et 4 caporaux par compagnie pour aller au dépôt divisionnaire ; ces types sont destinés à revenir à la compagnie et à combler les vides lors de la « 1ère casse » qu'il y aura.

 

Comme officier, c'est le sous-lieutenant Tricot qui part à la compagnie. Comme sous-officiers, le capitaine avait proposé Légé, Mourey et Buissière : grâce à mon intervention, c'est Alphant qui est proposé au lieu de Buissière.

Maintenant il est tout à fait injuste que Légé et Mourey y aillent (ils ont été embusqués assez longtemps tous les 2) mais Chapron n'a pas voulu se priver de Figeac, aussi pour son besoin personnel, Chapron pourra faire « casser la gueule » à Figeac, alors que ce devrait être un autre qui serait à sa place : voilà encore une injustice que le capitaine Coste n'aurait pas commise !...

 

Comme caporaux, il y en a un par section : Bouillard, Marguet, Magnet et Grégoire.

Tout ceci nous laisse à entendre que d'ici peu il va y avoir un coup dure où pas mal de types laisseront leur peau : ceux qui vont aller au D.D. (*) vont au moins éviter ce coup !...

Après la promenade, le capitaine fait une petite théorie aux gradés sur la discipline de marche et sitôt la théorie finie je profite de l'occasion pour réclamer au capitaine, en présence de Chapron et de Tricot, au sujet de mon affectation à la 1ère section.

Je lui fais ressortir que c'est moi le plus ancien chef de section de la compagnie, que j'ai toujours eu la 2ème section et que réglementairement s'il y a 2 officiers à la compagnie, ils doivent avoir la 1ère et la 4ème section. Voyant que le capitaine s'entêtait à m'affecter à la 4ème section, je fais valoir que si je n'ai pas tenu à être nommé sous-lieutenant, c'était pour rester à la 1ère compagnie et surtout à la 2ème section.

 

Finalement, j'ai gagné, non sans mal mon procès et le sous-lieutenant Chapron passe à la 4ème section. Maintenant, à la 1ère occasion j'accepterai les galons de sous-lieutenant !...

Le sous-lieutenant Chapron est bien attrapé : il a voulu garder Figeac et finalement, il ne l'aura pas.

Figeac, de son côté, est furieux contre lui car c'est de la faute à Chapron si Figeac ne va pas au D.D.

 

(*) : D.D. : Dépôt Divisionnaire

Vendredi 20 avril-Hondevilliers - Les poilus sont de parfaits idiots

Pernod (caporal) rentre de permission. Je reviens à la 2ème section (*)

 

Ce matin, après une heure de théorie sur le F.M., nous allons faire un peu d'escrime à la baïonnette, puis jeux sous la direction de Chapron.

Après le rapport, Chapron me fait réunir la 2ème section pour qu'il lui fasse ses adieux ; aussitôt la section rassemblée, je me débine car je ne tiens pas à être présent à ces adieux.

Cependant, sitôt les adieux terminés, je sais par Figeac et Marguet ce qu'il a dit.

Voici d'ailleurs à peu près ses paroles :

« Je passe à la 4ème section. Je quitte la 2ème section avec beaucoup de regrets car vous êtes tous de braves garçons à part quelques brebis galeuses que je ne veux pas nommer ; c'est certainement la meilleure section de la compagnie, en la personne du sergent Figeac, je vous serre tous la main ».

 

Maintenant, je vais être certainement mal considéré par Chapron, mais tant pis !...

 

Cet après-midi, nous allons faire un peu d'exercice à 2 km du cantonnement et sur le terrain, le capitaine nous fait (aux gradés) une drôle de théorie.

D'après lui, nous devons considérer les poilus comme de parfaits idiots ; depuis 3 ans que dure la guerre, les plus intelligents sont soit montés en grade soit embusqués comme scribouillards dans les bureaux, les états-majors à l'arrière ou comme automobiliste etc., etc. si bien que l'intelligence moyenne des poilus est bien inférieure à la moyenne ; par suite les gradés ne doivent pas faire appel à l'intelligence des hommes mais simplement à leurs réflexes.

On doit les considérer comme de purs automates qui savent simplement mettre un pied devant l'autre.

Je veux bien que les malheureux types de la campagne soient ainsi considérés mais qu'on ait au moins la pudeur de ne pas leur dire !...

Ce capitaine me fait mauvaise impression et nous avons beaucoup perdu lorsque le capitaine Coste nous a quitté. Cet Allène est le type « casse gueule » et je crois bien que la 1ère compagnie ne sera guère ménagée avec lui.

Il y a aujourd'hui des propositions pour sergent et pour caporal ; à la 2ème section, Escoffier est proposé pour caporal et à la compagnie, le caporal Monnerat pour sergent.

Le caporal Pernod rentre de permission ce soir. Le temps se remet peu à peu au beau et aujourd'hui il fait assez bon, mais la végétation est bien en retard pour la saison !...

Le marmitage qui avait fait rage toute la journée d'hier semble s'être apaisé un peu aujourd'hui.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Samedi 21 avril-Hondevilliers

Martin, Dumont et Moinet partent en permission. Mollet passe téléphoniste à la CHR. (*)

 

Trois types de ma section sont partis en permission ce matin : Martin, Dumont et Moinet.

L'exercice se borne ce matin en une heure de jeux.

 

Cet après-midi, il y a marche du bataillon, nous faisons une douzaine de km en faisant le tour par Boitron.

Le capitaine part en permission cet après-midi en même temps que son ordonnance Jacquemard.

À propos de cet ordonnance, j'ai appris que c'est un jeune type classe 17, bachelier, ayant au moins 600.000 F de fortune, qui est venu au front pour rester ordonnance du capitaine qui d'ailleurs est son cousin.

Voilà bien maintenant la mentalité de ces types pour ne pas aller au front, font abstraction de tout amour propre, de leur dignité personnelle au point d'accepter à laver le pot de chambre de leur cousin ; c'est vraiment honteux et pour l'ordonnance et pour le capitaine, je suis écœuré de voir une telle mentalité !!...

 

La décision de ce soir porte les nouvelles nominations de sergents et de caporaux, toutes les propositions ont été acceptées et Escoffier reste comme caporal à la 2ème section.

Mollet, de ma section, passe comme téléphoniste à la compagnie hors-rang ; je perds ainsi un de mes meilleurs soldats et un des plus anciens de la compagnie ; c'est d'ailleurs bien à son tour de s'embusquer un peu et j'en suis heureux pour lui.

 

(*) : CHR = Compagnie Hors Rang. Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 22 avril-Hondevilliers-Les économies sur la nourriture des poilus

Repos toute la journée comme à l'ordinaire seulement comme il y a demain une revue de la division par le général Fayolle commandant l'armée, et le général Mollandin commandant la division.

Les poilus doivent nettoyer leur équipement, musette et bidon pour cette maudite revue.

 

Luminel, depuis longtemps affecté au D.D., vient à la compagnie et est flanqué à ma section.

Depuis que le mode de ravitaillement est changé, les poilus sont très mal nourris et cela commence à rouspéter. À mon avis, le gouvernement a grand tort de chercher à faire des économies sur la nourriture des poilus car c'est à cela que l'on devrait toucher en dernier lieu. En tout cas cela va produire certainement bien mauvaise impression en France car les poilus ne vont pas manquer de l'écrire chez eux.

 

Comme dans toute cette région, le gibier foisonne. Je vais à la chasse cet après-midi en compagnie de Chabut et d'Alphant. Pour comble de malchance, nous ne voyons aucun gibier et devons revenir bredouilles.

La revue ayant lieu de bon matin, nous devons faire nos préparatifs après la soupe ; pour ma part, je repeins mon casque, ma boîte à cagoule, je nettoie mon équipement, mon sabre.

Le temps s'est remis à peu près au beau, il en est d'ailleurs bien temps car vraiment au point de vue végétation, tout est bien en retard cette année.

Lundi 23 avril-Hondevilliers

Revue du général Fayolle. (*) 

 

Il faut se lever sitôt après le réveil, le rassemblement de la compagnie ayant lieu à 7h ¼.

Heureusement, le terrain où a lieu la revue se trouve tout près d'ici, à environ 1 km 500 sur la route de Nogent-l'Artaud.

Sont présents à la revue les 1er et 31ème B.C.P. avec les 149 et 158ème régiments d'infanterie.

 

Le général Fayolle arrive vers 9h ¼ après être passé à pied devant le front des régiments (fantassins et chasseurs). Il décore le fanion du 31 B.C.P de sa 2ème palme et remet la fourragère au commandant du bataillon ; il remet ensuite la croix de guerre au drapeau du 118 et à cette occasion fait un petit speech en disant qu'il espère que dans les prochains combats, dans quelques jours, le 118 obtiendra sa 2ème citation et aura ainsi lui aussi droit au port de la fourragère.

 

Aussi, d'après les propres paroles du général Fayolle, nous n'allons pas tarder à monter nous aussi sur la brèche. Je crois bien que les états-majors commencent à se rendre compte que la guerre de mouvement est une illusion et alors, nous troupes de la poursuite qui n'aura pas lieu, nous sommes destinés à aller aux tranchées comme les copains.

 

D'après les « on dit », les troupes qui ont attaqué entre Soissons et Reims ont subi des pertes terribles : le 20ème corps particulièrement aurait été durement éprouvé, ses pertes en tués, blessés, disparus auraient dépassé le 339. (**)

 

Sitôt après la revue, les troupes défilent devant Fayolle en colonne par 8. Cette fois la 1ère compagnie défile d'une façon pitoyable, nous ne marchons même pas au pas, la faute en est imputable à la musique qui nous oblige à changer de pas juste devant le général.

Les ordres pour le départ de demain arrivent ce soir. Nous quittons Hondevilliers à 5 heures.

 

La 3ème compagnie joue cet après-midi contre les téléphonistes et est battue par 2 buts à 1.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : L’offensive du Chemin des Dames est très meurtrière. Dans les jours suivants, elle se transformera en hécatombe, plus de 100 000 pertes.

Mardi 24 avril-Marigny-en-Auxois (Aisne)

Arrivée à Marigny-en-Auxois (*)

 

Réveil à 4h. Rassemblement à 5h ¼.

 

Départ à 5h ½. Nous devons aller cantonner à La Voie-du-Châtel (distance approximative, 24 km). Nous passons par La Noue, Pavant, Charly-sur-Marne où restera la division, Villiers-sur-Marne, Domptin et Coupru.

Contrairement aux ordres donnés, nous allons non à La Voie-du-Châtel (patelin trop petit pour loger un bataillon) mais à Marigny-en-Auxois avec le 3ème bataillon et le colonel.

Du haut des collines dominant Pavant, nous avons une vue magnifique sur la vallée de la Marne, qui à cet endroit n'est pas très large.

Nous remplaçons, à Marigny, de la cavalerie et des autos-mitrailleuses qui sont reparties plus à l'arrière (du côté de Meaux). Puisque l'on renvoie ainsi la cavalerie à l'arrière, il est certain que le commandement se rend compte maintenant de l'impossibilité de percer le front.

 

Des bruits assez fâcheux circulent même, d'après lesquels nous serions tombés sur un formidable bec entre Soissons et Reims ; il paraîtrait même que le général Marchand serait prisonnier avec plus de 10000 hommes (la faute en serait imputée aux troupes unies qui n'ont pas voulu marcher) et serait même question de mettre à pied le général Nivelle.

 

Le 20ème corps serait relevé et serait maintenant au repos au Tréport.

Ce matin, la 10ème armée est montée en ligne, le 170ème est parti en camions-autos ce matin.

Maintenant nous ne sommes plus troupes de poursuite nous somme armée de réserve (1ère armée, général Fayolle) destinée à relever l'armée qui vient de monter en ligne où à opérer dans un autre coin.

 

Cet après-midi, installation des cantonnements, qui sont loin de valoir ceux d'Hondevilliers, cependant je ne suis pas trop mal ayant trouvé un petit coin avec Figeac.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mercredi 25 avril-Marigny-en-Auxois

Anniversaire de mon arrivée au front. (*)

 

Ce matin, il n'y a pas grand-chose : travaux de propreté puis théorie par le sergent Garçon sur les maladies vénériennes.

 

Cet après-midi, exercice de compagnie : la compagnie détache en avant d'elle une section comme avant-garde et de juste c'est la 2ème section. Ce n'est pas trop pénible et à 15h nous sommes de retour au cantonnement.

Il y a ensuite distribution d'effets et à cette occasion, j'ai encore une pique avec Fiard qui ne veut pas me passer une capote pour que j'en fasse faire une veste.

Ce Fiard est vraiment dégoûtant pour les sous-officiers et dans aucune autre compagnie les sous-officiers sont aussi mal nippés qu'à la 1ère.

Enfin tant pis !!...

 

D'après les bruits qui courent, nous serons ici encore pour quelques jours, aussi peut-être aurais-je le plaisir de voir revenir le camarade Bernard avant de monter en ligne.

Les journaux n'annoncent toujours rien au sujet du général Nivelle. À mon avis, il est impossible de le balancer immédiatement, car ce serait avouer notre échec, ce qui serait loin de rehausser le moral du peuple. (**)

 

Ici à Marigny-en-Auxois, les Boches sont restés une semaine et bien qu'ils n'aient ni tué ni incendié, ils ont laissé de bien tristes souvenirs : plusieurs jeunes filles ont été victimes de ces bandits sans pudeur qui les ont violentées. Heureusement pour les habitants les Boches n'ont pas séjourné ici, ils n'ont fait que passer et repasser encore plus vite : ce sont les Anglais qui les poursuivaient.

Ce soir, je fais une partie de football avec la 1ère et la 3ème compagnie qui est cantonnée à environ 2 km d'ici. À cette 3ème compagnie, il paraît que 2 sergents, Colt et Etienne vont être cassés pour s'être saoulés le dernier jour de notre séjour à Hondevilliers.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : George Nivelle s'obstine sur l’offensive, et reprend l’assaut au début du mois de mai. Les troupes sont démoralisées, elles perdent la confiance en leurs chefs ; les premières mutineries éclatent. Nivelle est remercié et remplacé le 15 mai 1917 par Philippe Pétain.

Jeudi 26 avril

Pendant que la Cie va à l’exercice, je reste tranquillement à écrire, l’adjudant dirigeant la Cie, demain ce sera l’inverse.

Me voilà maintenant dans ma deuxième année de front. Voilà en effet un an hier que je suis arrivé au 158ème (1ère Cie) à Somme-Yèvre.

 

Cet après-midi, nous allons faire un peu d’exercice sur le terrain habituel.

Comme nous étions tranquillement à la popote ce soir, à fêter les St Fernand et St Aimé, fêtes de nos camarades Buissirès et Bonamour, on voit apporter une note par laquelle le régiment doit se tenir prêt à faire mouvement demain.

Il paraîtrait que nous retournerions plus en arrière du côté de Châlons-sur-Marne, afin de dégager la zone nord occupée par la division.

D’après les bruits qui courent, le grand Q.G. ne considèrerait pas notre échec entre Soissons et Reims comme définitif, il paraitrait que l’on va remettre cela sur un autre point du front.

En attendant voilà exactement 4 mois que nous sommes au repos et vraiment nous n’avons pas à nous plaindre.

 

Il y a à peine une heure que l’ordre est arrivé, qu’un contrordre arrive : « mouvement différé de 24 heures. » Nous pouvons passer tranquillement notre soirée.

J’ai oublié de marquer en son temps l’ordre du jour que le général Nivelle avait adressé aux troupes avant l’offensive : il était ainsi conçu :

« L’heure est venue……Courage !........Confiance !........Vive la France ! » (Il paraîtrait que l’heure de la percée n’est pas encore arrivée….)

Toujours d’après les « on-dit », il y aurait 5 généraux de division, dont Mangin, mis à pied, et cette offensive loupée nous aurait coûté plus de 90 000 hommes.

On parlerait de Pétain comme successeur de Nivelle. (*)

 

(*) : Nivelle sera remercié et remplacé le 15 mai 1917 par Philippe Pétain.

Vendredi 27 avril-Marigny-en-Auxois

Ce matin, des bruits circulent qu’il y aurait de fortes chances pour que nous restions encore quelques jours à Marigny (les 2 autres bataillons seuls feraient mouvement et nous resterions ici avec le colonel.)

 

Aujourd’hui, c’est à moi de conduire la Cie à l’exercice (escrime à la baïonnette et jeux.)

 

Cet après-midi, nous allons sur un terrain, près de Bussiares, faire de l’école de bataillon sous le commandement de Gousseault avec les 3 autres Cie.

Cet exercice est loin de plaire à Messieurs les commandants de Cie et en particulier à Tricot qui est bien embarrassé.

Pour revenir, nous passons par la Voie du Châtel et ce n’est qu’à 18 h que nous rentrons à Marigny.

Nous étions en train de manger tranquillement, lorsqu’une note nous parvient :

« La division fera mouvement demain après la soupe du matin. »

 

Immédiatement les « canards » circulent : d’après les uns nous prendrions les autos pour nous acheminer au front, d’après les autres nous ferions simplement ce petit mouvement prévu hier et irions un peu en arrière pour regagner la zone Nord occupée par la division : c’est épatant, chaque fois qu’il arrive ainsi un ordre de faire mouvement, tous veulent être mieux informés les uns que les autres et en définitive personne ne sait rien.

 

Lansue (4ème section) qui rentre de permission ce soir, a vu Bernard en gare de Nogent-l’Artaud : j’aurai donc le plaisir de le voir monter aux tranchées avec nous…..

Décidément nous sommes destinés à nous balader (4 jours dans un patelin, 2 dans un autre et ainsi de suite) comme le juif errant.

En tout cas, nous n’avons pas à nous en plaindre et pendant que nous nous baladons ainsi, le temps passe petit à petit et la fin de la guerre approche aussi peu à peu.

À la décision de ce soir, Cave passe à la section de discipline, aussi je vais être bien débarrassé.

Samedi 28 avril-Domplin

Moinet rentre de perm. (*)

Arrivée à Domptin. (*)

 

Les ordres pour le départ sont arrivés cette nuit, nous quittons Marigny à 10 h pour aller à 6 km en arrière à Domptin. Nous devons être remplacés ici par le 2ème bataillon.

Ces changements continuels sont loin de me plaire et je préfèrerais de beaucoup un long séjour dans un seul patelin.

 

Nous laissons à Marigny une « chouette » popote chez Mme À Rivière. Marigny-en-Auxois par Montreuil-aux-Lions ; espérons que nous allons trouver à peu près aussi bien à Domptin.

 

Rassemblement de la Cie à 9h30, car il faut que nous soyons à 9h45 en face la maison du colonel pour prendre le drapeau, c’est souvent à la 1ère Cie que revient cet honneur dont nous nous passerions fort volontiers.

L’étape n’étant pas longue, n’est pas pénible et à midi moins le quart, nous sommes arrivés à notre nouveau cantonnement.

La 2ème section est très bien cantonnée dans une maison inhabitée : il n’y a qu’un ennui, c’est qu’il n’y a pas de paille et nous en touchons une quantité vraiment dérisoire (100 kg pour la Cie.)

En arrivant à Domptin, nous retrouvons le camarade Bernard, arrivé ici avant nous.

 

Cet après-midi, il n’y a pas grand-chose à faire : simplement installation des cantonnements et revue des masques.

Ces masques contre les gaz deviennent de plus en plus précieux, au cours d’une attaque par les gaz faite par les boches sur une division française, il y a eu 2050 hommes intoxiqués et 500 morts : ceci a eu lieu tout dernièrement dans les environs de Reims.

Nous avons la bonne fortune de trouver à Domptin des lits pour tous les sous-officiers, pour ma part je couche avec Figeac dans un bon lit chez la propriétaire de notre popote.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 29 avril-Domptin

Bouchet caporal part en permission. (*)

Cave à la section de discipline. (*)

 

Hier soir, Moinet est rentré de permission, mais ce matin j’en perds 2 autres : le caporal Bouchet part enfin en permission et Cave est conduit à la section de discipline ; je suis ainsi débarrassé d’une belle fripouille.

Dans notre bon lit, nous avons passé une bien bonne nuit et je souhaiterais rester longtemps à Domptin, malheureusement il paraîtrait que nous n’y soyons que pour 3 ou 4 jours.

 

À 10 heures, il y a réunion de tous les officiers et sous-officiers du bataillon à l’école pour assister à une conférence faite par le commandant Gousseault sur les masques contre les gaz.

Cette petite causerie est très intéressante et montre combien il est important de bien entretenir son masque, de bien l’ajuster et de savoir le mettre rapidement.

 

Aujourd’hui, il fait un temps superbe, une vraie température d’été et c’est certainement la plus belle journée et surtout le plus beau matin de cette année.

 

Cet après-midi, nous avons la visite des camarades Pollet, Légé et Lacote du dépôt divisionnaire, qui en ce moment se trouve à Villiers-sur-Marne, à 1800 m d’ici.

Maintenant, je crois que voilà le temps remis au beau, il va bientôt falloir quitter la capote et rechercher l’ombre.

 

Après la soupe, nous allons faire un petit tour : il fait délicieux de prendre l’air avec cette douce température…

Je ne sais pas à quoi attribuer les coliques qui depuis 2 jours ne me laissent pas de repos : la diarrhée m’a repris et je fais du sang presque pur, j’espère bien que cela ne va pas avoir de suite et que ce n’est qu’un reste de ma maudite dysenterie.

Ah ! Quelle belle journée il a fait aujourd’hui !!...

C’est de beaucoup la plus belle de cette année !!...

Espérons que le beau temps va continuer et faire oublier les longs jours d’hiver que nous avons eu cette année.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Lundi 30 avril-Domptin

Le temps est toujours superbe (le mois d’avril veut décidément se faire regretter !)

Maintenant il fait bien bon se promener dans les champs, ou à travers bois de bon matin ou le soir.

Ah ! S’il tombait un peu d’eau, avec cette température, comme tout pousserait !!

 

Ce matin, l’armurier du régiment passe une inspection de tous les fusils de la Cie : près de la moitié ont besoin de réparations.

Les journaux d’aujourd’hui annoncent la nomination du général Pétain aux fonctions de major général, on conserve Nivelle probablement pour ne pas affoler l’opinion publique.

Mais à mon avis que ce soit Pétain, Micheler, ou Nivelle ou n’importe quel autre qui ait la direction des opérations militaires, je suis persuadé que toute offensive de notre part est vouée d’avance à un échec et que là où les boches voudront résister, nous ne pourrons percer.

 

Cet après-midi, nous allons du côté de La Baudière, et pendant que les hommes de la Cie jouent, le sous-lieutenant Marniet fait une théorie aux gradés sur le nouveau fusil R.S.C. et nous apprenons à le démonter et à le remonter. (*) 

En ce moment il y a 4 fusils R.S.C. par Cie (1 par section confié à un sous-officier), il y en aura bientôt 16 (4 par section) et avant la fin juin il faut que toute l’armée française en soit pourvue.

Le nouveau fusil est aussi destiné à remplacer le fusil Lebel, il est à chargement automatique, et on peut tirer les 5 cartouches du chargeur sans manœuvrer la culasse.

Par contre il est plus lourd que le Lebel 1 kg 035 de plus et 3cm de plus comme longueur.

Je ne vois pas que cette nouvelle arme ait énormément d’avantages sur le 1886, car je crois qu’elle s’enraye facilement, et quelle dépense considérable cela ne va-t-il pas causer !!

En ce moment on en fabrique 1000 par jour à St Etienne.

Ce fusil a les mêmes inventeurs que le fusil mitrailleur.

 

(*) : Le fusil semi-automatique R.S.C (Rebeyrolle-Sutter-Chauchat), ou FSÀ 17, ou encore "Lebel automatique" à été mis en production en avril 1917 et distribué ensuite aux meilleurs tireurs dans les compagnies. Il s’agissait de transformer le chargeur tubulaire du Lebel en un système semi-automatique. Ce n'était pas une petite affaire. On en fabriqua près de 85 000 exemplaires. Mais elle s'avéra peu fiable, mal équilibrée, et s'enrayait avec une étonnante facilité.

Si cette arme avait été mieux réussie, ou si le programme n'avait pas été abandonné en 1921, l'armée française aurait été la première au monde à disposer d'un fusil semi-automatique comme fusil standard de l'infanterie.

 

Mai 1917 : Domptin (Aisne) – L’attitude des Chasseurs - Grisolles - Hartennes - L’anarchie des permissions - Puiseux-en-Retz – Le prémices des mutineries

Mardi 1er mai-Domptin

Voilà le mois de mai arrivé avant que nous ne remontions aux tranchées !

Et ce 1er mai sur lequel on compte pour les grèves en Allemagne ! Que va-t-il donner ?

Bien peu de choses fort probablement…

 

Le temps est toujours superbe, aussi les cultivateurs ne perdent pas de temps et la culture avance, d’autant plus qu’ayant reçu des instructions pour aider les agriculteurs, les Cies fournissent des travailleurs à ceux qui en font la demande.

Vu le beau temps et même la forte chaleur pour la saison, la tenue pour tous les exercices sera maintenant en veste, les hommes seront ainsi beaucoup mieux qu’en capote.

 

Cet après-midi, nous allons à environ 1 km ½ au N.E. de Coupru avec tout le bataillon faire de l’école de bataillon.

Le lieutenant-colonel Nurit nous y rend visite, comme toujours après ces évolutions, nous rentrons tard au cantonnement (5 heures ¼.)

Depuis le nouveau système de ravitaillement, les poilus sont beaucoup plus mal nourris et ne manquent pas de l’indiquer dans leurs lettres, cela doit produire bien mauvaise impression à l’intérieur.

Ma Berthe a déjà connaissance de cet état de choses et m’en parle dans sa lettre d’aujourd’hui.

Pour la première fois cette année, j’ai aperçu des hirondelles, voilà donc les messagères des beaux jours revenues, cela fait plaisir.

 

Ce matin, nous pouvions encore entendre facilement les roulements de canon.

N’est-il pas triste de penser que les beaux jours qui venaient nous apporter la joie, le bonheur de vivre, nous apportent au contraire le deuil, avec cette boucherie qui n’en finit pas, car maintenant avec le beau temps, l’activité sur le front reprend de plus belle.

Mercredi 2 mai

Nous pouvons toujours entendre très distinctement le roulement du canon et il ne doit pas faire bon en ce moment sur le front de l’Aisne, je plains bien sincèrement ceux qui s’y trouvent.

Quant à nous, nous devons nous estimer vraiment chanceux d’être resté si longtemps au repos et ma foi ce serait bien à notre tour : maintenant nous pouvons payer en gros en quelques jours le bon temps passé depuis plus de quatre mois.

 

Aujourd’hui, l’exercice se borne à très peu de chose : ce matin la section au combat du côté de la ferme du Larget et cet après-midi courses et jeux avec 10’ d’entraînement au port du masque.

Jeudi 3 mai

Ah ! Ce n’est pas sain de coucher dans un bon lit, car c’est moitié plus pénible pour se lever.

Heureusement qu’il n’y a pas grand-chose ce matin, nous allons simplement prendre des douches par section, voilà déjà longtemps que nous n’en avions pris, aussi cette douche nous fait beaucoup de bien.

 

La température est toujours aussi lourde, aussi la sècheresse se fait déjà sentir et une journée de pluie donc ferait beaucoup de bien.

Le bruit court de plus en plus que nous avons des chances d’aller faire un tour à Salonique, nous serons très probablement fixés à ce sujet d’ici quelques jours. Pour moi ce me serait égal de retourner là-bas, mais ma pauvre Berthe en serait bien affectée, aussi tout bien pesé, je préfère rester sur le front français.

(La Cie touche ce midi 8 nouveaux fusils R.S.C., 2 par section.)

 

Cet après-midi, même exercice qu’hier, qui ma foi n’est pas trop pénible, mais la chaleur amollit les poilus et je crains bien que moins on en fait, plus c’est mal, c’est malheureux, mais c’est là la mentalité des poilus.

Il est à peu près certain que le pourcentage des permissions va être augmenté jusqu’à 13% : ceci nous montre que nous n’allons pas encore monter en ligne de sitôt.

 

Le capitaine Tallotte et Chapez vont ainsi partir, c’est tout de même malheureux, tous les officiers vont au moins 3 fois en permission pendant que les malheureux poilus y vont à peine 2 fois.

Voilà bien ce qu’on appelle justice dans le métier militaire !!

Notre capitaine Allène ne va sans doute pas tarder à rentrer. Dommage qu’il ne reste pas chez lui.

Vendredi 4 mai-Domptin

Ce matin, nouvel exercice du bataillon du côté de Coupru et nous rentrons avec une bonne heure de retard.

 

Heureusement que cet après-midi il n’y a pas grand-chose : courses et jeux avec 10’ d’entraînement au port du masque.

Par ici, bien qu’il n’y ait pas très longtemps que le pays est occupé par la troupe, les mœurs sont perverties comme dans toute la zone des armées et c’est vraiment honteux d’y voir la conduite de jeunes filles ou femmes même mariées.

Heureux ceux qui peuvent avoir confiance en la fidélité de leur épouse !!

Ils sont malheureusement bien peu nombreux, surtout dans cette région qui héberge la troupe.

Samedi 5 mai

Comme tous les jours où il n’y a pas de manœuvre de bataillon, l’exercice se borne à peu de chose : le sous-lieutenant Tricot ne nous « emmerdant » pas de trop.

 

Ce matin, exercice du côté de la ferme du Larget et ce soir courses et jeux.

La chaleur continue d’être accablante et cette fois je crois que la nuit ne se passera pas sans orage, il est temps qu’il vienne un peu d’eau, car la terre est déjà bien sèche et l’herbe ne pousse guère.

Par ici, presque tous les cultivateurs sont obligés d’ensemencer de nouveau leurs terres à blé : la gelée de cet hiver en ayant fait périr de nombreux pieds, d’où double travail et double dépense.

Dimanche 6 mai

Pour la prise d’armes de ce matin, il faut encore se lever de bonne heure (6h), car le rassemblement est à 7h ½. Comme d’habitude, c’est la 1ère Cie qui est « de drapeau », heureusement qu’aujourd’hui n’est pas trop pénible.

 

Cette nuit, le temps s’est rafraîchi considérablement et ce matin, il fait même froid.

Pendant la revue, la pluie ou plutôt neige à moitié fondue, ne cesse de tomber et à rester au « présentez armes », il ne fait pas chaud.

 

Aujourd’hui, il y a quantité de décorés : tous ceux qui ont été cités par suite de 2 blessures reçoivent la croix de guerre, il y en a au moins une centaine sur les 2 bataillons.

Le colonel décore également de la croix de Serbie deux sous-officiers de la Cie de mitrailleuses. C’est tout de même malheureux de donner cette décoration à des types qui n’ont rien fait pour la mériter, alors qu’il n’en manque pas au régiment qui soient allés en Serbie.

Heureusement que cela va assez vite et à 9 heures ½, tout est terminé.

 

Cet après-midi, il fait un peu meilleur, aussi la petite fête sportive organisée par l’aumônier peut avoir lieu, il y a courses de 100 m par éliminatoire de 400 et de 1500 m.

Saut en hauteur, puis match de football entre les 1ière et 3ème Cie. Pour l’occasion, nous avons recruté 3 joueurs de classe au dépôt divisionnaire et nous avons gagné facilement par 3 buts à 1.

Je crois qu’il est question de former une équipe au bataillon qui jouerait contre le 3ème (revanche.)

 

Maintenant à partir du 7 mai, le réveil sera à 5 heures, l’exercice principal aura lieu le matin et il y aura sieste obligatoire de midi à 14 heures. Cela me plait beaucoup, car au moins il fait meilleur manœuvrer le matin que l’après-midi en plein soleil.

Pour prévenir les accidents regrettables qui se sont produits dans les cantonnements de la division (des poilus étant allés à la chasse au fusil Lebel ont tué 1 civil et 1 militaire), tous les fusils de la Cie ont été rassemblés dans un local fermé à clef et le service de garde pour la chasse et la pêche va être renforcé.

Beaucoup de poilus qui vont ainsi à la chasse ne sont pas en effet assez prudents et tirent un peu n’importe où.

Lundi 7 mai

Lescafette, Graner, Paris, Chauveau et Luminel partent en permission. (*)

 

Le réveil est à 5 heures et à 6h ½ rassemblement de la Cie pour l’exercice principal de la journée qui consiste en une petite manœuvre jusqu’à Villiers et qui ma foi n’est pas trop pénible.

 

Ce matin, une vingtaine de poilus de la Cie sont partis en permission pour compléter au 13%.

À la section, il y a ainsi 5 nouveaux permissionnaires : Lescafette, Paris, Graner, Chauveau et Luminel, mais malgré cela, il y en a encore au moins une centaine avant moi et je ne compte pas y aller avant deux mois.

Le temps s’est remis au beau, c’est dommage qu’il ne soit pas tombé plus d’eau car le sol est desséché.

 

Vers 13h ½, la Cie va passer dans un appartement où on a fait dégager des gaz lacrymogènes, dans le but d’essayer les masques, ces gaz ne m’ont produit aucun effet.

 

Cet après-midi, il y a courses et jeux avec théorie sur le nouveau fusil R.S.C. ; pendant ce temps-là, je reste tranquillement à écrire à la popote.

Notre capitaine Allène rentre de permission aujourd’hui, mais je crois que nous n’allons pas le garder longtemps, les bruits courent qu’il va remplacer Tallotte comme capitaine adjudant-major : Tallotte devant être nommé commandant d’ici peu de temps.

Il paraitrait également que notre commandant Gousseault nous quitterait pour prendre le commandement d’un régiment comme lieutenant-colonel.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mardi 8 mai

Ce matin le temps est encore brumeux et pendant l’exercice, il tombe une petite pluie fine. C’est le capitaine Allène qui dirige l’exercice, nous allons du côté de la ferme du Larget.

D’après les instructions reçues par le sergent major, je vais avoir droit à la haute paye de guerre (1fs par jour), la moitié payable avec le prêt, cela me fera toujours 7fs50 de plus par prêt…

 

Cet après-midi, il y a simplement théorie par section pour les nouveaux fusils R.S.C.

Mercredi 9 mai

  Ce matin, le commandant Gousseault vient nous rendre visite au terrain d’exercice et là, après avoir « emmerdé » l’adjudant Flayeux (3ème Cie) pendant 1 heure, il attrape l’adjudant Vallin et lui fait commander une section devant tous les officiers et sous officiers du bataillon, aussi pendant 1 heure ce n’est pas le filon pour notre adjudant.

Comme dit Alphant avec juste raison :

« Le principe du commandant, c’est de prendre 3 types et de les faire passer pour 3 cons devant leurs camarades. »

Pour moi, je suis toujours bien tranquille, jamais le commandant n’est venu m’embêter.

 

Cet après-midi, théorie sur le F.M., exercice de mise de masques, courses, etc….

Jeudi 10 mai

Le temps aujourd’hui est superbe, aussi la nature est vraiment belle, tout respire la force, la fraîcheur, le bonheur de vivre !!

L’exercice de ce matin est semblable à celui d’hier avec cette différence que le commandant ne vient pas nous voir (il est allé au tir du fusil R.S.C.)

Le capitaine Allène est légèrement vaseux et par suite nous ne faisons pas grand-chose.

Le sous-lieutenant Tricot part aujourd’hui au dépôt divisionnaire et est remplacé à la Cie par le sous-lieutenant Damien qui est affecté à la 2ème section ; ce sous-lieutenant est dans le civil agent de la police des mœurs.

Vendredi 11 mai

Accident de grenades (2ème Cie) (*)

 

Ce matin, la Cie va à un exercice de lancement de grenades réelles.

À la 2ème qui nous remplace il se produit un accident : un type a laissé tomber dans la tranchée une grenade D.F. qui en éclatant a blessé 5 poilus, dont 2 assez gravement, c’est tout de même triste de se faire amocher ici au repos !!...

 

Cet après-midi, le théâtre aux armées donne une représentation pour le 158ème, plutôt que d’aller à l’exercice, je préfère y assister, quoique ces distractions ne me plaisent guère.

Cette représentation, qui n’est pas trop mal, a lieu en plein bois et est donnée par 6 acteurs et 6 actrices de la comédie française ou des variétés.

Comme tous les soirs, je vais m’entraîner une heure au foot-ball.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Samedi 12 mai-L’attitude des Chasseurs

Bouchet caporal rentre de permission (*)

 

Ce matin, il y a manœuvre : la 1ère Cie étant complétée à l’effectif de guerre par la 2ème Cie, la 3ème Cie figurant l’ennemi.

La manœuvre se passe assez bien et la 2ème section reçoit des félicitations du commandant Gousseault (fait plutôt rare), tandis qu’il engueule consciencieusement presque tous les autres chefs de section, en particulier les sous-lieutenants Marniet et Fighiera.

 

D’après les bruits qui courent, le pourcentage de permission serait encore augmenté et porté à 25% : tous ceux n’étant pas allés en permission depuis le 1er février devraient y retourner avant le 1er juin.

Cette mesure aurait été déterminée par l’attitude des chasseurs des 1er et 31ème qui seraient allés en grand nombre déposer leurs ballots au bureau de leur Cie et seraient partis en permission.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 13 mai

Le sous-lieutenant Damien qui est venu à la 2ème section, est parti en permission hier matin.

Après la chaleur accablante d’hier et d’avant-hier, l’orage se monte ce matin et il tombe une bonne averse, mais sitôt l’averse passée, il fait de nouveau un temps magnifique.

 

Cet après-midi, il y a match de football entre le 1er bataillon et le dépôt divisionnaire, nous gagnons facilement par 9 buts à 4. L’équipe du 1er bataillon était ainsi comprise :

Pernod

Sous-lieutenant de Castet

Fillette

Mathey

Mourey

Favre

Courmeau

Audouard

Compas

Counat

Varache

Aujourd’hui, il y a 2 cas d’érysipèle aux 2èmes et 3èmes Cie et 1 cas de gale à la 1ère Cie. D’après les bruits qui courent, nous allons encore changer d’armée d’ici peu.

Lundi 14 mai

Weiler rentre de permission (*)

 

Le temps est toujours aussi beau et en ce moment il fait vraiment bon vivre, la nature est magnifique : les pommiers sont maintenant en fleurs et en 8 jours tout a changé comme par enchantement.

 

Ce matin, l’exercice n’est pas trop pénible (étude de la composition des patrouilles.)

Dorénavant, nous remplirons chacun à notre tour (Vallin et moi) les fonctions d’officier de jour et ce boulot m’incombe aujourd’hui.

 

Cet après-midi se passe sans trop de mal (théories sur le fusil R.S.C.) avec ce capitaine qui se « fout » de tout, la Cie aura du moins l’avantage de ne pas trop barder à l’exercice.

Weiler rentre de permission ce soir, il est resté absent tout juste 8 jours et n’a pas « carotté ».

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mardi 15 mai

De Rivoire rentre de permission.

 

Nous avons de nouveau ce matin, manœuvre du bataillon : attaque de la ferme Le Thiolet.

Notre capitaine Allène a le commandement du bataillon et le sous-lieutenant Maricot celui de la Cie, qui cette fois encore est avant-garde et comme de juste c’est la 2ème section qui marche en tête.

La manœuvre n’a pas très bien réussi, et le commandant Gousseault qui fait la critique ne fait guère de félicitation au capitaine Allène pour la conception de la manœuvre.

Bernard se fait également attrapé par le commandant.

 

Cet après-midi, il y a seulement 1 heure de théorie. Une note arrive du colonel pour faire partir 20 % de permissionnaires, si ce pourcentage pouvait durer 3 semaines, j’aurais des chances d’aller embrasser mes chéries au début de juin.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mercredi 16 mai

Le programme prévoyait tir de 7h à 8h, comme il pleut au rassemblement de la Cie (6h ½) le capitaine fait rentrer les hommes dans les cantonnements et va prévenir le commandant qui « l’engueule » comme il convient et lui donne l’ordre d’aller au tir, aussi il faut rassembler rapidement la Cie et partir.

Nous rentrons ver 9h.

 

Jusqu’à 10h, il y a nettoyage des armes dont le capitaine passe la revue à 10h ½ (il trouve les armes de la 2ème section très propres !) Le commandant qui est allé au tir ce matin et a vu les fusils de la 2ème Cie les a trouvés très sales, aussi il fait paraitre une note au rapport à ce sujet et alors gare aux chefs de section qui auront des fusils sales dans leur unité.

Nous devons quitter Domptin demain, mais le colonel a demandé à rester jusqu’à vendredi ici pour y passer le jour de l’ascension.

D’après les bruits qui courent, nous irions encore pour une quinzaine à l’arrière (manœuvres.)

 

Ce midi, 17 types à la Cie, dont Renard, Géhin, Bouzon de la 2ème section partent en permission.

Jeudi 17 mai

Je profite largement de cette journée de repos et à 8h ½ je suis encore au lit.

 

Ce matin, il n’y a absolument rien à faire et je passe mon après-midi à boire et à jouer un peu au football, comme c’est aujourd’hui le prêt, il y a pas mal de types saouls ce soir.

Pour la 1ère fois, je touche avec mon prêt de 41f 25 la haute paye de guerre avec rappel pour le mois d’avril ; malheureusement on ne touche que la ½ de cette haute paye (0f 50 par jour), si bien que cela me fait 23f en plus du prêt habituel : au total 64f 25.

 

Ce soir, les ordres arrivent pour le départ de demain, contrairement aux prévisions, nous allons au nord et dans peu de jours, nous serons du côté du Chemin des Dames, au lieu du côté de Meaux, comme nous le pensions.

 

Hier, une note est arrivée au bataillon, afin que les sous lieutenants à T.T. (*) et les aspirants qui désirent être nommés sous-lieutenants à T.D. (*) active pour servir dans l’infanterie, fassent une demande.

Ma foi, tant pis, cette fois je me résigne et je fais ma demande, car à côté des inconvénients que présente ce grade de sous-lieutenant, il y a tout de même certains avantages : bien-être matériel au front comme dans les hôpitaux si jamais on vient à être blessé, etc…..etc…..

 

(*) : TT : à titre temporaire, TD : à titre définitif.

Vendredi 18 mai-Grisolles

Arrivée à Grisolles. Robert évacué

 

Réveil ce matin à 3h ½ et départ à 5h, c’est encore la 1ère Cie qui est de drapeau : comme aspirant je peux marcher en veste et ne suis pas trop malheureux, nous passons par Coupru, Belleau, Le Tartre et à 11h ½ nous arrivons à Grisolles.

Ce patelin est loin de valoir Domplin, on sent que nous approchons du front, bien que nous en soyons encore pour le moins à 35 à 40 km.

Le 43ème bataillon de chasseurs à pieds qui y a cantonné avant nous a laissé les cantonnements dans un état de malpropreté repoussante et la paille qui s’y trouve est remplie de totos.

 

Nous passons à peu près tout l’après-midi à dormir tranquillement à l’ombre et après nous allons boire un bon coup : malheureusement le « pinard » est excessivement cher 1f 80 le litre, c’est vraiment trop cher !!...

Quelques maisons du patelin se sont ressenties de la guerre et sont complètement détruites : heureusement que le nombre en est restreint (3 ou 4.)

Nous n’allons pas rester longtemps ici, demain nous partons pour aller cantonner à Trigny (distance 20 km), exactement dans la direction de Soissons.

Départ prévu à 7h45.

Le lieutenant-colonel Blanc part en permission ce soir, aussi c’est le commandant Gousseault qui commande le régiment, le capitaine Allène le bataillon et le sous-lieutenant Marniet la Cie.

Samedi 19 mai-Hartennes

Ce matin, je dois recommencer ma demande pour passer sous-lieutenant, le capitaine Allène l’ayant annotée. Nous quittons Grisolles à 7h 45 et au bout de ¾ d’heure de marche, nous faisons la grande halte un peu avant d’arriver à Lacroix. Nous passons successivement par Lacroix, Breny, Oulchy-le-Château, Oulchy-la-Ville, Coutremain ; nous serions allés cantonner à Tigny, mais comme il n’y a pas de place nous allons à Hartennes et Taux.

Nous passons ainsi directement la route de Soissons et d’après les ont-dit nous irions du côté du moulin de Laffaux.

 

À Hartennes, nous avons l’occasion de voir des poilus du 26ème d’infanterie (20ème corps) qui viennent de descendre du Chemin des Dames.

Ah ! Les malheureux, dans quel état ils sont !!!

Ils sont restés 32 jours en ligne, et ont eu entre 60 et 80 hommes par Cie mis hors de combat, c’est à peu près les 2 tiers des combattants.

Le jour de l’attaque du 16 avril, l’attaque a eu lieu à 6 heures du matin et à 5h ½ les boches avaient été relevés.

Aujourd’hui, nous avons rencontré un convoi d’une cinquantaine de prisonniers boches.

Ah ! Ils sont loin d’être aussi misérable que les journaux nous les dépeignent, ils respirent la force et la santé et sont mieux habillés que nous, il est vrai qu’une partie de ce convoi était formé par des officiers qui nous regardaient passer avec dédain et fierté.

 

À Hartennes, nous ne sommes pas trop mal cantonnés, mais par ici, tout atteint un prix exorbitant (2f30 le litre de pinard), à ce prix, nous allons être dans l’obligation de boire de l’eau.

 

Ce soir, le sous-lieutenant Chapron rentre de permission, et parait-il va revenir à la 2ème section.

Chauveau rentre également.

Dimanche 20 mai-Hartennes

Comme c’est aujourd’hui la fête de notre ami Figeac, nous avons fait un peu la bombe hier soir.

 

Aujourd’hui, heureusement il y a repos, certains types n’en sont pas fâchés, car s’il avait fallu faire étape aujourd’hui, il y aurait eu certainement pas mal de traînards : à ma section Cursaux, Cauty, Lalbat, Weiler, étaient bien fatigués et j’aurais même dû me « coltiner » un sac pendant une grande partie de la marche pour ne pas les voir rester à l’arrière.

 

Ce matin, il y a aménagement des cantonnements et il pourrait se faire que nous resterions une dizaine de jours ici.

 

Cet après-midi, je vais faire en compagnie d’Alphant et de Figeac un petit tour dans les bois, qui en ce moment sont magnifiques, par ici les bois sont remplis de muguet : jamais je n’en avais autant vue !!

Le temps aujourd’hui est excessivement lourd et à ne rien faire, on sue à grosses gouttes.

On sent que nous approchons du front et le mouvement ne manque pas dans les rues ; à tout moment passent des lourds camions-autos, des cyclistes, etc…

 

Ce soir, il y a match de football entre le 158ème et le 12ème régiment d’artilleur. La partie est assez dure, finalement nous gagnons par 1 but à zéro.

La chaleur est toujours accablante, aussi ce soir l’orage se monte et toute la nuit l’eau tombe à torrents.

 

À la décision d’aujourd’hui, je vois avec quelque surprise ma nomination au grade de caporal à partir du 20 juin 1915 et au grade de sergent à partir du 20 juillet 1915. Ces nominations sont probablement faites pour régulariser ma situation militaire à cause de ma demande pour passer sous-lieutenant.

 

J’ai vu aujourd’hui, un artilleur, camarade de Marguet, qui nous a donné quelques tuyaux sur l’emploi des tanks à la dernière offensive : ils sont presque tous restés entre les lignes et n’ont pas donné les résultats que l’on espérait. (*)

 

(*) : C’est exact : La zone d’attaque fut nommée par la suite « le cimetière des chars »

Lundi 21 mai-Hartennes

Comme l’exercice ne commence qu’à 7h30, je reste couché tranquillement jusqu’à 6 heures.

Maintenant nous pouvons dire adieu aux bons lits pour un bon moment et nous ne sommes pas quittes de gratter nos poux : la paille sur laquelle nous couchons en est remplie.

L’eau continuant à tomber sans arrêt, nous ne sortons point ce matin, il y a simplement continuation d’aménagement des cantonnements, puis théorie sur le F.M. et sur le R.S.C. et enfin nettoyage des armes.

 

Cet après-midi, nous allons faire un peu d’école de section, de gymnastique, avec 10’ d’entrainement au port du masque.

D’après les bruits qui courent, nous quitterions Hartennes demain pour aller très probablement à Crouy, maintenant nous ferions la route de nuit et passerions par Soissons. Le 12ème d’artillerie partirait également demain soir.

 

Hier soir, Paris est rentré de permission, heureusement, car cela me fait un fusilier mitrailleur de plus : depuis que Robert est évacué, une 2ème équipe était complètement démontée, j’ai perdu en Robert un excellent garçon, très bon F.M. et très bon soldat.

Le malheureux est sérieusement malade et j’ai grand peur qu’il n’ait la poitrine gravement attaquée et que comme sa sœur il ne fasse pas de vieux os.

 

Ce soir, Lescaffette rentre de permission, juste à temps pour monter aux tranchées.

Nous apprenons que le commandement du régiment est confié au commandant Flayeux, ancien commandant du 31ème B.C.P. : c’est paraît-il une belle vache et avec lui je crois bien que nous n’aurons pas la pause.

En apprenant cela, Gousseault qui commande le régiment en ce moment a eu un mouvement de colère et aurait dit :

« Si le régiment marche en entier, je marche, mais s’il n’y a qu’un bataillon je ne marche pas ! »

 

Cette nomination me surprend assez, mais je suis cependant bien content que Gousseault revienne au bataillon. Tant qu’à notre lieutenant-colonel en ce moment en permission et qui est père de 6 ou 7 gosses, il remplit simplement le rôle de figurant.

Mardi 22 mai

J’ai encore passé une excellente nuit et comme il tombe encore de l’eau ce matin, il y a simplement théorie sur le fusil R.S.C. et le fusil mitrailleur.

 

Cet après-midi, je vais avec, un sous-officier par section : Marchand, Farçon et Buissières étudier sur plan des travaux de retranchement faits à Parcy par le 1er B.C.P.

Là nous trouvons tout l’état-major de la division avec ce colonel Guy, j’ai l’occasion d’y voir également ce commandant Flayeux du 31ème B.C.P., qui doit venir commander le régiment un de ces jours. Ces travaux de retranchement consistent en éléments de tranchées camouflés appelés grecques.

 

À cette réunion, le colonel Guy nous donne le tuyau suivant : nous allons aller du côté de Villers-Cotterêts, et là, les commandants des Cie mettront en pratique ce qu’ils ont vu. Alors que nous nous attendons à monter en ligne demain matin, ces paroles nous laissent plutôt perplexes.

 

En rentrant, jamais je n’avais encore entendu autant de « canards » circuler dans les rues.

D’après les uns nous irions nous embarquer à Villers-Cotterêts pour être dirigés du côté de Nancy où les boches auraient attaqué, d’après les autres, la 43ème division irait relever la division qui se trouve derrière la soudure des fronts belges et anglais, etc…etc….

Désirant connaître les ordres pour demain, j’attends jusqu’à 10h mais alors il n’y a encore rien, si ce n’est que le bataillon doit faire mouvement demain matin.

Mercredi 23 mai-Montgobert

Cette fois nous savons tout de même que nous allons du côté de Villers-Cotterêts, alors que les 2 autres bataillons vont : le 3ème à Belleu et le 2ème à Semoise, beaucoup plus près du front.

 

Hier soir, notre capitaine ainsi d’ailleurs que les capitaines Tallotte et Jacques étaient saouls comme des bourriques et ce matin, ils sont plutôt vaseux.

Ah ! Quelle conduite dépravée ils mènent en ce moment !!!

Tout le long de la route, nous ne faisons que rencontrer maints convois, aussi la marche est plutôt pénible, d’autant plus que le temps continue d’être très lourd.

Chargés comme ils le sont, les poilus sont bien vite à bout de souffle et plusieurs d’entre eux dont : Conty, Weiler, Lalba sont bien fatigués en arrivant à Mongobert.

Nous sommes passés par Tigny, Longpont, dont l’église a été complètement démolie par les allemands.

 

À Montgobert, la 1ère Cie et la 1èire C.M. sont cantonnées dans la ferme du château et sont ma foi très bien.

Au château, sont logés tous les officiers, c’est là que se trouvent le bureau du commandant de la 1ère Cie, notre popote qui est très bien, etc….etc….

Tant qu’à nous, nous avons réussi à trouver des petites chambres au 3ème étage où nous tiendrons très bien.

À Montgobert, se trouve également un bataillon du 149e et le 317e B.C.P. est tout près.

Le château où nous sommes cantonnés, appartient à une duchesse et a été dans le temps, le séjour du colonel Cambacérès.

Comme architecture, il ne présente rien d’extraordinaire mais il est assez vaste et autour se trouve un parc magnifique.

Au début de la guerre, la duchesse l’avait transformé en hôpital, après la bataille de la Marne mais depuis la préparation de l’offensive actuelle il sert au cantonnement de troupes de passage.

Jeudi 24 mai-Montgobert

Le patelin où nous nous trouvons est situé à environ 15 km de Soissons : il n’a que très peu souffert du passage des boches.

 

Ce matin, la Cie est employée entièrement au nettoyage du château, de ses abords et des cantonnements. Le sergent Légé qui est revenu à la Cie est affecté sur sa demande à la 4ème section, ce dont ne suis pas trop fâché et le sergent Buissières passe à la 2ème section.

 

Le temps continu d’être magnifique aussi, je profite surtout le soir et le midi de la fraîcheur que procure le parc du château.

Cette contrée du Soissonnais est très boisée et les forêts y sont magnifiques, vivement que j’aille moi aussi en permission pour jouir un peu des beautés de ma belle Normandie !!

 

Cet après-midi, il y a simplement exercice de lancement de grenades inertes, puis course et jeux, nous allons tranquillement passer le temps de l’exercice dans la forêt à 1 km 300 d’ici, sous la direction du sous-lieutenant Damien.

Ma Berthe n’a toujours aucune nouvelle de ce pauvre René Jouvet (*), aussi je crains fort qu’il ne lui soit arrivé malheur, seul l’espoir qu’il a été fait prisonnier subsiste.

Pauvres parents !!

Avoir travaillé toute une vie pour un fils et voir ainsi ce fils disparaitre dans cette boucherie monstrueuse, que c’est triste tout de même !!!

Et comment n’arriverait-on pas à maudire la vie !!!

Pourvu que pareil sort ne soit pas réservé aux miens, mais moi j’ai la ferme conviction de m’en tirer.

 

(*) : René JOUVET, 21 ans, né à Cherbourg, soldat au 8e RI, est mort pour la France le 18 avril 1917 au bastion de Chevreux (Aisne)

Vendredi 25 mai-Montgobert-L’anarchie des permissions

L’exercice commence de bonne heure : le rassemblement de la Cie est à 6h20 et le départ à 6h30, heureusement qu’avec le capitaine que nous avons en ce moment, l’exercice n’est pas trop pénible, nous allons dans une clairière de la forêt à 1500 m d’ici et tout le travail se borne à environ une demi-heure d’exécution de bonds.

 

Cet après-midi, il y a corvée de lavage pour la 2ème section avec lessive régulière : le capitaine ayant fait acheter du sodium et la ferme ayant mis une lessiveuse à notre disposition.

 

Luminel rentre de permission ce soir avec 48 heures de retard, aussi il peut être certain d’attraper une bonne punition. Tant pis pour lui, c’est un type bien peu intéressant.

Pour les permissions, cela marche toujours aussi mal bien que le 13% soit maintenu, personne ne part et le commandant Gousseault, qui en ce moment commande le régiment, ne renvoie même pas les titres que les compagnies lui font parvenir, aussi bien que nous soyons au repos depuis près de 6 mois et que par conséquent on devrait être en avance, il y a encore environ 70 poilus à la Cie qui n’ont pas eu de permission depuis le 1er février, alors qu’ils devraient en être rentrés.

Cette chose est vraiment honteuse, car alors comment avons-nous nos 3 permissions dans l’année, si alors qu’on est au repos on y va que tous les 6 mois.

Ce retard serait excusable si nous étions aux tranchées, mais en ce moment il est inadmissible.

Que les chefs prennent garde, ils ne se rendent pas assez compte combien les poilus en ont « marre » et combien par des faits pareils, ils contribuent à abaisser leur moral.

Pour ma part, je suis persuadé que je n’irai pas en permission avant le 14 juillet : cela me fera donc 5 mois ½ de présence.

Samedi 26 mai-Montgobert

Ce matin, il faut encore se lever de bonne heure et pendant que la 1ère section continue à travailler à ses grecques, les 3 autres sections font un tout et l’exercice se borne à une marche à travers bois.

Au cours de cette marche ceux qui étaient en tête de la Cie ont vu un superbe cerf (il paraît qu’il y en a un bon nombre dans cette forêt !...)

 

Cet après-midi, il y a revue d’armes, de cuirs etc… pour toute la Cie et en plus corvée de lavage pour les 3ème et 4ème sections.

 

Ce soir, il y a de forts bruits de départ ; pourvu qu’on nous laisse encore passer la journée de demain ici !!... ; cela nous permettrait de prendre une bonne journée de repos, car j’espère bien que demain dimanche on nous fichera la paix.

À la revue d’armes de cet après-midi, tous les fusils de la 2ème section sont très propres et les hommes méritent des compliments.

Il paraîtrait que nous allons déloger d’ici pour aller à Soucy (2km d’ici) remplacer le 31ème B.C.P. qui lui, viendrait à Montgobert.

Ah ! Voilà bien notre chance : pour une fois que le 158ème est bien cantonné, nous n’allons pouvoir y rester !

Si le commandant GOUSSEAULT était là, je crois que cela se passerait autrement.

 

Voilà aujourd’hui 5 mois complets que nous sommes descendus de la Somme, vraiment nous avons eu cette fois de la chance et nous n’avons pas à nous plaindre ; il paraîtrait que nous serions toujours armés de la poursuite qui malheureusement n’aura jamais lieu, car je doute fort que nous réussissions à percer les lignes boches et je crois que maintenant, après l’échec de notre dernière offensive, nous ne sommes pas prêts de recommencer.

Dimanche 27 mai-Montgobert

Bien que ce soit fête aujourd’hui : il y a revue d’armes ce matin, heureusement que pour ma part je l’avais passée hier soir aussi je reste tranquillement au lit jusqu’à 8h ½.

Le temps est toujours magnifique et ici nous sommes vraiment dans un paradis.

Des poilus de la 2ème Cie sont allés à la chasse cette nuit et ont tué une biche magnifique d’environ 110kgs.

Dans la forêt proche de ce patelin, cerfs et biches abondent et nous ne traversons pas une seule fois la forêt sans en apercevoir quelques-uns.

Avec la majorité des sous-offs de la Cie je passe mon après-midi à l’ombre dans le parc où il fait très bon.

 

Ce soir à 6h, il y a match entre l’équipe du 1er bataillon du 149 et celle du 1er bataillon du 158 mais à cause de l’heure de la soupe, je ne puis jouer et je n’assiste qu’à la fin de la partie : le 158 est battu par 3 buts à 2.

 

Vers 7 heures, l’ordre arrive au bataillon de se tenir prêt à partir demain matin ; nous irions dans un petit pays, tout proche d’ici : Puiseux (*) (2km de Montgobert).

Quelle connerie : changer de cantonnement pour aller à 2km !!... mais c’est là le métier militaire et bon gré mal gré il faut obéir, aussi le mieux est de ne pas s’en faire et de prendre le temps comme il vient.

Heureusement qu’à l’appel nous recevons l’avis que c’est très probablement le bataillon du 149 qui fait mouvement et non nous.

D’après les bruits qui courent, nous ne tarderons tout de même pas à monter en ligne, mais comme c’est bien à notre tour, cela me fera plaisir de retourner voir Messieurs les Boches.

 

(*) : Puiseux-en-Retz (Aisne)

Lundi 28 mai

Je n’ai guère pu dormir cette nuit : PERRIN qui était saoul hier soir est venue nous embêter pendant plus d’une heure dans notre chambre ; ensuite le 149 est parti ce matin à 4h ½, nous ne savons pour quelle destination exacte, cependant il paraîtrait qu’il va relever le bataillon qui travail en ce moment au fort de Condé.

Les permissions marchant de plus en plus mal, je n’espère pas aller voir mes chéries avant les grandes vacances (14 juillet).

 

Ce matin après une marche d’environ 2 heures dans la forêt, nous allons attaquer le système de retranchements faits par la 1ère section (grecques) sur le terrain d’exercice ; ces systèmes de défense peuvent à mon avis causer surtout des pertes à l’adversaire dans une retraite, nous l’avons d’ailleurs appris à nos dépens lors de la retraite boche de la Somme.

Au cours de la marche sous-bois, les officiers, qui en prévision de la rencontre d’un cerf ou d’une biche, s’étaient munis de leur revolver ont bien manqué de tirer sur une paisible vache qui errait tranquillement à l’ombre.

 

Cet après-midi, il y a exercice de lancement de grenades réelles, nous en profitons pour en mettre quelques-unes de côté et ce soir nous allons les jeter dans l’étang, mais sans prendre aucun poisson.

 

Ce soir, l’ordre de départ arrive, le bataillon va cantonner demain à Puiseux (2km S.O. de Montgobert) : c’est tout de même malheureux de déménager pour aller si peu loin ; mais voilà, nous étions trop bien cantonnés ici pour y rester longtemps.

Heureusement, le départ n’est qu’à 8h30’, aussi nous pouvons encore passer une bonne nuit.

Mardi 29 mai - Puiseux-en-Retz

Nous cantonnons à Puiseux. (*)

 

Pour la dernière nuit que nous passons à Montgobert, j’ai fort bien dormi.

 

Rassemblement de la Cie à 8h15’ et à 8h30’ le bataillon se met en route.

Heureusement qu’il n’y a que 2km à faire car il fait diablement lourd ; à 9h nous sommes arrivés à Puiseux. Le cantonnement est loin de valoir celui de Montgobert ; mais j’ai cependant la chance d’y trouver un bon lit.

 

L’après-midi se passe à installer un peu les cantonnements que nous avons trouvés dégoûtants ; nous espérons passer plusieurs jours ici, car on a fait laisser ici la place pour cantonner un bataillon du 149.

Comme c’est demain la Saint Ferdinand, je ne « coupe » pas ce soir au petit « layus » de PERNICHOT et je me vois dans l’obligation de payer quelques bouteilles ; comme ici le vin vieux est très cher ; j’en ai tout de suite pour une quarantaine de francs sur le dos ; enfin, heureusement que cette fête ne revient qu’une fois par an !!...

 

Alors que nous fêtons tranquillement, nous apprenons que des bruits de départ circulent : vraiment s’il faut partir demain, ce n’était pas la peine de nous faire venir ici, d’autant plus qu’il n’y a pas de troupes qui nous remplacent à Montgobert ; mais pareille absurdité serait bien militaire ; enfin je veux espérer que nous resterons tranquilles quelques jours ici.

 

Ce qui me dégoûte le plus maintenant, c’est de voir la lenteur avec laquelle marchent les permissions ; si cela continue, je n’irai pas voir mes chéries avant 2 mois d’ici.

Un pareil retard pourrait se produire si nous avions séjourné aux tranchées, mais après une pareille période de repos, il est inadmissible et ceux qui en sont responsables devraient être sévèrement punis.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mercredi 30 mai-Départ pour Breuil-Les mutineries

FAVE, CURSOUX, SALAGNAC partent en permission. Nous cantonnons à Breuil. (*)

 

Je suis réveillé subitement par le clairon ce matin (4h ½) ; le bataillon fait de nouveau mouvement aujourd’hui et nous devons aller cantonner à Saconin-et-Breuil (environ 5km au S.S.O. de Soissons).

Le commandant GOUSSEAULT qui est revenu au bataillon guide la marche ; nous passons par Vertes Feuilles, Cravançon, Missy-aux-Bois et arrivons à Breuil vers 10h 1/2 ; bien qu’il n’y ait qu’environ 16km, les hommes sont bien fatigués, d’autant plus que la température est très lourde.

 

Voir la carte Michelin de l’itinéraire

 

À Breuil, 3 Cies sont cantonnées ou plutôt entassées dans une seule ferme, le reste du pays étant occupé par le 149ème. Nous voilà maintenant dans la zone voisine du front ; adieu les bons cantonnements de Domptin, Montgobert etc… nous allons de nouveau faire connaissance avec les poux.

D’après les bruits qui courent nous ne serions ici que pour la journée ; demain matin il faudrait de nouveau se remettre en route pour aller à Ciry-Salsogne.

 

Maintenant, il est officiel que le 2ème bataillon de chez nous est en 1ère ligne depuis 3 jours ; le 3ème bataillon est en réserve et exécute des travaux en ligne : Chaque période de repos, réserve et ligne doit durer 6 jours, aussi nous irions dans 3 jours relever le 3ème bataillon qui lui relèverait le 2ème.

Le secteur que nous allons occuper est à gauche et un peu au sud du fort de Malmaison, au sud du Chemin des Dames dans le ravin de Jouy ; il paraît que nos 1ère lignes sont au bas des carrières et que leur sommet est occupé par les Boches ; s’il en est ainsi, nous serons plutôt mal placés et je crois bien que le corps d’armée attaquera pour poster nos 1ère lignes jusqu’au Chemin des Dames.

Nous aurons à notre gauche la 13ème division, qui aura elle-même à sa gauche la 170ème. Pour nous, le 158ème, sera à gauche de la 43ème, nous aurons par suite à notre droite le 149 et les chasseurs.

 

Notre départ subit de ce matin a été provoqué par la mutinerie de 2 régiments du 3ème corps d’armée : le 36ème de Caen et le 129ème, régiment qui se trouvent dans cette région. Ils devaient monter en ligne hier soir et au lieu de cela beaucoup de poilus se seraient débinés par petits groupes à l’arrière ; c’est pour cette raison que ce matin, nous avons rencontré quantité de cavaliers qui gardaient les routes.

La cause de ce commencement de révolte serait le retard des permissions ; étant au repos depuis février (4 mois), les permissions auraient aussi mal marché chez eux que chez nous ; chose inadmissible, et à mon avis les chefs coupables d’avoir causé ces retards devraient être sévèrement punis.

 

Certes je suis loin d’approuver la conduite de ces poilus, mais nos dirigeants ont également pas mal de tords et peuvent faire « mea culpa ».

La conséquence directe de cette mutinerie a été que les 2 régiments en question ont été renvoyés à l’arrière et que nous avons été appelés en hâte pour les remplacer.

Je crains fort que cette révolte ne soit suivie par nombre d’autres, car en ce moment le moral des soldats est très, très faible.

 

Tout l’après-midi, nous pouvons voir les cavaliers errer à travers la campagne à la recherche de poilus du 129e.

 

Ce soir, alors que j’étais allé à Saconin boire un litre avec FIGEAC, ALPHANT et LEGE, nous voyons arriver dans le patelin tous les voyous du bataillon : GUIBLIN, MICHEL, AUGE, BIGOT (1ère section), LUMINEL (2ème section), GUIESTE, BERNARD (3ème section), CORNEAU, CHOMENTIN, BEAUTHAINGUE, CHAMPALLE, VAUTIER, etc… (4ème section) avec la crapule des autres Cies, et il n’est pas difficile de voir qu’une manifestation se prépare, aussi nous ne restons pas longtemps. (**)

 

Comme nous l’avions prévu, cette bande veut imiter le 129ème ; quelques types pénètrent dans une maison, arrachent des rideaux de lit rouges avec lesquels ils font un drapeau rouge et avec ce fanion en tête, porté par AUGE, ils font le tour de Saconin en chantant l’internationale et en criant : 

« À bas la guerre !!... Vive la paix !!... ».

 

Ils rencontrent un certain nombre de chasseurs du 31ème et le nombre des manifestants grossit rapidement ; ils rouent de coups le sergent du 31ème B.C.P. qui était de garde de police et qui avait voulu les disperser, ils arrêtent et engueulent copieusement un lieutenant-major, puis un commandant d’aviation dont ils arrêtent l’auto.

Les officiers du 31ème B.C.P. assistent impuissants à cette manifestation et même l’un d’eux doit prendre le fanion.

 

Cette bande se remet ensuite en route vers Breuil espérant rencontrer d’autres poilus parmi le 149 et le 158.

Au bas du village, il y a un long parlementaire entre des officiers dont TALLOTTE et les manifestants qui ne se séparent qu’à l’appel, sonné à 8h ½ au lieu de 9h ½.

Je crains fort que cette manifestation ne soit que le prélude d’une révolte générale et je me demande avec inquiétude ce que nous deviendrons aux tranchées.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Ces événements ne sont pas retranscrits dans le journal du 158e régiment d’infanterie.

Jeudi 31 mai-Les mutineries

PICARD, BOUZON et GEHIN rentrent de permission.

 

Des officiers d’état-major sont venus dans la nuit voir le commandant GOUSSEAULT et je me demande quelles mesures vont être prises pour réprimer de pareils faits.

Ah ! Pauvre France !

 

Où vas-tu ?... La guerre civile va probablement t’ensanglanter de nouveau, un vent de révolution souffle sur toi……

Je suis bien loin d’approuver de pareils faits et il est triste de voir les poilus entraîner à la révolte par ces apaches mais il y a cependant un peu de la faute des chefs qui vraiment se « foutent » des poilus, mais malgré toutes les fautes que les dirigeants ont commis envers les poilus, il est inadmissible que de pareils faits se produisent.

Ah ! Les Boches vont être contents d’apprendre ces faits !!!...

 

Il paraîtrait également que le 17ème d’Infanterie et le 21ème bataillon de chasseurs ont refusé de monter aux tranchées, que le 12ème régiment d’artillerie ayant éprouvé de lourdes pertes à la relève refuse de tirer, sauf si les Boches attaquent.

 

Aujourd’hui, peu de boulot : jeux ce matin.

La 3ème Cie fait encore preuve de plus d’indiscipline que nous et ils ont mis au moins une demi-heure pour se rassembler ; à la Cie cela marche encore assez bien, cet après-midi les chefs de section, et ensuite le capitaine font une petite théorie aux hommes sur l’absurdité d’une conduite pareille.

 

Ce soir, il paraît qu’il y a bon nombre de poilus de la 13ème division (17ème et 109ème d’infanterie, 21ème chasseurs, auxquels se seraient joints quelques types du 31ème B.C.P.) dans les bois environnants et qu’ils arrêtent tous ceux qui passent sur les routes.

Tous ces faits me dégoûtent profondément et ce serait avec plaisir que je quitterais le 21ème Corps.

Le bataillon fait mouvement demain matin.

Départ 3h, pour aller probablement à Ciry-Salsogne ; j’espère que le départ aura lieu sans incident à la Cie mais je crois qu’il n’en sera pas de même à la 3ème.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

 

 

Juin 1917 : Aisne : Ciry-Salsogne - Les mutineries – Retour aux tranchées, secteur de Vailly - Mutineries au 5ème bataillon du 158e RI - Plateau des Roches - La blessure - Hôpital de Soissons - Hôpital de Laval - La commission de convalescence.

Vendredi 1er juin-Ciry-Salsogne

Arrivée à Ciry-Salsogne. (*)

 

Le départ a lieu sans incident à 3h, nous passons par Soissons, dont quelques quartiers ne sont pas trop abîmés ; puis par Sermoise (patelin où il ne reste aucun civil : aucune maison étant habitable) et à 8h ½ nous arrivons à Ciry (étape d’environ 18km), la marche ne m’a pas trop fatigué.

Bien que Ciry ne soit qu’à environ 1500m de Sermoise, il a beaucoup moins souffert que ce dernier patelin et il s’y trouve encore quelques civils.

 

Aujourd’hui il n’y a pas grand travail : installation sommaire des cantonnements où la paille est remplie de poux et c’est tout.

Ici se trouve la coopérative divisionnaire aussi je vais voir mon vieil ami BOUDON (**) et nous buvons un bon coup.

Heureusement nous ne montons en réserve que demain soir, aussi nous allons pouvoir passer encore une nuit tranquille.

Le secteur paraît-il est très calme ; les lignes d’après les on-dit sont à 4 ou 500m de distance, et en 1ère ligne, les tranchées ne sont pas contenues, il y aurait simplement des petits postes.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : BOUDON Jean Joseph, 34 ans, né à Retournac, Haute-Loire, sera tué à Branges, le 29 mai 1918.

Samedi 2 juin-Secteur de Vailly

Nous montons aux tranchées. (*)

 

La nuit a été très bonne : le capitaine est parti ce matin reconnaître le secteur et nous allons quitter Ciry ce soir à 18h.

Ce matin, il y a douches de 7h à 8h30’ et j’espère bien que cet après-midi, on va laisser libre les poilus qui ont besoin d’un peu de temps pour faire leurs achats.

 

Cet après-midi, rien à faire ; j’en profite pour aller voir BOUDON et faire une petite provision de « pinard ».

Le rassemblement de la Cie est à 5h45’.

Avec ce capitaine ALLENE, il n’y a aucun ordre, il faut attendre à la dernière minute pour savoir que les poilus montent avec leurs sacs : les 1er pourvoyeurs de F.M. ne touchent pas leurs revolvers automatiques, si bien qu’ils sont obligés de monter sans armes ; je le fais remarquer au capitaine qui ne savait même pas qu’ils devaient en avoir.

 

Ah ! Où est le capitaine COSTE avec qui les ordres étaient toujours précis et qui connaissait à fond la dotation de sa Cie ; ALLENE, au contraire, s’en désintéresse complètement ; c’est un bon type mais incapable de réflexion ; je suis certain qu’au bout d’un an, il ne connaîtra pas un seul poilu de la Cie.

 

Départ de Ciry à 6h, les sections à 200 pas de distance, nous passons par Chassemy, puis traversons l’Aisne, passons par Vailly et à 8h ½ nous sommes arrivés à notre emplacement.

 

Nous allons être logés dans de petites « guitounes » en branchages, dans un bois, et ma foi s’il ne pleut pas nous ne serons pas à plaindre ; ce soir nous n’avons pas beaucoup de chance sous ce rapport car en route nous avons reçu une bonne ondée d’orage en passant à Vailly, qui, si elle a eu l’avantage d’abattre la poussière, a l’inconvénient de traverser nos capotes.

 

Dès ce soir, nous allons au travail, départ 9h ½ et rentrée 2h ½ ; ce travail consiste à approfondir un ancien boyau boche à moitié comblé par les éboulements ; dans ce boyau on trouve l’emplacement de nombreuses « cagnas » boches et j’ai l’occasion d’y voir comment les Boches enterrent leurs fils téléphoniques : ils se trouvent à environ 1m de profondeur et sont protégés par une barre de fer dont la section a la forme d’un V renversé.

Décidément les Boches sont plus forts que nous !!!...

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 3 juin-Vailly-Les mutineries de la 13e division

Toute la journée, les poilus n’ont pas grand-chose à faire : améliorer un peu leurs abris et nettoyer le chemin ; les corvées de soupe vont chercher le ravitaillement à la sortie ouest de Vailly.

Le temps s’étant remis au beau, nous sommes très bien.

 

En faisant la route de Ciry à ici nous avons pu voir nos arrières, nos lignes ainsi que les anciennes lignes boches ; les nôtre étaient sur la rive gauche de l’Aisne et celles des Boches sur la rive droite, aussi Vailly (village assez important) était entièrement aux Boches.

Si le front est loin d’être aussi abimé que dans la Somme et bien que Vailly soit bien abîmé on ne peut le comparer à Ablaincourt ou à Deniécourt ; le sol est également loin d’être bouleversé comme dans la Somme, les bois sont presque intacts et en se retirant les Boches n’ont pas commis des dégâts comparables à ceux qu’on leur impute du côté de Roye ; seuls quelques arbres fruitiers (pommiers) ont été sciés ; si les dégâts sont peu nombreux comparativement à ceux que j’ai pu voir ailleurs, c’est qu’ici les Boches se sont repliés volontairement.

 

En ce moment, le secteur est assez calme, on sent que des 2 côtés il y a travaux d’organisation ; cela durera peut-être 1 ou 2 semaines, après lesquelles je crois bien qu’il nous faudra attaquer le fort de Malmaison.

Le bois où nous nous trouvons en réserve est au moins à 5km des 1ères lignes.

 

D’après les bruits qui courent la 13ème division serait en pleine révolte ; des poilus des 17ème, 21ème régiment d’infanterie etc… auraient tiré sur d’autres militaires à Soissons et il y aurait des tués.

Ah ! Que c’est triste tout de même : la guerre contre les Boches ne fait donc pas assez de victimes !!...

 

Cet après-midi, des avions boches viennent nous survoler, ils sont vraiment culottés et volent à faible hauteur : il paraît d’ailleurs que c’est leur habitude : il y a quelques jours, l’un d’eux est descendu à une cinquantaine de mètres et a mitraillé et tué un cycliste d’un bataillon de chasseurs passant sur la route de Vailly à Aizy.

 

Ce soir, la Cie va creuser une tranchée au nord de Jouy, pendant ce temps, je reste tranquillement à me reposer : l’adjudant et moi, marchant chacun à notre tour.

Lundi 4 juin-Secteur de Jouy, Aisne

Ce matin, il nous faut de nouveau changer d’emplacement.

 

Départ après la soupe (11h), nous allons à environ 1 km plus au nord, toujours dans le même ravin.

Pendant la nuit il est tombé quelques obus bien près de nous, un d’entre eux a tué 2 types du 149 qui s’en allant en permission étaient restés à coucher aux cuisines.

La chaleur aujourd’hui est encore plus accablante que de coutume et nous commençons à souffrir de la soif, ce n’est pas 2 quarts de pinard que nous avons par jour qui peuvent nous désaltérer.

 

Nous sommes maintenant dans une carrière de sable avec de petits abris individuels qui avant notre offensive était très probablement l’emplacement d’une batterie de 88 boches : on y trouve encore maints vestiges de l’occupation boche, cartouches, grenades, obus non tirés poudre en tubes pour obus, etc,etc….

J’espère aller en permission d’ici un mois, étant maintenant le 37ème sur la liste.

 

Ce soir, c’est à mon tour d’aller au travail, nous allons continuer la tranchée faite hier soir sur la pente N au N.O. de Jouy, avant d’arriver, les boches ont « balancé » un bon tir de barrage, heureusement un peu en arrière de nous. Un peu plus loin nous avons été pris sous les rafales d’une mitrailleuse, les balles nous sifflaient aux oreilles et alors ce n’était pas la peine de commander aux hommes de se coucher : une balle est passée bien près de ma tête.

Comme la Cie était à la tâche, les hommes en ont mis un coup et à 1h le travail était terminé.

 

Pour revenir, nous repassons par Jouy et Aizy, qui rappellent un peu par leur destruction Foucaucourt dans la Somme : ce que je ne comprends pas, c’est que les boches ne marmitent pas plus la route de Vailly à Jouy, qui suit le fond du ravin et qui est constamment encombrée toute la nuit, car c’est par cette route que passent forcément tous les ravitaillements en vivres et munitions des troupes (fantassins et artilleurs) qui occupent le secteur.

Avant d’arriver à Aizy, nous rencontrons 2 batteries de 155 longs en position sur les bords de la route : je crois bien que le secteur ne va pas tarder à devenir mouvementé.

Mardi 5 juin-Mutineries au 2ème bataillon

Colletier part en permission. (*) 

 

Rien de bien extraordinaire ce matin, les boches déclenchent un tir de barrage de 150 sur le bord du plateau à l’ouest du ravin en face de nous : les obus radinaient en colonne par 4 et ce tir a bien duré une demi-heure, les boches tiraient probablement sur une batterie qui se trouve dans les bois.

 

La journée se passe sans grand incident, le 2ème bataillon qui vient nous remplacer en réserve ce soir a manifesté dans la nuit d’hier à ce jour et ce soir pour tout le bataillon il y a seulement 180 poilus qui acceptent de monter : dans une Cie il y en a juste 37 et tout cela à cause du retard des permissions.

À la 3ème Cie les poilus ont fait une pétition signée de 53 poilus qu’ils ont remise au capitaine Boissenin avec prière de la transmettre (ces 53 poilus sont rentrés de permission depuis plus de 4 mois.)

 

Le capitaine est allé reconnaître le secteur ce matin et ce soir nous montons en ligne. Il paraît que le secteur est assez calme et grâce aux ravins on va jusqu’en 2ème ligne à découvert.

Nous quittons notre emplacement à 22h, nous passons par Aizy et avant d’arriver à Jouy nous prenons le chemin de terre qui suit le fond du ravin allant vers Le Panthéon.

Les 1ère et 3ème sections vont en 1ère ligne, dans chacune de ces sections la ½ section de spécialistes (grenadiers et F.M.) plus les 4 V.B. est en 1ère ligne, la 2ème ½ section est en ligne de soutien.

Les 2ème et 4ème sections sont en réserve : la 2ème dans un petit bois, la 4ème dans une carrière.

Le secteur de la Cie a pour limite à gauche la route allant au fort de Malmaison et à droite nous sommes en liaison avec le 31ème B.C.P.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Mercredi 6 juin

Cette nuit, nous touchons le ravitaillement que les cuisines apportent entre Aizy et Jouy.

 

Ce matin, vers 4 heures, les boches déclenchent un formidable tir de barrage sur la croupe et notre ravin, pendant plus d’une heure c’est un véritable enfer, heureusement que nous sommes à contre pente, car nous sommes à découvert sans tranchée, malgré tout, les boches réussissent bien à nous en envoyer quelques-uns et c’est vraiment miracle qu’il n’y ait pas de blessés, nous nous demandons avec anxiété ce qui se passe en 1ère ligne.

 

Pendant tout le bombardement, nos 1ères lignes ont été survolées à très faible hauteur (50m) par 2 avions boches, les aviateurs qui les montent ne manquent vraiment pas de culot pour venir ainsi nous mitrailler dans nos tranchées.

Lorsque le marmitage se calme un peu, nous recevons des nouvelles de la 1ère ligne : les boches n’ont pas attaqué, ni sur le 31ème B.C.P. ni sur nous, chez nous il y a tout juste Quiblin 1ère section qui a été légèrement contusionné, mais qui ne sera certainement pas évacué.

 

Toute la journée, le marmitage est beaucoup plus intense que les autres jours et le bois de l’autre côté du ravin en face de nous prend quelque chose.

Jeudi 7 juin-Plateau des Roches-La blessure

Hier après-midi, la chaleur était tellement accablante que je suis allé seul à la recherche d’une source qu’on nous avait dit se trouver dans les environs, pour cela je me suis baladé au moins une demi-heure à découvert, j’ai bien failli être « amoché » par un 105 fusant dont la gerbe de shrapnells est venue juste mourir à mes pieds, mais enfin j’ai trouvé la source et les poilus ont été bien heureux ensuite de pouvoir se rafraîchir.

 

Dans l’après-midi, j’accompagne le sous-lieutenant Chapron qui va visiter les 1ères lignes.

La 1ère ligne n’est pas même achevée et il n’y a aucun abri.

De cette tranchée, on voit très distinctement le fort de Malmaison, un peu à notre gauche et directement devant nous la ferme du Panthéon.

Devant la 1ère section que nous devons relever dans 2 jours, le terrain est assez découvert, par contre devant la 3ème le terrain est couvert de broussailles, d’ajoncs, de genêts, si bien que les boches pourraient facilement venir tout près de la tranchée sans risquer d’être aperçus, aussi attention aux coups de main : le secteur de la 2ème Cie qui se trouve à notre gauche est identique.

 

Le soir, la section est désignée pour aller creuser la tranchée de 2ème ligne qui est à peine tracée, l’escouade de grenadiers va à Vailly, chercher du matériel (fil de fer….)

Le plateau sur lequel nous travaillons s’appelle : Plateau des Roches, mais il est bien nommé, ce ne sont que de grosses pierres schisteuses, aussi le travail n’est pas facile et souvent pour creuser les poilus doivent contourner une roche.

Malgré cela, les types en mettent un coup, ils ont hâte d’être enterrés, car à tout moment une rafale de mitrailleuse placée sur la crête de l’autre côté du ravin force les poilus à s’aplatir dans leur trou, cette mitrailleuse est bien pointée et nous entendons les balles siffler à nos oreilles.

La tranchée que nous creusons ainsi suit le bord supérieur du ravin.

 

Description : Description : Description : Description : Description : carnet juin 1917.jpg

Extrait du carnet de Ferdinand, l’auteur à dessiner un petit schéma du plateau des Roches

Cliquer sur l’image pour agrandir

 

La corvée des grenadiers rentre vers 22 heures et je retourne avec elle chercher des outils au P.C. du capitaine et en même temps me rendre compte où se trouve Martin qui n’étais pas avec eux, aussi je vais à notre emplacement de réserve et trouve Martin dormant à poings fermés sous son abri de branchages et de tôles, il ne nous avait pas entendus partir pour le travail.

 

En retournant vers ma section, je rencontre le sous-lieutenant Damien qui m’annonce que le bruit court que je suis blessé. Cela fait la 2ème fois que je l’entends dire aujourd’hui.

Les sous-lieutenants Chapron et Damien nous quittent pour aller se reposer, quelques instants plus tard ils sont certainement à peine arrivés à leur abri que les boches déclenchent un violent tir de barrage, les 105, 150 et quelques 77 rasent nos têtes et vont éclater sur le rebord du ravin en A, il est inutile de faire coucher les hommes, tous se sont aplatis dans le fond de la tranchée.

 

Ce tir reste aussi violent pendant une bonne ½ heure, lorsqu’il a l’air de vouloir s’apaiser un peu, je me relève pour voir s’il n’y a pas eu trop de casse à la section, j’étais à peine levé qu’un 77 vient éclater à moins d’un mètre de moi : un peu en avant et sur ma droite.

Je sens immédiatement mon bras droit retomber inerte le long du corps, mais aussitôt je l’attrape avec ma main gauche, le fais remuer dans tous les sens et au bout de quelques minute la sensibilité et le mouvement lui reviennent, après je ne ressens qu’une douleur au biceps et je crois que c’est seulement une pierre qui est venue me contusionner le bras.

Je vais aussitôt me rendre compte s’il y a des amochés parmi mes hommes et c’est avec un soupir de soulagement que je constate que tout le monde est indemne, mais quelques uns, surtout les jeunes de la classe 16 ont joliment peur et sont plus ou moins affolés et comme je les fais prendre leur fusil pour regagner notre emplacement, le caporal Escoffier ne réussit pas trouver le sien et je me promène pendant un bon quart d’heure à le chercher à découvert, malgré la mitrailleuse boche qui tire par intervalles.

 

Mon bras est toujours lourd et me fait de plus en plus mal, en arrivant au P.C. du capitaine je retrouve le lieutenant Chapron et maintenant que mes poilus sont rentrés je vais voir ce que j’ai, ma capote est à peine enlevée que je vois ma veste pleine de sang et alors il faut me rendre à l’évidence : je suis blessé, ma chemise est toute rouge et une fois qu’elle est ôtée je puis me rendre compte de la gravité de mes blessures.

C’est à l’épaule que je suis touché, le sang coule par 3 trous, dont le plus grand se trouve juste sous l’aisselle, le 2ème dans la région pectorale et le 3ème derrière l’épaule, région deltoïdienne. (**)

 

Le capitaine Allène me fait lui-même un pansement sommaire car au P.C. du capitaine il n’y a qu’un brancardier peu dégourdi : Miclo.

Chauveau, agent de liaison de la section, est désigné pour m’accompagner au poste de secours.

Je vais dire « au revoir » à mes poilus dont beaucoup ont les larmes aux yeux, cela me fait de la peine de les quitter et je préfèrerais de beaucoup rester avec eux, je leur serre la main à tous et après leur avoir souhaité bonne chance, je m’en vais.

En partant je rencontre mon vieil ami Coste qui revenait du ravitaillement avec Luminel et Lalba et c’est le cœur bien gros que je leurs dit « au revoir ».

En voilà un véritable poilu que ce Coste et sur lequel je pouvais compter.

 

J’arrive avec Chauveau au P.C. du commandant où je trouve Bonamour. Là je laisse mon équipement, en sortant je rencontre le capitaine Tallote qui me souhaite bonne chance.

Un brancardier m’accompagne à Jouy au poste de secours du 158, le caporal infirmier Falcoz me refait mon pansement et me fait une fiche d’évacuation :

« Plaies pénétrantes épaule droite. »

En même temps que moi un poilu de la Cie, David 3ème section, arrive également : il a été enterré par un obus et est tout contusionné.

 

Du poste de secours, on me conduit dans une cave où les blessés attendent l’auto-sanitaire et je reste pendant 2 heures, de 4 à 6h, couché sur un brancard.

 

À 6 heures, le nombre des blessés étant suffisant pour charger l’auto, on nous embarque (2 blessés couchés et 3 assis.)

Ah ! Ce trajet de Jouy à Soissons, je m’en souviendrai toujours, bien que le chauffeur prenne bien des précautions et ne va pas vite, il me semble toujours entendre les cris, les imprécations des 2 malheureux blessés couchés à chaque cahot et par ces routes labourées par les obus les trous ne manquent pas.

L’un d’eux, un malheureux du 149ème qui a la jambe fracturée et emprisonnée dans une gouttière rend le dernier soupir avant d’arriver à Vailly.

 

À ce patelin, un major monte dans l’auto pour se rendre compte de l’état des blessés, et voyant qu’il est mort le fait descendre, cela fera une tombe de plus au cimetière de ce village !

Entre Jouy et Vailly nous avons croisé plusieurs cadavres de chevaux tués dans la nuit.

 

Après Vailly, nous suivons la rive droite de l’Aisne.

Ah ! Que le temps me semble long à tout instant l’autre grand blessé cri :

« Oh ! Mon ventre ! »

Puis s’adressant au chauffeur : « Ah ! Salaud, va donc moins vite ! »

Puis « sommes-nous bientôt arrivés ? Je n’en puis plus. »

Le chauffeur essaye bien de le faire patienter un peu et lui donne un peu d’alcool de menthe pour humecter ses lèvres brûlantes.

Mais quelles souffrances pour ce malheureux, cela me fend le cœur.

 

Enfin nous arrivons à l’hôpital, et après une piqûre antitétanique au bras droit, je suis conduit au pavillon 4 de l’auto-chirurgicale où je suis couché dans un bon lit.

 

Une heure après, 2 brancardiers viennent me chercher et je suis porté tout nu sur un brancard dans la salle de radiographie.

L’examen radiographique de mes blessures donne le résultat suivant : présence d’un corps métallique dans le deltoïde à environ 3 cm de profondeur et l’opérateur me quitte en me disant :

« C’est la fine blessure ! »

 

De là, je suis transporté à la salle d’opération où pendant plus d’une heure j’attends mon tour : le médecin-chef était en train d’opérer le grand blessé venu avec moi.

Enfin c’est à mon tour de monter sur le billard, le chirurgien après avoir regardé ma fiche me dit :

« Allons mon petit ! Ce ne sera pas long » et il commande à un aide :

« Rasez l’aisselle ! »

En me rasant il me fait plutôt mal, car c’est cette plaie qui est la plus douloureuse. On me ligature ensuite les pieds et les mains et le chirurgien commande à un aide :

« Endormez-le.»

On me passe alors l’éponge imbibée de chloroforme sous le nez, je sens presqu’aussitôt une sensation d’étouffement et je crie :

« J’étouffe » j’entends que l’on me répond :

« Ce n’est rien, cela va se passer » et en effet je perds presqu’aussitôt toute notion des choses et le chirurgien peut opérer à son gré.

 

Je me réveille sur le brancard, juste au bord de mon lit où les brancardiers viennent de me rapporter, je me sens tout drôle pendant quelques minutes, mais contrairement à la plupart de ceux qui ont été endormis je ne suis pas trop malade et n’ai pas envie de vomir.

 

Ce soir, le grand blessé dont j’’ai parlé et qui se trouve dans la même salle que moi rend l’âme.

Ah ! Que c’est triste ces hôpitaux du front, on ne peut y prendre beaucoup de repos, car les grands blessés, en se plaignant, en délirant empêchent les autres de dormir : celui qui est mort ce soir a appelé sa femme pendant plus d’une heure.

Nous sommes soignés ici par les sœurs et celle qui s’occupe de notre salle est tout à fait aimable, ayant pour chacun de nous un mot qui fait plaisir.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Le journal du régiment n’indique pas les pertes en juin 1917. Dommage !

Vendredi 8 juin-Hôpital de Soissons

Cette nuit, malgré les plaintes de mes camarades qui souffrent, j’ai reposé un peu.

Bien que le gros pansement que j’ai autour de l’épaule me paralyse le bras, j’écris un peu pour rassurer ma Berthe et mon pauvre père, mais je suis vite fatigué et je ne leur en mets pas long.

Au pied de mon lit je vois ma fiche médicale. Voici ce qu’il y a dessus :

 

Gillette Ferdinand Aspt  158ème d’infanterie 1ère Cie

Opérateur : Mr Duhamel.

 

                          1er Séton région pectoraux-axillaire

Diagnostic

                          2ème Plaie région deltoïdienne

 

                                

                          1er Débridement de tout le séton qui se trouve rempli de débris vestimentaires

Opération

                          2ème Débridement et extraction

 

Ainsi donc, j’avais été atteint par 2 éclats d’obus, dont l’un entré sous l’aisselle était sorti dans la région pectorale et le 2ème qui s’était logé dans le deltoïde.

 

J’ai oublié de dire qu’hier en me réveillant j’ai trouvé encore dans une compresse attachée à mon poignet gauche, le petit éclat du deltoïde, il était gros à peu près comme un joli haricot, mais à bords déchiquetés, je l’avais placé sur la planchette à la tête de mon lit et ce matin je ne l’y retrouve plus, cela m’ennuie, car j’aurais aimé le conserver comme souvenir.

 

Ce matin, les chirurgiens passent successivement vers onze heures voir leurs blessés et faire les pansements nécessaires.

Mon chirurgien Mr Duhamel, lieutenant à 2 galons arrive vers 11h ½.

À chaque lit son 1er regard est pour la feuille de température : hier soir j’avais 37,5 et ce matin 37,2 (température rectale), aussi d’un ton jovial, il me dit :

« Eh bien mon petit cela va bien ? Mais oui monsieur le major. J’ai été forcé de vous ouvrir en entier le séton de l’aisselle pour le nettoyer, il était plein de débris de capote…

Mais rassurez-vous, vous serez guéri beaucoup plus vite. »

Puis :

« Quand vous avez été blessé, vous aviez donc le bras levé, pour qu’un éclat vous rentre ainsi sous l’aisselle et il a fallu que l’obus éclate bien près de vous. »

 

Je ne sais pas si j’avais le bras levé, mais ce qu’il y a de certain c’est que l’obus est tombé à moins d’un mètre de mes pieds.

« Eh bien vous pouvez vous estimer heureux d’en être quitte à si bon compte, d’autant plus que par un hasard miraculeux les 2 éclats sont passés de chaque côté de l’articulation de l’épaule sans y toucher et sans toucher également à aucun nerf. Allons vous êtes un veinard ! »

Et sur ces mots il passe à un autre en ajoutant :

« Demain je vous ferai votre pansement. »

 

Cette heure des pansements est bien appréhendée par les blessés : il faut entendre tous ces malheureux crier, hurler, lorsqu’on leur enlève leurs pansements qui sont collés.

Quel soupir de soulagement quand l’opération est terminée et que le major passe à un autre !!

Comme nourriture nous avons un bol de café au lait le matin, un repas à onze heures (2 œufs avec un peu de purée) et un autre à 5h (même menu que le matin.)

 

La nuit dernière, les boches ont bombardé la gare de Soissons qui se trouve tout près de l’hôpital, nous entendions très bien les obus passer au-dessus de nous, il est même arrivé plusieurs fois, car les boches n’en sont pas à leur début, que l’hôpital récolte quelques pruneaux et il y a même eu des blessés.

Mon voisin le plus proche, un nommé Briffaux des crapouillots a été blessé sur la route de Jouy à Aizy par une balle de mitrailleuse qui lui a fracturé tibia et péroné : le chirurgien voulait lui couper la jambe et ce n’est que grâce aux supplications du blessé qu’il lui a laissée, quitte à lui couper plus tard si l’opération ne réussit pas.

 

Ce soir : 37,4°. Température normale.

D’ailleurs je vais bien, je mange et dors bien

Samedi 9 juin

 

Tous les jours, les chirurgiens évacuent les blessés qui peuvent supporter le voyage, aussi j’espère quitter Soissons dans 2 ou 3 jours, mais malgré cela la salle est toujours pleine, ce matin il en arrive deux du 158ème dont un de la 3ème Cie, un petit vieux blessé aux 2 mains, il a le poignet gauche fracturé, il m’apprend qu’à la 3ème Cie un obus a tué les 6 fusiliers mitrailleurs d’une section. (*)

 

J’ai maintenant un camarade de lit nommé Elleaux du    (**) d’infanterie (éclat d’obus derrière l’épaule) il a également été opéré par Mr Duhamel.

Un autre du 149, a été blessé par un éclat en pleine poitrine (même opérateur.)

Mr Duhamel ne passe que ce soir dans la salle, il a dû être occupé toute la matinée à des opérations.

Ici je crois qu’il y a trois chirurgiens et ils ne manquent pas de travail, les blessés arrivant à toute heure de jour et de nuit, ils sont vraiment surmenés et se prodiguent sans compter, on pourrait leur donner la légion d’honneur, ils ne l’auraient pas volée comme beaucoup !

Mon pansement est remis à demain.

Un blessé expire cette nuit.

 

(*) : Le journal du régiment n’indique pas les pertes en juin 1917. Dommage !

(**) : L’espace est resté blanc sur le carnet. Peut-être que Ferdinand attendait l’information, pour la noter plus tard.

Dimanche 10 juin-Hôpital de Soissons

Température 37,2.

À 10h, Mr Duhamel vient faire les pansements, me trouvant près de la porte, c’est par moi qu’il commence. Comme il est très doux, je ne souffre pas de trop.

Ici toutes les précautions antiseptiques voulues sont prises, gants en caoutchouc lavés à l’éther, pinces et ciseaux aseptisés, les compresses saisies avec des pinces sont imbibées de Dakin (*), puis posées sur les plaies, si elles touchent par hasard un corps étranger, elles sont jetées impitoyablement.

 

Mon pansement enlevé, je puis me rendre compte de la gravité de mes blessures, la plus grande plaie est celle de l’aisselle (une quinzaine de cm de long et 5 à 6 cm de profondeur) et sa vue me fait un peu impression, je ne m’attendais pas à voir une si belle entaille, l’autre plaie est beaucoup moins grande.

Le chirurgien me dit : 

 « Allons cela va très bien » et désignant la plaie du deltoïde :

« Cette plaie sera guérie dans une quinzaine. »

 

Les compresses sont vite mises, un gros rouleau de ouate est enroulé autour et immédiatement un aide me fixe tout cela au moyen de 2 bandes.

Pendant quelques minutes je souffre assez, mais mon mal est encore supportable.

 

Ce soir : 37,8 (le pansement a fait monter un peu la température.)

 

(*) : La liqueur de Dakin (eau de Dakin et dénomination commune Dakin) est un liquide antiseptique utilisé pour le lavage des plaies et des muqueuses, de couleur rose et à l'odeur d'eau de Javel.

Elle a pour avantage de ne pas être colorante (contrairement à l'éosine, par exemple) et de ne pas produire de sensation d'irritation à l'usage (contrairement à la Bétadine par exemple).

Lundi 11 juin-Hôpital de Soissons

Nouveaux départs, nouvelles arrivées, c’est un roulement continuel.

Ce matin 37° aucune fièvre, je vais très bien. Je m’estime bien heureux d’être tombé sur Mr Duhamel comme opérateur, c’est un très bon chirurgien qui en plus est très doux.

Quelle différence avec un autre qui chaque fois qu’il fait un pansement fait pousser des cris aux blessés, il arrache les pansements presque brutalement.

 

Ce soir, un infirmier m’apprend que dans une autre salle se trouve un nommé EXERTIER (*) de la 1ère Cie ; il a la jambe gauche déchiquetée mais est trop faible pour supporter l’opération, et on le considère à peu près comme perdu : C’est un poilu de la 4ème section.

Température 37°1.

 

(*) : EXERTIER Francisque Antoine, soldat au 158e RI, serait mort pour la France, le 13 février 1953 (mille neuf cent cinquante-trois) à Chambéry. Sa fiche l’indique, elle n’a pas été surchargée.

Il semblerait que sa fiche soit un ajout sur le site SGA. Pour quelle raison ? Son décès en 1953 est-elle la conséquence de cette vilaine blessure ?

Si un internaute peut répondre à cette question.. Contactez-moi

Mardi 12 juin-Hôpital de Soissons

Le chirurgien me refait mon pansement ce matin ; mes plaies ont bon aspect d’après lui, et cela va très bien ; je ne souffre d’ailleurs pas trop et je crois bien que mon séjour dans les hôpitaux ne sera pas de longue durée.

Ce qui m’ennuie le plus, c’est que partant d’ici dans quelques jours (2 ou 3 a dit le major), je ne puis donner mon adresse et par suite pas de lettres.

Mercredi 13 juin-Hôpital de Soissons

Ce matin, arrive dans notre salle un sergent du 149, un nommé SIMON, frère du sergent SIMON qui est resté longtemps à la 1ère Cie du 158 et qui est en ce moment au dépôt divisionnaire ; je connaissais ce sergent pour l’avoir vu plusieurs fois à la popote ; il a été blessé par un des avions boches venant survoler nos lignes « Fantômas » comme on l’appelle.

Ce sergent était en patrouille avec 4 poilus, à la pointe du jour ; lorsque cet avion les a aperçus, il a aussitôt piqué droit sur eux en les mitraillant ; voyant cela, et se trouvant près d’une haie, le sergent a fait passer rapidement ses hommes de l’autre côté et y est passé également, l’avion boche ne s’est pas tenu pour battu ; décrivant une courbe, il est allé les trouver et a continué à tirer à moins de 20m de hauteur.

 

Cette fois, une balle n’a pas été perdue et est allé trouer le mollet du sergent SIMON qui s’est affaissé ; satisfait sans doute, l’aviateur boche s’est éloigné ; il faut tout de même qu’ils aient un rude culot.

Température 37° et 36°8.

 

(*) : Cet avion est cité dans de nombreux témoignages de poilus, sous le surnom de « Fantômas » ou « Fantôme-as », surtout en août 1917. On attribue même parfois cet avion à l’ancien champion du monde cycliste Walter Rütt.

Dans la réalité, il s’agit sans doute d’un nom collectif donné aux avions allemands, qui provient du fait que ceux-ci dominent les ciels au moment de l’offensive Nivelle (ce qui est une des nombreuses explications de son échec : les observations sont difficiles, tandis que celle des Allemands se poursuivent sans cesse malgré les efforts des pilotes français).

(Source : http://dictionnaireduchemindesdames.blogspot.fr/)

Jeudi 14 juin-Hôpital de Soissons

Pansement refait ce matin ; le major ne parle toujours pas de m’évacuer ; ce n’est pas que je suis mal ici, bien au contraire, mais cela m’ennuie de rester ainsi sans nouvelle.

Température 37° et 36°7.

Vendredi 15 juin-Hôpital de Soissons

Toujours rien de nouveau, j’espère bien cependant quitter Soissons au plus tard après demain ; lorsque mon pansement sera refait ; j’ai déjà hâte de partir en convalescence.

Samedi 16 juin

Arrivée à Vierzy. (*)

 

Ce matin, à la visite de Mr DUHAMEL, grande surprise, je suis évacué, ainsi que mon camarade de lit : ELLEAUX : je vais donc quitter cet hôpital de Soissons où j’ai été admirablement soigné, mais où malheureusement je n’ai pu recevoir aucune nouvelle.

Mon pansement ayant été fait hier, on ne me le refait pas pour partir.

 

À 14 heures, je prends l’auto sanitaire qui me conduit à Vierzy où nous arrivons une demi-heure plus tard.

Hélas, il n’y a pas de train le soir (le train sanitaire part de Vierzy vers 11h), il faudra donc attendre à demain.

Nous sommes logés dans des baraquements en planches, où il fait une chaleur torride.

Comme s/s off nous avons une chambre à part avec lits.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Dimanche 17 juin-Vierzy

C’est ici que l’on est renseigné, si on est évacué soit à l’intérieur soit dans la zone des étapes.

 

À la visite, ce matin, passée par un capitaine-major, je reçois la nouvelle suivante : je vais être évacué sur l’intérieur, mais comme il ne peut évacuer sur l’intérieur que les jours pairs, il me faudra encore attendre à demain. Que c’est long !.......

La chaleur est encore accablante et je vais passer mon après-midi à l’ombre d’un pommier, dans un champ, en face de l’hôpital.

 

Dans la chambre où je couche, il y a également 4 adjudants, tous les 4 évacués par maladie.

Au front il y a certainement plus d’évacué pour maladies qu’il n’y en a pour blessures.

Mon pansement a été refait aujourd’hui par une doctoresse.

Lundi 18 juin-Aubervilliers

Arrivée à Aubervilliers. (*)

 

Enfin, aujourd’hui jour pair, je vais être enfin évacué ; pour le voyage, on me refait mon pansement et à 11h je quitte l’H.O.E. 5/52 (**) de Vierzy pour aller prendre le train sanitaire.

 

Nous passons par Villers-Cotterêts, Le Bourget etc… et à 16h ½ nous arrivons à Aubervilliers où tout le monde descend ; nous (les s/s off) sommes conduits à la cantine où nous faisons un excellent repas.

Nous sommes servis par des infirmières de la Croix rouge (Femmes de France) et rien ne nous manque : oranges, cigares, cigarettes, cartes postales, journaux etc etc…

Ah ! Cela semble bon de se retrouver ainsi dorloté, choyé, et pour ma part je garderai un excellent souvenir de ces jeunes infirmières.

 

Ce soir, il y a simplement un train pour la zone des étapes, aussi nous allons être forcés de passer la nuit ici et d’attendre à demain soir.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

(**) : Hôpital d'origine d'étape (hôpital d'évacuation)

Mardi 19 juin-Aubervilliers

Ce matin, à la visite du major : mauvaise nouvelle : nous ne devons pas encore quitter Aubervilliers ce soir : il nous faudra attendre à demain.

Ah ! Que c’est long !.... J’ai vraiment hâte d’être arrivé à destination ; ce n’est pourtant pas que nous soyons mal ici, bien au contraire, nous sommes admirablement soignés et nourris, les infirmières de la Croix rouge sont tout à fait prévenantes et aux petits soins pour nous ; elles sont tout à fait charmantes.

 

Ce soir vers 17h, contre-ordre : il y a ce soir 1 train pour l’intérieur, et à 18h nous sommes confortablement installé dans un wagon de 1ère classe.

Ce train a pour 1ère destination Maintenon sur la ligne Paris-Brest et doit continuer jusqu’à Laval ; si j’ai la chance d’aller jusqu’à cette dernière ville, je ne serai pas très loin de chez moi.

Mercredi 20 juin-Hôpital de Laval

Arrivée à Laval. (*)

 

À Chartres, vers 2 heures du matin, le train laisse quelques blessés, il en est de même à Le Mans, pour moi, j’ai la chance d’aller jusqu’à Laval, où je descends vers 8h.

À la gare des automobiles nous attendons pour nous transporter jusqu’à l’hôpital : je suis affecté à l’hôpital auxiliaire 19 (Société Secours Blessés Militaires) situé à 200m de la gare.

Cet hôpital est installé dans une partie du collège de Laval, et je suis dans une chambre en compagnie de 5 autres s/s off.

Ici le service est fait par des dames de la Croix rouge, mais elles sont loin d’être aussi avenantes que les gentilles demoiselles d’Aubervilliers.

De plus, ici tout le monde est dévot !.....

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet.

Jeudi 21 juin-Hôpital

Hôpital auxiliaire N°19 de Laval

 

Hier, à l’arrivée, on a refait mon pansement, mais hélas, ce n’est plus là, Soissons !....

Quelle différence !....

Ici, on me fait simplement un pansement sec, j’aurais pourtant bien voulu un pansement humide au dakin, aussi je suis certain que ma guérison sera pour le moins moitié plus longue ici que si j’étais resté à Soissons.

 

Aujourd’hui rien d’anormal : c’est la vie monotone de l’hôpital où on n’a rien à faire, si ce n’est manger et dormir. Ah ! Ce que je vais encore m’ennuyer !....

Je préfèrerais encore me trouver au milieu de ma section !

Mais il faut bien se résigner à son sort et je dois encore m’estimer bien heureux.

 

Vendredi 22 juin

Ce matin, on est obligé de refaire mon pansement et je constate avec surprise et tristesse que les plaies se sont mises à suppurer ; voilà bien le résultat des soins qu’on nous donne ici !!...

Je m’ennuis terriblement ; vivement que j’aie mes effets, qu’au moins je puisse sortir en ville de 12 à 16 heures : c’est peu, mais il faut s’en contenter.

Dans cet établissement, tous les matins et tous les soirs une des bonnes dames qui nous soignent fait la prière en commun : heureusement que nous sommes toujours couchés à ce moment !!

Rien à faire toute la journée, si ce n’est lire et écrire.

Samedi 23 juin

Ce matin, mon pansement est encore tout traversé par le pus, et on est de nouveau obligé de me le refaire.

Si cela continue à suppurer de cette façon, je ne serai pas aussi vite guéri que je le croyais.

 

Vers onze heures, je reçois une lettre de ma Berthe qui a l’intention de venir me voir dimanche 1er juillet, mais vraiment, pour rester seulement 4 heures ensemble, cela ne compenserait pas les fatigues du voyage !!...

N’ayant pas mes effets, je dois rester encore toute la journée à l’hôpital, aussi je m’ennuis passablement.

Dimanche 24 juin

Ce matin, j’ai probablement scandalisé les bonnes dévotes de l’établissement, car je ne suis pas allé à la messe ; aussi je crois bien que je ne resterai pas longtemps à l’hôpital, d’autant plus que d’ici on évacue beaucoup sur d’autres hôpitaux, en Bretagne, où les blessés achèvent leur guérison, ceci pour faire de la place aux blessés qui arrivent du front et qui ne peuvent aller plus loin.

 

Je suis encore obligé de rester cloîtrer à l’hôpital, mes effets n’étant pas encore secs.

J’ai reçu aujourd’hui ma 3ème piqure antitétanique (j’en recevrai ainsi une nouvelle tous les 8 jours).

Lundi 25 juin

Cette 3ème piqûre anti-tétanique que l’on m’a faite à la cuisse droite, me fait souffrir et m’a empêché de passer une bonne nuit, toute ma cuisse est très douloureuse.

Ces piqûres ont pour effet chez certains types de provoquer des poussées d’urticaire et ne peuvent être répétées.

Mon pansement est refait aujourd’hui : les plaies (surtout celle de l’aisselle), ont bien diminué et je crains maintenant d’être guéri avant les grandes vacances.

Comme dans tous les hôpitaux, sur 3 infirmiers qui se trouvent ici il y a 2 curés. En voilà qui pourront se vanter d’avoir passé la guerre sans trop souffrir.

Mardi 26 juin

Aujourd’hui, une des infirmières de l’hôpital est restée chez elle, atteinte de la diphtérie.

Conséquences : l’hôpital est consigné, interdiction absolue aux blessés de sortir en ville.

Cette mesure est plutôt absurde, car si nous sommes condamnés à rester enfermés, les officiers soignés ici peuvent sortir et les infirmiers !!

 

Pourvu que la consigne soit levée pour samedi, c’est tout ce que je demande, car ce ne serait pas très gai pour ma Berthe de venir passer 4 heures à l’hôpital.

Ah ! Vivement que je sorte de cette caserne !

Le directeur de cet hôpital, Mr Moreau, ancien capitaine, est à cheval sur le règlement, et ne voudrait à aucun prix y faire le plus léger accroc.

Mercredi 27 juin

Enfin, j’ai des nouvelles de la Cie.

Pendant la 1ère période de tranchées, il y a eu 7 blessés à la 1ère Cie, dont Exertier amputé (*) et le sergent Légé, blessures à la tête et tympan crevé.

L’aumônier du régiment a été tué par un obus en face du P.C. du colonel.

 

Pour prévenir la rouspétance chez les poilus, le colonel a envoyé 30% du régiment en permission en plus du pourcentage ordinaire, si bien que presque tous les sous-officiers de la Cie sont chez eux : figeac, Moury, Alphant, Mouneret, Vallin, Jarçon, Buissières, Fiard ; pour les remplacer, on a fait venir provisoirement des cadres du P.D. (**), ainsi d’ailleurs que des poilus.

 

Ce midi, j’ai la surprise de voir le sous-lieutenant Marinet (***) de ma Cie qui, étant en permission, est venu voir son neveu aspirant au 99ème d’infanterie qui est soigné ici.

 Mon pansement est refait et mes plaies sont en bonne voie de cicatrisation.

 

(*) : EXERTIER Francisque Antoine, mort pour la France en 1953 (voir au 11 juin)

(**) : Parc Divisionnaire

(***) : Le sous-lieutenant MARINET Jean-Charles, 36 ans, né à Lyon, sera tué devant Jouy (Aisne), le 18 octobre 1917

Jeudi 28 juin

La journée se passe sans incident notable.

Le temps s’est mis à l’orage et ce matin l’eau tombe à verse. Bien mauvais temps pour les foins.

 

Cet après-midi, le colonel commandant la place de Laval vient à l’hôpital remettre la croix de guerre à un sergent-fourrier Covacliche, qui est soigné dans la même salle que moi, à cette occasion, les infirmières avaient décoré la salle, mais la cérémonie n’a rien eu d’extraordinaire, le colonel s’étant borné à épingler la croix de guerre sur la poitrine du sergent sans faire le discours que nous escomptions.

 

Ce sergent est grièvement blessé à la jambe, qui présente un trou où l’on pourrait mettre le poing, trou qui laisse apercevoir le tibia à moitié rongé.

Ah ! Il n’est pas près de retourner à la guerre.

Vendredi 29 juin

À 10h, je reçois de nombreuses lettres (1 de ma Berthe, 1 de Perrin qui m’a envoyé ma cantine à Laval, 1 de Villette et 1 de Boudon.)

Mon pansement est refait ce matin, les plaies sont en bonne voie de guérison et ont bien diminué des ¾.

L’adjudant Marinet reçoit aujourd’hui la nouvelle de la mort de son père, commandant dans un régiment d’infanterie. (*)

Ici à part 2 amputés, il n’y a pas de très gravement blessés, la plupart ont des blessures légères. Quelques-uns sont ici depuis notre affaire sur l’Aisne (16 avril.)

 

Le tout puissant directeur de l’hôpital, Mr Moreau, ancien capitaine du 187ème , est le type du parfait militaire, soucieux avant tout du règlement, il en est même maniaque, si bien qu’il n’est pas très bien vu des blessés : avec lui, inutile d’essayer de faire la plus petite anicroche au service !!

 

(*) : MARINET Charles, commandant au 338e RI, mort pour la France, le 21/06/1917 à Vauxaillon (Aisne)

Samedi 30 juin

C’est plutôt avec surprise que ce matin, je reçois une lettre de ma Berthe qui ne vient pas à Laval, ni aujourd’hui, ni demain, car malgré ce que je luis avais écrit j’espérais quand même avoir sa visite.

J’écris immédiatement à Romagny, afin d’avoir sa visite jeudi prochain sans faute.

L’hôpital étant toujours consigné, nous devons nous contenter pour tuer le temps de faire une partie de croquet.

J’ai hâte de pourvoir sortir, le temps me paraîtra moins long.

 

 

Juillet 1917 : Hôpital auxiliaire n°19 de Laval - Les nobles - Visite de Berthe

Dimanche 1er juillet-Les nobles

Les infirmières de l’hôpital 19, sont à peu près toutes nobles : marquises, comtesses, vicomtesses, etc. Avec une ou deux patriotes : Mmes de Passeau (vicomtesse), Lebreton, Letourneur (présidente), Duchesse De Crouïy.  Melles De La Porte,  De Coligny, Allourel, Duchemin.

Par suite, je ne suis pas très bien vu, mais je m’en moque un peu ; j’ai hâte de quitter cet hôpital où d’ailleurs les pansements à l’éther que l’on me fait ne réussissent pas.

Lundi 2 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval. (*)

 

Bien que nous ne soyons pas mal, je ne me plais guère à cet hôpital, où on est ennuyé constamment par les visites : c’est d’abord le matin, Mr Moreau apportant l’ouest-éclair, puis l’aumônier, les infirmières, la présidente, etc.

 

(*) : Note écrite en haut de page

Mardi 3 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval. (*)

 

Cette suite de visite qui dure toute la journée, on exagère et j’aimerais bien mieux rester tranquille.

Ici il y a salut à la chapelle à côté, 2 soirs par semaine et ceux qui n’y vont pas (j’en fais partie) sont bien vite repérés.

 

(*) : Note écrite en haut de page

Mercredi 4 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19, à Laval. (*)

 

Mes blessures se ferment presqu’à vue d’œil, aussi j’espère bien être guéri à la fin du mois et sortir de cet hôpital où je m’ennuie à mort.

 

(*) : Note écrite en haut de page

Jeudi 5 juillet-Visite de Berthe

En traitement, hôpital auxiliaire 19, Laval. Visite de ma Berthe.

 

Je venais de me lever, lorsqu’on me dit que quelqu’un me demande ; une fois en bas j’ai le bonheur de voir ma Berthe qui a été accompagnée ici par Melle CHENIN.

Je demande l’autorisation à Mr MOREAU de sortir à 10h ½ - 11h pour manger avec elles, mais il n’y a rien à faire, ce vieux « barbu », à l’esprit militaire, étroit, ne veut rien entendre et je dois attendre 12h.

C’est tout de même malheureux !!

 

Vendredi 6 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19, Laval.

 

Cet après-midi, je fais en compagnie de l’aspirant TRUNEL et du sergent REUTZ une petite promenade en bicyclette jusqu’à Saint-Jean, le long de la Mayenne.

Samedi 7 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19, Laval.

 

Profitant du temps qui est assez beau, nous allons encore faire un tour à la campagne en bicyclette ; comme REUTZ sait à peine aller en bécane, nous ne pouvons aller bien loin.

Dimanche 8 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Le dimanche est le jour qui me déplait le plus de la semaine ; l’après-midi, les rues sont pleines des bleus (classe 18) et on doit avoir continuellement la main au képi pour répondre à leur salut.

Lundi 9 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Ce matin, il y a un nouvel arrivage de blessés, nous allons maintenant être un de plus dans notre salle, le sergent J. LAPèNE du 1er bataillon de Somalis blessé à Craonne par 2 éclats d’obus à la jambe (cuisse) ; ses blessures ne sont pas très graves.

Mardi 10 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Le nouveau s/s off. : LAPèNE me fait l’effet d’être une tête brulée ; c’est d’ailleurs un vieux colonial ayant 9 ou 10 ans de service. Il commence déjà à marcher dans la chambre avec une canne et ne tardera pas à sortir en ville.

Mercredi 11 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

À la visite du docteur GOUGEON ce matin, l’aspirant TURNEL est déclaré sortant, il passera devant la commission vendredi prochain.

Ah ! vivement que ce soit mon tour.

Jeudi 12 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Ce matin, TRUNEL va passer à l’hôpital mixte une visite et est proposé pour une convalescence de vingt jours : avec la petite blessure qu’il avait (éclat d’obus au poignet), c’est joli.

Vendredi 13 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

À la commission, TRUNEL a obtenu les 20 jours de convals pour lesquels il était proposé. Pourvu que j’obtienne autant !!..... Il paraît qu’ici la commission est assez large, surtout pour les gradés.

Samedi 14 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Je passe tranquillement mon temps à faire un peu de botanique sur les bords de la Mayenne où je détermine quelques plantes.

Dimanche 15 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Maintenant le sergent LaperIe (?) peut sortir en ville et je passe mon après-midi en sa compagnie, mais je n’en suis pas très enchanté, car il aime bien les bistrots.

Lundi 16 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Le temps depuis 3 jours est à la pluie, aussi quoi faire pour tuer le temps, si ce n’est d’entrer dans les cafés ! C’est ce que je fais tout l’après-midi.

Mardi 17 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Je m’ennuie de plus en plus ici, heureusement encore que j’ai ma flore qui m’aide à passer les longues heures de désœuvrement que nous avons.

Mercredi 18 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

L’aumônier nous emmène visiter La Brappe où les moines trappistes fabriquent du fromage.

Quelle vie que celle de ces hommes qui ne sortent jamais, ne se parlent jamais, couchent sur le plancher, etc. Il faut avoir vraiment la foi pour vivre ainsi.

Jeudi 19 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Le temps est incertain, je passe tranquillement mon temps à faire un peu de botanique à la campagne. Je préfère de beaucoup ce passe-temps à celui qui consiste à stationner dans les cafés.

Vendredi 20 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

Le temps étant pluvieux et maussade, je passe mon après-midi avec LaperIe (?)  en ville, où sortis d’un café nous rentrons dans l’autre.

Samedi 21 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Je vois de plus en plus que je ne suis pas très bien vu à l’hôpital : aujourd’hui, Melle Allourel a distribué à tous les sous officiers un superbe pyjama, seul je n’en ai point eu et je dois me contenter de mon mauvais treillis, mais je m’en moque un peu et me fiche d’elle.

Dimanche 22 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Temps toujours très chaud.

Je m’ennuie de plus en plus à cet hôpital où toutes ces dames bien pensantes ont leurs préférés.

Dans la salle des sous-officiers, Lovachiche et Rintz sont les mieux vus avec l’aspirant Marinet.

Lundi 23 juillet-Visite de Berthe

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Temps toujours très chaud. Ma Berthe qui maintenant est en vacances, arrive aujourd’hui à Ernée (*) pour y passer quelques jours près de moi.

De 12h à 16h nous allons, nous promener sur les bords de la Mayenne.

 

(*) : Situé à 20 km au nord de Laval (Mayenne)

Mardi 24 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Maintenant que ma Berthe est là, j’ai la permission de rentrer à 17 heures pour la soupe.

Nous allons passer l’après-midi au jardin public de la terrasse.

Mercredi 25 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Grand branle-bas à l’hôpital où doit venir le directeur-adjoint du service de santé : le terrible Milaret. Par suite interdiction aux blessés de sortir cet après-midi.

Ce Mr Milaret arrive vers 17h, il examine tous les blessés et ceux dont les plaies sont à peu près guéries devront être présentés à la prochaine commission de convalescence, tel le sergent Pérard de notre salle.

Ma Berthe quitte Laval.

Jeudi 26 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Cet après-midi, un sergent de la garnison de Mayenne évadé récemment d’Allemagne, vient faire à l’hôpital une petite causerie sur la vie outre-Rhin, et sur son évasion.

D’après lui, la vie ne serait pas rose là-bas, mais je crois qu’il exagère un peu à dessein.

Vendredi 27 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Ce matin, nous avons la visite du chirurgien Alexandre qui désigne les blessés devant être évacué sur un hôpital à la campagne : Ernée.

Blessés n’ayant plus besoin de soins chirurgicaux.

C’est avec plaisir que je me vois désigné ainsi que le sergent LaperIe (?).

Samedi 28 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

J’ai hâte de quitter cet hôpital que je ne regretterai certes pas.

Depuis une quinzaine il n’y a aucune amélioration à mes plaies et si cela continue j’en ai encore bien pour 2 mois ce qui ne m’enchante guère.

Dimanche 29 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Cet après-midi, nous assistons à une soirée récréative donnée à notre intention et organisée par l’aumônier belge à Laval.

Lundi 30 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

Mardi 31 juillet

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

 

Août 1917 : Hôpital de Laval, puis d’Ernée

Mercredi 1er août-Hôpital auxiliaire N°19 de Laval

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

Le temps est toujours au beau, le midi la chaleur est accablante et nous préfèrerions de beaucoup sortir après la soupe de 5 à 9 au lieu de midi à 4h, car que faire par cette chaleur, si ce n’est d’entrer se rafraîchir dans les cafés.

Jeudi 2 août

L’aspirant Marinet rentre de sa permission exceptionnelle obtenue à la suite de la mort de son père, ce matin.

Je passe mon après-midi en compagnie du sergent LaperIe (?) à me balader dans la ville et à boire nombre de bocks.

Vendredi 3 août

En traitement à l’hôpital auxiliaire 19 à Laval.

 

C’est aujourd’hui, heureusement la dernière journée que j’ai à passer à Laval.

Mes plaies depuis une quinzaine n’ont fait aucun progrès et elles suppurent encore beaucoup : j’ai bien peur de ne pas être guéri dans un mois.

Samedi 4 août-Hôpital Hôtel Dieu d’Ernée

Arrivée à Ernée

 

C’est cet après-midi que je quitte Laval avec le sergent LaperIe (?)  et 5 poilus pour Ernée.

Je vais chercher les ordres de transport à l’hôpital mixte et à 14h30 nous prenons le tramway pour Ernée, en passant à Andouillé je vois mon camarade de lit de l’ambulance 237 à Soissons : Elleaux.

 

Nous arrivons à Ernée vers 17h, un sergent secrétaire nous attend à la gare et nous conduit à l’hôpital : Hôtel Dieu d’Ernée où nous allons être soignés par des sœurs.

J’occupe le lit St Barnabé n°11.

La sœur pharmacienne regarde nos plaies ce soir.

Dimanche 5 août

Le major vient nous voir ce matin et nos pansements sont refaits : autre traitement qu’à Laval, l’éther est remplacé par une pommade jaune et la sœur fait bon usage du crayon de nitrate d’argent pour brûler les chairs, crayon proscrit à Laval.

Nous mangeons (LaperIe (?)  et moi) dans une petite salle spéciale et nous sommes nourris comme des « coqs en pâte », 1 litre de cidre et une bouteille de vin rouge par repas, soupe, veau rôti, plus que nous ne pouvons en manger, purée et fruits avec café additionné de « blanche ».

Décidément nous ne regrettons point Laval.

 

Cet après-midi, nous allons nous promener en ville.

Lundi 6 août

Afin de pouvoir nous donner un peu plus de liberté, le sergent gestionnaire de l’hôpital Mr Mézères nous offre de lui donner un coup de main au bureau, de cette façon nous irons au bureau qui se trouve en ville, le matin aussitôt les pansements faits vers 8h 1/2 – 9h, jusqu’à l’heure de la soupe 10h et l’après-midi de 4 à 5h.

 

Les hommes eux ne peuvent sortir que de midi à 4h. 

La petite ville d’Ernée n’est pas mal du tout et les habitants ont l’air très aimable pour les blessés.

Ah ! Je suis bien content d’avoir quitté Laval !!

À Ernée se trouvent plusieurs usines de fabriques de chaussures qui occupent quelques centaines d’ouvriers et d’ouvrières.

Mardi 7 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

Nous sommes toujours aussi bien nourris et dorlotés.

Quelle différence avec l’hôpital auxiliaire 19 de Laval.

Mercredi 8 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

Jeudi 9 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

Vendredi 10 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

Samedi 11 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

Voilà juste une semaine que nous sommes à Ernée et pendant ces 7 jours, une plaie a fait autant de progrès que pendant 3 semaines à Laval.

Dimanche 12 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Mes plaies font des progrès sensibles tous les jours et j’espère maintenant être en convalescence pour la semaine du 1er septembre. Encore une quinzaine de jours à passer à l’hôpital.

Lundi 13 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Nous avons ici le grand avantage de ne pas être ennuyés par un tas de visites comme à Laval, où d’abord Mr Moreau, puis l’aumônier, ensuite Mesdames de ……. (*) venaient successivement nous embêter.

Ici l’aumônier vient à peine une fois tous les 2 jours.

 

(*) : Tel quel dans le récit

Mardi 14 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Deux poilus : Hurlet et Defête, arrivés avec moi à Ernée sont déjà guéris et sortent de l’hôpital jeudi prochain, tous nous sommes d’accord pour dire que nos plaies guérissent beaucoup plus vite ici qu’à Laval, les miennes ne suppurent presque plus et ont bien diminué.

Mercredi 15 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Aujourd’hui, grande fête, les sœurs nous ont fait un peu de réclame pour que nous allions à confesse et que nous communions ce matin. 4 d’entre nous seulement les ont écoutées ce sont : Perderau, Bouvier, Bolleau et le sergent (LaperIe (?)  qui pour se faire bien voir et rester un mois de plus à l’hôpital ferait n’importe quoi : quel hypocrite !!

À chaque repas nous avons en surplus un beau plat de crèmes.

Jeudi 16 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Hier il y avait grand pèlerinage à la chapelle de Charné, qui se trouve à 1km de l’hôpital sur la route de Mayenne, les gens y viennent de très loin.

Mais le temps n’a pas favorisé la procession qui a eu lieu l’après-midi et les pèlerins ont reçu une forte averse sur le dos.

Aujourd’hui, même temps.

 

Voir la carte Michelin pour situer le récit

Vendredi 17 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Le temps comme hier est toujours maussade, si cela continue, je ne pourrai guère aller visiter les patelins avoisinants et serai réduit à passer mes après-midi à faire maintes parties de billard et de cartes au bistrot.

Samedi 18 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Le temps aujourd’hui est un peu meilleur et il nous permet à LaperIe  et à moi d’aller à St Mars-sur-la-Futaie (13 km d’ici.) Ces promenades, du moins nous font passer le temps sans trop nous ennuyer.

Dimanche 19 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Mon séjour ici s’abrège rapidement, mes plaies faisant des progrès de jour en jour, aussi j’espère bien partir en convalescence dans une dizaine de jours.

Lundi 20 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Bien que j’aie hâte de quitter l’hôpital, je regretterai certainement Ernée où nous sommes si bien soignés, à mon avis il est impossible de trouver mieux comme hôpital et on est beaucoup plus tranquille dans ces petites localités que dans les grandes villes.

Mardi 21 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Cet après-midi vers 14h, nous avons la visite du docteur Alexandre, qui est comme chirurgien, chef de secteur.

Après la visite nous sortons jusqu’à 5 heures.

Legendre et Rault sont désignés comme sortants pour jeudi.

Mercredi 22 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Le temps est toujours à la pluie, le mois d’août décidément ne se fera pas regretter et je me demande ce qu’ils peuvent faire avec ce temps à La Chapelle.

Ne pouvant me promener, je passe mon après-midi au café à jouer au billard, ce jeu me plait de mieux en mieux.

Jeudi 23 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Legendre et Rault nous quittent ce matin, nous ne restons plus qu’une dizaine à l’hôpital.

 

Cet après-midi, le temps étant assez beau, je vais faire un tour à bicyclette jusqu’à la forêt de Vautorte (*) sur la route de Mayenne : forêt où parait-il on trouve quantité de champignons comestibles.

 

(*) : Maintenant appelée forêt de Mayenne, >>> voir carte <<<<

Vendredi 24 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

C’est aujourd’hui la foire d’Ernée et nous faisons un tour au marché : les animaux se vendent un prix fou.

Sur la place je vois une chose qui me révolte : une marchande a le toupet d’exposer sur son étalage une vingtaine de paires de brodequins militaires qu’elle a dû acheter à des soldats ; c’est vraiment trop de culot…

Qu’elle les revende… soit, mais les exposer de cette façon, non.

Elle mériterait une bonne punition.

Samedi 25 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Un 2ème secrétaire est arrivé au bureau, si bien que nous n’avons pas grand-chose à faire et je passe mon après-midi à faire une promenade à bicyclette jusqu’à Montaudin (10km d’Ernée).

Dimanche 26 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Toute la journée, la pluie ne cesse de tomber à torrents (le mois d’août, décidemment aura été bien mauvais !...). Je passe mon temps à jouer au billard et aux cartes chez Mme RIVIERE.

Lundi 27 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Mes plaies sont à peu près complètement cicatrisées, aussi je demande à passer la commission de convalescence jeudi prochain. Pourvu que j’obtienne un mois !!!...

Il est temps en effet de me presser afin que je puisse passer une partie de ma convals pendant que ma Berthe est en vacances.

Mardi 28 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Le temps est aussi mauvais qu’hier, aussi impossible de se promener, je suis forcé de passer mon temps au café, à jouer au billard.

Dommage que je ne reste pas six mois à l’hôpital d’Ernée, je pourrais faire quelques progrès à ce jeu très intéressant.

Mercredi 29 août

En traitement à l’hôpital civil d’Ernée.

 

Je profite de ma dernière journée pour aller faire un tour à Pontmain (22km d’Ernée) où je visite la basilique et la grotte du Pardon.

Le temps ne me favorise guère et à l’aller j’attrape une bonne ondée.

Jeudi 30 août-La commission de convalescence

Commission de convalescence de Mayenne.

 

Je quitte Ernée pour Mayenne par le train de 7h ¼ et à 8h ½ je suis à Mayenne. Je vais directement à l’hôpital mixte où la commission siège à dix heures.

Le major ne me fait aucune difficulté pour m’accorder le mois de convalescence pour lequel je suis proposé ; si j’avais été proposé pour 45 jours, je les aurais sûrement obtenus.

Je touche mes feuilles, mon prêt vers 3 heures de l’après-midi et à 4h ½ je reprends le train pour Fougères où je suis obligé de passer la nuit.

Enfin me voilà donc en convalescence !!!

Vendredi 31 août

Arrivée à Donville.

 

J’ai passé une bien bonne nuit et ce matin, je prends le train pour Saint-Hilaire, Avranches et Granville.

Sur le quai d’Avranches, je trouve Mme JOUVET avec Mr LAIGNEL qui s’en vont à Granville retrouver Mr JOUVET qui n’est plus soldat.

L’employé au guichet de la gare d’Avranches me fait payer place entière, les militaires en permission seulement, ayant droit au quart de place.

Sur le quai de Granville, je trouve ma Berthe, avec ma mignonne petite Fernande et les cousins qui m’attendent.

Quel bonheur !!

Septembre 1917 : En convalescence dans la Manche - Bréhal - La récolte du varech – La Chapelle - Romagny

Samedi 1er septembre-Bréhal

Bréhal. En convalescence.

Me voilà donc en convalescence : un mois à passer près de mes chéries, cela va me paraître bien bon.

 

Cet après-midi, en compagnie des cousines Margueritte et petite Thérèse, nous partons pour Bréhal où nous devons passer quelques jours chez les cousins JORES pendant la grande marée du 1er.

Nous arrivons chez les cousins où nous trouvons porte close; ils sont partis au varech et rentrent vers 16 heures.

Demain, nous les accompagnerons à la mer.

Dimanche 2 septembre-La récolte du varech.

En convalescence.

 

À 11 heures, nous partons tous pour la mer et pour la 1ère fois de ma vie, je participe à la récolte du varech.

Cette récolte est très agréable ; à marée basse, à plus d’1km de la côte, nous avons l’eau au-dessus de la ceinture, des faucheurs coupent le varech, et la mer en se retirant l’entraîne dans des filets placés exprès pour l’arrêter, mon rôle se borne à ramasser du varech dans les filets et à le mettre dans la voiture ou dans un grand filet formant sac.

Je suis aidé par la cousine JORES, ma Berthe et la petite servante.

Aujourd’hui, la récolte a été assez bonne.

Jeudi 13 septembre-La Chapelle

En convalescence.

 

Le temps est toujours au beau.

Ce matin, les ouvriers continuent à râteler l’orge et cet après-midi nous allons battre les 2 vergers de sarrasin qui se trouvent dans le grand domaine.

Nous sommes 3 à battre : Émile, Descatoire et moi. Marguerite et Henri nous servent et Désiré avec le petit d’Augustine charrient.

Le sarrasin rend encore plus qu’on ne l’aurait cru et cette année, ils pourront manger de la bonne galette.

Vendredi 14 septembre

En convalescence.

 

Jusqu’à la collation, nous sommes occupés à vanner le sarrasin, battu hier. Entre la collation et le dîner nous allons battre 2 sillons de blé noir qui restaient à l’entrée du grand domaine et nous sommes quittes à midi.

 

L’après-midi est employé à vanner.

Mon père porte une barattée au moulin et en rapporte la farine : vivement la galette, car le pain que l’on vend par ici est très mauvais.

Samedi 15 septembre

En convalescence.

 

Le temps s’est remis à la pluie cette nuit, et toute la journée l’eau ne cesse de tomber.

Ce matin, nous redressons les pommiers et poiriers dans le « circuit aux porcs » que la tempête de l’autre jour avait couchés.

 

Cet après-midi, je vais avec mon père voir les veaux et la pouliche achetés à Romagny l’an dernier qui se trouvent à Mesnil-Eury dans des herbages loués dernièrement.

La pouliche, particulièrement, a bien profité et elle est très jolie.

Mon père a le grand tord de ne pouvoir limiter son troupeau bovin et je me demande comment il fera cet hiver.

Dimanche 16 septembre

En convalescence.

 

Ce matin, nous apprenons que l’école au lieu de recommencer le 1er octobre, recommence demain matin : l’institutrice de La Chapelle est rentrée hier soir, elle a été prévenue par télégramme.

Ne pouvant partir aujourd’hui, nous quittons La Chapelle demain matin, la journée se passe en préparatifs de départ et ma Berthe, la classe rentrera mardi, tant pis.

Visite de Leneveu.

Lundi 17 septembre-Romagny

Arrivée à Romagny.

 

Départ de La Chapelle à 7 heures du matin et arrivée à Romagny vers 18h30.

Mardi 18 septembre

En convalescence.

 

Je travaille à arracher quelques pommes de terre qui rapportent très peu, à peu près la semence.

Mercredi 19 septembre

En convalescence.

Suite et fin de l’arrachage des pommes de terre.

Jeudi 20 septembre

En convalescence.

Promenade à Mortain où je ne peux trouver une bécane.

Vendredi 21 septembre

En convalescence.

Je vais à St Mars-sur-la-Futaie, voir un camarade d’hôpital, pour cela je dois aller à St Hilaire-du-Harcouët où je loue une bécane pour 8 jours : 15f.

Je rentre à Romagny vers 19h ½, près de 80 km dans les jambes.

Samedi 22 septembre

En convalescence.

Je passe ma journée à mettre un peu d’ordre dans tous mes souvenirs de guerre que je range dans une cantine. (*)

 

(*) : Qu’il aurait été intéressant de la retrouver !

Dimanche 23 septembre

En convalescence.

Cet après-midi, nous avons la visite de Melle Chemin, maintenant institutrice à Brouains et de Mr et Me Silandro.

Lundi 24 septembre

En convalescence.

Ma Berthe voulant que j’essaie d’obtenir une prolongation à ma convalescence, je pars ce matin pour St Lô  par le train jusqu’à Vire et ensuite en bécane, je passe par Torigni-sur-Vire où je reste de 13h à 18h ½ chez Lemazurier.

Arrivée à St Lô 19h30, je trouve Leneveu au pont de Vire.

Mardi 25 septembre

En convalescence.

Notre nuit a été mouvementée, un incendie s’étant déclaré rue Conteur, vers minuit, à environ 100m de chez Eliomas où nous sommes couchés : 3 maisons ont été brûlées.

La commission de convalescence siège à 10 heures, de 8 à 10h je me fais inscrire, la commission n’est pas généreuse et je n’obtiens rien (3 journées de perdues pour rien.)

Nous allons dîner à La Chapelle et revenons passer la nuit à Torigni.

Mercredi 26 septembre

En convalescence.

Départ de Torigni à 8h du matin, 50 km en bécane et nous arrivons, Leneveu et moi à Romagny à 12 heures.

Nous passons la soirée à ramasser quelques pommes et à monter les fagots au grenier.

Jeudi 27 septembre

En convalescence.

8h50, nous prenons le train pour Sourdeval, Leneveu qui vient avec nous retourne à St Lô, devant y être ce soir sans faute, il va être obligé de faire le trajet Vire–St Lô en bécane.

Nous passons notre journée chez Melle Chemin à Brouains en compagnie de Melle Horimand de Soudeval.

Visite d’une usine fabrique d’objets en aluminium.

Vendredi 28 septembre

En convalescence.

Je vais rendre ma bécane à St Hilaire et passe ma journée à faire une tournée dans le sud du Mortainais : N.D. du Touchet, le Teilleul, Landivy, etc.

La perte de mon timbre de bécane passe inaperçue chez LePettier.

Départ de Romagny

Samedi 29 septembre

En convalescence.

Dernière journée de convalescence.

Préparatifs de départ, voilà un mois qui ne ma pas parut long.

Allant par Laval, je pars de Romagny par le train de 18h ½, il me faut de nouveau quitter ma Berthe et ma mignonne petite Fernande.

Pauvres chéries, quand vous reverrais-je ?

Pourvu que je puisse obtenir une permission agricole.

Dimanche 30 septembre

Arrivée à Laval minuit ½ et à Paris à 6h ½ du matin, je dois prendre le train gare de Lyon à 7h 45, aussi j’ai juste le temps de traverser Paris en tramway et je ne puis aller rendre visite à Mme Calmé.

Le train que j’ai dû prendre, est un train de permissionnaires et s’arrête presqu’à toutes les gares, aussi le temps me parait long.

Arrivée à Lyon.

 

 

Octobre 1917 : Fin de la convalescence – Lyon, fort Lamotte - Faire la police des trains de permissionnaires – Valréas (Vaucluse), le dépôt du 158e RI - Le classement des blessés pour retourner au front – La permission agricole en famille

Lundi 1er octobre – Lyon, fort Lamotte

Arrivée à Lyon 6h15 du matin, je prends immédiatement la direction du fort Lamothe et à 8h, après avoir mangé un peu, je suis encaserné.

 

Dans la matinée, je passe dans maints bureaux où travaillent comme secrétaires, des femmes, je touche 54f 95 chez le trésorier, solde et indemnité de vie pour 15 jours.

 

À mon entrée à la caserne, le 1er soldat que je trouve est mon fameux Cave qui a réussi à se faire évacuer à l’arrière pour phlegmon à la main gauche.

J’apprends que Machat, caporal, est en ce moment en permission et qu’il doit rentrer dans 2 ou 3 jours.

Mardi 2 octobre

Je suis affecté à la 26ème Cie, le lieutenant qui la commande est le lieutenant CHANZY anciennement au 1er bataillon du 158e, qui avait été gravement blessé à Ablaincourt. (*)

 

Ce matin, je passe la visite d’incorporation et le major me déclare : apte au camp ; en conséquence je vais partir incessamment pour Valréas où se trouve le camp d’instruction du 158.

Au camp se trouve toujours CHAMBRON et MATHON de ma section, qui avaient été blessé dans la Somme.

 

Ici, il n’y a pas grand-chose à faire : un adjudant est chargé spécialement du service intérieur de la Cie ; pour nous, il y a le service de place, trains de permissionnaires, routes, patrouilles, service aux autos etc…

 

(*) : Blessé entre le 12 et le 15 novembre 1916 sur JMO

Mercredi 3 octobre-Faire la police des trains de permissionnaires

À la 26ème Cie il y a 3 adjudants et 2 aspirants, l’aspirant LAGIER qui a été blessé à Verdun et qui est inapte par suite de commotion : c’est un professeur de math.

Je suis désigné pour faire le train de permissionnaires allant à Villers-Cotterêts, train qui vient de Marseille et qui passe à Lyon à 19h30’ : c’est moi le chef de la garde de police qui accompagne ce train : garde de police qui contient en outre 1 sergent, 1 caporal et 6 hommes. (*)

Je dois faire quelques provisions de bouche, car nous mettons 2 jours ½ à faire le voyage.

 

(*) : Les gardes de police en gare se sont considérablement renforcés depuis les mutineries de mi-1917. Des dizaines de milliers de soldats transitent par les gares, favorisant les échanges de « ragots » plus ou moins vrais.

Jeudi 4 octobre

L’aller s’effectue sans aucun incident, je fais viser ma feuille à Corbeil-Essonnes.

Le rôle de la garde de police est :

1° d’empêcher les civils de monter dans le train,

2° d’empêcher les manifestations,

3° de réserver un wagon pour les officiers.

 

Au mois de juin ce n’était pas paraît-il le filon d’être de garde de police à cause du moral des poilus qui à ce moment était bien bas, mais maintenant les trains de permissionnaires sont tout à fait calmes.

 

Arrivée à Villers-Cotterêts à 13h40’, nous en repartons à 14h10’ pour Crépy-en-Valois où nous devons coucher.

Vendredi 5 octobre

À Crépy-en-Valois, j’apprends que le 158ème est au repos du côté de Vierzy, et que le Lieutenant-Colonel BLANC et le commandant FERNAGER ont quitté le régiment.

D’après les bruits qui courent, il y aurait d’ici peu de jours attaque sur le front de l’Aisne ; ce seraient des noirs (*) qui auraient remplacé le 158e en ligne.

Après 23 heures d’arrêt à Crépy où j’ai couché en billet de logement, nous en repartons avec le train de permissionnaires venant du front à 14h ; je n’ai réussi à voir aucun poilu du 158.

 

(*) : Il s’agit du 4e régiment mixtes de Zouaves, qui a relevé le 158e RI le 25 août 1917.

Samedi 6 octobre

Soirée à La Gaîté.

Le retour est aussi calme que l’aller et à 5h ½ nous sommes rentrés à Lyon.

Le sergent qui m’accompagnait, nommé CAZENAVE a été renvoyé du front (144ème territorial) pour obésité, il pèse 115kg.

 

Pour frais de route, je touche 11F10 alors que j’ai dépensé près de 25F, les poilus ne touchent que 2F70 : allez donc vivre pendant 3jours avec 2F70 !...

C’est honteux !!...

Au fort Lamothe, je trouve MACHAT caporal rentré de permission, qui n’est toujours pas bien solide, OLLIER F. (1er section) et BONFILS, sergent, blessé dans la Somme, boyau des Prussiens, 6 septembre.

Dimanche 7 octobre

Au fort Lamothe est arrivée la musique de la garde royale italienne, qui donne un concert cette après-midi au parc.

L’aspirant LAGIER part en convalescence de deux mois cet après-midi ; le veinard !!...

Dans un détachement venu de Valréas, pour partir en renfort au 358, je retrouve le sergent BERNARDIN, qui avait été blessé le 7 septembre dans la Somme : il n’a pas changé et a toujours bonne blague ; je passe tout l’après-midi avec lui et ce soir nous allons au casino où je trouve que le spectacle ne vaut pas les 2F que nous avons donnés.

Lundi 8 octobre

Le temps est brumeux et maussade ; n’étant pas de service je m’ennuie toute la journée, n’ayant absolument rien à faire.

Un nouvel aspirant arrive à la Cie : il vient de la 7ème Cie du 158 et a été blessé le 20 juin par 2 shrapnells dont l’un lui avait traversé la gorge et l’autre l’avait blessé aux reins.

 

Reçu ce matin une lettre de ma Berthe.

La pluie se met à tomber ce soir, aussi je ne sors pas et à 19h je suis couché.

Mardi 9 octobre

Rien à faire de toute la journée, je tue le temps à écrire et à remplir quelques pages de mon carnet de route.

 

Cet après-midi, je rencontre le lieutenant CHANZY à qui je demande à partir pour le camp, ce qui m’est accordé, en conséquence je quitterai Lyon pour Valréas jeudi prochain : j’en suis bien heureux car ici, je m’ennuie atrocement, et bien que je n’aie pas grand-chose à faire, le service de place ici me dégoûte.

Décidemment la nostalgie du front me reprend.

Mercredi 10 octobre

Aujourd’hui, je passe à peu près toute ma journée à m’équiper et à m’habiller.

 

Pour partir au camp, je ne puis toucher d’effets de drap ; c’est à grand peine que réussis à trouver une mauvaise capote, je touche un pantalon de velours et pas de veste, aussi me voilà bien nippé. Il est tout de même triste de constater qu’on ne peut même pas vous habiller.

Par contre, je touche une paire de brodequins neufs, une paire de souliers de repos et une paire de brodequins usagés.

Lorsque j’irai en permission j’espère bien en mettre une paire de côté.

Jeudi 11 octobre-Valréas

Arrivée à Valréas. (*)

 

Je quitte Lyon ce matin en compagnie de 3 caporaux et de 13 poilus.

Il faut que je fasse enregistrer 15 colis de bagages envoyés par le dépôt au détachement de Valréas. Il nous faut voyager toute la journée ; nous avons 2 heures d’arrêt à Pierrelatte et nous n’arrivons à Valréas qu’à 22h.

Ce n’est guère intéressant d’arriver ainsi de nuit au cantonnement : les hommes doivent passer la nuit dans un local de fortune sans couverture.

Tant qu’à moi, le sergent qui nous attendait à la gare me conduit dans la chambre d’un adjudant où il y a une place.

 

(*) : Note écrite en haut de la page du carnet. Le dépôt du 158e RI se trouve à Valréas (Vaucluse). Il s’agit d’un camp pour reformer ou former les soldats blessés, les soldats malades, etc...

Pour la pluparts, ils intègreront le 158e RI ou le 358e RI.

Vendredi 12 octobre-Le classement des blessés

La visite devant avoir lieu à 7h, je me lève de bonne heure, mais nous passons vainement la matinée à attendre ; la visite est reportée d’abord à cet après-midi et finalement à demain matin.

Le temps assez beau ce matin, se gâte cet après-midi et la pluie se met à tomber.

 

Ah ! Que le temps me paraît long !...

J’ai hâte d’être classé C4 pour avoir ma permission  de transition de 15 jours.

Voilà en 2 mots ce que je souhaite : être classé C2 demain, et alors à la contre visite, mardi prochain je demanderai à être classé C4, ce qui me ferait 15+4 = 19 jours de permission.

Samedi 13 octobre

À Valréas, j’ai retrouvé le sergent DAVID ancien de la 2ème Cie du 158 ; comme poilus, il y a : PIBOULEAU, le plus mauvais soldat de ma section dans la Somme, MATHON, CHAMBRON, ABONNEL également de ma section. POUCHOT-BRAVEZ (1ère section), BRUSCHI etc…

 

Ce matin, nous allons de nouveau voir le toubib qui, n’ayant pas nos fiches, refuse de nouveau de nous passer la visite. Cela finit par être assommant cette façon de nous envoyer du bureau à l’infirmerie.

 

Enfin cet après-midi, le capitaine ayant parlé au major, nous passons cette maudite visite : je suis classé C1 ainsi que tous ceux qui ont été blessés, les malades par contre ont été classés C2. Nous (les C1) repasserons une nouvelle visite mercredi prochain, je demanderai alors à être classé C4, ce qui me fera 15+4+4=23 jours de permission, plus les 4 jours de délai de route : 27 jours absent du camp, ce sera bon !!!

Dimanche 14 octobre

Je vais ce matin au rassemblement des C1 qui a lieu à 8 heures, afin de voir le lieutenant qui commande le groupe, mais je ne réussis pas à l’apercevoir.

 

Cet après-midi, je vais avec DAVID à Grillon voir le capitaine COSTE et mes anciens caporaux PICARD et MICHEL.

Une fois de plus je n’ai pas de chance, le capitaine COSTE est en permission et je ne réussis à voir que le caporal PICARD ; par hasard je rencontre l’aspirant BOQUIER, ancien camarade du 175 à Meylan, qui maintenant est dans l’auxiliaire et comme tel est instructeur de la classe 18.

Lundi 15 octobre

C’est aujourd’hui mon premier jour d’exercice.

Rassemblement à 7h moins 20 et départ à 7h. L’exercice est loin d’être pénible : gymnastique et travaux de terrassement qui consiste à boucher des tranchées ; je fais connaissance avec un des s/s lieutenants de la Cie qui est instituteur dans l’Isère : il est inapte à l’infanterie, ayant reçu un éclat d’obus dans le jarret et espère pouvoir se faire mettre en sursis.

 

Au rapport, ce midi, je vois enfin le lieutenant PIéTRINI, qui commande le groupe ; c’est tout à fait le type du vieux juteux, qui n’est pas sympathique pour un « rond ».

Je demande ma permission agricole ; l’aurai-je ? Je n’en sais rien.

 

Cet après-midi, même travail que ce matin.

Mardi 16 octobre

Nous passons toute la journée à faire le même travail qu’hier : combler des tranchées.

D’ailleurs tout l’exercice du groupe C1 consiste en travaux de terrassement et en gymnastique.

Ne ferait-on pas mieux d’envoyer tous ces poilus chez eux pour 15 jours, 1 mois, 2 mois, l’exercice qu’ils prendraient en travaillant chez eux serait certes plus bien (*) profitable que ce qu’ils font ici, de plus cela ne pourrait qu’améliorer leur moral et enfin ce serait de grandes économies pour l’État ; mais non, c’est trop simple et par suite incompatible avec le métier militaire.

 

J’ai reçu hier soir 2 cartes postales auxquelles ma Berthe avait joint 3 épreuves de photos qui, ma foi, sont à mon avis bien réussies.

 

(*) : Rayé sur le carnet.

Mercredi 17 octobre

Ce matin, nous allons achever le travail commencé ces deux derniers jours.

 

Cet après-midi : visite de classement pour le groupe C1 ; comme je viens d’arriver ici, je suis maintenu C1 ; en voilà donc encore pour 15 jours ; si je puis avoir une permission spéciale, sitôt rentré je demanderai à passer C4 ce qui me fera repartir pour 23 jours et alors ensuite : volontaire pour le front.

 

J’ai reçu aujourd’hui des nouvelles du 158ème : FAVE, COSTE, PERNICHOT et LACOTE m’ont envoyé chacun un mot, ils vont paraît-il attaquer d’ici très peu de temps le fort Malmaison.

Cette attaque se prépare depuis déjà longtemps et chaque fois était reportée à plus tard, mais cette fois-ci je crois bien que ça y est.

Jeudi 18 octobre

Étant de service de jour aujourd’hui, je suis libre jusqu’à 10 heures : le service allant de 10h à 10h.

Ce service consiste :

1° à aller à la gare à tous les trains pour vérifier si tous les partants ont bien des permissions

2° à surveiller la tenue en ville.

 

Cet après-midi, j’ai l’agréable surprise de voir le caporal MICHEL anciennement à ma section, et qui avait été blessé dans la Somme en même temps que MACHAT, il est en ce moment à l’instruction de la classe 18 à Grillon, il m’apprend que le capitaine COSTE est rentré de permission, aussi, si je ne suis pas parti en perm dimanche, je retournerai à Grillon.

Aujourd’hui aucune nouvelle, peut-être serai-je plus veinard demain !

Beau temps.

Vendredi 19 octobre

Mon service finit à 10 heures.

Depuis hier je ne vais pas bien, j’ai attrapé je crois bien la dysenterie et je rends de glaires pleines de sang : hier j’ai acheté une fiole d’élixir parégorique (**) que j’ai vidée entièrement mais je ne vais toujours pas mieux ; cela m’embête de me faire porter malade, car j’espère obtenir ma permission agricole, mais si cela continue j’y serai forcé.

Au convoi du 158 arrivé hier soir, j’ai retrouvé le caporal MACHAT qui ce matin, à la visite malgré ses 2 trépanations (***) est classé C3, il n’a vraiment pas de chance !

 

Cet après-midi, nous touchons des masques contre les gaz et l’exercice va porter là-dessus.

 

(*) : Rayé sur le carnet.

(**) : L'Élixir parégorique est un ancien médicament anti diarrhéique à base d'opium, dénommé également teinture d'opium benzoïque ou teinture d'opium camphrée.

(***) : Acte chirurgical consistant pratiquer un orifice dans un os avec un outil appelé le trépan, avec un maillet ou à l’aide d’un autre instrument. L’une des trépanations les plus connues est celle de la boîte crânienne.

Samedi 20 octobre

Mon état est toujours le même. Ca y est : j’ai la dysenterie !!

Mais qu’est-ce que je n’attraperai donc pas dans ce fichu métier ?

 

Ce matin, je dois aller aux feuillées (*) 5 fois de suite : heureusement que le travail n’est pas pressant !

Comme tout exercice nous allons passer dans une chambre chlorée avec les masques.

 

Cet après-midi, il y a revue de cantonnement, d’armes, de literie etc… mais je ne m’en fais pas et le compte rendu est vite fait.

Bonne nouvelle : j’apprends que je dois passer la visite demain matin : visite que l’on fait passer à tous les permissionnaires avant leur départ, j’ai donc des chances d’obtenir ma permission et de quitter Valréas lundi soir ; car j’espère que le commandant ne refusera pas ensuite sa signature.

 

(*) : Les feuillées sont des toilettes en pleine nature. Elles consistent en un trou de profondeur raisonnable, généralement au moins 1 m de profondeur sont nécessaires.

Dimanche 21 octobre

Bien que j’aie ingurgité 2 fioles d’élixir parégorique, ma dysenterie n'est pas encore passée, mais cependant je vais mieux et j'espère que cela va continuer.

 

Cet après-midi, je vais à Grillon voir le capitaine COSTE et cette fois j'ai la chance de le trouver, il est à Grillon avec toute sa famille : sa dame et ses 2 enfants (une petite fille de 6 ans et un petit garçon de 2 ans). Nous passons tout l'après-midi ensemble et il me retient à dîner.

Cela fait plaisir de se retrouver et de parler des souffrances supportées ensemble.

Je rentre à Valréas par le train de 21h.

Lundi 22 octobre

J'ai appris hier midi par abonnel que MOLLET (*) avait été assez gravement blessé : lui qui croyait avoir dégoté un « filon » en passant comme téléphoniste à la Compagnie hors Rang.

Ce midi je lui envoie une carte.

 

En rentrant de l'exercice ce matin, je reçois une lettre de ma Berthe, une carte de LENEVEU et une lettre du capitaine Allène qui est vraiment très gentil.

J'espère cette fois partir demain soir en permission agricole mais le plus ennuyeux c'est qu'il n'y a pas de délais de route.

 

(*) : Ferdinand retrouvera MOLLET Léon à l’hôpital de Lyon fin février 1918, mais sa blessure lui a laissé une bien triste infirmité et comme il nous le dit lui-même avec amertume :

« Maintenant je ne suis plus un homme, je ne suis qu’une loque, je ne peux plus penser à me créer une famille, à me marier. » et nous disant cela il a les larmes aux yeux.

Mardi 23 octobre

Même travail qu'hier. Je m'attendais à partir en perm aujourd'hui et puis rien.

Les permissions du 97 sont signées et une vingtaine de poilus de ce régiment partent cet après-midi.

Celles du 158 sont signées par le capitaine CHAUVIN mais il reste encore le Commandant ROCHU, enfin, j'espère bien que cela sera pour demain.

 

Quelle lenteur tout de même !!!

Je me plaignais dans le temps de l'administration civile, mais je crois que l'administration militaire l'emporte encore de beaucoup pour sa paperasserie et sa lenteur.

Pendant ce temps-là, des circulaires arrivent tous les jours d'envoyer le plus de monde possible en permission agricole, et voilà comment ces commandants de dépôt interprètent ces circulaires en nous faisant attendre une quinzaine de jours quand ils ne les suppriment pas.

Ah ! S'ils pouvaient crever de faim, ils seraient certainement un peu plus généreux.

Mercredi 24 octobre

Hier, j'ai vu ROSAIN anciennement à la 1ère compagnie (4ème section), évacué de Saint-Ulrich pour bronchite.

 

Ce matin, le mistral souffle très fort et il ne fait pas bon à la côte 403 à creuser les tranchées.

 

Ce midi, toujours pas de permission.

Sitôt après le rapport, je vais voir à la salle de service et les permissions sont à la signature du Commandant : dans ces bureaux il y a un tas de scribouillards aussi peu avenants les uns que les autres, et cela leur ferait du bien si on les remplaçait quelque temps !!!...

Il y a ici un centre régional d'instruction physique (C.R.I.P.) où l'on fait un stage de 15 jours, je demanderai à faire ce stage en rentrant de permission.

Après bien des démarches, je réussis à partir en perm ce soir. (*)

 

(*) : Il s’agit d’une permission agricole, comme il le dira dans son récit le 1e novembre

Jeudi 25 octobre-La permission-train Lyon-Paris

Il me faut attendre 4 heures ce matin à Lyon : arrivé vers 4h, j'en repars à 8h10.

Le trajet Lyon-Paris me paraît diablement long et à Paris, le train a pris [plus] de 3 heures de retard si bien qu'à Montparnasse je « loupe » la correspondance et il va me falloir attendre jusqu'à demain matin 6 heures.

Ah ! Ces voyages pour aller en permission ne sont pas tout roses : ces heures, ces nuits à passer dans les gares, ce qu'elles paraissent longues !!...

Ah ! Vivement la fin de tout ça.

Vendredi 26 octobre

Enfin, ce matin, je prends l'express pour Laval ; comme j'ai eu le temps de faire mes provisions à Paris, je me restaure comme il faut, mais pas à bon marché (j'ai payé une poire moyenne 0,60F).

 

J'arrive à Laval vers 14h1/2 et en repars vers 16h pour Domfront, où je suis obligé de nouveau de passer la nuit et ce n'est que demain matin que j'arriverai à Romagny.

Dieu ! Que c'est long !!...

Samedi 27 octobre 1917 – Arrivée à Romagny

Après avoir passé une bonne nuit, je reprends le train à 6 heures et à 7h ¼, j'arrive à Romagny où je trouve ma petite famille en bonne santé.

 

Cet après-midi, comme il fait beau temps, je me mets à casser la corde de hêtre qui est depuis un bon bout de temps dans la cour, cela me fait au moins une occupation et m'empêche de m'ennuyer.

Je trouve notre chérie encore grandie mais elle est toujours peu bavarde et à part « maman », elle ne dit rien.

Dimanche 28 octobre-Romagny

Je passe toute la journée près de mes chéries.

Sur le journal d'aujourd'hui, il y a pas mal de renseignements sur notre avancée dans l'Aisne : la 43ème Division, dont fait partie le 158ème, a pris Chavigny, c'est sur ce point que l'avance a été la plus accentuée.

Il est fort probable que cette fois-ci le régiment va décrocher la fourragère qu'il a gagné depuis longtemps, ainsi que le 149. S'il en est ainsi, toute la division l'aura, les 1er et 31ème chasseurs l'ayant depuis longtemps.

 

(*) : La fourragère sera accordé, en octobre 1917 au 158e RI, pour sa seconde citation du 24 octobre 1917.

Voir la première citation  >>> ici <<<

Pour sa période de septembre 1916 dans la Somme. Le régiment a perdu 488 hommes.

Je n’ai pas trouvé la seconde citation dans le journal du régiment, ni les pertes, pour son attaque d’octobre 1917.

Lundi 29 octobre

Le temps, qui avait été pluvieux hier toute la journée, est passable aujourd'hui, ce qui me permet de travailler à scier et fendre ma corde de bois qui, ce soir, est bien avancée.

S'il fait beau demain matin, j'en serai quitte de bonne heure. Ce travail, casser du bois, m'a toujours bien plu.

 

Sur le journal, les Austro-Boches progressent rapidement en Italie : les Italiens sont décidément de bien mauvais soldats.

Déjà, on parle d'envoyer des renforts français et anglais de ce côté.

Mardi 30 octobre

Toute la journée, il fait un temps pitoyable, aussi je ne puis travailler que très peu de temps au bois.

Par ici, les cultivateurs n'ont pas encore commencé à labourer à cause du mauvais temps, il en serait pourtant temps.

Nous envoyons des renforts en Italie : le français est décidément bon à se faire casser la g..... de tous les côtés : cette guerre saignera la France à blanc et nous ne sommes pas encore au bout de nos peines.

Mercredi 31 octobre

Malgré le mauvais temps qui continue à persister, j'achève ma corde de bois, qui maintenant est à l’abri. Mes chéries ne manqueront toujours pas de bois cet hiver.

J'apprends aujourd'hui la mort d'un de mes camarades d'école normale, MAGNIN, capitaine au 25ème RI, tué lors d'une relève à Verdun. (*)

Cela porte à 4 le nombre de tués de mon année : ESNÉE, LESOUEF, HAMEL et MAGNIN.

 

(*) : MAGNIN André, 26 ans, capitaine au 25e RI, mort pour la France à Vacherauville (Meuse), le 17 octobre 1917.

Le JMO du 25e RI indique : « Pendant le mouvement de la 21e compagnie aux abris de 155, côte du Poivre, un tir de gros calibre allemand tue le capitaine MAGNIN… »

 

 

Novembre 1917 : Permission agricole à Romagny (Manche) - Retour à Valréas au camp d’instruction du 158e RI (Vaucluse)

Jeudi 1er novembre

Aujourd'hui, je passe tranquillement toute la journée à la maison.

Le temps continue toujours d'être maussade et les cultivateurs à se demander anxieusement quand ils pourront enfin ensemencer leurs terres.

Je vois aujourd'hui PREVEL, également en permission agricole de 20 jours. Il est au dépôt de Saint-Brieuc.

BOCHIN et Victor LORIER ont été cités tous les deux.

Vendredi 2 novembre

Arrivée à La Chapelle

 

Ce matin, je prends le train de 7 heures pour La Chapelle. Il me faut attendre près de 6 heures à Avranches. Quelle barbe !!!

Et je n'arrive à Carantilly qu'à 19 heures.

 

À Marigny, je trouve mon père qui m'attendait avec la voiture et enfin à 22h ½ j'arrive au Mesnil Dot(*), où je trouve Édouard, en ce moment en permission, et le frère d'Augustin également en perm.

 

En ce moment que le personnel ne manque pas, il fait un temps pitoyable : de l'eau tous les jours.

Aussi il a encore été impossible de commencer à labourer.

Il en serait pourtant grand temps.

 

(*) : Lieu non trouvé, avez-vous une idée ?

Samedi 3 novembre

Très belle journée, la plus belle qu'il y ait eu depuis longtemps.

Édouard et Émile vont à Carentan porter 5O hl de pommes.

Toute la journée, je ramasse des pommes dans le plant de La Chapelle avec le frère d'Augustin et Marguerite. Nous en ramassons 46hl ½.

Henri et Jules GIRES gaulent pendant ce temps. Avec le beau temps et le soleil, c'était un véritable plaisir, d'autant plus que ce travail me plaît assez.

Émile ayant reçu ses papiers, part pour Cumières ce soir.

Dimanche 4 novembre

Aujourd'hui nous [avons] la visite au Mesnil-Dot (*) de LESÉNÉCAL qui arrive en convalescence de 20 jours.

Cet après-midi, avec son aide, nous chargeons 50 hl de pommes du plant de La Chapelle dans la banne et la voiture pour les porter à Carentan demain.

Nous sommes aidés par Édouard et Henri, aussi c'est vite fait.

C'est moi qui, en compagnie d’Édouard, doit aller à Carentan demain, Émile n'étant plus là.

Ce matin, nous sommes allés au Dézert où j'ai vu ma marraine et Auguste.

 

(*) : Lieu non trouvé, avez-vous une idée ?

Lundi 5 novembre

Le temps, qui avait été pluvieux hier, est assez beau aujourd'hui, heureusement, et notre voyage à Carentan s'accomplit sans incident.

Nous sommes de retour à 19h ½.

À Carentan, j'ai l'occasion de revoir Auguste, GUILBERT et LAMBARD.

 

À la maison, Marguerite et DESCATOIRE ont continué à ramasser des pommes dans le plant du Moulin pendant que le frère d'Augustine levait le marc car ils doivent piler demain.

Mardi 6 novembre-Saint-Lô

Je vais aujourd'hui à Saint-Lô avec mon père, où je passe quelques heures en compagnie de LENEVEU qui ne retourne pas au quartier cet après-midi.

Mon père achète 500 kg de blé pour la semence pour 495 F, c'est vraiment un prix excessif.

LENEVEU, qui est instructeur pour la préparation militaire à Torigny et à Canisy, doit venir au Mesnil Dot vendredi prochain.

 

À la maison, ils ont pilé et ramassé des pommes dans le plant du Moulin.

Le temps aujourd'hui a été très mauvais, de l'eau toute la journée.

Mercredi 7 novembre

Bien que le temps ne soit pas bien fameux, je ramasse des pommes toute la journée dans le plant du Moulin (28 hl).

Édouard est reparti d'hier après-midi.

Comme nous devons aller à Carentan demain, DESCATOIRE et moi, ils ont chargé la banne et la banneau.

 

Aujourd'hui, ils passent la matinée à finir le marc et l'après-midi à ramasser des pommes.

Vivement qu'il fasse beau afin qu'ils puissent travailler au blé.

Jeudi 8 novembre

Je vais à Carentan avec DESCATOIRE et le petit Désiré : la matinée se tire encore, mais la pluie se met à tomber dans l'après-midi et continue toute la soirée, aussi nous n'avons pas beau temps à revenir.

 

Nous rentrons à 20H ½ : il a fallu faire ferrer Rapide (*) à Carentan et DESCATOIRE en route n'est guère pressé.

À la maison, Marguerite a ramassé des pommes et Henri, avec le frère d'Augustine, ont remué le marc ; la tonne de 3 tonneaux est pleine de pur jus.

 

(*) : C’est un cheval, vous l’auriez deviné.

Vendredi 9 novembre

Dernière journée que j'ai à passer à La Chapelle. LENEVEU, qui devait venir, ne vient point. Il est vrai que le temps n'est pas fameux. L'eau tombe par averse toute la journée.

Je travaille avec Marguerite et DESCATOIRE à ramasser des pommes dans le plant du Moulin (11hl ½).

Le temps est tout de même malheureux et je me demande quand ils pourront travailler au blé.

Pour les pommes, cela en fait 150 hl portés à Carentan.

Il en reste 100 hl à porter et environ 11à hl de pilées + 50 hl livrés.

Samedi 10 novembre

Retour à Romagny.

 

En tout environ 310hl d’expédiés.

Je quitte le Mesnil Dot vers 8h ½ et mon père vient me reconduire à Carantilly où je prends le train à 10h ¼ ; il me faut attendre près de 3 heures à Avranches, enfin j’arrive à Romagny à 18 heures où ma Berthe m’attendait à la gare ; je suis heureux de retrouver ma petite famille en bonne santé.

 

Au Mesnil Dot, ils doivent faire un nouveau voyage à Carentan lundi et après, si le temps le permet, travailler au blé (Jules GIRES sera là toute la semaine prochaine).

Dimanche 11 novembre

Aujourd’hui, nous nous attendions à la visite de Melle CHEMIN, mais elle ne vient pas, bien qu’il fasse assez beau ; par contre, Mr JOUVET vient nous voir et passe la journée avec nous.

J’apprends que Melle LOUIS va enfin se marier ; ce doit être fixé pour le lundi 18.

Maintenant les jeunes gens recommencent à se marier : la guerre dure trop longtemps et de plus, la fin n’en apparaît pas très proche.

VILLETTE lui aussi se marie le 18 ou 19.

Lundi 12 novembre

Aujourd’hui, je ne fais pas grand-chose et travaille simplement un peu au jardin ; je vois dans le journal que bon nombre des régiments ayant fait l’attaque de l’Aisne ont obtenu la fourragère, aussi il est presque certain que le 158 et le 149 l’ont ; je saurai cela en rejoignant le camp.

À cette attaque, il n’y a eu paraît-il que peu de pertes.

Tant mieux et le peu qu’il y a eu c’est encore de trop.

Mardi 13 novembre

Ce matin, je pique les 50 plants de salade d’hier que nous sommes allés chercher chez Mme HAMELIN hier soir, et cet après-midi, je travaille à supprimer la salle-verte, je coupe toute les branches de noisetier, de lilas, d’épine qui la formaient et j’en fais des fagots ; cela va donner un peu plus de clarté au jardin et y faire beaucoup de bien ainsi qu’au prunier et au pommier.

Tant pis si la commune rouspète, je m’en moque.

Mercredi 14 novembre

Je travaille toute la matinée à refaire la bordure du jardin, puis cet après-midi, je tonds les haies.

Ma permission s’abrège rapidement et demain soir il me faudra reprendre le train : vingt jours ce n’est pas long lorsqu’on est heureux et cette permission a passé diablement vite.

Rien que de penser qu’il va me falloir retourner à Valréas, reprendre cette vie de dépôt, cela me donne le cafard, je préfèrerais rejoindre le front.

Jeudi 15 novembre

C’est ce soir que je devrais partir pour rejoindre Valréas, mais tout bien pesé, je décide d’attendre jusqu’à demain matin.

 

Ce soir, nous avons la visite de BOCHIN, venu pour assister au mariage de Melle LOUIS. Cette noce aura lieu samedi prochain au lieu de lundi, car il faut que Victor reparte dimanche soir.

Mr GUILBERT doit arriver demain.

Vendredi 16 novembre-Le départ

Départ de Romagny.

 

Ce matin, lorsque je suis prêt à partir, je réfléchis que le 18, jour où je dois être présent à Valréas est un dimanche, aussi je décide de ne partir que ce soir, advienne que pourra !!...

 

Cet après-midi, c’est la conférence à Mortain à laquelle ma Berthe doit assister et elle rentre juste à temps pour me conduire au train.

J’emporte cette fois plein ma musette de vins.

À 6h15’, je dois dire « au revoir » à Romagny et à mes chéries.

Samedi 17 novembre-Voyage en train Romagny-Pierrelatte

Mon voyage se déroule sans incident, à Paris, j’ai le temps de prendre le tramway Montparnasse-La Bastille et arrive assez vite à la gare de Lyon pour prendre l’express de 7h45’.

Grâce à mes provisions, le temps passe assez vite et sans trop d’ennuie.

J’arrive à Pierrelatte à 20h ½ et là je dois attendre jusqu’à demain matin le train pour Valréas. Heureusement que je trouve une chambre.

Dimanche 18 novembre-Voyage en train Pierrelatte-Valréas

Arrivée à Valréas.

Départ de Pierrelatte à 9h15’ et arrivée à Valréas à 11h02 ; je vais de suite me porter rentrant au bureau de la 29ème Cie, puis au groupe C1.

 

Pendant mon absence, l’effectif du groupe a considérablement diminué, beaucoup de poilu à la dernière visite ont été classés C3 et même mobilisables ; tant qu’à moi à la prochaine visite, le 28, je n’y coupe pas et serai certainement mobilisable ; enfin j’espère bien obtenir encore quinze jours de permission.

Lundi 19 novembre-Valréas

Maintenant à l’exercice à la place d’une centaine de poilus, il y en a tout juste une vingtaine ; l’exercice se borne à un peu de gymnastique et à l’arrachage et décolletage des betteraves à Bavesne.

 

À Valréas, il n’y a plus d‘Américains ; les 200 officiers qui étaient ici sont partis soit à La Valbonne soit au front, aussi la vie est redevenue plus calme, au grand désespoir de bon nombre de femmes et jeunes filles.

Mardi 20 novembre-Valréas

Au rassemblement ce matin, lorsque toutes les corvées sont parties, ainsi que les malades exempts de service, il reste tout juste 4 caporaux et 4 poilus disponibles, aussi nous n’allons pas à l’exercice.

 

Cet après-midi, c’est l’adjudant SABATY qui marche et je n’ai rien à faire ; il en sera de même demain matin, car je suis de service en ville du 21 au 22.

Pour passer le temps je vais jouer au football de 14 à 16h mais ce n’est guère intéressant à cause du mistral qui ne cesse de souffler avec violence ; ce soir c’est encore pis, aussi, ce que je vais me trouver bien dans mon bon lit !!...

Mercredi 21 novembre-Valréas

Comme je suis de service à partir de 10h, je ne vais pas à l’exercice ce matin et me lève à 7h ½ ; en arrivant au bureau, j’apprends que le commandant passe le C1 en revue ce matin, aussi il y a eu grand branle-bas.

Je passe toute la journée bien tranquille.

À la décision d’aujourd’hui, nous apprenons que le 158 à eu la fourragère, ainsi que les félicitations des généraux DE MAUD’HUY et FRANCHET D’ESPEREY ; nous allons donc avoir maintenant le droit de la porter.

Jeudi 22 novembre-Valréas

À 10 heures, mon service en ville prend fin : il s’est passé sans incident notable : le s/s lieutenant MOURAILLE qui était de service avec moi, étant un très bon type.

 

Cet après-midi, je vais jouer un peu au football sur le terrain du C.R.I.P (*) (il doit y avoir match dimanche prochain avec Montélimar).

 

Ce soir, je retrouve le sergent DAVID qui rentre de permission agricole. En ce moment, il y a de nombreux renforts pour l’armée d’Orient fournis par tous les dépôts.

 

(*) : Centre Rééducation Instruction Physique

Vendredi 23 novembre-Valréas

Ce matin, les hommes classés C3 lors de la dernière visite passent à leur nouveau groupe, si bien qu’au groupe C1 il ne reste presque plus (*) personne, aussi ça va être le filon, tous les poilus restants pris par les corvées, il n’y aura pas d’exercice et nous serons tranquilles toute la journée.

 

DAVID m’a appris hier soir que lieutenant DONNADIEU, les adjudants MOULINIER (2ème Cie) et BARRUYER (*) (3ème Cie) avaient été tués à l’attaque, que l’adjudant VALLIN a eu la médaille militaire.

Hélas si j’avais été présent à cette offensive, je l’aurais aussi certainement.

 

(*) : Rayé dans le carnet.

(**) : DONADIEU Joseph Guillaume Marie, Lieutenant, 158ème RI, originaire de Villeneuve (Aveyron), mort pour la France le 23/10/1917 à l’hôpital H.O.E. de Vasseny (Aisne), suites de blessures de guerre.

MOULINIER Paul Joseph, adjudant, 158ème RI, originaire de Saint-Vincent-Jalmoutiers (Dordogne), mort pour la France le 23/10/1917 à Chavignon (Aisne), tué à l’ennemi.

BARRUYER Julien Joseph, adjudant, 158ème RI, originaire de Parnans (Drôme), mort pour la France le 23/10/1917 au combat de Chavignon (Aisne), tué à l’ennemi.

Samedi 24 novembre-Valréas

Comme il ne reste presque plus de poilus disponibles au C1, il n’y a pas d’exercice et je suis libre toute la journée.

 

Cet après-midi, je vais chercher mon pantalon de velours que j’avais donné à retailler au tailleur militaire : j’en suis pour 4F et encore il l’a salopé.

Ah ! Maintenant je n’en serai plus à mes frais pour m’habiller : d’ici peu je vais demander un autre pantalon que je ferai également retailler ; ensuite ce sera les vestes et dans 4 mois je veux avoir chez moi un complet militaire propre que je pourrai mettre lorsque j’irai en permission.

Dimanche 25 novembre-Valréas

Rien à faire de toute la journée !... C’est vraiment désespérant !...

On s’ennuie mortellement… si j’avais seulement quelques livres à « bouquiner »… mais rien… rien à faire…

Ah ! J’en ai « marre » de cette vie et je préférerais cent fois mieux être au front qu’ici.

 

J’apprends par un type de la 2ème Cie du 158, venu en permission à Valréas que mon fameux COSTE a eu la médaille militaire : il doit être heureux maintenant… et que le capitaine ALLENE avait la Légion d’honneur.

Lundi 26 novembre-Valréas

Le temps qui était très beau hier, s’est mis brusquement au froid et ce matin, j’ai été tout surpris de voir les collines avoisinantes recouvertes de neige.

Le mistral souffle avec violence et il ne fait pas bon se promener dans la rue : heureusement que j’ai une chambre et un bon lit !!........

Je passe ma journée au bureau à mettre à jour plusieurs contrôles du groupe pour la revue d’effectifs qui aura lieu mercredi matin.

Mardi 27 novembre-Valréas

Le temps est toujours très froid, et ce matin il y a de la glace : la bise qui souffle encore assez fort pénètre les habits et nous glace, il ne fait pas bon rester dehors !!......

 

Cet après-midi, le temps s’est considérablement adouci, mais laisse prévoir de la pluie ou de la neige à bref délai. Je passe mon temps à faire une partie de football sur le terrain du C.R.I.P.

Mercredi 28 novembre-Valréas

Ce matin, il y a revue d’effectifs pour le C1.

Ici, c’est une belle pagaille, certains types sont portés sur certains contrôles et ne figurent pas sur d’autres, etc…

 

Cet après-midi, nous devions passer la visite de classement, mais le C3 n’a même pas encore fini, si bien que pour nous, c’est reporté à demain ou après-demain.

Nous assistons à une petite théorie sur le port du masque d’une durée de 5’ et c’est tout.

Jeudi 29 novembre-Valréas

Le C2 passe la visite ce matin et va probablement continuer cet après-midi, aussi il nous faudra très probablement attendre à demain ; hier l’adjudant SABATY du 140 a été classé mobilisable bien qu’il ait été proposé pour changement d’arme il y a un mois.

Cette visite se passe d’une façon vraiment honteuse ; à chaque type, le capitaine LE BALLE souffle au major « C3, mobilisable…etc… »

Et ces officiers vont quand vient leur tour de passer « chialer » devant le major pour être maintenus inaptes.

Vendredi 30 novembre-Valréas

Ce matin, le groupe C1 va passer la visite de classement et comme je m'y attendais je suis classé mobilisable, en conséquence je vais partir dans quelques jours en permission de transition de 23 ou 30 jours (30j si on me donne avec la permission de détente).

Cela me ferait plaisir d'avoir 30j car ainsi je passerais Noël et le jour de l'an chez moi.

Enfin, il n'y a qu'à attendre.

 

 

Décembre 1917 : Valréas (Vaucluse), camp d’instruction du 158e RI - Permission de 23 jours à Romagny.

Samedi 1er décembre-Valréas

Le temps s'est mis à la pluie et cette nuit, il en est tombé pas mal, aussi la température s'est bien refroidie.

Rien à faire de toute la journée, aussi je m'ennuie passablement, heureusement que la semaine prochaine je vais partir en permission !!...

J'avertis la patronne de ma chambre que je vais partir en permission d'ici quelques jours.

Dimanche 2 décembre-Valréas

Ce matin, j'apprends que je suis affecté au groupe C3 qui doit dès ce matin faire établir ma permission qui comptera seulement 23 jours, car je n'ai pas droit à ma permission de détente.

 

Cet après-midi, je vais à Grillon (*) rendre visite au capitaine COSTE qui va bientôt partir avec ce qui reste de la classe 18 pour la zone des armées (environs de Belfort).

 

Ce soir, nombre de poilus classés mobilisables, partent en permission.

 

(*) : 5 km de Valréas.

Lundi 3 décembre-Valréas-Exercice

Maintenant que je suis au groupe C3, je dois me lever un peu plus tôt (6h ¼) car le rassemblement est à 6h45.

 

Ce matin, il y a gymnastique, théorie sur le F.M. (*) et lancement de grenades inertes.

 

Cet après-midi, l'exercice comporte l'attaque d'une position à la côte 403 (3km ½ d'ici). L'attaque est une véritable pagaille...

Je ne pars pas encore en permission ce soir.

 

(*) : Fusil-mitrailleur.

Mardi 4 décembre-Valréas-Exercice-Injustice militaire

Cette nuit il a gelé très dur et ce matin il ne fait pas chaud : le vent qui souffle continuellement dans ce sale pays a vite fait de nous glacer la figure et les mains.

Même exercice qu'hier matin.

 

Au groupe C3, l'aspirant GRILLET du 159ème, qui était au C1 avant la dernière visite et qui, comme moi, avait été classé mobilisable, vient d'être désigné par le capitaine LE BALLE pour rester instructeur au C3 pendant 3 mois (janvier, février et mars).

Pour permettre ce passe-droit, LE BALLE l'a fait réaffecter au C3 !!..

De pareils procédés sont vraiment honteux et devraient être signalés, d'autant plus que GRILLET est tout jeune (classe 16) et que cette place d'instructeur reviendrait plutôt à un vieux sous-officier marié et père de famille (il n'en manque pas!). Tout cela parce que GRILLET sait se faire bien voir avec sa langue bien pendue (il en fout plein la vue au capitaine).

Ah, c'est bien dans ce métier militaire que l'on trouve le plus d'injustices !!...

 

Cet après-midi, il y a tir au fusil-mitrailleur pour tous les hommes à la fosse 2409 (4km ½ d'ici). Nous ne rentrons qu'à 17h.

Mercredi 5 décembre-Valréas

Il a gelé encore assez fort cette nuit, mais comme le vent s'est un peu calmé, le froid n'est pas comparable au froid d'hier matin.

Même exercice qu'à l'ordinaire (gymnastique, théorie sur le F.M., lancement de grenades inertes).

Je ne fais rien cet après-midi, je vais seulement toucher mon prêt (41F25).

 

Je ne pars toujours pas en permission : j'en suis d'ailleurs fort aise car je pourrai passer ainsi Noël et le jour de l'an chez moi.

Jeudi 6 décembre-Valréas

Le temps qui, hier après-midi faisait prévoir de la neige, s'est remis au beau et, bien qu'il ait encore gelé assez fort, ce midi il fait très bon, aussi c'est une vraie ballade que d'aller cet après-midi au tir à la fosse Urdy.

 

Demain, je commencerai à m'inquiéter de ce que devient ma permission, elle doit âtre probablement à traîner dans quelque bureau.

Quelle pagaille il y a ici !!... C'est honteux.

Vendredi 7 décembre-Valréas

Ce matin, le temps est doux, aussi il fait bon aller à l'exercice.

 

En rentrant, j'apprends que je suis désigné pour être de service en ville du 8 au 9 (ce qui me mettrait à partir, au plus tôt, le 9 au soir).

Je vais aussitôt m'informer au bureau de la 25ème Compagnie de ce que devient ma perm, puis vais rouspéter à la salle de service : finalement, je dois partir demain soir et ne serai pas de service.

 

Cet après-midi, nous allons à Bavernes ?? où le commandant ROCHE vient nous voir et il nous fait manœuvrer un peu avant lui.

En ce moment, c'est TAUZIA, sous-lieutenant du 159ème qui commande le groupe ; c'est un con, une belle vache,  il a refusé la permission à ??

L'exercice est l'après-midi.

Tous les jours, il flanque 5 à 6 poilus à la boîte pour des motifs stupides. C'est un vieux sergent ou caporal rempilé qui sait tout juste signer son nom : ce matin, pour faire un bon, il écrivait grenade « grennade », mèche « mayche »

C'est tout de même malheureux de se voir commander par des individus pareils !

 

En général, je ne puis sentir les gradés du 159ème qui sont comme lui (ex. : PIÉTRINO, lieutenant) où sont de petits gommeux se croyant d'une essence supérieure : témoins GRILLET, aspirant, DEMANGEON, lieutenant et COLLET, aspirant.

Samedi 8 décembre-Départ en permission pour 23 jours

Je pars en permission

Exercice habituel ce matin à La Sablière.

 

Ce midi, j'apprends qu'enfin je pars en perm ce soir pour 23 jours. Il me faudra être de retour ici pour le 4 janvier.

Je fais route jusqu'à Lyon en compagnie de l'aspirant PARISOT.

Dimanche 9 décembre-Trajet en train : Lyon-Paris

Il me faut attendre plus de 5 heures dans la gare de Lyon.

Heureusement que PARISOT me tient compagnie jusqu'à 7h ½ (il habite tout près de Perrache) à la cantine militaire.

Départ de Lyon à 8h ½ (20 minutes de retard que le train conserve toute la journée) et à 18h31, je suis à Paris.

Je prends aussitôt le tramway pour Montparnasse, mais là, j'apprends que le train pour Granville part des Invalides.

C'est en courant que je prends le métro jusqu'à la Chambre des Députés et je fais en courant les 500m qui séparent la station du « métro » de la gare où j'arrive bien juste pour prendre le train. 19H33.

Lundi 10 décembre-La Chapelle-en-Juger (Manche), en permission

Arrivée à La Chapelle.

En permission.

J’arrive à Folligny à 3h ½ et à 4h 1/4 je prends le train pour Carantilly où j’arrive à 7 heures ; je fais le trajet jusqu’à Marigny en voiture, puis je vais à pied au Mesnil Dot où j’arrive vers 9 heures : je trouve tout le monde en bonne santé.

Mardi 11 décembre-Le Mesnil Dot-En permission

En permission.

Cet après-midi, j’aide à battre 150 gerbes d’orge à la machine.

Cette semaine, le temps est très mauvais, aussi impossible d’aller à la charrue.

Au Mesnil Dot, il reste encore bien 7 vergers de blé à faire, il y en a environ 18 vergers d’ensemencés.

 

Mercredi 12 décembre-Le Mesnil Dot-En permission

En permission.

Toute la journée, je travaille à gauler les pommiers dans le « campus de haut », cet après-midi DESCATOIRE et Jules GIRES vont semer et herser dans les fossettes.

 

Jeudi 13 décembre-Le Mesnil Dot-En permission

En permission.

Je finis aujourd’hui de gauler les pommes du « campus » ; le temps est superbe et Jules, DESCATOIRE et Henri travaillent au blé.

Vendredi 14 décembre-Le Mesnil Dot-En permission

En permission.

Ce matin, mon père tue le cochon que nous emporterons demain à Romagny (accident survenu à Augustine.) ; nous passons la matinée, à le brûler, laver et vider.

 

Cet après-midi, je vais gauler les pommes du plant de la Chapelle.

Samedi 15 décembre-Romagny-En permission

Arrivée à Romagny.

En permission.

 

Nous partons : mon père, Désiré et moi du Mesnil Dot à 8h et à 10h ¼ nous prenons le train pour Romagny : il a fallu que j’expédie le « lard » en grande vitesse ; le facteur de la gare n’ayant pas voulu le prendre comme colis.

À mon arrivée à Romagny je trouve petite Fernande assez enrhumée.

 

Dimanche 16 décembre-Romagny-En permission

En permission.

 

Ce matin, je suis bien surpris en me levant de voir la neige tomber à gros flocons ; elle continue ainsi de tomber à peu près toute la journée, aussi nous passons le temps auprès du feu.

 

Ce soir, je vais avec Désiré à la gare, voir si le lard est arrivé et comme il est là, je le rapporte à la maison.

Lundi 17 décembre-Romagny-En permission

En permission.

 

Cette nuit, il a gelé assez fort ; mon père passe la matinée à saler le porc.

 

Cet après-midi, nous allons faire un tour jusqu’aux carrières, où travaillent encore 150 types qui ont été condamnés aux travaux publics.

Mardi 18 décembre-Romagny-En permission

En permission.

Mon père et le petit Désiré repartent pour La Chapelle par le train de 7h7’, je les accompagne jusqu’à la gare.

Je passe le reste de la journée au coin du feu.

Mercredi 19 décembre-Romagny-En permission

En permission.

Je passe ma journée auprès du feu.

Jeudi 20 décembre-Romagny-En permission

En permission

La pénurie de farine commence à se faire sentir par ici comme par St Lô : je me demande vraiment comment on arrivera à faire la soudure cette année.

Vendredi 21 décembre-Romagny-En permission

En permission

Journée passée entièrement près du feu

22 décembre-Romagny-En permission

En permission

Les vacances pour ma Berthe (*) commencent ce soir et durent jusqu’au 4 janvier.

 

(*) : Il s’agit des vacances scolaire, Berthe étant institutrice.

23 décembre-Romagny-En permission

En permission

Ce soir, nous allons ma Berthe & moi à la gare chercher Melle Pichard qui arrive par le train.

24 décembre-Romagny-En permission

En permission

Le temps est toujours à la gelée, cet après-midi nous allons à Mortain chercher de quoi mettre dans les petits souliers de Fernande. (*)

 

(*) : La fille de Ferdinand et Berthe

25 décembre-Romagny-En permission

En permission

Le temps est très doux & ce soir la neige a complètement disparu ; nous avons eu aujourd’hui la visite de Mme Jouvet & de Mme Guilbert qui dinent avec nous.

26 décembre-Romagny-En permission

En permission

Melle Gautier arrive nous rendre visite ce matin.

Après avoir passé une bonne soirée, quelle n’est pas notre surprise de trouver en sortant la terre recouverte d’au moins 10 cm de neige.

27 décembre-Romagny-En permission

En permission

Malgré la neige qui tombe presque toute la journée, Melle Gautier repart ce soir, nous allons la reconduire jusqu’à Mortain, où elle va prendre le courrier jusqu’à Juvigny & ensuite va être obligée de faire à pied dans la neige les 7 km de Juvigny à Reffurville.

28 décembre-Romagny-En permission

En permission

Melle Pichard repart par le train ce matin.

29 décembre-Romagny-En permission

En permission

J’attrape mal aux dents cet après-midi.

30 décembre-Romagny-En permission

En permission

Ma dent qui m’a empêché de dormir cette nuit continue à me faire mal toute la journée, j’ai hâte de la voir arrachée.

31 décembre-Romagny-En permission

En permission

Notes : Mon année d’école normale fin 1917

 

Adam Ernest, service auxiliaire (n’est pas allé au front)

Brisset Gustave (décédé), prisonnier en All. depuis chute de Maubeuge (*)

Coquerel Albert, réformé, n’a pas fait de service

Allix, mort avant la guerre

Decaen

Esnée Charles, tué à la guerre (1914)

GilLette Ferdinand

Hamel, tué à la guerre (1915)

Harasse Charles, S.X, n’est pas allé au front

Herbin

Lanchon

Latrouite René, réformé, médaille militaire, amputé bras droit

Leneveu Albert, S.X, n’est pas allé au front

Lesouef André, tué à la guerre (***)

Magnin André, tué à la guerre (1917) (****)

Onfroy Charles

Ozenne Paul (décédé), réformé, n’a pas fait de service

Poupard

Rachinel

Tabourel

 

(*) : Je n’ai pas trouvé de BRISSET Gustave, mort pour la France en Allemagne…

(**) : Esnée Charles, 26 ans, né à Lingreville (Manche), soldat au 8e régiment d’infanterie, mort pour la France à Charleville (Marne), tué à l’ennemi le 6 septembre 1914.

(***) : LESOUEF André Julie, 25 ans, né à Saint-Amand (Manche), sergent major au 2e régiment d’infanterie, mort pour la France à Saint-Laurent-Blangy (Pas-de-Calais), tué à l’ennemi le 17 décembre 1914.

(****) : MAGNIN André, 27 ans, né à Fontenay-sur-Mer (Manche), capitaine au 25e régiment d’infanterie, mort pour la France à Vacherauville (Meuse), tué à l’ennemi le 17 octobre 1917

 


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