Carnets de guerre 1914–1918 du sergent Edouard Mattlinger

du 49e territorial, puis 372e RI, puis re-49e RIT, enfin au 132e RI

Année 1914

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SOMMAIRE (n’existe pas dans le carnet)

 

La mobilisation, au 49e Territorial, Belfort, août-oct. 1914
Déclaré bon pour le front et intégration au 372e RI, Belfort, oct. 1914
En Alsace : les tranchées, le baptême du feu, l’attaque du 2 décembre. La fraternisation, nov.-déc.1914
La maladie, changement de régiment, ré-intégration au 49e RIT, retour à Belfort, la commission de réforme déc. 1914

 

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La mobilisation, au 49e Territorial, Belfort, août-oct. 1914

Belfort,1er août 1914

Nous apprenons la veille que les Allemands avaient coupé la ligne de chemin de fer entre Petite-Croix et Montrevieux (Montreux-Vieux) gare allemande, ce qui laissait prévoir une rupture certaine entre les deux nations.

Aussi, tout Belfort était à la recherche de renseignements. Il n’y avait plus de doute possible, la guerre était certaine.

Nos troupes d’active étaient déjà à la frontière et il régnait à Belfort une grande effervescence. De toute part, on voyait arriver des troupes, beaucoup d’autos et de voitures régimentaires.

il passa un frisson sur tout mon corps en pensant à ce qui allait se produire.

Je voyais déjà toute cette jeunesse s’entretuer sur ces champs de bataille.

 

Dans la nuit du 31 juillet au 1er août, la réquisition des voitures se faisait par le soin de l’autorité militaire. Toute la nuit passèrent dans les rues de Belfort des quantités de troupes et beaucoup d’artilleries légères. Pendant ce temps, la poste faisait parvenir à chaque homme mobilisable sa feuille de route.

 

Le matin à mon réveil, je voyais déjà venir des communes voisines des groupes avec drapeaux déployés et chantant avec accompagnement de musique.

 

Il y avait chez tous ces inconscients une joie délirante d’aller se battre contre les Allemands. Tout cela me laissait froid.

 

Je continuais à aller sur mes chantiers pour faire finir les travaux lorsque, à 8h, en rentrant chez moi pour déjeuner, je trouve mon ordre d’appel, à rejoindre immédiatement et sans délai.

Je n’éprouve aucune émotion, sachant d’avance que je restais dans la place.

 

Je vais sur les chantiers pour faire rentrer le matériel et après tout arrangement avec mon frère, je me suis préparé à rejoindre mon régiment.

Au moment de quitter les miens, j’ai eu un serrement de cœur et quelques larmes aux yeux.

Arrivé à 3 heures dans la cour du 35ème Régiment d’Infanterie, nous fûmes placés par compagnies. Je fus affecté à la 4ème du 49ème Territorial, qui était désigné pour le fort du Mont-Rudolphe.

Je restais pendant 2 heures dans la cour à attendre qu’on nous donna des ordres.

 

A 5 heures moins ¼, le canon du château tira trois coups pour annoncer la mobilisation générale.

J’appris que la  canonnade avait produit un effet terrible chez les femmes et enfants qui se sauvaient dans les rues. Moi, je me trouve un instant troublé et refroidi en pensant aux histoires du père sur les horreurs de la guerre 70-71.

A 5 heures, nous quittons la Caserne Friedrich pour nous faire habiller chez les frères Maristes du Faubourg des Ancêtres où il règne un désordre sans pareil.

Tout chacun aurait pu prendre des chaussures ou linge pour porter chez lui. Lorsque je fus habillé ma première pensée fut d’aller auprès de ma famille où je passai une agréable soirée.

2 août

Je vais rejoindre mon cantonnement le matin à 5h où on finit de s’habiller et équiper.

Journée très chaude. Je rencontre quelques amis qui ont servi avec moi étant de l’active, ce qui fait que je me retrouve le soir légèrement ému.

3 août

Repos le matin.

Après-midi inspection des hommes en tenue de campagne. Journée très chaude.

Les cuisines sont installées sous les préaux mais j’éprouve un dégoût de manger là, de voir la façon dont sont préparés les aliments.

4 août

Belle journée.

Distribution de cartouches et organisation du cantonnement qui est trop petit pour loger tout le monde. Comme il fait très beau, les hommes couchent partout, dans les cours et sous les préaux.

5 août

Des ordres sont donnés pour que personne ne couche en ville aussi je passe une mauvaise

nuit, faute de place.

6 août

Préparatifs de départ.

A 1h45, nous quittons chez les frères pour aller cantonner à Offemont (Territoire de Belfort) où je passe une mauvaise nuit.

Nous sommes logés dans des locaux trop petits pour le nombre d’hommes que nous sommes.

Le matin, nous nous levons à 6 heures et nous préparons à partir.

7 août

Nous montons au Fort du Mont-Rudolphe où nous sommes obligés de construire des abris pour nous loger, que nous fabriquons avec des arbres et des branches ; ce qui occupa toute la journée.

Mais je passe une mauvaise nuit sur de la paille mouillée.

8 août

Travaux de campagne, construction de tranchées pour s’abriter par sections à effectifs de 55 hommes. Travaux assez fatigants, car il fait une chaleur accablante.

Le soir, j’éprouve un chagrin profond en apercevant les lumières de la ville, ce qui me fait penser à ma petite famille.

9 août

Je suis malade. J’éprouve des troubles par suite de l’accident que j’ai eu dans le civil. Je vais à la visite médicale où je suis reconnu et évacué au dépôt.

Je quitte le fort avec plaisir car j’ai hâte de revoir ma petite famille.

Mais, je me suis trouvé tout surpris en arrivant chez moi de ne trouver personne. Ils venaient de quitter la ville avec les évacués.

Malgré cela, je me trouvais très heureux d’avoir quitter ce maudit fort où l’on ne voyait personne.

10 août

Réveil à 4 heures du matin pour aller nettoyer les locaux des Frères Maristes au Faubourg des Ancêtres. Je m’occupe spécialement du nettoyage des pots de chambre.

Journée d’ennui.

11 août

Nettoyage des dortoirs chez les frères et après-midi, chargement des caisses de pansements. J’ai un gros rhume qui me fatigue beaucoup.

12 août

Réveil à 4 heures.

Départ au quartier à 6 heures pour aller rue des bons enfants charger sur des voitures des caisses de pansements qui sont d’un poids exagéré. Ces caisses sont conduites à l’usine Dollfuss où une ambulance est installée.

13 août

Matin : chargement des lits de fer qui se trouvent au cercle des officiers et des caisses de pansements. Après-midi : rue des bons enfants, chargement des voitures avec couvertures de réserve et caisses. Le soir, à 6 heures, tir. Journée de fatigue.

Quelques avions ennemis viennent survoler la ville, qui sont reçus par une vive fusillade et canonnade des forts de Roppe et Bessoncourt.

14 août

Gare de la rue de Mulhouse, décharger les wagons, literie appartenant aux régiments de cavalerie de Vesoul.  Ces lits sont pleins de punaises, ce qui me dégoûte profondément, ces lits sont destinés aux hôpitaux.

15 août

Usine Dollfuss Miegg (Nigg ?), décharger des wagons de blé et les entreposer dans les locaux de l’usine.

16 août

Repos le matin ; après-midi décharger des wagons de houille à la Société Alsacienne.

17 août

Débarrasser les magasins des casernes de Rethenans pour envoyer les effets et équipements à Besançon. Le soir, à 10 heures, nous allons décharger des wagons de houille à la gare de la rue de Mulhouse jusqu’à 5 heures du matin.

18 août

Rue de Mulhouse, décharger des wagons de houille.

19 août

Repos jusqu’à 10 heures.

A 1 heure, départ pour Rethenans, nettoyer les magasins d’habillement. Il y a du gâchis, c’est honteux.

20 août

Réveil à 2 heures du matin pour aller accompagner un train de munitions jusqu’à Dannemarie en Alsace.

A 6 heures, nous déchargeons les wagons et nous mettons ces caisses dans des voitures automobiles.

 

Après que le train fut fait, je vais voir mes parents qui habitent Retzwiller.

Grande surprise pour eux car leurs fils sont soldats chez les  Allemands.

 

De toute part, il arrive des troupes. Les routes sont encombrées de voitures et de caissons à munitions. Après avoir quitté mes parents, je retourne à Dannemarie où je me mets à la disposition du service des brancardiers car les blessés sont nombreux et le service sanitaire insuffisant.

J’estime à 500 hommes blessés dont un commandant très grièvement et capitaines. Parmi ces hommes il y a deux officiers allemands et quelques hommes.

A 6h1/2 nous quittons Dannemarie pour retourner à Belfort où nous arrivons à 10H1/2 dans un train très mouvementé.

Journée assez pénible.

21 août

Réveil à 4 heures du matin, repos toute la journée par suite des fatigues de la veille. Par la même occasion, je vois arriver  à Belfort un convoi de 637 prisonniers.

22 août

Je me prépare le matin pour aller prendre la garde à 11 heures à l’arsenal jusqu’au lendemain à midi.

23 août

De garde à l’arsenal jusqu’à 11 heures.

Après-midi, repos.

Le soir, je fais un petit tour en ville pour me divertir ; mais, c’est bien triste. La ville n’a plus rien du temps de paix.

24 août

Décharger les wagons de coke à la rue de Mulhouse. J’en profite pour aller prendre un bain à la maison.

25 août

De garde à l’arsenal.

A 8 heures, je vais en ville porter les boîtes à marrons, ce qui me donne l’occasion de voir ramener quelques prisonniers en automobile.

26 août

De corvée à la gare de la rue de Mulhouse : décharger les wagons de coke.

27 et 28 août

Même travail, toujours rue de Mulhouse.

29 août

Je suis malade, je vais à la visite où je suis reconnu pour deux jours.

1er septembre

Je suis nommé cycliste à la compagnie de dépôt.

2 septembre

Je fais des courses en bicyclette toute la journée.

Le soir je suis très fatigué. Je me ressens toujours de ma tête des suites de mon accident.

3 septembre

Toujours occupé à mes courses.

4 au 9 septembre

Toujours occupé à mes courses.

10 septembre

Longue journée de courses.

Le soir à 7 heures, je suis chargé de transmettre à tous les postes de la ville de faire arrêter une automobile montée par un homme et une femme se livrant à l’espionnage. (Voiture Torpédo)

11 septembre

Journée très calme pour moi.

12 septembre

Beaucoup de courses. Pluie toute la journée. Je suis très fatigué.

13 septembre

Courses à Offemont et au Mont Rudolphe.

14 septembre

Je me lève de mauvaise humeur.

Je suis malade mais je fais mon service.

15 septembre

Pluie très froide le matin. Courses toute la journée.

16 septembre

Même travail.

17 et 18 septembre

Même travail.

19 septembre

Je suis envoyé au Fort de La Miotte transmettre des ordres où j’ai eu l’occasion d’assurer les travaux de défenses qui sont bien organisées.

Il y a aussi beaucoup de canons et surtout de l’ordre.

20 septembre

Le matin j’ai beaucoup de courses.

A 11 heures, je me dirige sur Rougemont-le-Château pour voir la famille de ma femme où je trouve tout le monde en bonne santé.

Sur le parcours de Belfort à Rougemont, il y a beaucoup d’organisations défensives et des observatoires dans les arbres, très bien installés.

Je reviens trempé, mouillé et je vais chez moi, changer de linge.

21 septembre

Je suis de très mauvaise humeur. Mon commandant de compagnie me fait des observations pour retard dans mes courses.

22 septembre

Je porte des ordres à Sermamagny par un temps de pluie très froid.

J’ai aussi profité de l’occasion pour aller rendre visite à mon beau-frère que je n’avais pas encore vu depuis qu’il était revenu d’Amérique.

Surprise agréable pour tous les deux.

Le soir, je me couche de très bonne heure car je suis très fatigué.

23 septembre

Je me réveille très gai.

Je m’occupe de mes courses toute la journée.

Le soir, je suis demandé à la place (de Belfort) pour prendre les fonctions de cycliste au poste de sans-fil de La Miotte.

Mon commandant de Cie est furieux après moi d’avoir accepté cet emploi et me fait l’observation qu’il me réserve un chien de sa chienne.

(Le Fort de La Miotte se trouve dans Belfort même.)

24 septembre

Je vais prendre possession de mon nouveau poste où j’admire l’installation.

A 10 heures, je vais à la soupe à mon ancienne compagnie, ce qui donne l’occasion à mon commandant de Cie de me reprocher d’avoir accepté ce nouveau poste.

Après explications, nous tombons d’accord en me disant que je reviendrai à la Cie.

25 septembre

Je couche à mon nouveau poste où je passe une bonne nuit dans la salle des machines.

Comme je n’ai pas de travail, je vais chez moi pour faire ma toilette.

Bonne journée.

Du 26 au 30 septembre

Je transmets de temps en temps des télégrammes à la place.

1er octobre

Journée et nuit très pénibles. Beaucoup de télégrammes à porter à la place.

Je suis très fatigué.

2 octobre

De repos mais je m’ennuie beaucoup.

3 octobre

Nuit et journée assez calme. Temps superbe.

4 au 5 octobre

Beaucoup de télégrammes à transmettre.

De jour et de nuit. On enregistrait beaucoup de télégramme.

5 au 20 octobre

Rien de nouveau.

Je fais mon service régulièrement de jour ou de nuit.

Déclaré bon pour le front et intégration au 372e RI, Belfort, oct. 1914

21 octobre

Je suis couché chez moi lorsque je reçois la visite de mon camarade de service qui vient me prévenir d’aller passer une visite médicale pour avoir à partit au front.

Ma surprise fut grande car le me croyais à un poste fixe.

A la visite, je suis reconnu bon pour rejoindre sur le front. Cette journée me fut pénible à cause de ma famille qui me croyait bien tranquille.

22 Octobre

Je suis très troublé de ce qui vient de m’arriver.

Je n’ai plus de plaisir à rentre chez moi car la femme et les enfants pleurent.

Mauvaise nuit.

23 octobre 

Revue de tenue de campagne de tous les hommes devant partir sur le front.

Après la revue, on nous paye les effets individuels.

Nous quittons la cour du 35ème à midi pour aller au Coigneux, à la caserne Béchaud où règne une grande agitation parmi les hommes, qui ne comprennent pas pourquoi on fait des prélèvements d’hommes dans les dépôts de territoriaux, alors que quantités de jeunes gens occupent les ouvrages de défense de la ville.

Nous restons toute l’après-midi à nous promener dans la cour du quartier, faute de place.

 

Enfin !

A 9 heures, on finit par nous trouver une chambre où nous couchons 45 hommes pêle-mêle. Les hommes se sont livrés à de grandes libations, ce qui fit qu’à l’heure de l’appel, les hommes sont très bruyants.

Nuit très mouvementée.

24 octobre

Journée d’ennui général.

Promenade dans la cour du quartier.

Après-midi, préparatifs pour partir en marche le lendemain

 Le soir, je vais chez moi où j’éprouve un chagrin profond de voir ma femme et mes enfants si triste de ce départ, aussi, je passe une mauvaise nuit.

25 octobre

Réveil à 6 heures. Rassemblement de tous les hommes du 372e qui se trouvent au dépôt pour partir en marche.

Départ à 7 heures par le mauvais.

Il neige toute la journée. Manoeuvre très fatigante à travers bois, dans la boue. Nous cessons notre manœuvre à 2 heures et nous allons cantonner à Grandvillars.

J’ai visité le pays. La population est très sympathique. J’ai passé une mauvaise nuit, j’avais froid.

 

1 mois du carnet a été perdu….Dommage !

 

26 novembre

Réveil à 5 heures et départ à 6 heures.

Marche pénible dans la neige. Manœuvre avec les troupes de l’active, pause d’une heure et demie. J’ai froid aux pieds. Nous manoeuvrons à travers les prés.

A 11 heures, grande halte pour faire le café et des pommes de terre. J’ai beaucoup fatigué, faute d’entraînement. Arrivé au quartier le soir à 9 heures et demie. Le soir, j’ai été auprès de ma famille, toujours même chagrin.

Je suis désolé de voir les miens toujours aussi tristes. J’ai passé une bonne nuit.

27 novembre

Journée de repos et d’ennui. On se promène à travers le quartier pour tuer le temps.

28 novembre

Réveil à 6 heures. Distributions de cartouches et vêtements à 8 heures.

A 10 heures, j’ai une permission pour aller accompagner ma famille à la gare.

Triste séparation.

J’éprouve un chagrin profond.

J’en profite pour aller à la préfecture et à la mairie, pour faire le nécessaire avoir mon allocation. Je retourne au quartier où règne une grande animation parmi les hommes.

Soirée très gaie.

29 novembre 

Réveil à 6 heures.

Revue des hommes en tenue de campagne.

Départ à 7 heures pour partir sur le front.

Nous prenons le tramway, place de la république, qui nous conduit à où nous descendons. Nous nous dirigeons sur Friesen, village alsacien sur la frontière suisse.

Notre marche fut très pénible. Les routes étaient détrempées et notre chargement très lourd.

Nous restons 4 heures de temps à attendre que l’on nous ait affectés à une compagnie.

Finalement, je suis affecté à la 29ème. (compagnie)

 

Le soir, nous passons une soirée agréable dans un petit café où les hommes chantaient à pleins poumons.

Mauvaise nuit, il faisait très froid dans notre cantonnement.

En Alsace : les tranchées, le baptême du feu, l’attaque du 2 déc., la fraternisation, nov.-déc.1914

30 novembre 

Réveil à 6 heures.

On nous rassemble pour être présentés au commandant de compagnie qui nous interroge sur notre lieu de naissance. Ensuite, je mange en hâte pour aller prendre la garde aux avant-postes.

A 2 heures de l’après-midi, nous recevons du renfort.

A 2h1/2, notre artillerie ouvre un feu très nourri sur notre droite. Ça me produit un effet impressionnant, car c’est la première fois que je vais au feu.

Je passe une mauvaise nuit. J’ai eu froid aux pieds pendant mes six heures de faction.

Pour un début, j’ai trouvé la chose pénible ; surtout que je ne connais pas les hommes.

1er décembre

Notre artillerie ouvre un feu très nourri, mais de courte durée.

L’infanterie tire beaucoup. Je suis homme de communication.

Le soir, repos au village de Bendoff où j’ai bien dormi. J’étais très fatigué.

2-3 décembre

Réveil à 4 heures pour aller en ligne.

Nous attendons un moment, mais il y a contre-ordre. Nous restons toute la journée au repos.

 

Le soir, nous prenons la garde aux avant-postes.

A minuit, nous sommes relevés par des territoriaux. Nous partons en ligne par une nuit obscure et des chemins boueux.

Nous arrivons en lignes à 5 heures du matin. Le bruit que nous avons fait, donne l’éveil et l’ennemi nous reçoit par une fusillade des plus nourries. Je me trouve un moment égaré.

Je me couche dans un fossé, plus mort que vif.

 

Les balles arrivent de tout côté comme grêle. Je me glisse le long du fossé et je me joins à la 23ème compagnie qui se trouve dans le prolongement de la mienne. Et je fais le coup de feu avec eux.

Mais l’ennemi est de beaucoup supérieur à nous et nous fait beaucoup de victimes. Je suis obligé de me déplacer, faute de place dans la tranchée.

Je me couche derrière un gros arbre, où je suis obligé de rester dans cette position toute la journée.

C’est très pénible surtout que je suis dans l’eau. Parfois, je lève la tête, mais c’est imprudent car les balles ne nous sont pas ménagées.

 

A l’approche de la nuit, on se replie à 100 mètres en arrière où nous restons un moment à attendre que tous les hommes de ma Cie se soient repliés.

Il en arrive à chaque minute, mais très peu.

Nous avons beaucoup de pertes.

 

Enfin après 2 heures d’attente arrive un de nos officiers qui nous interroge. Il est encore tout bouleversé. Nous recevons l’ordre de faire une tranchée avec outils portatif.

Nous arrivons à avoir creusé 80 centimètres de profondeur lorsque l’ennemi redouble d’ardeur par un feu des plus violents qui nous oblige à nous tenir terrés.

 

L’ennemi joignait aux tirs des cris de fauve pour nous faire peur, afin de nous faire abandonner nos positions. Notre commandant qui était d’un courage exceptionnel arriva jusqu’à nous et cria à pleins poumons «  Ménagez vos cartouches, les enfants. Nous les retrouverons demain matin ».

L’ennemi avait compris ce commandement et diminua lui aussi son tir. Chez l’ennemi, les ordres se passaient au sifflet qui allait de la gauche à la droite.

 

A la pointe du jour, un combat des plus acharnés s’engagea. Tout à coup, au grand jour, nous apercevons, débouchant à travers près, une colonne ennemie accompagnée de fifre qui venait attaquer les lignes que nous avions abandonnées, où il restait encore une cinquantaine d’hommes et notre capitaine. Nous ouvrons un feu des plus violents sur eux.

Mais malgré leurs pertes, une partie arriva à la tranchée et firent, les nôtres, prisonniers.

Pendant que l’ennemi emmenait nos camarades, une partie des troupes d’attaque voulait avancer sur les tranchées que nous avions faites pendant la nuit.

Mais ils en furent arrêtés par notre feu très nourri.

 

Vers 11 heures, notre petite fraction reçoit l’ordre de rentre au cantonnement où nous trouvons quelques hommes qui avaient échappé à la fusillade.

Sur une compagnie de 209 hommes, nous restions 25.

Aussi je m’empresse de manger ma soupe et d’aller me coucher. J’étais exténué de fatigue.

4 décembre 

Repos toute la journée pour nous remettre de nos fatigues.

5 décembre 

Départ de Srarkinzen (?) pour aller cantonner à Friesen où nous passons une nuit agréable dans la paille.

6 décembre 

je vais à la visite où je suis examiné de fond en comble par un major qui a été très gentil avec moi, qui a reconnu que j’étais bien malade, mais n’a pu m’évacuer, vu le trop grand nombre d’hommes qui nous manquait.

Je reste toute la journée à mon cantonnement où je m’ennuie beaucoup en pensant à ma famille. Il n’y a aucune distraction dans le pays.

7 décembre 

Journée de repos, nuit très froide.

8 décembre 

Nous restons au repos et nous recevons du renfort pour remplacer les hommes qui nous manquent.

9 décembre 

Nous partons aux tranchées à 12 heures.

Arrivés là, nous continuons les tranchées. Nuit assez calme, quelques coups de fusil de temps en temps.

A la pointe du jour, le froid se fait sentir, aussi, j’ai bien froid aux pieds.

10 décembre

Nous quittons les tranchées à 2 heures pour aller à Friesen (Alsace), où nous trouvons une soupe bien chaude que nous mangeons de bon cœur.

Nous passons une soirée très agréable dans un atelier de menuisier où nous avons fait un bon feu. Nous buvons un bon thé au rhum.

11 décembre

Réveil à 7 heures.

Nous nous occupons au nettoyage des armes et équipements  qui en ont grand besoin.

Après-midi, repos, ce qui permit de faire mes correspondances.

12 décembre

A 11 heure ½, nous partons aux avant-postes qui se trouvent à 600 mètres de l’ennemi. Aucune fusillade. Nuit pluvieuse.

En relevant les sentinelles, j’ai tombé dans un trou plein d’eau 80 centimètres, aussi, j’ai eu fort à souffrir car la pluie ne cessait pas de tomber.

Je mourrais de froid.

13 décembre

Nous rentrons au cantonnement à 2 heures. J’étais très fatigué avec mes vêtements mouillés, et j’ai passé une mauvaise nuit, faute de vêtements secs.

14 au 15 décembre

Repos.

Enquête sur la prise de notre compagnie le 3 décembre.

Journée d’ennui, temps triste.

16 décembre

Départ pour les avant-postes à 11 heures.

Nuit très froide.

Etant de garde, j’ai souffert du froid des pieds comme jamais. Très calme sur notre front.

17 décembre

Nous guettons la relève de l’ennemi qui se fit à 7 heures du matin, comme depuis plusieurs jours nous ne nous tirions plus dessus. L’ennemi passa sans se cacher et nous dit bonjour en passant.

Nous étions à 25 mètres les uns des autres.

Il n’y avait plus de gêne entre nous. Nous exécutions nos travaux de part et d’autre sans nous dissimuler.

Temps superbe.

18 décembre 

Toujours aux tranchées.

Pendant mes heures de garde, je grimpe sur un petit arbre et je cause avec une sentinelle boche.

On s’en fait une miette.

19 décembre

Nous travaillons avec le génie à la construction d’abris et de ligne de défense.

Travail très bien fait.

20 décembre

Temps pluvieux. Journée d’ennui.

Je vais d’une grange à une autre pour tuer le temps.

Après-midi, je vais aux vêpres où j’éprouve un profond chagrin en entendant les chants d’église et au loin, le bruit des canons.

21 décembre

Nous allons aux tranchées. Nous passons dans des chemins impraticables. Nous enfonçons dans la boue de 15 centimètres. C’est très pénible.

Nous restons en réserve d’avant-postes.

La nuit, je prends 6 heures de garde en première ligne (nuit très froide).

22 décembre

Tranchées, rien de nouveau.

Temps superbe.

Le soir, nous sommes relevés, et nous passons une agréable soirée chez les habitants.

Nous jouons aux cartes en dégustant quelques litres de bon vin.

La maladie, changement de régiment, ré-intégration au 49e RIT, retour à Belfort, la commission de réforme déc. 1914

23 décembre 

Réveil à 6 heures, pour aller travailler aux tranchées.

Je passe une journée à planter des piquets avec une masse.

Je me suis bien fatigué, si bien que l’éprouve des troubles par suite de mon accident que j’ai eu dans le civil.

A un certain moment de la journée, 2 parlementaires ennemis s’avancent à nous avec le fanion de la Croix-Rouge pour nous demander l’autorisation de ramasser des blessés. Cela nous parut très louche, vu qu’il ne s’était livré aucun combat.

Les ordres furent transmis au commandant qui donna l’ordre à une fraction d’hommes de se tenir prêts à faire feu sur l’ennemi si toutefois la nouvelle était fausse.

 

Mais, les ordres avaient été mal transmis, il ne s’agissait pas de blessés, mais de patrouilleurs ayant été tués.

Tout se passa sans incident L’ennemi ramassa deux des leurs et un des nôtres. Nous continuons nos travaux jusqu’à 3h1/2 et nous retournons à notre cantonnement où je me couche de suite, car je souffre de ma tête.

24 décembre 

Je vais à la visite où je suis examiné sérieusement.

Le major constate que j’ai de sérieux troubles cérébraux et me donne une feuille d’évacuation. J’attends les voitures de ravitaillement qui me conduisent à la gare de Chepuis où nous restons 4 heures à attendre le chemin de fer départemental.

Je suis très heureux.

Je n’ose pas décrire ma joie.

Enfin, on prend le tramway qui nous conduit jusqu’à Belfort où nous arrivons à 8h1/2 du soir. Je suis heureux de revoir mon pays.

Nous passons au service de l’hôpital qui fait diriger les hommes dans divers hôpitaux de la ville suivant leur maladie. Moi, je demande l’autorisation d’aller coucher chez moi, ce qui me fut autorisé.

Je me dirige chez mon frère où la surprise fut grande de me voir arriver.

Toute sa famille s’occupe de me débarrasser de mon lourd fardeau. Et on me donna du linge pour me rechanger. Ensuite, je mange une bonne soupe qui n’a rien de comparable avec la nourriture du régiment.

 

Et comme c’est veille de Noël, je ne puis pas mieux tomber, toute la maison est en fête, et je suis heureux de me trouver parmi eux.

Je passe une bonne nuit.

Le matin, je prends un bon café au lait et je vais à la caserne Béchaud pour y passer une visite.

25 décembre 

J’arrive au quartier un peu en retard.

La visite était déjà passée. On remet ma visite au lendemain. Je suis affecté à la section hors-rang, où je me trouve avec un tas de gens qui viennent seulement d’être appelés.

Ils sont d’un grand soin pour moi.

Comme c’est Noël, il y a repas de ces mieux choisis. Rata de pommes, haricots, brioche, confiture, orange, viande, rôti, vin, biscuits délicieux, café et Marc et deux cigares par hommes.

Tout le monde est très gai, mais, ce qui est triste, c’est de voir le casernement qui est sale, dégoûtant. On y trouve des amoncellements de détritus de toute sorte.

Enfin, j’attends le soir avec impatience pour aller passer la soirée chez mon frère qui attend avec impatience pour connaître le résultat de la visite. Je passe une soirée très agréable et je retourne au quartier à 8 heures où je passe une bonne nuit.

Je reste plusieurs heures avant de dormir. Dans la chambrée, les hommes chantent de jolies chansons qui me font bien rire.

Je suis tout heureux de ne plus être dans ces tranchées.

26 décembre

Réveil à 7 heures. J’ai passé une bonne nuit à la caserne Béchaud.

J’ai été à la visite où le major m’a bien ausculté et m’a fait un bulletin pour être présenté à la commission de réforme.

La journée a été longue pour moi.

Je me suis promené tout le temps à travers la cour du quartier en attendant l’heure de sortie. J’ai été chez mon frère où j’ai passé la nuit, et j’ai fait une bonne partie de cartes.

27 décembre

Je me lève à 7h1/2. Je déjeune et je vais rejoindre le quartier où l’on me délivre mon changement de régiment. De là, je rejoins au 49ème Territorial (Caserne Friedrich) où je suis très surpris d’y trouver tant d’hommes.

Il y a pour le moins 1500 hommes. Je reprends ma place dans mon escouade et j’attends le soir avec impatience pour aller attendre ma femme à la gare des tramways départementaux qui ne tardent pas d’arriver.

Aussi, je suis tout heureux de la revoir et je passe une bonne soirée.

28 décembre

Je devais passer devant la commission de réforme mais j’ai été omis ; aussi, je m’ennuie beaucoup. Et le soir, je passe ma soirée avec ma femme, ce qui change un peu les idées.

29 décembre

Je vais à la visite du régiment où le major prend les feuilles que je lui remets et les joins à son rapport pour me faire présenter à la commission de réforme.

Je reste au repos toute la journée, mais je suis malade d’entendre ce bruit de caserne qui me fait mal à la tête. Soirée agréable.

30 décembre

Journée d’ennui, mais soirée agréable dans ma famille.

31 décembre

Je m’occupe d’aller faire quelques courses pour le dîner du Nouvel An. Grande agitation à la caserne.

On rit, on chante, mais je n’éprouve aucune joie.

Le soir, je reste à la maison où je passe une bonne nuit avec ma petite femme.

 

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